CA Reims, 1re ch. sect. civ., 28 novembre 2023, n° 22/01625
REIMS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Andycars (SARL)
Défendeur :
Compagnie Européenne des Eaux (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mehl-Jungbluth
Conseillers :
Mme Mathieu, Mme Pilon
Avocats :
Me Michelot, Me Gervais
Le 28 octobre 2020, la SARLU Compagnie européenne des eaux a passé commande auprès de la SARL Andycars d'un véhicule d'occasion de marque Peugeot modèle 508, immatriculé 1SZV261, au prix de 8 515.96 euros TTC. Des travaux, notamment de carrosserie, devaient être réalisés sur la voiture, la livraison étant prévue le 4 novembre 2020. Les parties s'accordent à dire que cette date a été repoussée au 6 novembre suivant, le véhicule n'étant pas prêt.
Le certificat de cession a été établi le 6 novembre 2020, mais la société Compagnie européenne des eaux n'est jamais entrée en possession du véhicule.
La société Compagnie européenne des eaux a fait assigner la SARL Andycars devant le tribunal de commerce de Reims par acte du 26 mars 2021, demandant la communication de pièces avant dire-droit, d'être déclarée bien-fondée en sa demande de délivrance du véhicule, avec toutes conséquences de droit, à tout le moins, si le tribunal devait estimer que la SARL Andycars justifiait ne pouvoir satisfaire à l'obligation de délivrance du véhicule en cause, que soit prononcée la résiliation judiciaire du contrat de vente aux torts exclusifs de la celle-ci et qu'elle soit indemnisée de ses préjudices.
La SARL Andycars s'est opposée à ces prétentions, sollicitant à titre reconventionnel du tribunal qu'il juge que le contrat de vente a été résolu unilatéralement et abusivement par la société Compagnie européenne des eaux, dans la mesure où elle a refusé de prendre possession du véhicule. Subsidiairement, elle a soutenu qu'elle était fondée à résilier le contrat unilatéralement du fait de la gravité du comportement de la société Compagnie européenne des eaux
Par jugement du 6 juillet 2022, le tribunal de commerce de Reims a :
Reçu la Compagnie européenne des eaux en ses demandes et l'a déclarée bien fondée,
En conséquence,
Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de vente établi entre les parties aux torts exclusifs de la SARL Andycars,
Déclaré que la SARL Andycars a commis divers manquements à ses obligations contractuelles,
Condamné la SARL Andycars à régler à la société Compagnie européenne des eaux la somme de 5 340.50 euros à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices matériels subis par la requérante, le tout majoré des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2021, date d'assignation,
Condamné la SARL Andycars à régler à la société Compagnie européenne des eaux la somme de 1 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices immatériels subis par la requérante, le tout majoré des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2021, date d'assignation,
Condamné la SARL Andycars à régler à la société Compagnie européenne des eaux la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Débouté la SARL Andycars de toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,
Rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
Condamné la SARL Andycars en tous les dépens de l'instance dont frais de greffe pour 78.96 euros TTC.
Exposé du litige
Le tribunal a retenu que la vente était parfaite et estimé que la vente n'a pas été résolue du fait que la société Compagnie européenne des eaux n'a pas récupéré le véhicule, celle-ci en restant propriétaire et le laissant en dépôt chez le vendeur, que les insultes éventuellement proférées ne peuvent entraîner à elles seules la résolution du contrat de vente, que la vente a été résiliée unilatéralement par la SARL Andycars, de manière abusive, que compte tenu du temps écoulé depuis les faits, le véhicule n'est plus disponible et ne pourra être récupéré par l'acquéreur.
Il a fait droit aux demandes indemnitaires de la société Compagnie européenne des eaux et débouté la SARL Andycars de la sienne au motif qu'elle était à l'origine du litige.
La SARL Andycars a fait appel de ce jugement par déclaration du 2 septembre 2022.
Par conclusions notifiées le 28 avril 2023, la SARL Andycars demande à la cour de :
Prononcer la nullité du jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims le 6 juillet 2022,
Subsidiairement, l'infirmer en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Juger que le contrat de vente liant les parties a été rompu unilatéralement et abusivement par la société Compagnie européenne des eaux le 6 novembre 2020,
Condamner la société Compagnie européenne des eaux à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts pour avoir atteint à sa réputation,
Subsidiairement,
Juger la résiliation unilatérale de la vente qu'elle a effectuée, le 6 novembre 2020, fondée du fait de la gravité du comportement de la société Compagnie européenne des eaux,
Condamner la société Compagnie européenne des eaux à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts pour avoir atteint à sa réputation,
Débouter la société Compagnie européenne des eaux de l'ensemble de ses demandes incidentes,
Condamner la société Compagnie européenne des eaux à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Compagnie européenne des eaux aux entiers dépens de la présente instance dont distraction requise au profit de la SELARL GM & Associés sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle invoque l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la CEDH) et explique que le jugement a été rendu par une formation collégiale du tribunal de commerce, composée notamment par l'ancien expert-comptable d'une société dont son propre gérant est associé et président et que les relations entre ces deux personnes étaient dégradées à l'époque de l'audience des plaidoiries. Elle estime qu'il existait dès lors un conflit d'intérêts manifeste et qu'elle a été privée d'un procès impartial et équitable.
Elle se prévaut en outre d'un défaut de motivation du jugement, contraire aux garanties implicites que recouvre la notion de procès équitable pour la cour européenne des droits de l'homme, ainsi qu'à l'article 455 du code de procédure civile, dès lors que le tribunal n'a fourni aucune explication sur le fondement en droit et en fait lui permettant de prononcer la résiliation du contrat.
Sur le fond, elle soutient que, même s'il faut comprendre que le tribunal lui a reproché une rupture abusive du contrat de vente, la seule sanction envisageable résidait dans l'allocation de dommages intérêts et non la résiliation judiciaire du contrat, sauf à confondre les notions de rupture abusive et d'inexécution du contrat.
Elle conteste l'allocation de dommages intérêts à l'intimée dès lors que le tribunal n'a pas établi de comportement fautif à son encontre.
Au soutien de sa demande reconventionnelle de voir le contrat résolu aux torts de la société Compagnie européenne des eaux, elle affirme que c'est le gérant de celle-ci, M [T], qui a refusé de prendre possession du véhicule, alors qu'il ne peut établir que celui-ci n'était pas conforme au bon de commande, de sorte qu'elle n'a fait qu'acter la rupture abusive de la vente par celui-ci et a restitué le montant du prix de vente et des frais annexes, par chèque que la société Compagnie européenne des eaux a encaissé.
Subsidiairement, elle entend que le contrat soit résolu aux torts exclusifs de la société Compagnie européenne des eaux en invoquant la gravité de son comportement, qui la dispensait de mise en demeure, M [T] ayant proféré des insultes et des menaces à l'encontre du représentant de la SARL Andycars et de ses employés.
Elle justifie dans tous les cas sa demande de dommages intérêts par l'atteinte portée à sa réputation du fait de l'attitude de la société intimée.
Quant à la demande de communication de pièces de cette dernière, elle estime que les documents en cause n'ont aucune utilité pour la cour et s'agissant de sa demande de livrer le véhicule, sous astreinte, elle indique qu'elle n'a plus celui-ci depuis le 24 décembre 2020 et rappelle que l'intimée a encaissé le chèque de remboursement du prix.
Par conclusions remises le 1er février 2023, la SARLU Compagnie européenne des eaux demande à la cour :
D'infirmer le jugement en l'ensemble de ses dispositions, sauf en ce qu'elle a mis à la charge de la SARL Andycars la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de 1ère instance et condamné cette société à lui régler la somme de 5 340.50 euros à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices matériels qu'elle a subis, le tout majoré des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2021,
Avant dire-droit sur ses demandes, enjoindre à la SARL Andycars de lui remettre les documents suivants :
Original de l'acte de cession du véhicule Peugeot 508 GT n°SZV261 (B) n° d'identification VF38EAHLADL004196 intervenue le 24 décembre 2020,
Justification de l'enregistrement de cette cession auprès de l'ANTS,
Justification du règlement du prix de vente mentionné à la facture du 24 décembre 2020 (copie du chèque et/relevé de compte justifiant de son encaissement),
Sous astreinte de 150 euros par jour et par document passé le 10ème jour suivant la signification de l'ordonnance à intervenir,
De condamner la SARL Andycars à lui remettre le véhicule d'occasion de marque Peugeot modèle 508 SW immatriculé sous le n°1SZV261 (B) sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé le 5ème jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir,
A tout le moins et si la cour croyait devoir juger que la SARL Andycars justifierait ne pouvoir satisfaire à l'obligation de délivrance du véhicule en cause,
De prononcer la résolution judiciaire du contrat de vente aux torts exclusifs de la SARL Andycars,
De condamner la SARL Andycars à lui régler les intérêts de droit à valoir sur le prix de vente de 8 515.96 euros du 2 novembre 2020, date de règlement, jusqu'au 1er février 2021, date de remboursement effectif de ladite somme,
De déclarer la SARL Andycars tant irrecevable que mal fondée en ses demandes en résolution et/ou résiliation du contrat de vente à ses torts, faute de mise en demeure préalable et de faute grave commise par la société Compagnie européenne des eaux à ses obligations contractuelles,
En toute hypothèse,
De déclarer que la SARL Andycars a commis divers manquements à ses obligations contractuelles,
De condamner la SARL Andycars à lui régler la somme de 5 340.50 euros à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices matériels qu'elle a subis, le tout majoré des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2021,
De la condamner à lui régler la somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices immatériels qu'elle a subis, le tout majoré des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2021,
De condamner la SARL Andycars à lui régler la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
De débouter la SARL Andycars de toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,
De rappeler que l'exécution provisoire est de droit conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile,
De condamner l'appelant en tous les dépens de la présente instance dont distraction requise au profit de Me Arnaud Gervais sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que les parties n'ont jamais eu affaire au juge soupçonné de conflit d'intérêt, mais toujours au juge chargé de l'instruction de l'affaire et affirme qu'il est nécessaire, pour qu'un jugement puisse être annulé pour cause de partialité, que celui-ci contienne des mentions faisant peser un doute légitime sur l'impartialité de la juridiction. Elle ajoute que la décision est dûment motivée.
Elle estime nécessaire de vérifier au préalable si la SARL Andycars est véritablement dans l'impossibilité de satisfaire à ses obligations contractuelles afin d'en tirer toutes conséquences de droit. A défaut pour l'appelante de justifier de la réalité de la vente du véhicule à un tiers, elle soutient que, la vente étant parfaite entre les parties à la présente instance, il doit lui être ordonné de lui délivrer le véhicule.
Elle entend obtenir, à titre subsidiaire, la résolution de la vente aux torts exclusifs de la SARL Andycars faute de délivrance d'un bien conforme à la commande, en raison du souhait de celle-ci de rompre unilatéralement le contrat le 6 novembre 2020, de son refus à deux reprises de délivrer le véhicule, de sa tentative de modifier unilatéralement les clauses et conditions de vente et de son choix de rompre unilatéralement le contrat via la vente du bien à un tiers.
Elle rappelle que la mise en demeure préalable est obligatoire dans le cas d'une résolution unilatérale, sauf urgence et qu'elle doit être motivée de façon complète et précise. Elle en conclut que la demande de résolution de la SARL Andycars est irrecevable en l'absence d'une telle mise en demeure.
Elle s'oppose à la demande de résiliation judiciaire en faisant valoir que le comportement que la société Andycars lui impute ne saurait être constitutif d'une faute à sa charge puisque ne répondant à aucune obligation souscrite entre les parties.
Elle explique que l'absence de livraison du véhicule au jour convenu, soit le 6 novembre 2020, lui a causé un préjudice matériel constitué par l'obligation de louer un véhicule de remplacement dans l'attente de la livraison effective, du 6 novembre 2020 jusqu'à ce jour et d'exposer des frais extra-judiciaires (frais d'huissier de justice) afin de voir respecter ses obligations par l'intimée, ainsi qu'un préjudice immatériel causé par l'obligation d'effectuer de nombreuses démarches chronophages afin de faire valoir ses droits.
Elle s'oppose à la propre demande indemnitaire de la SARL Andycars en excluant toute faute de sa part et parce que cette société n'explique pas le préjudice qui aurait résulté du comportement qu'elle lui impute.
Motivation
MOTIFS
Sur la demande d'annulation du jugement
Aux termes de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.
L'impartialité, qui se définit par l'absence de préjugé, peut s'apprécier objectivement et subjectivement. Objectivement, elle procède de considérations de caractère fonctionnel et organique et même d'apparences ; subjectivement, elle renvoie au for intérieur du juge.
La SARL Andycars fait valoir que son gérant est également président de la société Tinqueux Autos, dont M [V] [R] était l'expert-comptable.
Or M [R] fait partie des juges ayant délibéré sur le litige opposant la SARL Andycars à la société Compagnie européenne des eaux, ainsi que cela résulte des mentions du jugement frappé d'appel.
Compte tenu des relations professionnelles que ce juge entretenait avec le gérant d'une des deux sociétés parties au litige, son impartialité pouvait être suspectée, quelle que soit sa conduite personnelle.
Et il convient de relever que les parties indiquent toutes deux qu'elles n'ont rencontré, jusqu'à la clôture des débats, que le juge chargé d'instruire l'affaire, lequel n'était pas M [R], et que la société Andycars précise, qu'elle a eu connaissance de l'intervention de ce dernier à la lecture du jugement. Il ne peut donc lui être fait reproche de ne pas avoir invoqué la partialité qu'elle dénonce à présent, avant la clôture des débats et de ne pas avoir engagé de procédure de récusation.
En conséquence, le jugement doit être annulé.
Les parties ont conclu au fond, de sorte que la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, soit statuer au fond.
Sur la résiliation unilatérale du contrat
Selon l'article 1224 du code civil, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.
L'article 1226 dispose : « Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.
Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution ».
La SARL Andycars a manifesté, à plusieurs reprises, sa volonté de prendre possession du véhicule litigieux. Ainsi, dans un message électronique du 6 novembre 2020, qui correspond à la date même qui avait été convenue entre les parties pour la livraison, la société Compagnie européenne des eaux indique notamment à la SARL Andycars « Je suis passé ce matin comme convenu pour récupérer mon véhicule que je devais récupérer normalement en début de semaine'Car vous avez eu beaucoup de retard dans la carrosserie' Soit- disant'Je n'ai pas pu récupérer mon véhicule, car le vendeur m'a dit d'aller me faire quand je lui ai dit que le véhicule n'était pas conforme aux bons de commande'Carrosserie non conforme aux bons de commande (') Et je serai dans l'obligation de vous demander des dommages et intérêts pour non-respect du bon de commande ». Dans un autre message du même jour, il écrit : « vous ne pouvez annuler un bon de commande ».
Dans un nouveau courrier électronique, du 9 novembre 2020, au gérant de la SARL Andycars, la société Compagnie européenne des eaux déclare : « Comme je vous le disais auparavant une vente ne peut être annulée suite aux bons de commande la vente est ferme et définitive' ».
Ces premiers échanges ne permettent pas de caractériser une volonté de la société Compagnie européenne des eaux de résilier le contrat de vente mais, tout au plus, l'expression de réserves quant à la conformité de celui-ci au regard du bon de commande.
Ceci est confirmé par le comportement processuel ultérieur de cette société, qui a fait signifier une sommation de remettre le véhicule en cause à la SARL Andycars le 13 novembre 2020 et s'est présentée au siège de cette dernière le 23 novembre 2020 avec un huissier chargé de l'accompagner aux fins de constats à un rendez-vous pris amiablement pour la livraison du véhicule. Et encore, le 20 janvier 2021, la société Compagnie européenne des eaux a présenté au juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Reims une requête aux fins de saisie appréhension du véhicule, à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 25 janvier 2021.
La SARL Andycars ne peut donc raisonnablement soutenir que le contrat a été résilié par la société Compagnie européenne des eaux et qu'elle n'aurait fait que l'acter.
Quant à une résiliation unilatérale du contrat de vente par la SARL Andycars à raison du comportement du gérant de la société Compagnie européenne des eaux, les attestations versées aux débats évoquent des « menaces de procédure judiciaires » ou de contrôle fiscal et le refus du représentant de la société Compagnie européenne des eaux de « prendre une merde pareille » en parlant de la voiture litigieuse.
L'expression d'une volonté de recourir à des voies de droit ne peut être qualifiée de menace et les propos ainsi rapportés ne permettent pas de caractériser un manquement aux obligations contractuelles de la société Compagnie européenne des eaux, fût-ce celle d'exécuter les conventions de bonne foi, qui soit en outre suffisamment grave pour justifier une résiliation du contrat, le refus de « prendre » le véhicule à raison de son état n'étant que l'expression, certes vigoureuse, de réserves quant à la conformité de celui-ci, que l'acheteur est en droit d'exprimer.
En outre, force est de constater que la SARL Andy cars ne démontre pas qu'elle a respecté l'obligation de délivrer à son cocontractant une mise en demeure de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable et qu'aucune circonstance de l'espèce ne justifie qu'elle puisse s'en dispenser.
En conséquence, la cour ne peut que constater que les conditions prévues par les textes précédemment rappelés pour permettre à une partie de résilier unilatéralement un contrat ne sont pas réunies et la SARL Andycars doit être déboutée de ses demande tendant à juger que le contrat a été résilié unilatéralement, que ce soit sur l'initiative de la société Compagnie européenne des eaux ou sur la sienne et de celles, subséquentes, en paiement de dommages intérêts pour atteinte à sa réputation.
Sur la délivrance du véhicule et la résolution du contrat
L'article 1603 du code civil prévoit que le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend.
L'article 1228 dispose : « Le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts ».
La société Compagnie européenne des eaux sollicite à titre principal l'exécution forcée en nature de l'obligation de délivrance par la SARL Andycars et, à titre subsidiaire, la résolution du contrat de vente aux torts exclusifs de cette dernière.
La SARL Andycars excipe d'une impossibilité de délivrer le véhicule, qu'elle dit avoir vendu à un tiers et pour en justifier elle a communiqué à l'huissier chargé de l'exécution de l'ordonnance du juge de l'exécution aux fins de saisie appréhension, une facture du 24 décembre 2020 portant sur le véhicule litigieux, avec l'indication d'un prix de 8 572.76 euros TTC.
Il est ainsi suffisamment justifié de ce que l'exécution forcée du contrat n'est plus possible et celui-ci doit donc être résolu aux torts exclusifs de la SARL Andycars, puisqu'elle ne peut satisfaire à son obligation de délivrance du véhicule, pour avoir revendu celui-ci à un tiers.
Il résulte de l'article 1229 du code civil que la résolution met fin au contrat et qu'elle prend effet, dans le cas d'une résolution judiciaire, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l'assignation en justice.
En l'espèce, il convient de prévoir que la résolution du contrat prend effet à la date à laquelle la société Compagnie européenne des eaux a encaissé le chèque de restitution du prix établi par la SARL Andycars, soit le 2 février 2021.
L'article 1352-6 du code civil dispose que la restitution d'une somme d'argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l'a reçue.
En conséquence, la somme de 8 515.96 euros correspondant au prix du véhicule litigieux, que la société Compagnie européenne des eaux a recouvré le 2 février 2021, produit intérêts au taux légal, du 2 novembre 2020, date de son paiement à la SARL Andycars, jusqu'au 2 février 2021.
Sur les préjudices de la société Compagnie européenne des eaux
La société Compagnie européenne des eaux invoque l'obligation de louer un véhicule de remplacement du 6 octobre 2020 jusqu'au jour de ses conclusions.
Cependant, la résolution du contrat au 2 février 2021 conduit à limiter ce préjudice à cette date, puisqu'il n'existe plus à compter de cette résolution, d'obligation de délivrance à la charge de la SARL Andycars, dont l'inexécution persistante serait la cause du préjudice matériel consistant dans l'obligation de louer un véhicule de remplacement.
La société Compagnie européenne des eaux produit des factures de location auprès de la société Renault Mobility du 9 novembre au 9 décembre 2020 (817.60 euros TTC), du 9 décembre au 21 décembre 2020 (131.28 euros TTC), du 28 décembre 2020 au 28 janvier 2021 (817.60 euros TTC) et du 28 janvier 2021 au 16 février 2021 (834.52 euros, soit pour la période du 28 janvier 2021 au 2 février 2021, 250.36 euros). Les autres factures concernent des périodes de location postérieures au 2 février 2021 ou des périodes déjà visées dans les factures précitées.
Il n'est pas justifié que le billet de train au nom du gérant de la société Compagnie européenne des eaux ait été acheté pour les besoins de l'activité de ladite société, pas plus que ceux libellés au nom de [W] [S] et [U] [S], dont les liens avec la société sont ignorés. Il n'y a donc pas lieu de retenir le coût de ces billets.
Le frais d'huissier correspondant à la sommation de remettre le véhicule et du procès-verbal de constat sont inclus dans les frais irrépétibles.
En conséquence, la SARL Andycars sera condamnée à verser à la société Compagnie européenne des eaux la somme de 2 016.34 euros en réparation de son préjudice matériel, outre intérêts au taux légal à compte du jugement de première instance, ainsi que l'article 1231-7 du code civil le prévoit, soit le 6 juillet 2022.
La société Compagnie européenne des eaux n'explicite pas ce que sont les nombreuses démarches chronophages qu'elle a dû effectuer afin de faire valoir ses droits et n'en justifie pas. Sa demande en paiement au titre de telles démarches doit donc être rejetée.
Sur les dépens et frais irrépétibles
La SARL Andycars, partie condamnée, est tenue aux dépens de première instance et d'appel. Elle ne peut donc prétendre au paiement d'une indemnité au titre de ses frais irrépétibles.
Il est équitable d'allouer à la société Compagnie européenne des eaux la somme de 3 000 euros pour ses frais irrépétibles.
Le présent arrêt n'est pas susceptible de recours suspensif. La demande de la société Compagnie européenne des eaux relative à l'exécution provisoire est donc sans objet.
Me Arnaud Gervais sera autorisé à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Annule le jugement rendu le 6 juillet 2022 par le tribunal de commerce de Reims,
Statuant à nouveau,
Déboute la SARL Andycars de ses demandes tendant à juger que le contrat conclu entre les parties a été résilié unilatéralement et de celles, subséquentes, en paiement de dommages intérêts pour atteinte à sa réputation,
Prononce la résolution du contrat aux torts exclusifs de la SARL Andycars, à la date du 2 février 2021,
Condamne la SARL Andycars à payer à la SARL Compagnie européenne des eaux à payer les intérêts au taux légal sur la somme de 8 515.96 euros, du 2 novembre 2020 au 2 février 2021,
Condamne la SARL Andycars à payer à la SARL Compagnie européenne des eaux la somme de 2 016.34 euros en réparation de son préjudice matériel, outre intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 2022,
Déboute la SARL Compagnie européenne des eaux de sa demande en paiement au titre de préjudices immatériels,
Condamne la SARL Andycars à payer à la SARL Compagnie européenne des eaux la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SARL Andycars de sa propre demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL Andycars aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Arnaud Gervais.