CA Caen, 1re ch. civ., 16 avril 2024, n° 21/01142
CAEN
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
IN Immo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guiguesson
Conseillers :
Mme Delaubier, Mme Velmans
Avocats :
Me Drouet, Me Serot
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé du 8 mars 2012, Monsieur [E] [U] a conclu avec la SARL In Immo, un contrat d'agent commercial.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 mars 2016, la SARL In Immo a notifié à Monsieur [U] la résiliation de son contrat.
N'ayant pu obtenir le paiement d'une indemnité compensatrice de cessation du contrat, il a assigné la SARL In Immo devant le tribunal de grande instance de Caen suivant acte d'huissier du 2 février 2018.
Par jugement du 8 mars 2021, le tribunal a débouté Monsieur [U] et la SARL In Immo de toutes leurs demandes, condamné Monsieur [U] aux dépens, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire et rejeté toute demande plus ample ou contraire.
Par déclaration du 22 avril 2021, Monsieur [U] a formé appel de la décision sauf en ce qu'elle a débouté la SARL In Immo de ses demandes.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 28 décembre 2023, il conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de :
- condamner la société In Immo à lui verser une indemnité compensatrice de rupture de son contrat d'agent commercial égale à 24 mois du montant des commissions qu'il aurait dû réellement percevoir, en l'état arrêté à la somme de 38.944,00 €,
- débouter la société In Immo de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la société In Immo au paiement d'une somme de 5.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 22 janvier 2024, la société In Immo conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes, et demande à la cour de :
- juger que Monsieur [U] a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice en la dénigrant auprès de ses clients,
- le condamner en conséquence au paiement d'une somme de 4.000,00 € en réparation du préjudice d'image subi,
- le condamner au paiement d'une somme de 6.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de son conseil.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de Monsieur [U] en paiement d'une indemnité compensatrice.
Aux termes des articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, l'agent commercial dont le contrat est résilié, a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sauf si la cessation du contrat est provoquée par sa faute grave.
La faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.
Elle se distingue des simples manquements aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat.
C'est au mandant qu'il appartient de rapporter la preuve d'une telle faute.
Le tribunal a estimé que les griefs invoqués par la société In Immo, n'étaient pas constitutifs d'une faute, mais a débouté Monsieur [U] de sa demande d'indemnité compensatrice, faute pour lui de produire des éléments financiers permettant de l'évaluer.
La société In Immo maintient que son refus de paiement d'une indemnité compensatrice est justifié par l'existence de fautes imputables à Monsieur [U], ce que celui-ci, qui soutient produire les éléments suffisants pour procéder à son calcul, conteste.
Le contrat d'agent commercial en date du 8 mars 2012 liant les parties définit le mandat confié à Monsieur [U] comme suit :
La société donne à l'agent qui l'accepte le mandat d'intérêt commun de la représenter auprès de la clientèle de son choix, dans le cadre de son activité de transaction immobilière.
L'agent exercera cette représentation en qualité de mandataire non exclusif de la société et à titre de professionnel indépendant, sans aucun lien de subordination envers la société qui n'est pas son employeur et n'en assurera pas les obligations.
Le présent mandat ne constitue pas un contrat de travail, ni n'emporte application du statut de VRP (articles L. 751-1 et suivants code du travail). Ainsi, l'agent ne pourra se prévaloir des dispositions du droit du travail, notamment en matière de congés payés et protection sociale.'
Ce contrat rappelle en son article 8, que l'agent a droit à l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce sauf en cas de faute grave.
Le principe du droit à cette indemnité n'est donc pas contestable.
Il convient néanmoins d'examiner dans un premier temps, les griefs invoqués par la société In Immo dans sa lettre de rupture du 4 mars 2016, pour déterminer s'ils sont constitutifs de la faute grave visée à l'article L. 132-13 du code de commerce, de nature à priver Monsieur [U] de son droit à indemnité.
Comme le relève à juste titre le tribunal, ce courrier n'expose pas clairement les griefs faits à Monsieur [U] puisqu'il est fait référence à des courriers des 4 et 23 février 2016 et à un manquement à l'exigence de loyauté et au devoir réciproque d'information.
Dans son courrier du 4 février 2016, la société In Immo reprochait à Monsieur [U], de n'avoir obtenu aucun mandat depuis le 16 novembre 2015, de ne lui transmettre aucune information, de ne répondre que tardivement à ses sollicitations, de ne pas l'avoir informé des ventes UAMC et Reme/Rochot qui étaient en cours.
Dans sa lettre du 23 février 2016, la société In Immo reproche à Monsieur [U] d'avoir confié à un confrère, les clés d'un bien dont le mandat était détenu par l'agence, et d'avoir laissé la négociatrice visiter seule le bien, ainsi que de ne pas avoir assisté aux dernières réunions AMEPI.
Dans le cadre de la présente procédure, la Société In Immo invoque également la grande légèreté dont ferait preuve Monsieur [U] dans sa manière de remplir ses mandats, de les suivre et de les renouveler, de ne pas l'avoir informée dans le cadre de la vente [N]/Lecot que le bien avait été reloué à un nouveau locataire depuis la signature du compromis, et d'avoir violé la clause de non-concurrence figurant à son contrat postérieurement à sa rupture.
Afin d'examiner la portée des griefs invoqués par la Société In Immo, il convient de rappeler que le contrat d'agent commercial, n'est pas un contrat de travail et qu'en conséquence, aucun lien de subordination ne liait Monsieur [U] à son mandant.
Il sera relevé par ailleurs que le contrat s'est déroulé apparemment sans difficultés jusqu'à ce qu'en février 2016, la Société In Immo, qui jusqu'à présent, ne s'était pas émue notamment de l'absence de mandat depuis novembre 2015, du mauvais suivi ou de l'absence de renouvellement des mandats en cours, et d'un défaut d'information ou de réponse aux sollicitations, n'adresse dans un délai très court (moins d'un mois), deux lettres de mise au point des 4 et 26 février 2016 outre un courriel du 16 du même mois, précédant la lettre de rupture du contrat du 2 mars 2016.
La cour constate, comme les premiers juges que les allégations de la société In Immo reposent presque exclusivement sur des lettres ou courriels rédigés par son gérant, Monsieur [W], ainsi que sur une feuille manuscrite censée récapituler les mandats de Monsieur [U] qui ne seraient pas bien renseignés, dont l'auteur n'est pas précisé mais qui a très vraisemblablement été écrite de sa main.
Il ne peut non plus être tenu compte de captations d'écran informatiques, dont on ignore les conditions dans lesquelles elles ont été réalisées.
S'agissant des ventes UAMC et Reme/Rochot, aucune pièce autre que les écrits émanant de l'intimée, ne viennent accréditer les affirmations du gérant de la société In Immo selon lesquelles, il n'aurait pas été tenu informé de la signature des compromis, voire de l'offre d'achat qui n'aurait donc pas été validé par l'agence ou de l'échec de la vente Reme/Rochot dont il n'est d'ailleurs pas justifié. Ce grief ne saurait donc être retenu à l'encontre de Monsieur [U].
De même s'agissant de la question du trousseau de clés concernant cette vente, il ne peut être soutenu que Monsieur [U] les auraient perdues, ce qui là encore ne résulte que des affirmations de Monsieur [W], gérant de la société In Immo, étant en outre relevé que les attestations contradictoires de Madame [X] à ce sujet ne sauraient être retenues.
En ce qui concerne la vente [N]/Lecot, il est reproché à Monsieur [U] de ne pas avoir avisé la société In Immo que le bien qui était mis en vente libre de toute occupation, avait été reloué.
La cour constate de nouveau que la société In Immo procède pas simples affirmations, alors qu'elle n'établit pas que le bien était vendu libre d'occupation, et que la venderesse, Madame [N], atteste ne pas avoir informé Monsieur [U] du changement de locataire, contrairement à ce qu'affirme péremptoirement Monsieur [D], co-gérant de la société In Immo dans son attestation.
Il résulte d'ailleurs de celle-ci que les acquéreurs faisaient un investissement locatif. Il ne s'agissait donc pas d'une vente libre d'occupation.
Ce grief ne peut donc être retenu comme constitutif d'une faute grave.
S'agissant de la visite d'un appartement par la négociatrice d'une autre agence qui devait avoir lieu le 2 mars 2016, le courriel du même jour émanant de Monsieur [U] demandant si l'un de ses collègues de l'agence était disponible pour l'accompagner, ne permet pas d'établir que la visite initialement prévue le vendredi précédent, aurait pu avoir lieu hors sa présence, ni que cette négociatrice a effectivement effectué la visite seule.
Il est enfin reproché à Monsieur [U] une violation de sa clause de non-concurrence, en acceptant au cours de son contrat d'agent commercial des mandats pour le compte de l'agence immobilière concurrente Guy Hoquet, sans en avertir la société In Immo ni solliciter son autorisation.
Il sera rappelé tout d'abord que le mandat liant Monsieur [U] à la société In Immo était un mandat non exclusif.
Ensuite et comme il a été dit ci-dessus des captures d'écran informatiques dont on ignore comment elles ont été réalisées, ne peuvent être retenues comme preuve d'un d'une faute grave de Monsieur [U], pas plus que celles relatives aux codes des différentes sociétés immobilières.
Ce dernier produit les mandats exclusifs dans les ventes dont il s'agit, signés avec l'agence Guy Hoquet, les 21 décembre 2015 pour Madame [J] et le 15 décembre 2016, donc bien après la rupture de son contrat, avec Monsieur [P], qui atteste d'ailleurs ne l'avoir rencontré qu'en avril 2016 alors qu'il se trouvait à l'aéroport.
Monsieur [L], PDG de la société Cote Ouest Immobilier, pour laquelle travaille désormais Monsieur [U], précise dans une attestation, que le mandat de Madame [J] était en cours avant l'arrivée de ce dernier à l'agence, et qu'il ne se l'est vu attribuer qu'après le départ de ses précédents collaborateurs qui en assuraient le suivi, tout comme le mandat de Monsieur [P], qui comme il vient d'être dit, est bien postérieur au départ de Monsieur [U] de l'agence In Immo.
Ce grief sera donc écarté.
Il résulte de ces éléments, qu'en l'absence de preuve d'une faute grave imputable à Monsieur [U], celui-ci est bien-fondé à solliciter l'allocation de l'indemnité compensatrice prévue en cas de rupture du contrat d'agent commercial, à l'article L.134-12 du code de commerce.
C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu l'absence de faute.
L'indemnité de cessation du contrat due à l'agent commercial a pour objet de réparer le préjudice qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties.
Elle est d'ordre public et ne peut être supprimée que dans les cas visés à l'article L. 134-13 du code de commerce.
Si aucun texte ne l'impose, elle est néanmoins habituellement calculée sur les deux dernières années d'exercice normal du contrat, sur les commissions acquises par l'agent sans qu'il y ait lieu de distinguer selon les modalités de calcul de la rémunération de l'agent ou la nature des missions accomplies par lui.
Il peut être tenu compte pour son évaluation, notamment de la durée du contrat et de l'existence d'une clause de non-concurrence.
En l'espèce, le contrat de Monsieur [U] a duré quatre ans. Il comporte une clause de non-concurrence à l'expiration du contrat, pendant une année.
La société In Immo ne conteste pas réellement les justificatifs des commissions perçues durant le contrat par Monsieur [U], si ce n'est s'agissant de la facture N° 2014/1 du 24 février 2014 au titre de laquelle elle affirme avoir réglé la somme de 2.916,67 € HT et non de 3.456,94 €, sans toutefois en justifier.
Au vu des pièces produites (Cf. Pièces N° 25, 26, 33 à 36), compte tenu de la durée du contrat, de l'existence d'une clause de non-concurrence et des circonstances de la rupture du fait de la société In Immo, qui n'a pas hésité à se prévaloir de griefs non-fondés, la cour estime qu'il y a lieu d'allouer à Monsieur [E] [U], la somme dont il demande le paiement, soit 38.944,00 € correspondant aux commissions perçues pour les années 2014 et 2015, outre les honoraires d'un bien immobilier rentré par lui et pour lequel il n'a pas été rémunéré (625,00 €), et dont il justifie, sans voir à diminuer ce montant au motif qu'il a rapidement retrouvé un emploi, qui dans le cas présent, se trouve être un emploi salarié et non un emploi d'agent commercial.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [U] de sa demande d'indemnité et la société In Immo sera condamnée à lui payer la somme de 38.944,00 € à ce titre.
Sur la demande reconventionnelle de la société In Immo
La société In Immo a formé un appel incident en ce qu'elle a été déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour concurrence déloyale.
Elle soutient que Monsieur [U] aurait poursuivi sans autorisation, le suivi de ses dossiers après la rupture du contrat, et l'aurait dénigrée auprès de certains clients, ce que celui-ci conteste.
La cour estime que les seules attestations du couple [H]-[Y] sont insuffisantes pour établir l'existence d'une concurrence déloyale de la part de Monsieur [U], et ce d'autant plus qu'il n'est nullement mentionné dans ces attestations, qu'il aurait incité Madame [H] a quitté la société In Immo pour confier un mandat de vente à son nouvel employeur la société Guy Hoquet dont il était désormais salarié, n'étant plus agent commercial.
Elles sont également insuffisantes pour établir l'existence d'un dénigrement systématique de la société In Immo de nature à nuire à son image.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société In Immo de sa demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.
Sur les frais irrépétibles et les dépens,
L'équité commande d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur [U] de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner la SARL In Immo à lui payer une somme de 5.000,00 € sur ce fondement et de la débouter de sa demande à ce titre.
Succombant, la SARL In Immo sera condamnée aux dépens d'appel et de première instance, le jugement entrepris étant infirmé en ce qu'il a condamné Monsieur [U] aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Caen du 8 mars 2021, sauf en ce qu'il a débouté la SARL In Immo en toutes ses demandes,
LE CONFIRME de ce chef,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la SARL In Immo à payer à Monsieur [E] [U], une somme de 38.944,00 € au titre de l'indemnité compensatrice de rupture de son contrat d'agent commercial,
CONDAMNE la SARL In Immo à payer à Monsieur [E] [U], une somme de 5.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SARL In Immo de toutes ses demandes, en compris celle formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SARL In Immo aux dépens de première instance et d'appel.