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Cass. com., 24 avril 2024, n° 22-22.999

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Sony Interactive Entertainment Inc (Sté), Sony Interactive Entertainment Europe Limited (Sté), Sony Interactive Entertainment France (SA)

Défendeur :

Subsonic (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Sabotier

Avocat général :

Mme Texier

Avocats :

Me Le Guerer, Bouniol-Brochier, Me Piwnica et Molinié

Paris, du 9 sept. 2022

9 septembre 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 septembre 2022), les 11 avril 1997, 30 septembre 1997 et 1er août 2001, la société de droit japonais Sony Computer Entertainment a déposé trois brevets européens désignant la France, lesquels protègent diverses fonctionnalités de la manette de la console dénommée « PlayStation », que le groupe Sony commercialise depuis 1994.

2. La propriété de ces brevets a été cédée, au terme d'une scission-création réalisée conformément au droit japonais et achevée le 1er avril 2010, à une nouvelle société Sony Computer Entertainment, aux droits de laquelle vient, à la suite d'un changement de dénomination, la société Sony Interactive Entertainment (la société Sony).

3. Cette cession a été inscrite au registre national des brevets le 28 juin 2018.

4. Entre-temps, le 14 décembre 2016, la société Sony avait été autorisée à faire réaliser des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Subsonic, qu'elle soupçonnait de contrefaire la partie française de ses brevets. Le 16 janvier 2017, la société Sony, en qualité de propriétaire des brevets, et les sociétés Sony Interactive Entertainment Europe (la société Sony Europe) et Sony Interactive Entertainment France (la société Sony France), qui les exploitent en France, avaient assigné la société Subsonic en contrefaçon, ainsi qu'en concurrence déloyale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Sony, Sony Europe et Sony France font grief à l'arrêt de déclarer les sociétés Sony et Sony Europe irrecevables en leur action en contrefaçon de brevets, alors « que l'action en contrefaçon est exercée par le propriétaire du brevet ; que si l'article L. 613-9 du code de la propriété intellectuelle prévoit que tous les actes transmettant les droits attachés à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur le registre national des brevets, cette règle vise uniquement à protéger celui qui est susceptible d'avoir des droits sur le brevet en tant qu'objet de propriété, mais ne s'applique pas à une situation dans laquelle le cessionnaire du brevet fait grief à un tiers d'avoir, en contrefaisant le brevet, violé les droits conférés par ce dernier ; que le défaut d'inscription du transfert n'a donc pas pour effet de priver le cessionnaire du brevet de sa qualité pour agir en contrefaçon ; qu'en retenant que la société Sony serait irrecevable à agir en contrefaçon de la partie française des brevets européens n° 0 867 2012, n° 0 834 338 et n° 1 331 974 pour tous les actes commis antérieurement au 13 août 2018, date de l'inscription, sur le registre national des brevets, du transfert des droits sur ces brevets au profit de la société Sony, la cour d'appel a violé les articles L. 613-9 et L. 615-2 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 613-9, premier alinéa, du code de la propriété intellectuelle, tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur le registre national des brevets tenu par l'Institut national de la propriété industrielle.

7. Tant que le transfert n'a pas été inscrit au registre, l'ayant cause ne peut se prévaloir des droits découlant de l'acte lui ayant transmis la propriété du brevet. Il n'est donc pas recevable à agir en contrefaçon.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. Les sociétés Sony, Sony Europe et Sony France font grief à l'arrêt de condamner la société Sony au paiement d'une certaine somme à la société Subsonic en réparation du préjudice subi du fait des opérations de saisie-contrefaçon, alors « que l'autorisation de faire procéder à une saisie-contrefaçon peut être sollicitée par toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon ; que le défaut d'inscription du transfert au registre national des brevets ne prive pas le cessionnaire du brevet de la qualité à requérir l'autorisation de procéder à une saisie-contrefaçon ; qu'en se fondant, pour retenir l'existence d'une faute de la société Sony, sur le fait que cette dernière avait obtenu l'autorisation de faire procéder à une saisie-contrefaçon sans avoir fait état de la cession non publiée au registre national des brevets, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »

Réponse au moyen

10. La cour d'appel ne s'étant pas fondée sur le défaut de publication de la cession, mais sur le fait que la requérante n'avait pas fait état de la cession, le moyen manque en fait.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

11. Les sociétés Sony, Sony Europe et Sony France font grief à l'arrêt de déclarer les sociétés Sony et Sony Europe irrecevables en leur action en contrefaçon de brevets, alors « que, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ; que l'inscription du transfert du brevet au registre national des brevets fait disparaître l'éventuel défaut de qualité à agir du cessionnaire, peu important la date des actes argués de contrefaçon ; qu'en retenant, au contraire, que "si, comme le prévoit l'article 126 du code de procédure civile, la fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée en cours d'instance, cette régularisation ne peut avoir effet que pour les actes commis postérieurement à l'inscription opérée" et en déduisant que la société Sony serait irrecevable à agir en contrefaçon pour tous les actes commis antérieurement au 13 août 2018, la cour d'appel a violé les articles L. 613-9 et L. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, ensemble l'article 126 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 613-9, premier alinéa, et L. 615-2, premier alinéa, du code de la propriété intellectuelle, et l'article 126 du code de procédure civile :

12. Il résulte du premier de ces textes que tant que le transfert n'a pas été inscrit au registre national des brevets, l'ayant cause ne peut se prévaloir des droits découlant de l'acte lui ayant transmis la propriété du brevet. Il n'est donc pas recevable à agir en contrefaçon.

13. Il résulte de l'application combinée de ce même texte et des deux autres textes qu'à compter de l'inscription au registre du transfert de la propriété du brevet, l'ayant cause est recevable à agir en contrefaçon aux fins d'obtenir réparation du préjudice que lui ont causé les faits commis depuis le transfert ainsi que, si l'acte transmettant les droits le spécifie, du préjudice que lui ont causé les faits commis avant le transfert.

14. Pour dire irrecevable l'action en contrefaçon des sociétés Sony et Sony Europe, l'arrêt énonce que si, comme le prévoit l'article 126 du code de procédure civile, la fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée en cours d'instance, cette régularisation ne peut avoir effet que pour les actes commis postérieurement à l'inscription.

15. En statuant ainsi la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

16. Les sociétés Sony, Sony Europe et Sony France font grief à l'arrêt de rejeter l'intégralité des demandes de la société Sony France, alors « que l'entreprise qui exploite les produits protégés par un droit de propriété intellectuelle peut agir, sur le fondement de la concurrence déloyale, pour solliciter la réparation du préjudice que lui ont causé les faits allégués de contrefaçon ; que l'action en concurrence déloyale, qui est ouverte à celui qui ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif, peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon déclarée irrecevable ; qu'ainsi, l'éventuelle irrecevabilité des demandes formées par le titulaire du brevet au titre de la contrefaçon n'a pas pour effet de priver de fondement les demandes formées par le distributeur exclusif au titre de la concurrence déloyale ; qu'en déduisant le rejet des demandes de la société Sony France fondées sur la concurrence déloyale de l'irrecevabilité des demandes de la société Sony fondées sur la contrefaçon, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil :

17. Il résulte de ce texte que l'action en concurrence déloyale peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution d'un droit privatif ou pour inopposabilité du droit privatif aux tiers.

18. Pour rejeter les demandes de la société Sony France fondées sur la concurrence déloyale, l'arrêt retient que les demandes fondées sur la contrefaçon des brevets européens ont été considérées irrecevables et que la société Sony France n'invoque pas de faits distincts de la contrefaçon.

19. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt en ce qu'il confirme le jugement en tant qu'il a déclaré la société Sony irrecevable en son action en contrefaçon entraîne la cassation du chef de l'arrêt en ce qu'il confirme le jugement en tant qu'il a déclaré la société Sony Europe irrecevable en son action en contrefaçon, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement entrepris en tant que celui-ci a déclaré la société Sony Interactive Entertainment Inc. et la société Sony Interactive Entertainment Europe Limited irrecevables en leur action en contrefaçon des brevets européens n° 0 867 212, n° 0 834 338 et n° 1 331 974, débouté la société Sony Interactive Entertainment France SA de l'intégralité de ses demandes, condamné in solidum la société Sony Interactive Entertainment Inc. et la société Sony Interactive Entertainment France SA à payer à la société Subsonic la somme de 100 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la société Sony Interactive Entertainment Inc., la société Sony Interactive Entertainment France SA et la société Sony Interactive Entertainment Europe Limited aux dépens de première instance, et en ce qu'il condamne in solidum les sociétés Sony Interactive Entertainment Inc, Sony Interactive Entertainment Europe Limited et Sony Interactive Entertainment France SA à payer à la société Subsonic la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel et les condamne aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 9 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Subsonic aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Subsonic et la condamne à payer aux sociétés Sony Interactive Entertainment, Sony Interactive Entertainment Europe et Sony Interactive Entertainment France, la somme globale de 5 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre avril deux mille vingt-quatre.