Décisions
CA Douai, jrdp, 17 avril 2024, n° 23/00027
DOUAI
Autre
Autre
AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
COUR D'APPEL DE DOUAI
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT
EN MATIÈRE DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
minute n° 07/24
n° RG : 23/0027
A l'audience publique du 17 avril 2024 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de
M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :
Sur la requête de :
M. [Z] [S], né le [Date naissance 1] 1995 à [Localité 6] (Maroc)
demeurant [Adresse 3]
ayant pour avocat Me Amélie DELMAIRE, avocat au barreau de Lille, demeurant [Adresse 2]
Les débats ayant eu lieu à l'audience du 21 février 2024, à 10 heures
L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier ;
En présence de :
MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,
représenté par M. Jean-Baptiste MIOT, substitut général
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Direction des affaires juridiques
dont le siège est situé Sous Direction du Droit Privé
[Adresse 5]
[Localité 4]
ayant pour avocat Me Maxime DESEURE, avocat au barreau de Béthune
JRDP - 27/23 - 2ème page
Exposé de la cause
Par requête reçue au greffe de la cour d'appel le 11 août 2023, M. [Z] [S] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.
Par décision du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Lille en date du 7 avril 2017, M. [S] a été mis en examen pour :
- violence avec armes ;
- violence en réunion ;
- enlèvement et séquestration ;
- extorsion ;
- acquisition, cession et détention de stupéfiants ;
- association de malfaiteurs ;
- détention d'armes de catégorie B.
Par ordonnance du même jour, M. [S] a été placé en détention provisoire.
Par ordonnance en date du 4 avril 2018, la détention de M. [S] a été levée et il a été libéré le 5 avril suivant.
Par jugement du tribunal correctionnel de Lille en date du 7 février 2023, M. [S] a été relaxé des chefs de la poursuite.
La détention de M. [S] a donc duré du 7 avril 2017 (date de son incarcération) au 5 avril 2018 (date de sa remise en liberté), soit pendant 364 jours.
Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :
- 40.000 € en réparation de son préjudice moral ;
- 1.485,50 € au titre de ses frais d'avocat ;
- 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions, l'agent judiciaire de l'Etat propose que le préjudice moral du requérant soit indemnisé à hauteur de 20.000 €, que M. [S] soit débouté de sa demande présentée au titre des frais d'avocat et que sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile soit réduite à de plus justes proportions.
Dans ses conclusions en date du 23 novembre 2023, le ministère public requiert que le préjudice moral de M. [S] soit indemnisé à hauteur de 23.000 € et s'en rapporte aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat concernant l'article 700 du code de procédure civile.
Au terme des débats tenus le 21 février 2024, le premier président a indiqué qu'il mettait l'affaire en délibéré au 17 avril 2024.
Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,
vidant son délibéré à l'audience de ce jour,
SUR CE,
Sur la recevabilité :
Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Cet article précise, toutefois, qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.
JRDP - 27/23 - 3ème page
En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale,
doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.
En l'espèce, la requête a été reçue par le greffe de la cour d'appel de Douai le 11 août 2023, soit dans le délai de six mois suivant le jugement du tribunal correctionnel de Lille en date du 7 février 2023.
Figure au dossier un certificat établi par le greffier du tribunal judiciaire de Lille en date du 10 juillet 2023 attestant qu'aucun appel n'a été formé à l'encontre de ce jugement.
En conséquence, le jugement est définitif et la requête ayant été présentée dans le délai légal, il y a lieu de la déclarer recevable.
Sur le préjudice moral :
Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.
La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée. Par contre, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération se trouve minorée par le passé carcéral de la personne détenue.
En l'espèce, il convient tout d'abord de relever que le bulletin n° 1 du casier judiciaire de M. [S] mentionne 4 condamnations par le tribunal correctionnel de Lille :
- 2 mois d'emprisonnement avec sursis pour vol en réunion et recel de vol, le 4 septembre 2012. Le sursis a été révoqué et la peine a été exécutée ;
- 1 an d'emprisonnement pour plusieurs vols aggravés, le 11 janvier 2013. La peine a été exécutée ;
- 4 mois d'emprisonnement avec sursis pour violence en réunion, le 25 juin 2014 ;
- 2 ans d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants, le 23 mars 2015. La peine a été exécutée.
M. [S] ayant déjà été plusieurs fois incarcéré, le choc carcéral lié à sa détention le 7 avril 2017 s'en est donc trouvé atténué.
Le requérant fait valoir que sa détention a été particulièrement dommageable du fait des circonstances suivantes :
- la pénibilité de la détention du fait du comportement agressif des autres détenus, ayant entraîné une dégradation de son état de santé ;
- l'éloignement familial.
En ce qui concerne l'éloignement familial, M. [S] ne démontre pas avoir été privé de parloir.
S'agissant des conditions de détention, M. [S] expose avoir subi une dégradation de sa santé mentale ayant nécessité une prise en charge en unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA). Il explique avoir tenté de se suicider.
Si M. [S] n'établit pas avoir été transféré en UHSA, il justifie avoir été victime d'une agression en détention par la production d'un rapport d'incident versé aux débats ainsi que d'une tentative d'autolyse par la production d'un autre rapport d'incident qui lui aussi figure au dossier.
Cette agression et cette tentative d'autolyse sont des facteurs de majoration du préjudice moral.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. [S] la somme de 23.000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur le préjudice matériel :
Le requérant sollicite une indemnité de 1.485,50 € au titre de ses frais d'avocat en lien avec le contentieux de la détention provisoire.
JRDP - 27/23 - 4ème page
Seuls les honoraires correspondant aux prestations directement liées à la privation de liberté sont indemnisables.
Sur ce point, la convention d'honoraires produite aux débats ne procède pas à la distinction entre les honoraires afférents à la détention provisoire et ceux relevant de la défense au fond.
A défaut de justification des frais d'avocat engagés à propos de sa détention provisoire, M. [S] doit être débouté de ce chef de demande.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
M. [S] sollicite la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il sera alloué à M. [S] la somme de mille euros (1.000 €) au titre des frais engagés pour la présente procédure.
Sur les dépens :
Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS,
Après débats en audience publique,
statuant publiquement et contradictoirement,
DECLARONS recevable la requête de M. [Z] [S] ;
ALLOUONS à M. [Z] [S] la somme de vingt-trois mille euros (23.000 €) au titre de son préjudice moral ;
DEBOUTONS M. [Z] [S] sur sa demande au titre de son préjudice matériel ;
ALLOUONS à M. [Z] [S] la somme de mille euros (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de DOUAI, le 17 avril 2024,
en présence de M. Jean-Baptiste MIOT, substitut général,
assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.
Le greffier Le premier président
C. BERQUET J. SEITHER
COUR D'APPEL DE DOUAI
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT
EN MATIÈRE DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
minute n° 07/24
n° RG : 23/0027
A l'audience publique du 17 avril 2024 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de
M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :
Sur la requête de :
M. [Z] [S], né le [Date naissance 1] 1995 à [Localité 6] (Maroc)
demeurant [Adresse 3]
ayant pour avocat Me Amélie DELMAIRE, avocat au barreau de Lille, demeurant [Adresse 2]
Les débats ayant eu lieu à l'audience du 21 février 2024, à 10 heures
L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier ;
En présence de :
MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,
représenté par M. Jean-Baptiste MIOT, substitut général
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Direction des affaires juridiques
dont le siège est situé Sous Direction du Droit Privé
[Adresse 5]
[Localité 4]
ayant pour avocat Me Maxime DESEURE, avocat au barreau de Béthune
JRDP - 27/23 - 2ème page
Exposé de la cause
Par requête reçue au greffe de la cour d'appel le 11 août 2023, M. [Z] [S] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.
Par décision du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Lille en date du 7 avril 2017, M. [S] a été mis en examen pour :
- violence avec armes ;
- violence en réunion ;
- enlèvement et séquestration ;
- extorsion ;
- acquisition, cession et détention de stupéfiants ;
- association de malfaiteurs ;
- détention d'armes de catégorie B.
Par ordonnance du même jour, M. [S] a été placé en détention provisoire.
Par ordonnance en date du 4 avril 2018, la détention de M. [S] a été levée et il a été libéré le 5 avril suivant.
Par jugement du tribunal correctionnel de Lille en date du 7 février 2023, M. [S] a été relaxé des chefs de la poursuite.
La détention de M. [S] a donc duré du 7 avril 2017 (date de son incarcération) au 5 avril 2018 (date de sa remise en liberté), soit pendant 364 jours.
Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :
- 40.000 € en réparation de son préjudice moral ;
- 1.485,50 € au titre de ses frais d'avocat ;
- 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions, l'agent judiciaire de l'Etat propose que le préjudice moral du requérant soit indemnisé à hauteur de 20.000 €, que M. [S] soit débouté de sa demande présentée au titre des frais d'avocat et que sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile soit réduite à de plus justes proportions.
Dans ses conclusions en date du 23 novembre 2023, le ministère public requiert que le préjudice moral de M. [S] soit indemnisé à hauteur de 23.000 € et s'en rapporte aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat concernant l'article 700 du code de procédure civile.
Au terme des débats tenus le 21 février 2024, le premier président a indiqué qu'il mettait l'affaire en délibéré au 17 avril 2024.
Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,
vidant son délibéré à l'audience de ce jour,
SUR CE,
Sur la recevabilité :
Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Cet article précise, toutefois, qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.
JRDP - 27/23 - 3ème page
En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale,
doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.
En l'espèce, la requête a été reçue par le greffe de la cour d'appel de Douai le 11 août 2023, soit dans le délai de six mois suivant le jugement du tribunal correctionnel de Lille en date du 7 février 2023.
Figure au dossier un certificat établi par le greffier du tribunal judiciaire de Lille en date du 10 juillet 2023 attestant qu'aucun appel n'a été formé à l'encontre de ce jugement.
En conséquence, le jugement est définitif et la requête ayant été présentée dans le délai légal, il y a lieu de la déclarer recevable.
Sur le préjudice moral :
Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.
La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée. Par contre, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération se trouve minorée par le passé carcéral de la personne détenue.
En l'espèce, il convient tout d'abord de relever que le bulletin n° 1 du casier judiciaire de M. [S] mentionne 4 condamnations par le tribunal correctionnel de Lille :
- 2 mois d'emprisonnement avec sursis pour vol en réunion et recel de vol, le 4 septembre 2012. Le sursis a été révoqué et la peine a été exécutée ;
- 1 an d'emprisonnement pour plusieurs vols aggravés, le 11 janvier 2013. La peine a été exécutée ;
- 4 mois d'emprisonnement avec sursis pour violence en réunion, le 25 juin 2014 ;
- 2 ans d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants, le 23 mars 2015. La peine a été exécutée.
M. [S] ayant déjà été plusieurs fois incarcéré, le choc carcéral lié à sa détention le 7 avril 2017 s'en est donc trouvé atténué.
Le requérant fait valoir que sa détention a été particulièrement dommageable du fait des circonstances suivantes :
- la pénibilité de la détention du fait du comportement agressif des autres détenus, ayant entraîné une dégradation de son état de santé ;
- l'éloignement familial.
En ce qui concerne l'éloignement familial, M. [S] ne démontre pas avoir été privé de parloir.
S'agissant des conditions de détention, M. [S] expose avoir subi une dégradation de sa santé mentale ayant nécessité une prise en charge en unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA). Il explique avoir tenté de se suicider.
Si M. [S] n'établit pas avoir été transféré en UHSA, il justifie avoir été victime d'une agression en détention par la production d'un rapport d'incident versé aux débats ainsi que d'une tentative d'autolyse par la production d'un autre rapport d'incident qui lui aussi figure au dossier.
Cette agression et cette tentative d'autolyse sont des facteurs de majoration du préjudice moral.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. [S] la somme de 23.000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur le préjudice matériel :
Le requérant sollicite une indemnité de 1.485,50 € au titre de ses frais d'avocat en lien avec le contentieux de la détention provisoire.
JRDP - 27/23 - 4ème page
Seuls les honoraires correspondant aux prestations directement liées à la privation de liberté sont indemnisables.
Sur ce point, la convention d'honoraires produite aux débats ne procède pas à la distinction entre les honoraires afférents à la détention provisoire et ceux relevant de la défense au fond.
A défaut de justification des frais d'avocat engagés à propos de sa détention provisoire, M. [S] doit être débouté de ce chef de demande.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
M. [S] sollicite la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il sera alloué à M. [S] la somme de mille euros (1.000 €) au titre des frais engagés pour la présente procédure.
Sur les dépens :
Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS,
Après débats en audience publique,
statuant publiquement et contradictoirement,
DECLARONS recevable la requête de M. [Z] [S] ;
ALLOUONS à M. [Z] [S] la somme de vingt-trois mille euros (23.000 €) au titre de son préjudice moral ;
DEBOUTONS M. [Z] [S] sur sa demande au titre de son préjudice matériel ;
ALLOUONS à M. [Z] [S] la somme de mille euros (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de DOUAI, le 17 avril 2024,
en présence de M. Jean-Baptiste MIOT, substitut général,
assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.
Le greffier Le premier président
C. BERQUET J. SEITHER