Cass. com., 24 avril 2024, n° 22-24.275
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
SFEF (Sarlu)
Défendeur :
Urban Way (Sarlu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Le Masne de Chermont
Avocat :
SARL Gury & Maitre
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 septembre 2022), rendu en référé, le 7 décembre 2021, la Société française d'étude et de formation (la société SFEF) a assigné la société Urban Way en paiement d'une somme provisionnelle correspondant à des factures impayées, au titre de deux contrats de formation de salariés conclus les 21 septembre 2016 et 1er octobre 2018.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. La société SFEF fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation provisionnelle de la société Urban Way au paiement des pénalités de retard au taux conventionnel de 1,5 % par mois de retard à compter du lendemain de la date d'échéance et jusqu'au paiement complet, conformément aux dispositions de l'article L. 441-10 du code de commerce, et des intérêts de retard au taux légal, calculés à compter de la mise en demeure et jusqu'au parfait paiement, conformément aux articles 1231 et suivants et 1344-1 du code civil, alors :
« 1°/ qu'il relève de l'office du juge des référés d'appliquer la loi, même si elle requiert son interprétation ; qu'en jugeant que la question du cumul des intérêts de retard de l'article 1231-6 du code civil et des pénalités de retard de l'article L. 441-10, II, du code de commerce constituait une contestation sérieuse, la cour d'appel a violé les articles 12, 872 et 873 du code de procédure civile ;
2°/ que les pénalités de retard de l'article L. 441-10, II, du code de commerce, qui sont d'ordre public et tendent à lutter contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, ne se confondent pas avec les intérêts moratoires de l'article 1231-6 du code civil ; qu'en jugeant qu'ils ne pouvaient se cumuler aux motifs qu' "il découle de ces textes, et quand bien même leur régime juridique et leurs conditions d'application sont différents, que les pénalités de retard et les intérêts moratoires sont de nature identique en ce qu'ils ont tous deux vocation à réparer le préjudice né du retard apporté au paiement par le débiteur", la cour d'appel a violé ces dispositions, interprétées à la lumière de l'article 3 de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 ;
3°/ que la société SFEF sollicite subsidiairement que la question suivante soit transmise à la Cour de justice de l'Union européenne : "Les pénalités de retard prévues à l'article 3 de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 se cumulent-elles avec les intérêts moratoires de droit commun dont dispose l'article 1231-6 du code civil ?" »
Réponse de la Cour
3. D'une part, aux termes de l'article L. 441-6, I, alinéa 8, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, devenu L. 441-10, II, du même code, les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d'application et le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture ainsi que le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire, qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal, ce taux est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage. Dans ce cas, le taux applicable pendant le premier semestre de l'année concernée est le taux en vigueur au 1er janvier de l'année en question. Pour le second semestre de l'année concernée, il est le taux en vigueur au 1er juillet de l'année en question. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu'un rappel soit nécessaire.
4. Selon l'article 3 de la directive 2011/7/UE du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, les États membres veillent à ce que, dans les transactions commerciales entre entreprises, le créancier soit en droit de réclamer des intérêts pour retard de paiement sans qu'un rappel soit nécessaire quand le créancier a rempli ses obligations contractuelles et légales et le créancier n'a pas reçu le montant dû à l'échéance, sauf si le débiteur n'est pas responsable du retard. Les États membres veillent à ce que le taux de référence applicable soit, pour le premier semestre de l'année concernée, le taux en vigueur au 1er janvier de l'année en question, et, pour le second semestre de l'année concernée, le taux en vigueur au 1er juillet de l'année en question. Lorsque les conditions spécifiées à cet article 3, § 1, sont remplies, les États membres veillent à ce que le créditeur ait droit à des intérêts pour retard de paiement le jour suivant la date de paiement ou la fin du délai de paiement fixé dans le contrat.
5. Selon l'article 2, points 5 et 6, de cette directive, aux fins de celle-ci, on entend par « intérêts pour retard de paiement », les intérêts légaux pour retard de paiement ou les intérêts à un certain taux convenu par les entreprises concernées, soumis à l'article 7 de la même directive, et, par « intérêts légaux pour retard de paiement », les intérêts simples pour retard de paiement, dont le taux est égal à la somme du taux de référence et de huit points de pourcentage au moins.
6. D'autre part, selon l'article 1153, alinéas 1 et 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 1231-6, alinéas 1 et 2, du même code, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'une perte.
7. Selon l'article 1105 du code civil, les contrats, qu'ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l'objet du sous-titre de ce code relatif au contrat. Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d'eux. Les règles générales s'appliquent sous réserve de ces règles particulières.
8. Il en résulte que la pénalité de retard prévue à l'article L. 441-6, I, alinéa 8, du code de commerce, devenu L. 441-10, II, du même code, constitue un intérêt moratoire et que, ayant la même nature, elle ne se cumule pas avec les intérêts légaux de retard au sens de l'article 1153, alinéas 1 et 2, et de l'article 1231-6 du code civil.
9. Ayant retenu à bon droit que, quand bien même leur régime juridique et leurs conditions d'application sont différents, les pénalités de retard prévues à l'article L. 441-10, II, précité et les intérêts moratoires visés à l'article 1231-6 précité sont de nature identique en ce qu'ils ont tous deux vocation à réparer le préjudice né du retard apporté au paiement par le débiteur, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande en paiement des pénalités prévues par le premier de ces textes en sus des intérêts moratoires prévus par le second se heurtait à une contestation sérieuse qui ne relevait pas des pouvoirs de la juridiction du référé.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
11. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 3 de la directive 2011/7, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suggérée par la société SFEF.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.