Livv
Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 16 avril 2024, n° 23/01667

REIMS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Selima (SAS)

Défendeur :

La Solefra (SARL), Selarl Ajilink Labis de Chanaud (ès qual.), SCP Crozat (ès qual.), Carrefour Proximité France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mehl-Jungbluth

Conseillers :

Mme Maussire, Mme Mathieu

Avocats :

Me Six, Me Kopf, Me Della Vittoria, Me Brocard, Me Awatar, Me Jacquemet-Pommeron, Me Wilhelm, Me Dumur

T. com. Reims, du 13 oct. 2023

13 octobre 2023

La société LA SOLEFRA exploite sous l'enseigne CARREFOUR CITY un fonds de commerce de distribution situé Place des Argonautes à [Localité 5] dont elle est propriétaire.

M. [K] en est le gérant et associé majoritaire (il détient 74 % du capital).

Elle a conclu deux contrats principaux avec le groupe CARREFOUR :

- un contrat de franchise avec la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE,

- un contrat d'approvisionnement avec la société C.S.F, filiale du groupe CARREFOUR.

Par jugement rendu le 6 décembre 2022, le tribunal de commerce de Reims a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société LA SOLEFRA.

La société SELIMA, qui est une filiale à 100 % du groupe CARREFOUR et qui est associée minoritaire de la société LA SOLEFRA (elle détient 26 % du capital mais elle dispose d'une minorité de blocage) , a formé tierce opposition à ce jugement par requête reçue au greffe du tribunal de commerce de Reims le 16 décembre 2022.

La société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, qui est l'entité du groupe CARREFOUR ayant pour activité la gestion du réseau de franchise de l'enseigne CARREFOUR, a également formé tierce opposition à ce jugement par requête du même jour.

Par jugement du 13 octobre 2023, le tribunal a :

- ordonné la jonction des deux instances,

- jugé irrecevables les tierces oppositions formées par ces deux sociétés,

- débouté les deux sociétés de leurs tierces oppositions,

- confirmé la procédure de sauvegarde ouverte à l'égard de LA SOLEFRA,

- condamné la société SELIMA à payer à la société LA SOLEFRA la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE à payer à la société LA SOLEFRA la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société LA SOLEFRA de sa demande d'amende civile,

- condamné les sociétés SELIMA et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE aux dépens de l'instance.

Par déclaration reçue le 20 octobre 2023, la SAS SELIMA a formé appel de cette décision (enregistrée sous le n° 1667/23).

Par déclaration reçue le 20 octobre 2023, la SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE a également formé appel de cette décision (enregistrée sous le n° 1668/23).

Depuis cette date, le tribunal de commerce a par jugement du 21 novembre 2023 autorisé que l'assemblée générale de la SARL LA SOLEFRA appelée à statuer sur la modification des statuts nécessaire à l'adoption du plan de sauvegarde soumis à l'appréciation du tribunal le fasse à la majorité des associés représentant au moins la moitié du capital.

Le juge-commissaire, par ordonnance du 24 novembre 2023, a fait droit à la demande de résiliation des contrats de franchise et d'approvisionnement à effet du 28 janvier 2024.

Enfin, le tribunal de commerce, par décision du 5 décembre 2023, a adopté un plan de sauvegarde prévoyant le règlement de l'intégralité des dettes au comptant de la SARL LA SOLEFRA.

Toutes ces décisions ont également été frappées de tierce opposition par les sociétés SELIMA et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE.

Par conclusions notifiées le 26 février 2024, la SAS SELIMA demande à la cour de :

Vu l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

Vu l'article 583 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 620-1, L. 621-1, L. 661-2 et R. 661-2 du code de commerce,

In limine litis :

- écarter des débats la pièce n° 78 « Etude tarifaire comparative FINEXSI sur LA SOLEFRA », produite par La Solefra le 22 janvier 2024,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Reims du 13 octobre 2023 (RG n° 2022 008733) en ce qu'il a :

o Ordonné la jonction de l'instance inscrite sous le numéro de répertoire général 2022008734 avec l'affaire principale inscrite sous le numéro de répertoire général 2022008733,

o Jugé irrecevables les tierces oppositions formées par les sociétés Selima et Carrefour Proximité France,

o Débouté les sociétés Selima et Carrefour Proximité France de leurs tierces oppositions formées à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims le 06/12/2022,

o Confirmé la procédure de sauvegarde ouverte à l'égard de La Solefra,

o Condamné les sociétés Selima et Carrefour Proximité France aux entiers dépens de l'instance,

o Condamné la société Selima à payer la somme de 15 000 euros à la société La Solefra au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

o Condamné la société Carrefour Proximité France à payer la somme de 15 000 euros à la société La Solefra ;

Statuant à nouveau :

- déclarer recevable la tierce-opposition formée par la société Selima à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Reims du 6 décembre 2022,

- rétracter en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Reims du 6 décembre 2022 (RG n° 2022008373),

- débouter la société La Solefra, la SARL Ajilink Labis [T] De Chanaud ès-qualités d'administrateur judiciaire et la SCP [V] ès-qualités de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de l'intégralité de leurs demandes, fins, moyens et prétentions,

- condamner la société La Solefra à payer à la société Selima la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société La Solefra aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions notifiées le 26 février 2024, la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (CPF), intimée à la procédure d'appel par la SAS SELIMA, demande à la cour de :

Vu les articles L. 620-1, L. 661-2 et R. 661-2 du code de commerce,

Vu les articles 32-1, 582 et 583 du code de procédure civile,

Vu les articles 455 et 458 code de procédure civile,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu les pièces versées aux débats,

In limine litis,

- infirmer le jugement du 13 octobre 2023 rendu par le tribunal de commerce de Reims en ce qu'il a rejeté la demande de CPF de nullité pour défaut de motivation du jugement d'ouverture de sauvegarde de LA SOLEFRA rendu le 6 décembre 2022 par le tribunal de commerce de Reims,

Y faisant droit,

- annuler le jugement n°202200837 rendu le 6 décembre 2022 par le tribunal de commerce de Reims en toutes ses dispositions,

A défaut, au fond,

- infirmer le jugement du 13 octobre 2023 rendu par le tribunal de commerce de Reims en ce qu'il a :

* Ordonné la jonction de l'instance inscrite sous le numéro de répertoire général 2022008734 avec l'affaire principale inscrite sous le numéro de répertoire général 2022008733,

* Jugé irrecevables les tierces oppositions formées par les sociétés SELIMA et CARREFOUR PROXIMITE France,

* Débouté les sociétés SELIMA et CARREFOUR PROXIMITE France de leurs tierces oppositions formées à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims le 06/12/2022,

* Confirmé la procédure de sauvegarde ouverte ä l'égard de la SOLEFRA,

* Condamné les sociétés SELIMA et CARREFOUR PROXIMITE France aux entiers dépens de l'instance,

* Condamné la société SELIMA à payer la somme de 15 000 euros à la société LA SOLEFRA au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* Condamné la société CARREFOUR PROXIMITE France à payer la somme de 15 000 euros à la société LA SOLEFRA,

- confirmer le jugement du 13 octobre 2023 rendu par le tribunal de commerce de Reims pour le surplus,

Statuant à nouveau :

- ordonner la rétraction du jugement n°202200837 rendu le 6 décembre 2022 par le tribunal de commerce de Reims en ce qu'il a ordonné l'ouverture d'une procédure de sauvegarde judiciaire à l'encontre de la société LA SOLEFRA,

- ordonner en outre qu'il soit fait défense d'exécuter le jugement n°2022008373 du 6 décembre 2022 rendu par le tribunal de commerce de Reims contre CARREFOUR PROXIMITE FRANCE à peine de dommages et intérêts,

En tout état de cause,

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions des intimés LA SOLEFRA, de la SELARL AJILINK LABIS ' [T] ' DE CHANAUD ès-qualités d'ancien administrateur judiciaire et de la SCP [V] ès-qualités de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan,

- condamner la société LA SOLEFRA au versement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 4 mars 2024, la société LA SOLEFRA demande à la cour de:

Vu les articles R. 621-1, L.620-1, L. 661-1, L. 661-2 et L. 661-3 du code du commerce,

Vu les articles 4, 32-1, 582 et 583 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence versée aux débats,

Vu les pièces versées aux débats,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims le 13 octobre 2023 en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- juger irrecevables les tierces oppositions formées par les sociétés SELIMA et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims le 6 décembre 2022,

- condamner la société SELIMA au paiement d'une amende civile conformément à l'article 32-1 du code de procédure civile,

- condamner la société SELIMA à verser la somme de 50 000 euros à la société LA SOLEFRA pour procédure abusive,

- débouter les sociétés SELIMA et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

Et statuant à nouveau,

In limine litis,

- juger qu'il existe entre les appels interjetés par les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et SELIMA un lien tel qu'il est d'une bonne administration de la justice de les faire instruire ensemble,

- juger de la jonction de la présente procédure (RG n°23/01667) à la procédure n°23/01668,

En tout état de cause,

- condamner la société SELIMA à payer la somme de 50 000 euros à la société LA SOLEFRA au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société SELIMA aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions notifiées le 29 décembre 2023, la SELARL Ajilink Labis [T] De Chanaud, représentée par Maître [T], ès-qualités d'ancien administrateur judiciaire de la société SOLEFRA, et la SCP Crozat Barault Maigrot, représentée par Maître [V], ès-qualités de mandataire judiciaire de la société SOLEFRA, demandent à la cour de :

- dire l'appel recevable mais mal fondé,

Statuant à nouveau,

- ordonner la mise hors de cause de la SELARL Ajilink Labis [T] De Chanaud, représentée par Maître [T] à raison du terme de sa mission d'administrateur par l'adoption du plan de sauvegarde,

Vu l'article 583 du code de procédure civile,

- confirmer la décision et juger irrecevable ou à tout le moins mal fondée la tierce opposition de la société SELIMA,

Y ajoutant,

- condamner la société SELIMA à payer à la SCP Crozat Barault Maigrot ès-qualités de mandataire judiciaire de la SARL SOLEFRA la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.

Maître [V] ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société LA SOLEFRA a été assigné en intervention forcée par la SAS SELIMA le 26 février 2024.

Il a constitué avocat le 28 février 2024 mais n'a pas conclu.

MOTIFS DE LA DECISION :

1° La demande de jonction des instances enrôlées sous les n° 1667/23 et 1668/23 formée par la SARL LA SOLEFRA :

La SAS SELIMA et la SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE ont toutes deux formé appel de la décision rendue le 13 octobre 2023 par le tribunal de commerce de Reims qui a déclaré irrecevable leur tierce opposition à l'encontre du jugement ayant placé sous sauvegarde la SARL LA SOLEFRA le 6 décembre 2022.

Les deux sociétés appelantes sont des parties qui ont des qualités différentes, qui formulent des demandes pour partie distinctes et qui surtout soulèvent des moyens qui leur sont propres, condition de recevabilité de leur tierce opposition.

Il n'y a donc pas lieu de joindre les deux instances, la cour relevant au surplus qu'aucune demande de jonction ne figure dans les conclusions de la SAS SELIMA dont elle est saisie.

2° La demande d'annulation du jugement de sauvegarde formée par l'intimée, la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE :

Aux termes de l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit être motivé.

L'appelante sollicite l'annulation du jugement pour défaut de motivation.

Il ressort de l'examen de ce jugement qu'il est motivé comme suit :

ATTENDU qu'il résulte des pièces soumises à l'appréciation du tribunal et des déclarations du dirigeant social que la société LA SOLEFRA (SARL) justifie pleinement rencontrer des difficultés qu'elle n'est pas en mesure de surmonter,

ATTENDU que l'ouverture d'une procédure de sauvegarde serait susceptible de faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif,

ATTENDU qu'il y a lieu, au vu des explications données, des documents en possession du tribunal, et au regard de la compétence avérée de la Juridiction de céans, d'ouvrir une procédure de sauvegarde conformément aux dispositions des articles L 620-1 et suivants du code de commerce.

Cette motivation, pour être succinte, n'en existe pas moins puisqu'y sont mentionnées des difficultés insurmontables qui ont été relevées par la juridiction au vu d'éléments qui certes n'ont pas été détaillés mais qui résultent des pièces de la procédure contenues dans la demande de sauvegarde et qui n'ont fait l'objet d'aucune contestation, le procureur de la république chargé de défendre l'ordre public économique, présent à l'audience, s'étant associé à la requête de la SARL LA SOLEFRA.

La décision sera confirmée en ce qu'elle a débouté la SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE de sa demande d'annulation du jugement.

3° La demande formée par la SAS SELIMA aux fins de voir écarter la pièce adverse n° 78 produite par la SARL LA SOLEFRA :

L'article L. 621-9 du code de commerce dispose que le juge-commissaire est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence.

Lorsque la désignation d'un technicien est nécessaire, seul le juge-commissaire peut y procéder en vue d'une mission qu'il détermine, sans préjudice de la faculté pour le tribunal prévue à l'article L. 621-4 de désigner un ou plusieurs experts. Les conditions de la rémunération de ce technicien sont fixées par un décret en Conseil d'Etat.

La pièce litigieuse est une analyse tarifaire comparative entre les enseignes CARREFOUR CITY et U PROXIMITE FRANCE réalisée par la société d'expertise et de conseil financier FINEXSI sur le fonds de commerce de LA SOLEFRA et datée du 26 juillet 2023.

Elle a été sollicitée par une lettre de mission du 17 avril 2023 qui est évoquée dans le rapport mais qui n'est pas produite.

La SARL LA SOLEFRA était sous procédure de sauvegarde depuis le 6 décembre 2022 lorsque cette analyse financière a été menée.

Ainsi que le relève à juste titre l'appelante, la désignation de la société d'expertise comptable FINEXSI n'a pas été autorisée par le juge-commissaire, le texte ci-dessus développé n'évoquant pas une faculté contrairement à ce que soutient la SARL LA SOLEFRA mais une obligation pour la société placée sous sauvegarde d'obtenir l'autorisation du juge-commissaire si elle entend faire intervenir un technicien à la cause, ce qu'est incontestablement la société d'expertise comptable FINEXSI.

Celle-ci n'a pas été saisie d'une mission judiciaire de sorte que l'étude qu'elle a réalisée doit être écartée des débats, peu important qu'elle ait pu être soumise à la discussion contradictoire des parties.

4 ° La mise hors de cause de la SELARL Ajilink Labis [T] De Chanaud représentée par Maître [T] :

Il y a lieu de la mettre hors de cause, le tribunal de commerce de Reims ayant adopté le plan de sauvegarde de la SARL LA SOLEFRA par jugement du 5 décembre 2023 qui a mis fin aux fonctions de l'administrateur judiciaire.

5 ° La recevabilité de la tierce opposition de la SAS SELIMA :

Les jugements de sauvegarde sont susceptibles de tierce opposition par application des articles L. 661-2 et R 661-2 du code de commerce.

Aux termes de l'article 582 du code de procédure civile, la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque.

Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.

L'article 583 du même code dispose qu'est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.

Les créanciers et autres ayants cause d'une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s'ils invoquent des moyens qui leur sont propres.

Enfin, l'article 31 du même code dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L'existence de moyens propres et d'une fraude ressort de l'appréciation souveraine des juges du fond.

La SAS SELIMA, filiale à 100 % du groupe CARREFOUR, est associée minoritaire de la SARL LA SOLEFRA.

Pour considérer que sa tierce opposition est recevable au regard de l'article 583 susvisé, la SAS SELIMA soutient que :

- elle a un intérêt à agir au regard de l'article 31 susvisé puisque la représentation de l'associé par le dirigeant constitue une fiction juridique et qu'elle doit être écartée lorsque les circonstances de l'espèce témoignent d'une divergence d'intérêts entre l'associé et le dirigeant ce qui est le cas de sorte que la tierce opposition doit être déclarée recevable conformément au droit d'accès effectif au juge de l'article 6-1 de la CEDH ;

- elle justifie de moyens propres pour contester la décision de sauvegarde ; en effet, l'associé minoritaire du débiteur dispose de moyens qui ne sont, par définition, pas soutenus par le débiteur , il s'agit de moyens qui sont antagonistes avec ceux soulevés par la SARL LA SOLEFRA et qui révèlent une atteinte à ses droits attachés à sa qualité d'associée en ce que :

* elle est associée à hauteur de 26 %, exerce un contrôle conjoint sur la société commune et il apparaît que la procédure de sauvegarde est un moyen détourné du gérant de lui imposer des modifications statutaires ;

* elle apporte des arguments qui n'ont pas été présentés au tribunal par le dirigeant et qui sont de nature à démontrer l'absence de toute difficulté insurmontable de LA SOLEFRA ;

* elle est directement visée comme étant à l'origine des prétendues difficultés qui auraient conduit à l'ouverture de la sauvegarde sans avoir été mise en demeure de s'expliquer sur ces mises en cause ;

- elle justifie également d'une fraude dès lors que :

* le gérant de LA SOLEFRA a trompé le tribunal sur la situation réelle de la société et a simulé les prétendues difficultés invoquées, ce qui constitue l'élément matériel de la fraude,

* en l'absence de toute difficulté insurmontable, la sauvegarde n'a été mise en oeuvre par le dirigeant que dans le seul objectif de porter atteinte aux droits de la société SELIMA et de ses cocontractants C.P.F et C.S.F dans le cadre d'une stratégie élaborée au détriment du groupe CARREFOUR, ce qui caractérise l'élement moral de la fraude.

A. La fiction de la représentation de l'associé par la société débitrice :

La détermination de l'intérêt à agir de la SAS SELIMA, associée de la société débitrice, se confond avec celle de la reconnaissance d'un moyen propre susceptible de rendre recevable sa tierce opposition, la définition du moyen propre au tiers opposant renvoyant à l'existence d'un intérêt personnel distinct de celui d'une partie à l'instance.

C'est en effet par une pure fiction juridique, contrairement à ce que soutient la société LA SOLEFRA, qu'il est considéré qu'un associé minoritaire d'une société débitrice comme l'est la SAS SELIMA serait dans tous les cas et sans exception représenté dans la procédure ayant conduit à la procédure de sauvegarde par le représentant légal de la société débitrice, M. [K], de sorte que la voie de la tierce opposition lui serait systématiquement fermée au regard du premier alinéa de l'article 583 susvisé.

Dès lors que l'associé peut se prévaloir de l'ouverture d'une sauvegarde attentatoire à ses droits et qui lui est préjudiciable, il est désormais admis qu'il est considéré comme un tiers, qu'il dispose d'un intérêt distinct de celui de la société dont il est actionnaire et qu'il ressort ainsi des dispositions de l'article 583 alinéa 2 plutôt que de celles de son alinéa 1er , dispositions qui, si elles lui étaient appliquées, lui fermeraient dans tous les cas cette voie de recours (cass com 8 février 2023 F-B n° 21-14.189), ce qui serait contraire au droit effectif d'accès au juge.

A défaut de texte spécifique réglementant la situation de l'associé de la société

débitrice, cet arrêt s'inscrit dans la continuité d'un mouvement d'ouverture de la tierce opposition à l'associé d'une société en difficulté mais à la condition qu'il soit en mesure de justifier d'un moyen qui lui est propre ou d'une fraude à ses droits, ces conditions étant alternatives.

B. Le moyen propre :

La seule qualité d'associé de la société débitrice, fût-il minoritaire, ne suffit pas en soi à justifier de l'existence d'un moyen propre.

Le moyen propre est le moyen spécifique par lequel il est démontré qu'il est porté atteinte par la décision frappée de tierce opposition aux droits de l'associé en ce qu'il n'est plus en mesure d'exercer les prérogatives attachées à sa qualité, ces droits étant modifiés par l'effet de la décision attaquée.

Il en ressort que pour se prévaloir d'un moyen propre , la SAS SELIMA prise en sa qualité d'associée de la SARL LA SOLEFRA, doit démontrer une remise en cause de ses droits d'associée et caractériser la modification de sa situation juridique causée par le jugement de sauvegarde constituant une perte même partielle de ses droits.

Or, force est de constater que le jugement ne fait qu'ouvrir une procédure de sauvegarde au bénéfice de la SARL LA SOLEFRA et qu'aucun droit d'associé n'est affecté par cette décision, les décisions de jurisprudence visées par la SAS SELIMA à l'appui de son argumentation concernant des situations où les droits de l'associé étaient affectés soit par l'adoption d'un plan de redressement soit par la perte d'un droit de vote ou d'un droit préférentiel de souscription, situations qui sont étrangères au litige.

La SAS SELIMA ne peut donc justifier d'une atteinte à sa qualité d'associée par l'ouverture de la sauvegarde de la SARL LA SOLEFRA.

Il s'avère que la SAS SELIMA, qui se positionne en réalité dans ses écritures davantage comme filiale à 100 % de sa société mère CARREFOUR

que comme associée de la débitrice dont elle devrait pourtant défendre les intérêts, ne justifie d'aucun moyen propre de nature à rendre recevable sa tierce opposition.

C. La fraude :

La fraude est une action révélant chez son auteur la volonté de dévoyer de manière délibérée la loi par l'usage d'un artifice.

Appliquée au droit des procédures collectives, la fraude consiste à provoquer artificiellement les conditions d'ouverture de la sauvegarde au détriment des droits des tiers associés ou des créanciers.

La fraude corrompant tout doit s'apprécier de manière restrictive.

La charge de la preuve repose sur celui qui invoque la fraude.

L'article L. 620-1 du code de commerce dispose qu'il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur mentionné à l'article L. 620-2 qui, sans être en état de cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter. Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif.

Ces dispositions sont d'ordre public.

Les difficultés insurmontables sont appréhendées de manière très large et ne se résument pas à des difficultés strictement financières mais peuvent consister en des difficultés d'ordre juridique, social ou économique tenant notamment à un manque de rentabilité, à une situation de dépendance à l'égard d'un cocontractant ou d'un associé ou encore à des difficultés tenant à des relations dégradées entre le franchiseur et le franchisé.

Enfin, les conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde doivent être appréciées au jour où il est procédé à cette ouverture.

Il est tout d'abord rappelé que le fait pour le représentant légal d'une société de solliciter l'ouverture d'une procédure de sauvegarde sans en informer ses associés n'est pas constitutif d'une fraude puisque cette information n'est pas obligatoire.

La SAS SELIMA doit démontrer que le jugement de sauvegarde constitue une fraude à ses droits, soit que la SARL LA SOLEFRA a provoqué elle-même et de manière délibérée les difficultés qu'elle invoque ou qu'elle les a simulées pour obtenir de manière frauduleuse l'ouverture de la sauvegarde, seuls éléments pouvant être retenus pour constituer une fraude.

Il convient donc d'analyser dans ce cadre la légitimité de la procédure de sauvegarde.

Dès lors que les conditions de la sauvegarde sont réunies, soit l'absence de cessation des paiements et les difficultés insurmontables, le débiteur est en droit de se placer sous la protection du tribunal de la procédure collective, peu important la motivation sous-jacente qui l'anime (en l'occurrence la possibilité pour la société débitrice franchisée de sortir du groupe CARREFOUR pour intégrer la concurrence, soit U PROXIMITE) et peu important encore que la décision de sauvegarde obtenue ait ensuite eu pour effet de rompre l'équilibre des contrats ou des droits qui liaient les parties et faire ainsi échapper le débiteur à ses obligations contractuelles antérieures (arrêt dit Coeur de Défense com 8 mars 2011 n° 10-13.988).

Il n'est pas contesté que la SARL LA SOLEFRA n'était pas en état de cessation des paiements lorsque la procédure de sauvegarde a été ouverte.

Si la SAS SELIMA soutient que les difficultés insurmontables de la société débitrice sont artificielles et trompeuses, force est de constater qu'elle ne le démontre pas.

Il est au contraire établi par les pièces versées aux débats que la SARL LA SOLEFRA connaissait, au jour de l'ouverture de la sauvegarde, des difficultés d'ordre logistique (des produits manquants ou livrés cassés ; des logiciels d'encaissement obsolètes), d'ordre sociétal (la SAS SELIMA, quoique associée minoritaire, détient une minorité de blocage et s'oppose de ce fait à toute décision allant à l'encontre des intérêts de sa société mère), mais également d'ordre économique tenant notamment à une obligation d'approvisionnement quasi-exclusif auprès de la société C.S.F obligeant la société débitrice à acheter les marchandises à des prix élevés et à les revendre avec de faibles marges et qui révèle d'une manière plus générale la faible rentabilité du modèle économique mis en place par le groupe CARREFOUR pour ses franchisés sous l'enseigne CARREFOUR CITY par rapport à ses concurrents et ce alors qu'il est annoncé dans le contrat de franchise signé par la société LA SOLEFRA avec la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE le 27 juin 2012 qu'il permet un développement du chiffre d'affaires et une rentabilité satisfaisante, ce qui ne correspond pas en définitive à la réalité.

Il est en tout état de cause établi par les pièces qu'elle verse aux débats que la société débitrice a alerté à plusieurs reprises son franchiseur sur les difficultés auxquelles elle était confrontée et que celui-ci ne lui a pas apporté l'assistance qu'elle était en droit d'attendre en particulier quant aux problèmes logistiques rencontrés (ses pièces n° 22 à 29 et 30 à 32).

Il est également justifié par les éléments financiers produits à l'appui de la demande de sauvegarde et au vu du rapport de l'administrateur judiciaire comprenant le diagnostic et le bilan économique et social de l'entreprise que la situation de la société LA SOLEFRA s'est dégradée au fil des années avec un résultat d'exploitation en chute importante (exercices 2013 à 2022), l'augmentation de la rémunération de M. [K] et l'attribution d'une prime exceptionnelle en 2022 n'étant pas responsables de cette dégradation qui était déjà avérée sur les années antérieures (résultat net en 2013 : 66 583 euros ; résultat net en 2022 : 3 895 euros, les exercices étant clos au 30 juin de l'année).

Compte tenu de ces éléments, la SAS SELIMA ne démontre pas davantage l'existence d'une fraude dans l'ouverture de la procédure de sauvegarde dont bénéficie la SARL LA SOLEFRA.

La SAS SELIMA est par conséquent irrecevable en sa tierce opposition.

La décision sera confirmée de ce chef mais infirmée en ce qu'elle a également débouté la SAS SELIMA de ses demandes, l'irrecevabilité de la tierce opposition empêchant qu'elle soit déboutée de ses demandes.

6 ° Les demandes d'amende civile et de dommages et intérêts pour procédure abusive formées par la SARL LA SOLEFRA :

L'article 581 du code de procédure civile dispose qu'en cas de recours dilatoire ou abusif, son auteur peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés à la juridiction saisie du recours.

Il est de principe constant :

- que la tierce opposition, pour être une voie de recours extraordinaire obéissant à des conditions particulières, notamment en terme de recevabilité, ne doit pas être soumise dans son exercice à des conditions plus rigoureuses que celles qui prévalent pour les actions en justice ordinaires,

- qu'un jugement peut sans abus être soumis à l'épreuve du double degré de juridiction par celui qui a été déclaré irrecevable en ses demandes ou qui en a été débouté.

En l'espèce, il n'est démontré par la SARL LA SOLEFRA ni légèreté blâmable, ni malice ni mauvaise foi dans l'exercice des voies de recours exercées, qu'il s'agisse de la tierce opposition devant les premiers juges ou de l'appel de la décision ayant déclaré la SAS SELIMA irrecevable en son recours.

Les demandes formées à ce titre seront rejetées.

7 ° Les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

La décision sera confirmée.

Succombant en ses prétentions à hauteur de cour, la SAS SELIMA ne peut prétendre à une indemnité à ce titre de même que la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, intimée à la procédure.

En revanche, l'équité commande que la SAS SELIMA soit condamnée à payer à la SARL LA SOLEFRA la somme de 15 000 euros et à la SCP Crozat Barault Maigrot en sa qualité de mandataire judiciaire de la SARL LA SOLEFRA la somme de 4 000 euros.

8 ° Les dépens :

La décision sera confirmée.

La SAS SELIMA sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;

Dit n'y avoir lieu à jonction des procédures enregistrées sous les n° 1667/23 et 1668/23.

Confirme le jugement rendu le 13 octobre 2023 par le tribunal de commerce de Reims en ce qu'il a débouté la SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE de sa demande aux fins d'annulation du jugement de sauvegarde du 6 décembre 2022.

Ecarte des débats la pièce n° 78 intitulée "étude tarifaire comparative FINEXSI sur LA SOLEFRA" produite par la SARL LA SOLEFRA le 22 janvier 2024.

Met hors de cause la SELARL Ajilink Labis [T] De Chanaud représentée par Maître [T] dans la présente instance.

Confirme le jugement rendu le 13 octobre 2023 par le tribunal de commerce de Reims en toutes ses dispositions sauf à l'infirmer en ce qu'il a débouté la SAS SELIMA de ses demandes alors qu'il l'avait déclarée irrecevable en ses demandes.

Y ajoutant ;

Déboute la SARL LA SOLEFRA de ses demandes indemnitaires.

Condamne la SAS SELIMA à payer à la SARL LA SOLEFRA la somme de

15 000 euros et à la SCP Crozat Barault Maigrot en sa qualité de mandataire judiciaire de la SARL LA SOLEFRA la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les autres parties de leurs demande à ce titre.

Condamne la SAS SELIMA aux dépens de l'instance d'appel.