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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 17 avril 2024, n° 23/00329

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Surlemont (Selarl)

Défendeur :

Mazars (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wittrant

Conseillers :

Mme Deguette, Mme Bergere

Avocats :

Me Debliguis, Me Absire, Me Vilain, Me Harkati

TJ Rouen, du 5 oct. 2022, n° 174/00154

5 octobre 2022

FAITS ET PROCEDURE

Le groupe Neopost (devenu Quadient) commercialise des machines et équipements destinés aux entreprises souhaitant optimiser le traitement de leur flux de courriers.

Le groupe [K], qui a pour société-mère la société [K] AG et pour filiale française la société [K] France, fabrique et développe des machines de mise sous pli industrielle de courriers de gestion destinées au traitement d'un grand volume de courrier quotidien.

En 2002, La Poste a proposé à ses clients une nouvelle norme d'affranchissement, dénommée « Siloe », leur permettant de procéder eux-mêmes au pré-triage de leurs courriers en recourant à une solution logicielle qu'ils devaient développer dans le respect d'un cahier des charges établi par elle-même, en contrepartie d'une réduction des tarifs d'affranchissement.

Le 10 septembre 2002, MM. [R], [S], [H] et [Z], associés, ont créé la société Valipost, qui a développé une solution logicielle répondant aux exigences de La Poste et permettant aux clients utilisateurs de profiter de remises financières sur les affranchissements des plis ou colis proposées par celle-là.

Pour son activité, la société Valipost a noué un partenariat commercial avec des fabricants de machines de mise sous pli industrielle, parmi lesquels la société [K] France, en équipant les machines de ses propres logiciels. Ces fabricants commercialisaient ensuite leurs machines à des clients, en leur proposant une solution globale, c'est-à-dire une machine intégrant le logiciel développé par la société Valipost.

Par un acte du 16 février 2007, MM. [S], [R], [H] et [Z] ont cédé à la société Neopost l'intégralité de leurs parts dans la société Valipost pour un prix incluant une partie payable immédiatement et définitivement, et un complément de prix payable sur trois ans, appelé « earn out » (article 2.2 du contrat). Ce contrat stipulait également, à la charge des cédants, une clause de non-concurrence pendant une durée de cinq ans, expirant le 16 février 2012 (article 6 du contrat).

MM. [S] et [R] ont conservé des mandats sociaux au sein de la société Valipost après cette cession.

Le 1er février 2008, la société Neopost a cédé la société Valipost à sa filiale, la société Neopost France.

Le 15 février 2010, MM. [R] et [S] ont démissionné de leurs mandats sociaux au sein de la société Valipost, avec effet au 31 mars 2010 pour le premier et au 30 avril 2010 pour le second.

A compter du mois de mai 2010, des salariés de la société Valipost ont démissionné.

En juin 2010, la société Valipost a transféré son siège de [Localité 12] à [Localité 16].

Le 2 août 2010, a été créée la société [K] Postal Solutions (la société KPS), dirigée par la société [K] France, immatriculée au RCS le 16 septembre 2010, ayant son siège à [Localité 11]) et exerçant en partie la même activité que la société Valipost.

Certains des salariés démissionnaires de la société Valipost ont été embauchés par la société KPS.

Le 10 février 2011, la société Valipost, se prétendant victime d'actes de concurrence déloyale, a fait procéder à des constats et saisies aux sièges des sociétés [K] France et KPS, sur le fondement d'ordonnances rendues par les présidents des tribunaux de commerce territorialement compétents.

Le 23 février 2011, cette société, alléguant en outre une contrefaçon de logiciel, a assigné la société KPS afin d'obtenir une provision à valoir sur son préjudice et la désignation d'un expert. Un arrêt d'appel infirmatif du 11 septembre 2013 a désigné un expert, M. [G].

Après le dépôt du rapport de cet expert, un arrêt de la cour d'appel de Douai du 11 février 2016 a dit que le désistement d'instance de la société Valipost était non avenu et rejeté les demandes formées par cette société au titre de la contrefaçon de logiciel.

Par des actes du 7 mars 2011, la société Valipost a assigné la société [K] France et la société KPS (les sociétés [K]) devant le tribunal de commerce de Lille Métropole en désignation d'un expert avant dire droit sur les actes de concurrence déloyale suspectés. Un jugement du 29 mai 2013 a accueilli cette demande. Le 8 décembre 2015, l'expert initialement désigné a été remplacé par M. [A].

Parallèlement, le 31 mars 2011, les sociétés Neopost France et Valipost ont assigné M. [R] et son ex-épouse, Mme [V], devant le tribunal de grande instance de Lille, en réparation du préjudice résultant de la violation de la clause de non-concurrence prévue dans l'acte de cession du 16 février 2007. Par un jugement du 5 décembre 2013, ce tribunal a désigné un expert, remplacé par M. [M] le 16 avril 2014.

Le 8 février 2015, estimant que ces opérations d'expertise révélaient aussi la violation la clause de non-concurrence par M. [S], les sociétés Neopost et Valipost l'ont assigné devant le tribunal de commerce de Paris, désigné par la clause. Par un jugement du 8 juin 2015, ce tribunal a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Lille.

Par une ordonnance du 28 avril 2016, confirmée par un arrêt du 19 janvier 2017, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Lille a ordonné la jonction des deux instances initiées contre M. [R] et Mme [V], d'un côté, et, de l'autre, M. [S], et étendu les opérations d'expertise de M. [M] à l'égard de ce dernier.

Les 28 mars et 18 juin 2018, MM. [M] et [A] ont déposé leurs rapports d'expertise respectifs.

Un arrêt de la cour d'appel du 12 décembre 2019 a confirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état du tribunal de grande instance de Lille renvoyant la procédure relative à la concurrence interdite devant le tribunal de commerce de Lille métropole, pour cause de connexité.

Par un jugement du 8 septembre 2020, le tribunal de commerce de Lille a ordonné la jonction des instances en concurrence illicite et en concurrence déloyale.

Entre temps, le 10 novembre 2016, la société Valipost a été absorbée par la société Neopost Services et, le 31 mars 2020, dans le cadre d'une fusion-absorption, la société Neopost Services a apporté son patrimoine à la société Neopost France, devenue la société Quadient France (la société Quadient). Cette dernière vient donc aux droits de la société Neopost Services, venant elle-même aux droits de la société Valipost.

Par un jugement du 12 octobre 2021, le tribunal de commerce de Lille métropole a :

- débouté M. [S] de sa demande de disjonction des deux instances ;

- dit que MM. [R] et [S] avaient violé leur clause de non-concurrence en contribuant à la création, par [K] France, de la société [K] Postal Solutions ;

- dit que les sociétés [K], avec le concours de MM. [R] et [S], avaient commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Quadient, venant aux droits des sociétés Valipost et Neopost ;

- condamné in solidum MM. [R] et [S] et les sociétés [K] à payer à la société Quadient la somme de 900 000 euros en réparation du préjudice subi ;

- condamné la société Quadient à payer à M. [R] la somme de 283 905,63 euros [à titre de complément de prix], outre les intérêts ;

- débouté M. [S] de sa demande de condamnation de la société Quadient à la somme de 22 750 euros au titre du solde du complément de prix prévu à l'acte de cession du 16 février « 2017 » [lire 2007] ;

- condamné in solidum MM. [R] et [S] et les sociétés [K] à payer à la société Quadient la somme de 200 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs autres demandes [ce qui incluait la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par M. [R]] ;

- condamné in solidum MM. [R] et [S] et les sociétés [K] aux dépens.

Les sociétés [K] et MM. [R] et [S] ont, chacun, relevé appel de ce jugement :

- les sociétés [K] le 16 novembre 2021, en critiquant ses chefs disant que la clause de non-concurrence avait été violée et des actes de concurrence déloyale commis, les chefs les condamnant in solidum en principal, frais et dépens, et les chefs les déboutant de leurs autres demandes ;

- M. [R] le 15 décembre 2021, en critiquant les mêmes chefs ;

- et M. [S] le 10 février 2022, en critiquant l'intégralité des chefs.

Le 11 mai 2023, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction de ces trois instances.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par leurs conclusions récapitulatives n° 4 notifiées par voie électronique le 27 novembre 2023,les sociétés [K] demandent à la cour de :

- juger qu'elles font leurs les conclusions d'intimées de MM. [R] et [S] ;

- juger recevables et bien fondés leurs appels principal et incident ;

- juger que la société KPS a été créée par la société [K] France sans le concours de MM. [R] et [S] ;

- juger que la société KPS n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale avec le concours de MM. [R] et [S] ;

En conséquence,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

- dit que MM. [R] et [S] ont violé leur clause de non-concurrence en contribuant à la création, par [K] France, de la société [K] Postal Solutions ;

- dit qu'elles ont, avec le concours de MM. [R] et [S], commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Quadient ;

- condamné in solidum MM. [R] et [S] et elles-mêmes à payer à la société Quadient la somme de 900 000 euros en réparation du préjudice subi ;

- condamné in solidum les mêmes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

- déboute les sociétés [K] de leurs autres demandes ;

Statuant à nouveau :

- rejeter la pièce n° 95 produite par la société Quadient, en raison de son caractère tardif, à cinq jours de la clôture des débats, ne permettant pas le respect du contradictoire ;

- débouter la société Quadient, MM. [R] et [S], et Mme [V] de leurs appels incidents et de toutes leurs demandes ;

- débouter la société Quadient de sa demande à titre tout à fait subsidiaire d'expertise judiciaire complémentaire ;

- juger que la société KPS a été créée par la société [K] France pour conserver sa clientèle face à la concurrence agressive de la société Quadient France, anciennement Neopost France venant aux droits de la société Neopost services, elle-même venant aux droits de la société Valipost ;

- juger que la société Quadient France, anciennement Neopost France venant aux droits de la société Neopost services, elle-même venant aux droits de la société Valipost, a détourné la clientèle historique de la société [K] France ;

En conséquence, condamner la société Quadient à payer les sommes suivantes :

- 934 304 euros à la société [K] France au titre du préjudice économique et financier subi en conséquence d'actes de concurrence parasitaires à la suite du rachat de la société Valipost par la société Neopost ;

- 680 000 euros au titre du coût d'opportunité induit par le temps perdu à se défendre au lieu de chercher des clients ;

- 693 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens.

- Par ses conclusions récapitulatives n° 2 notifiées par voie électronique le 27 novembre 2023, M. [R] demande à la cour de :

- écarter des débats la pièce n° 95 de la société Quadient ;

- constater qu'il fait siennes les conclusions d'appelantes et d'intimées des sociétés [K], et les conclusions d'appelant et d'intimé de M. [S] ;

- dire son appel recevable et bien fondé ;

En conséquence,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

- dit que lui et M. [S] ont violé leur clause de non-concurrence - dit que les sociétés [K], avec leur concours à lui et M. [S], ont commis des actes de concurrence déloyale ;

- le condamne in solidum avec M. [S] et les sociétés [K] à payer à la société Quadient la somme de 900 000 euros en réparation du préjudice subi ;

- le condamne in solidum avec M. [S] et les sociétés [K] à payer à la société Quadient la somme de 200 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

- le déboute de ses autres demandes ;

- Statuant de nouveau de ces chefs

- débouter la société Quadient de toutes ses demandes, en ce compris son appel incident ;

- la condamner au paiement :

- de la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et non fondée et intervention dans sa procédure de divorce ;

- de celle de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- et des dépens.

- Par ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 21 novembre 2023, M. [S] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

- dit que lui et M. [R] ont violé leur clause de non-concurrence ;

- dit que les sociétés [K], avec leur concours à lui et M. [R], ont commis des actes de concurrence déloyale ;

- le condamne in solidum avec M. [R] et les sociétés [K] à payer à la société Quadient la somme de 900 000 euros en réparation du préjudice subi ;

- le condamne in solidum avec M. [R] et les sociétés [K] à payer à la société Quadient la somme de 200 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

- le déboute de ses autres demandes ;

- Et statuant à nouveau :

- débouter la société Quadient de l'ensemble de ses demandes dirigées contre lui ;

- la condamner au paiement de :

- la somme de 22 750 euros au titre du solde de complément de prix prévu par l'acte de cession du 16 février 2007, avec intérêts au taux légal depuis le 1er février 2011, outre la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;

- celle de 250 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- et les dépens de première instance et d'appel.

- Par ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 27 novembre 2023, la société Quadient, intimée, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il :

o dit que MM. [R] et [S] ont violé leur clause de non-concurrence ;

o dit que les sociétés [K] ont commis, avec le concours de MM. [R] et [S], des actes de concurrence déloyale au préjudice des sociétés Neopost France et Valipost, aux droits desquelles elle vient ;

o condamné in solidum les sociétés [K] et MM. [R] et [S] à réparer son préjudice ;

o déboute M. [S] et les sociétés [K] de l'ensemble de leurs demandes ;

o déboute M. [R] de ses autres demandes ;

o condamne in solidum MM. [R] et [S] et les sociétés [K] à indemniser les sociétés Neopost France et Valipost, aux droits desquelles elle vient, au titre de l'article 700 du CPC, sauf à porter le montant de cette condamnation à 350 000 euros pour intégrer les frais irrépétibles exposés par elle-même, intimée, depuis le commencement des procédures et encore en cause d'appel ;

o condamner in solidum les mêmes aux dépens.

- L'infirmer en ce qu'il :

o limite la condamnation in solidum des sociétés [K] et de MM. [R] et [S], à titre de réparation du préjudice subi, à la somme de 900 000 euros,

o la condamne à payer à M. [R] la somme de 283 905,63 euros au titre d'un prétendu complément de prix lui restant dû ;

- Et, statuant à nouveau :

o condamner in solidum les sociétés [K] et MM. [R] et [S] à lui payer la somme de 1 609 000 euros en réparation du préjudice subi par les sociétés Neopost France et Valipost, aux droits desquelles elle vient,

A titre tout à fait subsidiaire :

- condamner in solidum les mêmes à lui payer la somme de 1 500 000 euros à titre de provision à valoir sur les condamnations financières à intervenir au titre des actes de concurrence illicite dénoncés ;

- désigner un expert afin de chiffrer son préjudice global subi du fait des actes de concurrence illicites commis ensemble par les sociétés [K] et MM. [R] et [S] ;

o déclarer les sociétés [K] et MM. [R] et [S] mal fondés tant en leurs appels principaux qu'en leurs appels incidents ;

o débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes, y compris celles formulées à titre reconventionnel ;

o déclarer la société [K] France irrecevable, ou à défaut mal fondée, en sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 934 304 euros au titre du prétendu préjudice économique subi à la suite du rachat de Valipost par Neopost ;

o la débouter alors de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 934 304 euros au titre du prétendu préjudice économique qu'elle aurait subi à la suite du rachat de Valipost par Neopost ;

o déclarer la société [K] France irrecevable, ou à défaut mal fondée, en sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 680 000 euros au titre du prétendu préjudice économique subi du fait d'un manque à gagner ;

o la débouter alors de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 680 000 euros au titre du prétendu préjudice économique subi du fait d'un manque à gagner,

o débouter M. [S] de l'ensemble de ses demandes, y compris celles formulées à titre reconventionnel,

o débouter les sociétés [K] et MM. [R] et [S] de leurs autres demandes.

- Par ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 3 mai 2022, Mme [V] demande à la cour de :

- prendre acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice ;

- statuer comme de droit sur les dépens.

Pour le détail de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux dernières conclusions respectives des sociétés [K] (103 pages), de M. [R] (40 pages), de M. [S] (52 pages) et de la société Quadient (94 pages).

Les conclusions de Mme [V] ne contenant aucune argumentation juridique appuyant une partie ou une autre, il est inutile d'y faire plus ample référence dans la suite du présent arrêt.

***

A l'audience du 21 décembre 2023, et par message notifié par le greffe le même jour, la cour a invité les parties à lui transmettre une note en délibéré afin de faire valoir leurs observations éventuelles, et ce uniquement sur les points suivants :

* la société Quadient : concernant la recevabilité de sa pièce n° 95, sur le fondement des articles 15 et 16 du code de procédure civile ;

* la société Quadient, M. [R] et M. [S] : exclusivement sur les conséquences de l'exception d'inexécution invoquée par la société Quadient pour s'opposer au paiement du prix de cession (v. ses conclusions, pp. 90/91), sur le montant de l'indemnisation qui pourrait être allouée par la cour, dans l'hypothèse où serait retenue une violation de la clause de non-concurrence et indemnisé tout ou partie des préjudices invoqués par la société Quadient.

MM. [S] et [R] ont, chacun, notifié une note en délibéré par la voie électronique le 22 décembre 2023, et la société Quadient le 26 décembre 2023.

MOTIVATION

A titre liminaire, il convient de relever qu'en l'espèce, les demandes de constatations ou de « dire et/ou juger » ne constituent que des moyens, et non des prétentions saisissant la cour au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile.

I- Sur la demande indemnitaire pour concurrence illicite et concurrence déloyale formée par la société Quadient

I-A- Sur la légitime défense opposée par les sociétés [K]

Avant d'aborder le fond des griefs qui leur sont imputés, les sociétés [K] soutiennent notamment ceci :

- (p. 18 à 22) les décisions de condamnation prononcées en 2005 et 2010 contre le groupe Neopost, pour entente anti-concurrentielle et abus de position dominante dans le secteur de la location et de l'entretien des machines d'affranchissement postal, démontrent la capacité de ce groupe à peser sur le marché français dans ce secteur et à restreindre le jeu de la concurrence. Ces décisions permettent aussi de comprendre que les rachats successifs, par ce groupe, des sociétés PFE et Valipost répondaient à la même stratégie de conquête du marché, avec les mêmes conséquences. La création, par le groupe [K], de la société KPS a été la seule et unique réponse possible pour se défendre de la concurrence agressive du groupe Neopost, dont l'objectif était de capter la clientèle de la société [K] France grâce à la maintenance informatique des solutions logicielles de ses machines ;

- (pp. 22 à 24) la création de la société KPS est un acte libre et légitime de défense dans un contexte de concurrence agressive dont est à l'origine le groupe Neopost, sans aucun lien avec la démission de MM. [R] et [S].

Les sociétés [K] reprochent donc aux premiers juges une absence d'analyse du contexte concurrentiel du marché de la mise sous pli des courriers de gestion et une méconnaissance des faits de concurrence agressive commis par le groupe Neopost à l'encontre du groupe [K].

La cour déduit de ces développements que les sociétés [K] plaident le fait justificatif de légitime défense afin de voir juger non fautifs les faits qui leur sont imputés par la société Quadient.

En droit, les faits justificatifs sont des causes d'irresponsabilité objectives ayant pour conséquence de retirer au fait dommageable son caractère fautif au regard des circonstances qui l'ont entouré. Parmi ces faits justificatifs figure, en matière pénale comme en matière civile, la légitime défense.

La légitime défense suppose la réunion de plusieurs conditions, et en particulier l'existence d'une agression à la fois actuelle, ou imminente, et injuste.

La preuve de la légitime défense incombe à l'auteur du dommage, qui l'invoque.

En l'espèce, d'abord, la société Quadient affirme (v. ses conclusions, p. 86, point 248) que les associés de la société Valipost ont d'abord proposé au groupe [K] de racheter les parts de cette société, ce que les sociétés [K] ne contestent pas puisque, dans le rapport Per du 26 janvier 2022 qu'elles produisent elles-mêmes, il est indiqué que le groupe [K] n'a pas eu les moyens de ce rachat (cf. p. 21 de ce rapport). Dès lors, le rachat de la société Valipost par le groupe Neopost ne peut être qualifié d'agression injuste appelant une défense légitime par la création de la société KPS.

Ensuite et en tout état de cause, les faits de concurrence agressive que les sociétés [K] imputent au groupe Neopost sont liés aux rachats des sociétés Valipost et PFE international, respectivement intervenus en février 2007 s'agissant de la première et en septembre 2007 s'agissant de la seconde (cf. la pièce n° 4 des sociétés [K]). Or, les faits de concurrence déloyale reprochés aux sociétés [K] ont tous été commis à partir de 2010, lors de la création de la société KPS et dans les mois qui ont suivi. Par conséquent, fait défaut la condition tenant à l'existence d'une agression actuelle ou imminente, seule susceptible de légitimer la défense alléguée par les sociétés [K].

Au surplus, les développements des sociétés [K] apparaissent en contradiction avec ceux figurant à l'appui de leurs demandes reconventionnelles, où elles affirment « qu'il n'y a que le rapport Per qui a permis à la société [K] France de révéler l'existence d'un préjudice économique et financier subi en conséquence d'actes de concurrence parasitaire à la suite du rachat de la société Valipost par la société Neopost » (p. 91). Le premier rapport Per datant du 26 janvier 2022, il n'est pas pertinent de soutenir que la création de la société KPS, en 2010, aurait constitué une défense légitime à un rachat qui, de l'aveu même des sociétés [K], n'avait à cette date encore engendré aucun préjudice perceptible par elles-mêmes.

Le moyen tiré de la légitime défense n'est, dès lors, pas fondé.

I-B- Sur les actes de concurrence déloyale allégués contre les sociétés [K],

Les sociétés [K] contestent avoir mis en oeuvre des manoeuvres déloyales afin de débaucher les salariés de la société Valipost et, de ce fait, entraîné une désorganisation du fonctionnement de cette dernière - désorganisation au demeurant non prouvée, car inexistante. Elles réfutent donc, un à un, les faits retenus par les premiers juges et soutiennent au contraire:

- (1) l'absence de débauchage déloyal des salariés de la société Valipost (pp. 31 à 42), aux motifs qu'il est établi que :

- (i) la société Valipost a joué un rôle prépondérant dans la démission des salariés (pp. 35 à 37) ;

- (ii) les salariés démissionnaires n'étaient tenus par aucune clause de non-concurrence (pp. 37 à 38) ;

- (iii) les conditions d'embauche des salariés ne présentaient aucune anormalité économique (pp. 38 à 39) ;

- (iv) ces embauches ont été échelonnées dans le temps (pp. 39 à 41) ;

- (v) et les salariés démissionnaires n'avaient pas de « position-clé » (pp. 41-41).

- (2) l'absence de récupération illicite de savoir-faire technique et commercial de la société Valipost (pp. 42 à 45). Sur ce point, les premiers juges ont ignoré les pièces produites, qui confirment pourtant :

- (i) d'une part, le savoir-faire technique de la société KPS en matière de solution logicielle, qui a ainsi créé ses solutions logicielles sans s'inspirer des programmes de la société Valipost (pp. 43 à 44) ;

- (ii) d'autre part, l'absence de caractère frauduleux des documents techniques commerciaux détenus par les anciens salariés de la société Valipost (pp. 44 à 45). Ces documents, détenus par la société KPS, n'ont donc pas une origine frauduleuse ni n'ont facilité son action commerciale ;

- (3) l'absence de détournement de clientèle et le maintien, par les sociétés [K], de leurs relations commerciales avec leurs clients historiques (pp. 45 à 50) ;

- (4) l'absence de désorganisation des effectifs et de l'activité de la société Valipost (pp. 50 à 63). Sur ce point, les premiers juges se sont fondés sur le rapport du cabinet Eight Advisory, qui n'est pas probant pour avoir été rédigé à la demande de la société Quadient et de manière totalement partiale, sur la base de partis pris, ce que corrobore le rapport du cabinet Per, qui relève également d'autres anomalies. En réalité, sont démontrées :

- (i) l'absence de désorganisation des effectifs de la société Valipost (pp. 51 à 55) ;

- (ii) et l'absence de désorganisation des activités de la société Valipost (pp. 55 à 64). Les éléments de désorganisation allégués par la société Quadient ne sont pas liés aux faits reprochés.

M. [S] (pp. 30 à 35 de ses conclusions) réfute avoir participé aux actes de concurrence déloyale imputés au groupe [K], le rapport de M. [M] établissant, en effet, son absence de participation à ces actes. Il conteste également les actes de concurrence déloyale invoqués par la société Quadient.

M. [R] ne consacre aucun développement particulier relativement aux faits de concurrence déloyale.

La société Quadient (pp. 50 à 64) reproche aux sociétés [K] d'avoir commis des actes de concurrence déloyale caractérisés par :

- le débauchage massif et déloyal des salariés-clés de la société Valipost (pp. 50 à 55) ;

- la récupération illicite, par les sociétés [K], du savoir-faire technique de la société Valipost (pp. 55-56) ;

- le détournement de la documentation technique, marketing et commerciale de la société Valipost (pp. 56 à 59) ;

- le démarchage systématique et déloyal des clients de la société Valipost (pp. 59 à 62).

Elle ajoute que la concurrence illicite des appelants a provoqué la désorganisation de la société Valipost (pp. 62 à 64).

Réponse de la cour :

En droit, la liberté du commerce et de l'industrie, qui a pour corollaire la libre concurrence, ne peut, comme toute liberté, s'exercer que dans le respect de celle d'autrui.

La théorie jurisprudentielle de la concurrence déloyale est fondée sur les articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil. Le succès de l'action en concurrence déloyale suppose donc la réunion de trois conditions : une faute, laquelle ne requiert aucun élément intentionnel (v. par ex. : Com. 12 mai 2021, n° 19-17714 ; Com. 8 juill. 2020, n° 18-17169), un dommage certain, et un lien de causalité direct et certain entre la faute et le dommage.

La concurrence déloyale se définit comme la commission d'actes déloyaux, constitutifs de fautes dans l'exercice de l'activité commerciale, à l'origine d'un préjudice.

La charge de la preuve des faits de concurrence déloyale allégués repose sur le demandeur à l'action.

En l'espèce, il convient d'examiner successivement les faits allégués par la société Quadient, étant d'emblée souligné que la cour comprend des volumineuses conclusions de cette partie que lesdits faits ne sont analysés que sous l'angle d'une désorganisation, à l'exclusion de tout parasitisme - ce dernier terme n'est d'ailleurs pas employé dans ses écritures -, étant observé que la désorganisation ne constitue pas, en elle-même, un fait de concurrence déloyale, mais une conséquence d'un tel fait.

I-B-1°- Le débauchage massif et déloyal des salariés-clés de la société Valipost :

En droit, il résulte de la jurisprudence que si, en principe, la simple embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente ne sont pas en elle-même fautive (v. par ex. Com. 28 sept. 2022, n° 21-15892), elle le devient en revanche lorsqu'elle intervient dans des conditions déloyales et entraîne une désorganisation de cette entreprise (v. par ex. : Com. 8 juill. 2020, n° 18-17169 ; Com. 18 nov. 2020, n° 18-19012).

Le débauchage de salariés n'est donc sanctionné qu'à la double condition qu'il résulte de manœuvres déloyales et qu'il entraîne une désorganisation de l'entreprise concurrente, la désorganisation devant être démontrée de façon concrète et étant distincte d'une simple perturbation (v. not. : Com. 9 juin 2015, n° 14-15781 ; Com. 20 sept. 2011, n° 10-19443, publié).

Par exemple, est considéré déloyal, et donc fautif, le débauchage provoqué par des manœuvres contraires aux usages du commerce pour attirer les salariés du concurrent, notamment en s'installant à proximité du concurrent (v. par ex. Com. 31 janvier 2012, n° 11-10917) ou en offrant aux salariés des conditions d'embauche avantageuses (v. par ex. Com. 3 juin 2008, n° 07-12437), le débauchage visant à détourner des secrets de fabrique ou des informations privilégiées sur l'entreprise concurrente, ou encore le débauchage présentant un caractère massif (v. par ex. Com. 13 avr. 2023, n° 22-12808) ou qui, même s'il est en nombre limité, concerne des salariés ayant un certain niveau de responsabilité et de qualification (v. par ex. Com. 22 juin 2022, n° 20-20784).

En l'espèce, il est établi que la société KPS a une activité similaire à la société Valipost (cf. not. p. 9 du rapport [A]), ce qu'aucune partie ne conteste.

En premier lieu, s'agissant de la première condition tenant à l'emploi de procédés déloyaux, il est établi à la fois par les conclusions des parties, concordantes sur ce point, et les pièces communiquées, que :

- le siège de la société Valipost, initialement situé à [Localité 12], a été déménagé à [Localité 16], à l'est de [Localité 13], en juin 2010 (cf. la pièce n° 5 des sociétés [K]) ;

- la société KPS, créée le 2 août 2010, a installé son siège à [Localité 11], à l'ouest de [Localité 13] ;

- et plusieurs anciens salariés de la société Valipost ont démissionné pour être embauchés par la société KPS.

Concrètement, ces démissions sont intervenues dans les conditions et l'ordre chronologique suivants (cf. les pièces n° 14 et 18 à 22 de Quadient, et le rapport d'expertise judiciaire de M. [A]) :

- le 20 mai 2010, M. [U], technicien (analyste programmeur précise-t-il dans sa lettre de démission) au sein de la société Valipost depuis le 7 novembre 2005, a démissionné à effet au 20 juillet 2010, en arguant de ce que le futur déménagement de la société Valipost, à [Localité 16], le contraindrait à un long trajet quotidien ;

- 20 mai 2010, M. [C], technicien cadre depuis le 2 janvier 2003, a démissionné à effet au 30 juillet 2010, en invoquant également le déménagement prochain du siège de la société Valipost, qui ne l'avantageait guère pour des raisons familiales ;

- le 21 mai 2010, Mme [B], assistante de direction depuis le 24 octobre 2005, a démissionné à effet au 21 juillet 2010, en alléguant « une dégradation progressive de ses fonctions depuis ces trois dernière années », soit depuis 2007, année au cours de laquelle est intervenue la cession de la société Valipost au groupe Neopost ;

- le 10 septembre 2010, M. [F], technicien cadre et chargé d'affaires chez la société Valipost depuis le 6 décembre 2004, a démissionné « pour des raisons personnelles », son départ étant effectif au 10 novembre 2010 ;

- et le 29 septembre 2010, M. [P], technicien (développeur informatique indique-t-il dans sa lettre de démission), exerçant au sein de la société Valipost depuis le 1er août 2005, a démissionné sans donner de motif.

Quatre de ces salariés ont ensuite été immédiatement embauchés par la société KPS pour exercer des fonctions analogues (cf. les pièces n° 78 à 82 de Quadient) :

- Mme [B] et MM. [U] et [C] ont signé, chacun, leur contrat de travail le 2 août 2010, en qualités respectives d'assistante, de développeur et de technicien développeur ;

- M. [F] a signé son contrat de chargé d'affaires le 7 septembre 2010, à effet à compter du 10 novembre 2010 ;

- M. [P], après avoir travaillé pour une société tierce à partir du 12 octobre 2010, a signé son contrat de travail avec la société KPS le 30 novembre 2010, à effet à compter du 13 décembre 2010, en qualité de développeur.

Or, parmi les pièces saisies le 10 février 2011 au siège de la société [K] France, par un huissier de justice dûment autorisé (cf. p. 14 du rapport [A] et pièce n° 54 de Quadient), figure un courriel du 29 avril 2010 (et non du 30, comme indiqué par les parties) rédigé par M. [N], dirigeant de la société [K] France, à l'attention de M. [K]. Les premiers juges ayant reproduit l'essentiel de cet écrit, il est expressément renvoyé au jugement entrepris sur ce point (pp. 12 à 14).

Dans ce courriel, dont l'objet s'intitule « Dossier Valipost : décision à prendre rapidement », M. [N] a rédigé un « mémorandum » développant une stratégie commerciale ayant pour finalité de créer, au sein du groupe [K], une nouvelle structure destinée à développer des solutions d'affranchissement industriel en remplaçant les solutions proposées par la société Valipost par celles de la nouvelle structure sur le parc de machines fabriquées par le groupe [K]. La partie C de ce mémorandum développe un « plan d'actions » (intitulé de cette partie) en six étapes afin de parvenir à ce résultat, et notamment :

- la 1re étape, qui prévoit la constitution d'une nouvelle structure dans le Nord de la France ;

- la 2e étape, consistant à rechercher des locaux susceptibles d'accueillir sept personnes : MM. [S] et [R], ainsi que cinq anciens salariés de la société Valipost ;

- la 4e étape, prévoyant le recrutement de cinq salariés de la société Valipost « dans l'ordre ci-dessous avec leur rémunération et leurs avantages actuels » : M. [U], Mme [B], M. [L], M. [C], M. [F], cette liste étant suivie de la mention que « ces personnes ont une bonne image de la société [K] » ;

- la 6e étape, précisant que, par souci de rapidité, il convenait de faire signer les contrats de M. [U] et Mme [B] et de « basculer » ces derniers dans la nouvelle structure dès sa création, car « ils ont tous deux mois de préavis, ce qui nous projetterait au mois de juillet, les autres arriveront au fur et à mesure. »

La partie B de ce courriel (intitulée « aspects stratégiques et de marchés potentiels ») souligne le risque « que la compétence de Valipost ne soit plus disponible pour [K] » pour trois raisons : les départs de MM. [R] et [S], le déménagement des locaux de la société Valipost à plus de 50 km, d'où un risque de départ des salariés et de récupération de ces « ressources » - autrement dit de ces salariés - par une structure du métier étrangère au groupe [K].

Enfin, sa partie D (dénommée « planning de décision ») conclut qu'« il est fondamental pour la réussite du projet que [K] prenne une décision très rapidement car le temps est compté. Il est attendu une réponse de principe sur le projet du plus tard le 7 mai. »

Le destinataire de ce courriel, M. [K], y a répondu dès le lendemain, le 30 avril 2010, en indiquant que ce projet l'intéressait vivement et qu'il en reparlerait avec l'expéditeur au début de la semaine suivante afin de prendre une décision définitive.

Dans les faits, la 1re étape de ce « plan d'actions » s'est concrétisée par la création d'une nouvelle structure dès le 2 août 2010, la société KPS, soit trois mois seulement après l'envoi de ce courriel.

La 2e étape a également été menée à bien par le groupe [K], la société KPS s'étant installée, dès sa création, dans des locaux situés à [Localité 11], soit dans le Nord et à proximité du nouveau siège de la société Valipost localisé à [Localité 16], cependant que le groupe [K] était jusqu'alors implanté ailleurs, en Suisse, dans l'Est de la France et en région parisienne (cf. p. 14 du rapport [A]).

Quant aux 4e et 6e étapes, elle ont également été mises en oeuvre par le groupe [K], ainsi qu'en témoignent l'ordre et les dates des recrutements des salariés ci-dessus nommés : abstraction faite de MM. [S] et [R] - dont il n'est pas établi qu'ils auraient été embauchés par la société KPS ou toute autre société du groupe [K] -, les premiers salariés recrutés par la société KPS ont été précisément M. [U] et Mme [B], qui ont quitté la société Valipost à la fin du mois de juillet 2010 et été embauchés le 2 août 2010, soit dès la création de la société KPS, conformément à ce que prévoyait l'étape 6.

L'embauche de M. [L], initialement projetée dans le « plan d'actions », ne s'est certes pas concrétisée immédiatement, puisque l'intéressé a été embauché par KPS en août 2012 seulement (cf. p. 12 du rapport [A]) et, dans ses conclusions, la société Quadient ne fait pas grief aux sociétés [K] de cette embauche. Cependant, en lieu et place de ce technicien-là, la société KPS en a embauché un autre, M. [P]. Il est indifférent que cette embauche n'ait pas suivi immédiatement la démission de M. [P], en octobre 2010, puisque :

- d'une part, celui-ci n'a travaillé pour une société tierce que durant deux mois, avant de mettre ses compétences et son expérience au service de la société KPS dès le mois de décembre 2010, soit quatre mois seulement après la création de cette société et l'embauche des trois premiers salariés ci-dessus listés, et un mois après l'arrivée du quatrième salarié précité ;

- et, d'autre part, le « plan d'actions » élaboré par le groupe [K] consistait justement à recruter, dans un premier temps, M. [U] et Mme [B], et seulement dans un second - « au fur et à mesure » indique le courriel du 29 avril 2010 - les autres salariés de la société Valipost.

Au total, ce sont donc cinq salariés qui ont quitté la société Valipost sur une période réduite, entre juillet et septembre 2010, pour rejoindre la société KPS dès sa création (en août 2010 pour trois d'entre eux) ou peu après (en novembre et décembre 2010 pour deux d'entre eux).

Les démissions des cinq salariés ci-dessus mentionnés, puis leurs embauches au sein de la société KPS ne doivent rien au hasard, tout au contraire : elles sont l'oeuvre minutieusement planifiée par le groupe [K], la société [K] France ayant, au préalable, identifié et sélectionné, au sein de la société Valipost, les salariés les plus anciens, accoutumés à travailler ensemble et connaissant le groupe [K], eu égard à la collaboration existant alors entre ces deux sociétés depuis plusieurs années. Ces embauches ont permis à la société KPS d'avoir à sa disposition, dès les tout premiers mois de sa création, une équipe expérimentée, immédiatement et durablement opérationnelle. A preuve, non seulement la société KPS les a recrutés sans période d'essai, ce qui confirme qu'elle était assurée de leur parfaite adéquation aux postes proposés et de leur efficience immédiate, mais, en outre, ces salariés ont été ses seuls et uniques salariés entre sa date de création (le 2 août 2010) et le mois d'octobre 2012 (cf. le rapport [A], p. 12), soit pendant plus de deux ans.

Les sociétés [K] ont usé de divers moyens afin de rendre ces embauches attractives :

- d'abord, le siège de la société KPS a été installé à [Localité 11], cette localisation ayant été conçue, dès l'origine, comme un moyen d'attirer les anciens salariés de Valipost et de faciliter leur intégration, comme en témoignent le courriel précité du 29 avril 2010 comme le rapport du cabinet Per du 26 janvier 2022, produit par les sociétés [K] elles-mêmes (p. 23) ;

- ensuite, la société KPS a recruté ces anciens salariés sans période d'essai, leur offrant ainsi une stabilité de leur emploi - pratique avantageuse et plutôt inhabituelle, comme le confirme d'ailleurs le fait que l'embauche de M. [P] par la société Hygéna, le 30 septembre 2010, comportait quant à elle une période d'essai de deux mois (cf. la pièce n° 13 des sociétés [K]). En outre, tous ces anciens salariés ont bénéficié d'une prime qui n'a pas été octroyée aux autres salariés ultérieurement embauchés par la société KPS (cf. p. 13 du rapport [A] et les contrats de travail produits, pièces n° 78 à 82 de Quadient). Ces avantages se sont cumulés avec ceux dont ils bénéficiaient déjà chez la société Valipost (tickets restaurant, mutuelle et, pour certains, voiture et téléphone de fonction), et ce conformément aux prévisions du « plan d'actions » explicité dans le courriel du 29 avril 2010.

De surcroît, il résulte du rapport d'expertise de M. [A] (p. 12) qu'au 1er janvier 2010, l'effectif de la société Valipost s'élevait à treize salariés - abstraction faite de MM. [R] et [S], dont les démissions n'ont pas été prises en compte ci-dessus. Ces embauches, par la société KPS, de ces cinq salariés expérimentés ont donc privé la société Valipost de 38,46 % de ses effectifs sur une courte période de cinq mois.

Contrairement à ce que soutiennent les sociétés [K] pour tenter de justifier de la loyauté de ces embauches, il convient d'indiquer, premièrement, que leurs développements relatifs à la notion de « salariés clés » sont mal fondés. Outre la circonstance que, dans le langage courant, un salarié « clé » s'entend à l'évidence d'un salarié important, voire essentiel, les salariés ci-dessus listés répondent bien à cette définition dès lors que, d'un côté, ils ont été présélectionnés par les sociétés [K] précisément en raison de leur ancienneté et de ce qu'ils avaient « une bonne image de la société [K] », ce qui démontre que, au plan subjectif, le groupe [K] considérait lui-même que ces salariés étaient particulièrement importants. De l'autre, et sur un plan purement objectif, ces salariés ont été en mesure de constituer une équipe de travail opérationnelle dès l'origine et stable pendant plus de deux ans, tel que relevé ci-dessus.

Deuxièmement, c'est encore en vain que les sociétés [K] soutiennent que la société Valipost aurait joué un rôle prépondérant dans la démission des salariés précités. En effet, indépendamment du fait qu'il n'est pas établi que le projet de restructuration de la société Valispost fût connu de ses salariés dès le printemps 2010 - l'article produit sur ce point par les sociétés [K] date du 28 septembre 2011 (cf. leur pièce n° 7) -, l'on relève, d'abord, qu'aucun salarié n'a argué de ce projet pour motiver sa lettre de démission. Ensuite, au regard des éléments ci-dessus exposés, les motifs de démission explicitement avancés par certains de ces salariés - le déménagement de la société Valispost, ou les conditions de travail -, ne visaient, à l'évidence, qu'à dissimuler la véritable origine de ces démissions, à savoir les manoeuvres de débauchage déloyales déployées par la société [K] France afin qu'ils deviennent les salariés de la société KPS, à créer ou tout récemment créée.

Troisièmement, est inopérant le moyen des sociétés appelantes tiré de ce qu'aucun des salariés embauchés par la société KPS n'était tenu par une clause de non-concurrence, une telle circonstance n'étant nullement exclusive de la déloyauté d'un débauchage, qui, en l'occurrence, est amplement démontrée par l'ensemble des éléments développés ci-dessus.

En définitive, il est établi que les embauches des anciens salariés de la société Valipost se sont accompagnées de manoeuvres déloyales imputables à la société KPS comme à la société [K] France, laquelle a créé la première à dessein qu'elle procède à ces embauches. De plus, la déloyauté de ces embauches résulte également de ce qu'elles ont permis l'utilisation, par les anciens salariés de la société Valipost, de documents confidentiels utilisés pour démarcher la clientèle de cette dernière au profit de la société KPS, ainsi qu'il sera explicité ci-après.

En second lieu, s'agissant de la seconde condition, relative à la désorganisation de la société Valipost, la cour estime que les développements des sociétés [K] relatifs à la véritable qualité des salariés démissionnaires (pp. 51 à 55 de leurs conclusions) ou à la cause de la perte des contrats de maintenance (pp. 55), qui diffèrent des conclusions du rapport d'expertise judiciaire de M. [A], ne sont pas fondés, dès lors qu'ils reposent sur le rapport du cabinet Per, expert privé qu'elles ont sollicité et payé, sans que les observations de ce cabinet soit confortées par d'autres pièces.

Selon le rapport judiciaire de M. [A] (p. 11 et s.), sur les cinq salariés précités qui ont démissionné de la société Valipost, quitté celle-ci entre fin juillet et septembre 2010 et été embauchés par la société KPS entre juillet et novembre 2010, quatre étaient des techniciens développeurs, tandis qu'entre le 1er juin 2010 et le 3 janvier 2011, la société Valipost a recruté trois techniciens et deux développeurs qui, par hypothèse, ne disposaient pas de l'expérience acquise par ces quatre techniciens développeurs démissionnaires en matière de logiciels destinés à équiper des machines de tri postal.

Au vu des pièces versées aux débats, et eu égard notamment :

- à la proportion de salariés embauchés par la société KPS par rapport à l'effectif total de la société Valipost,

- à la courte période de temps au cours de laquelle ces embauches sont intervenues,

- à l'expérience acquise par les salariés embauchés dans un secteur d'activité où, selon les propres conclusions des sociétés [K], peu d'entreprises se trouvaient en concurrence, ce qui réduisait d'autant le « vivier » de salariés potentiels disposant de compétences avérées dans ce domaine particulier,

- aux conditions de ces embauches ci-dessus décrites,

- et à la proximité du lieu d'installation du siège de la société KPS par rapport à celui de la société Valipost,

la cour estime que ces embauches déloyales ont nécessairement entraîné la désorganisation de la société Valipost au plan de ses ressources humaines, dès lors qu'elle a été contrainte de procéder à des embauches successives d'un personnel moins expérimenté qui a eu besoin d'apprendre à travailler ensemble et d'acquérir les compétences techniques requises dans le domaine considéré.

De surcroît, le fait que ces anciens salariés aient été en mesure de démarcher la clientèle de la société Valipost au moyen de documents confidentiels appartenant à la société Valipost, dans les conditions qui seront ci-après décrites, a également désorganisé les activités de cette société.

En conclusion, ce premier fait de concurrence déloyale est établi.

I-B-2°- Sur le démarchage systématique et déloyal des clients de la société Valipost

En droit, il résulte du principe de la liberté du commerce et de l'industrie que le démarchage de la clientèle d'autrui, fût-ce par un ancien salarié de celui-ci, est libre, dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal (v. par ex. : Com. 19 mars 2013, n° 12-16936 ; Com. 28 sept. 2022, n° 21-15892).

Constitue un procédé déloyal le détournement du fichier des clients d'un concurrent pour démarcher sa clientèle, même si le démarchage n'est pas massif ou systématique (Com. 12 mai 2021, n° 19-17714).

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats (cf. not. les pièces n° 40 et 69 de Quadient et le rapport de l'expert M. [A]) qu'à l'occasion des saisies pratiquées sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, ont été trouvés au siège de la société KPS :

- sur le bureau de Mme [B], ancienne salariée de la société Valipost, les tableaux des ventes de consommables réalisées par la société Valipost au cours des années 2009 et 2010 (jusqu'en juin 2010). Ces tableaux, qui mentionnent des noms de clients, les quantités commandées chaque mois par chacun des clients, les tarifs pratiqués, ainsi que les modes et conditions de paiement, comportent des annotations manuscrites, l'indication « à relancer » ayant été portée en marge du nom de certains clients ;

- et sur l'ordinateur portable de M. [U], lui aussi un ancien salarié de la société Valipost, les fichiers « base clients » et « base fournisseurs » appartenant aux sociétés Neopost et Valipost, qui contiennent les conditions de paiement pratiquées par la société Valipost vis-à-vis de ses clients et celles que lui consentent ses propres fournisseurs. Ces documents, respectivement créés les 17 avril et 30 mai 2007, soit avant la création de la société KPS, ont été modifiés par Mme [B] les 2 février et 6 janvier 2011.

Ces tableaux des ventes, comme les fichiers clients et fournisseurs, représentent une valeur commerciale et contiennent des informations à caractère confidentiel et stratégique, les tarifs pratiqués procédant d'un calcul de marge relevant de la stratégie commerciale et financière propre à chaque entreprise.

Outre que leurs assertions sur ce point sont peu crédibles, les sociétés [K] ne démontrent pas qu'à l'occasion de l'ancien partenariat ayant existé entre la société [K] France et la société Valipost jusqu'en 2010, et qui prévoyait que la seconde installait ses logiciels sur des machines de tri postal fabriquées et vendues par la première, la société [K] aurait pu légitimement être rendue destinataire de ces documents confidentiels, et ce d'autant moins que, selon les indications non démenties de la société Quadient (cf. ses conclusions, p. 7, § 20), la société Valipost avait noué des partenariats commerciaux avec d'autres sociétés.

De surcroît, sur la boîte de messagerie électronique de Mme [B], ont été identifiés plusieurs courriels dans lesquels celle-ci a envoyé des propositions de tarifs de consommables à des clients de la société Valipost, en octobre et novembre 2010, soit deux mois après la création de la société KPS. Par exemple, dans un courriel du 4 octobre 2010 (cf. l'un des documents de la pièce n° 70 de Quadient), cette salariée a écrit « Je me suis alignée sur le tarif habituel », et dans autre courriel du 26 octobre 2010 :

« Je me permets de venir vers vous pour vous informer que je ne fais plus partie de la société Neopost Valipost, où vous avez l'habitude de commander des consommables.

[K] Postal Solutions est une filiale du groupe [K] France et a pour activité le traitement des solutions logicielles dans le secteur industriel au même titre que Valipost.

De ce fait, nous sommes en mesure de vous fournir des étiquettes bacs allongés.

Vous pouvez revenir vers moi si vous le souhaitez. »

De fait, dans son rapport (pp. 22 et s.), l'expert judiciaire [A] constate la similitude des tarifs pratiqués par la société KPS avec ceux de la société Valipost en matière de consommables, l'un d'eux étant même vendu moins cher par la société KPS (des étiquettes de « bacs allongés »).

Dès lors qu'il n'est pas établi qu'avant la création de la société KPS, la société [K] France exerçait elle-même l'activité de vente de consommables (les pièces n° 2 et 3 des sociétés [K] renvoient aux clients auxquels [K] France a fourni des locigiels Valipost, ou assuré la maintenance de niveau 1 des matériels et logiciels de Valipost) et que, en tout état de cause, la société KPS n'avait encore aucune clientèle propre à l'époque de ce démarchage accompli deux mois seulement après sa création - les sociétés [K] ne le prétendent d'ailleurs nullement -, c'est de manière inopérante que les appelants tentent de justifier le comportement de la société KPS en faisant valoir que les clients ainsi démarchés étaient avant tout des « clients historiques » de la société [K] France, que cette dernière aurait présentés à la société Valipost à l'époque de leur partenariat antérieur.

L'appropriation, par la société KPS, de ces documents confidentiels lui a concrètement permis, via les anciens salariés de la société Valipost, de démarcher la clientèle de cette dernière, ce qui suffit à caractériser le recours à un procédé déloyal, et ce même si ce démarchage n'était pas massif ou systématique.

Ce n'est donc qu'à titre surabondant qu'il sera relevé que l'expert [A] a constaté, dans son rapport (pp. 19 à 21), que 17 clients de la société KPS sur un total de 31 sont également des clients de la société Valipost et que le pourcentage du chiffre d'affaires représentés par ces clients communs, sans tenir compte de la facturation effectuée par KPS à [K] France, s'élève à 89 % en 2010/2011, 15 % en 2012 et 90 % en 2013, le pourcentage de l'année 2012 s'expliquant par le fait que, sur cette année-là, un seul client a enregistré une facturation élevée (682 898 euros TTC).

En définitive, il résulte de l'ensemble de ces éléments que des anciens salariés de la société Valipost ont, après leur démission et leur embauche par la société KPS, utilisé les fichiers clients et fournisseurs, ainsi que les deux plus récents tableaux tarifaires annuels de la société Valipost, qu'ils avaient conservés par devers eux après leur démission, afin de démarcher la clientèle de cette dernière pour la vente de consommables. La connaissance que la société KPS a ainsi pu avoir des tarifs pratiqués par sa concurrente lui a permis, dès les premiers mois de son activité, de proposer aux clients démarchés des produits identiques ou similaires à des prix égaux, voire inférieurs à ceux proposés par la société Valipost, ce qui était de nature à détourner à son profit la clientèle de la société Valipost. D'ailleurs, il est prouvé que certains clients de celle-ci ont acquis des consommables auprès de la société KPS en septembre 2010, novembre 2010 et janvier 2011 (cf. les factures produites par Quadient, pièce n° 70).

Les faits de démarchage déloyal de la clientèle de la société Valipost sont donc caractérisés.

II-B-3°- La récupération illicite, par les sociétés [K], du savoir-faire technique,

Les sociétés [K] (pp. 42 à 44 de leurs conclusions) demandent l'infirmation du jugement, qui a retenu que KPS aurait développé sa propre solution logicielle en s'inspirant des développements de la société Valipost. Elles font valoir que, dans le cadre de ses nouvelles fonctions, tout salarié peut utiliser les connaissances acquises auprès de son précédent employeur et que la société Quadient dénature le rapport de M. [G], qui reconnaît la réalité de l'effort de fabrication de la solution de la société KPS. Les similitudes entre les solutions logicielles s'expliquent par le fait qu'elles ont été développées sur la base d'un cahier des charges fourni par La Poste. C'est en considération de ce rapport, qui la met hors de cause, que la société Valipost s'est désistée de son action en contrefaçon.

M. [S] (p. 32 de ses conclusions) estime, lui aussi, qu'à l'issue de ses opérations, l'expert judiciaire [G] a écarté toute appropriation du savoir-faire de la société Valipost par la société KPS et, au contraire, constaté l'existence d'un réel effort de fabrication. Le grief de récupération illicite d'un savoir-faire technique de la société Valipost par la société KPS est donc infondé.

La société Quadient (pp. 55-56 de ses conclusions), en s'appuyant sur les conclusions du rapport de M. [G], considère que cet expert judiciaire a constaté la récupération, par les sociétés [K], du savoir-faire technique de la société Valipost en relevant, d'une part, que la société KPS s'était inspirée des développements de la société Valipost pour réaliser ses produits, d'autre part, que le savoir-faire acquis par ses collaborateurs chez la société Valipost leur avait permis de réaliser le nouveau projet sur une durée très notablement inférieure à la durée qui eût été nécessaire pour des informaticiens ne connaissant pas la matière. Elle en conclut que la société KPS a directement bénéficié de la connaissance acquise par les salariés de la société Valipost sur les solutions logicielles de cette dernière et, ainsi, fait l'économie du temps et de l'argent qui auraient dû être consacrés à la phase de conception de ses propres solutions.

Elle ajoute que les saisies opérées par les huissiers de justice ont conforté les constatations de cet expert judiciaire, en mettant en évidence que différents documents relatifs au savoir-faire de la société Valipost avaient été récupérés par les sociétés [K].

Réponse de la cour :

En droit, toute entreprise peut recruter tout salarier utile à son entreprise, fût-ce au sein d'une structure concurrente, le salarié ne pouvant se voir reprocher d'exploiter les compétences qu'il y a acquises et toute entreprise pouvant profiter du savoir et du savoir-faire ainsi acquis dans une autre entreprise (v. par ex. Com. 24 sept. 2013, n° 12-22413).

Cependant, constitue un acte de concurrence déloyale le fait, pour une société, d'utiliser le savoir-faire propre à une autre société et détourné par un ancien employé de cette dernière (v. par ex. : Com. 24 avr. 2007, n° 06-11008 ; Com° 26 juin 2012, n° 11-20629).

En l'espèce, et en premier lieu, il convient de rappeler que la procédure en contrefaçon de logiciel a abouti à un arrêt du 11 février 2016 dont il résulte que la société Valipost avait entendu se désister de ses demandes, l'expertise réalisée par M. [G] ayant écarté toute contrefaçon, mais que ce désistement n'a pu être constaté pour une simple raison procédurale : il n'était pas parfait.

Dans son rapport (p. 8), M. [G] indique notamment que les logiciels élaborés respectivement par les sociétés Valipost et KPS s'adressent tous deux à des clients professionnels devant faire des envois de courrier en grande quantité et qui sont des « grands comptes » de La Poste. Les logiciels devant répondre au cahier des charges de La Poste, ils ont des objectifs identiques : gérer l'impression des étiquettes, trier des fichiers d'adresse et marquer les étiquettes des enveloppes.

Aux termes de ses travaux d'analyse, M. [G] conclut (cf. p. 29 de son rapport, avec les soulignements de la cour) :

« L'analyse a montré qu'il existe des similitudes entre les solutions de Valipost et de KPS. Ces similitudes concernent les points suivants :

Une partie de l'architecture fonctionnelle de l'application en ce qui concerne le stockage de fichiers XML en base de données. Cette similitude est de l'ordre de la conception et présente une originalité même si cette architecture n'est pas la meilleure pour la solution KPS.

Une méthode d'alimentation de la base de données avec le fichier XML. Cette méthode peut être qualifiée de savoir-faire des développeurs même si ce n'est pas non plus la meilleure méthode.

Une structure de fichier trame très similaire qui est de l'ordre de la conception.

L'ampleur des similitudes représente 3 % de l'ensemble de la solution KPS. La charge totale estimée pour les parties concernées par la similitude est de 13,1 jours de travail sur un total estimé de fabrication de l'application de 386 jours.

L'effort de fabrication de la solution KPS est réel et les chiffres fournis par KPS sont cohérents avec l'estimation calculée pour la fabrication des modules analysés. »

Il ressort également de ce rapport d'expertise que :

- l'architecture logicielle élaborée par KPS « présente une originalité, même si celle-ci n'est pas la meilleure et la méthode est du domaine du savoir-faire ou plutôt du savoir non-faire puisque cette méthode n'est pas non plus la meilleure » (p. 24 du rapport) ;

- la solution fabriquée par KPS est basée sur des « librairies », définies dans le glossaire joint au rapport judiciaire comme des programmes élémentaires constitués de blocs de codes effectuant une action bien précise sur des données du programme. Ces librairies sont librement utilisables par d'autres programmeurs. L'utilisation de ces librairies a, selon l'expert, réduit les charges pour fabriquer le produit (cf. p. 27 du rapport), ce qui est logique, celles-ci étant utilisables telles quelles ;

- l'équipe de la société KPS a bénéficié de sa connaissance de l'application avant de commencer le développement du logiciel, « puisque le cahier des charges était le même que celui de Valipost. » Ainsi, les documents de conception sont quasiment inexistants et la charge de conception est très réduite (cf. p. 27 du rapport).

En outre, l'expert relève qu'au 10 février 2011, le logiciel de la société KPS n'était pas terminé, en l'absence de « recette », autrement dit de « validation » de la solution logicielle par La Poste et faute de tests de fonctionnement (p. 27 du rapport), étant précisé que la « recette » constitue l'ultime étape de développement d'un logiciel, après la réalisation de trois séries de tests (cf. p. 11 du rapport).

En conséquence, il ne ressort pas de ces constatations expertales que les anciens salariés de la société Valipost, dont il ne saurait être exigé ni totale amnésie sur leur expérience passée ni renonciation à en faire usage dans leur nouvel emploi, auraient mis en oeuvre, au profit de la société KPS, un savoir-faire technique à caractère confidentiel acquis auprès leur ancien employeur. Il en ressort, tout au plus, que ces salariés ont mis à profit les connaissances personnelles qu'ils avaient acquises chez la société Valipost, notamment s'agissant du cahier des charges établi par La Poste, sans que cela puisse être reproché à faute de la société KPS.

En second lieu, la société Quadient ajoutant que les saisies réalisées par les huissiers ont « conforté les constatations de M. [G] » en révélant que des documents relatifs au savoir-faire de la société Valipost avaient été récupérés par les sociétés [K] (p. 56, point 162 de ses conclusions), la cour en déduit qu'il convient de se référer aux développements figurant dans une autre partie de ses conclusions (p. 58, § intitulé « Concernant le savoir-faire technique de Valipost »), dans laquelle l'intimée soutient notamment qu'il résulte des documents retrouvés aux sièges des sociétés [K] des agissements caractérisant un « pillage en bonne et due forme du savoir-faire. »

Il résulte du rapport établi par M. [A] (pp. 26 à 28) que divers documents ont été appréhendés par les huissiers lors des saisies pratiquées au siège de la société [K] France.

D'abord, ont été saisis les deux documents suivants : l'édition d'un fichier PowerPoint sur « l'architecture Tem'post » sur lequel figure le logo de la société Valipost, ainsi qu'une plaquette intitulée « Fabrication de boîtes en mode fixe », sur laquelle figure le même logo, et qui était également un fichier PowerPoint à l'origine.

Ces deux documents datent de 2006, ce qui conduit l'expert à émettre les hypothèses suivantes : soit ces fichiers ont été pris chez la société Valipost, sur une clé USB, par un salarié qui a démissionné, puis transférés sur le poste de M. [E], de la société [K] France, sans que celui-ci les sauvegarde (sinon la date informatique aurait changé). Soit M. [E] a obtenu ces fichiers à l'époque où les sociétés [K] France et Valipost entretenaient encore des relations, puisqu'elles avaient des clients en commun.

S'agissant de ces relations, l'on relève :

- premièrement, que selon les propres conclusions de la société Quadient (p. 6), l'offre « Tem'post » correspond à celle émise par La Poste en 2002 et octroyant des remises tarifaires aux entreprises effectuant elles-mêmes un pré-triage de leurs courriers. Or, les sociétés [K] et la société Quadient coïncident pour dire que, jusqu'en 2010, elles ont collaboré afin que la société [K] France vendent ses propres machines de mises sous pli en intégrant la solution logicielle développée par la société Valipost, laquelle a été créée en septembre 2002 précisément pour développer un logiciel répondant aux normes édictées par La Poste. Il s'en déduit que la documentation « Tem'post » se rapporte à un logiciel que la société Valopost a installé sur les machines du groupe [K] du temps de cette collaboration ;

- deuxièmement, qu'il résulte du rapport de M. [G] (p. 25) que, pendant le temps de cette collaboration, la société [K] France assurait, sur les machines équipées du logiciel fabriqué par la première, une maintenance de niveau 1 qui ne se bornait pas à signaler les dysfonctionnements des machines pour que la société Valipost les corrigeât. En effet, la société [K] France devait prendre elle-même tous les moyens pour résoudre ces dysfonctionnements, ce qui conduit l'expert à en conclure, sans être critiqué sur ce point, qu'« il est cohérent que [K] possède des logiciels de diagnostic. »

En considération de l'ensemble de ces éléments, la cour estime que la société Quadient ne démontre pas que les deux documents ci-dessus évoqués ont été obtenus de façon illicite par les sociétés [K], c'est-à-dire sans l'autorisation de la société Valipost, notamment via les anciens salariés de cette société, ces documents ayant manifestement été remis pendant le temps de l'étroite collaboration qui a existé entre les sociétés [K] et la société Valipost. Il n'est pas non plus établi que ces documents précis auraient été utilisés par la société KPS, via les anciens salariés de la société KPS qu'elle a embauchés.

Ensuite, ces motifs valent également à l'égard de l'autre document invoqué par la société Quadient et saisi sur le poste de M. [E] de la société [K] France, à savoir la présentation de la société Valipost sur l'architecture CQC et Valitri. En effet, il ressort de l'expertise de M. [A] que ce document provient d'un fichier PowerPoint datant de 2007, de sorte que les mêmes hypothèses peuvent être formulées sur les conditions de son obtention par les sociétés [K], eu égard aux relations ayant existé entre les sociétés [K] et la société Valipost jusqu'en 2010. Et il n'est pas davantage prouvé que la société KPS aurait fait usage de ces documents.

Au surplus, la cour observe que l'argumentation de la société Quadient quant au caractère confidentiel et stratégique des documents trouvés aux sièges des sociétés [K] (cf. ses conclusions point 166, pp. 58-59) se focalise sur les seules bases clients et fournisseurs et les grilles tarifaires, à l'exclusion des documents ici examinés, dont le caractère confidentiel est ainsi postulé sans aucune démonstration.

En définitive, la cour estime qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Quadient ne rapporte pas la preuve de ce que les sociétés [K] auraient, notamment via les anciens salariés de la société Valipost, récupéré de façon illicite le savoir-faire de celle-ci soit en s'appropriant les documents litigieux de manière illicite, soit en les utilisant pour développer sa propre solution logicielle ou créer la société KPS.

Aucune faute n'est donc caractérisée à ce titre.

I-B-4°- Le détournement de la documentation technique, marketing et commerciale de la société Valipost

Les sociétés [K] (pp. 44 à 45) arguent de l'absence de caractère frauduleux des documents techniques commerciaux détenus par les anciens salariés de la société Valipost. En effet, lors de leur collaboration antérieure, les sociétés Valipost et [K] France a échangé des documents confidentiels. De plus, les salariés, autorisés à emporter leurs ordinateurs à domicile, ont pu copier les fichiers sur une clé USB. Enfin, les documents saisis étaient principalement destinés aux clients et partenaires de la société Valipost et n'avaient aucun caractère stratégique. Les documents détenus par la société KPS, qui n'ont donc pas une origine frauduleuse, n'ont pas facilité son action commerciale.

M. [S] (pp. 32-33) estime que l'accusation de la société Quadient, sur ce point, n'est étayée par aucun élément matériel. Il conteste que certains documents de la société Valipost et retrouvés au siège de la société KPS aient été récupérés par lui-même, directement ou indirectement, au profit des sociétés [K].

La société Quadient (pp. 56 à 59) soutient que les saisies opérées au siège des sociétés [K] ont permis de constater qu'un grand nombre de documents créés par les sociétés Valipost ou Neopost, et qui sont donc leur propriété exclusive, ont été détournés par les sociétés [K] par l'intermédiaire des salariés débauchés. Ces documents concernent :

- ses clients (pp. 56-57) : un fichier clients faisant notamment référence aux conditions de paiement consenties par la société Valipost à ses clients, et des tableaux des ventes des consommables de 2009 et 2010, qui ont été utilisés par la société KPS ;

- ses fournisseurs (p. 57) : un document Excel intitulé « base fournisseurs », mentionnant les conditions de paiement en vigueur avec ses trois principaux fournisseurs, l'expert [A] ayant constaté que les sociétés [K] avaient eu recours à ces mêmes fournisseurs, illustrant la « démarche d'imitation systématique » adoptée par KPS dès sa création ;

- la documentation marketing et commerciale (pp. 57-58) : divers documents, détournés au profit des sociétés [K] par MM. [R] et [S], directement ou indirectement par le biais des salariés dont ils ont favorisé le débauchage ;

- le savoir-faire technique (p. 58).

Ces agissements, caractérisant un pillage du savoir-faire et de la documentation commerciale et stratégique de la société Valipost, ont été constatés par l'expert judiciaire M. [A].

Contrairement à ce que soutiennent les sociétés appelantes, l'existence du partenariat commercial entre la société [K] France et la société Valipost ne peut suffire à expliquer qu'elles se soient trouvées en possession de documents confidentiels et stratégiques tels que les bases clients et fournisseurs, et encore moins que ces documents se soient retrouvés, en 2010, annotés, sur les bureaux des salariés débauchés de la société Valipost. Et même à supposer que celle-ci ait remis cette documentation aux sociétés [K], l'utilisation déloyale que ces dernières en ont faite pour la création de KPS justifie leur condamnation. C'est bien le détournement illicite et l'usage déloyal de ces documents qui doivent être sanctionnés. La récupération illicite de ces documents stratégiques a notamment favorisé le démarchage systématique des clients de la société Valipost.

Réponse de la cour :

En droit, la Cour de cassation a déjà jugé que l'appropriation, par des procédés déloyaux, d'informations confidentielles relatives à l'activité d'un concurrent, constitue un acte de concurrence déloyale (Com. 8 févr. 2017, n° 15-14846 ; Com. 18 nov. 2020, n°

 

18-19012) et que l'appropriation d'informations confidentielles appartenant à une société concurrente apportées par un ancien salarié, ne serait-il pas tenu par une clause de non-concurrence, constitue un acte de concurrence déloyale (Com. 7 sept. 2022, n° 21-13505).

En l'espèce, et à titre liminaire, il convient de rappeler que la cour a déjà examiné, ci-dessus, le cas de certains documents auxquels renvoient les faits ici examinés. Ainsi :

- dans le paragraphe relatif aux faits de démarchage déloyal de la clientèle, ont été examinés les documents relatifs aux clients et aux fournisseurs de la société Valipost, et donc le fichier clients et les tableaux des ventes, et le fichier fournisseurs ;

- et, dans le paragraphe relatif à la récupération illicite du savoir-faire technique, ont été examinés les documents concernant prétendument le savoir-faire technique de la société Valipost.

Concernant le reste des documents concernés par les développements de la société Quadient sur ce point, il est certes exact que, lors des saisies opérées par les huissiers de justice, ont également été trouvés aux sièges des sociétés [K] un document Excel intitulé « CM KPS 2010.xls », créé en 2007 par la société Valipost, ainsi qu'un communiqué de presse intitulé « La Banque Postale choisit [K] France pour le renouvellement de son parc de mises sous pli » faisant, en réalité, référence à son concurrent Neopost (devenu Quadient). Néanmoins, la société Quadient ne démontre aucunement que ces documents-là contiendraient des informations confidentielles ou stratégiques relatives à l'activité de la société Valipost ou Neopost. Au demeurant, tel qu'il a déjà été observé précédemment, l'argumentation de la société Quadient relative au caractère confidentiel et stratégique des documents trouvés aux sièges des sociétés [K] (pp. 58-59, point 166, de ses conclusions) ne porte que sur les bases clients et fournisseurs et les grilles tarifaires, à l'exclusion des deux documents ici en cause.

Dans ces conditions, ni le détournement de ces documents ni leur usage - au demeurant pas davantage démontré par la société Quadient - ne seraient constitutifs de faits de concurrence déloyale.

Aucune faute de détournement illicite ou d'usage de la documentation technique, marketing et commerciale de la société Valipost n'est donc caractérisée.

En conclusion sur ce paragraphe I-B, il est établi que seuls deux faits de concurrence déloyale sont caractérisés contre les sociétés [K] : le débauchage déloyal des salariés de la société Valipost et le démarchage déloyal de la clientèle de cette dernière.

En revanche, la cour estime, à l'inverse des premiers juges, qu'au vu des pièces versées aux débats, il n'est pas démontré par des éléments suffisamment concrets et tangibles que MM. [S] et [R] auraient eux-mêmes participé à la commission de ces faits de concurrence déloyale. Cela est si vrai que, sur ce point, la société Quadient procède par voie d'affirmations générales et vagues, sans avancer d'éléments précis et concordants étayant ses assertions.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il dit que les sociétés [K] ont commis des actes de concurrence déloyale et, à l'inverse, infirmé en ce qu'il dit que MM. [R] et [S] ont concouru aux actes de concurrence déloyale commis au préjudice de la société Valipost, devenue Quadient.

I-C- Sur la violation de leur clause de non-concurrence reprochée à MM. [R] et [S]

Les sociétés [K] contestent la violation, par MM. [R] et [S], de la clause de non-concurrence ayant contribué à la création de la société KPS. A l'appui, elles font notamment valoir ces éléments :

- (pp. 24 à 26) les démissions de MM. [R] et [S] ont pour origine une mésentente avérée avec le groupe Valipost au sujet de leurs rémunérations et sont donc étrangères à une volonté de rejoindre la société [K] France à la création de la société KPS. La société [K] France n'a accompli aucun acte positif de démarchage à l'égard des intéressés ni n'est à l'origine de leurs démissions ;

- (pp. 26 à 34) les sociétés [K] et MM. [R] et [S] n'ont pas collaboré pendant la durée de validité de la clause de non-concurrence. A cet égard, les premiers juges se sont fondés, à tort, sur un extrait du rapport d'expertise de M. [M], qu'ils ont dénaturé.

Les sociétés [K] réfutent ensuite, successivement, chacun des éléments retenus par les premiers juges pour considérer que la clause de non-concurrence avait été méconnue et qui portent sur :

- (i) la démission des salariés de la société Valipost (p. 29) ;

- (ii) le courriel de M. [R] à M. [N] concernant un business plan (p. 30) ;

- (iii) la location d'un immeuble professionnel par la société KPS (pp. 30 à 31) ;

- (iv) le dépôt du nom de domaine « kernpostal.com » par M. [R] (p. 32) ;

- (v) la participation de MM. [R] et [S] à une réunion professionnelle organisée par la société [K] France le 8 octobre 2010 (pp. 32 à 33).

Elles en concluent que la société [K] France a créé la société KPS sans le concours de MM. [R] et [S], puis développé huit logiciels sans qu'on puisse lui reprocher un acte de contrefaçon.

M. [R] demande, à titre liminaire (pp. 3-4), le rejet de la pièce n° 95 annexée aux conclusions signifiées par la société Quadient le 24 novembre 2023, en application des articles 15 et 16 du code de procédure civile.

Sur le fond (pp. 14 à 23), M. [R] conteste chacun des éléments dont le jugement entrepris a tenu compte pour retenir un manquement à la clause de non-concurrence, et critique la motivation de ce jugement.

M. [S] soutient, d'abord, qu'il n'a pas participé directement ou indirectement à la création et au développement de la société KPS, ensuite, qu'il n'a pas participé aux actes de concurrence déloyale reprochés par le groupe [K]. Sur le premier point, M. [S] conclut, à la suite de développements détaillés (pp. 17 à 30), que :

- sa démission de la société Valipost est la conséquence de la dégradation de ses relations professionnelles avec la nouvelle direction mise en place par la société Quadient ;

- les projets évoqués par le dirigeant de [K] France dans son courriel du 29 avril 2010 n'ont jamais abouti le concernant, ni même reçu un commencement d'exécution ;

- sa participation à un colloque organisé par [K] France ne constitue ni une violation de son engagement de non-concurrence, ni la preuve de sa participation à la création et/ou au développement de KPS ;

- l'acquisition des locaux occupés par KPS ne constitue pas une violation de son engagement de non-concurrence, cette acquisition n'ayant pas eu pour conséquence de faciliter l'installation de la société.

Il en conclut que c'est à tort, et aux termes d'une motivation défaillante, que le tribunal a considéré qu'il avait violé cet engagement de non-concurrence.

La société Quadient fait valoir que les sociétés [K] ont commis des actes de concurrence illicite avec le concours de MM. [R] et [S] (pp. 36 à 64 de ses concl.). Dès leur départ de la société Valipost, ces derniers ont travaillé avec la société [K] France à la création et au développement de la société KPS, en violation de leur clause de non-concurrence, et, grâce à leur concours essentiel et déterminant, les sociétés [K] :

- ont débauché massivement et de manière déloyale les autres salariés clés de la société Valipost, s'appropriant ainsi le savoir-faire technique et commercial de cette dernière ;

- se sont approprié de manière illicite de la documentation technique, marketing et commerciale appartenant aux sociétés Valipost et Neopost France ;

- et ont entrepris de démarcher, de manière systématique et illicite, les clients de la société Valipost.

Puis elle fait essentiellement valoir ces éléments (pp. 37 à 50) :

- les appelants se sont concertés pour élaborer un plan consistant à piller les ressources de la société Valipost au bénéficie de la nouvelle société à constituer, KPS, ainsi qu'il ressort d'un échange de courriels du 30 avril 2010 entre M. [N], directeur général de [K] France, et M. [K]. Ce projet s'est rapidement concrétisé par la réalisation de chacune des étapes du plan exposé par M. [N], parmi lesquelles le débauchage des salariés clés de la société Valipost ;

- aucun des arguments mis en avant par les appelants ne remet en cause la réalité de ces faits. En particulier :

- peu importe de savoir si l'idée du projet de création de KPS a précédé la démission de MM. [R] et [S], dès lors qu'il est incontestable que c'est à la faveur de leur départ que les sociétés [K] l'ont concrétisé ;

- il est indifférent de savoir lequel des coauteurs de la concurrence déloyale a pris l'initiative d'une collaboration illicite, dès lors que celle-ci est avérée et a eu lieu au mépris de l'engagement de non-concurrence dont les sociétés [K] avaient connaissance ;

- l'expert [A] confirme que MM. [R] et [S] ont eu des contacts avec les sociétés [K] à une époque où ils étaient encore tenus par la clause de non-concurrence ;

- il n'est pas douteux que la signature du bail et l'entrée en jouissance de la société KPS dans les locaux situés dans le Nord ont été concomitantes de l'offre d'acquisition faite par M. [S] auprès du promoteur de la zone d'activité concernée. En louant des locaux professionnels à un concurrent de la société Valipost, M. [S] a facilité son installation et contribué à son développement, d'autant plus que cette localisation était cruciale dans le plan de création de la société KPS, cela devant permettre de débaucher les salariés domiciliés dans les environs. Le concours de M. [S] dans la recherche des locaux de KPS était déterminant et précieux, l'intéressé connaissant la région de [Localité 13], à l'inverse des sociétés [K] ;

- les sociétés [K] ne nient pas que l'ensemble des participants à la réunion d'octobre 2010 étaient des salariés de [K] et qu'aucun autre invité extérieur n'y était convié. Elles ne démontrent pas non plus la participation d'autres intervenants extérieurs à [K].

En conclusions, la société Quadient considère qu'il est clair que le concours illicite de MM. [R] et [S], dont [K] France a bénéficié dès 2010, a été un élément déclencheur dans sa décision de créer une nouvelle filiale destinée à concurrencer la société Valipost sur un marché encore très novateur.

Réponse de la cour :

Le débiteur d'une clause de non-concurrence qui méconnaît cette clause engage sa responsabilité contractuelle sur le fondement de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable en la cause eu égard à la date de signature du contrat litigieux.

Il appartient au créancier de l'obligation de non-concurrence de rapporter la preuve de la faute, consistant en une violation de la clause, de l'étendue du préjudice allégué et du lien de causalité entre ce préjudice et la faute reprochée (v. par ex. Com. 26 sept. 2018, n° 16-28133).

Par ailleurs, le tiers qui se rend complice de la violation d'une clause de non-concurrence commet une faute délictuelle, constitutive de concurrence déloyale (v. par ex. : Com. 16 févr. 2016, n° 13-27430 ; Com. 22 févr. 2000, n° 97-18728 ; Com. 5 nov. 1991, n° 88-19034), sans qu'il soit nécessaire d'établir à son égard l'existence de manoeuvres déloyales (Com. 16 oct. 2019, n° 18-15418). La seule connaissance, par ce tiers, de l'existence de la clause suffit à engager sa responsabilité, peu important le moment où cette connaissance intervient (v. par ex. : Com. 5 févr. 1991, n° 88-18400, publié ; Com. 12 oct. 2010, n° 09-67407 ; Com. 16 févr. 2016, n° 13-27430) ou le fait que ce tiers n'ait pas incité le débiteur à violer son engagement de non-concurrence (Com. 13 mars 1979, n° 77-13518, publié).

En l'espèce, la clause de non-concurrence obligeant MM. [R] et [S] à l'égard de la société Valipost résulte de l'article 6 du contrat de cession du 16 février 2007, rédigé en ces termes :

« Les cédants s'engagent, pour une durée de cinq (5) ans à compter de la date de cession, sauf à y avoir été préalablement et par écrit autorisés par le Cessionnaire, à :

i) ne pas entreprendre, ni exploiter directement ou indirectement l'une quelconque des activités exercées par la Société en dehors de celle-ci, ni d'activités similaires ;

ii) ne pas faciliter directement ou indirectement, y compris par le biais de prises de participations, l'installation ou le développement d'un concurrent dans le domaine des activités exercées par la Société [Valipost] ou un domaine similaire.

Le présent engagement s'applique aux territoires de l'Europe et de l'Amérique du Nord et bénéficie à l'ensemble des filiales du Groupe Neopost. Le terme « Groupe Neopost » recouvrant toute entité contrôlée directement ou indirectement par la société Neopost S.A. au sens de l'article 233-3 du Code de commerce. »

Les parties ne disconviennent pas de ce qu'en application de cette clause, dont la validité n'est pas critiquée, l'obligation de non-concurrence a expiré le 16 février 2012.

La situation de concurrence entre les sociétés Valipost et KPS n'est pas non plus discutée ni discutable, ces sociétés exerçant pour partie les mêmes activités.

Il a déjà été exposé ci-dessus (§ « Les actes de concurrence déloyale allégués ») qu'il résulte d'un courriel du 29 avril 2010, appréhendé lors de saisies opérées sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, que M. [N], dirigeant de la société [K] France, a élaboré un « plan d'action » détaillé, en six étapes, destiné à créer une société concurrente de la société Valipost.

Ce courriel s'achève ainsi (soulignement de la cour) : « Je reste à votre disposition pour tout complément d'information et pour l'organisation éventuelle d'une visite de nos amis en Suisse », le siège de l'une des sociétés du groupe [K] étant situé dans ce pays.

Bien que MM. [R] et [S] contestent la force probante de ce courriel, il convient de relever, en premier lieu, que cette pièce contient des informations précises concernant la société Valipost, ses activités et les salariés dont l'embauche était envisagée, le scripteur indiquant explicitement que ces informations proviennent de MM. [R] et [S], nommément désignés. Ces informations sont notamment relatives au chiffre d'affaires moyen de la société sur les trois dernières années et à son résultat net, au contrat de cession incluant une clause de non-concurrence à la charge de MM. [R] et [S] jusqu'au « 18 » février 2012, aux noms des salariés de la société Valipost à débaucher, avec leurs qualités, salaires et avantages (tickets restaurant, mutuelle, voiture ou téléphone), et à la durée du délai de préavis s'imposant aux deux premiers salariés à débaucher (M. [U] et Mme [B]).

Contrairement à ce que soutient M. [R], certaines de ces informations ne sont pas accessibles au public. D'ailleurs, dans son rapport, l'expert judiciaire M. [M] relève lui-même que « les informations contenues dans ce mémorandum ne pouvaient pas de prime abord être connues de M. [N] au motif qu'elles ne sont pas disponibles 'sur la place publique.- » (p. 82).

En second lieu, tel qu'indiqué précédemment (cf. le § « Les actes de concurrence déloyale allégués »), la stratégie développée dans ce courriel tenait en six étapes :

1°- la création d'une nouvelle structure dans le Nord de la France, dont le capital serait détenu par MM. [K], [N], [S] et [R], ainsi que le personnel qui démissionnerait de la société Valipost pour rejoindre cette structure, étant précisé entre parenthèses « sachant que pour [J] [S] et [O] [R] il faudrait prévoir un engagement de cession des parts du capital à la date de février 2012 »;

2°- la recherche de locaux pour accueillir « sept personnes » - la cour relevant qu'en ajoutant MM. [S] et [R] aux cinq salariés évoqués à l'étape 4, le total s'élève à sept personnes ;

3°- le dépôt d'un brevet pour le projet évoqué de compteuse de plis ;

4°- le recrutement du personnel de la société Valipost « dans l'ordre ci-dessous avec leur rémunération et leurs avantages actuels ». Il est renvoyé, sur ce point, aux motifs ci-dessus rappelant les noms de ces salariés, dans l'ordre figurant dans ce courriel ;

5°- les conditions de rémunérations de MM. [S] et [R], à définir, « pour les deux phases avant et après février 2012 » - c'est-à-dire après l'expiration du délai d'application de leur engagement de non-concurrence ;

6°- « par souci de rapidité », la signature des contrats des salariés M. [U] et Mme [B] par [K] France pour qu'ils travaillent pour la nouvelle structure dès sa création.

Dans sa dernière partie (§ D « Planning de décision »), ce courriel insistait de nouveau sur l'urgence à prendre une décision, par cette formulation : « Il est fondamental pour la réussite du projet que [K] prenne une décision très rapidement car le temps est compté. »

Et tel qu'il a également été exposé ci-dessus, les étapes préalables essentielles et urgentes détaillées dans ce « plan d'action » se sont concrétisées très rapidement après l'envoi de ce courriel :

- l'étape 1 par la création de la société KPS dès le 8 août 2010 ;

- l'étape 2 par la trouvaille, dans le Nord, de locaux dans lesquels la société KPS a installé son siège, le bail portant sur ces locaux ayant été conclu par la société [K] France dès le 25 juin 2010 (cf. pièce n° 67 de Quadient) ;

- et les étapes 4 et 6 par l'embauche de cinq salariés de la société Valipost par la société KPS, les deux premiers, précisément choisis, ayant été recrutés dès la création de cette société comme il était projeté dans le courriel du 29 avril 2010.

Au demeurant, dans des dires des 28 février et 31 juillet 2017 envoyés par le conseil des sociétés [K] à l'expert [A], il est reconnu que ces sociétés ont envisagé une collaboration avec MM. [S] et [R] fin avril/début mai 2010 (cf. la pièce n° 58 de Quadient), ce que M. [R] confirme encore dans ses écritures (p. 19).

Les étapes essentielles et la majorité du plan d'action (4 étapes sur 6) ayant donc été exécutées, il importe peu que ni l'étape 3 (dépôt d'un brevet) ni l'étape 5 (la fixation de la rémunération de MM. [S] et [R]) n'aient été mises en œuvre. Dès lors, il n'importe pas que ces derniers n'aient perçu aucune rémunération de la part du groupe [K], et ce d'autant plus que, les faits de concurrence déloyale ayant été portés à la connaissance de la société Valipost dès le début de l'année 2011, les parties à ce plan d'action n'ont manifestement pas eu le temps de réaliser l'étape 5 - nullement prioritaire au regard des autres - puis ont été contraintes d'y renoncer, sous peine de révéler de manière trop flagrante la violation de la clause de non-concurrence. En outre, la clause de non-concurrence s'applique indépendamment de la perception de toute rémunération par MM. [R] et [S] de la part du concurrent de la société Valipost.

Dès lors, il n'y a pas lieu de répondre aux développements consacrés par les parties à l'absence de perception, ou non, d'une quelconque rémunération, directe ou indirecte, par MM. [S] et/ou [R] de la part de l'une ou l'autre des sociétés [K].

De ces seuls éléments, la cour estime qu'il ressort à suffisance que MM. [S] et [R] ont apporté à la société [K] France leur aide active à la création de la société KPS et au débauchage des salariés de la société Valipost par la société KPS, ce qui caractérise un manquement à leur engagement contractuel de « ne pas faciliter directement ou indirectement (...) l'installation ou le développement d'un concurrent dans le domaine des activités exercées par la société [Valipost]. »

Par conséquent, cela suffit à engager la responsabilité contractuelle de MM. [S] et [R] et la responsabilité délictuelle des sociétés [K] pour complicité dans la violation de la clause de non-concurrence, celles-ci ayant reçu l'aide de MM. [R] et [S] en toute connaissance de l'existence de la clause de non-concurrence litigieuse, ainsi qu'il résulte des termes du courriel précité du 29 avril 2010.

Ce n'est donc qu'à titre surabondant que la cour ajoutera qu'il existe d'autres éléments corroborant la violation de la clause de non-concurrence et la complicité des sociétés [K] dans cette violation. Ainsi :

- dans un courriel envoyé le 4 mai 2010 au président de la société Valipost, à propos du différend relatif au paiement du solde du prix de cession (cf. pièce n° 17 de Quadient), M. [R] écrit notamment ceci : « Même si je ne suis plus sur le marché postal, mes relations et mon influence ont encore beaucoup de poids, ne soyez pas étonné[s] si ce marché vous échappe à nouveau et plus vite que vous ne le pensez... » ;

- le 11 mai 2010, M. [R] a envoyé à M. [N] un nouveau courriel, dont l'objet a été intitulé par l'expéditeur lui-même « business plan », qui contient un lien hypertexte suivi de cette phrase : « à installer suivi du business plan, li[s]-le tranquillement, on s'appelle en fin d'ap. » (cf. p. 31 du rapport [A] et pièce n° 65 de Quadient). Ce courriel a été transféré le 11 mai 2010 à M. [D], appartenant au groupe [K], avec la phrase « Info en provenance de nos amis », appellation déjà employée pour désigner MM. [S] et [R] dans le courriel du 29 avril 2010 définissant le « plan d'action. »

Les explications de M. [R] selon lesquelles, par ce courriel, il se serait borné à orienter M. [N] vers un site proposant des modèles et tutoriels pour l'élaboration de documents de gestion d'entreprise, ne sont non seulement pas crédibles, le destinataire, dirigeant d'entreprise, étant présumé capable d'élaborer lui-même un business plan, mais elles ne sont de surcroît pas démontrées, la charge de la preuve de la réalité d'une telle assertion reposant bien sur M. [R], dans la mesure où il ressort de cette pièce que ce dernier a envoyé un business plan à M. [N] ;

- après sa démission, M. [S] a créé, le 4 mai 2010, la société de droit belge Valorys qui, le 18 octobre 2010, a ouvert une succursale en France précisément dans la zone d'activité commerciale où se situe le siège de la société KPS.

Il résulte certes des pièces versées aux débats (cf. not. pièces n° 16 à 18 de M. [S]) que la société KPS a d'abord signé, le 25 juin 2010, le bail portant sur ses locaux d'exploitation avec la SCI Les Pyramides et que la société Valorys n'est devenue sa bailleresse qu'à la suite de l'acquisition de l'immeuble en septembre 2010, soit après la création de la société KPS (le 2 août précédent).

Cependant, le compromis d'acquisition de cet immeuble a été signé dès le 6 août 2010, soit quatre jours seulement après la création de la société KPS, et alors même que celle-ci n'était pas encore immatriculée au RCS. D'ailleurs, l'attestation produite par M. [S] lui-même (cf. sa pièce n° 15) et selon laquelle il a contacté « en début d'année 2010 » l'agence immobilière lui ayant proposé d'investir dans l'immeuble de la SCI Les Pyramides, confirme que l'intéressé était à la recherche d'un bien immobilier dans le Nord de la France bien avant la signature du compromis de vente précité et la création de la société KPS - étant rappelé qu'à cette même période, le groupe [K], dont les sociétés étaient jusqu'alors implantées en Suisse, dans l'Est et en région parisienne, était justement à la recherche d'un local dans le Nord afin d'y implanter la société KPS à créer.

De fait, M. [S] ne donne aucune raison objective ni explication convaincante à sa décision de faire acquérir par sa nouvelle société cet immeuble précis, à cet endroit-là et au moment même où la société KPS venait d'être créée.

Le fait que sa société Valorys devienne la bailleresse de la société KPS implique que la première s'est engagée à fournir à la seconde des locaux en état de servir à l'usage auquel ils sont destinés pendant toute la durée du bail. Cette mise à disposition d'un local commercial constitue une manière indirecte de faciliter le développement de la société KPS, concurrente de la société Valipost.

En tout état de cause, cette simple location démontre, si besoin était encore, la persistance de relations privilégiées entre le groupe [K] et M. [S] dans les tous premiers jours qui ont suivi la création de la société KPS (le 2 août 2010) ;

- le 11 août 2010, soit après la création de KPS, mais avant son immatriculation (le 16 septembre 2010), M. [R] a fait l'acquisition des noms de domaine « kernpostal.com » et « kernpostalsolutions.com » (cf. le rapport judiciaire [A], pp. 23-24). Nonobstant le fait qu'est des plus surprenantes l'affirmation de l'intéressé selon laquelle il a agi de la sorte « sans savoir la finalité de ce dépôt » (v. ses conclusions, p. 19), il est indifférent que ces noms de domaine n'aient pas été exploités en définitive, leur seul dépôt confirmant l'existence de liens étroits entre M. [R] et le groupe [K], au point que celui-là connaissait à la fois le nom de la nouvelle structure et sa date de création, avant même son immatriculation au RCS ;

- il résulte d'un courriel découvert à l'occasion des saisies réalisées par huissier de justice, que le 8 octobre 2010, soit deux mois après la création de la société KPS, MM. [S] et [R] ont participé, avec M. [F], alors encore salarié de la société Valipost, à une réunion organisée par le groupe [K] ayant pour objet « L'évolution du paysage postal en France et en Europe » (cf. pièce n° 68 de Quadient). M. [F] venait alors de donner sa démission à la société Valipost, mais celle-ci ne prenait officiellement effet qu'à compter du 10 novembre 2010, pour travailler au sein de la société KPS.

Cette pièce laissant clairement entendre qu'en dehors des trois personnes ci-dessus nommées, tous les participants appartenaient au groupe [K], c'est bien aux appelants, qui le contestent, qu'il incombe d'établir que tel ne serait pas le cas. A cet égard, la liste élaborée par M. [S] lui-même (cf. sa pièce n° 35) ne revêt aucun caractère probant, celle-ci n'étant corroborée par aucun élément objectif.

En toute hypothèse, quel que soit l'objet de cette réunion, la participation des trois personnes précitées montre qu'il existait entre MM. [S], [R] et [F], très précisément à une époque contemporaine de la création de la société KPS, des relations ayant pour dénominateur commun le groupe [K], étant rappelé que M. [F], embauché dès le 7 septembre 2010, a intégré officiellement la société KPS moins d'un mois après cette réunion. La coopération de M. [F] avec l'équipe de la société KPS, dès cette période et avant même son départ officiel de la société Valipost (le 10 novembre 2010), est d'ailleurs corroborée par des courriels envoyés les 20 et 25 octobre 2010 par Mme [B], ancienne salariée de la société Valipost embauchée par la société KPS dès sa création (cf. p. n° 70 de Quadient) ;

- le 3 décembre 2010 (cf. pp. 31-32 du rapport [A]), le directeur général délégué de la société Valipost, M. [T] [H], a envoyé à M. [X] un courriel afférent à une machine de tri Neopost suédoise, accompagné de photos et du texte suivant : « Petit mail de [T] suite à sa visite à Copenhague au salon de (...). Machine rudimentaire de tri mais très facile à réaliser... Voir Seb pour les traductions suédoises... ». Puis M. [X], destinataire de ce courriel et gérant de la société Technoff dont M. [R] détient 20 % des parts (cf. le rapport d'expertise de M. [M], p. 57), l'a transféré le même jour à MM. [S], [R] et [F]. Ces éléments confirment donc qu'il existait toujours, à l'époque même où M. [F] venait d'être embauché par la société KPS, des liens étroits entre MM. [R], [F] et [S] concernant l'activité de tri postal.

C'est en vain que les sociétés [K] et MM. [S] et [R] contestent la plupart de ces éléments factuels en les isolant les uns des autres, et ce à dessein manifeste de leur voir ôter toute portée probatoire. En effet, à moins que le débiteur d'une obligation de non-concurrence ne soit singulièrement imprudent, inconséquent ou oublieux de ses obligations contractuelles, la violation d'une clause de non-concurrence ressort le plus fréquemment d'un faisceau d'indices concordants, et non de comportements ostensiblement contraires à une telle clause.

C'est d'ailleurs ainsi qu'il convient d'interpréter les conclusions, de prime abord contradictoires - et qui, en tout état de cause, ne lient pas la cour -, par lesquelles l'expert judiciaire M. [M] écrit (cf. p. 83 de son rapport) :

- d'un côté, que MM. [R] et [S] « n'ont pas, par leur fait, facilité l'installation et le développement de la [société KPS] en incitant des clients, fournisseurs et salariés de la [société Neopost] et/ou de la [société] Valipost à nouer des relations avec la [société KPS] et/ou la [société] [K] France, au motif que l'expert n'a pas eu communication des pièces et documents permettant de mettre en cause » MM. [R] et [S] ;

- et, de l'autre, que MM. [R] et [S] « ont facilité directement et indirectement l'installation de la [société KPS] et le développement de la [société [K] France], concurrente des [sociétés] Neopost et Valipost dans le domaine des activités exercées par ces dernières », et que les mêmes « n'ont pas respecté 'l'esprit et la lettre- de leur clause de non-concurrence. »

Même si, au vu des pièces versées aux débats, les démissions simultanées de MM. [R] et [S], le 15 février 2010, ont notamment pour origine un différend les opposant à la nouvelle direction de la société Valipost au sujet du non-paiement de l'earn out qui leur était contractuellement dû à titre de complément de prix de cession, la cour estime qu'il résulte de tout ce qui précède un cumul de nombreux éléments précis et concordants démontrant que MM. [R] et [S] ont, après leur démission et pendant la durée d'application de la clause de non-concurrence, contribué à la création et au développement de la société KPS, concurrente de la société Valipost, en méconnaissance de leur engagement de non-concurrence.

De leur côté, les sociétés [K] se sont rendues complices de la violation de cette clause en acceptant le concours de MM. [S] et [R] dans la création et le développement de la société KPS, cependant qu'elles avaient connaissance à la fois de l'existence et de la date d'expiration de cette clause, ainsi qu'en témoigne le courriel de M. [N] du 29 avril 2010.

Les manquements contractuels de MM. [S] et [R] et les fautes délictuelles des sociétés [K] sont, dès lors, établis à ce titre.

En considération de tout ce qui précède, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a dit que MM. [R] et [S] avaient violé leur clause de non-concurrence.

I-D- Sur les préjudices invoqués par la société Quadient

Les sociétés [K] soutiennent, à titre liminaire (pp. 64-65), que :

- à la suite du rapport du cabinet Per qu'elles-mêmes ont fait établir, la société Quadient a revu son préjudice à la baisse après la refonte de l'analyse du cabinet Eight Advisory (le cabinet 8A), missionné par celle-ci, dans une note de synthèse du 30 juin 2023. Cela a contraint le cabinet Per à produire une nouvelle note de synthèse le 7 novembre 2023, à l'issue de laquelle il conclut que les différents postes de préjudice appelés « pertes subies » ne sont pas démontrées ;

- alors qu'en droit, les juges ne peuvent se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande d'une des parties et doivent se référer à d'autres éléments de preuve, en l'espèce, les premiers juges se sont fondés exclusivement sur le seul rapport extrajudiciaire du cabinet 8A pour évaluer le préjudice. De plus, ce rapport ne respecte pas les règles de l'art. Enfin, les premiers juges ont formulé des appréciations contradictoires à propos de ce rapport, sans en tirer les conséquences logiques qui s'imposaient.

Elles développent ensuite une argumentation en quatre points :

- (1) le rapport du cabinet 8A n'est pas probant et doit être écarté des débats (pp. 67 à 70) ;

- (2) la société Quadient dissimule un sinistre subi par la société Valipost et sans lien avec elles-mêmes, les sociétés [K] (pp. 70 à 74) ;

- (3) les préjudices financiers allégués ne sont pas prouvés (pp. 74 à 83) ;

- (4) leurs propres difficultés économiques et financières confirment l'absence de préjudice de la société Quadient (pp. 83 à 89).

Elles s'opposent à la demande subsidiaire d'expertise complémentaire formée par la société Quadient, compte tenu de l'ancienneté de la procédure et des frais qu'elles ont déjà supportés (p. 83).

En conclusion (p. 89), elles estiment que l'exposé que leur situation économique et financière confirme l'absence de préjudice des sociétés Neopost et Valipost, et que le préjudice retenu par les premiers juges à un montant arbitrairement arrêté à la somme de 900 000 euros repose sur des éléments non prouvés ni probants, devant être écartés des débats.

M. [R] (pp. 23 à 26) réfute, d'abord, l'existence d'un lien de causalité entre les fautes reprochées et les préjudices invoqués.

Ensuite (pp. 26 à 38), concernant le préjudice allégué, il conteste, à titre liminaire, le rapport établi par le cabinet 8A, pour plusieurs raisons qu'il détaille. Il en conclut que le tribunal ne pouvait accorder aucun crédit à ce rapport. Il ajoute que le rapport du cabinet Per, produit par les sociétés [K], démontre que le rapport du cabinet 8A est un rapport de complaisance dont les conclusions sont critiquables et que Quadient a tenté de faire supporter aux appelants de très lourds investissements sans lien avec les faits de l'espèce.

M. [R] fait siens les développements et conclusions des sociétés [K] et du rapport Per concernant les préjudices. Il réfute ainsi successivement tous les postes de préjudice allégués (pp. 30 à 37).

Enfin (pp. 37-38), il critique la motivation des premiers juges, qui n'ont pas explicité leur méthode d'évaluation, ont fixé de manière forfaitaire et arbitraire l'indemnisation sans la justifier et prononcé une condamnation in solidum sans rechercher la part de responsabilité de chacun dans la production du dommage, alors qu'il leur avait été demandé d'établir une clé de répartition de la réparation du préjudice en fonction de la gravité des fautes commises par chaque défendeur.

M. [S] (pp. 37-38) soutient, d'abord, que la société Quadient ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité direct et certain entre son comportement à lui et le préjudice allégué. L'invocation, par l'intimée, d'un préjudice « global et indivisible » pour obtenir une condamnation in solidum des appelants ne vise, en réalité, qu'à camoufler l'absence d'élément de nature à le rattacher, lui, M. [S], directement au préjudice invoqué.

Ensuite (pp. 38 à 49), il fait valoir que le préjudice invoqué n'est pas sérieux. En effet, l'évaluation repose sur le rapport du cabinet 8A, commandé par les sociétés Neopost et Valipost. C'est à tort que, pour évaluer le préjudice, le tribunal s'est fondé sur ce rapport, dont les conclusions sont sérieusement critiquables, sur la forme comme sur le fond, ainsi que le démontre le rapport du cabinet Per. La société Quadient ne produit aucun autre élément démontrant son préjudice. Les préjudices dont l'indemnisation est réclamée sont contestables, en raison de l'absence de lien de causalité entre les faits qui lui sont reprochés et certains postes, ou de tout préjudice.

Il en conclut (pp. 43 à 49) que l'ensemble du préjudice financier invoqué par la société Quadient est infondé, comme le démontre le cabinet Per, dont il fait siennes l'ensemble des critiques et démonstrations.

La société Quadient (pp. 67 à 69) estime que son préjudice s'élève au moins à la somme de 1 690 000 euros entre 2010 et 2014, cette somme incluant 1 032 000 euros de gains manqués et 577 000 euros de pertes subies, comme l'a constaté le cabinet 8A (v. le détail des préjudices, pp. 67-68). La période d'indemnisation prise en compte par le cabinet 8A s'étend de 2010 à 2014 aux motifs que, si la société [K] France avait créé la société KPS dans des conditions loyales et respectueuses d'une saine concurrence, ce projet aurait dû être initié à compter de 2012, date à partir de laquelle MM. [R] et [S] pouvaient licitement lui apporter son concours. Et à compter de cette date, il aurait fallu à la société KPS près de deux ans et quatre mois pour développer les logiciels similaires à ceux de la société Valipost et les commercialiser.

Concernant le rapport du cabinet 8A (p. 69), la société Quadient fait valoir que le tribunal pouvait en tenir compte, s'agissant d'un élément probatoire de la procédure. Ce rapport établit la réalité du préjudice et se trouve corroboré par la preuve des actes de concurrence déloyale commis par les appelants, dont s'évince nécessairement un préjudice économique et moral subi par la victime. En appel, les sociétés [K] ont elles-mêmes produit le rapport du cabinet Per, qui présente les mêmes caractéristiques.

S'agissant de la communication des comptes annuels de la société Valipost (pp. 69 à 71), la société Quadient soutient que :

- l'ensemble des comptes de la société Valipost sur la période pertinente a été communiqué lors des deux expertises judiciaires. D'ailleurs, l'expert [A] a repris et commenté ces comptes en annexe 7 de son rapport, et ils ont fait l'objet d'une analyse et d'un débat contradictoire dans le cadre de ces expertises ;

- en tout état de cause, elle a reversé ces comptes annuels en appel (cf. sa pièce n° 95) ;

- sa pièce n° 95 est recevable, aucun manquement au principe du contradictoire ne pouvant motiver son rejet.

La société Quadient ajoute, sur le fond, que le rapport initial du cabinet 8A et sa note complémentaire ne sont pas contredits de manière pertinente par les sociétés [K] et/ou le cabinet Per, mandaté par ces dernières, exceptés sur trois points, ainsi qu'il ressort de la note de synthèse établie le 30 juin 2023 par le cabinet 8A, qui a réajusté son estimation initiale en conséquence.

La société Quadient détaille chaque poste de préjudice qu'elle invoque (pp. 72 à 78).

Enfin, en réponse aux conclusions des sociétés [K] (pp. 78 à 80), elle fait valoir que :

- sont inopérants les développements destinés à établir que la situation économique et financière obérée des sociétés appelantes, y compris au cours de la période litigieuse (2010/2014), confirmerait l'absence de préjudice subi par la société Valipost. En effet, le préjudice subi par la victime de concurrence illicite n'est pas automatiquement corrélé à un gain réalisé par l'auteur de cette concurrence ;

- le prétendu sinistre survenu en 2011 et ayant affecté les comptes correspond en réalité à la mise en place, au sein de la société Valipost, d'une division « Prodmail » destinée à créer une « business unit » dédiée au courrier de haut volume. Si les charges de fonctionnement de cette entité lui ont donc été imputées, lui ont cependant été transférées, corrélativement, des ventes opérées par Neopost France. Cela explique la soudaine montée du chiffre d'affaires en 2011. Au total, outre que l'impact s'est élevé à 1,9 millions d'euros seulement, en tout état de cause, le poste de charges constaté uniquement en 2011 n'a aucun impact sur la démonstration de ses préjudices, indépendants de ses résultats globaux.

A titre tout à fait subsidiaire (p. 80), la société Quadient demande la désignation d'un expert judiciaire, auquel cas elle sollicite la condamnation in solidum des appelants au paiement d'une provision, en arguant de ce que son préjudice économique, considérable, n'a encore jamais été indemnisé, que, depuis près de douze ans, les sociétés Valipost et Neopost ont été contraintes d'exposer des frais significatifs pour faire valoir leurs droits, qu'enfin, les fautes commises par les appelants sont désormais établies.

I-D-1°- Sur la recevabilité de la pièce n° 95

En droit, le principe de la contradiction, qui constitue l'un des principes directeurs du procès civil et s'applique au juge comme aux parties, est réglementé aux articles 14 à 17 du code de procédure civile.

L'article 15 de ce code dispose notamment que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

Il en résulte, en procédure écrite, que si sont en principe recevables les conclusions et pièces communiquées avant l'ordonnance de clôture, sont toutefois irrecevables celles qui n'ont pas été déposées en temps utile, une communication tardive empêchant en effet l'adversaire d'y répondre, au mépris du principe de la contradiction.

L'appréciation du caractère tardif du dépôt des conclusions et pièces relève du pouvoir souverain des juges du fond.

En l'espèce, il y a lieu de rappeler, au préalable, que la cour a invité la société Quadient à répondre, par une note en délibéré, à l'irrecevabilité de sa pièce n° 95 soulevée par les sociétés [K] et M. [R] dans leurs dernières écritures respectives du 27 novembre 2023. L'intimée a notifié sa note en délibéré à l'ensemble des parties le 26 décembre 2023.

La pièce n° 95 a été communiquée par la société Quadient le 22 novembre 2023, soit avant l'ordonnance de clôture rendue le 28 novembre suivant.

Cette pièce, intitulée « comptes annuels de Valipost (2006 à 2012) », contient les bilans de la société Valipost au titre des exercice clos aux 31 décembre 2006, 31 janvier 2008, 31 janvier 2009, 31 janvier 2010, 31 janvier 2011, 31 janvier 2012 et 31 janvier 2013.

C'est à raison que la société Quadient fait observer, dans sa note en délibéré, que les comptes de la société Valipost ont déjà été communiqués à l'occasion de deux opérations d'expertise judiciaire :

- d'abord, à l'occasion des opérations d'expertise judiciaire diligentées par M. [A], contradictoirement à l'égard des sociétés [K]. En effet, la société Valipost a établi un dire n° 3 du 30 juin 2017 dans lequel elle a indiqué communiquer à l'expert les bilans et comptes de résultat de la société Valipost pour les exercices clos au 31/12/2005, 31/12/2006, 31/01/2008, 31/01/2009, 31/01/2009, 31/01/2010, 31/01/2011, 31/01/2012 et 31/01/2013. Ce dire, produit par M. [S] (pièce n° 20) et les sociétés [K] (pièce n° 58) eux-mêmes, figure dans la liste des communications reçues par l'expert, avec la mention de ce que 23 pièces sont jointes à ce dire n° 3 (cf. p. 7 de son rapport). D'ailleurs, l'expert a utilisé ces comptes, puisqu'il se réfère notamment au chiffre d'affaires réalisé par la société Valipost (cf. pp. 15-16 de son rapport) ;

- ensuite, lors de l'expertise judiciaire réalisée par M. [M], contradictoirement à l'endroit de MM. [S] et [R]. En effet, la société Valipost a communiqué ses bilans et comptes d'exploitation au titre des exercices 2006 à 2013 à l'appui d'un « dire » du 30 novembre 2017, ainsi que ses balances générales, clients et fournisseurs dans un « dire » n° 4 du 11 septembre 2017 (cf. les pièces n° 11 et 13 de M. [S]).

Il en résulte, d'une part, que c'est à tort que M. [R] soutient (pp. 3 et 4 de ses conclusions) que la société Quadient n'aurait jamais fourni aux experts d'éléments leur permettant d'examiner la question du préjudice - sachant que la mission de certains ne portait pas sur ce point -, se serait contentée de produire le rapport unilatéral du cabinet Eight Advisory missionné par ses soins et aurait méconnu le principe de la contradiction en communiquant sa pièce n° 95 à quelques jours de la clôture.

D'autre part, c'est également en vain que les sociétés [K] demandent, dans le dispositif de leurs conclusions, le rejet de la pièce n° 95 « en raison de son caractère tardif, à cinq jours de la clôture des débats, ne permettant pas le respect du contradictoire ». Et si, dans les motifs de leurs conclusions sur ce point (p. 72, § 1 et 3, et p. 73 in fine), elles font grief de l'absence de production de comptes certifiés par un commissaire aux comptes et critiquent le caractère probant des comptes communiqués, une telle argumentation est non seulement étrangère au débat sur la recevabilité d'une pièce « de dernière heure » au regard du principe de la contradiction, mais, en tout état de cause, impropre à justifier l'irrecevabilité d'une pièce, dont il appartient aux juges d'apprécier souverainement la valeur et la portée probatoire.

En toute hypothèse, ni les sociétés appelantes ni M. [R], qui ont pourtant encore conclu le 27 novembre 2023, n'allèguent que la pièce n° 95 différerait, ne fût-ce qu'en partie, des pièces comptables communiquées à l'occasion des expertises judiciaires effectuées par MM. [M] et [A]. Il s'en déduit que la pièce n° 95 correspond à ces mêmes pièces, transmises aux experts dont les rapports dont été régulièrement communiqués et soumis à la libre discussion des parties à l'occasion de la présente instance.

D'ailleurs, les sociétés [K] admettent elles-mêmes que les états financiers produits in extremis par la société Quadient ne modifient en rien les conclusions et avis du cabinet Per qu'elles ont mandaté, dès lors que les éléments essentiels, tels que l'évolution du chiffre d'affaires, de la valeur ajoutée et du résultat net, sont a priori les mêmes que ceux auxquels elles ont eu accès sur le site « societe.com » (cf. p. 74 de leurs conclusions). De plus, elles se réfèrent elles-mêmes aux comptes annuels certifiés de la société Valipost clos au 31 janvier 2012, analysés par le cabinet Per (cf. p. 70 de leurs écritures).

Dans ces conditions, ni méconnaissance du principe de la contradiction ni aucun autre motif d'irrecevabilité n'étant caractérisés, il convient de déclarer recevable la pièce n° 95 produite par la société Quadient.

I-D-2°- Sur les préjudices allégués

En droit, et en premier lieu, s'agissant de la responsabilité contractuelle encourue par les débiteurs d'une clause de non-concurrence, s'il fut un temps jugé, sur le fondement de l'ancien article 1145 du code civil, que le créancier d'une obligation de non-concurrence n'est pas tenu d'établir le dommage résultant de l'inexécution de cette obligation de ne pas faire (v. par ex. : Civ. 1re, 10 mai 2005, n° 02-15910, publié ; Civ. 1re, 31 mai 2007, n° 05-19978, publié), la jurisprudence a depuis lors évolué. Il est désormais jugé que, conformément aux principes régissant la responsabilité civile, l'article 1145 précité ne dispense pas le créancier d'une obligation de ne pas faire, telle une obligation de non-concurrence, d'établir le principe et l'étendue du préjudice qu'il allègue, ainsi que le lien de causalité entre ce préjudice et la faute reprochée (v. par ex. : Com. 26 sept. 2018, n° 16-28133 ; Com. 7 mai 2019, n° 18-11128).

S'agissant de la responsabilité délictuelle encourue par les auteurs d'actes de concurrence déloyale, il résulte d'une jurisprudence ancienne et constante qu'un préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, générateur d'un trouble commercial, ce préjudice fût-il seulement moral (pour des réaffirmations récentes, v. par ex. : Com. 3 mars 2021, n° 18-24373 ; Com. 13 oct. 2021, n° 19-23597 ; Com. 7 sept. 2022, n° 21-14028). Néanmoins, il appartient à la victime de prouver l'étendue de son préjudice et de le chiffrer (v. par ex. Com. 10 févr. 2021, n° 18-26035).

En second lieu, en matière d'expertise non judiciaire, le principe est que, si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut cependant se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l'une des parties (v. l'arrêt de principe Ch. Mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18710, publié).

Encourent donc la cassation les décisions qui fixent un préjudice en se fondant exclusivement sur un rapport d'expertise amiable (v. par exemple : Com., 29 nov. 2017, n° 16-18954 ; 2e Civ., 12 déc. 2019, n° 18-12687) comme celles qui écartent une expertise non judiciaire régulièrement communiquée et soumise à la discussion des parties lorsque cette pièce n'est pas le seul élément de preuve susceptible d'être retenu (v. par exemple : Com. 13 sept. 2017, n° 16-10287 ; 2e Civ., 23 mai 2019, n° 18-16262).

Il en découle en l'espèce que, ayant été régulièrement communiqués et librement discutés par les parties, les rapports et note de synthèse établis par le cabinet Eight Advisory (le cabinet 8A) ne peuvent être écartés des débats au seul motif qu'il s'agit de rapports non judiciaires établis à la demande de la société Quadient. Il appartiendra dès lors à la cour d'apprécier, pour chaque poste de préjudice invoqué, si les conclusions du cabinet 8A sont corroborées par d'autres éléments de preuve.

Par ailleurs, dès ce stade, la cour relève qu'il résulte de la lecture des travaux du cabinet 8A (cf. les pièces n° 88 et 93 de Quadient) que, pour l'évaluation de ses préjudices, la société Quadient lui a communiqué des pièces dont certaines n'ont toutefois été ni annexées aux rapports et note de ce cabinet 8A, ni versées aux débats. La société Quadient ne communiquant donc pas l'ensemble des pièces justificatives utiles, la cour doit en tirer toutes conséquences, la première étant que les demandes indemnitaires de l'intimée seront examinées au vu des seules pièces communiquées et sur lesquelles la cour est en droit de se fonder, et la seconde qu'il convient de rejeter la demande d'expertise formée à titre subsidiaire par la société Quadient, une telle mesure ne pouvant en aucun cas suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, selon l'article 146 du code de procédure civile.

Quant au « sinistre » ou « événement exceptionnel » survenu avant le mois de janvier 2012 au sein de la société Valipost et qui, selon les parties appelantes, serait seul à l'origine de la désorganisation de cette société (v. leurs conclusions, p. 73), il résulte de la jurisprudence ci-dessus rappelée que la victime d'actes de concurrence subit nécessairement un préjudice qu'il convient d'indemniser. En toute hypothèse, le moyen soutenu à cet égard par les sociétés [K] repose exclusivement sur l'analyse du cabinet Per, expert privé qu'elles ont missionné (cf. leur pièce n° 70) et dont l'analyse n'est corroborée par aucune autre des pièces communiquées.

Enfin, contrairement à ce que soutiennent les appelants en excipant des conclusions du cabinet Per (v. not. les conclusions des sociétés [K], pp. 83 à 89), la circonstance que les résultats des sociétés [K] ont chuté, cependant que le chiffre d'affaires de la société Valipost/Neopost a parallèlement progressé, n'est pas, en soi, de nature à démontrer que la société Valipost n'aurait subi aucun préjudice du fait des fautes commises par MM. [R] et [S] et par les sociétés [K]. D'ailleurs, l'expert judiciaire [A] observe, fort logiquement, que le fait que le chiffre d'affaires de la société KPS croisse moins vite que celui de la société Valipost « ne démontre pas l'absence de responsabilité de la nouvelle société, le changement d'opérateur se traduisant nécessairement par un temps d'étude et de prise de décision. » (p. 17 de son rapport). Le même raisonnement est transposable à l'égard de la société [K] France. Ce moyen de défense est donc dépourvu de pertinence.

(a) Sur la perte, par la société Valipost, de clients historiques sur des contrats de maintenance :

La société Quadient réclame, à ce titre, une somme de 102 000 euros (v. ses conclusions, pp. 72-73).

Selon le rapport du cabinet 8A (p. 17) et sa note de synthèse ultérieure (p. 15 et s.), sur lesquels se fonde l'indemnisation ainsi réclamée, ce préjudice correspond aux gains manqués, entre 2010 et 2014, sur la vente de prestations de maintenance de logiciel concernant sept « clients historiques », qui ont cessé de recourir à la société Valipost et se sont adressés à la société KPS.

La cour en déduit que ce préjudice se fonde sur les conséquences liées à la perte de contrats de maintenance conclus entre la société KPS et des clients ayant choisi sa solution logicielle, au lieu de celle proposée par la société Valipost.

La cour observe, d'abord, que le cabinet 8A a évalué tous les préjudices de la société Valipost sur la base des deux postulats suivants :

1°- la société KPS n'aurait pas pu être créée sans le concours de MM. [R] et [S], de sorte qu'elle n'aurait jamais dû exister avant fin février 2012, moment où expirait la clause de non-concurrence liant les deux susnommés ;

2°- si la société KPS n'avait pas débauché les salariés de la société Valipost, elle aurait mis 18 mois pour développer ses solutions.

Or, au vu des pièces produites, qu'il s'agisse de celles annexées aux rapports et note du cabinet 8A ou de celles versées aux débats, rien ne permet d'affirmer que sans MM. [R] et [S], il n'y aurait eu aucune chance que la société KPS soit créée, alors que la société [K] France aurait pu recourir à l'aide de tiers pour ce faire. De surcroît, il n'est pas davantage établi que cette création n'aurait pas pu intervenir avant le mois de février 2012. De même, l'affirmation d'un temps de développement de logiciels de 18 mois, contestée par les sociétés [K] sur la base du rapport du cabinet Per, n'est étayée par aucune pièce objective.

Par conséquent, les deux postulats fondant les évaluations réalisées par le cabinet 8A n'étant corroborés par aucun élément objectif, le préjudice invoqué, qui présuppose l'impossibilité absolue pour la société Valipost d'avoir un concurrent quelconque jusqu'en 2014 inclus, n'est pas certain.

Ensuite et en tout état de cause, la cour déduit du rapport du cabinet 8A (not. p. 17) que ce préjudice est analysé comme une conséquence du départ des salariés de la société Valipost, embauchés par la société KPS, ce départ ayant, selon cet expert privé, « permis à KPS de développer des logiciels similaires à ceux de Valipost » et, ainsi, de détourner des clients historiques de celle-ci.

Or, pour les motifs explicités ci-dessus, la cour a exclu tout fait de concurrence déloyale résultant de l'appropriation illicite d'un savoir-faire relatif aux solutions logicielles développées par la société Valipost. La création d'un logiciel concurrent, par la société KPS, n'est donc pas fautive ni, partant, en lien avec l'une des fautes imputables à MM. [R] et [S] et aux sociétés [K]. Dès lors, la circonstance que des clients aient choisi les logiciels développés par la société KPS, puis conclu avec cette dernière un contrat de maintenance, résulte encore moins des fautes retenues. Fait donc défaut le lien de causalité direct et certain entre ces fautes et le préjudice ici examiné.

A titre surabondant, la cour relève que les contrats de maintenance litigieux ont été résiliés, pour le premier, en août 2011 (Crédit du Nord), pour le deuxième en décembre 2011 (GIE CA. Print) et pour les autres entre avril et décembre 2012. Or, à cette époque, avaient pris fin les effets de la désorganisation résultant du débauchage déloyal des salariés de Valipost, intervenu avant la fin de l'année 2010, dès lors que ces salariés ont été rapidement remplacés par de nouveaux, qui se sont formés aux activités de la société Valipost dans les quelques mois qui ont suivi. Ces constatations renforcent donc encore l'incertitude d'un lien de causalité entre le préjudice allégué et les fautes constatées.

En conclusion, faute de preuve d'un préjudice et d'un lien de causalité, la demande indemnitaire formée à ce titre sera rejetée.

(b) Sur la perte, par la société Valipost, de deux consultations et d'appels d'offre :

Il est demandé à ce titre la somme de 152 000 euros (v. les conclusions de Quadient, p. 73).

Selon le rapport du cabinet 8A (p. 18), sur lequel se fonde cette demande indemnitaire, le préjudice allégué repose en particulier sur le postulat suivant lequel le débauchage des salariés de la société Valipost aurait permis à la société KPS « d'acquérir le savoir-faire technique pour le développement de solutions logicielles similaires à celles de la société Valipost. »

Néanmoins, pour les motifs qui viennent d'être explicités ci-dessus, n'a été démontré, contre les sociétés [K] ou MM. [R] et [S], aucun fait de concurrence déloyale tenant à l'appropriation illicite d'un savoir-faire relatif aux logiciels de la société Valipost. Le lien de causalité entre le préjudice et les fautes reprochées aux appelants n'est donc ni direct ni certain.

Au surplus, selon le rapport du cabinet 8A, la société Valipost aurait perdu deux consultations (un nouveau client et un ancien client) et un appel d'offre pour l'implantation de solutions logicielles, ces consultations et appels d'offre ayant été remportés par la société KPS, d'où un gain manqué sur la vente de logiciels (182 900 euros) et sur la maintenance s'y rattachant (101 900 euros).

Or, s'agissant, d'une part, de la perte des « consultations », il ne résulte ni des pièces annexées à ce rapport, ni d'aucune autre des pièces versées aux débats, que cette perte serait une conséquence directe des fautes commises par les sociétés [K] et par MM. [R] et [S]. L'existence même d'un préjudice tenant à la perte de consultations n'est donc pas établie.

Et s'agissant, d'autre part, du préjudice lié aux appels d'offre perdus, il repose, lui aussi, sur le double postulat selon lequel la société KPS n'aurait jamais dû exister avant fin février 2012 et aurait mis 18 mois à développer ses solutions logicielles (v. p. 21 de la note de synthèse 8A), double postulat dont il a été explicité, ci-dessus, qu'il n'est pas démontré. L'existence de ce préjudice est donc incertaine.

Surabondamment, la perte de ces appels d'offre par la société Valipost est intervenue en septembre 2012 (v. l'annexe 15 du rapport 8A), soit à une époque où avaient cessé les effets de la désorganisation résultant des faits fautifs imputables à MM. [R] et [S] et aux sociétés [K], pour les raisons développées précédemment. Dès lors, il n'est pas démontré que ce préjudice serait en lien de causalité direct et certain avec les fautes caractérisées en l'espèce.

Il découle de tout ce qui précède que la demande de dommages et intérêts formée à ce titre doit être rejetée.

(c) La perte alléguée de la société [K] France en tant qu'apporteur d'affaires dès 2010 :

Ce préjudice, évalué à 45 000 euros, repose sur le postulat suivant : sans la création de la société KPS, la société [K] France aurait continué à apporter des affaires à la société Valipost, et ce jusqu'en 2014 (v. les conclusions de Quadient, p. 73).

Cependant, nonobstant le fait que la société Valipost n'avait pas de droit acquis à ce que la société [K] France lui apporte de nouveaux clients, ainsi que le fait observer à raison M. [R] (p. 31), en tout état de cause, la société Quadient n'allègue ni ne justifie de ce que la société [K] France avait souscrit, à l'égard de la société Valipost, un engagement, fût-il non écrit, consistant à lui apporter un certain nombre de clients pendant tout le temps de leur collaboration, celle-ci se serait-elle poursuivie jusqu'en 2014.

Au surplus, en l'absence de preuve de l'existence d'un contrat réglementant les relations entre les sociétés [K] France et Valipost, il n'est pas davantage démontré que la société [K] France n'aurait pas pu mettre un terme à cette collaboration à tout moment avant cette date.

Dans ces conditions, faute de preuve de la réalité du préjudice invoqué et d'un lien de causalité direct et certain entre les faits reprochés et le préjudice invoqué, la demande d'indemnisation formée à ce titre ne peut qu'être rejetée.

(d) Sur le retard dans les développements des logiciels ValiFirst 4 résultant du débauchage des salariés de la société Valipost :

Ce préjudice est évalué à 603 000 euros (v. les conclusions de Quadient, p. 74) et repose sur les travaux du cabinet 8A, qui indique sur ce point que, « d'après les informations communiquées par le management [de la société Valipost], nous comprenons que le débauchage des salariés de Valipost par KPS, à partir de 2010, a eu pour conséquence un retard de développement de la norme WT d'une durée d'environ 18 mois » (p. 20).

Or, il ne résulte d'aucune des pièces annexées à ce rapport, ni de celles versées aux débats, d'une part, que cette norme aurait subi un retard, d'autre part, que ce retard se serait élevé à 18 mois.

La preuve d'un préjudice n'étant donc pas rapportée, la demande indemnitaire formée de ce chef sera rejetée.

(e) Sur la chute brutale du chiffre d'affaires réalisé par la société Valipost sur la vente des consommables après la création de la société KPS :

Ce préjudice est évalué à la somme de 129 000 euros (v. les conclusions de Quadient, pp. 74-75).

Il a été démontré ci-dessus, au stade de l'examen des fautes alléguées, d'un côté, que la société KPS avait, par le biais des anciens salariés de la société Valipost, commis un démarchage déloyal de la clientèle de cette dernière portant sur la vente de consommables, de l'autre, que ce démarchage avait prospéré, des ventes de consommables ayant été conclues entre la société KPS et d'anciens clients de la société Valipost.

C'est dès lors en vain que, d'un côté, M. [R] prétend que « [K] » était en droit de proposer ses consommables à la vente de manière directe (cf. ses conclusions, p. 33), de l'autre, que les sociétés [K] tentent de justifier la baisse des ventes des consommables au motif qu'elle serait logique puisqu'elle suit la baisse de volume des courriers, et que la vente des consommables est plutôt du ressort de celui qui vend la solution logicielle - toutes assertions qui, au demeurant, ne sont nullement démontrées.

D'ailleurs, l'expert judiciaire M. [A] observe, dans son rapport (cf. not. p. 16), qu'au regard des comptes de la société Valipost, le résultat des ventes de marchandises - lesquelles incluent donc les consommables - a évolué comme suit :

- 2008/2009 : 4 268 867,

- 2009/2010 : 2 782 310,

- 2010/2011 : 2 730 208,

- 2011/2012 : 3 371 316.

Et selon ce même expert, la marge sur ces ventes de marchandises se sont élevées, sur les mêmes exercices, à :

- en 2008/2009 : 1 332 378 euros,

- en 2009/2010 : 2 300 714 euros,

- en 2010/2011 : 936 693 euros,

- en 2011/2012 : 771 156 euros.

La diminution du chiffre d'affaires de la vente de marchandises et de la marge y afférente, au cours de la période litigieuse de 2010/2011, confirme la certitude d'un principe de préjudice résultant directement du démarchage déloyal de clientèle commis en l'espèce. Le lien de causalité entre ce préjudice et ce fait de concurrence déloyale est, dès lors, direct et certain.

Ceci étant, l'évaluation de ce préjudice réalisée par le cabinet 8A ne peut être avalisée, et ce pour plusieurs raisons :

- d'abord, cette évaluation n'est corroborée par aucune pièce objective. En effet, cet expert privé s'appuie, sur ce point, sur des « comptes de résultat analytique » annuels, établis sur la base d'informations transmises par le contrôle de gestion de la société Neopost et des liasses fiscales. Or, ces pièces n'ont jamais été communiquées à l'expert judiciaire M. [A] et les comptes analytiques, seuls annexés à la note de synthèse établie par le cabinet 8A le 30 juin 2023, ne sont corroborés par aucun élément ;

- ensuite, ce préjudice est évalué sur une période de temps excessive de cinq années, de 2010 à 2014. Or, la prise en compte de ce laps de temps repose sur le double postulat déjà évoqué et non démontré (la société KPS n'aurait jamais dû exister avant fin février 2012 et aurait mis 18 mois à développer ses solutions logicielles). Au surplus, il n'est pas prouvé que la désorganisation de la société Valipost liée au démarchage déloyal de la clientèle se serait prolongée au-delà du début de l'année 2011, dès lors que les saisies pratiquées aux sièges des sociétés [K] pour cause de suspicion de concurrence déloyale ont été réalisées en février 2011 ;

- enfin, le taux de marge moyen pris en compte par le cabinet 8A (42 %), contesté par le cabinet Per dans son premier rapport (cf. pièce n° 22 des sociétés [K]), n'est lui-même conforté par aucune des pièces versées aux débats, que ce soient celles annexées aux rapports et note du cabinet 8A ou celles versées aux débats.

Dans ces conditions, et au vu des éléments dont la cour dispose, le préjudice subi à ce titre sera intégralement réparé par l'octroi de la somme de 51 000 euros.

(f) La réduction, par la société Valipost, de ses tarifs afin de conserver ses clients :

Ce préjudice est évalué à 155 000 euros (v. les conclusions de Quadient, p. 75).

Il ressort du rapport du cabinet 8A que l'évaluation de ce préjudice a été effectuée à partir de « contrats et propositions commerciales » mis à la disposition de cet expert privé par « la direction commerciale » de la société Valipost, cependant que, comme le relèvent pertinemment les sociétés [K] (p. 80 de leurs conclusions), les pièces annexées à ce rapport, pas plus que les autres pièces versées aux débats, ne permettent de connaître le niveau des tarifs pratiqués par la société Valipost avant la réduction tarifaire alléguée. Par conséquent, la réalité de ce préjudice n'est pas établie.

En tout état de cause, à supposer même que soit établie l'existence d'une réduction tarifaire, la société Valispost a librement défini ses nouvelles conditions tarifaires, ainsi que le font encore observer à juste titre les sociétés [K] (p. 79 de leurs conclusions). Par conséquent, il n'est pas démontré que la réduction tarifaire invoquée fût la conséquence directe et certaine des fautes imputées à MM. [S] et [R] et aux sociétés [K].

Au surplus, outre le fait que l'on peut se demander si ce poste de préjudice ne fait pas double emploi, au moins en partie, avec le précédent, que la cour a déjà indemnisé, il n'est pas établi que la société Valipost était assurée de maintenir ses tarifs au même niveau pendant toute la période d'indemnisation revendiquée, soit de 2010 à 2014, une telle affirmation postulant que, sur toute cette longue période, les tarifs seraient demeurés inchangés et qu'aucun concurrent, fût-il loyal, n'aurait pu inciter cette société à réviser ses prix à la baisse.

Il résulte de tout ce qui précède que ne sont démontrées ni la réalité du préjudice allégué ni l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les fautes commises et ce préjudice. La demande d'indemnisation formée à ce titre sera, dès lors, rejetée.

(g) Sur les frais de recrutement et de formation exposés en conséquence du débauchage massif et illicite des salariés de la société Valipost :

La société Quadient évalue ce poste de préjudice à 310 000 euros, en se fondant sur l'évaluation effectuée par le cabinet 8A (v. ses conclusions, pp. 76 et 77).

Selon les travaux de cet expert privé (v. son rapport pp. 25 à 27, et sa note de synthèse pp. 34 à 36), cette somme se décompose comme suit :

- 21 000 euros au titre du surcoût généré par le recours à des sous-traitants (prestataires externes) pour pallier les départs des salariés débauchés par la société KPS ;

- 19 000 euros au titre des coûts de recrutement, la société Valipost ayant fait appel à un cabinet de recrutement (Adalid) ;

- et 271 000 euros au titre des coûts de formation de sept personnes.

D'abord, concernant l'évaluation de ces deux premiers « sous-postes » de préjudice (surcoût lié aux prestataires et frais de recrutement), le cabinet 8A a effectué ses calculs sur la base de documents, tels que bulletins de salaires et factures (celles des prestataires sous-traitants et celui du cabinet de recrutement) qui ne sont pas produits. Les conclusions de cet expert privé n'étant donc corroborées par aucune pièce, la réalité de ces préjudices n'est pas démontrée. Aucune indemnisation ne peut, dès lors, être accordée à ces deux titres.

Ensuite, s'agissant des coûts de formation, il est indéniable que le débauchage déloyal des salariés de la société Valipost, expérimentés dans le domaine particulier des logiciels appliqués à des machines de tri postal, a causé un préjudice direct consistant en la nécessité de former les nouveaux salariés que la société Valipost a été obligée de recruter afin de remplacer ses anciens démissionnaires. Le lien de causalité entre ce fait de concurrence déloyale et ce préjudice est donc direct et certain.

Le fait que cette formation ait été assurée en interne, soit par les salariés de la société Valipost, a causé un préjudice à celle-ci en privant les salariés « formateurs » de la possibilité de s'adonner à leurs activités habituelles, tandis que les salariés formés, rémunérés, ont dû consacrer tout ou partie de leur temps de travail à cette formation avant d'être pleinement opérationnels.

Néanmoins, l'évaluation de ce préjudice par le cabinet 8A est excessive, et ce à plusieurs points de vue :

- d'une part, l'évaluation porte sur le coût de formation de sept salariés, en incluant MM. [R] et [S], alors que, tel qu'exposé ci-dessus, seuls cinq salariés ont été débauchés de manière déloyale par la société KPS ;

- d'autre part, il est tenu compte d'un temps de formation de 18 mois, aux motifs que, si la durée de formation est de 12 mois pour les logiciels « simples », elle s'élève en revanche à 18 mois pour les logiciels « complexes », ce qui serait le cas en l'espèce. Néanmoins, aucun élément ne corrobore cette affirmation, remise en cause par le rapport du cabinet Per sur lequel s'appuient les appelants et qui relève que trois mois ont suffi pour un développeur de la société KPS (v. not. p. 12 de son rapport du 16 janvier 2022). Cependant, ce dernier délai est, quant à lui, exagérément réduit, les anciens salariés débauchés étant expérimentés, à l'inverse des salariés que la société Valipost a dû recruter pour les remplacer.

En définitive, compte tenu des éléments dont la cour dispose, ce poste de préjudice sera intégralement réparé par la somme de 129 000 euros.

(h) Sur le versement de primes exceptionnelles de « motivation » aux développeurs de la société Valipost afin d'accélérer le développement de logiciels :

Ce préjudice est évalué à 44 000 euros (v. les conclusions de Quadient, p. 77).

Cependant, le versement de primes « de motivation » aux salariés de la société Valipost, qui relève d'un choix de politique managériale, ne constitue pas un préjudice résultant directement des fautes imputables à MM. [S] et [R] et aux sociétés [K].

En tout état de cause, il ressort du rapport (p. 28) et de la note de synthèse rédigés par le cabinet 8A (pp. 36-37) que l'octroi des primes en cause a pour origine un retard dans le développement de logiciels WT et que l'existence d'un tel retard repose exclusivement sur les explications fournies par le « management » de la société Valipost, sans être corroboré par aucune pièce versée aux débats. La preuve d'un lien de causalité direct et certain entre les fautes et le préjudice invoqué n'est donc pas établie.

La demande indemnitaire formée à ce titre ne peut donc être accueillie.

(i) Sur la désorganisation commerciale nécessitant l'organisation de réunions exceptionnelles internes ou externes, et l'octroi d'avoir :

La société Quadient demande, à ce titre, la seule somme de 68 000 euros.

Selon le chiffrage figurant dans le rapport du cabinet 8A (p. 29), ce préjudice est évalué à 68 300 euros, cette somme incluant :

- 34 700 euros au titre des coûts en lien avec les réunions d'urgence que la société Valipost a dû organiser avec, notamment, trois clients, et plus précisément 6 600 euros de frais de déplacement et 28 100 euros au titre de la participation à ces réunions ;

- et 33 600 euros au titre des avoirs consentis aux clients insatisfaits en raison des problèmes techniques survenus sur les logiciels.

Néanmoins, la preuve des avoirs invoqués n'est corroborée ni par les pièces annexées aux travaux du cabinet 8A, ni par aucune des pièces produites devant la cour. L'existence d'un préjudice tenant à de tels avoirs n'est donc pas démontrée.

En tout état de cause, à supposer même qu'il soit tenu compte des pièces communiquées en annexe 25 du rapport du cabinet 8A, il ne peut en aucun cas s'en déduire que ces avoirs, consentis a priori en septembre 2012 et juin 2013 (ces pièces étant à peine lisibles), résulteraient directement et avec certitude de l'une des fautes commises par MM. [S] et [R] et les sociétés [K].

Ainsi, n'est prouvé ni l'existence d'un préjudice tenant à des avoirs ni l'existence d'un lien de causalité entre ce préjudice et les fautes reprochées. Aucune indemnisation ne peut être accordée à ce titre.

Cela étant, et ainsi qu'il a déjà été indiqué précédemment dans les motifs relatifs aux faits de débauchage déloyal des salariés de la société Valipost, il est indéniable que, au-delà du préjudice indemnisé précédemment au titre des frais de formation résultant de la désorganisation induite par ce fait de concurrence déloyale, celui-ci est à l'origine directe d'une désorganisation de la société Valipost qui a également contraint celle-ci à mobiliser une partie de ses ressources humaines et financières pour pallier les effets de la concurrence déloyale dont elle était victime. Le lien de causalité entre cette faute et ce préjudice est direct et certain.

Au vu des éléments dont la cour dispose, ce préjudice sera intégralement réparé par l'octroi de la somme de 32 000 euros.

- Sur les débiteurs de l'obligation d'indemniser les préjudices subis par la société Valipost :

En droit, il résulte de la jurisprudence que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de l'éventuel partage de responsabilité entre les responsables, ce partage n'affectant que les rapports réciproques entre ces derniers et non l'étendue de leurs obligations envers la victime (v. par exemple, en dernier lieu : Civ. 2e, 9 déc. 2021, n° 19-22217).

L'obligation in solidum est donc appliquée lorsque des fautes distinctes ont contribué à occasionner un dommage unique, même si les sources des responsabilités sont distinctes, et donc, notamment, même si l'un des responsables est tenu contractuellement et l'autre délictuellement. Il est toutefois nécessaire que les faits générateurs de responsabilité soient à l'origine d'un préjudice unique, faute de quoi chaque responsable ne peut être condamné qu'à réparer le seul dommage qu'il a causé.

En l'espèce, pour les motifs développés ci-dessus dans les paragraphes relatifs aux faits de concurrence déloyale et aux faits de concurrence illicite, il est établi que MM. [S] et [R] ont contribué, avec la société [K] France, à créer la société KPS dans les conditions illicites précédemment exposées, en sachant que cette société allait procéder à un débauchage déloyal des salariés de la société Valipost. Sans la création illicite de cette société, ni les faits de débauchage déloyal de salariés ayant entraîné la désorganisation de la société Valipost, ni ceux de démarchage déloyal de la clientèle de cette dernière par ses anciens salariés n'auraient été possibles.

Par conséquent, les fautes contractuelles commises par chacun de MM. [S] et [R], conjuguées aux fautes délictuelles imputables aux sociétés [K], ont directement concouru à la réalisation de chacun des préjudices caractérisés en l'espèce, à savoir :

- la perte sur les ventes de consommables causée par le démarchage déloyal de la clientèle par les anciens salariés de la société Valipost,

- les frais de formation résultant du débauchage déloyal de la clientèle de la société Valipost,

- et la désorganisation de cette société résultant du débauchage déloyal des salariés.

Dès lors, MM. [S] et [R] doivent être condamnés in solidum avec les sociétés [K] à réparer ces préjudices, dont le montant a été fixé ci-dessus.

M. [R] n'ayant jamais demandé un partage de responsabilité entre chacun des coauteurs de ces dommages, c'est à tort qu'il fait grief aux premiers juges de ne pas avoir établi une « clé de répartition de la réparation du préjudice en fonction de la gravité des fautes » commises par ces coauteurs (v. ses conclusions, p. 37). Et, au vu du dispositif de ses dernières conclusions qui seul saisit la cour, il ne demande toujours pas de partage de responsabilité entre lui-même et les coauteurs des dommages, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce point.

II- Sur les demandes nouvelles formées par la société [K] France

II- A- Sur la recevabilité de ces demandes, contestée par la société Quadient

La société [K] France forme en appel deux demandes nouvelles (cf. ses conclusions, pp. 89 et s.) :

- une demande d'indemnisation du préjudice économique et financier résultant d'actes de concurrence parasitaire, à la suite du rachat de la société Valipost par la société Neopost. Elle précise (pp. 90-91 de ses conclusions) qu'elle n'a pu avoir connaissance de ce préjudice économique et financier avant le jugement entrepris et que seul le rapport qu'elle a demandé au cabinet Per lui en a révélé l'existence ;

- et une demande en réparation d'« un coût d'opportunité », c'est-à-dire du préjudice lié au manque à gagner résultant du temps consacré à sa défense, pendant onze ans, par son directeur général et ses collaborateurs.

La société Quadient conteste la recevabilité de ces demandes nouvelles, en soulevant deux moyens (cf. ses conclusions, pp. 81 à 84) :

- d'abord, la prescription. En effet, s'agissant de la première demande, le fait générateur de responsabilité (le rachat de la société Valipost le 16 février 2007) a commencé à se prescrire à compter de cette date et, en application des articles 2222 et 2224 du code civil, ce délai, en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi de 2008, a expiré le 19 juin 2013. Lorsqu'elle a été formée pour la première fois, par des conclusions du 11 février 2022, cette demande était donc déjà prescrite. La société [K] France ne peut prétendre avoir ignoré ce préjudice avant d'avoir consulté le cabinet Per. Il ne peut être admis que la prescription ne coure qu'à compter du jour où la victime consulte un professionnel du chiffre. De même, la seconde demande indemnitaire de la société [K] France est prescrite, ayant été exprimée pour la première fois dans des conclusions de septembre 2023 ;

- ensuite, l'irrecevabilité de ces demandes au regard des textes du code de procédure civile, pour les motifs suivants :

- d'une part, ces demandes ne se rattachent nullement par un lien suffisant aux demandes originaires, fondées sur des actes de concurrence déloyale ;

- d'autre part, l'absence de révélation d'un élément nouveau. La consultation d'un expert financier ne constitue pas, en effet, un élément nouveau.

Réponse de la cour :

La logique commande d'examiner, au préalable, le moyen tenant aux règles gouvernant la recevabilité des demandes nouvelles en appel, dès lors que le moyen tiré de la prescription ne peut être examiné que si la cour a été valablement saisie de ces demandes nouvelles.

II-A-1°- Sur le moyen tiré de la recevabilité des demandes nouvelles au regard des règles du code de procédure civile :

En droit, la Cour de cassation juge, au visa des articles 564, 565, 566 et 567 du code de procédure civile, que dès lors que l'irrecevabilité d'une demande nouvelle est soulevée par une partie, la cour d'appel est tenue d'examiner d'office, au regard de chacune des exceptions prévues à ces textes, si la demande est nouvelle (v. not. : 2e Civ., 17 sept. 2020, n° 19-17449, publié ; 2e Civ.,17 mai 2023, n° 20-23138).

Il résulte de la combinaison des articles 70 et 567 du code de procédure civile que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel dès lors qu'elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant (v. par ex. 2e Civ., 19 mars 2020, n° 19-12103).

Et l'article 564 du même code admet la recevabilité des nouvelles prétentions destinées à faire juger les questions nées de la survenance ou de la révélation d'un fait. Toutefois, dans cette hypothèse, la recevabilité des prétentions nouvelles est subordonnée à la réunion de deux conditions : d'abord, le fait dont il s'agit doit être survenu où avoir été révélé après le jugement de première instance ; ensuite, ce fait doit avoir un lien avec le litige originaire soumis à juridiction de première instance, l'appel ne devant pas, en effet, permettre à une partie de réparer ses oublis ou négligences de première instance.

En l'espèce, en première instance, les sociétés [K] ne sont bornées à demander le rejet des demandes indemnitaires formées par la société Neopost, devenue Quadient, sur le fondement de la violation de la clause de non-concurrence liant MM. [S] et [R], avec la complicité de la société [K] France, et la commission d'actes de concurrence déloyale par les sociétés [K] à l'occasion de la création de la société KPS en 2010.

Ces constatations factuelles ayant été faites, il convient d'examiner la recevabilité des demandes nouvelles formées par la société [K] France au regard de chacune des exceptions prévues par les articles 564, 565, 566 et 567 du code de procédure civile.

- Recevabilité de la demande en réparation du préjudice résultant d'actes de concurrence parasitaire :

En premier lieu, la société [K] France n'ayant saisi les premiers juges d'aucune prétention, sa demande d'indemnisation du préjudice résultant d'actes de concurrence parasitaire commis à la suite du rachat de la société Valipost par la société Neopost en 2007 ne constitue pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de prétentions soumises aux premiers juges, au sens de l'article 564 du code de procédure civile.

Par ailleurs, la cour estime qu'il n'existe pas de lien suffisant entre, d'un côté, le litige originairement soumis aux premiers juges, qui avait pour seul objet la violation d'une clause de non-concurrence et la commission d'actes de concurrence déloyale survenus en 2010 et au plus tard jusqu'en février 2011, et, de l'autre, les faits de parasitisme allégués par la société [K] en lien avec le rachat de la société Valipost intervenu en 2007, qui auraient été prétendument révélés à la faveur du rapport du cabinet Per. Dans ces conditions, fait défaut l'une des deux conditions de recevabilité requises par l'article 564 du code de procédure civile dans l'hypothèse de la survenance ou de la révélation d'un fait.

En deuxième lieu, cette demande nouvelle ne tend pas aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges, au sens de l'article 565 du code de procédure civile, dès lors que la seule fin poursuivie en première instance par les sociétés [K] consistait à obtenir le rejet des demandes indemnitaires formées contre elles par la société Neopost, devenue Quadient.

En troisième lieu, cette demande ne se rattachant pas par un lien suffisant aux demandes initiales formées par la société Neopost, devenue Quadient, elle ne s'analyse pas non plus en une demande reconventionnelle recevable sur le fondement de l'article 567 du code de procédure civile.

Cette première demande nouvelle doit donc être déclarée irrecevable.

- Recevabilité de la demande en réparation du « coût d'opportunité » :

La société [K] expose que cette demande tend à faire juger par la cour « la question née de la révélation d'un préjudice financier résultant de la perte de temps subi par sa direction et ses collaborateurs induite par la procédure depuis 2011 jusqu'en 2022 » et que le coût d'opportunité consiste en « la chance manquée de développer d'autres activités au lieu de perdre du temps dans des procédures judiciaires sans fin » (cf. ses conclusions, p. 98, point 2.5).

En d'autres termes, la société [K] estime que les procédures initiées à l'occasion du présent litige par la société Neopost, devenue Quadient, sont à l'origine d'un préjudice financier.

La cour estime, dès lors, que cette demande nouvelle se rattache par un lien suffisant avec les prétentions originaires de la société Neopost, aujourd'hui Quadient, de sorte qu'il s'agit d'une demande reconventionnelle recevable en cause d'appel, en application de l'article 567 du code de procédure civile.

II-A-2°- Sur le moyen tiré de la prescription de la demande d'indemnisation du « coût d'opportunité »

En droit, il résulte de l'article 2224 du code civil que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En l'espèce, les sociétés [K], qui ne développent aucune argumentation en réponse au moyen tiré de la prescription soulevé par la société Quadient, ne contestent pas que le délai de prescription applicable soit ce délai de droit commun, invoqué par l'intimée (cf. ses conclusions, p. 83).

Selon la société [K] France, le préjudice allégué à ce titre consiste en un préjudice financier résultant de la perte de temps subi par sa direction et ses collaborateurs, « induite par la procédure depuis 2011 jusqu'en 2022. »

La société Quadient ne propose pas de point de départ précis au délai de prescription, mais la cour observe, en tout état de cause, que les premières procédures initiées par la société Valipost, aux droits de laquelle vient à présent la société Quadient, sont les suivantes :

- le 10 février 2011, ont été opérés des constats et saisies aux sièges des sociétés [K] France et KPS sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;

- le 23 février 2011, la société Valipost a assigné la société KPS pour contrefaçon, en demandant une provision à valoir sur son préjudice et la désignation d'un expert, lequel a finalement été nommé par un arrêt du 11 septembre 2013. Cette procédure a abouti au rejet des demandes de la société Valipost par un arrêt devenu irrévocable du 11 février 2016 ;

- le 7 mars 2011, la société Valipost a assigné les sociétés [K] en désignation d'un expert avant dire droit sur les actes de concurrence déloyale alors seulement suspectés, et cette demande a été accueillie par un jugement du 29 mai 2013 ;

Les trois experts désignés ont déposé leurs rapports, respectivement, les 17 octobre 2014 (M. [G]), 28 mars 2018 (M. [M]) et 18 juin 2018 (M. [A]).

Au vu de ces éléments, c'est donc au plus tard au printemps 2011 que le préjudice invoqué par la société [K] a été révélé à celle-ci, même si l'ampleur de ce préjudice n'était alors pas encore déterminée ou déterminable.

En tout état de cause, même en reculant le point de départ du délai de prescription au plus tard au 18 juin 2018, date du dépôt du dernier des rapports d'expertise judiciaire, dont les opérations ont fortement mobilisé les parties et leurs conseils respectifs ainsi qu'en témoigne le nombre de dires échangés entre elles, force est de constater que ce délai était expiré lorsque, le 26 septembre 2023, les sociétés [K] France ont notifié leurs premières conclusions contenant la demande d'indemnisation d'un « coût d'opportunité induit par le temps perdu à se défendre au lieu de chercher des clients »

- la recevabilité de cette demande se posait donc également au regard des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile, issu du décret du 6 mai 2017, applicable en la cause.

Cette demande, atteinte par la prescription, est dès lors irrecevable, étant relevé que, si, dans le dispositif de leurs conclusions (p. 102), les sociétés [K] ne précisent pas le bénéficiaire de cette demande, il ressort des motifs de ces écritures qu'il s'agit de la société [K] France (cf. p.98-99 desdites conclusions).

III- Sur les demandes reconventionnelles formées par MM. [R] et [S]

III-A- Sur les demandes de M. [R]

La société Quadient demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [R] un complément au prix de cession, tandis que M. [R] demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande en paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Ces demandes seront donc successivement examinées.

III-A-1°- Sur la demande en paiement d'un complément de prix

La société Quadient (pp. 90-91) fait valoir que, si le solde de « l'earn out » dû à M. [R] s'élève bien à 283 905,63 euros, elle est cependant fondée à ne pas payer cette somme, dès lors que M. [R] n'a lui-même pas respecté ses engagements issus du contrat de cession (cf. pp. 90-91 de ses conclusions).

M. [R] ne développe aucune argumentation en réponse à ce moyen.

Réponse de la cour :

A titre liminaire, il importe de préciser qu'il ne sera pas tenu compte des développements que MM. [S] et [R], et la société Quadient ont, chacun, cru pouvoir introduire dans leurs notes en délibéré au sujet des conditions d'admission de l'exception d'inexécution, en droit comme en fait, dès lors que tel n'était pas l'objet, limité, de la demande d'explication formée par la cour en application de l'article 442 du code de procédure civile. La cour avait d'ailleurs expressément attiré l'attention des parties sur ce point dans son message notifié par le RPVA le 21 décembre 2023, en précisant qu'« Il est rappelé, à toutes fins, que les observations des parties qui ne se conformeraient pas à l'objet strictement délimité de la présente note en délibéré (...) ne pourraient être prises en considération par la cour. »

En l'espèce, l'article 2 de l'acte de cession de parts du 16 février 2007, intitulé « prix de cession », stipule que le prix de cession des actions dû par la société Neopost, cessionnaire, est consenti et accepté par les cédants, parmi lesquels MM. [S] et [R], moyennant un prix comprenant deux parties : un paiement initial définitif et un complément de prix, dénommé « earn out ». Selon l'article 2.2, cet earn out, objet de la présente demande, devait être calculé sur la base du chiffre d'affaires réalisé par la société Valispost au titre des exercices 2007, 2008 et 2009, son solde étant payable à l'échéance de la période d'earn out, soit à compter du 31 décembre 2009, et au plus tard le 31 mars 2010 (article 2.2.2 de l'acte de cession).

En première instance, le tribunal a condamné la société Quadient à payer à M. [R] la somme de 283 905,63 euros à titre de complément de prix, en relevant que la créance n'était pas contestée à concurrence de cette somme (cf. p. 18 du jugement entrepris).

Dans le dispositif de ses dernières conclusions, M. [R] ne formule aucune critique à ce titre, tandis qu'à l'inverse, la société Quadient demande l'infirmation de ce chef et le rejet de la demande en paiement de M. [R], en faisant très exactement valoir ceci :

« La société Quadient France est toutefois fondée à ne pas payer ce complément de prix, dès lors que M. [R] n'a pas lui-même respecté ses propres engagements au titre du Contrat de cession. La jurisprudence est ancienne et constante sur ce point : l'inexécution d'une convention est justifiée si le contractant n'a pas lui-même satisfait à une obligation contractuelle née de la même convention. » [cf. p. 90, dernier § et p. 91, §1, de ses conclusions]

Ces conclusions sont toutefois des plus imprécises, puisque :

- d'un côté, le fondement juridique de ce moyen de défense est flou, aucun arrêt de la Cour de cassation n'étant cité à l'appui de la jurisprudence constante invoquée ;

- de l'autre, la société Quadient n'articule pas la moindre démonstration juridique appliquant au cas d'espèce le principe sur lequel elle déclare se fonder, afin d'établir son applicabilité au litige.

Outre que cette imprécision est préjudiciable à ses contradicteurs, qui se trouvent de la sorte dans l'impossibilité de se défendre utilement en présence de telles conclusions, il résulte, en tout état de cause, d'une jurisprudence constante que la cour d'appel n'est jamais tenue de répondre à des conclusions imprécises (pour des réaffirmations récentes de la solution, v. par exemple : 3e Civ., 19 sept. 2019, n° 18-17628 ; Com. 24 juin 2020, n° 18-20962).

La cour n'a donc pas à répondre aux conclusions imprécises de la société Quadient sur ce point.

En tout état de cause, même à considérer que, par ces conclusions, la société Quadient ait entendu opposer à M. [R] l'exception d'inexécution consacrée par la jurisprudence avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 (non applicable en l'espèce, eu égard à la date de conclusion de l'acte de cession litigieux), il convient de rappeler qu'en droit, l'admission de l'exception d'inexécution est subordonnée à la réunion de trois conditions, dont la preuve incombe à celui qui l'oppose,

Appelé l'excipiens :

- d'abord, l'existence d'une créance certaine et exigible détenue par l'excipiens contre son partenaire contractuel ;

- ensuite, une inexécution suffisamment grave de ses obligations par ce partenaire, ce que les juges du fond apprécient souverainement ;

- enfin, l'existence d'une interdépendance entre l'obligation de l'excipiens et celle de la partie adverse. Autrement dit, les obligations en opposition doivent avoir des liens étroits entre elles, l'une devant être la contrepartie de l'autre. Il s'ensuit que les obligations nées d'un même contrat ne sont pas nécessairement interdépendantes, tout dépendant des obligations en cause.

En l'espèce, faute de développer la moindre argumentation à l'appui du principe dont elle excipe a priori, la société Quadient ne démontre nullement que toutes les conditions d'application de l'exception d'exécution seraient remplies, la simple affirmation d'un principe juridique ne pouvant, à elle seule, suffire à faire cette démonstration.

Au surplus, il ressort des termes mêmes de l'article 2 du contrat de cession, ci-dessus évoqué, que l'obligation pour la société Neopost, cessionnaire, de payer aux cédant le solde de l'earn out est interdépendante non de l'obligation de non-concurrence souscrite par les cédants, mais de l'obligation pour ces derniers de céder leurs parts sociales dans la société Valipost - obligation dont il n'est pas contesté qu'elle a été exécutée. Cette lecture est, au demeurant, confortée par la circonstance que, depuis 2007 et jusqu'à la présente instance d'appel, la société Quadient ne s'était jamais prévalue de l'exception d'inexécution pour refuser le paiement du solde de prix de cession aux cédants, fondant son refus sur d'autres raisons. Par conséquent, la condition d'interdépendance entre l'obligation de non-concurrence et l'obligation de payer le solde du prix de cession des parts sociales n'est nullement démontrée en l'espèce, ce qui ne peut que conduire à écarter le jeu de l'exception d'inexécution.

Il convient, dès lors, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a accueilli la demande en paiement du complément de prix formée par M. [R].

III-A-2°- Sur la demande en paiement de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts

M. [R] demande la condamnation de la société Quadient à lui payer cette somme, en arguant de ce que la société Quadient a eu une attitude procédurale particulièrement abusive qui lui a causé un préjudice important en ce que, depuis 2011, il est dans les liens de ces moult procédures, la société Quadient n'ayant pas hésité à s'immiscer dans sa procédure de divorce.

En réponse, la société Quadient ne fait valoir aucune argumentation particulière.

Réponse de la cour :

Les faits de concurrence illicite caractérisés contre M. [R] excluent tout abus des sociétés Valipost, Neopost, puis Quadient, dans leur droit d'ester en justice et d'user de toutes les voies de droit qui s'offraient à elles pour rapporter la preuve de ces faits. Les « moult procédures » dénoncées par M. [R] ne sont donc pas fautives.

Par ailleurs, les faits d'immixtion fautive de la société Quadient dans la procédure de divorce de M. [R] et Mme [V] ne sont pas caractérisés.

Dès lors, la demande indemnitaire de M. [R] ne peut qu'être rejetée, par voie de confirmation du jugement entrepris de ce chef.

III-B- Sur la demande de M. [S] en paiement d'un complément de prix

M. [S] (pp. 49-50) demande la somme de 22 750 euros à ce titre, avec intérêts à compter du 1er février 2011 et capitalisation desdits intérêts. Il fait notamment valoir que les sociétés Valipost et Neopost ont d'abord tiré prétexte d'un litige avec La Banque postale pour déduire arbitrairement du chiffre d'affaires de la société Valipost une somme de 50 000 euros au titre de l'exercice 2009, ce qui a mécaniquement diminué le complément de prix qui lui était dû de 22 750 euros ; que ce litige n'ayant finalement pas eu lieu, ces mêmes sociétés ont tenté de justifier leur retenue du complément de prix en arguant de ce que Mme [B] aurait octroyé à la socité [K] un avoir de 30 000 euros avant sa démission ; que cependant, la société Quadient ne rapporte pas la preuve d'un fait exonératoire de son obligation de paiement et n'a jamais expliqué pour quelle raison les agissements de Mme [B] devraient conduire à le priver, lui, M. [S], du solde du complément de prix prévu par l'acte de cession.

En réponse, la société Quadient (p. 91) s'oppose à cette demande, en faisant valoir que l'intégralité du complément de prix a déjà été payée à M. [S] ; que c'est à bon droit que la société Neopost a déduit du chiffre d'affaires sur l'exercice 2009 un avoir de 30 000 euros établi par Mme [B] au profit de [K], peu avant que cette dernière soit débauchée par le groupe [K], cette salariée répondant, à cette époque, aux ordres de MM. [R] et [S]. En tout état de cause, « elle aurait été fondée à retenir tout ou partie de 'l'earn out- de M. [S], comme elle l'a fait à l'égard de M. [R], si elle avait appris plus tôt que M. [S] avait également violé l'engagement de non-concurrence. »

Réponse de la cour :

D'abord, il n'est pas établi que Mme [B], ancienne salariée de la société Valipost en 2010, aurait en 2009, soit peu avant sa démission, consenti à la société [K] France un avoir de 30 000 euros à la demande de M. [S] et/ou de M. [R].

Ensuite et en tout état de cause, la société Quadient n'explicite pas, en quoi, au plan juridique, l'émission, par un tiers au contrat de cession du 16 février 2007, d'un avoir, fût-il indu, justifierait le non-versement du complément de prix dû à M. [S] en exécution de ce contrat.

Enfin, pour les mêmes motifs que ceux déjà développés lors de l'examen de la demande en paiement du complément de prix formée par M. [R], la cour n'est pas tenue de répondre aux conclusions imprécises de la société Quadient sur ce point et, en tout état de cause, le moyen tiré de l'exception d'inexécution, à le supposer dûment invoqué, doit être rejeté, faute de preuve de la réunion des conditions subordonnant le bien-fondé de ce moyen.

Il résulte de tout ce qui précède que la déduction par la société Neopost, devenue Quadient, de la somme de 30 000 euros du chiffre d'affaires de la société Valipost sur l'exercice 2009, pour calculer le solde de l'earn out dû à M. [S], n'est pas justifiée.

M. [S] demande un solde d'earn out d'un montant de 22 750 euros sans que la société Quadient discute utilement les modalités mêmes de calcul de cette somme. La demande de condamnation formée à ce titre sera donc accueillie, par voie d'infirmation du jugement entrepris de ce chef.

Conformément à la demande de M. [S], cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 1er février 2011, en vertu de l'article 1231-6 du code civil, et la capitalisation desdits intérêts sera ordonnée, en application de l'article 1343-2 du code civil.

IV- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant principalement, MM. [R] et [S] et les sociétés [K] seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel, en ce inclus les honoraires des experts judiciaires, ainsi qu'à payer à la société Quadient une indemnité procédurale complémentaire au titre de la procédure d'appel.

Le jugement entrepris sera, dès lors, confirmé des chefs de dispositif relatifs aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il :

- dit que MM. [R] et [S] ont concouru aux actes de concurrence déloyale commis par les sociétés [K] ;

- condamne in solidum MM. [R] et [S] et les sociétés [K] France et [K] Postal Solutions à payer à la société Quadient la somme de 900 000 euros en réparation de son préjudice ;

- déboute M. [S] de sa demande en paiement du complément du prix de cession prévu à l'acte du 16 février « 2017 » [lire 2007] ;

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- REJETTE le moyen tiré de la légitime défense soulevée par les sociétés [K] France et [K] Postal Solutions ;

- DIT que ne sont pas démontrés les faits de concurrence déloyale allégués par la société Quadient contre les sociétés [K] France et [K] Postal Solutions aux titres :

- d'une récupération illicite du savoir-faire technique

de la société Valipost ;

et du détournement de la documentation technique, marketing et commerciale de la société Valipost ;

- DIT que les sociétés [K] France et [K] Postal Solutions ont commis au préjudice de la société Valipost, aux droits de laquelle vient la société Quadient, les faits de concurrence déloyale suivants :

le débauchage déloyal de salariés de la société Valipost ayant entraîné la désorganisation de celle-ci ;

- et le démarchage déloyal de la clientèle de la société Valipost en matière de vente de consommables ;

- DIT qu'aucun acte de concurrence déloyale n'est caractérisé à l'égard de MM. [R] et [S] ;

- DECLARE recevable la pièce n° 95 produite par la société Quadient ;

- REJETTE la demande de la société Quadient tendant à la désignation d'un expert judiciaire, avant dire droit sur l'évaluation de ses préjudices ;

- REJETTE les demandes indemnitaires formées par la société Quadient au titre des préjudices suivants :

la perte de clients historiques sur des contrats de maintenance ;

la perte de consultations et d'appels d'offre ;

la perte de la société [K] France en tant qu'apporteur d'affaires ;

le retard dans les développements des logiciels ValiFirst 4 ;

la réduction de ses tarifs par la société Valipost ;

le versement de « primes de motivation » aux développeurs de la société Valipost ;

- CONDAMNE in solidum MM. [R] et [S] et les sociétés [K] France et [K] Postal Solutions à payer à la société Quadient les sommes suivantes en réparation de ses préjudices :

- 51 000 euros au titre de la perte financière liée à la vente des consommables ;

- 129 000,

au titre des frais de formation exposés par la société Valipost en conséquence du débauchage massif et illicite de ses salariés ;

- 32 000 euros,

au titre des autres conséquences de la désorganisation de la société Valipost ;

- DECLARE irrecevable la demande nouvelle de la société [K] France tendant à la réparation d'un préjudice résultant d'actes de concurrence parasitaire ;

- DECLARE irrecevable, car prescrite, la demande nouvelle de la société [K] France tendant à l'indemnisation d'un « coût d'opportunité » ;

- CONDAMNE la société Quadient à payer à M. [S] la somme de 22 750 euros à titre de complément du prix de cession prévu par l'acte du 16 février 2007, DIT que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 1er février 2011 et ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

- CONDAMNE in solidum MM. [R] et [S] et les sociétés [K] France et [K] Postal Solutions aux dépens d'appel, en ce inclus les honoraires dus aux experts judiciaires [G], [M] et [A] ;

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectivement formées par MM. [R] et [S] et les sociétés [K] France et [K] Postal Solutions, et les CONDAMNE in solidum à payer à la société Quadient la somme globale de 100 000 euros au titre de la procédure d'appel ;