Décisions
CA Rouen, 1re ch. civ., 17 avril 2024, n° 22/00541
ROUEN
Arrêt
Autre
N° RG 22/00541 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JAEO
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 17 AVRIL 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
21/00858
Tribunal judiciaire de Dieppe du 30 décembre 2021
APPELANTE :
SA SAFER DE NORMANDIE
RCS de Caen 623 820 602
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentée et assistée par Me Pauline COSSE de la SCP BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau de l'Eure
INTIMES :
Monsieur [K] [V]
né le 24 janvier 1987 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté et assisté par Me Rose-Marie CAPITAINE, avocat au barreau de Dieppe
substituée par Me Nathalie HUREL
Monsieur [B] [Z]
né le 25 mai 1950 à [Localité 9]
[Adresse 5]
[Localité 9]
représenté et assisté par Me Rose-Marie CAPITAINE, avocat au barreau de Dieppe
substituée par Me Nathalie HUREL
EN PRESENCE DU MINISTER PUBLIC
auquel l'affaire a été régulièrement communiquée
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER
DEBATS :
A l'audience publique du 17 janvier 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 mars 2024, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 17 avril 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 17 avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par compromis sous signature privée des 22 avril et 11 mai 2021, [Y], [S], [F], [M], [L] [Z] ont vendu à M. [K]-[A] [V], salarié agricole, deux parcelles de terre, situées à [Localité 9] (76) cadastrées section
n°ZD 1 et n°ZD 2. La réitération de l'acte authentique de vente était prévue au plus tard le 31 juillet 2021 en l'étude de Me [D] [P], notaire à [Localité 10].
Par courriers distincts datés du 21 juin 2021, la Sa Safer de Normandie a informé Me [P] et M. [V] de sa décision d'exercer son droit de préemption sur ces parcelles. Elle a précisé que l'acquéreur évincé pouvait présenter sa candidature à l'acquisition de tout ou partie des biens préemptés.
M. [V] a envoyé sa candidature le 13 juillet 2021.
Par acte d'huissier du 20 septembre 2021, il a fait assigner la Safer de Normandie devant le tribunal judiciaire de Dieppe aux fins d'annulation de la décision de préemption du 21 juin 2021.
Par acte notarié du 22 septembre 2021, la Safer de Normandie est devenue propriétaire des parcelles.
Par courrier du 21 décembre 2021, elle a informé M. [V] qu'elle rejetait sa candidature.
Par jugement contradictoire du 30 décembre 2021, le tribunal a :
- annulé la décision de préemption en date du 21 juin 2021 prise par la Safer de Normandie et portant sur les parcelles suivantes : commune de [Localité 9], lieu-dit/section et numéro : 'plaine du [Localité 11] ZD 12 superficie : 11 ha 85 a 70 ca',
- condamné la Safer de Normandie à payer à M. [V] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé à la charge de la Safer de Normandie, les entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe le 15 février 2022, la Safer de Normandie a formé appel du jugement.
Par conclusions notifiées le 25 octobre 2022, M. [V] a saisi la cour d'une question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles L. 143-1 alinéa 1er et
L. 143-3 du code rural et de la pêche maritime. Par arrêt du 5 juillet 2023, notre cour a rejeté la demande de M. [V] et a décidé de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation, faute de caractère sérieux.
Par conclusions notifiées le 29 novembre 2022, M. [B] [Z] est intervenu volontairement à l'instance.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 7 décembre 2023, la Safer de Normandie demande à la cour, au visa des articles 325, 329, 564 et 910 du code de procédure civile et L. 143-4, L. 143-6 et L. 412-12 alinéa 3 du code rural et de la pêche maritime, de :
- ordonner l'irrecevabilité de l'appel incident de M. [V],
- ordonner l'irrecevabilité de l'intervention volontaire au principal de M. [Z] qui ne se rattache pas aux prétentions des parties par un lien suffisant,
à titre subsidiaire, si par extraordinaire l'intervention de M. [Z] est jugée recevable :
- ordonner la forclusion de la demande en nullité de la vente conclue le 22 septembre 2021 de M. [Z],
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la décision de préemption en date du 21 juin 2021 prise par la Safer de Normandie et portant sur les parcelles suivantes : commune de [Localité 9] lieu-dit/section et numéro : 'plaine du [Localité 12]' / ZD superficie : 11ha 85a et 70ca,
- débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes,
- juger irrecevables les demandes de M. [V] relatives à une décision de rétrocession,
- condamner M. [V] et M. [Z] à la somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [V] aux entiers dépens.
Concernant l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de M. [Z], elle soutient que si ce dernier considérait que son droit de préemption, en tant qu'ancien preneur des vendeurs, n'avait pas été respecté, il aurait dû engager contre ses anciens bailleurs une action en nullité de la vente et en dommages et intérêts devant le tribunal paritaire des baux ruraux dans un délai de six mois à compter du jour où la date de la vente lui était connue, à peine de forclusion. Or, elle explique, tout en rappelant que le point de départ de l'action en nullité de la vente pour défaut d'information au preneur de son droit de préemption court à compter de sa connaissance de la date de la vente, que M. [Z] était parfaitement informé de cette vente et n'a pas engagé d'action contre son bailleur dans le délai imparti devant la juridiction compétente, ce qui ne l'autorise pas à intervenir volontairement dans la présente instance.
Elle ajoute que l'action de M. [Z] ne se rattache pas aux prétentions des parties par un lien suffisant, qu'elle est présentée devant une juridiction incompétente, qu'elle est forclose et qu'elle aurait dû être engagée contre ses anciens bailleurs qui ne sont pas parties à la présente instance.
En réponse à l'argumentaire de M. [Z], qui expose qu'au jour de la vente à la Safer, un bail était toujours en cours et qu'il n'avait pas renoncé à son droit de préemption, elle affirme qu'il ne peut y avoir deux baux différents au profit de deux personnes distinctes sur un même bien en même temps ; qu'au titre de l'année 2022, la Safer, qui était propriétaire, n'a reçu aucun règlement ; que l'étude de Me [P] n'était pas habilitée à recevoir des chèques pour son compte et qu'au demeurant, ces chèques sont libellés à l'ordre des anciens propriétaires.
Elle soutient que l'intervention de M. [B] [Z] est irrecevable et étrangère à la question principale dès lors qu'elle a exercé son droit de préemption sur un bien libre de toute occupation et/ou location sans qu'aucune exemption ou priorité ne s'applique au profit de l'acquéreur initial.
S'agissant de l'absence de priorité ou d'exemption à son droit de préemption, elle fait valoir qu'elle a exercé son droit de préemption conformément aux mentions portées au sein de la déclaration d'intention d'aliéner reçue, laquelle vaut 'offre de vente aux prix et conditions qui y sont contenus' conformément aux dispositions de l'article
L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime.
Elle rappelle que certains cocontractants de compromis de vente bénéficient, sous conditions, d'une priorité légale lorsqu'ils acquièrent, rendant son droit de préemption subsidiaire. Or, elle fait valoir qu'en l'espèce M. [Z], en devenant associé non exploitant, a renoncé à son droit de préemption, sans que cette renonciation ne puisse être conditionnée à l'identité du futur cessionnaire.
En réponse à M. [V], qui considère que Me [P] aurait dû indiquer sur la déclaration d'intention d'aliéner que le locataire en place ne renonçait à son droit de préemption que pour permettre son installation, elle indique qu'il lui appartient d'agir en responsabilité à l'encontre du notaire.
Elle précise que M. [V] ne saurait prétendre avoir réglé les fermages des années 2020 et 2021, et ce d'autant qu'il n'en justifie par aucun document comptable, dans la mesure où d'une part, les reçus produits n'indiquent pas que les fermages auraient été réglés par M. [V], et que d'autre part, M. [B] [Z] était resté preneur en place, et ce malgré la cession de parts sociales intervenues le 19 juillet 2020.
Elle estime que M. [V], aux termes de son courrier du 26 juin 2021, n'a pas indiqué souhaiter se prévaloir des dispositions de l'article L. 143-4 et son engagement d'installation n'est pas fourni.
Elle indique que M. [V] n'est pas fondée à se prévaloir d'une quelconque exemption, même a posteriori, dans la mesure où il ne peut être considéré comme jeune agriculteur au jour de la déclaration d'intention d'aliéner du 20 mai 2021, puisqu'il était déjà installé depuis le 19 juillet 2020, après avoir acquis la moitié des parts de l'Earl [Z] et désigné gérant et associé exploitant de la société, et que la superficie de l'exploitation reprise est supérieure au seuil fixé par le Schéma directeur régional des exploitations agricoles.
Elle expose que la demande de M. [V], tendant à voir infirmer la décision du tribunal judiciaire de Dieppe, en ce qu'elle a écarté son premier et deuxième moyen soulevé en première instance est irrecevable, dès lors que ce dernier n'a pas régularisé d'appel incident dans le délai imparti par l'article 910 du code de procédure civile.
Elle prétend qu'aux termes d'une délibération du conseil d'administration valant habilitation, sur délégation de pouvoirs spéciale, en date du 4 juin 2021, et certifiée conforme le 23 juin 2021, M. [X] [C], directeur général de la Safer de Normandie était bien habilité pour signer la lettre de notification de l'exercice du droit de préemption adressée à Me [P], notaire, le 21 juin 2021.
Elle considère que M. [V] confond manifestement la compétence de l'auteur de la décision de préemption et l'obligation préalable d'obtenir l'accord des Commissaires du gouvernement, qui a bien été obtenue.
En réponse à M. [V] qui considère que la lettre à l'acquéreur évincé aurait dû être adressée postérieurement à celle du notaire, elle rappelle les dispositions de l'article R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime en ce qu'elles prévoient uniquement le délai maximal dans lequel la notification aux acquéreurs évincés doit intervenir ; la notification à un acquéreur évincé peut valablement être régularisée avant la fin du délai prévu par le texte.
Elle soutient que sa décision de préemption comporte une motivation précise, complète et ne peut être qualifiée de générale, alors qu'elle permet au contraire de vérifier la réalité du but poursuivi, et que les différentes possibilités de rétrocession, qui à ce stade ne sont que des hypothèses de travail, puisque l'appel de candidatures peut révéler d'autres candidats, sont très clairement identifiables et suffisamment détaillées.
Sur le fondement des articles L. 311-3 et L. 418-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime, elle ajoute que le bail de M. [B] [Z] n'était pas cessible de sorte que les terres litigieuses n'auraient pas pu être incluses dans un fond agricole. En outre, en réplique aux arguments de M. [V] qui indique devoir faire face au programme du Ctec de l'Yères qui limiterait toute activité sur des parcelles en bordure de falaise, elle ajoute que ni le Ctec, ni le Sdrea n'attestent de cette prétendue limitation d'activité sur les parcelles exploitées par M. [V].
Enfin, elle fait valoir que les demandes de M. [V] portant sur une décision de rétrocession des parcelles sont irrecevables d'une part, parce qu'elles sont nouvelles en cause d'appel et non reprises dans le dispositif de ses conclusions, et d'autre part, parce qu'aucun acte de rétrocession n'a encore été régularisé, dans le respect des dispositions de l'article R. 143-11 du code rural et de la pêche maritime.
Par dernières conclusions notifiées le 20 décembre 2023, M. [K]-[A] [V] et M. [B] [Z] demandent à la cour, au visa des articles R. 143-6, L. 143-2,
L. 143-3, L. 143-4 et L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, de :
- déclarer recevable l'intervention volontaire de M. [Z] en ses demandes et de prononcer l'annulation de la vente du 22 septembre 2021 faite au mépris de ses droits sur les parcelles sises : commune de [Localité 9] lieu-dit/section et numéro : 'plaine du [Localité 11]'/ZD superficie : 11ha 85a et 70ca,
- infirmer la décision du tribunal judiciaire de Dieppe en ce qu'elle a écarté les premier et deuxième moyens soulevés par M. [V] en première instance,
- confirmer l'annulation de la décision de préemption en date du 21 juin 2021 prise par la Safer de Normandie sur les parcelles sises : commune de [Localité 9] lieu-dit/section et numéro : 'plaine du [Localité 11]'/ZD superficie : 11ha 85a et 70ca,
- confirmer la décision du tribunal judiciaire de Dieppe pour le surplus,
- condamner la Safer de Normandie aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 7 000 euros à M. [V] et de 5 000 euros à M. [Z] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour considérer que les terres préemptées par la Safer l'ont été au mépris des droits du fermier en place, M. [Z], ils soutiennent que le droit de préemption du preneur en place n'a jamais été purgé comme il devait l'être en application de l'article L. 412-9, 3° du code rural et de la pêche maritime, alors que ce droit est d'ordre public et prime sur celui de la Safer. Ils précisent que l'intervention de M. [Z] dans l'avant-contrat du 22 avril 2021 n'a aucune incidence quant au respect des formalités de l'article L. 412-9, 3° du code rural et de la pêche maritime, lesquelles sont d'application impérative, et ajoutent que M. [Z] n'a jamais renoncé à son droit de préemption et qu'il a juste indiqué dans l'avant-contrat du 22 avril 2021, résilier le bail en cours au jour de la signature de l'acte de vente au profit de M. [V].
En réponse à la Safer qui dans ses dernières écritures considère que l'intervention de M. [Z] est irrecevable aux motifs que la purge du droit de préemption du titulaire du bail est sans rapport avec l'objet du litige, ils prétendent, sur le fondement des articles 564 et suivants du code de procédure civile, qu'ils ont les mêmes prétentions et objectifs, à savoir, permettre à M. [V] d'exploiter les parcelles d'une superficie totale de 11ha 85a 70ca incluses dans la structure de l'exploitation reprise, et que dès lors, M. [Z] est bien fondé à intervenir à la procédure devant la cour pour voir annuler la vente faite au profit de la Safer.
Rappelant les dispositions des articles L. 412-4 et suivants du code rural et de la pêche maritime, ils indiquent que M. [Z], n'ayant jamais été informé de la vente par le notaire, aucun délai de forclusion ne peut lui être opposé.
Ils critiquent la décision du premier juge en ce qu'il a retenu que la délibération produite aux débats par la Safer, faisant référence à un extrait de délibération d'un conseil d'administration de celle-ci, le 4 juin 2021, certifiée conforme le 23 juin 2021, faite à [Localité 8], le 28 juin 2021, et signée par M. [C], directeur général, était régulière, alors qu'ils estiment que l'accord des deux commissaires du Gouvernement est requis pour la régularité de la décision de préemption ; qu'en l'espèce, la demande de communication de l'accord des commissaires du Gouvernement a été sollicitée tant en première instance que devant la cour, mais qu'il n'a toujours pas été produit, de sorte que le défaut de production de l'accord des commissaires du Gouvernement rend à lui seul irrégulière la décision de préemption de la Safer.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, le délai de quinze jours de notification de la décision de préemption à l'acquéreur évincé court à compter de la date de réception de la notification faite au notaire. Or, ils allèguent que sur le courrier adressé était bien mentionné le fait que M. [V] pourrait déposer un dossier de candidature, mais que sur le courrier adressé à M. [V], cette mention ne figure pas, de même que n'a jamais été produit aux débats la mention de l'affichage en mairie.
Ils se prévalent du fait que le document adressé à la Safer par le notaire, le 18 mai 2021, par voie électronique ne précise pas que le locataire en place ne renonçait à son droit de préemption uniquement pour permettre l'installation de M. [V] qui reprenait l'exploitation agricole, en vertu de l'acte de cession des parts de l'Earl [Z], signé le 19 juillet 2020, préalablement transmis à la Safer, le 18 avril 2020.
Ils estiment que la Safer a exercé son droit de préemption en refusant de prendre en considération la première installation de M. [V] en tant que jeune agriculteur, avec une totale mauvaise foi, alors que M. [V] justifie de sa première installation, que les terres objet de la préemption sont bien celles figurant dans la reprise faite par M. [V] au travers de l'Earl [Z], et que la Safer en a été parfaitement informée par courrier du 29 avril 2020.
Ils expliquent qu'il ne peut avoir échappé à la Safer que la première installation de
M. [V], en juillet 2020, portait sur les parcelles vendues qu'il a exploitées dans le cadre de l'Earl et qui constituaient son projet d'installation, alors qu'elle était informée de l'installation de M. [V] par la communication de l'acte de cession des parts sociales de l'Earl [Z] et que le notaire a précisé dans le document 'information sur l'aliénation d'un fonds agricole' que 'd'après Mme [N] [R] cette opération n'est pas soumise à autorisation'.
Ils allèguent que la situation de M. [V] s'avère être prioritaire, au regard des dispositions du code rural et de la pêche maritime et du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Normandie, dans la mesure où si M. [V] se voit priver des terres préemptées, son installation devient précaire et engendrera une prise de risque inconsidérée, ce qui reviendrait à condamner la première installation d'un jeune agriculteur puisque la dimension viable d'une exploitation est d'au moins 70 ha.
Ils soutiennent que la motivation exposée par la Safer laisse apparaître que cette dernière avait déjà choisi le bénéficiaire de la rétrocession, sans au préalable, appréhender la situation concrète de M. [V] en lui refusant toute audition et toute discussion.
Enfin, ils rappellent que l'arrêt du 22 novembre 2023 par lequel notre cour a considéré que la décision de rétrocession n'était toujours pas formalisée et le courrier du 21 décembre 2021 rejetant la candidature de M. [V] ne sont adressés qu'à titre informatif. Aussi, ils ajoutent que M. [V] a candidaté sur une surface d'environ 10 hectares sur les 350 de la propriété des consorts [H], acquis par la Safer, et que sa candidature a également été rejetée.
Par écrit du 19 décembre 2023, le ministère public s'en rapporte.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 décembre 2023.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de M. [Z]
L'article 325 du code de procédure civile dispose que l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant.
L'article 329 suivant précise que l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention.
L'article 554 du même code ajoute que peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.
En l'espèce, M. [Z] prétend avoir qualité à agir en annulation de la décision de préemption puisqu'il est, depuis l'acte du 11 avril 2003, titulaire de baux sur les parcelles litigieuses qui n'ont pas été dénoncés et ne pas avoir renoncé à son droit de préemption en tant que preneur à bail, ses prétentions ayant les mêmes fins que celles de M. [V].
Or, il ressort du dossier de candidature de M. [V] notifié à la Safer le 13 juillet 2021que M. [B] [Z] avait fait valoir ses droits à la retraite le 30 juin 2020 ; que son exploitation comprenant les parcelles litigieuses était gérée en réalité par l'Earl [Z] créée le 19 juillet 2020 avec une répartition des parts entre un associé exploitant M. [K]-[A] [V] et un associé non exploitant M. [B] [Z] ; que si les baux n'avaient pas alors été modifiés, M. [Z] n'était plus dès l'été 2020, l'exploitant effectif des terrains discutés.
Surtout, lors de la signature du compromis de vente signé les 22 avril et 11 mai 2021 entre les consorts [Z] et M. [V], M. [B] [Z], signataire de l'acte le 11 mai 2021, a expressément, en page 3 paraphé de sa main, renoncé à son droit de préemption. Alors qu'il est exactement qualifié de preneur à bail des parcelles ZD n°[Cadastre 1] et ZD n°[Cadastre 3] depuis signature de baux du 11 avril 2003, le compromis précise que le locataire reconnaît :
'. qu'il était au courant depuis un certain temps déjà du projet de vente formulé par les vendeurs, ainsi que du prix et des conditions demandés.
. qu'il lui avait fait savoir qu'il n'était pas acquéreur.
Il déclare réitérer cette affirmation et en conséquence, il renonce purement et simplement au droit de préemption que lui accordent les articles L 412-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime et donne son agrément à la vente.'.
En conséquence, le notaire a établi une information sur l'aliénation d'un terrain à vocation agricole le 18 mai 2021 en visant en page 2, au titre du droit de préemption primant celui de la Safer, la renonciation du preneur en place, soit M. [B] [Z].
Ayant expressément et en droit, renoncé à l'exploitation des parcelles en 2020 lors de son départ à la retraite et ce dans le cadre de l'Earl [Z] puis ayant renoncé à son droit de préemption, M. [Z] ne justifie pas d'un intérêt à agir et donc à former une demande d'annulation de la vente des biens intervenue le 22 septembre 2021 'au mépris de ses droits' puisqu'il n'en avait alors plus aucun.
Son intervention volontaire est en conséquence irrecevable.
Sur les prétentions de M. [V]
La Safer analyse comme un appel incident la demande des intimés portée dans le dispositif des dernières conclusions du 20 décembre 2023 en ces termes : 'Infirmer la décision du Tribunal Judiciaire de Dieppe en ce qu'elle a écarté les premier et deuxième moyens soulevés en première instance'.
Cette énonciation n'était pas formulée dans les premières conclusions notifiées le 15 juillet 2022.
Toutefois, l'article 954 du code de procédure civile dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
En conséquence, le dispositif ci-dessus visé ne comporte qu'une référence à des moyens sans formulation d'une prétention. La cour n'est dès lors pas saisie d'un appel incident.
Dans ses premières conclusions, M. [V] demandait la confirmation du jugement entrepris : seront examinés en conséquence les seuls moyens par lesquels l'intimé s'oppose à l'infirmation de la décision entreprise telle que sollicitée par la Safer.
Sur l'exercice du droit de préemption
Par jugement critiqué, le tribunal judiciaire a prononcé comme le sollicitait
M. [V], l'annulation de la décision de préemption du 21 juin 2021 prise par la Safer en retenant qu'au regard des éléments factuels défendus par M. [V] sur ses mérites et son exploitation agricole, la décision de la Safer contrevenait aux dispositions de L. 143-4 du code rural et de la pêche maritime.
L'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime dispose qu'il est institué au profit des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural un droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de biens immobiliers à usage agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ou de terrains nus à vocation agricole, sous réserve du I de l'article L. 143-7. Sont considérés comme à vocation agricole, pour l'application du présent article, les terrains situés soit dans une zone agricole protégée créée en application de l'article L. 112-2 du présent code, soit à l'intérieur d'un périmètre délimité en application de l'article L. 113-16 du code de l'urbanisme, soit dans une zone agricole ou une zone naturelle et forestière délimitée par un document d'urbanisme. En l'absence d'un document d'urbanisme, sont également regardés comme terrains à vocation agricole les terrains situés dans les secteurs ou parties non encore urbanisés des communes, à l'exclusion des bois et forêts.
L'article L.143-3 impose qu'à peine de nullité, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l'un ou à plusieurs des objectifs ci-dessus définis, et la porter à la connaissance des intéressés. Elle doit également motiver et publier la décision de rétrocession et annoncer préalablement à toute rétrocession son intention de mettre en vente les fonds acquis par préemption ou à l'amiable.
L'article L.143-4 précise que ne peuvent faire l'objet d'un droit de préemption : '4° Sous réserve, dans tous les cas, que l'exploitation définitive ainsi constituée ait une surface inférieure à la superficie mentionnée au I, 1° de l'article L331-2 du code rural et de la pêche maritime, les acquisitions réalisées : a) Par les salariés agricoles, les aides familiaux et les associés d'exploitation, majeurs, sous réserve qu'ils satisfassent à des conditions d'expérience et de capacité professionnelles fixées par décret.
Pour soutenir sa demande d'annulation de la décision de préemption, M. [V] conteste la régularité de la notification.
- Sur le pouvoir de l'auteur de la notification
La décision de préemption de la Safer a été notifiée par lettre signée par M. [X] [C], directeur général. Par décision du 19 juin 2017, le conseil d'administration de la Safer a confirmé M. [C] dans ses fonctions de directeur général délégué et au visa des articles L 225-51-1 du code de commerce et 25 des statuts de la Safer de Normandie, sur proposition du président, délégué différents pouvoirs dont celui de procéder à des acquisitions. Il lui est donné délégation spéciale pour « instruire, décider et mettre en 'uvre après accords des Commissaires du Gouvernement, l'exercice du droit de préemption au décret attributif en vigueur.'.
Cette délégation a été renouvelée par conseil d'administration du 4 juin 2021.
En conséquence, le directeur général, auteur de la notification, disposait du pouvoir de représenter la Safer. L'accord des commissaires du Gouvernement ne relève pas de cette condition de validité de l'acte mais des conditions de fond permettant au directeur d'engager l'exercice du droit de préemption à l'interne. De surcroît, cet avis est communiqué : il s'agit de la pièce n°17 intitulée 'Avis du commissaire du Gouvernement' du 17 juin 2021 portant avis favorable sur la préemption de 11 ha 85a 70 ca situés à [Localité 9] au prix de 177 855 euros vendus par les consorts [Z].
La notification critiquée est dès lors régulière de ce chef.
- Sur le délai de notification
L'article R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime prévoit que la décision de préempter est notifiée également à l'acquéreur évincé, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans un délai de quinze jours à compter de la date de réception de la notification faite au notaire.
En l'espèce, la notification a été adressée le 21 juin 2021 soit le même jour au notaire et à M. [V], en sa qualité d'acquéreur. Le texte visé prévoit un délai de protection maximal mais n'interdit pas une notification contemporaine aux deux destinataires. Le moyen a été à juste titre écarté par le premier juge.
- Sur la priorité légale accordée à l'exploitant
En l'espèce, en 2021, l'exploitant connu des propriétaires puis du notaire était
M. [B] [Z]. Les accords pris entre ce dernier et M. [V], la création de l'Earl [Z] pour assurer la reprise de l'exploitation de l'agriculteur prenant sa retraite n'ont pas fait l'objet d'une cession de bail régulièrement dénoncée aux propriétaires et autorisée par ceux-ci.
Ainsi, lors de la signature du compromis de vente des parcelles litigieuses, alors même que le transfert de l'activité de M. [Z] était récent, celui-ci s'est abstenu de révéler sa cessation d'activité et sa volonté de voir M. [V] lui succédait.
M. [V] ne peut soutenir à l'aide de chèques adressés à l'étude notariée en juillet 2021 soit postérieurement à la notification de la préemption, que le bail dont il se prévaut était validé par Me [P] et donc les consorts [Z].
La seule attestation de la Msa versée du 1er février 2022 soit postérieurement au compromis signé est établie au nom de l'Earl [Z], M. [V] étant bien déclaré comme membre de société, non salarié agricole à titre principal.
M. [Z], titulaire des baux sur les parcelles n°ZD [Cadastre 1] et n°ZD [Cadastre 3], seul exploitant, a renoncé à son droit de préemption prioritaire. Le notaire a, dans ces conditions, rédigé la déclaration d'intention d'aliéner les biens avec cette information. M. [V] qui n'était pas connu en qualité d'exploitant associé lors de la rédaction du compromis et de cette déclaration faite auprès de la Safer ne peut prétendre utilement opposer sa qualité à la société ayant décidé d'une préemption.
Le procès-verbal établi par huissier de justice le 25 mai 2022 reprenant les déclarations de M. [Z] selon lesquelles il n'aurait pas renoncé à ses droits s'il avait su que la Safer procèderait à la préemption des parcelles, n'est pas de nature à modifier l'analyse ; l'auxiliaire de justice a noté que 'Monsieur [Z] me déclare alors clairement et sans ambiguïté, qu'il a effectivement renoncé à son droit de préemption dans cet acte des 22 avril et 11 mai 2021, mais que cette renonciation avait une cause très claire selon lui, et que cette cause était que le dit acte était réalisé au bénéfice de Mr [V].' . De telles déclarations ne sont pas de nature à remettre en cause l'état des droits créés lors de la signature du compromis de vente.
Dès lors, la priorité légale invoquée est inapplicable.
- Sur la motivation de la préemption
Outre les dispositions susvisées imposant une notification motivée, il est fait obligation à la Safer de faire référence explicite aux objectifs de la préemption.
L'article L. 143-2 les définit ; la Safer a visé les trois premiers du texte :
1° L'installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs ;
2° La consolidation d'exploitations afin de permettre à celles-ci d'atteindre une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles et l'amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes, dans les conditions prévues à l'article L. 331-2 ;
3° La préservation de l'équilibre des exploitations lorsqu'il est compromis par l'emprise de travaux d'intérêt public.
M. [V] développe une argumentation pour démontrer que ses conditions d'exploitation répondent aux objectifs annoncés par la Safer et que cette dernière, voire le notaire, avait connaissance de sa volonté de poursuivre l'activité d'exploitant de M. [Z] par le biais de l'Earl [Z].
Toutefois, en premier lieu, il convient de rappeler que M. [V] ne conteste pas la décision de rétrocession des parcelles à un autre agriculteur mais soutient une demande d'annulation de celle qui porte sur l'exercice du droit de préemption. En second lieu, il ne s'agit pas davantage d'apprécier l'opportunité de la décision mais sa régularité au regard de l'obligation de motivation posée par l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime.
En conséquence, l'argumentation de M. [V], qui ne bénéficie d'aucune priorité légale, tendant à démontrer qu'il remplit toutes les conditions pour bénéficier, à défaut de l'acte de vente initial, à tout le moins d'une rétrocession, ne correspond pas au débat relevant de la saisine.
Après rappel des dispositions applicables, la décision est motivée comme suit :
'L'intervention de la SAFER de Normandie pourrait permettre sous réserve de la publicité légale relative aux appels de candidatures, de participer à l'installation d'un jeune agriculteur du secteur en association avec la structure familiale de 109 ha distante de 4 km ou contribuer au complément d'installation d'un jeune venant de s'installer avec ses parents dans le cadre d'une exploitation à vocation d'élevage de 120 ha environ distante de 2 km. Elle pourrait également favoriser la consolidation et améliorer la structure d'une ou plusieurs exploitations à vocation laitières proches de superficie moyenne, dont une de 80 ha dont la pérennité est assurée par la présence d'un fils disposant d'une formation agricole.'
La motivation développée par la Safer se réfère à différentes situations connues en ouvrant le champ des candidatures, et ce sans préjugement se portant exclusivement sur un seul bénéficiaire, ce qui pourrait être arbitraire. Les exploitants recherchés, outre leur jeunesse, disposent déjà d'atouts quant à l'importance de l'exploitation d'une part, quant à l'aide familiale contribuant à la pérennité de l'activité, d'autre part.
Elle correspond aux objectifs d'installation et de maintien des agriculteurs, de recherche de seuil de viabilité des exploitations, de protection par rapport à l'environnement économique notamment s'agissant de l'exploitation animale (élevage ou production de lait).
La description formulée n'a pas fait obstacle à la candidature de M. [V]. Cependant, son dossier permet de vérifier que l'Earl n'est placée sous sa responsabilité que depuis le 1er juillet 2020, dispose de 19 ha de façon précaire et de 60 ha en fermage, en réalité hors parcelles préemptées, moins de 70 ha au total, que l'exploitation concerne la betterave et les céréales.
Même si M. [V] se prévaut du soutien de M. [Z], désormais à la retraite et victime de problèmes de santé graves en 2019, il ne décrit pas l'organisation de la structure de nature à en assurer la solidité et précise que son frère est resté sur l'exploitation de ses parents. La photographie qu'il produit, extraite du site Géoportail ne met en évidence aucune incohérence quant à la configuration des parcelles au sein des exploitations locales, ne serait-ce que pour la sienne. Au contraire, les parcelles ZD [Cadastre 1] et ZD [Cadastre 3] s'inscrivent dans le prolongement de terres exploitées par d'autres agriculteurs, les propriétés exploitées par M. [V] étant en revanche éclatées.
En outre, le prix annoncé de la rétrocession est supérieur au prix retenu dans le compromis signé le 11 mai 2021 soit 212 200 euros au lieu de 177 855 euros.
M. [V] vise encore les termes de l'arrêté de la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Normandie du 19 mars 2021 portant Schéma Directeur Régional des Exploitations Agricoles (SDREA) de Normandie qui définit des priorités. Il renvoie en page 4 du paragraphe '3.3 Priorités' qui dispose au titre de la priorité 2 'Installations aidées telles que définies à l'article 1 du présent arrêté, y compris progressives... avec mise à disposition ou non de terres supplémentaires, dans la limite d'une surface totale de l'exploitation après reprise fixée à 140 hectares, majorée de 70 hectares par associé exploitant à temps plein au-delà du 1er et plafonnée à 350 ha' .
M. [V] traverse des difficultés à atteindre ou maintenir le seuil des 70 hectares et verse différents rejets antérieurs et postérieurs de ses candidatures, il n'en reste pas moins que la motivation de la Safer vise des exploitations respectant le seuil de
140 hectares.
Le seuil de 70 hectares est retenu par le même arrêté en page 6 comme constituant le seuil de déclenchement de la demande d'autorisation d'exploiter. Ce même arrêté décrit surtout en paragraphe 5.2 la disposition suivante :
'Pour l'application, notamment du 1° de l'article L. 331-1, 1°, du code rural et de la pêche maritime, la dimension économique viable d'une exploitation à encourager est définie pour l'ensemble de la région Normandie par un critère de surface de
70 hectares.
La situation du candidat à la reprise de foncier au regard de la dimension économique viable, est appréciée après application pour les cultures dites spécialisées des équivalences listées en annexe 1'' .
Bien que se référant à ce schéma directeur, M. [V] ne défend pas en l'état la viabilité de son exploitation en produisant des éléments comptables et ne caractérise pas une erreur d'appréciation de la Safer dans la mise en 'uvre du droit de préempter. Au contraire, selon son avis d'imposition sur les revenus de l'année 2020, il a perçu des ressources de 2 299 euros pour l'année.
Son curriculum vitae démontre qu'il a obtenu en 2007 un BTS Analyse et conduite de systèmes d'exploitation et en 2011 le Certificat d'aptitude à la conduite d'engins, a exercé de 2007 à 2019 la profession de chauffeur de tracteur mais ne caractérise pas une expérience significative dans la gestion d'une exploitation agricole qu'il s'agisse de son administration ou de la maîtrise des options à prendre dans la culture betteravière et/ou céréalières.
Dans ce contexte, au regard de la motivation retenue par la Safer et des pièces produites par M. [V], la décision de préempter ne contrevient pas aux dispositions des articles L. 143-1 et suivant du code rural et de la pêche maritime, ne révèle ni excès de pouvoir, ni erreur d'appréciation.
La décision entreprise sera infirmée et la demande d'annulation de la décision de préemption notifiée le 21 juin 2021 rejetée.
Sur les frais de procédure
La décision sur les dépens et l'indemnité procédurale sera infirmée.
M. [V] succombe à l'instance et supportera les dépens de première instance et d'appel.
Il sera condamné à payer à la Safer la somme de 2 000 euros pour ses frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe
Déclare irrecevable l'intervention volontaire de M. [B] [Z] en cause d'appel,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute M. [K]-[A] [V] de sa demande d'annulation de la décision de préemption du 21 juin 2021 prise par la Safer de Normandie et portant sur les parcelles situées à [Localité 9] au lieudit plaine du [Localité 11], section ZD [Cadastre 1] et ZD [Cadastre 3],
Condamne M. [K]-[A] [V] à payer à la Safer de Normandie la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [K]-[A] [V] aux dépens.
Le greffier, La présidente de chambre,
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 17 AVRIL 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
21/00858
Tribunal judiciaire de Dieppe du 30 décembre 2021
APPELANTE :
SA SAFER DE NORMANDIE
RCS de Caen 623 820 602
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentée et assistée par Me Pauline COSSE de la SCP BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau de l'Eure
INTIMES :
Monsieur [K] [V]
né le 24 janvier 1987 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté et assisté par Me Rose-Marie CAPITAINE, avocat au barreau de Dieppe
substituée par Me Nathalie HUREL
Monsieur [B] [Z]
né le 25 mai 1950 à [Localité 9]
[Adresse 5]
[Localité 9]
représenté et assisté par Me Rose-Marie CAPITAINE, avocat au barreau de Dieppe
substituée par Me Nathalie HUREL
EN PRESENCE DU MINISTER PUBLIC
auquel l'affaire a été régulièrement communiquée
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER
DEBATS :
A l'audience publique du 17 janvier 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 mars 2024, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 17 avril 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 17 avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par compromis sous signature privée des 22 avril et 11 mai 2021, [Y], [S], [F], [M], [L] [Z] ont vendu à M. [K]-[A] [V], salarié agricole, deux parcelles de terre, situées à [Localité 9] (76) cadastrées section
n°ZD 1 et n°ZD 2. La réitération de l'acte authentique de vente était prévue au plus tard le 31 juillet 2021 en l'étude de Me [D] [P], notaire à [Localité 10].
Par courriers distincts datés du 21 juin 2021, la Sa Safer de Normandie a informé Me [P] et M. [V] de sa décision d'exercer son droit de préemption sur ces parcelles. Elle a précisé que l'acquéreur évincé pouvait présenter sa candidature à l'acquisition de tout ou partie des biens préemptés.
M. [V] a envoyé sa candidature le 13 juillet 2021.
Par acte d'huissier du 20 septembre 2021, il a fait assigner la Safer de Normandie devant le tribunal judiciaire de Dieppe aux fins d'annulation de la décision de préemption du 21 juin 2021.
Par acte notarié du 22 septembre 2021, la Safer de Normandie est devenue propriétaire des parcelles.
Par courrier du 21 décembre 2021, elle a informé M. [V] qu'elle rejetait sa candidature.
Par jugement contradictoire du 30 décembre 2021, le tribunal a :
- annulé la décision de préemption en date du 21 juin 2021 prise par la Safer de Normandie et portant sur les parcelles suivantes : commune de [Localité 9], lieu-dit/section et numéro : 'plaine du [Localité 11] ZD 12 superficie : 11 ha 85 a 70 ca',
- condamné la Safer de Normandie à payer à M. [V] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé à la charge de la Safer de Normandie, les entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe le 15 février 2022, la Safer de Normandie a formé appel du jugement.
Par conclusions notifiées le 25 octobre 2022, M. [V] a saisi la cour d'une question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles L. 143-1 alinéa 1er et
L. 143-3 du code rural et de la pêche maritime. Par arrêt du 5 juillet 2023, notre cour a rejeté la demande de M. [V] et a décidé de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation, faute de caractère sérieux.
Par conclusions notifiées le 29 novembre 2022, M. [B] [Z] est intervenu volontairement à l'instance.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 7 décembre 2023, la Safer de Normandie demande à la cour, au visa des articles 325, 329, 564 et 910 du code de procédure civile et L. 143-4, L. 143-6 et L. 412-12 alinéa 3 du code rural et de la pêche maritime, de :
- ordonner l'irrecevabilité de l'appel incident de M. [V],
- ordonner l'irrecevabilité de l'intervention volontaire au principal de M. [Z] qui ne se rattache pas aux prétentions des parties par un lien suffisant,
à titre subsidiaire, si par extraordinaire l'intervention de M. [Z] est jugée recevable :
- ordonner la forclusion de la demande en nullité de la vente conclue le 22 septembre 2021 de M. [Z],
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la décision de préemption en date du 21 juin 2021 prise par la Safer de Normandie et portant sur les parcelles suivantes : commune de [Localité 9] lieu-dit/section et numéro : 'plaine du [Localité 12]' / ZD superficie : 11ha 85a et 70ca,
- débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes,
- juger irrecevables les demandes de M. [V] relatives à une décision de rétrocession,
- condamner M. [V] et M. [Z] à la somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [V] aux entiers dépens.
Concernant l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de M. [Z], elle soutient que si ce dernier considérait que son droit de préemption, en tant qu'ancien preneur des vendeurs, n'avait pas été respecté, il aurait dû engager contre ses anciens bailleurs une action en nullité de la vente et en dommages et intérêts devant le tribunal paritaire des baux ruraux dans un délai de six mois à compter du jour où la date de la vente lui était connue, à peine de forclusion. Or, elle explique, tout en rappelant que le point de départ de l'action en nullité de la vente pour défaut d'information au preneur de son droit de préemption court à compter de sa connaissance de la date de la vente, que M. [Z] était parfaitement informé de cette vente et n'a pas engagé d'action contre son bailleur dans le délai imparti devant la juridiction compétente, ce qui ne l'autorise pas à intervenir volontairement dans la présente instance.
Elle ajoute que l'action de M. [Z] ne se rattache pas aux prétentions des parties par un lien suffisant, qu'elle est présentée devant une juridiction incompétente, qu'elle est forclose et qu'elle aurait dû être engagée contre ses anciens bailleurs qui ne sont pas parties à la présente instance.
En réponse à l'argumentaire de M. [Z], qui expose qu'au jour de la vente à la Safer, un bail était toujours en cours et qu'il n'avait pas renoncé à son droit de préemption, elle affirme qu'il ne peut y avoir deux baux différents au profit de deux personnes distinctes sur un même bien en même temps ; qu'au titre de l'année 2022, la Safer, qui était propriétaire, n'a reçu aucun règlement ; que l'étude de Me [P] n'était pas habilitée à recevoir des chèques pour son compte et qu'au demeurant, ces chèques sont libellés à l'ordre des anciens propriétaires.
Elle soutient que l'intervention de M. [B] [Z] est irrecevable et étrangère à la question principale dès lors qu'elle a exercé son droit de préemption sur un bien libre de toute occupation et/ou location sans qu'aucune exemption ou priorité ne s'applique au profit de l'acquéreur initial.
S'agissant de l'absence de priorité ou d'exemption à son droit de préemption, elle fait valoir qu'elle a exercé son droit de préemption conformément aux mentions portées au sein de la déclaration d'intention d'aliéner reçue, laquelle vaut 'offre de vente aux prix et conditions qui y sont contenus' conformément aux dispositions de l'article
L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime.
Elle rappelle que certains cocontractants de compromis de vente bénéficient, sous conditions, d'une priorité légale lorsqu'ils acquièrent, rendant son droit de préemption subsidiaire. Or, elle fait valoir qu'en l'espèce M. [Z], en devenant associé non exploitant, a renoncé à son droit de préemption, sans que cette renonciation ne puisse être conditionnée à l'identité du futur cessionnaire.
En réponse à M. [V], qui considère que Me [P] aurait dû indiquer sur la déclaration d'intention d'aliéner que le locataire en place ne renonçait à son droit de préemption que pour permettre son installation, elle indique qu'il lui appartient d'agir en responsabilité à l'encontre du notaire.
Elle précise que M. [V] ne saurait prétendre avoir réglé les fermages des années 2020 et 2021, et ce d'autant qu'il n'en justifie par aucun document comptable, dans la mesure où d'une part, les reçus produits n'indiquent pas que les fermages auraient été réglés par M. [V], et que d'autre part, M. [B] [Z] était resté preneur en place, et ce malgré la cession de parts sociales intervenues le 19 juillet 2020.
Elle estime que M. [V], aux termes de son courrier du 26 juin 2021, n'a pas indiqué souhaiter se prévaloir des dispositions de l'article L. 143-4 et son engagement d'installation n'est pas fourni.
Elle indique que M. [V] n'est pas fondée à se prévaloir d'une quelconque exemption, même a posteriori, dans la mesure où il ne peut être considéré comme jeune agriculteur au jour de la déclaration d'intention d'aliéner du 20 mai 2021, puisqu'il était déjà installé depuis le 19 juillet 2020, après avoir acquis la moitié des parts de l'Earl [Z] et désigné gérant et associé exploitant de la société, et que la superficie de l'exploitation reprise est supérieure au seuil fixé par le Schéma directeur régional des exploitations agricoles.
Elle expose que la demande de M. [V], tendant à voir infirmer la décision du tribunal judiciaire de Dieppe, en ce qu'elle a écarté son premier et deuxième moyen soulevé en première instance est irrecevable, dès lors que ce dernier n'a pas régularisé d'appel incident dans le délai imparti par l'article 910 du code de procédure civile.
Elle prétend qu'aux termes d'une délibération du conseil d'administration valant habilitation, sur délégation de pouvoirs spéciale, en date du 4 juin 2021, et certifiée conforme le 23 juin 2021, M. [X] [C], directeur général de la Safer de Normandie était bien habilité pour signer la lettre de notification de l'exercice du droit de préemption adressée à Me [P], notaire, le 21 juin 2021.
Elle considère que M. [V] confond manifestement la compétence de l'auteur de la décision de préemption et l'obligation préalable d'obtenir l'accord des Commissaires du gouvernement, qui a bien été obtenue.
En réponse à M. [V] qui considère que la lettre à l'acquéreur évincé aurait dû être adressée postérieurement à celle du notaire, elle rappelle les dispositions de l'article R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime en ce qu'elles prévoient uniquement le délai maximal dans lequel la notification aux acquéreurs évincés doit intervenir ; la notification à un acquéreur évincé peut valablement être régularisée avant la fin du délai prévu par le texte.
Elle soutient que sa décision de préemption comporte une motivation précise, complète et ne peut être qualifiée de générale, alors qu'elle permet au contraire de vérifier la réalité du but poursuivi, et que les différentes possibilités de rétrocession, qui à ce stade ne sont que des hypothèses de travail, puisque l'appel de candidatures peut révéler d'autres candidats, sont très clairement identifiables et suffisamment détaillées.
Sur le fondement des articles L. 311-3 et L. 418-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime, elle ajoute que le bail de M. [B] [Z] n'était pas cessible de sorte que les terres litigieuses n'auraient pas pu être incluses dans un fond agricole. En outre, en réplique aux arguments de M. [V] qui indique devoir faire face au programme du Ctec de l'Yères qui limiterait toute activité sur des parcelles en bordure de falaise, elle ajoute que ni le Ctec, ni le Sdrea n'attestent de cette prétendue limitation d'activité sur les parcelles exploitées par M. [V].
Enfin, elle fait valoir que les demandes de M. [V] portant sur une décision de rétrocession des parcelles sont irrecevables d'une part, parce qu'elles sont nouvelles en cause d'appel et non reprises dans le dispositif de ses conclusions, et d'autre part, parce qu'aucun acte de rétrocession n'a encore été régularisé, dans le respect des dispositions de l'article R. 143-11 du code rural et de la pêche maritime.
Par dernières conclusions notifiées le 20 décembre 2023, M. [K]-[A] [V] et M. [B] [Z] demandent à la cour, au visa des articles R. 143-6, L. 143-2,
L. 143-3, L. 143-4 et L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, de :
- déclarer recevable l'intervention volontaire de M. [Z] en ses demandes et de prononcer l'annulation de la vente du 22 septembre 2021 faite au mépris de ses droits sur les parcelles sises : commune de [Localité 9] lieu-dit/section et numéro : 'plaine du [Localité 11]'/ZD superficie : 11ha 85a et 70ca,
- infirmer la décision du tribunal judiciaire de Dieppe en ce qu'elle a écarté les premier et deuxième moyens soulevés par M. [V] en première instance,
- confirmer l'annulation de la décision de préemption en date du 21 juin 2021 prise par la Safer de Normandie sur les parcelles sises : commune de [Localité 9] lieu-dit/section et numéro : 'plaine du [Localité 11]'/ZD superficie : 11ha 85a et 70ca,
- confirmer la décision du tribunal judiciaire de Dieppe pour le surplus,
- condamner la Safer de Normandie aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 7 000 euros à M. [V] et de 5 000 euros à M. [Z] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour considérer que les terres préemptées par la Safer l'ont été au mépris des droits du fermier en place, M. [Z], ils soutiennent que le droit de préemption du preneur en place n'a jamais été purgé comme il devait l'être en application de l'article L. 412-9, 3° du code rural et de la pêche maritime, alors que ce droit est d'ordre public et prime sur celui de la Safer. Ils précisent que l'intervention de M. [Z] dans l'avant-contrat du 22 avril 2021 n'a aucune incidence quant au respect des formalités de l'article L. 412-9, 3° du code rural et de la pêche maritime, lesquelles sont d'application impérative, et ajoutent que M. [Z] n'a jamais renoncé à son droit de préemption et qu'il a juste indiqué dans l'avant-contrat du 22 avril 2021, résilier le bail en cours au jour de la signature de l'acte de vente au profit de M. [V].
En réponse à la Safer qui dans ses dernières écritures considère que l'intervention de M. [Z] est irrecevable aux motifs que la purge du droit de préemption du titulaire du bail est sans rapport avec l'objet du litige, ils prétendent, sur le fondement des articles 564 et suivants du code de procédure civile, qu'ils ont les mêmes prétentions et objectifs, à savoir, permettre à M. [V] d'exploiter les parcelles d'une superficie totale de 11ha 85a 70ca incluses dans la structure de l'exploitation reprise, et que dès lors, M. [Z] est bien fondé à intervenir à la procédure devant la cour pour voir annuler la vente faite au profit de la Safer.
Rappelant les dispositions des articles L. 412-4 et suivants du code rural et de la pêche maritime, ils indiquent que M. [Z], n'ayant jamais été informé de la vente par le notaire, aucun délai de forclusion ne peut lui être opposé.
Ils critiquent la décision du premier juge en ce qu'il a retenu que la délibération produite aux débats par la Safer, faisant référence à un extrait de délibération d'un conseil d'administration de celle-ci, le 4 juin 2021, certifiée conforme le 23 juin 2021, faite à [Localité 8], le 28 juin 2021, et signée par M. [C], directeur général, était régulière, alors qu'ils estiment que l'accord des deux commissaires du Gouvernement est requis pour la régularité de la décision de préemption ; qu'en l'espèce, la demande de communication de l'accord des commissaires du Gouvernement a été sollicitée tant en première instance que devant la cour, mais qu'il n'a toujours pas été produit, de sorte que le défaut de production de l'accord des commissaires du Gouvernement rend à lui seul irrégulière la décision de préemption de la Safer.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, le délai de quinze jours de notification de la décision de préemption à l'acquéreur évincé court à compter de la date de réception de la notification faite au notaire. Or, ils allèguent que sur le courrier adressé était bien mentionné le fait que M. [V] pourrait déposer un dossier de candidature, mais que sur le courrier adressé à M. [V], cette mention ne figure pas, de même que n'a jamais été produit aux débats la mention de l'affichage en mairie.
Ils se prévalent du fait que le document adressé à la Safer par le notaire, le 18 mai 2021, par voie électronique ne précise pas que le locataire en place ne renonçait à son droit de préemption uniquement pour permettre l'installation de M. [V] qui reprenait l'exploitation agricole, en vertu de l'acte de cession des parts de l'Earl [Z], signé le 19 juillet 2020, préalablement transmis à la Safer, le 18 avril 2020.
Ils estiment que la Safer a exercé son droit de préemption en refusant de prendre en considération la première installation de M. [V] en tant que jeune agriculteur, avec une totale mauvaise foi, alors que M. [V] justifie de sa première installation, que les terres objet de la préemption sont bien celles figurant dans la reprise faite par M. [V] au travers de l'Earl [Z], et que la Safer en a été parfaitement informée par courrier du 29 avril 2020.
Ils expliquent qu'il ne peut avoir échappé à la Safer que la première installation de
M. [V], en juillet 2020, portait sur les parcelles vendues qu'il a exploitées dans le cadre de l'Earl et qui constituaient son projet d'installation, alors qu'elle était informée de l'installation de M. [V] par la communication de l'acte de cession des parts sociales de l'Earl [Z] et que le notaire a précisé dans le document 'information sur l'aliénation d'un fonds agricole' que 'd'après Mme [N] [R] cette opération n'est pas soumise à autorisation'.
Ils allèguent que la situation de M. [V] s'avère être prioritaire, au regard des dispositions du code rural et de la pêche maritime et du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Normandie, dans la mesure où si M. [V] se voit priver des terres préemptées, son installation devient précaire et engendrera une prise de risque inconsidérée, ce qui reviendrait à condamner la première installation d'un jeune agriculteur puisque la dimension viable d'une exploitation est d'au moins 70 ha.
Ils soutiennent que la motivation exposée par la Safer laisse apparaître que cette dernière avait déjà choisi le bénéficiaire de la rétrocession, sans au préalable, appréhender la situation concrète de M. [V] en lui refusant toute audition et toute discussion.
Enfin, ils rappellent que l'arrêt du 22 novembre 2023 par lequel notre cour a considéré que la décision de rétrocession n'était toujours pas formalisée et le courrier du 21 décembre 2021 rejetant la candidature de M. [V] ne sont adressés qu'à titre informatif. Aussi, ils ajoutent que M. [V] a candidaté sur une surface d'environ 10 hectares sur les 350 de la propriété des consorts [H], acquis par la Safer, et que sa candidature a également été rejetée.
Par écrit du 19 décembre 2023, le ministère public s'en rapporte.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 décembre 2023.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de M. [Z]
L'article 325 du code de procédure civile dispose que l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant.
L'article 329 suivant précise que l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention.
L'article 554 du même code ajoute que peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.
En l'espèce, M. [Z] prétend avoir qualité à agir en annulation de la décision de préemption puisqu'il est, depuis l'acte du 11 avril 2003, titulaire de baux sur les parcelles litigieuses qui n'ont pas été dénoncés et ne pas avoir renoncé à son droit de préemption en tant que preneur à bail, ses prétentions ayant les mêmes fins que celles de M. [V].
Or, il ressort du dossier de candidature de M. [V] notifié à la Safer le 13 juillet 2021que M. [B] [Z] avait fait valoir ses droits à la retraite le 30 juin 2020 ; que son exploitation comprenant les parcelles litigieuses était gérée en réalité par l'Earl [Z] créée le 19 juillet 2020 avec une répartition des parts entre un associé exploitant M. [K]-[A] [V] et un associé non exploitant M. [B] [Z] ; que si les baux n'avaient pas alors été modifiés, M. [Z] n'était plus dès l'été 2020, l'exploitant effectif des terrains discutés.
Surtout, lors de la signature du compromis de vente signé les 22 avril et 11 mai 2021 entre les consorts [Z] et M. [V], M. [B] [Z], signataire de l'acte le 11 mai 2021, a expressément, en page 3 paraphé de sa main, renoncé à son droit de préemption. Alors qu'il est exactement qualifié de preneur à bail des parcelles ZD n°[Cadastre 1] et ZD n°[Cadastre 3] depuis signature de baux du 11 avril 2003, le compromis précise que le locataire reconnaît :
'. qu'il était au courant depuis un certain temps déjà du projet de vente formulé par les vendeurs, ainsi que du prix et des conditions demandés.
. qu'il lui avait fait savoir qu'il n'était pas acquéreur.
Il déclare réitérer cette affirmation et en conséquence, il renonce purement et simplement au droit de préemption que lui accordent les articles L 412-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime et donne son agrément à la vente.'.
En conséquence, le notaire a établi une information sur l'aliénation d'un terrain à vocation agricole le 18 mai 2021 en visant en page 2, au titre du droit de préemption primant celui de la Safer, la renonciation du preneur en place, soit M. [B] [Z].
Ayant expressément et en droit, renoncé à l'exploitation des parcelles en 2020 lors de son départ à la retraite et ce dans le cadre de l'Earl [Z] puis ayant renoncé à son droit de préemption, M. [Z] ne justifie pas d'un intérêt à agir et donc à former une demande d'annulation de la vente des biens intervenue le 22 septembre 2021 'au mépris de ses droits' puisqu'il n'en avait alors plus aucun.
Son intervention volontaire est en conséquence irrecevable.
Sur les prétentions de M. [V]
La Safer analyse comme un appel incident la demande des intimés portée dans le dispositif des dernières conclusions du 20 décembre 2023 en ces termes : 'Infirmer la décision du Tribunal Judiciaire de Dieppe en ce qu'elle a écarté les premier et deuxième moyens soulevés en première instance'.
Cette énonciation n'était pas formulée dans les premières conclusions notifiées le 15 juillet 2022.
Toutefois, l'article 954 du code de procédure civile dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
En conséquence, le dispositif ci-dessus visé ne comporte qu'une référence à des moyens sans formulation d'une prétention. La cour n'est dès lors pas saisie d'un appel incident.
Dans ses premières conclusions, M. [V] demandait la confirmation du jugement entrepris : seront examinés en conséquence les seuls moyens par lesquels l'intimé s'oppose à l'infirmation de la décision entreprise telle que sollicitée par la Safer.
Sur l'exercice du droit de préemption
Par jugement critiqué, le tribunal judiciaire a prononcé comme le sollicitait
M. [V], l'annulation de la décision de préemption du 21 juin 2021 prise par la Safer en retenant qu'au regard des éléments factuels défendus par M. [V] sur ses mérites et son exploitation agricole, la décision de la Safer contrevenait aux dispositions de L. 143-4 du code rural et de la pêche maritime.
L'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime dispose qu'il est institué au profit des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural un droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de biens immobiliers à usage agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ou de terrains nus à vocation agricole, sous réserve du I de l'article L. 143-7. Sont considérés comme à vocation agricole, pour l'application du présent article, les terrains situés soit dans une zone agricole protégée créée en application de l'article L. 112-2 du présent code, soit à l'intérieur d'un périmètre délimité en application de l'article L. 113-16 du code de l'urbanisme, soit dans une zone agricole ou une zone naturelle et forestière délimitée par un document d'urbanisme. En l'absence d'un document d'urbanisme, sont également regardés comme terrains à vocation agricole les terrains situés dans les secteurs ou parties non encore urbanisés des communes, à l'exclusion des bois et forêts.
L'article L.143-3 impose qu'à peine de nullité, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l'un ou à plusieurs des objectifs ci-dessus définis, et la porter à la connaissance des intéressés. Elle doit également motiver et publier la décision de rétrocession et annoncer préalablement à toute rétrocession son intention de mettre en vente les fonds acquis par préemption ou à l'amiable.
L'article L.143-4 précise que ne peuvent faire l'objet d'un droit de préemption : '4° Sous réserve, dans tous les cas, que l'exploitation définitive ainsi constituée ait une surface inférieure à la superficie mentionnée au I, 1° de l'article L331-2 du code rural et de la pêche maritime, les acquisitions réalisées : a) Par les salariés agricoles, les aides familiaux et les associés d'exploitation, majeurs, sous réserve qu'ils satisfassent à des conditions d'expérience et de capacité professionnelles fixées par décret.
Pour soutenir sa demande d'annulation de la décision de préemption, M. [V] conteste la régularité de la notification.
- Sur le pouvoir de l'auteur de la notification
La décision de préemption de la Safer a été notifiée par lettre signée par M. [X] [C], directeur général. Par décision du 19 juin 2017, le conseil d'administration de la Safer a confirmé M. [C] dans ses fonctions de directeur général délégué et au visa des articles L 225-51-1 du code de commerce et 25 des statuts de la Safer de Normandie, sur proposition du président, délégué différents pouvoirs dont celui de procéder à des acquisitions. Il lui est donné délégation spéciale pour « instruire, décider et mettre en 'uvre après accords des Commissaires du Gouvernement, l'exercice du droit de préemption au décret attributif en vigueur.'.
Cette délégation a été renouvelée par conseil d'administration du 4 juin 2021.
En conséquence, le directeur général, auteur de la notification, disposait du pouvoir de représenter la Safer. L'accord des commissaires du Gouvernement ne relève pas de cette condition de validité de l'acte mais des conditions de fond permettant au directeur d'engager l'exercice du droit de préemption à l'interne. De surcroît, cet avis est communiqué : il s'agit de la pièce n°17 intitulée 'Avis du commissaire du Gouvernement' du 17 juin 2021 portant avis favorable sur la préemption de 11 ha 85a 70 ca situés à [Localité 9] au prix de 177 855 euros vendus par les consorts [Z].
La notification critiquée est dès lors régulière de ce chef.
- Sur le délai de notification
L'article R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime prévoit que la décision de préempter est notifiée également à l'acquéreur évincé, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans un délai de quinze jours à compter de la date de réception de la notification faite au notaire.
En l'espèce, la notification a été adressée le 21 juin 2021 soit le même jour au notaire et à M. [V], en sa qualité d'acquéreur. Le texte visé prévoit un délai de protection maximal mais n'interdit pas une notification contemporaine aux deux destinataires. Le moyen a été à juste titre écarté par le premier juge.
- Sur la priorité légale accordée à l'exploitant
En l'espèce, en 2021, l'exploitant connu des propriétaires puis du notaire était
M. [B] [Z]. Les accords pris entre ce dernier et M. [V], la création de l'Earl [Z] pour assurer la reprise de l'exploitation de l'agriculteur prenant sa retraite n'ont pas fait l'objet d'une cession de bail régulièrement dénoncée aux propriétaires et autorisée par ceux-ci.
Ainsi, lors de la signature du compromis de vente des parcelles litigieuses, alors même que le transfert de l'activité de M. [Z] était récent, celui-ci s'est abstenu de révéler sa cessation d'activité et sa volonté de voir M. [V] lui succédait.
M. [V] ne peut soutenir à l'aide de chèques adressés à l'étude notariée en juillet 2021 soit postérieurement à la notification de la préemption, que le bail dont il se prévaut était validé par Me [P] et donc les consorts [Z].
La seule attestation de la Msa versée du 1er février 2022 soit postérieurement au compromis signé est établie au nom de l'Earl [Z], M. [V] étant bien déclaré comme membre de société, non salarié agricole à titre principal.
M. [Z], titulaire des baux sur les parcelles n°ZD [Cadastre 1] et n°ZD [Cadastre 3], seul exploitant, a renoncé à son droit de préemption prioritaire. Le notaire a, dans ces conditions, rédigé la déclaration d'intention d'aliéner les biens avec cette information. M. [V] qui n'était pas connu en qualité d'exploitant associé lors de la rédaction du compromis et de cette déclaration faite auprès de la Safer ne peut prétendre utilement opposer sa qualité à la société ayant décidé d'une préemption.
Le procès-verbal établi par huissier de justice le 25 mai 2022 reprenant les déclarations de M. [Z] selon lesquelles il n'aurait pas renoncé à ses droits s'il avait su que la Safer procèderait à la préemption des parcelles, n'est pas de nature à modifier l'analyse ; l'auxiliaire de justice a noté que 'Monsieur [Z] me déclare alors clairement et sans ambiguïté, qu'il a effectivement renoncé à son droit de préemption dans cet acte des 22 avril et 11 mai 2021, mais que cette renonciation avait une cause très claire selon lui, et que cette cause était que le dit acte était réalisé au bénéfice de Mr [V].' . De telles déclarations ne sont pas de nature à remettre en cause l'état des droits créés lors de la signature du compromis de vente.
Dès lors, la priorité légale invoquée est inapplicable.
- Sur la motivation de la préemption
Outre les dispositions susvisées imposant une notification motivée, il est fait obligation à la Safer de faire référence explicite aux objectifs de la préemption.
L'article L. 143-2 les définit ; la Safer a visé les trois premiers du texte :
1° L'installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs ;
2° La consolidation d'exploitations afin de permettre à celles-ci d'atteindre une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles et l'amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes, dans les conditions prévues à l'article L. 331-2 ;
3° La préservation de l'équilibre des exploitations lorsqu'il est compromis par l'emprise de travaux d'intérêt public.
M. [V] développe une argumentation pour démontrer que ses conditions d'exploitation répondent aux objectifs annoncés par la Safer et que cette dernière, voire le notaire, avait connaissance de sa volonté de poursuivre l'activité d'exploitant de M. [Z] par le biais de l'Earl [Z].
Toutefois, en premier lieu, il convient de rappeler que M. [V] ne conteste pas la décision de rétrocession des parcelles à un autre agriculteur mais soutient une demande d'annulation de celle qui porte sur l'exercice du droit de préemption. En second lieu, il ne s'agit pas davantage d'apprécier l'opportunité de la décision mais sa régularité au regard de l'obligation de motivation posée par l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime.
En conséquence, l'argumentation de M. [V], qui ne bénéficie d'aucune priorité légale, tendant à démontrer qu'il remplit toutes les conditions pour bénéficier, à défaut de l'acte de vente initial, à tout le moins d'une rétrocession, ne correspond pas au débat relevant de la saisine.
Après rappel des dispositions applicables, la décision est motivée comme suit :
'L'intervention de la SAFER de Normandie pourrait permettre sous réserve de la publicité légale relative aux appels de candidatures, de participer à l'installation d'un jeune agriculteur du secteur en association avec la structure familiale de 109 ha distante de 4 km ou contribuer au complément d'installation d'un jeune venant de s'installer avec ses parents dans le cadre d'une exploitation à vocation d'élevage de 120 ha environ distante de 2 km. Elle pourrait également favoriser la consolidation et améliorer la structure d'une ou plusieurs exploitations à vocation laitières proches de superficie moyenne, dont une de 80 ha dont la pérennité est assurée par la présence d'un fils disposant d'une formation agricole.'
La motivation développée par la Safer se réfère à différentes situations connues en ouvrant le champ des candidatures, et ce sans préjugement se portant exclusivement sur un seul bénéficiaire, ce qui pourrait être arbitraire. Les exploitants recherchés, outre leur jeunesse, disposent déjà d'atouts quant à l'importance de l'exploitation d'une part, quant à l'aide familiale contribuant à la pérennité de l'activité, d'autre part.
Elle correspond aux objectifs d'installation et de maintien des agriculteurs, de recherche de seuil de viabilité des exploitations, de protection par rapport à l'environnement économique notamment s'agissant de l'exploitation animale (élevage ou production de lait).
La description formulée n'a pas fait obstacle à la candidature de M. [V]. Cependant, son dossier permet de vérifier que l'Earl n'est placée sous sa responsabilité que depuis le 1er juillet 2020, dispose de 19 ha de façon précaire et de 60 ha en fermage, en réalité hors parcelles préemptées, moins de 70 ha au total, que l'exploitation concerne la betterave et les céréales.
Même si M. [V] se prévaut du soutien de M. [Z], désormais à la retraite et victime de problèmes de santé graves en 2019, il ne décrit pas l'organisation de la structure de nature à en assurer la solidité et précise que son frère est resté sur l'exploitation de ses parents. La photographie qu'il produit, extraite du site Géoportail ne met en évidence aucune incohérence quant à la configuration des parcelles au sein des exploitations locales, ne serait-ce que pour la sienne. Au contraire, les parcelles ZD [Cadastre 1] et ZD [Cadastre 3] s'inscrivent dans le prolongement de terres exploitées par d'autres agriculteurs, les propriétés exploitées par M. [V] étant en revanche éclatées.
En outre, le prix annoncé de la rétrocession est supérieur au prix retenu dans le compromis signé le 11 mai 2021 soit 212 200 euros au lieu de 177 855 euros.
M. [V] vise encore les termes de l'arrêté de la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Normandie du 19 mars 2021 portant Schéma Directeur Régional des Exploitations Agricoles (SDREA) de Normandie qui définit des priorités. Il renvoie en page 4 du paragraphe '3.3 Priorités' qui dispose au titre de la priorité 2 'Installations aidées telles que définies à l'article 1 du présent arrêté, y compris progressives... avec mise à disposition ou non de terres supplémentaires, dans la limite d'une surface totale de l'exploitation après reprise fixée à 140 hectares, majorée de 70 hectares par associé exploitant à temps plein au-delà du 1er et plafonnée à 350 ha' .
M. [V] traverse des difficultés à atteindre ou maintenir le seuil des 70 hectares et verse différents rejets antérieurs et postérieurs de ses candidatures, il n'en reste pas moins que la motivation de la Safer vise des exploitations respectant le seuil de
140 hectares.
Le seuil de 70 hectares est retenu par le même arrêté en page 6 comme constituant le seuil de déclenchement de la demande d'autorisation d'exploiter. Ce même arrêté décrit surtout en paragraphe 5.2 la disposition suivante :
'Pour l'application, notamment du 1° de l'article L. 331-1, 1°, du code rural et de la pêche maritime, la dimension économique viable d'une exploitation à encourager est définie pour l'ensemble de la région Normandie par un critère de surface de
70 hectares.
La situation du candidat à la reprise de foncier au regard de la dimension économique viable, est appréciée après application pour les cultures dites spécialisées des équivalences listées en annexe 1'' .
Bien que se référant à ce schéma directeur, M. [V] ne défend pas en l'état la viabilité de son exploitation en produisant des éléments comptables et ne caractérise pas une erreur d'appréciation de la Safer dans la mise en 'uvre du droit de préempter. Au contraire, selon son avis d'imposition sur les revenus de l'année 2020, il a perçu des ressources de 2 299 euros pour l'année.
Son curriculum vitae démontre qu'il a obtenu en 2007 un BTS Analyse et conduite de systèmes d'exploitation et en 2011 le Certificat d'aptitude à la conduite d'engins, a exercé de 2007 à 2019 la profession de chauffeur de tracteur mais ne caractérise pas une expérience significative dans la gestion d'une exploitation agricole qu'il s'agisse de son administration ou de la maîtrise des options à prendre dans la culture betteravière et/ou céréalières.
Dans ce contexte, au regard de la motivation retenue par la Safer et des pièces produites par M. [V], la décision de préempter ne contrevient pas aux dispositions des articles L. 143-1 et suivant du code rural et de la pêche maritime, ne révèle ni excès de pouvoir, ni erreur d'appréciation.
La décision entreprise sera infirmée et la demande d'annulation de la décision de préemption notifiée le 21 juin 2021 rejetée.
Sur les frais de procédure
La décision sur les dépens et l'indemnité procédurale sera infirmée.
M. [V] succombe à l'instance et supportera les dépens de première instance et d'appel.
Il sera condamné à payer à la Safer la somme de 2 000 euros pour ses frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe
Déclare irrecevable l'intervention volontaire de M. [B] [Z] en cause d'appel,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute M. [K]-[A] [V] de sa demande d'annulation de la décision de préemption du 21 juin 2021 prise par la Safer de Normandie et portant sur les parcelles situées à [Localité 9] au lieudit plaine du [Localité 11], section ZD [Cadastre 1] et ZD [Cadastre 3],
Condamne M. [K]-[A] [V] à payer à la Safer de Normandie la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [K]-[A] [V] aux dépens.
Le greffier, La présidente de chambre,