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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 16 avril 2024, n° 23/06741

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Acierinox Matériel (SAS)

Défendeur :

HD Huyndai Infracore Europe SRO (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Clément, Mme Jeorger Le Gac

Avocats :

Me Bourges, Me Cohen, Me Jeanmougin, Me Lhermitte, Me Kleiman, Me Massobre

T. com. Nantes, prés., 24 oct. 2023

24 octobre 2023

La SAS ACIERINOX MATERIEL, société de droit français, a pour objet le commerce de gros, la vente et l'entretien d'équipements industriels et de matériels de travaux publics.

Pendant plus de vingt ans, la société ACIERINOX a commercialisé et distribué de manière exclusive, les matériels et produits de la société de droit néerlandais DOOSAN INFRACORE EUROPE BV, aux droits de laquelle est venue la société de droit tchèque DOOSAN INFRACORE EUROPE SRO (société DOOSAN) sur les territoires de plusieurs départements français.

La société DOOSAN possède un établissement en France, situé à [Localité 4].

Elle est désormais dénommée HD HYUNDAI INFRACORE EUROPE SRO.

Alors que la collaboration s'était développée sur la base de simples accords commerciaux, les sociétés ACIERINOX et DOOSAN ont conclu courant 2018 un contrat de concession d'une durée de 5 ans dont le terme était fixé au 31 décembre 2022.

Ce contrat comprend une clause compromissoire.

Au motif que la société ACIERINOX ne respectait pas ses engagements commerciaux, la société DOOSAN a confié la distribution de ses produits sur la Basse Normandie à un autre distributeur à compter de janvier 2021.

La société ACIERINOX s'est aperçue à la même époque que la société DOOSAN avait approché un de ses clients historiques, la société BEAUSSIRE, pour lui vendre un lot de 80 machines pour un montant supérieur à 2.000.000 euros.

Par courrier en date du 16 novembre 2020, le conseil d'ACIERINOX est intervenu auprès de la société DOOSAN pour lui notifier le refus de modification du territoire et lui demander le paiement de la perte de commission résultant de la vente à la société BEAUSSIRE.

En réponse, la société DOOSAN a résilié le contrat de distribution, avec effet au 31 janvier 2021.

Elle interdirait désormais à ses distributeurs français de vendre des pièces détachées DOOSAN à la société ACIERINOX, la plaçant dans l'impossibilité d'assurer la maintenance et les réparations des machines vendues à ses clients.

La société ACIERINOX a introduit contre la société DOOSAN de multiples procédures :

- la société ACIERINOX a saisi le Président du Tribunal de commerce de Rouen, statuant en référé, d'une demande de condamnation de la société DOOSAN à lui payer une provision à valoir sur les pertes de commission résultant des ventes directes de machines à la société BEAULOC et par ordonnance du 09 juin 2021 confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Rouen, le juge des référés a ordonné le renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire,

Sur pourvoi forme par la société DOOSAN, la Cour de cassation a renvoyé l'affaire devant la cour d'Appel de Paris pour connaître de la question de la compétence.

- à l'occasion d'une seconde procédure, la société ACIERINOX a saisi le Tribunal de commerce de Rennes d'une action tendant a voir déclarer abusive la résiliation du contrat par la société DOOSAN.

Le Tribunal de Commerce de Rennes s'est déclaré incompétent en raison de la clause compromissoire figurant au contrat et son jugement a été confirmé par un arrêt du 28 septembre 2022 de la Cour d'appel de Paris.

Par acte du 8 juin 2023, la société ACIERINOX a assigné la société DOOSAN devant le juge des référés du tribunal de commerce de Nantes aux fins de voir :

- Condamner DOOSAN INFRACORE EUROPE, sous astreinte :

- à diffuser une note commerciale à l'ensemble de ses distributeurs français et européens les informant qu'ils sont libres de vendre des pièces détachées à la société ACIERINOX MATERIEL ,

- à fournir à la société ACIERINOX MATERIEL accès aux données techniques permettant la réparation et l'entretien des machines et la nomenclature des pièces détachées.

Par ordonnance du 24 octobre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Nantes a :

- jugé que la clause compromissoire prévue au contrat de distribution n'est ni manifestement nulle, ni manifestement inapplicable ;

- jugé que les mesures sollicitées par la société ACIERINOX ne revêtent ni un caractère provisoire, ni conservatoire ;

- jugé que la société ACIERINOX ne justifie, en tout état de cause, pas de l'urgence des mesures sollicitées ;

- s'est déclaré, en conséquence, incompétent et a renvoyé la société ACIERINOX à mieux se pourvoir.

- condamné la société ACIERINOX à payer à la société DOOSAN INFRACORE EUROPE s.r.o la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société ACIERINOX aux dépens.

Appelante de ce jugement, la société ACIERINOX, autorisée par une ordonnance du 21 décembre 2023, a fait assigner à jour fixe la société DOOSAN, qui avait constitué avocat devant la Cour le 30 novembre 2023.

Dans son assignation du 03 janvier 2024 et par conclusions du 20 février 2024 la société ACIERINOX a demandé à la Cour de :

- De recevoir la société ACIERINOX MATERIEL en son appel et de la juger bien fondée en ses demandes,

- Débouter la société HD HUYNDAI INFRACORE EUROPE sro (anciennement dénommée DOOSAN Infracore Europe Sro) de son exception d'incompétence et de l'ensemble de ses demandes,

- D'infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 24 octobre 2023 (Aff n° 2023004856) par le Président du Tribunal de commerce de Nantes,

- De juger que le demande d'ACIERINOX est fondée sur les dispositions légales et non sur le contrat résilié par HD HUYNDAI INFRACORE EUROPE sro (anciennement dénommée DOOSAN Infracore Europe Sro) à effet du 31 décembre 2021,

- Se déclarer matériellement compétente pour statuer sur le litige et ordonner l'évocation de l'affaire,

A titre subsidiaire,

- Se déclarer matériellement compétente pour statuer sur le litige,

- Evoquant,

-Enjoindre à la société HD HUYNDAI INFRACORE EUROPE sro (anciennement dénommée DOOSAN Infracore Europe Sro) de conclure sur le fond du dossier dans le délai de deux mois du prononcé de la décision à intervenir,

- Condamner DOOSAN INFRACORE EUROPE Sro sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard commençant à courir 8 jours après le prononcé de la décision à intervenir,

- À diffuser une note commerciale à l'ensemble de ses distributeurs français et Européens les informant qu'ils sont libres de vendre des pièces détachées à la société ACIERINOX MATERIEL.

- A fournir à la société ACIERINOX MATERIEL un accès aux données techniques permettant la réparation et l'entretien des machines et la nomenclature des pièces détachées,

- condamner la société DOOSAN Infracore Europe Sro à payer à la société ACIERINOX MATERIEL la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner dans les mêmes conditions aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions du 19 février 2024, la société HD HYUNDAI INFRACORE EUROPE SRO, anciennement dénommée DOOSAN INFRACORE EUROPE SRO a demandé à la Cour de :

- CONFIRMER l'ordonnance entreprise dans l'ensemble de ses dispositions;

À titre subsidiaire et toujours in limine litis, et au besoin en infirmant l'ordonnance,

- DÉCLARER le juge des référés du Tribunal de commerce de Nantes incompétent et SE DÉCLARER incompétente compte tenu de l'existence de règles de compétence spéciales prévues par l'article L.420-7 du code de commerce,

- RENVOYER la société ACIERINOX MATÉRIEL devant le Président du Tribunal de commerce de Rennes ;

À titre plus subsidiaire, en cas d'évocation (à laquelle la concluante s'oppose)

- RENVOYER l'affaire pour les conclusions en réponse de la société HD HYUNDAI INFRACORE EUROPE s.r.o. ;

- DIRE n'y avoir lieu à référé et DÉBOUTER la société ACIERINOX MATÉRIEL de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En toutes hypothèses,

- CONDAMNER la société ACIERINOX MATÉRIEL à payer la somme de 3.000 euros par application des dispositions des articles 559 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société ACIERINOX MATÉRIEL à payer à la société HD HYUNDAI INFRACORE EUROPE s.r.o. la somme de 25.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société ACIERINOX MATÉRIEL aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

Le contrat rédigé en anglais et conclu entre les sociétés DOOSAN et ACIERINOX contient un article 22 dont la traduction française est la suivant droit applicable- compétence des tribunaux.

22.1 (droit applicable) La présente convention est régie par le droit des Pays-Bas;

22.2 (règles applicables à la vente) Sauf convention contraire écrite, les contrats de vente conclus entre DOOSAN et le distributeur dans le cadre de la présente Convention ('les Contrats de vente') sont régis par le droit des Pays-Bas, avec exclusion expresse de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises.

22.3 (arbitrage) Tout litige, controverse ou réclamation issu ou lié à la présente Convention ou aux Contrats de vente, ou à la violation, la résiliation ou la nullité de ceux-ci sera définitivement réglé selon les Règles d'Arbitrage de la Chambre de commerce internationale par un ou plusieurs arbitres désignés conformément audites Règles. Le siège de l'arbitrage est Rotterdam (Pays-Bas). La langue utilisée dans la procédure d'arbitrage sera l'anglais.'

La même convention contient un article 14, dont l'alinéa 7 (article 14-7) est ainsi rédigé :

« Après expiration de la présente Convention, pour quelque motif que ce soit, le Distributeur doit cesser tout service après-vente, ou de garantie liée aux Produits et doit adresser toute demande à son successeur, sauf convention écrite contraire avec Doosan ».

La convention a été résiliée par la société DOOSAN par courrier recommandé du 1er décembre 2020, avec un préavis de six mois à échéance du 06 juin 2021, reporté au 31 décembre 2021 après discussions entre les parties. 

La société ACIERINOX, ayant donc vendu durant plus de vingt années des produits DOOSAN, qui sont des matériels de travaux publics complexes, fait valoir qu'elle a eu connaissance au mois de janvier 2023 d'un courriel adressé par la société DOOSAN à l'un de ses distributeurs de l'est de la France et rédigé comme suit :

« comme nous vous l'avons demandé lors de notre présentation marketing Plan 2023, aujourd'hui un concessionnaire Doosan est en place sur ce secteur (nb la Haute Normandie), il n'est donc plus nécessaire/concevable de fournir un support pièces détachées aux demandeurs tels que ACIERINOX ou d'autres car cela pénalise fortement le démarrage du partenaire DOOSAN sur place ».

La société ACIERINOX, qui ne conteste pas la validité de la clause compromissoire, soutient que celle-ci est sans lien avec le litige et que ses prétentions sont uniquement fondées sur les règles d'ordre public économique, qu'il soit français ou européen, ainsi que sur les dispositions de l'article 1240 du code civil.

Une telle analyse ne peut être retenue dans la mesure où les faits de refus de vente que la société ACIERINOX estime lui être préjudiciables et qu'elle demande à la Cour de faire cesser sont précisément prévus par les dispositions de l'article 14-7 de la Convention cité plus haut.

La clause compromissoire n'est donc pas manifestement inapplicable, au sens des dispositions de l'article 1448 du code de procédure civile, au présent litige.

La société ACIERINOX fait valoir que cette clause serait réputée non écrite car violant les règles de la liberté du commerce et de l'industrie et plus précisément les règlements 330/2010 du 20 avril 2010 et 2022/720 du 10 mai 2022.

Pour autant, il importe peu que des dispositions d'ordre public régissent le fond du litige dès lors que le recours à l'arbitrage n'est pas exclu du seul fait que des dispositions impératives, fussent-elles constitutives d'une loi de police, sont applicables.

Il en résulte que seul l'arbitre a compétence pour apprécier le caractère non écrit de cette clause.

Subsidiairement, la société ACIERINOX entend se placer dans le cadre des dispositions de l'article 1449 du code de procédure civile, lesquelles disposent que :

'l'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, à ce qu'une partie saisisse une juridiction de l'Etat aux fins d'obtenir une mesure d'instruction ou une mesure conservatoire ou provisoire. (...), la demande est portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce qui statue (...), en cas d'urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées'.

Les mesures provisoires ou conservatoires ont été définies dans l'arrêt C-261/90 dit pour droit le 26 mars 1992 par la CJUE au visa de la convention européenne la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l' exécution des décisions en matière civile et commerciale:

« Constituent des mesures provisoires ou conservatoires au sens de l' article 24 de la convention les mesures qui, dans les matières relevant de son champ d' application, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond ».

La mesure demandée par la société ACIERINOX est destinée à maintenir la situation de fait lui permettant de se fournir en pièces détachées DOOSAN aux fins d'assurer le service après-vente des matériels qu'elle a vendus.

Toutefois, la société ACIERINOX n'a pas, « par ailleurs », saisi la juridiction arbitrale afin de se voir reconnaître ce droit au fond nonobstant les dispositions de l'article 14-7 de la convention conclue avec la société DOOSAN.

Elle ne peut se prévaloir d'aucune urgence, celle-ci s'appréciant à la date à laquelle le présent arrêt est rendu soit quinze mois après les refus de vente caractérisés de pièces détachées et alors que ses clients n'ont pas perdu les garanties offertes par la société DOOSAN, qu'ils doivent simplement aller rechercher auprès du nouveau distributeur.

Ensuite des difficultés économiques surmontables ne constituent pas une condition d'urgence.

Il doit au surplus être relevé que la présente instance est la troisième procédure introduite par la société ACIERINOX pour tenter de faire échec à l'application de la clause compromissoire et que la juridiction arbitrale aurait pu, si elle l'avait saisie, être constituée depuis 2021 afin d'examiner le bien-fondé de ses prétentions et l'existence des troubles manifestement illicites dont elle soutient l'existence.

L'ordonnance déférée est confirmée.

Il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 559 du code de procédure civile, une appréciation erronée de ses droits ne relevant pas d'une attitude procédurale abusive ou dilatoire.

La société ACIERINOX, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel et paiera à la société DOOSAN la somme de 10.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme l'ordonnance déférée.

Rejette la demande formée par la société HD HYUNDAI INFRACORE EUROPE SRO anciennement dénommée DOOSAN INFRACORE EUROPE SRO sur le fondement des dispositions de l'article 559 du code de procédure civile.

Condamne la société ACIERINOX aux dépens d'appel. 

Condamne la société ACIERINOX à payer à société HD HYUNDAI INFRACORE EUROPE SRO anciennement dénommée DOOSAN INFRACORE EUROPE SRO la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.