Décisions
Cass. crim., 24 avril 2024, n° 22-83.466
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
N° D 22-83.466 FS-B
N° 00382
MAS2
24 AVRIL 2024
CASSATION PARTIELLE
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 AVRIL 2024
MM. [R] [N], [Y] [I] et Mme [D] [P], épouse [N], ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-12, en date du 9 mai 2022, qui a condamné le premier, pour détournement de fonds publics et complicité, complicité d'abus de biens sociaux, recels, à quatre ans d'emprisonnement dont trois ans avec sursis, 375 000 euros d'amende et dix ans d'inéligibilité, le deuxième, pour détournement de fonds publics à trois ans d'emprisonnement avec sursis et cinq ans d'inéligibilité, la troisième, pour complicité de détournements de fonds publics, complicité d'abus de biens sociaux, recels, à deux ans d'emprisonnement avec sursis, 375 000 euros d'amende et deux ans d'inéligibilité, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de MM. [R] [N], [Y] [I] et de Mme [D] [N], les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de MM. [R] [N], [Y] [I] et de Mme [D] [N], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, les avocats des demandeurs ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 28 février 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Piazza, M. Pauthe, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mmes Chafaï, Bloch, conseillers référendaires, M. Bougy, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Une enquête préliminaire a été ouverte le 25 janvier 2017 des chefs de détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel, à la suite de la publication par un hebdomadaire d'un article mettant en cause la réalité des tâches d'assistante parlementaire de Mme [D] [N] auprès, d'une part, de M. [R] [N], de 1998 à 2002, alors qu'il était député de la Sarthe, puis de 2012 à 2013, alors qu'il était député de [Localité 3], d'autre part, de M. [Y] [I], son suppléant, qui lui a succédé dans une circonscription de la Sarthe durant la législature 2002-2007.
3. Cet article contestait, également, que Mme [N] ait effectivement occupé des fonctions de conseillère littéraire de la publication la [4] dont le financement et la direction étaient assumés par M. [Y] [W], dirigeant du groupe [2] et proche de M. [N].
4. Cette enquête, clôturée le 23 février 2017, a été transmise au procureur de la République financier qui, le 24 février 2017, a ouvert une information, contre personne non dénommée, des chefs, notamment, de détournements de fonds publics par personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, d'abus de biens sociaux au préjudice de la [4], complicité et recel de ces délits.
5. MM. [N] et [I] ainsi que Mme [N] ont été mis en examen et renvoyés devant le tribunal correctionnel.
6. M. [W], mis en examen du chef d'abus de biens sociaux, a fait l'objet d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et est définitivement condamné.
7. Par un jugement du 29 juin 2020, M. [N] a été, notamment, condamné pour détournements de fonds publics réalisés entre 1998 et 2002 puis entre 2012 et 2013, complicité et recel du détournement de fonds publics commis par M. [I] ainsi que complicité et recel de l'abus de biens sociaux imputé à M. [W] ; M. [I] a été condamné pour détournement de fonds publics et Mme [N] a été condamnée pour complicité et recel des détournements de fonds publics commis par M. [N] et par M. [I] ainsi que pour complicité et recel de l'abus de biens sociaux reconnu par M. [W].
8. Les trois prévenus ainsi que le ministère public ont interjeté appel.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et troisième moyens, le cinquième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, le sixième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, le septième moyen, pris en sa première branche, les neuvième et onzième moyens, le douzième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, et le treizième moyen proposés pour M. [N]
Sur les premier, deuxième et troisième moyens, le cinquième moyen, pris en ses deuxième à cinquième branches, le huitième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, le treizième moyen et le quatorzième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposés pour Mme [N]
Sur les premier, deuxième et troisième moyens et le quatrième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, proposés pour M. [I]
9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le quatorzième moyen proposé pour M. [N]
Enoncé du moyen
10. Le quatorzième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a jugé irrecevable l'exception de nullité de la procédure qu'il a invoquée, alors « qu'une question prioritaire de constitutionnalité, présentée dans un mémoire distinct, démontre que l'article 385 du code de procédure pénale, en ce qu'il ne prévoit pas qu'il soit dérogé au principe de la purge des nullités de procédure prévu par l'article 179 in fine du même code s'agissant des moyens de nullité dont le prévenu ne pouvait avoir connaissance avant la clôture de l'instruction, méconnaissent les droits et libertés que la Constitution garantit, à savoir, à tout le moins, les droits de la défense et le droit à un recours effectif garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que l'abrogation de cette disposition, en application de laquelle a été prononcée la fin de non-recevoir critiquée, aura pour effet de priver l'arrêt attaqué de son fondement juridique. »
Réponse de la Cour
11. Saisi par la Cour de cassation dans la présente affaire d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 385 du code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2023-1062 QPC du 28 septembre 2023, déclaré contraires à la Constitution les mots « sauf lorsqu'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction » figurant au premier alinéa de ce texte.
12. Le Conseil constitutionnel, qui a reporté au 1er octobre 2024 l'abrogation de ces dispositions du code de procédure pénale, a, en revanche, jugé que la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n'a pu être connu avant la clôture de l'instruction et qu'il reviendra à la juridiction compétente de statuer sur ce moyen de nullité.
13. La cour d'appel ayant, par des motifs non critiqués au moyen, examiné les nullités soulevées par M. [N], ce dernier ne saurait se faire un grief de ce que l'arrêt a également jugé celles-ci irrecevables.
14. Le moyen doit, en conséquence, être écarté.
Sur les quinzième moyens proposés pour M. [N] et pour Mme [N] et le cinquième moyen proposé pour M. [I]
Enoncé des moyens
15. Les quinzième moyens proposés pour M. et Mme [N] et le cinquième moyen proposé pour M. [I] critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de prescription de l'action publique des délits de détournements de fonds publics, d'abus de biens sociaux, et de complicité et de recel de ces infractions, et les a déclaré coupables de ces chefs, alors « que le droit à un procès équitable, le droit à la présomption d'innocence et les droits de la défense s'opposent à ce qu'une personne puisse être jugée pour des faits commis dans un passé lointain ; qu'en effet, les délais légaux de péremption ou de prescription, qui figurent parmi les restrictions légitimes au droit à un tribunal, sont essentiels pour garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, pour mettre les défendeurs potentiels à l'abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et pour empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé ; qu'en l'espèce, pour dire non prescrits les délits de détournement de fonds publics, d'abus de biens sociaux et de complicité de ces délits, la cour d'appel a retenu que ceux-ci avaient commencé à se prescrire non au jour de leur commission, soit, selon les faits, entre 1998 et 2013, mais au jour où le ministère public en avait eu connaissance, soit le 25 janvier 2017, jour de la publication de l'article de presse du [1] ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait application d'une jurisprudence revenant à consacrer une imprescriptibilité de fait des délits poursuivis, et qui a examiné des faits survenus dans un passé lointain à l'encontre desquels les prévenus étaient dans l'impossibilité matérielle de se défendre efficacement, a méconnu le droit à une procédure juste et équitable, le principe de la présomption d'innocence et les droits de la défense, tels qu'ils sont protégés par les articles préliminaire du Code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de la sécurité juridique. »
Réponse de la Cour
16. Les moyens sont réunis.
17. Pour dire que l'action publique relative aux délits visés au moyen n'est pas éteinte, l'arrêt attaqué énonce que le point de départ du délai de prescription de l'action publique est fixé, non au jour de commission des infractions, mais le jour de la publication de l'article de presse faisant apparaître les faits incriminés.
18. Cette détermination du point de départ du délai de prescription de l'action publique, issue d'une jurisprudence ancienne, connue et constante (Ass. plén., 20 mai 2011, pourvoi n° 11-90.032, Bull. crim. 2011, Ass. plén., n° 8), a été consacrée par l'article 9-1 du code de procédure pénale tel qu'il est issu de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 et ne méconnaît aucun droit fondamental.
19. En effet, d'une part, lorsque le délai de prescription de l'action publique court à compter du jour où l'infraction, occulte ou dissimulée, est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, le ministère public, pour la recherche des éléments de preuve, et les prévenus, s'agissant de leurs moyens de défense, se trouvent dans une situation équivalente au regard de l'écoulement du temps.
20. D'autre part, l'appréciation de la valeur des éléments de preuve, soumis au débat contradictoire, assure le respect du droit à un procès équitable, du droit à la présomption d'innocence ainsi que des droits de la défense.
21. Ainsi, les moyens doivent être écartés.
Sur le septième moyen, pris en sa seconde branche, proposé pour M. [N]
Enoncé du moyen
22. Le septième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de détournement de fonds publics, alors :
« 2°/ que les principes de séparation des pouvoirs et de la liberté des membres du Parlement dans l'exercice de leur mandat s'opposent à ce que le juge judiciaire porte une appréciation sur l'utilité et la valeur du travail d'un collaborateur de député ; que, dès lors, en retenant, pour déclarer M. [N] coupable de détournement de fonds publics, que les rémunérations qu'il avait consenties à son épouse au titre du contrat de collaborateur parlementaire étaient manifestement surévaluées au regard des tâches accomplies (arrêt, p. 130), la cour d'appel a violé les principes susvisés, ensemble l'article 432-15 du Code pénal. »
Réponse de la Cour
23. Pour déclarer M. [N] coupable du délit de détournement de fonds publics, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que selon l'article 26 de la Constitution du 4 octobre 1958 « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions ».
24. Les juges relèvent que le Conseil constitutionnel (Cons. const., 7 novembre 1989, décision n° 89-262 DC) a jugé qu'une disposition étendant l'immunité prévue par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse au contenu d'un rapport établi par un parlementaire à la demande ou pour le compte du gouvernement français n'est pas conforme à la Constitution dès lors qu'en exonérant de façon absolue de toute responsabilité pénale et civile un parlementaire pour des actes distincts de ceux accomplis par lui dans l'exercice de ses fonctions, la disposition méconnaît le principe constitutionnel d'égalité devant la loi.
25. Les juges précisent qu'au jour où le tribunal a statué en l'espèce, le législateur n'avait pas étendu le bénéfice de l'immunité à un député ou à ses collaborateurs à raison du travail accompli par ces derniers dans une circonscription.
26. Ils ajoutent que la demande de M. [N] d'exclure du champ d'application du droit pénal, au nom du principe de la séparation des pouvoirs, le contrôle juridictionnel de l'effectivité des tâches d'un collaborateur de circonscription, dont la rémunération, versée par un député soumis au devoir de probité, provient de fonds publics, se situe en dehors du cadre de l'immunité parlementaire garantie par l'article 26 de la Constitution et méconnaît le principe d'égalité devant la loi.
27. Ils concluent que le contrôle effectué par les juges, qui a exclusivement porté sur l'exécution d'un contrat de droit privé signé par un député et sa collaboratrice parlementaire, n'a causé aucune atteinte à la fonction du législateur telle qu'elle est entendue par le droit constitutionnel.
28. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a pas excédé ses pouvoirs.
29. En effet, le principe de séparation des pouvoirs n'interdit pas au juge judiciaire, saisi de poursuites engagées du chef du délit de détournement de fonds publics, infraction contre la probité, qui n'entre pas dans le champ de l'irresponsabilité de l'article 26 de la Constitution, d'apprécier la réalité de l'exécution du contrat de droit privé conclu entre un membre du Parlement et un de ses collaborateurs.
30. Ainsi, le grief doit être écarté.
Sur le huitième moyen proposé pour M. [N] et le onzième moyen proposé pour Mme [N]
Enoncé des moyens
31. Le huitième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité d'abus de biens sociaux, alors :
« 1°/ que les juges correctionnels doivent préciser le mode de complicité retenu à l'encontre du prévenu ; que, dès lors, en énonçant, pour déclarer M. [N] complice du délit d'abus de biens sociaux commis par M. [W] résultant du versement de rémunérations à son épouse par la SAS La [4] au titre d'un contrat de conseiller littéraire pour des prestations prétendument fictives ou surévaluées, qu'il «a directement provoqué aux rencontres de [Y] [W] et de son épouse et a formulé la demande d'un emploi » (arrêt, p. 140), sans préciser si, ce faisant, elle retenait la culpabilité de M. [N] au titre de la complicité par aide ou assistance ou de la complicité par instigation, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-7 du Code pénal ;
2°/ qu'à supposer qu'il faille considérer que M. [N] ait été déclaré coupable de complicité par instructions, ce mode de complicité n'est punissable que si les instructions ont été données en vue de commettre une action qualifiée crime ou délit ; que, dès lors, en se bornant à énoncer, pour entrer en voie de condamnation à son encontre, que M. [N] « a directement provoqué aux rencontres de [Y] [W] et de son épouse et a formulé la demande d'un emploi » (arrêt, p. 140), sans relever ni établir qu'il aurait donné pour instruction à M. [W] de fournir à son épouse un travail fictif, c'est-à-dire de la rémunérer sans contrepartie effective, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-7 du Code pénal ;
3°/ qu'à supposer qu'il faille considérer que M. [N] ait été déclaré coupable de complicité par aide ou assistance, celle-ci n'est punissable que si l'aide a été apportée sciemment à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ; qu'en énonçant, pour déclarer M. [N] complice du délit d'abus de biens sociaux commis par M. [W], qu'il « a directement provoqué aux rencontres de [Y] [W] et de son épouse et a formulé la demande d'un emploi » (arrêt, p. 140), sans relever ni établir que M. [N] avait organisé ces rencontres et formulé cette demande avec la volonté de faire bénéficier à son épouse non d'un contrat de travail réel, mais d'un contrat de travail fictif qui permettrait à celle-ci de percevoir des revenus sans avoir à fournir de prestation de travail en contrepartie, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-7 du Code pénal ;
4°/ que l'intention délictueuse du complice s'apprécie au moment où il agit ; qu'en énonçant, au titre de la « caractérisation de l'élément intentionnel du délit de complicité », qu'« entretenant une communauté de vie avec son épouse, [R] [N] ( ) était le mieux placé pour se rendre compte que l'embauche de son épouse n'était que l'écran lui permettant d'être rémunérée » (arrêt, p. 141) et qu'«au moment de la rédaction de la fiche d'information que tout député doit établir et joindre au contrat d'embauche de son assistante, [R] [N] a porté comme durée de l'emploi de son épouse à la [4] le chiffre de 14 heures », ce qui « révèle ( ) qu'il avait pleine conscience que le contrat du 2 mai 2012 était « de façade » (arrêt, p. 141), lorsque ces faits, postérieurs aux actes de complicité reprochés à M. [N], ne sont pas susceptibles d'établir qu'au jour où celui-ci a sollicité M. [W], il l'a fait avec la conscience et la volonté d'assurer à son épouse des revenus au moyen d'un emploi fictif, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-7 du Code pénal. »
32. Le onzième moyen proposé pour Mme [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité d'abus de biens sociaux, alors :
« 1°/ que la complicité par aide ou assistance suppose l'accomplissement d'un acte ayant facilité la préparation ou la consommation du délit principal ; qu'en énonçant, pour déclarer Mme [N] coupable de complicité d'abus de biens sociaux, qu'elle a « aidé à la réalisation » de cette infraction (arrêt, p. 141), sans préciser en quoi cette aide aurait consisté, la cour d'appel a mis la Cour de cassation dans l'impossibilité d'exercer son contrôle et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 121-7 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ qu'à supposer qu'il faille considérer que la cour d'appel a adopté les motifs du jugement, les juges ne pouvaient retenir que la signature du contrat de conseiller littéraire constituait un acte de complicité, dès lors que la conclusion du contrat n'a pu en elle-même faciliter la préparation ou la consommation du délit d'abus de biens sociaux qui résulte non pas du versement des rémunérations, mais de l'inexistence ou de l'insuffisance des prestations exécutées en contrepartie ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 121-7 du Code pénal ;
3°/ que la complicité par aide et assistance n'est punissable que si l'aide a été apportée sciemment à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ; qu'en retenant que Mme [N] s'était rendue complice du délit de d'abus de biens sociaux commis par M. [W] en signant le contrat de conseiller littéraire par des motifs qui n'établissent pas qu'au jour de la signature du contrat, elle savait que la rémunération qu'elle percevrait serait surévaluée au regard des tâches qu'elle effectuerait en contrepartie, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-7 du Code pénal. »
Réponse de la Cour
33. Les moyens sont réunis.
34. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les époux [N] coupables de complicité d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que l'embauche de Mme [N] en qualité de conseillère littéraire à la société [4] a procédé de la seule volonté de M. [W] spécialement sollicité par M. [N], dont il est un proche, qui souhaitait trouver à son épouse une activité moins dépendante de lui et de la politique.
35. Les juges relèvent qu'il résulte du dossier qu'avant cette embauche, Mme [N] n'avait jamais occupé d'emploi dans une société commerciale d'édition, n'était pas connue pour ses travaux littéraires et que personne n'a attesté de son expérience dans le redressement comptable ou éditorial d'une revue traitant de littérature et de sciences politiques.
36. Ils retiennent que le dirigeant de droit de la société [4] n'a pas rencontré Mme [N], qu'une fois embauchée celle-ci a agi en dehors de tout contrôle hiérarchique et que cet emploi à un poste et à une fonction inédits, alors qu'un tel besoin n'a pas été formulé au sein de l'équipe de la [4], amène à s'interroger sur l'intérêt financier de procéder à un tel recrutement pour une publication dont le déficit était décrit comme chronique.
37. Ils précisent que seule une dizaine de notes de lecture est parvenue à la [4], au vu des pièces débattues, les allégations contraires des époux [N] n'étant étayées par aucune pièce, et que la preuve du rôle de conseillère joué par Mme [N] auprès du dirigeant du groupe [2] se heurte à un défaut de documentation.
38. Ils ajoutent que Mme [N] n'a jamais estimé devoir se rendre dans les locaux de la revue, que le personnel de la revue, qu'elle n'a jamais rencontré, a été tenu dans l'ignorance de son statut de conseillère littéraire et qu'elle n'a jamais cherché à connaître le fonctionnement de cette revue alors qu'elle était censée conseiller le dirigeant du groupe [2] sur la manière de redresser cette publication.
39. Ils soulignent qu'ainsi Mme [N] a fait le choix d'ignorer le fonctionnement de cette publication déficitaire, de son management, de ses choix éditoriaux ou rédactionnels et que le contrat de conseillère littéraire doit en conséquence s'analyser comme un emploi de confort seulement destiné à satisfaire la demande de M. [N] de procurer un emploi rémunéré à son épouse sans que soient exécutées les tâches imparties.
40. Ils relèvent qu'en mentionnant, comme durée de l'emploi de son épouse à la [4], sur la fiche d'information établie par tout député pour l'embauche d'un assistant parlementaire, le chiffre de quatorze heures, M. [N] avait pleine conscience que le contrat du 2 mai 2012 était « de façade » car un emploi tel que celui de conseillère littéraire excède à l'évidence cette courte durée.
41. Les juges précisent que la revue n'a pas tiré de plus-value de l'embauche de Mme [N] qui est, dans ce contexte, significative de la commission du délit de complicité qui lui a valu d'être déclarée coupable par le tribunal et que sans cette aide et ce concours M. [W] n'aurait pas grevé, dans les proportions décrites, les finances déjà obérées de la [4].
42. En l'état de ces énonciations la cour d'appel, qui a souverainement caractérisé, sans insuffisance, en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits de complicité d'abus de biens sociaux dont elle a déclaré coupables M. [N], par instigation, Mme [N], par aide ou assistance, a justifié sa décision.
43. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
Sur les septième, dixième et douzième moyens proposés pour Mme [N]
Enoncé des moyens
44. Le septième moyen proposé pour Mme [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable des chefs de complicité et de recel du délit de détournement de fonds publics reprochés à M. [I], alors « que l'infraction de recel ne peut être retenue à l'égard du complice de l'auteur principal du délit d'origine lorsque les faits de recel poursuivis sont indissociables de l'acte de complicité pour en être la conséquence directe ; que, dès lors, en déclarant Mme [N] coupable à la fois de complicité de détournement de fonds publics pour avoir signé avec M. [I] un contrat d'assistant parlementaire prétendument fictif en vertu duquel des fonds publics lui ont été remis à titre de rémunération, et de recel de ce délit pour avoir perçu ces rémunérations en exécution de ce contrat de travail, la cour d'appel a violé les articles 121-7 et 321-1 du Code pénal, ensemble le principe ne bis in idem tel qu'il est garanti par les articles 4 du protocole 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
45. Le dixième moyen proposé pour Mme [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable des chefs de complicité et de recel du délit de détournement de fonds publics reprochés à M. [N], alors « que l'infraction de recel ne peut être retenue à l'égard du complice de l'auteur principal du délit d'origine lorsque les faits de recel poursuivis sont indissociables de l'acte de complicité pour en être la conséquence directe ; que, dès lors, en déclarant Mme [N] coupable à la fois de complicité de détournement de fonds publics pour avoir accepté de signer avec M. [N] un contrat d'assistant parlementaire en vertu duquel des fonds publics lui ont été versés à titre de rémunération pour des prestations prétendument insuffisantes, et de recel de ce délit pour avoir perçu ces rémunérations, la cour d'appel a violé les articles 121-7 et 321-1 du Code pénal, ensemble le principe ne bis in idem tel qu'il est garanti par les articles 4 du protocole 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
46. Le douzième moyen proposé pour Mme [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable des chefs de complicité et de recel d'abus de biens sociaux, alors « que l'infraction de recel ne peut être retenue à l'égard du complice de l'auteur principal du délit d'origine lorsque les faits de recel poursuivis sont indissociables de l'acte de complicité pour en être la conséquence directe ; que, dès lors, en déclarant Mme [N] coupable à la fois de complicité d'abus de biens sociaux pour avoir signé un contrat de conseiller littéraire prétendument fictif, et de recel de ce délit pour avoir perçu des rémunérations en exécution de ce contrat de travail, la cour d'appel a violé les articles 121-7 et 321-1 du Code pénal, ensemble le principe ne bis in idem tel qu'il est garanti par les articles 4 du protocole 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
47. Les moyens sont réunis.
48. Pour déclarer Mme [N] coupable des délits de complicité de détournement de fonds publics reprochés, d'une part, à M. [I] et, d'autre part, à M. [N], ainsi que du délit de complicité d'abus de biens sociaux imputé à M. [W], l'arrêt attaqué énonce que Mme [N] a apporté une aide à l'auteur de chacune de ces infractions en signant un contrat de travail qui ne donnera pas lieu à l'accomplissement d'une contrepartie.
49. Les juges ont également déclaré Mme [N] coupable de recel pour avoir bénéficié des sommes perçues en vertu de ces contrats.
50. En statuant ainsi, la cour d'appel, devant laquelle le principe ne bis in idem a été invoqué en substance, n'a méconnu aucun des textes visés aux moyens.
51. En effet, la complicité par aide tend à faciliter sciemment la commission d'une infraction par son auteur, alors que le recel consiste à bénéficier, en connaissance de cause, du produit d'un crime ou d'un délit réalisé.
52. Il en résulte que ces deux délits, conditionnés par l'existence de la même infraction principale et par nature réalisés en des temps différents, reposent nécessairement sur des faits distincts.
53. En l'absence d'identité de faits matériels entre les deux infractions, le cumul de qualification lors de la déclaration de culpabilité ne méconnaît pas le principe ne bis in idem (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, publié au Bulletin).
54. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
Sur le douzième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [N] et le quatrième moyen, pris en sa première branche, proposé
pour M. [I]
Enoncé des moyens
55. Le douzième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné solidairement avec Mme [N] à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros à titre de dommages et intérêts alors :
« 1°/ que les tribunaux répressifs de l'ordre judiciaire ne sont compétents pour statuer sur les conséquences dommageables d'un acte délictueux commis par l'agent d'un service public que si cet acte constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions ; qu'en l'espèce, après avoir déclaré M. [N] coupable de détournement de fonds publics pour avoir, en sa qualité de député, versé, au moyen de fonds publics, des rémunérations disproportionnées à son épouse prise en sa qualité de collaboratrice de circonscription, la cour d'appel l'a condamné, solidairement avec celle-ci, à indemniser le préjudice de la partie civile ; qu'en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile d'un député, sans rechercher, même d'office, si la faute imputée à celui-ci, commise dans l'exercice de ses fonctions de député, présentait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, la cour d'appel a méconnu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »
56. Le quatrième moyen proposé pour M. [I] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné solidairement avec Mme [N] à payer à l'Assemblée nationale la somme de 679 989,32 euros à titre de dommages et intérêts, alors :
« 1°/ que les tribunaux répressifs de l'ordre judiciaire ne sont compétents pour statuer sur les conséquences dommageables d'un acte délictueux commis par l'agent d'un service public que si cet acte constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions ; qu'en l'espèce, après avoir déclaré M. [I] coupable de détournement de fonds publics pour avoir, en sa qualité de député, versé, au moyen de fonds publics, des rémunérations à Mme [N] au titre d'un contrat de collaborateur de député pour des prestations fictives, la cour d'appel l'a condamné, solidairement avec celle-ci, à indemniser le préjudice de la partie civile ; qu'en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile d'un député, sans rechercher, même d'office, si la faute imputée à celui-ci, commise dans l'exercice de ses fonctions de député, présentait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, la cour d'appel a méconnu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »
Réponse de la Cour
57. Les moyens sont réunis.
58. Pour condamner MM. [N] et [I] à verser des dommages et intérêts à la partie civile, l'arrêt attaqué retient que les prévenus, reconnus coupables du délit de détournement de fonds publics, sont tenus de réparer entièrement les préjudices découlant de ces infractions.
59. En retenant ainsi sa compétence pour statuer sur la responsabilité civile des prévenus qui avaient la qualité de député au moment de la commission des faits, l'arrêt n'encourt pas la censure.
60. En effet, les griefs sont inopérants en ce que la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, qu'ils visent, font interdiction aux juridictions judiciaires de connaître des actes de l'Administration et non de condamner des parlementaires à verser à l'Assemblée nationale, constituée partie civile, une indemnisation en réparation du préjudice que lui a directement causé le délit dont ils ont été reconnus coupables.
Mais sur le dixième moyen proposé pour M. [N]
Enoncé du moyen
61. Le dixième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à son encontre la peine de quatre ans d'emprisonnement, dont trois ans assortis du sursis simple, et a constaté l'impossibilité matérielle pour la cour d'appel d'aménager la partie ferme d'une année d'emprisonnement au jour où elle statue, alors :
« 1°/ qu'en matière correctionnelle, le juge répressif ne peut prononcer une peine d'emprisonnement ferme qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine, laquelle ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur ainsi que la situation matérielle, familiale et sociale de celui-ci rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que, dès lors, en énonçant, pour condamner M. [N] à la peine de quatre ans d'emprisonnement dont un an ferme, que cette peine est justifiée par l'atteinte à l'ordre public dans les proportions et l'ampleur rappelées ainsi que par la commune et constante préoccupation des époux [N] de financer leur train de vie, pourtant substantiel, par des moyens illégaux (arrêt, p. 144), sans s'expliquer sur la situation matérielle, familiale et sociale de M. [N] ni sur le caractère manifestement inadéquat de toute autre peine que l'emprisonnement ferme, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1, 132-19 du Code pénal et 464-2, 485-1 du Code de procédure pénale ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-19 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
62. Aux termes du premier de ces textes, toute peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate.
63. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
64. En condamnant M. [N] à la peine de quatre années d'emprisonnement dont trois années ont été assorties du sursis simple, sans constater que toute autre sanction était manifestement inadéquate, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
65. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Et sur le douzième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, proposé pour M. [N] et le quatorzième moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposé pour Mme [N]
Enoncé des moyens
66. Le douzième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné solidairement avec Mme [N] à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros à titre de dommages et intérêts alors :
« 2°/ que, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice causé par une infraction, il ne saurait en résulter pour la victime ni perte ni profit ; qu'en l'espèce, après avoir retenu, pour déclarer M. [N] coupable de détournement de fonds publics et Mme [N] coupable de complicité et recel de ce délit, que les rémunérations accordées par M. [N] à son épouse au titre du contrat conclu le 10 juillet 2012 étaient « manifestement surévaluées » (arrêt, p. 130 et 149) au regard « des activités réellement exercées » par celle-ci (arrêt, p. 149), la cour d'appel les a condamnés solidairement à payer à l'Assemblée nationale, en réparation de son préjudice, la somme de 126 167,10 euros correspondant à l'intégralité des rémunérations perçues par Mme [N] en exécution de ce contrat, outre les charges salariales et patronales afférentes ; qu'en prononçant ainsi, quand le préjudice subi ne pouvait correspondre à l'intégralité des salaires pour un travail qui était en partie réel, mais uniquement à la partie de la rémunération versée sans contrepartie effective, dont il lui appartenait d'évaluer le montant, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale et 1240 du Code civil ;
3°/ qu'en se fondant sur la nature publique des fonds détournés pour écarter l'argumentation des prévenus qui soutenaient que le préjudice susceptible d'être indemnisé ne peut être supérieur à l'excès de rémunération versée, lorsque la loi ne prévoit pas d'exception au principe de la réparation intégrale en matière de détournement de fonds publics, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et n'a donc pas justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale et 1240 du Code civil, ensemble l'article 593 du Code de procédure pénale. »
67. Le quatorzième moyen proposé pour Mme [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné solidairement avec M. [N] à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros à titre de dommages et intérêts et l'a condamnée solidairement avec M. [I] à payer à l'Assemblée nationale la somme de 679 989,32 euros à titre de dommages et intérêts, alors :
« 1°/ que, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice causé par une infraction, il ne saurait en résulter pour la victime ni perte ni profit ; qu'en l'espèce, après avoir retenu, pour déclarer M. [N] coupable de détournement de fonds publics et Mme [N] coupable de complicité et recel de ce délit, que les rémunérations accordées par M. [N] à son épouse au titre du contrat conclu le 10 juillet 2012 étaient « manifestement surévaluées » (arrêt, p. 130 et 149) au regard « des activités réellement exercées » par celle-ci (arrêt, p. 149), la cour d'appel les a condamnés solidairement à payer à l'Assemblée nationale, en réparation de son préjudice, la somme de 126 167,10 euros correspondant à l'intégralité des rémunérations perçues par Mme [N] en exécution de ce contrat, outre les charges salariales et patronales afférentes ; qu'en prononçant ainsi, quand le préjudice subi ne pouvait correspondre à l'intégralité des salaires pour un travail qui était en partie réel, mais uniquement à la partie de la rémunération versée sans contrepartie effective, dont il lui appartenait d'évaluer le montant, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale et 1240 du Code civil ;
2°/ qu'en se fondant sur la nature publique des fonds détournés pour écarter l'argumentation des prévenus qui soutenaient que le préjudice susceptible d'être indemnisé ne peut être supérieur à l'excès de rémunération versée, lorsque la loi ne prévoit pas d'exception au principe de la réparation intégrale en matière de détournement de fonds publics, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et n'a donc pas justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale et 1240 du Code civil, ensemble l'article 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
68. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1382 devenu 1240 du code civil :
69. Il résulte de ces textes que le préjudice découlant d'une infraction doit être réparé en son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
70. Pour condamner M. [N], solidairement avec Mme [N], à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros en réparation du préjudice causé par les faits de détournement de fonds publics, dont ils ont été respectivement reconnus auteur et complice, la cour d'appel énonce que les rémunérations versées par M. [N], en sa qualité d'employeur, en application du contrat signé par son épouse en tant que collaboratrice de circonscription, étaient manifestement surévaluées et que les contreparties fournies par celle-ci étaient insuffisantes.
71. Les juges, qui relèvent que seules quelques remises de courriers par Mme [N] à des collaboratrices de son mari en sus du traitement occasionnel d'informations en provenance de la circonscription ont été trouvées, soulignent que la disproportion manifeste entre les rémunérations versées et les activités réellement exercées a été caractérisée.
72. Ils ajoutent que la jurisprudence, relative au délit d'abus de biens sociaux, invoquée pour soutenir que le préjudice susceptible d'être indemnisé ne peut être supérieur à l'excès de rémunération versée, se distingue de la présente affaire en ce qu'elle concerne des fonds d'une société commerciale et non, comme en l'espèce, des fonds publics.
73. Les juges énoncent que le préjudice, résultant de la volonté du député et de sa collaboratrice, a été subi par une émanation de l'Etat dont la personnalité juridique ne se confond pas avec celle de M. [N] en tant qu'employeur et trouve son origine, non dans l'exercice abusif d'une fonction sociale, mais dans le détournement de fonds qui avaient vocation légale à être restitués en l'absence d'utilisation.
74. Ils concluent que la partie civile est fondée à réclamer la totalité des fonds mis à disposition de M. [N] en sa seule qualité de député.
75. En se déterminant ainsi, alors que le montant du préjudice subi, d'une part, ne pouvait correspondre à l'intégralité des salaires versés dont elle a constaté qu'ils n'étaient pas dénués de toute contrepartie, d'autre part, ne pouvait dépendre de la nature, publique ou privée, des fonds détournés, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
76. D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue.
Portée et conséquences de la cassation
77. La cassation à intervenir concerne les dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de M. [N] et les dispositions par lesquelles M. et Mme [N] ont été solidairement condamnés à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros à titre de dommages et intérêts. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le quatrième moyen, le cinquième moyen, pris en sa première branche, et le sixième moyen, pris en sa première branche, proposés pour M. [N], ainsi que le quatrième moyen, le cinquième moyen, pris en sa première branche, le sixième moyen, le huitième moyen, pris en sa première branche, et le neuvième moyen proposés pour Mme [N], la Cour :
Sur le pourvoi formé par M. [I] :
Le REJETTE ;
Sur les pourvois formés par M. et Mme [N] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 9 mai 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de M. [N], et par lesquelles M. et Mme [N] ont été solidairement condamnés à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros à titre de dommages et intérêts, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre avril deux mille vingt-quatre.
N° 00382
MAS2
24 AVRIL 2024
CASSATION PARTIELLE
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 AVRIL 2024
MM. [R] [N], [Y] [I] et Mme [D] [P], épouse [N], ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-12, en date du 9 mai 2022, qui a condamné le premier, pour détournement de fonds publics et complicité, complicité d'abus de biens sociaux, recels, à quatre ans d'emprisonnement dont trois ans avec sursis, 375 000 euros d'amende et dix ans d'inéligibilité, le deuxième, pour détournement de fonds publics à trois ans d'emprisonnement avec sursis et cinq ans d'inéligibilité, la troisième, pour complicité de détournements de fonds publics, complicité d'abus de biens sociaux, recels, à deux ans d'emprisonnement avec sursis, 375 000 euros d'amende et deux ans d'inéligibilité, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de MM. [R] [N], [Y] [I] et de Mme [D] [N], les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de MM. [R] [N], [Y] [I] et de Mme [D] [N], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, les avocats des demandeurs ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 28 février 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Piazza, M. Pauthe, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mmes Chafaï, Bloch, conseillers référendaires, M. Bougy, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Une enquête préliminaire a été ouverte le 25 janvier 2017 des chefs de détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel, à la suite de la publication par un hebdomadaire d'un article mettant en cause la réalité des tâches d'assistante parlementaire de Mme [D] [N] auprès, d'une part, de M. [R] [N], de 1998 à 2002, alors qu'il était député de la Sarthe, puis de 2012 à 2013, alors qu'il était député de [Localité 3], d'autre part, de M. [Y] [I], son suppléant, qui lui a succédé dans une circonscription de la Sarthe durant la législature 2002-2007.
3. Cet article contestait, également, que Mme [N] ait effectivement occupé des fonctions de conseillère littéraire de la publication la [4] dont le financement et la direction étaient assumés par M. [Y] [W], dirigeant du groupe [2] et proche de M. [N].
4. Cette enquête, clôturée le 23 février 2017, a été transmise au procureur de la République financier qui, le 24 février 2017, a ouvert une information, contre personne non dénommée, des chefs, notamment, de détournements de fonds publics par personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, d'abus de biens sociaux au préjudice de la [4], complicité et recel de ces délits.
5. MM. [N] et [I] ainsi que Mme [N] ont été mis en examen et renvoyés devant le tribunal correctionnel.
6. M. [W], mis en examen du chef d'abus de biens sociaux, a fait l'objet d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et est définitivement condamné.
7. Par un jugement du 29 juin 2020, M. [N] a été, notamment, condamné pour détournements de fonds publics réalisés entre 1998 et 2002 puis entre 2012 et 2013, complicité et recel du détournement de fonds publics commis par M. [I] ainsi que complicité et recel de l'abus de biens sociaux imputé à M. [W] ; M. [I] a été condamné pour détournement de fonds publics et Mme [N] a été condamnée pour complicité et recel des détournements de fonds publics commis par M. [N] et par M. [I] ainsi que pour complicité et recel de l'abus de biens sociaux reconnu par M. [W].
8. Les trois prévenus ainsi que le ministère public ont interjeté appel.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et troisième moyens, le cinquième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, le sixième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, le septième moyen, pris en sa première branche, les neuvième et onzième moyens, le douzième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, et le treizième moyen proposés pour M. [N]
Sur les premier, deuxième et troisième moyens, le cinquième moyen, pris en ses deuxième à cinquième branches, le huitième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, le treizième moyen et le quatorzième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposés pour Mme [N]
Sur les premier, deuxième et troisième moyens et le quatrième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, proposés pour M. [I]
9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le quatorzième moyen proposé pour M. [N]
Enoncé du moyen
10. Le quatorzième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a jugé irrecevable l'exception de nullité de la procédure qu'il a invoquée, alors « qu'une question prioritaire de constitutionnalité, présentée dans un mémoire distinct, démontre que l'article 385 du code de procédure pénale, en ce qu'il ne prévoit pas qu'il soit dérogé au principe de la purge des nullités de procédure prévu par l'article 179 in fine du même code s'agissant des moyens de nullité dont le prévenu ne pouvait avoir connaissance avant la clôture de l'instruction, méconnaissent les droits et libertés que la Constitution garantit, à savoir, à tout le moins, les droits de la défense et le droit à un recours effectif garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que l'abrogation de cette disposition, en application de laquelle a été prononcée la fin de non-recevoir critiquée, aura pour effet de priver l'arrêt attaqué de son fondement juridique. »
Réponse de la Cour
11. Saisi par la Cour de cassation dans la présente affaire d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 385 du code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2023-1062 QPC du 28 septembre 2023, déclaré contraires à la Constitution les mots « sauf lorsqu'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction » figurant au premier alinéa de ce texte.
12. Le Conseil constitutionnel, qui a reporté au 1er octobre 2024 l'abrogation de ces dispositions du code de procédure pénale, a, en revanche, jugé que la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n'a pu être connu avant la clôture de l'instruction et qu'il reviendra à la juridiction compétente de statuer sur ce moyen de nullité.
13. La cour d'appel ayant, par des motifs non critiqués au moyen, examiné les nullités soulevées par M. [N], ce dernier ne saurait se faire un grief de ce que l'arrêt a également jugé celles-ci irrecevables.
14. Le moyen doit, en conséquence, être écarté.
Sur les quinzième moyens proposés pour M. [N] et pour Mme [N] et le cinquième moyen proposé pour M. [I]
Enoncé des moyens
15. Les quinzième moyens proposés pour M. et Mme [N] et le cinquième moyen proposé pour M. [I] critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de prescription de l'action publique des délits de détournements de fonds publics, d'abus de biens sociaux, et de complicité et de recel de ces infractions, et les a déclaré coupables de ces chefs, alors « que le droit à un procès équitable, le droit à la présomption d'innocence et les droits de la défense s'opposent à ce qu'une personne puisse être jugée pour des faits commis dans un passé lointain ; qu'en effet, les délais légaux de péremption ou de prescription, qui figurent parmi les restrictions légitimes au droit à un tribunal, sont essentiels pour garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, pour mettre les défendeurs potentiels à l'abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et pour empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé ; qu'en l'espèce, pour dire non prescrits les délits de détournement de fonds publics, d'abus de biens sociaux et de complicité de ces délits, la cour d'appel a retenu que ceux-ci avaient commencé à se prescrire non au jour de leur commission, soit, selon les faits, entre 1998 et 2013, mais au jour où le ministère public en avait eu connaissance, soit le 25 janvier 2017, jour de la publication de l'article de presse du [1] ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait application d'une jurisprudence revenant à consacrer une imprescriptibilité de fait des délits poursuivis, et qui a examiné des faits survenus dans un passé lointain à l'encontre desquels les prévenus étaient dans l'impossibilité matérielle de se défendre efficacement, a méconnu le droit à une procédure juste et équitable, le principe de la présomption d'innocence et les droits de la défense, tels qu'ils sont protégés par les articles préliminaire du Code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de la sécurité juridique. »
Réponse de la Cour
16. Les moyens sont réunis.
17. Pour dire que l'action publique relative aux délits visés au moyen n'est pas éteinte, l'arrêt attaqué énonce que le point de départ du délai de prescription de l'action publique est fixé, non au jour de commission des infractions, mais le jour de la publication de l'article de presse faisant apparaître les faits incriminés.
18. Cette détermination du point de départ du délai de prescription de l'action publique, issue d'une jurisprudence ancienne, connue et constante (Ass. plén., 20 mai 2011, pourvoi n° 11-90.032, Bull. crim. 2011, Ass. plén., n° 8), a été consacrée par l'article 9-1 du code de procédure pénale tel qu'il est issu de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 et ne méconnaît aucun droit fondamental.
19. En effet, d'une part, lorsque le délai de prescription de l'action publique court à compter du jour où l'infraction, occulte ou dissimulée, est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, le ministère public, pour la recherche des éléments de preuve, et les prévenus, s'agissant de leurs moyens de défense, se trouvent dans une situation équivalente au regard de l'écoulement du temps.
20. D'autre part, l'appréciation de la valeur des éléments de preuve, soumis au débat contradictoire, assure le respect du droit à un procès équitable, du droit à la présomption d'innocence ainsi que des droits de la défense.
21. Ainsi, les moyens doivent être écartés.
Sur le septième moyen, pris en sa seconde branche, proposé pour M. [N]
Enoncé du moyen
22. Le septième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de détournement de fonds publics, alors :
« 2°/ que les principes de séparation des pouvoirs et de la liberté des membres du Parlement dans l'exercice de leur mandat s'opposent à ce que le juge judiciaire porte une appréciation sur l'utilité et la valeur du travail d'un collaborateur de député ; que, dès lors, en retenant, pour déclarer M. [N] coupable de détournement de fonds publics, que les rémunérations qu'il avait consenties à son épouse au titre du contrat de collaborateur parlementaire étaient manifestement surévaluées au regard des tâches accomplies (arrêt, p. 130), la cour d'appel a violé les principes susvisés, ensemble l'article 432-15 du Code pénal. »
Réponse de la Cour
23. Pour déclarer M. [N] coupable du délit de détournement de fonds publics, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que selon l'article 26 de la Constitution du 4 octobre 1958 « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions ».
24. Les juges relèvent que le Conseil constitutionnel (Cons. const., 7 novembre 1989, décision n° 89-262 DC) a jugé qu'une disposition étendant l'immunité prévue par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse au contenu d'un rapport établi par un parlementaire à la demande ou pour le compte du gouvernement français n'est pas conforme à la Constitution dès lors qu'en exonérant de façon absolue de toute responsabilité pénale et civile un parlementaire pour des actes distincts de ceux accomplis par lui dans l'exercice de ses fonctions, la disposition méconnaît le principe constitutionnel d'égalité devant la loi.
25. Les juges précisent qu'au jour où le tribunal a statué en l'espèce, le législateur n'avait pas étendu le bénéfice de l'immunité à un député ou à ses collaborateurs à raison du travail accompli par ces derniers dans une circonscription.
26. Ils ajoutent que la demande de M. [N] d'exclure du champ d'application du droit pénal, au nom du principe de la séparation des pouvoirs, le contrôle juridictionnel de l'effectivité des tâches d'un collaborateur de circonscription, dont la rémunération, versée par un député soumis au devoir de probité, provient de fonds publics, se situe en dehors du cadre de l'immunité parlementaire garantie par l'article 26 de la Constitution et méconnaît le principe d'égalité devant la loi.
27. Ils concluent que le contrôle effectué par les juges, qui a exclusivement porté sur l'exécution d'un contrat de droit privé signé par un député et sa collaboratrice parlementaire, n'a causé aucune atteinte à la fonction du législateur telle qu'elle est entendue par le droit constitutionnel.
28. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a pas excédé ses pouvoirs.
29. En effet, le principe de séparation des pouvoirs n'interdit pas au juge judiciaire, saisi de poursuites engagées du chef du délit de détournement de fonds publics, infraction contre la probité, qui n'entre pas dans le champ de l'irresponsabilité de l'article 26 de la Constitution, d'apprécier la réalité de l'exécution du contrat de droit privé conclu entre un membre du Parlement et un de ses collaborateurs.
30. Ainsi, le grief doit être écarté.
Sur le huitième moyen proposé pour M. [N] et le onzième moyen proposé pour Mme [N]
Enoncé des moyens
31. Le huitième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité d'abus de biens sociaux, alors :
« 1°/ que les juges correctionnels doivent préciser le mode de complicité retenu à l'encontre du prévenu ; que, dès lors, en énonçant, pour déclarer M. [N] complice du délit d'abus de biens sociaux commis par M. [W] résultant du versement de rémunérations à son épouse par la SAS La [4] au titre d'un contrat de conseiller littéraire pour des prestations prétendument fictives ou surévaluées, qu'il «a directement provoqué aux rencontres de [Y] [W] et de son épouse et a formulé la demande d'un emploi » (arrêt, p. 140), sans préciser si, ce faisant, elle retenait la culpabilité de M. [N] au titre de la complicité par aide ou assistance ou de la complicité par instigation, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-7 du Code pénal ;
2°/ qu'à supposer qu'il faille considérer que M. [N] ait été déclaré coupable de complicité par instructions, ce mode de complicité n'est punissable que si les instructions ont été données en vue de commettre une action qualifiée crime ou délit ; que, dès lors, en se bornant à énoncer, pour entrer en voie de condamnation à son encontre, que M. [N] « a directement provoqué aux rencontres de [Y] [W] et de son épouse et a formulé la demande d'un emploi » (arrêt, p. 140), sans relever ni établir qu'il aurait donné pour instruction à M. [W] de fournir à son épouse un travail fictif, c'est-à-dire de la rémunérer sans contrepartie effective, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-7 du Code pénal ;
3°/ qu'à supposer qu'il faille considérer que M. [N] ait été déclaré coupable de complicité par aide ou assistance, celle-ci n'est punissable que si l'aide a été apportée sciemment à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ; qu'en énonçant, pour déclarer M. [N] complice du délit d'abus de biens sociaux commis par M. [W], qu'il « a directement provoqué aux rencontres de [Y] [W] et de son épouse et a formulé la demande d'un emploi » (arrêt, p. 140), sans relever ni établir que M. [N] avait organisé ces rencontres et formulé cette demande avec la volonté de faire bénéficier à son épouse non d'un contrat de travail réel, mais d'un contrat de travail fictif qui permettrait à celle-ci de percevoir des revenus sans avoir à fournir de prestation de travail en contrepartie, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-7 du Code pénal ;
4°/ que l'intention délictueuse du complice s'apprécie au moment où il agit ; qu'en énonçant, au titre de la « caractérisation de l'élément intentionnel du délit de complicité », qu'« entretenant une communauté de vie avec son épouse, [R] [N] ( ) était le mieux placé pour se rendre compte que l'embauche de son épouse n'était que l'écran lui permettant d'être rémunérée » (arrêt, p. 141) et qu'«au moment de la rédaction de la fiche d'information que tout député doit établir et joindre au contrat d'embauche de son assistante, [R] [N] a porté comme durée de l'emploi de son épouse à la [4] le chiffre de 14 heures », ce qui « révèle ( ) qu'il avait pleine conscience que le contrat du 2 mai 2012 était « de façade » (arrêt, p. 141), lorsque ces faits, postérieurs aux actes de complicité reprochés à M. [N], ne sont pas susceptibles d'établir qu'au jour où celui-ci a sollicité M. [W], il l'a fait avec la conscience et la volonté d'assurer à son épouse des revenus au moyen d'un emploi fictif, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-7 du Code pénal. »
32. Le onzième moyen proposé pour Mme [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité d'abus de biens sociaux, alors :
« 1°/ que la complicité par aide ou assistance suppose l'accomplissement d'un acte ayant facilité la préparation ou la consommation du délit principal ; qu'en énonçant, pour déclarer Mme [N] coupable de complicité d'abus de biens sociaux, qu'elle a « aidé à la réalisation » de cette infraction (arrêt, p. 141), sans préciser en quoi cette aide aurait consisté, la cour d'appel a mis la Cour de cassation dans l'impossibilité d'exercer son contrôle et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 121-7 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ qu'à supposer qu'il faille considérer que la cour d'appel a adopté les motifs du jugement, les juges ne pouvaient retenir que la signature du contrat de conseiller littéraire constituait un acte de complicité, dès lors que la conclusion du contrat n'a pu en elle-même faciliter la préparation ou la consommation du délit d'abus de biens sociaux qui résulte non pas du versement des rémunérations, mais de l'inexistence ou de l'insuffisance des prestations exécutées en contrepartie ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 121-7 du Code pénal ;
3°/ que la complicité par aide et assistance n'est punissable que si l'aide a été apportée sciemment à l'auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l'infraction ; qu'en retenant que Mme [N] s'était rendue complice du délit de d'abus de biens sociaux commis par M. [W] en signant le contrat de conseiller littéraire par des motifs qui n'établissent pas qu'au jour de la signature du contrat, elle savait que la rémunération qu'elle percevrait serait surévaluée au regard des tâches qu'elle effectuerait en contrepartie, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-7 du Code pénal. »
Réponse de la Cour
33. Les moyens sont réunis.
34. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les époux [N] coupables de complicité d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que l'embauche de Mme [N] en qualité de conseillère littéraire à la société [4] a procédé de la seule volonté de M. [W] spécialement sollicité par M. [N], dont il est un proche, qui souhaitait trouver à son épouse une activité moins dépendante de lui et de la politique.
35. Les juges relèvent qu'il résulte du dossier qu'avant cette embauche, Mme [N] n'avait jamais occupé d'emploi dans une société commerciale d'édition, n'était pas connue pour ses travaux littéraires et que personne n'a attesté de son expérience dans le redressement comptable ou éditorial d'une revue traitant de littérature et de sciences politiques.
36. Ils retiennent que le dirigeant de droit de la société [4] n'a pas rencontré Mme [N], qu'une fois embauchée celle-ci a agi en dehors de tout contrôle hiérarchique et que cet emploi à un poste et à une fonction inédits, alors qu'un tel besoin n'a pas été formulé au sein de l'équipe de la [4], amène à s'interroger sur l'intérêt financier de procéder à un tel recrutement pour une publication dont le déficit était décrit comme chronique.
37. Ils précisent que seule une dizaine de notes de lecture est parvenue à la [4], au vu des pièces débattues, les allégations contraires des époux [N] n'étant étayées par aucune pièce, et que la preuve du rôle de conseillère joué par Mme [N] auprès du dirigeant du groupe [2] se heurte à un défaut de documentation.
38. Ils ajoutent que Mme [N] n'a jamais estimé devoir se rendre dans les locaux de la revue, que le personnel de la revue, qu'elle n'a jamais rencontré, a été tenu dans l'ignorance de son statut de conseillère littéraire et qu'elle n'a jamais cherché à connaître le fonctionnement de cette revue alors qu'elle était censée conseiller le dirigeant du groupe [2] sur la manière de redresser cette publication.
39. Ils soulignent qu'ainsi Mme [N] a fait le choix d'ignorer le fonctionnement de cette publication déficitaire, de son management, de ses choix éditoriaux ou rédactionnels et que le contrat de conseillère littéraire doit en conséquence s'analyser comme un emploi de confort seulement destiné à satisfaire la demande de M. [N] de procurer un emploi rémunéré à son épouse sans que soient exécutées les tâches imparties.
40. Ils relèvent qu'en mentionnant, comme durée de l'emploi de son épouse à la [4], sur la fiche d'information établie par tout député pour l'embauche d'un assistant parlementaire, le chiffre de quatorze heures, M. [N] avait pleine conscience que le contrat du 2 mai 2012 était « de façade » car un emploi tel que celui de conseillère littéraire excède à l'évidence cette courte durée.
41. Les juges précisent que la revue n'a pas tiré de plus-value de l'embauche de Mme [N] qui est, dans ce contexte, significative de la commission du délit de complicité qui lui a valu d'être déclarée coupable par le tribunal et que sans cette aide et ce concours M. [W] n'aurait pas grevé, dans les proportions décrites, les finances déjà obérées de la [4].
42. En l'état de ces énonciations la cour d'appel, qui a souverainement caractérisé, sans insuffisance, en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits de complicité d'abus de biens sociaux dont elle a déclaré coupables M. [N], par instigation, Mme [N], par aide ou assistance, a justifié sa décision.
43. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
Sur les septième, dixième et douzième moyens proposés pour Mme [N]
Enoncé des moyens
44. Le septième moyen proposé pour Mme [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable des chefs de complicité et de recel du délit de détournement de fonds publics reprochés à M. [I], alors « que l'infraction de recel ne peut être retenue à l'égard du complice de l'auteur principal du délit d'origine lorsque les faits de recel poursuivis sont indissociables de l'acte de complicité pour en être la conséquence directe ; que, dès lors, en déclarant Mme [N] coupable à la fois de complicité de détournement de fonds publics pour avoir signé avec M. [I] un contrat d'assistant parlementaire prétendument fictif en vertu duquel des fonds publics lui ont été remis à titre de rémunération, et de recel de ce délit pour avoir perçu ces rémunérations en exécution de ce contrat de travail, la cour d'appel a violé les articles 121-7 et 321-1 du Code pénal, ensemble le principe ne bis in idem tel qu'il est garanti par les articles 4 du protocole 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
45. Le dixième moyen proposé pour Mme [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable des chefs de complicité et de recel du délit de détournement de fonds publics reprochés à M. [N], alors « que l'infraction de recel ne peut être retenue à l'égard du complice de l'auteur principal du délit d'origine lorsque les faits de recel poursuivis sont indissociables de l'acte de complicité pour en être la conséquence directe ; que, dès lors, en déclarant Mme [N] coupable à la fois de complicité de détournement de fonds publics pour avoir accepté de signer avec M. [N] un contrat d'assistant parlementaire en vertu duquel des fonds publics lui ont été versés à titre de rémunération pour des prestations prétendument insuffisantes, et de recel de ce délit pour avoir perçu ces rémunérations, la cour d'appel a violé les articles 121-7 et 321-1 du Code pénal, ensemble le principe ne bis in idem tel qu'il est garanti par les articles 4 du protocole 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
46. Le douzième moyen proposé pour Mme [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable des chefs de complicité et de recel d'abus de biens sociaux, alors « que l'infraction de recel ne peut être retenue à l'égard du complice de l'auteur principal du délit d'origine lorsque les faits de recel poursuivis sont indissociables de l'acte de complicité pour en être la conséquence directe ; que, dès lors, en déclarant Mme [N] coupable à la fois de complicité d'abus de biens sociaux pour avoir signé un contrat de conseiller littéraire prétendument fictif, et de recel de ce délit pour avoir perçu des rémunérations en exécution de ce contrat de travail, la cour d'appel a violé les articles 121-7 et 321-1 du Code pénal, ensemble le principe ne bis in idem tel qu'il est garanti par les articles 4 du protocole 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
47. Les moyens sont réunis.
48. Pour déclarer Mme [N] coupable des délits de complicité de détournement de fonds publics reprochés, d'une part, à M. [I] et, d'autre part, à M. [N], ainsi que du délit de complicité d'abus de biens sociaux imputé à M. [W], l'arrêt attaqué énonce que Mme [N] a apporté une aide à l'auteur de chacune de ces infractions en signant un contrat de travail qui ne donnera pas lieu à l'accomplissement d'une contrepartie.
49. Les juges ont également déclaré Mme [N] coupable de recel pour avoir bénéficié des sommes perçues en vertu de ces contrats.
50. En statuant ainsi, la cour d'appel, devant laquelle le principe ne bis in idem a été invoqué en substance, n'a méconnu aucun des textes visés aux moyens.
51. En effet, la complicité par aide tend à faciliter sciemment la commission d'une infraction par son auteur, alors que le recel consiste à bénéficier, en connaissance de cause, du produit d'un crime ou d'un délit réalisé.
52. Il en résulte que ces deux délits, conditionnés par l'existence de la même infraction principale et par nature réalisés en des temps différents, reposent nécessairement sur des faits distincts.
53. En l'absence d'identité de faits matériels entre les deux infractions, le cumul de qualification lors de la déclaration de culpabilité ne méconnaît pas le principe ne bis in idem (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, publié au Bulletin).
54. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
Sur le douzième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [N] et le quatrième moyen, pris en sa première branche, proposé
pour M. [I]
Enoncé des moyens
55. Le douzième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné solidairement avec Mme [N] à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros à titre de dommages et intérêts alors :
« 1°/ que les tribunaux répressifs de l'ordre judiciaire ne sont compétents pour statuer sur les conséquences dommageables d'un acte délictueux commis par l'agent d'un service public que si cet acte constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions ; qu'en l'espèce, après avoir déclaré M. [N] coupable de détournement de fonds publics pour avoir, en sa qualité de député, versé, au moyen de fonds publics, des rémunérations disproportionnées à son épouse prise en sa qualité de collaboratrice de circonscription, la cour d'appel l'a condamné, solidairement avec celle-ci, à indemniser le préjudice de la partie civile ; qu'en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile d'un député, sans rechercher, même d'office, si la faute imputée à celui-ci, commise dans l'exercice de ses fonctions de député, présentait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, la cour d'appel a méconnu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »
56. Le quatrième moyen proposé pour M. [I] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné solidairement avec Mme [N] à payer à l'Assemblée nationale la somme de 679 989,32 euros à titre de dommages et intérêts, alors :
« 1°/ que les tribunaux répressifs de l'ordre judiciaire ne sont compétents pour statuer sur les conséquences dommageables d'un acte délictueux commis par l'agent d'un service public que si cet acte constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions ; qu'en l'espèce, après avoir déclaré M. [I] coupable de détournement de fonds publics pour avoir, en sa qualité de député, versé, au moyen de fonds publics, des rémunérations à Mme [N] au titre d'un contrat de collaborateur de député pour des prestations fictives, la cour d'appel l'a condamné, solidairement avec celle-ci, à indemniser le préjudice de la partie civile ; qu'en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile d'un député, sans rechercher, même d'office, si la faute imputée à celui-ci, commise dans l'exercice de ses fonctions de député, présentait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, la cour d'appel a méconnu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »
Réponse de la Cour
57. Les moyens sont réunis.
58. Pour condamner MM. [N] et [I] à verser des dommages et intérêts à la partie civile, l'arrêt attaqué retient que les prévenus, reconnus coupables du délit de détournement de fonds publics, sont tenus de réparer entièrement les préjudices découlant de ces infractions.
59. En retenant ainsi sa compétence pour statuer sur la responsabilité civile des prévenus qui avaient la qualité de député au moment de la commission des faits, l'arrêt n'encourt pas la censure.
60. En effet, les griefs sont inopérants en ce que la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, qu'ils visent, font interdiction aux juridictions judiciaires de connaître des actes de l'Administration et non de condamner des parlementaires à verser à l'Assemblée nationale, constituée partie civile, une indemnisation en réparation du préjudice que lui a directement causé le délit dont ils ont été reconnus coupables.
Mais sur le dixième moyen proposé pour M. [N]
Enoncé du moyen
61. Le dixième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à son encontre la peine de quatre ans d'emprisonnement, dont trois ans assortis du sursis simple, et a constaté l'impossibilité matérielle pour la cour d'appel d'aménager la partie ferme d'une année d'emprisonnement au jour où elle statue, alors :
« 1°/ qu'en matière correctionnelle, le juge répressif ne peut prononcer une peine d'emprisonnement ferme qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine, laquelle ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur ainsi que la situation matérielle, familiale et sociale de celui-ci rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que, dès lors, en énonçant, pour condamner M. [N] à la peine de quatre ans d'emprisonnement dont un an ferme, que cette peine est justifiée par l'atteinte à l'ordre public dans les proportions et l'ampleur rappelées ainsi que par la commune et constante préoccupation des époux [N] de financer leur train de vie, pourtant substantiel, par des moyens illégaux (arrêt, p. 144), sans s'expliquer sur la situation matérielle, familiale et sociale de M. [N] ni sur le caractère manifestement inadéquat de toute autre peine que l'emprisonnement ferme, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1, 132-19 du Code pénal et 464-2, 485-1 du Code de procédure pénale ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-19 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
62. Aux termes du premier de ces textes, toute peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate.
63. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
64. En condamnant M. [N] à la peine de quatre années d'emprisonnement dont trois années ont été assorties du sursis simple, sans constater que toute autre sanction était manifestement inadéquate, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
65. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Et sur le douzième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, proposé pour M. [N] et le quatorzième moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposé pour Mme [N]
Enoncé des moyens
66. Le douzième moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné solidairement avec Mme [N] à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros à titre de dommages et intérêts alors :
« 2°/ que, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice causé par une infraction, il ne saurait en résulter pour la victime ni perte ni profit ; qu'en l'espèce, après avoir retenu, pour déclarer M. [N] coupable de détournement de fonds publics et Mme [N] coupable de complicité et recel de ce délit, que les rémunérations accordées par M. [N] à son épouse au titre du contrat conclu le 10 juillet 2012 étaient « manifestement surévaluées » (arrêt, p. 130 et 149) au regard « des activités réellement exercées » par celle-ci (arrêt, p. 149), la cour d'appel les a condamnés solidairement à payer à l'Assemblée nationale, en réparation de son préjudice, la somme de 126 167,10 euros correspondant à l'intégralité des rémunérations perçues par Mme [N] en exécution de ce contrat, outre les charges salariales et patronales afférentes ; qu'en prononçant ainsi, quand le préjudice subi ne pouvait correspondre à l'intégralité des salaires pour un travail qui était en partie réel, mais uniquement à la partie de la rémunération versée sans contrepartie effective, dont il lui appartenait d'évaluer le montant, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale et 1240 du Code civil ;
3°/ qu'en se fondant sur la nature publique des fonds détournés pour écarter l'argumentation des prévenus qui soutenaient que le préjudice susceptible d'être indemnisé ne peut être supérieur à l'excès de rémunération versée, lorsque la loi ne prévoit pas d'exception au principe de la réparation intégrale en matière de détournement de fonds publics, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et n'a donc pas justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale et 1240 du Code civil, ensemble l'article 593 du Code de procédure pénale. »
67. Le quatorzième moyen proposé pour Mme [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné solidairement avec M. [N] à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros à titre de dommages et intérêts et l'a condamnée solidairement avec M. [I] à payer à l'Assemblée nationale la somme de 679 989,32 euros à titre de dommages et intérêts, alors :
« 1°/ que, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice causé par une infraction, il ne saurait en résulter pour la victime ni perte ni profit ; qu'en l'espèce, après avoir retenu, pour déclarer M. [N] coupable de détournement de fonds publics et Mme [N] coupable de complicité et recel de ce délit, que les rémunérations accordées par M. [N] à son épouse au titre du contrat conclu le 10 juillet 2012 étaient « manifestement surévaluées » (arrêt, p. 130 et 149) au regard « des activités réellement exercées » par celle-ci (arrêt, p. 149), la cour d'appel les a condamnés solidairement à payer à l'Assemblée nationale, en réparation de son préjudice, la somme de 126 167,10 euros correspondant à l'intégralité des rémunérations perçues par Mme [N] en exécution de ce contrat, outre les charges salariales et patronales afférentes ; qu'en prononçant ainsi, quand le préjudice subi ne pouvait correspondre à l'intégralité des salaires pour un travail qui était en partie réel, mais uniquement à la partie de la rémunération versée sans contrepartie effective, dont il lui appartenait d'évaluer le montant, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale et 1240 du Code civil ;
2°/ qu'en se fondant sur la nature publique des fonds détournés pour écarter l'argumentation des prévenus qui soutenaient que le préjudice susceptible d'être indemnisé ne peut être supérieur à l'excès de rémunération versée, lorsque la loi ne prévoit pas d'exception au principe de la réparation intégrale en matière de détournement de fonds publics, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et n'a donc pas justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale et 1240 du Code civil, ensemble l'article 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
68. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1382 devenu 1240 du code civil :
69. Il résulte de ces textes que le préjudice découlant d'une infraction doit être réparé en son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
70. Pour condamner M. [N], solidairement avec Mme [N], à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros en réparation du préjudice causé par les faits de détournement de fonds publics, dont ils ont été respectivement reconnus auteur et complice, la cour d'appel énonce que les rémunérations versées par M. [N], en sa qualité d'employeur, en application du contrat signé par son épouse en tant que collaboratrice de circonscription, étaient manifestement surévaluées et que les contreparties fournies par celle-ci étaient insuffisantes.
71. Les juges, qui relèvent que seules quelques remises de courriers par Mme [N] à des collaboratrices de son mari en sus du traitement occasionnel d'informations en provenance de la circonscription ont été trouvées, soulignent que la disproportion manifeste entre les rémunérations versées et les activités réellement exercées a été caractérisée.
72. Ils ajoutent que la jurisprudence, relative au délit d'abus de biens sociaux, invoquée pour soutenir que le préjudice susceptible d'être indemnisé ne peut être supérieur à l'excès de rémunération versée, se distingue de la présente affaire en ce qu'elle concerne des fonds d'une société commerciale et non, comme en l'espèce, des fonds publics.
73. Les juges énoncent que le préjudice, résultant de la volonté du député et de sa collaboratrice, a été subi par une émanation de l'Etat dont la personnalité juridique ne se confond pas avec celle de M. [N] en tant qu'employeur et trouve son origine, non dans l'exercice abusif d'une fonction sociale, mais dans le détournement de fonds qui avaient vocation légale à être restitués en l'absence d'utilisation.
74. Ils concluent que la partie civile est fondée à réclamer la totalité des fonds mis à disposition de M. [N] en sa seule qualité de député.
75. En se déterminant ainsi, alors que le montant du préjudice subi, d'une part, ne pouvait correspondre à l'intégralité des salaires versés dont elle a constaté qu'ils n'étaient pas dénués de toute contrepartie, d'autre part, ne pouvait dépendre de la nature, publique ou privée, des fonds détournés, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
76. D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue.
Portée et conséquences de la cassation
77. La cassation à intervenir concerne les dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de M. [N] et les dispositions par lesquelles M. et Mme [N] ont été solidairement condamnés à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros à titre de dommages et intérêts. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le quatrième moyen, le cinquième moyen, pris en sa première branche, et le sixième moyen, pris en sa première branche, proposés pour M. [N], ainsi que le quatrième moyen, le cinquième moyen, pris en sa première branche, le sixième moyen, le huitième moyen, pris en sa première branche, et le neuvième moyen proposés pour Mme [N], la Cour :
Sur le pourvoi formé par M. [I] :
Le REJETTE ;
Sur les pourvois formés par M. et Mme [N] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 9 mai 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de M. [N], et par lesquelles M. et Mme [N] ont été solidairement condamnés à payer à l'Assemblée nationale la somme de 126 167,10 euros à titre de dommages et intérêts, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre avril deux mille vingt-quatre.