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Décisions

CA Colmar, ch. 1 a, 10 avril 2024, n° 22/02689

COLMAR

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Prodaxis (SAS)

Défendeur :

Adw Concept et Gestion (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Walgenwitz

Conseillers :

M. Roublot, Mme Rhode

Avocats :

Me Crovisier, Me Brunner, Me Gallone, Me Mall

CA Colmar n° 22/02689

9 avril 2024

La SAS PRODAXIS [Localité 3]-EST, dont le siège social est à [Localité 5] et qui dispose d'un établissement à [Localité 6], a pour activité la distribution pour les TPE et PME des solutions informatiques SAGE, ERP PARTEOR et ERP DIVALTO.

La SARL ADW CONCEPT ET GESTION a une activité pour partie concurrente : la distribution, formation et assistance sur les logiciels d'exploitation SAGE.

Fin 2016, la SAS PRODAXIS [Localité 3]-EST a racheté la SAS RGI SOLUTIONS, avant de l'absorber en janvier 2017, la société ADW CONCEPT ET GESTION ayant précédemment, en juin 2015, tenté de racheter la même société.

Par assignation délivrée le 6 juillet 2018, la SAS PRODAXIS [Localité 3]-EST, se plaignant d'actes de concurrence déloyale, notamment de débauchage abusif de salariés et de tentatives de débauchage, de démarchage systématique des clients et de dénigrement, a fait citer la SARL ADW CONCEPT ET GESTION devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg, devenu le 1er janvier 2020, par application de l'article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et de ses décrets d'application n° 2019-965 et 2019-966 du 18 septembre 2019, le tribunal judiciaire de Strasbourg.

Par jugement rendu le 10 juin 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :

DEBOUTE la SAS PRODAXIS [Localité 3]-EST de l'ensemble de ses demandes ;

DEBOUTE la SARL ADW CONCEPT ET GESTION de sa demande reconventionnelle ;

CONDAMNE la SAS PRODAXIS [Localité 3]-EST à payer à la SARL ADW CONCEPT ET GESTION la somme de 3 000 €, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAME la SAS PRODAXIS [Localité 3]-EST aux dépens ;

ORDONNE l'exécution provisoire de la décision.

La SAS PRODAXIS [Localité 3] EST a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 12 juillet 2022.

La SARL ADW CONCEPT ET GESTION s'est constituée intimée le 25 juillet 2022.

Dans ses dernières conclusions datées du 3 janvier 2024, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, la SAS PRODAXIS [Localité 3]-EST demande à la cour de :

Sur appel principal

Déclarer l'appel recevable et bien fondé,

En conséquence,

Réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 10 juin 2022 en ce qu'il a :

- débouté la société PRODAXIS [Localité 3]-EST de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société PRODAXIS [Localité 3]-EST aux entiers frais et dépens et à payer à la société ADW CONCEPT ET GESTION la somme de 3 000 € par application de l'article 700 du CPC,

Et partant a rejeté les prétentions de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST tendant au visa de l'article 1240 du Code civil à voir :

'Vu l'article 1240 du Code civil

Dire et juger que la société ADW CONCEPT ET GESTION est l'auteur d'actes de concurrence déloyale, commis au préjudice de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST, en l'espèce de débauchages abusifs, de démarchage systématique de ses clients, de dénigrement.

Condamner la société ADW CONCEPT ET GESTION à payer à la société PRODAXIS [Localité 3]-EST :

- une somme de 924.850 euros de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice causé par le départ de ses clients engendré par la désorganisation de son activité ;

- une somme de 500.000 euros de dommages-intérêts en indemnisation de la désorganisation globale de son activité provoquée par ses agissements, ayant entraîné une forte baisse de ses résultats financiers ;

- une somme de 44.654 euros de dommages-intérêts en indemnisation des frais de départ des salariés débauchés, de recrutement et de reconstitution d'équipe ;

- une somme de 200.000 euros de dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice moral.

A titre infiniment subsidiaire, si par impossible, le Tribunal s'estimait insuffisamment éclairé sur la consistance du préjudice subi par la société PRODAXIS [Localité 3]-EST :

Avant dire droit, désigner tel Expert judiciaire qu'il plaira avec pour mission en s'entourant de tous renseignements à charge d'en indiquer la source, après s'être adjoint tout sapiteur nécessaire et en entendant au besoin tous sachants utiles, de :

- recueillir et consigner les explications des parties, prendre connaissance des documents de la cause, se faire remettre par les parties ou par des tiers tous autres documents utiles, entendre tous sachants à charge de reproduire leurs dires et leurs identités, s'entourer de tous renseignements à charge d'en indiquer la source, faire appel si nécessaire à un technicien d'une spécialité différente de la sienne ; établir et communiquer aux parties ainsi qu'au magistrat chargé du suivi de l'expertise une note de synthèse après chaque réunion ;

- évaluer et chiffrer les préjudices causés à la société PRODAXIS [Localité 3]-EST par les agissements de la société ADW CONCEPT ET GESTION et notamment évaluer la perte de marge brute et nette engendrée par la perte de clients, les frais de départ des salariés débauchés, de recrutement et de reconstitution d'équipe ;

- déposer un pré-rapport ;

- s'expliquer techniquement dans le cadre des chefs de mission ci-dessus énoncés sur les dires récapitulatifs et observations des parties dans le délai qu'il leur aura imparti après le dépôt de son pré-rapport et le cas échéant, compléter ses investigations.

Réserver les dépens,

Ordonner l'expertise aux frais avancés par la société ADW CONCEPT ET GESTION.

La condamner à verser la consignation dont le montant sera fixé par le Tribunal, ainsi que toutes les consignations éventuelles complémentaires, aux dates imparties et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

D'ores et déjà condamner la société ADW CONCEPT ET GESTION à payer à la société PRODAXIS [Localité 3]-EST une somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts.

En tout état de cause :

Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Débouter la société ADW CONCEPT ET GESTION de ses entières demandes.

Condamner la société ADW CONCEPT ET GESTION à payer à la société PRODAXIS [Localité 3]-EST une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner la même aux entiers dépens.'

Statuant à nouveau :

Dire et juger que la société ADW CONCEPT ET GESTION est l'auteur d'actes de concurrence déloyale, commis au préjudice de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST, en l'espèce de débauchages abusifs, de démarchage systématique de ses clients, de dénigrement.

Condamner la société ADW CONCEPT ET GESTION à payer à la société PRODAXIS [Localité 3]-EST :

- une somme de 924.850 euros de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice causé par le départ de ses clients engendrés par la désorganisation de son activité ;

- une somme de 500.000 euros de dommages-intérêts en indemnisation de la désorganisation globale de son activité provoquée par ses agissements, ayant entraîné une forte baisse de ses résultats financiers ;

- une somme de 44.654 euros de dommages-intérêts en indemnisation des frais de départ des salariés débauchés, de recrutement et de reconstitution d'équipe ;

- une somme de 200.000 euros de dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice moral.

A titre infiniment subsidiaire, si par impossible, la Cour s'estimait insuffisamment éclairé sur la consistance du préjudice subi par la société PRODAXIS [Localité 3]-EST :

Avant dire droit, désigner tel Expert judiciaire qu'il plaira avec pour mission en s'entourant de tous renseignements à charge d'en indiquer la source, après s'être adjoint tout sapiteur nécessaire et en entendant au besoin tous sachants utiles, de :

- recueillir et consigner les explications des parties, prendre connaissance des documents de la cause, se faire remettre par les parties ou par des tiers tous autres documents utiles, entendre tous sachants à charge de reproduire leurs dires et leurs identités, s'entourer de tous renseignements à charge d'en indiquer la source, faire appel si nécessaire à un technicien d'une spécialité différente de la sienne ; établir et communiquer aux parties ainsi qu'au magistrat chargé du suivi de l'expertise une note de synthèse après chaque réunion ;

- évaluer et chiffrer les préjudices causés à la société PRODAXIS [Localité 3]-EST par les agissements de la société ADW CONCEPT ET GESTION et notamment évaluer la perte de marge brute et nette engendrée par la perte de clients, les frais de départ des salariés débauchés, de recrutement et de reconstitution d'équipe ;

- déposer un pré-rapport ;

- s'expliquer techniquement dans le cadre des chefs de mission ci-dessus énoncés sur les dires récapitulatifs et observations des parties dans le délai qu'il leur aura imparti après le dépôt de son pré-rapport et le cas échéant, compléter ses investigations.

Réserver les dépens.

Ordonner l'expertise aux frais avancés par la société ADW CONCEPT ET GESTION.

La condamner à verser la consignation dont le montant sera fixé par la Cour, ainsi que toutes les consignations éventuelles complémentaires, aux dates imparties et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

D'ores et déjà condamner la société ADW CONCEPT ET GESTION à payer à la société PRODAXIS [Localité 3]-EST une somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts.

En tout état de cause :

Condamner la société ADW CONCEPT ET GESTION à payer à la société PRODAXIS [Localité 3]-EST une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Sur appel incident

Déclarer l'appel incident mal fondé et en débouter la société ADW CONCEPT ET GESTION,

En conséquence,

Débouter la société ADW CONCEPT ET GESTION de ses entières demandes, fins et conclusions,

Condamner la société ADW CONCEPT ET GESTION aux entiers frais et dépens nés de l'appel incident.

Dans ses dernières écritures datées du 7 décembre 2023, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, la SARL ADW CONCEPT ET GESTION demande à la cour de :

SUR APPEL PRINCIPAL

DECLARER l'appel mal fondé,

Le REJETER,

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Strasbourg le 10.06.2022 dans la limite de l'appel incident,

SUR APPEL INCIDENT

DECLARER l'appel incident recevable,

DECLARER l'appel incident bien fondé,

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté ADW CONCEPT ET GESTION de sa demande reconventionnelle tendant à voir condamner PRODAXIS [Localité 3]-EST au paiement d'une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il n'a condamné PRODAXIS [Localité 3]-EST qu'à 3.000 € en application de l'article 700 du CPC,

Et statuant à nouveau dans cette limite,

CONDAMNER PRODAXIS [Localité 3]-EST à payer à ADW CONCEPT ET GESTION la somme de 10 000 € de dommages et intérêts,

CONDAMNER PRODAXIS [Localité 3]-EST à payer à ADW CONCEPT ET GESTION la somme de 10 000 € en application de l'article 700 du CPC pour les frais irrépétibles de 1ère instance,

CONFIRMER le jugement entrepris pour le surplus,

EN TOUT ETAT DE CAUSE

DEBOUTER PRODAXIS [Localité 3]-EST de l'ensemble de ses prétentions,

DEBOUTER PRODAXIS [Localité 3]-EST de sa demande tendant à faire supporter les frais d'expertise sous astreinte par la Défenderesse,

CONDAMNER PRODAXIS [Localité 3]-EST à verser à ADW CONCEPT ET GESTION la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur de Cour, en application de l'article 700 du CPC,

CONDAMNER PRODAXIS [Localité 3]-EST aux entiers frais et dépens d'appel.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.

La clôture de la procédure a été prononcée le 24 janvier 2024 et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 12 février 2024.

MOTIFS :

Sur l'action en concurrence déloyale :

L'article 1240 du code civil dispose que, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

- Sur le rapport privé de M. [G] [O] ([K]) :

La société PRODAXIS [Localité 3]-EST fonde notamment ses prétentions sur un rapport privé établi par M. [G] [K], se présentant comme expert près la cour d'appel de Lyon, agréé par la cour de cassation.

La société ADW CONCEPT ET GESTION demande à la cour, dans le corps de ses conclusions, d'écarter ce rapport des débats, cette demande n'étant toutefois pas reprise dans son dispositif comme l'imposent les dispositions de l'article 954 du code de procédure civile.

Ce rapport peut être pris en compte par la cour s'il est corroboré par d'autres pièces de l'appelante, dans la mesure où il a été soumis à la discussion contradictoire des parties.

Néanmoins, la cour relève que si M. [G] [K] se présente comme expert près la cour d'appel de Lyon, agréé par la cour de cassation, il n'indique pas son domaine d'expertise. Cette carence est palliée par les parties qui produisent sa fiche de présentation, de laquelle il résulte que son domaine d'expertise est le suivant : internet et multimédia, logiciels et matériels, systèmes d'information (mise en œuvre) et documents informatiques.

Par ailleurs, la cour constate que dans son rapport, M. [G] [K] procède par voie d'affirmations, sans indiquer à quelle pièce il se réfère pour opérer ses constatations et sans produire aucune annexe et qu'il expose notamment, dans son avis, que :

- La direction PRODAXIS a reçu en entretien individuel chaque salarié pour expliquer son projet de l'organisation qui en résultait, certains de ces entretiens ont débouché sur un avenant à leur contrat de travail à leur avantage ; les avantages acquis chez RGI SOLUTIONS ont tous été strictement maintenus notamment la prime d'assiduité, celles en fonction du nombre d'interventions réalisés, les tickets-restaurants ; les horaires ont été aménagées pour certains salariés qui rencontraient des difficultés de déplacement compte-tenu de la nouvelle implantation géographique ;

- La direction PRODAXIS a investi dans l'aménagement des locaux et l'acquisition de mobiliers et d'équipements modernes ;

- Rien ne laissait supposer qu'en dépit de ce processus parfaitement défini et conduit, six des huit salariés ex RGI SOLUTIONS quitteraient PRODAXIS dans les sept mois qui ont suivi son rachat ;

- Les clients inquiets ont harcelé l'équipe PRODAXIS des mois durant jusqu'à leur départ pour une partie d'entre eux ; le standard téléphonique s'est trouvé totalement débordé et dans l'incapacité de répondre aux demandes ;

- La dégradation totale de la qualité de services de PRODAXIS a conduit à une fuite très importante des clients (ex RGI SOLUTIONS et même ex PRODAXIS) ;

- Ce contexte extrêmement difficile a conduit au départ en août 2017 du responsable infrastructure et au burn-out de plusieurs mois à partir d'octobre 2018 d'un technicien infra accentuant ainsi significativement les difficultés insurmontables rencontrées ;

- L'image de marque de PRODAXIS dans la profession sur le [Localité 3]-EST s'est elle aussi considérablement dégradée avec les conséquences en découlant ;

- La cour, à l'éclairage de nos travaux, devrait réformer en ce point l'appréciation du tribunal : 'Il n'est au demeurant pas démontré que le débauchage ait provoqué la désorganisation de la société PRODAXIS, la perte de clients ou la dégradation des résultats de ladite société, faute pour la demanderesse de fournir des pièces comptables sérieuses et exploitables'.

Ainsi, les conclusions de M. [K] sont éloignées de son domaine de compétence ci-dessus rappelé et non étayées. Bien qu'il s'agisse d'un rapport privé, elles paraissent peu objectives et être l'écho des moyens et allégations de l'appelante plutôt que le résultat d'une analyse technique qui seule relève de la compétence expertale.

- Sur le débauchage massif de salariés :

En application des principes de liberté du travail et de liberté d'entreprendre, en l'absence d'une clause de non-concurrence, la simple embauche, dans des conditions régulières, des salariés d'une entreprise concurrente, n'est pas en elle-même fautive (Com., 28 sept. 2022, n° 21-15.89).

Le recrutement, même massif et dans un temps rapproché, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, ne caractérise pas à lui seul un comportement déloyal, particulièrement s'il s'agit de départs volontaires et non provoqués (Com., 21 mars 2018, n° 16-17.660), en revanche, le débauchage peut être déloyal s'il relève d'une démarche de débauchage massif, portant sur des effectifs importants par rapport à l'ensemble de l'effectif du service considéré, ou un personnel disposant d'une qualification particulière (Com., 23 juin 2021, n° 19-21.911).

Il n'y a pas concurrence déloyale s'il apparaît que la cause des départs massifs de salariés s'explique par un mauvais fonctionnement de la société qu'ils ont quittée (Cass. com., 9 févr. 1999 : JurisData n° 1999-000567).

Par ailleurs, pour être constitutif de concurrence déloyale, le débauchage fautif doit en outre produire un effet de désorganisation de l'entreprise non une simple perturbation (Com., 11 janv. 2017, n° 15-20.808).

En l'espèce, le 22 décembre 2016, la société RGI SOLUTIONS, qui avait un effectif de 8 salariés, a fait l'objet d'une fusion absorption par la société PRODAXIS [Localité 3]-EST, dont l'effectif était de 12 salariés.

Entre le 5 décembre 2016 et le 1er avril 2017, quatre salariés de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST, anciens salariés de la société RGI SOLUTIONS, dont aucun n'était astreint à une clause de non-concurrence, ont quitté la société aux termes d'une démission ou d'une rupture conventionnelle pour rejoindre la société ADW CONCEPT ET GESTION. Ainsi, la société PRODAXIS [Localité 3]-EST a déploré le départ de 4 salariés sur un effectif de 20 salariés dont deux avec une certification SAGE.

La société PRODAXIS [Localité 3]-EST considère en conséquence avoir été victime d'un débauchage massif, qui est à l'origine de sa désorganisation.

Concernant M. [U] [R], technicien informatique certifié SAGE, qui a démissionné le 5 décembre 2016, il résulte des pièces produites qu'il était dans une démarche de recherche d'emploi et avait postulé auprès de plusieurs sociétés avant de rejoindre la société ADW CONCEPT ET GESTION.

Ainsi sont produits des échanges de courriels avec la société OCI, concernant un entretien d'embauche qui s'est déroulé le 14 octobre 2016, des échanges de courriels avec un cabinet de recrutement, HAYS Recruiting Experts Worldwide, au mois de novembre 2016, ainsi qu'une candidature spontanée auprès de la société ADW CONCEPT ET GESTION par courriel du 21 novembre 2016.

Dans l'attestation qu'il a établie, M. [R] précise avoir répondu à une annonce publiée sur le site www.adw.fr. Il ajoute qu'il avait rencontré, au mois de mars 2016, la société PRODAXIS par le biais d'un cabinet de recrutement, ainsi que d'autres sociétés telles que PEPPERBAY et ABAS France.

Le seul fait que M. [R] travaille pour la société ADW CONCEPT ET GESTION, ne signifie pas que les propos de son attestation sont mensongers et ce d'autant plus qu'ils sont corroborés par les autres pièces produites.

Ainsi, le départ de M. [R] ne peut s'expliquer par une politique de démarchage de la société ADW CONCEPT ET GESTION et résulte d'une initiative personnelle.

Concernant Mme [A] [P], consultante certifiée SAGE, qui a démissionné en avril 2017, il résulte des pièces produites que son conjoint, M. [E] [T], avait quitté la société RGI SOLUTIONS pour la société ALSARIS au mois d'août 2016, qu'en janvier 2017, elle avait sollicité un ami, M. [E] [M], ayant lui-même quitté la société RGI en février 2016, afin qu'il transmette son CV à la direction de la société PEPPERBAY, qu'un échange a eu lieu entre elle et la direction de la société PEPPERBAY, aboutissant à une offre d'emploi qu'elle a finalement déclinée pour préférer la société ADW CONCEPT ET GESTION.

Dans l'attestation qu'elle a établie, Mme [P] évoque un premier entretien en octobre 2016 avec la société OCI. Elle justifie ses démarches d'emploi par le départ de plusieurs collègues, M. [T] (ALSARIS), M. [M] (PEPPERBAY), M. [C] (OCI) et M. [R] (ADW), ainsi que par divers dysfonctionnements l'ayant conduite à un arrêt de travail pour troubles anxiodépressifs.

Le seul fait que Mme [P] travaille pour la société ADW CONCEPT ET GESTION ne signifie pas que les propos de son attestation sont mensongers et ce d'autant plus qu'ils sont corroborés en grande partie par les autres pièces produites.

Dès lors, le départ de Mme [P] est un départ volontaire et non provoqué par la société ADW CONCEPT ET GESTION.

La société PRODAXIS expose que sa désorganisation résulte notamment du départ de ces deux salariés, ayant une compétence recherchée pour la solution informatique SAGE. Néanmoins ainsi qu'il a été démontré, ces salariés étaient en recherche active d'emploi.

Concernant Mme [W] [S], assistante de direction sans certification SAGE, qui a quitté la société PRODAXIS aux termes d'une rupture conventionnelle régularisée le 15 mars 2017, il est produit un courrier, daté du 30 novembre 2016, de candidature spontanée auprès de la société ADW CONCEPT ET GESTION. Toutefois, il n'est justifié ni de l'envoi ni de la réception dudit courrier.

Dans son attestation, Mme [W] [S] expose que M. [R] lui a indiqué, suite à son entretien d'embauche auprès de la société ADW CONCEPT ET GESTION, que cette dernière société souhaitait recruter et qu'elle avait pris l'initiative, à la demande de plusieurs salariés, de solliciter un rendez-vous avec son dirigeant. Elle ajoute que suite au rachat de la société RGI, ses missions ont été réduites et qu'un sentiment de frustration s'est installé.

La société ADW CONCEPT ET GESTION produit son arrêt maladie, ainsi que la liste des missions qui incombaient à Mme [S]. Il résulte de cette liste, que l'essentiel des tâches administratives relevait de la compétence de Mme [I] [H], assistante de direction de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST.

Concernant M. [Z] [D], responsable technique sans certification SAGE, qui a démissionné le 27 février 2017, il est produit un courrier, daté du 19 décembre 2016, de candidature spontanée auprès de la société ADW CONCEPT ET GESTION. Toutefois, il n'est justifié ni de l'envoi ni de la réception dudit courrier.

Dans son attestation, M. [Z] [D] évoque le départ de plusieurs collègues, M. [T] (ALSARIS), M. [C] (OCI) et M. [R] (ADW) et une intégration difficile au sein de la nouvelle structure. Il précise que la réunion avec le responsable de la société ADW CONCEPT ET GESTION a été initiée par eux.

Des éléments produits, il résulte que :

- Le mouvement de départ des salariés de la société RGI SOLUTIONS a été initié au début de l'année 2016 ;

- Les salariés partants ont été employés par plusieurs sociétés, ainsi M. [M] a été embauché par la société PEPPERBAY en février 2016, M. [T] a été embauché par la société ALSARIS en août 2016, M. [C] a été embauché par la société OCI en décembre 2016, M. [N] a été embauché par la société PEPPERBAY en janvier 2017 ; le fait que trois années plus tard, soit au cours de l'année 2020, M. [C], ait finalement rejoint la société ADW CONCEPT ET GESTION est indifférent à l'issue du présent litige ;

- Les salariés exposent dans leurs attestations que la fusion avec la société PRODAXIS a été difficile et témoignent d'un certain malaise, ils font notamment état d'un changement de lieu de travail de [Localité 4] vers [Localité 6] et reconnaissent avoir pris contact avec ADW CONCEPT ET GESTION, pour proposer leur candidature, démarches qui, pour les salariés avec la certification SAGE avaient été réalisées auprès d'autres sociétés concurrentes.

Ainsi, il résulte des pièces produites, que ce sont les salariés qui sont à l'initiative de leur départ de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST et non la société ADW CONCEPT ET GESTION.

L'attestation de M. [B], concernant la réunion qui s'est tenue début décembre 2016 avec un responsable de la société ADW CONCEPT ET GESTION, ne contredit pas ce fait. Au contraire, à cette date, M. [B] avait déjà transmis sa candidature spontanée, selon courrier du 16 novembre 2016, à l'intimée, ce qui confirme l'initiative commune des salariés.

Enfin, il n'est ni allégué ni démontré que la société ADW CONCEPT ET GESTION ait offert à ses nouveaux salariés des avantages particuliers afin de les recruter. A cet égard, la société PRODAXIS [Localité 3]-EST reconnaît dans ses conclusions, que son action n'est pas initiée en raison de manœuvres de la société ADW CONCEPT ET GESTION.

Dès lors, il ne peut être reproché à cette dernière un acte de concurrence déloyale en raison du débauchage massif des salariés.

- Sur le démarchage systématique de clients :

Il est de principe que la clientèle est libre de s'adresser au commerçant ou à l'entreprise de son choix. La liberté de la concurrence autorise le démarchage de la clientèle puisque celle-ci ne peut faire l'objet d'aucun droit privatif (par exemple : Com., 8 janv. 1991, n 89-11.367).

Le démarchage de la clientèle d'un concurrent, même de la part d'un ancien salarié, ne constitue pas en lui-même un acte de concurrence déloyale, s'il n'est pas accompagné d'un acte déloyal ou contraire aux usages du commerce (Com., 9 juin 2015, n 14-13.263).

On ne peut en principe reprocher à un ancien salarié ou dirigeant d'exploiter l'expérience acquise auprès de son ancienne entreprise, sans établir le caractère confidentiel des informations qui auraient été détenues par le salarié et qui auraient relevé d'un savoir-faire propre à l'entreprise (Com., 26 fév. 2013, n 12-13.721).

En revanche, le démarchage de la clientèle du concurrent devient illicite s'il s'accompagne de manœuvres déloyales. Ces manœuvres déloyales peuvent consister notamment en une utilisation des listes, fichiers ou autres renseignements sur l'entreprise concurrente, frauduleusement soustraits ou encore en un démarchage dans des conditions de nature à créer ou entretenir une confusion entre les deux entreprises.

En l'espèce, la société PRODAXIS [Localité 3]-EST argue d'un démarchage systématique et ciblé de sa clientèle, grâce à l'utilisation de ses données et informations privilégiées. Elle expose notamment qu'il est constant que la société ADW CONCEPT ET GESTION a adressé des courriels à l'ensemble des clients de la requérante, mettant en avant la nouvelle équipe débauchée.

Elle entend justifier de ce démarchage par la production de deux courriels :

- Un courriel adressé le 15 juin 2017 par Mme [W] [S] à la société SPRINGER, aux termes duquel cette dernière écrit : 'Je fais suite à nos échanges téléphoniques et vous adresse en pièce jointe notre proposition pour la reprise de vos contrats de DUA/Maintenance pour vos logiciels SAGE. En effet, nous avons souhaité nous positionner afin que vous puissiez décider en toute connaissance de cause. Comme vous le savez déjà, aujourd'hui nous sommes [U] [R], [A] [P], [Z] [D] et moi-même à avoir intégré la société ADW. Nous avons établi notre meilleure offre afin d'avoir la possibilité de pouvoir continuer à travailler ensemble';

- un courriel adressé le 22 mars 2017 par [U] [R] à la société BIONAT, aux termes duquel ce dernier écrit : 'Je me permets de vous contacter pour vous communiquer mes nouvelles coordonnées professionnelles. J'en profite également pour vous rendre attentive à un point crucial sur le développement spécifique que vous avez, il me semble, choisi de réaliser chez votre prestataire actuel avec M. [F]. Je me suis rendu à une journée de conférence chez SAGE qui nous ont alerté sur la nouvelle loi ANTI-FRAUDE (.). Je vous préconise de rapidement l'évoquer avec M. [F] pour qu'il puisse se mettre en conformité et qu'ensuite celui-ci soit capable de vous mettre à disposition un certificat de conformité'.

Ces éléments, ainsi que la création d'une agence à [Localité 4], ne permettent pas de caractériser un démarchage des clients de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST par la société ADW CONCEPT ET GESTION.

En effet, ces courriels ne concernent que deux clients du portefeuille de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST, sur un total d'environ 200 clients. En outre, ils ne permettent pas de mettre en évidence une quelconque manœuvre déloyale et ce d'autant que M. [R] a transmis copie du second courriel à la société PRODAXIS [Localité 3]-EST.

Par ailleurs, l'échange de SMS entre M. [R] et M. [B] ne permet pas de démontrer que M. [R] cherchait à obtenir des informations confidentielles auprès de ce dernier.

Enfin, si la société PRODAXIS [Localité 3]-EST évoque la perte d'une soixantaine de clients, elle ne démontre pas que ces derniers aient été démarchés par la société ADW CONCEPT ET GESTION, ni qu'ils sont désormais clients de cette dernière. Contrairement aux affirmations de l'appelante, les courriers de résiliation ne sont pas identiques et ne paraissent pas issus d'un modèle unique.

La société ADW CONCEPT ET GESTION reconnaît que 15 clients ont suivi les 4 salariés, dans les temps qui ont suivi leur départ et rappelle à juste titre que la clientèle est libre de suivre les anciens salariés, dès lors qu'elle le fait de son plein gré et qu'il n'est caractérisé aucun procédé contraire aux usages du commerce, tels que l'utilisation de publicités interdites ou des pressions sur la clientèle.

En conséquence, il ne peut être reproché à la société ADW CONCEPT ET GESTION un acte de concurrence déloyale en raison du démarchage des clients de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST.

- Sur le dénigrement :

La liberté d'expression est un droit dont l'exercice ne revêt un caractère abusif, que dans les cas spécialement déterminés par la loi (1ère Civ., 10 avril 2013, pourvoi n° 12-10.177). Il s'ensuit que, hors restriction légalement prévue, l'exercice du droit à la liberté d'expression ne peut, sauf dénigrement de produits ou services, être sanctionné sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil (1ère Civ., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-16.730, Bull. 2014, I, n° 120).

Le dénigrement consiste en la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur les produits ou les services d'un concurrent.

En l'espèce, la société PRODAXIS [Localité 3]-EST considère qu'elle a été victime de dénigrement.

Au soutien de sa prétention, elle fait valoir que :

- Mme [W] [S], en charge de la délivrance des clés pour l'utilisation des logiciels SAGE, tardait volontairement à les transmettre aux clients et produit un courriel de la société Alélor exposant attendre le code Sage depuis le 14 décembre 2016 ;

- M. [V] [B] a confirmé que Mme [S] aurait tenu des propos inadmissibles à certains clients ;

- Le discours commercial de la société ADW CONCEPT ET GESTION est en lui-même constitutif de dénigrement, puisqu'elle n'hésite pas à mettre en avant la nouvelle équipe constituée grâce aux faits de débauchage ; l'appelante se réfère au courriel de Mme [S] du 15 juin 2017, ainsi qu'au courriel de M. [R] du 22 mars 2017, dont les termes sont ci-dessus rappelés ;

- La campagne de dénigrement a commencé très tôt, ainsi qu'en atteste un courriel adressé par la société SPRINGER le 28 janvier 2017 à M. [X] [C], aux termes duquel le gérant de la société indique : 'Je me permet de revenir vers vous car je m'inquiète des tournures que prennent la structure Prodaxis (.). C'est en OFF que je parle car je sais que tous les piliers de Rgi sont sur le départ ou déjà partis (.). La question que je me pose afin de ne pas être à nouveau piégé dans une grosse structure du type OCI, quel a été cet intérêt de fusionné sur Prodaxis, est-ce à nouveau pour créer un OCI Bis s'adressant à de plus grosses structures ' Dans tous les cas c'est vraiment inquiétant et j'en ai déjà fait part à C. [Y]. Par ailleurs, faîtes-vous votre propre structure à taille humaine ' cela pourrais m'intéresser'.

Aucun de ces éléments n'est de nature à démontrer l'existence d'un dénigrement de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST par la société ADW CONCEPT ET GESTION.

En effet, à nouveau la société PRODAXIS [Localité 3]-EST procède par voie d'affirmations et d'extrapolation.

Ainsi, il n'est pas démontré que Mme [S] ait retardé la transmission des clés Sage aux clients, seul un mail déplorant un retard étant produit, pas plus qu'il n'est démontré que le retard n'ait été imputable à cette dernière.

De même, l'affirmation selon laquelle Mme [S] aurait tenu des propos inadmissibles devant certains clients, n'est pas étayée et ce alors même que l'appelante produit une attestation écrite par M. [B], dans le cadre de la présente procédure.

En outre, il ne résulte des courriels de Mme [S] et M. [R], dont le contenu a été reproduit ci-dessus, aucun élément dénigrant les services de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST.

Enfin, le courriel de la société SPRINGER a été adressé à M. [X] [C] qui, suite à son départ de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST, avait rejoint la société OCI, de sorte qu'à supposer qu'un discours dénigrant ait été tenu auprès de ce client, il n'est pas démontré que la société ADW CONCEPT ET GESTION ou un de ses salariés en ait été à l'origine.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté la société PRODAXIS [Localité 3]-EST de ses demandes présentées au titre du dénigrement.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive :

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L'exercice d'une action en justice ou l'exercice d'une voie de recours, constitue en principe un droit.

En l'espèce, la cour relève qu'aucune intention de nuire de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST n'est caractérisée.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté la société ADW CONCEPT ET GESTION de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les demandes accessoires :

Succombant, la société PRODAXIS [Localité 3]-EST sera condamnée aux dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.

L'équité commande en outre de mettre à la charge de la société PRODAXIS [Localité 3]-EST une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 5 000 euros au profit de la société ADW CONCEPT ET GESTION, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de cette dernière et en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 juin 2022 par le tribunal judiciaire de Strasbourg,

Y ajoutant,

Condamne la SAS PRODAXIS [Localité 3]-EST aux dépens de l'appel,

Condamne la SAS PRODAXIS [Localité 3]-EST à payer à la SARL ADW CONCEPT ET GESTION la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société PRODAXIS [Localité 3]-EST de ses prétentions au titre des dépens et frais irrépétibles.

La Greffière : le Président :