CEDH, gr. ch., 9 avril 2024, n° 53600/20
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
ARRET
PARTIES
Demandeur :
AFFAIRE VEREIN KLIMASENIORINNEN SCHWEIZ ET AUTRES
Défendeur :
c. SUISSE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Juges :
M. O’Leary, M. Ravarani, M. Bošnjak, M. Kucsko-Stadlmayer, M. Pastor Vilanova, M. Bårdsen, Mme Koskelo, M. Eicke, M. Ilievski, M. Pavli, M. Sabato, Mme Schembri Orland, M. Seibert-Fohr, M. Roosma, Mme Guerra Martins, M. Guyomar, M. Zünd
Avocat(s) :
Me Bähr, Me Looser, Me Simor, Me Willers KC, Me Mahaim
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53600/20) dirigée contre la Confédération suisse et dont une association de droit suisse, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz, et quatre ressortissantes suisses, Mme Ruth Schaub, Mme Marie-Eve Volkoff Peschon, Mme Bruna Giovanna Olimpia Molinari et Mme Marie Gabrielle Thérèse Budry (« les requérantes »), toutes membres de l’association, ont saisi la Cour le 26 novembre 2020 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérantes ont été représentées par Mes C.C. Bähr et M. M. Looser, avocats à Zürich, Mes J. Simor KC et M. M. Willers KC, avocats à Londres, et Me R. Mahaim, avocat à Lausanne. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. A. Chablais, de l’Office fédéral de la justice.
3. Les requérantes se plaignaient en particulier de diverses omissions des autorités suisses en matière d’atténuation du changement climatique. Elles invoquaient les articles 2, 6, 8 et 13 de la Convention.
4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 26 avril 2022, la chambre à laquelle la requête avait été confiée s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).
5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Le président de la Cour a décidé que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, la présente espèce devait être attribuée à la même formation de la Grande Chambre que les affaires Carême c. France (requête no 7189/21) et Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres (requête no 39371/20) (articles 24, 42 § 2 et 71 du règlement), lesquelles ont également fait l’objet d’un dessaisissement, respectivement par une chambre de la cinquième section et une chambre de la quatrième section.
6. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur la recevabilité et le fond de l’affaire. De plus, après avoir été autorisés par le président à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement), les tiers intervenants suivants ont adressé leurs observations à la Cour : les gouvernements autrichien, irlandais, italien, letton, norvégien, portugais, roumain et slovaque.
7. De même, après y avoir été autorisées par le président, les entités suivantes ont adressé leurs observations à la Cour : la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme ; les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur les produits toxiques et les droits de l’homme, et sur les droits de l’homme et l’environnement ; l’Experte indépendante chargée de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme ; la Commission internationale de juristes (CIJ) et la section suisse de la CIJ (CIJ‑CH) ; le Réseau européen des institutions nationales des droits de l’homme (ENNHRI) ; le Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels (ESCR-Net), qui a soumis des observations coordonnées ; le Centre des droits de l’homme de l’université de Gand ; les professeurs Evelyne Schmid et Véronique Boillet (université de Lausanne) ; les professeurs Sonia I. Seneviratne et Andreas Fischlin (École polytechnique fédérale de Zurich) ; Global Justice Clinic ; Climate Litigation Accelerator et le professeur C. Voigt (université d’Oslo) ; ClientEarth ; Our Children’s Trust, Oxfam France et Oxfam International et ses affiliés (Oxfam) ; le groupe de membres de l’université de Berne (les professeurs Claus Beisbart, Thomas Frölicher, Martin Grosjean, Karin Ingold, Fortunat Joos, Jörg Künzli, C. Christoph Raible, Thomas Stocker, Ralph Winkler et Judith Wyttenbach, et les docteures Ana M. Vicedo‑Cabrera et Charlotte Blattner) ; le Centre de droit international de l’environnement et la docteure Margaretha Wewerinke‑Singh ; le Centre Sabin de recherche sur le droit du changement climatique (Columbia Law School) ; et Germanwatch, Greenpeace Allemagne et Scientifiques pour l’avenir.
8. Le 11 janvier 2023, la Grande Chambre a décidé que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il convenait, une fois la procédure écrite de ces trois affaires terminée, d’échelonner les procédures orales de telle manière qu’une audience en l’espèce et dans l’affaire Carême c. France se tiendrait le 29 mars 2023 et qu’une audience dans l’affaire Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres aurait lieu à un stade ultérieur devant la même formation de la Grande Chambre (cette audience s’est tenue le 27 septembre 2023). Par la suite, Armen Harutyunyan, empêché, a été remplacé par Jovan Ilievski, juge suppléant (article 24 § 3 du règlement).
9. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 29 mars 2023 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
M. A. Chablais, agent,
M. F. Perrez,
Mme M. Beeler-Sigron,
Mme L.L. Paroz,
Mme R. Burkard
Mme S. Nguyen-Bloch,
Mme I. Ryse conseillers ;
– pour les requérantes
Mme J. Simor KC,
M. M. M. Willers KC,
Mme C.C. Bähr,
M. M. M. Looser,
M. R. Mahaim, conseils,
M. R. Harvey,
Mme L. Fournier, conseillers,
Mme B. Molinari,
Mme M. Budry, requérantes,
Mme A. Mahrer,
Mme R. Wydler-Wälti,co-présidentes de l’association requérante ;
– pour le gouvernement irlandais
M. B. Lysaght, agent,
Mme C. Donnelly SC,
M. D. Fennelly, conseils,
M. M. Corry,
Mme E. Griffin, conseillers ;
– pour l’ENNHRI
Mme J. Sandvig,
Mme K. Sulyok,
Mme H.C. Braenden,
M. P.W. Dawson, conseillers.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Chablais, M. Perrez, Mme Simor KC, M. Willers KC, Mme Donnelly SC et Mme Sandvig. Elle a également entendu M. Chablais, M. Perrez, Mme Simor KC en leurs réponses à ses questions.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La situation particulière des requérantes
La première requérante
10. La première requérante – Verein KlimaSeniorinnen Schweiz – est une association à but non lucratif de droit suisse (« l’association requérante »). Ses statuts indiquent qu’elle a été créée pour promouvoir et mettre en œuvre une protection efficace du climat au nom de ses adhérents. Les membres de l’association sont des femmes qui résident en Suisse. La majorité d’entre elles ont plus de 70 ans. L’association requérante est engagée en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) en Suisse et de leurs effets sur le réchauffement climatique. Ses statuts indiquent qu’elle s’emploie à défendre l’intérêt de ses membres, mais aussi de la population générale et des générations futures, par une protection efficace du climat. L’association requérante poursuit son objectif notamment en proposant des informations, y compris des activités pédagogiques, et en engageant des actions en justice dans l’intérêt de ses membres, face aux effets du changement climatique. Elle compte plus de 2 000 adhérentes, âgées en moyenne de 73 ans ; près de 650 adhérentes sont âgées de 75 ans et plus.
11. Aux fins de la procédure devant la Grande Chambre, l’association requérante a invité ses adhérentes à soumettre leurs observations sur les effets que le changement climatique a sur elles. Celles-ci ont donc décrit la manière dont les canicules pèsent sur leur santé et leurs habitudes quotidiennes.
Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérantes
12. Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérantes (« les requérantes nos 2 à 5 ») sont des femmes membres de l’association requérante. La deuxième requérante, Mme Schaub, née en 1931, est décédée au cours de la procédure devant la Cour (paragraphe 273 ci-dessous). La troisième requérante, Mme Volkoff Peschon, est née en 1937 et réside à Genève. La quatrième requérante, Mme Molinari, est née en 1941 et réside à Vico Morcote. La cinquième requérante, Mme Budry, est née en 1942 et réside à Genève.
a) La deuxième requérante
13. Dans une déclaration écrite, la deuxième requérante rapportait qu’elle avait du mal à supporter les canicules et que plus d’une fois elle avait fait un malaise en étant exposée au soleil, sur le balcon de son appartement. Elle indiquait qu’elle avait dû adapter son mode de vie aux épisodes de canicule, par exemple pour faire les courses, et qu’elle devait dans ces périodes rester à l’intérieur presque toute la journée. Elle expliquait également qu’elle avait bénéficié de l’aide d’une infirmière, qui lui avait fourni des vêtements spéciaux permettant d’avoir moins chaud. Elle déclarait qu’elle avait besoin d’un suivi médical et qu’elle avait subi des crises de goutte extrêmement douloureuses, qui s’intensifiaient par temps chaud. Elle signalait qu’elle avait même été hospitalisée une fois, après avoir fait un malaise lors d’une canicule, mais qu’elle avait ensuite adapté ses habitudes en fonction de la chaleur, en allant faire ses courses plus tôt et en prenant l’air le soir. Elle ajoutait que toutes ces restrictions lui avaient causé des difficultés sur le plan de la vie sociale.
14. La deuxième requérante a également produit un certificat médical daté du 15 novembre 2016, exposant qu’en raison de températures élevées, par une chaude journée d’août 2015, elle avait fait un malaise dans la salle d’attente du cabinet de son médecin. Le certificat médical précise aussi que la requérante portait un stimulateur cardiaque.
b) La troisième requérante
15. Dans une déclaration écrite, la troisième requérante indique qu’elle supporte mal les vagues de chaleur et qu’en conséquence elle doit organiser sa vie en fonction des bulletins météorologiques. Elle explique que, lorsqu’il fait très chaud, elle doit rester à la maison toute la journée, stores baissés et climatiseur en marche. Elle expose qu’elle est également contrainte de renoncer aux activités de loisir et de mesurer régulièrement sa tension artérielle, puis de prendre ses médicaments en fonction des résultats. Elle indique qu’il lui est arrivé de devoir consulter un cardiologue. Elle déclare qu’elle aimerait s’installer quelque part en altitude, mais qu’à cet égard ses problèmes cardiovasculaires lui imposent des limites. Elle dit n’avoir jamais été hospitalisée mais avoir connu plusieurs fois de sérieux malaises. Elle ajoute que la pollution lui cause des difficultés respiratoires et une transpiration excessive. Elle souligne en conclusion que, de mai à septembre, c’est le thermomètre qui conditionne son mode de vie, y compris ses relations avec sa famille et ses amis.
16. La troisième requérante a produit un certificat médical daté du 19 octobre 2016, indiquant qu’au cours des deux étés précédents les vagues de chaleur l’ont beaucoup fait souffrir. Le document précise que la canicule affecte ses capacités physiques en raison de problèmes cardiovasculaires. Un autre certificat médical, daté du 11 février 2019, expose que l’état de santé de la requérante et le traitement médicamenteux suivi par elle ne sont pas compatibles avec les canicules, et que lors de ces épisodes l’intéressée doit se confiner chez elle et adapter sa prise de médicaments.
17. Un certificat médical en date du 23 septembre 2021 confirme que la requérante souffre de problèmes cardiovasculaires. Il précise qu’en période de canicule elle ressent une faiblesse générale et ne peut maintenir son traitement habituel. Il indique également que l’intéressée est contrainte d’adapter ses habitudes quotidiennes. Daté du 26 novembre 2022, un autre certificat médical, établi à partir d’un entretien téléphonique avec la requérante et de l’examen de son dossier médical, confirme que la santé physique et psychologique de l’intéressée se trouve affectée lors des périodes de canicule.
c) La quatrième requérante
18. Dans une déclaration écrite, la quatrième requérante indique que sa mobilité est restreinte pendant les canicules, car les chaleurs excessives exacerbent son asthme et sa bronchopneumopathie chronique obstructive.
19. Elle a produit des certificats médicaux en date du 7 octobre 2016 et du 15 juillet 2020, attestant de son état de santé et des conséquences négatives que les périodes de chaleur ont sur celui-ci. Ces éléments sont confirmés par un autre certificat médical, daté du 26 novembre 2022, indiquant qu’une corrélation entre l’aggravation de la pathologie de l’intéressée et les périodes de canicule provoquées par le changement climatique est hautement probable. Ce document précise que, lors des vagues de chaleur, la requérante souffre de devoir réduire ses activités et de se sentir isolée.
d) La cinquième requérante
20. Dans une déclaration écrite, la cinquième requérante se plaint que les canicules la privent de toute énergie. Elle explique qu’en été elle n’a pas le courage de sortir de chez elle pour aller nager, et elle précise en même temps qu’elle ne peut pas se permettre de longs séjours dans un hôtel avec piscine. Elle indique qu’elle n’a jamais été hospitalisée ni été amenée à consulter un médecin dans le contexte d’une canicule. Elle expose que quelque temps plus tôt elle s’était inquiétée pour sa mère de quatre-vingt-dix ans, jusqu’à ce que celle-ci se fût installée en un lieu doté d’un meilleur climat.
21. La cinquième requérante a produit un certificat médical en date du 4 octobre 2016, attestant qu’elle souffre d’asthme.
La procédure engagée par les requérantes
Les demandes que les requérantes ont adressées aux autorités
22. Le 25 novembre 2016, se fondant sur l’article 25a de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (« la LPA »), ainsi que sur les articles 6 et 13 de la Convention, les requérantes demandèrent au Conseil fédéral, au Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) et à l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) de rendre une décision officielle relative à des « actes matériels » (actes fondés sur le droit public fédéral et touchant à des droits ou des obligations, mais ne résultant pas de décisions formelles) afin de remédier aux omissions alléguées par elles en matière de protection du climat. Leurs prétentions juridiques étaient ainsi formulées :
« 1. Que, d’ici à 2020, les défendeurs [les organes susmentionnés] prennent toutes les mesures nécessaires et relevant de leur compétence afin de réduire les émissions de [GES] de telle façon que la contribution de la Suisse s’aligne sur l’objectif consistant à contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 oC par rapport aux niveaux préindustriels ou, à tout le moins, à faire en sorte qu’elle ne dépasse pas l’objectif de 2 oC, de manière à mettre fin aux omissions illégales qui compromettent ces objectifs.
En particulier :
a. Que [le défendeur 1] se penche sur les obligations découlant pour la Confédération de l’article 74 § 1 de la Constitution fédérale et sur la mise en œuvre de ces obligations en matière de climat dans le cadre de l’objectif climatique actuel, et conformément
– à l’article 74 § 2 et à l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à l’obligation de protéger l’individu que l’article 10 § 1 de la Constitution impose au gouvernement ;
– aux articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ;
et qu’il élabore sans délai un nouveau plan à mettre en œuvre immédiatement et jusqu’en 2020, qui permette à la Suisse d’atteindre l’objectif [d’une élévation de la température contenue] « nettement en dessous de 2 oC » ou, à tout le moins, [de] ne pas dépasser l’objectif de 2 oC, ce qui exige d’ici à 2020 une réduction des émissions nationales de [GES] d’au moins 25 % par rapport aux niveaux de 1990 ;
b. Que [le défendeur 1] informe l’Assemblée fédérale (le Parlement) et le grand public que, pour respecter l’obligation de protection incombant à la Suisse ainsi que les principes de précaution et de durabilité, une réduction des émissions de [GES] s’impose d’ici à 2020 pour la réalisation de l’objectif [d’une élévation de la température contenue] « nettement en dessous de 2 oC » ou, à tout le moins, ne dépassant pas l’objectif de 2 oC, ce qui implique d’ici à 2020 une réduction des émissions nationales de [GES] d’au moins 25 % par rapport aux niveaux de 1990 ;
c. Que, par une décision adoptée au niveau du Conseil fédéral, du département ou de l’office fédéral, [les défendeurs 1, 2 et 3] engagent sans délai une procédure législative préliminaire portant sur un objectif de réduction des émissions tel que celui énoncé au point 1 a) ;
d. Que [le défendeur 1] informe le Parlement, comme indiqué au point 1 c), [si] l’objectif de réduction des émissions proposé est conforme à la Constitution et à la CEDH.
2. Que [les défendeurs] prennent toutes les mesures d’atténuation nécessaires et relevant de leur compétence afin d’atteindre l’objectif de réduction des [GES] défini au point 1, c’est-à-dire une réduction [desdites] émissions d’ici à 2020 d’au moins 25 % par rapport aux niveaux de 1990, de manière à mettre fin à leurs omissions illégales. En particulier :
a. Que [le défendeur 1] se penche sur les mesures à prendre pour atteindre l’objectif défini au point 1 a) ;
b. Que [le défendeur 1] communique sur les mesures appropriées pour atteindre l’objectif défini au point 1 b) ;
c. Que [les défendeurs 1, 2 ou 3], compte tenu du point 1 c) ci-dessus, incorporent dans la procédure législative préliminaire des mesures visant à la réalisation de l’objectif.
3. Que [les défendeurs] mettent en œuvre tous les actes qui relèvent de leur compétence et qui s’imposent pour réduire les émissions d’ici à 2030 de telle façon que la contribution de la Suisse s’aligne sur l’objectif [d’une élévation de la température contenue] « nettement en dessous de 2 oC » ou, à tout le moins, ne dépassant pas l’objectif de 2 oC, de manière à mettre fin aux omissions illégales qui sont incompatibles avec ces objectifs. En particulier :
a. Que, lors de la procédure législative préliminaire, [les défendeurs 1, 2 ou 3] mettent en œuvre toutes les mesures qui permettent à la Suisse d’accomplir sa part pour atteindre l’objectif [d’une élévation de la température contenue] « nettement en dessous de 2 oC » ou, à tout le moins, ne dépassant pas l’objectif de 2 oC, ce qui implique d’ici à 2030 une réduction des émissions nationales de [GES] d’au moins 50 % par rapport aux niveaux de 1990 ;
b. Que [les défendeurs 1, 2 ou 3] intègrent dans la procédure législative préliminaire toutes les mesures d’atténuation nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction des [GES] défini au point 3 a).
4. Que [les défendeurs] mettent en œuvre toutes les mesures d’atténuation qui relèvent de leur compétence et qui s’imposent pour atteindre l’objectif actuel de réduction des [GES] de 20 %, de manière à mettre fin aux omissions illégales. En particulier :
a. Que [le défendeur 3] recueille sans délai les rapports des cantons détaillant les mesures techniques adoptées aux fins de la réduction du CO2 émis par les bâtiments ;
b. Que [le défendeur 3] s’assure que les rapports des cantons contiennent des informations sur les mesures de réduction des émissions de CO2 qui ont déjà été prises ou qui sont prévues, ainsi que sur leur efficacité, et établissent les progrès accomplis en matière de réduction du CO2 émis par les bâtiments sur les territoires concernés ; et qu’il exige des progrès le cas échéant ;
c. Que [le défendeur 3] s’assure que les cantons établissent des normes de pointe pour les bâtiments neufs et les bâtiments existants ;
d. Que [les défendeurs 1, 2 et 3] prennent les mesures nécessaires au cas où les cantons ne se sont pas conformés à l’obligation énoncée au point 4 c) ; que, le cas échéant, ils se chargent de l’élaboration de nouvelles normes fédérales de pointe pour les bâtiments neufs et les bâtiments existants ;
e. Que [le défendeur 2], après constat que l’objectif intermédiaire du secteur du bâtiment pour 2015 n’a pas été atteint, se penche sur la nécessité pour les cantons de faire des progrès et qu’il propose de nouvelles mesures d’atténuation efficaces au défendeur 1 ;
f. Que [les défendeurs 1, 2 et 3] prennent des mesures aux fins d’une augmentation rapide de la taxe sur le CO2 appliquée aux carburants thermiques ;
g. Que [le défendeur 4] impose aux importateurs de voitures de tourisme de fournir des données indiquant les émissions effectives de CO2 qui proviennent de ces véhicules ;
h. Que [le défendeur 2], compte tenu de ce que l’objectif intermédiaire du secteur des transports pour 2015 ne sera probablement pas atteint, prépare immédiatement de nouvelles mesures d’atténuation efficaces et les propose au défendeur 1 ; en particulier, que [le défendeur 1] prenne des mesures afin de promouvoir l’électromobilité ou qu’il démontre que l’objectif sectoriel intermédiaire visé à l’article 3 § 2 de l’ordonnance sur le CO2 peut être atteint sans ces mesures de promotion ; et que [les défendeurs l, 2 et 3] prennent des mesures en vue du relèvement du taux de compensation des émissions de CO2 applicable aux carburants ;
i. Que [le défendeur 1] procède à une évaluation complète de l’efficacité des mesures adoptées en vertu de la loi sur le CO2 et détermine si des mesures supplémentaires sont nécessaires, qu’il communique les conclusions de cette évaluation au Parlement et prenne immédiatement des dispositions pour la mise en œuvre des mesures nécessaires pour la période qui s’achèvera en 2020.
5. Subsidiairement aux prétentions exposées aux points 1, 2, 3 et 4, [les requérantes demandent] que les omissions en question soient déclarées illégales.
[Sur le plan procédural,] les requérantes demandent également qu’il soit statué à brève échéance sur les prétentions 1 à 5. »
23. Dans le mémoire qu’elles ont soumis au DETEC, les requérantes soulignaient en particulier que leur requête visait à contraindre les autorités, dans un souci de protection de leur vie et de leur santé, à prendre toutes les mesures nécessaires, requises par la Constitution et la Convention, tendant à prévenir le réchauffement planétaire.
24. Concernant leurs situations personnelles, les requérantes rappelaient la nature et la mission de l’association et soutenaient que les requérantes individuelles appartenaient à une catégorie très vulnérable touchée par le changement climatique. Elles indiquaient que, selon les données disponibles, les femmes âgées subissent plus durement que le reste de la population les effets des épisodes caniculaires sur la vie et la santé. Elles avançaient que leur cas illustrait cet état de choses puisque, disaient-elles, elles souffraient toutes de divers problèmes de santé causés par les vagues de chaleur, et ces effets néfastes allaient s’aggraver avec le temps compte tenu de l’augmentation prévue de la fréquence et de la durée des épisodes de canicule.
25. Les requérantes expliquaient en outre qu’à leurs yeux les objectifs du moment concernant la réduction des émissions nationales étaient insuffisants, inconstitutionnels et incompatibles avec la Convention et le droit international. Elles estimaient également insuffisantes les mesures d’atténuation prises par les autorités. À leur avis, l’inaction des autorités face au changement climatique n’était aucunement justifiée.
26. Les requérantes soutenaient que les omissions susmentionnées emportaient violation du principe de durabilité (article 73 de la Constitution), du principe de précaution (article 74 § 2 de la Constitution), du droit à la vie (article 10 de la Constitution), ainsi que de leurs droits découlant de la Convention, notamment « le droit à la vie, à la santé et à l’intégrité physique protégé par les articles 2 et 8 [de la Convention] », eu égard à l’obligation positive de protéger. Elles arguaient spécifiquement que l’État avait le devoir de mettre en place le cadre réglementaire et administratif nécessaire, en tenant compte de la situation particulière en question et du niveau de risque.
27. Par ailleurs, les requérantes invoquaient les articles 6 et 13 de la Convention. Elles soutenaient en particulier que leur action concernait une contestation sérieuse et réelle portant sur leurs droits et obligations de caractère civil au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, car, indiquaient-elles, les omissions en question représentaient un risque sérieux pour leur vie, leur santé et leur intégrité physique. Elles estimaient donc être en droit de faire examiner leur requête par les autorités et, en définitive, par un tribunal. C’était là, selon elles, la finalité et le but de la voie de recours prévue à l’article 25a de la LPA, recours qui, de par sa nature, était exercé en l’espèce pour attaquer des omissions et demander la protection de la Convention. Toutefois, et indépendamment de l’article 25a de la LPA, les requérantes estimaient que leur requête devait être examinée, compte tenu des exigences découlant des articles 6 et 13 de la Convention.
28. Le 25 avril 2017, le DETEC rejeta l’action des requérantes pour défaut de qualité pour agir. Il expliqua qu’une action fondée sur l’article 25a de la LPA devait réunir les conditions suivantes : a) il devait y avoir un « acte matériel », b) la demande devait porter sur le droit public fédéral, c) l’autorité concernée devait être une autorité administrative fédérale, d) l’acte matériel devait toucher à des droits ou des obligations, e) il devait y avoir un « intérêt digne de protection », et f) le principe de subsidiarité devait être respecté.
29. Tout en admettant que les conditions énoncées aux alinéas a) à c) étaient en principe satisfaites, le DETEC estima que celle visée à l’alinéa d) – l’acte matériel devait toucher à des droits ou des obligations – ne l’était pas, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les conditions figurant aux alinéas e) à f).
30. Le DETEC considéra que l’objectif principal de la requête adressée par les requérantes aux autorités administratives fédérales était d’engager l’adoption de dispositions législatives visant à la réduction des émissions de CO2. Il exposa que cette action n’était pas comparable à une demande de décision (individuelle-concrète) ni même de décision générale (générale‑concrète), comme l’exigeait l’article 25a de la LPA. Selon le DETEC, à travers leur requête les intéressées avaient pour but général d’obtenir une réduction des émissions de CO2 dans le monde, et pas seulement dans leur environnement immédiat. Le DETEC estima que dans l’affaire aucune situation juridique individuelle n’était touchée, car selon lui l’action des requérantes n’avait pas spécialement pour objet la réalisation de droits subjectifs mais visait plutôt à l’établissement de règles et de mesures abstraites et générales. Le DETEC considéra donc que l’article 25a de la LPA ne trouvait pas à s’appliquer dès lors que la procédure législative n’était pas régie par cette loi et que les requérantes disposaient d’autres moyens pour exercer leurs droits politiques.
31. Pour des raisons similaires, le DETEC rejeta les arguments que les requérantes avaient tirés de la Convention. Se concentrant sur l’article 13 de la Convention, il estima que les requérantes poursuivaient un intérêt public général qui ne pouvait fonder la possession par elles de la qualité de victime au regard de la Convention. Il jugea également que l’article 13 de la Convention autorisait seulement le contrôle d’un acte concret de l’État à l’égard d’une personne, ce qui ne correspondait pas à la situation dans la cause des requérantes.
La procédure devant le Tribunal administratif fédéral
a) Le recours formé par les requérantes
32. Le 26 mai 2017, les requérantes saisirent le Tribunal administratif fédéral (« le TAF ») d’un recours contre la décision du DETEC. Elles demandèrent l’annulation de la décision attaquée et son renvoi au DETEC pour réexamen.
33. Dans leur recours, les requérantes réitéraient les arguments qu’elles avaient présentés au DETEC concernant les effets du changement climatique (paragraphes 22-27 ci-dessus) et elles soutenaient que leur action ne visait pas à l’adoption de dispositions générales et abstraites, mais à l’obtention de mesures spécifiques dans le cadre d’une procédure législative préliminaire ainsi qu’à une mise en œuvre adéquate du droit en vigueur. Elles estimaient qu’une telle requête relevait bien de l’article 25a de la LPA. Par ailleurs, elles alléguaient que le DETEC avait porté atteinte à leur droit à être entendues en ce qu’il n’avait pas traité le détail de leur requête, en particulier leurs arguments tirés de la Convention.
b) La décision rendue par le TAF
34. Le 27 novembre 2018, le TAF rejeta le recours des requérantes.
35. S’agissant tout d’abord de la qualité des requérantes pour former le recours, le TAF estima que les requérantes nos 2 à 5 avaient un « intérêt digne de protection » à obtenir l’annulation ou la modification de la décision litigieuse du DETEC, et que de ce point de vue le recours était recevable. Il considéra donc qu’il n’y avait pas lieu de déterminer si l’association requérante possédait également un tel intérêt.
36. Le TAF examina ensuite le grief par lequel les requérantes alléguaient la violation de leur droit d’être entendues. Il estima que, si la décision du DETEC était insuffisamment motivée, il était clair dans les circonstances de l’espèce que la requête des intéressées avait été rejetée parce que le DETEC considérait qu’elle était par nature une actio popularis.
37. Concernant les autres arguments des requérantes, le TAF expliqua que l’article 25a de la LPA était à rapprocher de la garantie de l’accès à un tribunal prévue à l’article 29a de la Constitution et à l’article 6 de la Convention, pour autant qu’il était question d’« actes matériels ». Par ailleurs, il fit observer que ni la loi ni la jurisprudence ne définissaient la notion d’« actes matériels ». Il estima toutefois que, pour ce qui était du champ d’application matériel de l’article 25a de la LPA, l’élément déterminant était la question de savoir s’il existait un besoin de protection juridique individuelle. Il précisa aussi que, pour restreindre ce champ d’application comme requis afin d’exclure l’actio popularis, il fallait appliquer les autres critères mentionnés à l’article 25a(l) de la LPA, c’est-à-dire la présence d’un « intérêt digne de protection » et l’existence de droits ou d’obligations touchés. Il indiqua que la notion d’« intérêt digne de protection » découlait au premier chef des droits fondamentaux et exigeait qu’il existât un intérêt ainsi qu’un avantage pratique à le défendre. Il ajouta que l’auteur du recours devait être touché différemment de la population générale et que ce critère visait à exclure l’actio popularis. Au sujet d’éventuelles atteintes à des droits fondamentaux, il précisa qu’il convenait d’examiner le champ d’application matériel du droit concerné afin de déterminer si ce droit était touché ou non. Il indiqua que cette appréciation devait être opérée au vu des circonstances de l’affaire en question.
38. Examinant la cause des requérantes sous l’angle de ces considérations et s’appuyant sur la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à l’actio popularis, le TAF estima que l’action des intéressées portait sur les conséquences du changement climatique et le souhait de voir adopter une décision au fond au sens de l’article 25a de la LPA, et qu’elle requérait l’existence d’un lien étroit entre les requérantes et la question litigieuse qui – par opposition à l’actio popularis – allât au-delà d’un lien éventuel que la population générale pourrait invoquer. À cet égard, tout en admettant qu’au cours du XXIe siècle le changement climatique allait toucher la Suisse dans toutes ses régions et en toutes saisons, le TAF considéra que les conséquences du changement climatique sur les hommes, les animaux et les plantes revêtaient un caractère général, même si tous ne subiraient pas ces effets de la même manière. Il exposa notamment ce qui suit :
« Les conséquences néfastes, du point de vue économique et sanitaire, varient selon les catégories de la population. Pour la population des villes et des agglomérations, par exemple, les canicules constituent un fardeau sanitaire du fait de la formation d’îlots de chaleur. Les vagues de chaleur estivales peuvent aussi mettre en danger les nourrissons et les jeunes enfants en raison de leur vulnérabilité à la déshydratation, et les niveaux élevés d’ozone dus à la chaleur peuvent entraîner des troubles respiratoires et une altération de la fonction pulmonaire. En outre, la colonisation de nouvelles zones géographiques par des vecteurs de maladies tels que tiques et moustiques touchera des groupes de la population qui auparavant n’étaient pas exposés à de tels risques. Les changements climatiques, en particulier au niveau des températures moyennes et des quantités moyennes de précipitations, ont également un impact sur la sylviculture, l’agriculture, le tourisme hivernal et la gestion de l’eau, par exemple. En outre, du fait de la fonte du pergélisol, le risque d’éboulements augmente, de même que – surtout en hiver – le risque d’inondations, de coulées de débris et de glissements de terrain. »
39. Le TAF considéra toutefois que la catégorie des femmes âgées de plus de soixante-quinze ans ne serait pas atteinte par les effets du changement climatique au point de se trouver fondée à engager une action en vertu de l’article 25a de la LPA. Il releva ce qui suit :
« Bien que différentes catégories soient touchées de différentes manières – les atteintes allant des intérêts économiques aux effets néfastes sur la santé de la population générale –, on ne saurait affirmer, du point de vue de l’administration de la justice et à la lumière de la jurisprudence décrite ci-dessus, que les auteures du recours avaient, par rapport à la population générale, un lien étroit avec la question litigieuse, à savoir la protection du climat par la Confédération (...) Partant, les auteures du recours ne peuvent pas se prévaloir d’un intérêt digne de protection suffisant, raison pour laquelle l’autorité de première instance a, à juste titre, refusé de statuer au fond au sens de l’article 25a de la LPA. »
40. Quant à l’invocation par les requérantes de l’article 6 § 1 et, à titre subsidiaire, de l’article 13 de la Convention, relativement à la protection de leurs droits découlant des articles 2 et 8 de la Convention, le TAF considéra que l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention passait notamment par l’existence d’une contestation réelle et sérieuse dont l’issue serait directement déterminante pour l’action civile en question. Pour le TAF, cela signifiait qu’une action devait être exposée en des termes formels et de manière raisonnable, et que l’article 6 § 1 devait être interprété en combinaison avec l’article 34 de la Convention, lequel énonçait les conditions d’introduction de requêtes individuelles devant la Cour et excluait la possibilité d’une actio popularis.
41. À cet égard, le TAF raisonna comme suit sur les griefs spécifiques des requérantes :
« Ni une procédure législative préliminaire ni la communication d’informations au public [demandée par les auteures du recours] ne peuvent contribuer directement à la réduction des émissions de [GES] en Suisse, suivant la jurisprudence résumée ci‑dessus. Pareille réduction dépend plutôt des décisions émanant des autorités législative et réglementaire, ainsi que de tout individu concerné. Les mesures demandées ne sont donc pas propres à réduire le risque de canicules estivales. Il en est de même pour la demande des auteures du recours tendant à l’introduction de mesures de réduction des émissions qui ne sont pas prévues actuellement par la loi (...)
Compte tenu des faits, on ne saurait dire que l’autorité de première instance a été saisie d’une contestation réelle et sérieuse dont l’issue se serait avérée directement déterminante pour toute éventuelle action civile des auteures du recours ; l’atténuation d’un éventuel péril général ne peut être obtenue directement au moyen des actions demandées. L’autorité de première instance n’était donc pas tenue au titre de l’article 6 § 1 [de la Convention] d’examiner la cause des intéressées et de rendre une décision matérielle qui fût susceptible de recours et offrît ainsi une protection juridictionnelle. Dès lors, il n’y a pas lieu non plus d’examiner l’article 13 [de la Convention] (...) [L]a garantie prévue à l’article 13 [de la Convention] est absorbée en sa totalité par l’article 6 [de la Convention] dans les litiges civils. »
42. Pour finir, le TAF résuma ses conclusions comme suit :
« En résumé, les auteures du recours ne sont pas concernées davantage que la population générale par les mesures de protection du climat de la Confédération. Leurs requêtes, pour autant qu’elles se fondent sur l’article 25a de la LPA et exigent des actions (supplémentaires) aux fins de la réduction des émissions de [GES], doivent donc être considérées comme une actio popularis irrecevable ; c’est à juste titre que l’autorité de première instance a décidé de ne pas entrer en matière. Il n’est pas possible non plus de se prévaloir [de la Convention] pour demander l’adoption d’une décision matérielle. En conséquence, le recours doit être rejeté. »
La procédure devant le Tribunal fédéral
a) Le recours formé par les requérantes
43. Le 21 janvier 2019, les requérantes saisirent le Tribunal fédéral (« le TF ») d’un recours contre l’arrêt du TAF. Elles demandèrent l’annulation de cet arrêt et le renvoi de l’affaire au DETEC pour examen au fond ou, à titre subsidiaire, au TAF pour réexamen. Dans leur recours, les requérantes invoquaient les articles 9, 10, 29 et 29a de la Constitution ainsi que les articles 2, 6, 8, 13 et 34 de la Convention.
44. Les requérantes firent valoir qu’elles avaient un « intérêt digne de protection », actuel et concret, dès lors que, indiquaient-elles, en l’absence de mesures correctives la Suisse continuait de produire des émissions de GES excessives qui avaient des incidences croissantes sur leur vie et leur santé. Elles soulignèrent que l’association requérante formait ce recours pour son propre compte mais aussi dans l’intérêt de ses adhérentes, lesquelles représentaient une catégorie vulnérable de personnes dont la santé, et potentiellement la vie, étaient particulièrement touchées par les conséquences du réchauffement climatique.
45. De plus, les requérantes soutinrent que le TF allait devoir effectuer le nécessaire établissement des faits de la cause car, selon elles, le TAF ne s’était pas acquitté de cette tâche, ou l’avait fait de manière sommaire, notamment pour ce qui concernait les effets potentiels du changement climatique. Elles estimaient que le TAF ne s’était pas penché sur les questions relatives à l’augmentation des décès et aux effets néfastes dudit changement sur la santé de la catégorie de la population correspondant aux femmes âgées de soixante‑quinze à quatre-vingt-quatre ans. Elles évoquèrent les divers problèmes de santé dont souffraient les requérantes nos 2 à 5, qui selon elles rendaient les intéressées encore plus vulnérables au changement climatique.
46. Concernant par ailleurs l’objet du recours devant le TF, les requérantes expliquèrent qu’elles contestaient en particulier la manière dont les instances inférieures avaient établi les conditions procédurales préalables à l’examen au fond de leur affaire au regard de l’article 25a de la LPA et des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, combinés avec les articles 10 et 29 § 2 de la Constitution et les articles 2 et 8 de la Convention. Elles alléguaient une atteinte à leur droit d’être entendues, c’est-à-dire au droit à un véritable examen de leur cause par le DETEC et le TAF. Concernant leur qualité pour porter l’affaire devant les tribunaux, elles invoquaient aussi l’article 9 § 3 de la Convention d’Aarhus[1] (paragraphe 141 ci-dessous).
47. Les requérantes soutinrent également que le TAF avait eu tort de considérer que leur recours était par nature une actio popularis. Elles estimaient que, en tant que catégorie particulièrement sensible au changement climatique, elles étaient en droit de solliciter une protection en vertu de l’article 10 de la Constitution et de l’article 2 de la Convention. Par ailleurs, soulignant les risques que le réchauffement climatique faisait peser sur leur santé, leur intégrité physique et leur bien-être, elles arguèrent que les émissions excessives de GES étaient assimilables à une pollution atmosphérique nocive et devaient être considérées comme des activités dangereuses au regard de l’article 8 de la Convention. À la lumière de ces considérations, les requérantes estimaient par ailleurs avoir la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention.
48. Invoquant en particulier l’article 6 de la Convention, les requérantes avancèrent que le TAF avait examiné la mauvaise question lorsqu’il s’était penché sur le lien entre leurs requêtes et les émissions de GES – qu’à leur avis il avait d’ailleurs mal apprécié –, alors qu’il était censé examiner le lien entre ces émissions et l’obligation pour l’État de protéger leur droit à la vie au sens de l’article 10 de la Constitution.
49. À cet égard, les requérantes alléguèrent qu’elles n’avaient pas bénéficié de la protection juridique effective requise par la Convention. Selon elles, le TAF avait mal interprété la notion de contestation réelle et sérieuse, qui était pertinente pour trancher la question de l’applicabilité de l’article 6. Elles exposèrent que leur action avait visé à remédier aux omissions de l’État en matière de protection du climat, et ainsi à conduire à une réduction des émissions excessives de GES et des canicules liées à ces émissions. En d’autres termes, indiquèrent‑elles, l’issue de la procédure à laquelle elles aspiraient était la réduction des émissions de GES et des épisodes de canicule. Or, le TAF avait selon elles eu tort de considérer qu’il devait exister un lien direct entre leurs requêtes et la réduction des émissions de GES. En tout état de cause, selon les requérantes, le TAF n’avait pas correctement examiné l’existence d’un lien entre certaines de leurs demandes (comme l’ouverture d’une procédure législative préliminaire ou la communication d’informations à la population et au Parlement) et la réduction des émissions de GES et des épisodes caniculaires et, par extension, la protection de leur droit à la vie garanti par le droit interne pertinent, c’est-à-dire l’article 10 de la Constitution.
50. Selon les requérantes, il existait un lien suffisant entre ce droit de caractère civil protégé par le droit interne et l’issue de la procédure à laquelle elles aspiraient. Citant par ailleurs l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Bursa Barosu Başkanlığı et autres c. Turquie (no 25680/05, § 128, 19 juin 2018), elles affirmèrent que l’article 6 était applicable même si leur action ne bénéficiait pas qu’à elles seules, mais aussi à la population générale. Par ailleurs, elles estimaient que l’interprétation faite par le TAF de l’article 6 combiné avec l’article 34 de la Convention n’avait pas de base légale et était arbitraire. En résumé, les requérantes s’exprimèrent ainsi :
« La contestation des auteures du recours est réelle et sérieuse, puisque l’issue de la procédure – la réduction des émissions de [GES] – est directement déterminante pour leur droit à la protection de leur vie ainsi que pour l’application de la législation relative au CO2. Les auteures du recours ont donc le droit d’avoir accès à un tribunal au sens de l’article 6 [de la Convention]. »
51. Concernant l’article 13 de la Convention, les requérantes soutinrent que, bien que le TAF eût estimé l’article 6 inapplicable, il aurait dû procéder à un examen du grief tiré de l’article 13 en lien avec l’existence d’effets négatifs du changement climatique sur leur droit à la vie découlant de l’article 2 et sur leur droit au respect de la vie privée et familiale résultant de l’article 8 de la Convention.
b) L’arrêt du TF
52. Le 5 mai 2020, le TF rejeta le recours des requérantes.
53. Il estima que les requérantes nos 2 à 5 avaient qualité pour former un recours contre l’arrêt du TAF. En revanche, il ne se prononça pas sur la question de savoir si l’association requérante avait elle aussi qualité pour exercer un recours et jugea plus approprié de limiter ses considérations aux requérantes nos 2 à 5.
54. Concernant le bien-fondé du recours, le TF jugea tout d’abord que les décisions du DETEC et du TAF étaient dûment motivées ainsi que l’exigeaient l’article 29 § 2 de la Constitution et l’article 6 § 1 de la Convention (à supposer que cette disposition trouvât à s’appliquer).
55. Pour autant que les requérantes avaient invoqué l’article 25a de la LPA, le TF souligna que cette disposition visait à offrir une protection juridique contre des « actes matériels », mais non la possibilité d’une actio popularis. Selon le TF, il fallait examiner soigneusement, dans les circonstances de chaque cas, si la personne concernée était touchée différemment de la population générale. En d’autres termes, exposa le TF, il était essentiel que l’auteur du recours fût atteint dans ses propres droits. Le TF expliqua aussi que le terme « actes matériels » employé à l’article 25a de la LPA renvoyait à une notion large d’actes (ou d’omissions) de l’État. Il indiqua que la protection juridique garantie par cette disposition était toutefois limitée par l’application d’autres critères de recevabilité, notamment les conditions voulant que l’« acte matériel » touchât à des droits ou des obligations et que la personne concernée eût un « intérêt digne de protection ». Il précisa que le premier élément (« être touché ») présupposait une ingérence (réelle ou potentielle) d’une certaine gravité dans l’exercice des droits d’un individu. En lien avec cet aspect, l’« intérêt digne de protection » concernait principalement les droits fondamentaux, même si d’autres types de droits pouvaient également être pris en compte.
56. Appliquant ces considérations à l’affaire portée devant lui, le TF constata tout d’abord que les requérantes avaient exigé de nombreuses mesures, de nature et de portée diverses, qui pour l’essentiel revenaient à demander l’engagement de travaux préparatoires à l’adoption de textes législatifs et réglementaires. Estimant toutefois qu’à la lumière d’autres considérations il n’était pas nécessaire d’approfondir cette question, le TF souligna que, selon le droit constitutionnel suisse, les propositions visant à influer sur les domaines d’action du moment devaient en principe être portées au moyen de la participation démocratique.
57. Le TF considéra en outre que le fait que le DETEC et les autres autorités n’eussent pas pris les mesures sollicitées par les requérantes n’impliquait pas en soi une violation des droits invoqués par celles-ci. Il ajouta que cette prétendue omission ne suffisait pas à elle seule à porter une atteinte suffisamment intense aux droits fondamentaux des requérantes au regard de l’article 25a de la LPA.
58. À cet égard, le TF estima que la limite d’un réchauffement contenu « nettement en dessous de 2 oC », prévue par l’Accord de Paris[2], ne serait probablement pas dépassée dans un avenir proche. S’appuyant sur le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2018 sur le réchauffement planétaire (« Global Warming of 1.5oC »), le TF conclut que le réchauffement climatique atteindrait 1,5 oC aux environs de 2040 (probablement entre 2030 et 2052), s’il se poursuivait au rythme actuel (0,2 oC par décennie ; fourchette probable comprise entre 0,1 oC et 0,3 oC par décennie). Il en déduisit que la limite (« nettement en dessous de 2 oC ») serait atteinte dans un avenir plus lointain. Le TF considéra que l’Accord de Paris et le régime international de protection du climat fondé sur celui-ci, y compris le droit suisse pertinent, reposaient sur l’hypothèse que la limite fixée à un niveau « nettement en dessous de 2oC » ne serait pas dépassée dans un avenir proche et qu’il restait encore du temps pour empêcher le réchauffement climatique d’excéder ce plafond.
59. Se basant sur les considérations qui précèdent, le TF se prononça ainsi :
« Dans les circonstances susmentionnées, le droit à la vie des auteures du recours qui découle de l’article 10 § 1 de la Constitution et de l’article 2 [de la Convention] ne semble pas menacé par les omissions alléguées au point que l’on puisse dire aujourd’hui que les intéressées sont touchées dans leurs propres droits, au sens de l’article 25a de la LPA, avec une intensité suffisante (...) Il en va de même pour leur vie privée et familiale et leur domicile au sens de l’article 8 [de la Convention] et de l’article 13 § 1 de la Constitution. Les omissions internes alléguées n’ont pas, à l’égard des droits fondamentaux, la pertinence requise par l’article 25a s’agissant de la protection des droits individuels. Dès lors, l’article 25a de la LPA, qui garantit cette protection, ne trouve pas à s’appliquer (...) Les auteures du recours ne semblent pas non plus être victimes d’une violation des droits conventionnels susmentionnés, au regard de l’article 34 [de la Convention] (...) Elles ne sont pas touchées dans les droits évoqués et elles ne sont pas victimes au sens de l’article 34 [de la Convention] dès lors qu’elles ne sont pas touchées dans ces droits avec une intensité suffisante. N’y change rien le fait – avancé par les intéressées – que dans certains cas des victimes potentielles puissent être des victimes au sens de l’article 34 [de la Convention]. Cette disposition exige elle aussi que l’atteinte revête une certaine intensité (...), condition qui ne se vérifie pas en l’occurrence.
Il résulte de ce qui précède que – comme les droits du reste de la population – les droits des auteures du recours ne sont pas touchés par les prétendues omissions de façon suffisamment intense, au sens de l’article 25a de la LPA. Dès lors, la demande qu’elles ont adressée aux autorités susmentionnées afin de les voir statuer sur des actes matériels n’a pas pour objet d’assurer leur protection juridique individuelle. Elle vise plutôt à faire examiner dans l’abstrait si les mesures de protection du climat existant aujourd’hui au niveau fédéral et prévues jusqu’en 2030 sont compatibles avec les obligations de protection qui incombent à l’État. Indirectement – par les actions demandées aux autorités de l’État ‑, elle vise à provoquer le renforcement de ces mesures. Pareille procédure ou actio popularis est irrecevable au regard de l’article 25a de la LPA, qui garantit uniquement la protection de droits individuels. L’article 9 § 3 de la Convention d’Aarhus (...), auquel renvoient les auteures du recours, ne saurait changer cette conclusion (...) »
60. En outre, le TF considéra que, au regard de l’article 25a de la LPA, le recours des requérantes était par nature une actio popularis et visait à l’obtention d’un résultat qu’il était plus indiqué de rechercher non pas au moyen d’une action en justice mais par des voies politiques. Dès lors, pour le TF, le DETEC n’avait pas agi en violation de l’article 25a de la LPA lorsqu’il avait rejeté les demandes des requérantes.
61. Pour autant que les requérantes avaient invoqué l’article 6 § 1 de la Convention, le TF se prononça ainsi :
« [La] condition [voulant que le grief litigieux existant en droit interne soit au moins « défendable »] n’est pas remplie en l’espèce. Au regard du droit interne, les auteures du recours fondent leur prétendu droit subjectif de faire cesser les omissions litigieuses et d’obtenir l’accomplissement des actions requises sur le droit à la vie garanti par l’article 10 § 1 de la Constitution. Or, comme indiqué ci-dessus, les omissions alléguées ne touchent pas de manière juridiquement pertinente ce droit fondamental. Elles ne sauraient donc déduire de ce droit les demandes mentionnées. Dès lors, elles n’ont pas de droit subjectif à obtenir ce qu’elles demandent à titre subsidiaire, à savoir une décision déclaratoire selon laquelle les omissions alléguées sont contraires aux droits (fondamentaux). C’est donc à juste titre que le [TAF] a confirmé la décision du DETEC de ne pas examiner cet aspect de l’affaire. Partant, il n’y a pas lieu de se pencher plus avant sur les exigences de l’article 6 § 1 [de la Convention] (...) »
62. Concernant pour finir la plainte que les requérantes fondaient sur l’article 13 de la Convention, le TF estima à la lumière des conclusions précédentes que les intéressées ne présentaient aucun grief défendable sous l’angle d’une autre disposition de la Convention qui pût entraîner l’application de l’article 13.
63. En conclusion, le TF souligna ce qui suit :
« Il ressort des considérations qui précèdent que les auteures du recours ne sauraient utiliser le moyen de protection juridique individuelle invoqué pour se prémunir contre les omissions alléguées des autorités susmentionnées en matière de protection du climat. Dès lors, même si leur inquiétude est bien compréhensible, eu égard aux conséquences, soulignées par elles, qu’une insuffisante mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat pourrait avoir sur les femmes âgées, leur recours doit être rejeté. »
LES FAITS RELATIFS AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Éléments présentés par les requérantes
Observations générales sur le changement climatique
64. Les requérantes déclarent que les travaux du GIEC ont démontré que les augmentations des concentrations de GES depuis 1750 environ résultaient sans équivoque des activités humaines et que la hausse de la température à la surface de la planète provoquée par l’homme entre la période 1850-1900 et la période 2010-2019 s’établissait à 1,07 oC. Elles indiquent que le GIEC a également fait le constat, associé à un degré de confiance élevé, qu’il existait une relation quasi linéaire entre les émissions anthropiques cumulées de GES et le réchauffement planétaire : le changement climatique d’origine humaine aurait entraîné des vagues de chaleur plus fréquentes et plus intenses[3]. Elles ajoutent que le GIEC a souligné que les réductions qui seraient obtenues au cours de la présente décennie détermineraient en grande partie la possibilité de limiter le réchauffement à 1,5 oC ou à 2 oC[4].
65. Elles avancent que l’augmentation des températures et des canicules entraîne une hausse de la mortalité, attribuable au changement climatique d’origine humaine[5]. Selon les requérantes, en effet, le changement climatique et les événements extrêmes qui y sont associés accroîtront considérablement les problèmes de santé et le nombre de décès prématurés à court, moyen et long terme[6]. Au niveau mondial, la mortalité due à la chaleur touchant les personnes de plus de 65 ans aurait augmenté d’environ 68 % entre la période 2000‑2004 et la période 2017-2021[7]. De tous les risques climatiques, la chaleur serait de loin la première cause de décès en Europe[8].
66. L’augmentation des températures et des vagues de chaleur n’entraînerait pas seulement une hausse de la mortalité ; elle ferait aussi peser un risque grave sur la santé. Les vagues de chaleur mettraient l’organisme humain à rude épreuve et provoqueraient déshydratation et détérioration de la fonction cardiaque et pulmonaire, ce qui se traduirait par une augmentation des admissions dans les services d’urgence des hôpitaux ; à cet égard, les personnes âgées et les nourrissons seraient particulièrement à risque. Elles contribueraient aussi à l’hyperthermie, à l’état d’épuisement, aux pertes de connaissance, aux crampes de chaleur et aux coups de chaleur, ainsi qu’à l’aggravation des maladies déjà présentes, telles que les affections cardiovasculaires, respiratoires et rénales, ou encore les troubles mentaux et le stress[9].
67. Ce seraient les personnes âgées, les femmes et les personnes atteintes de maladies chroniques qui courraient le plus grand risque de morbidité et de mortalité liées à la température[10]. Globalement, la chaleur excessive provoquée par le changement climatique exposerait les femmes de plus de 75 ans – comme les requérantes nos 2 à 5 – à un risque plus élevé que l’ensemble de la population de mourir prématurément ou de subir de graves atteintes à leur qualité de vie et à leur vie privée et familiale[11].
68. Les requérantes ajoutent que selon les projections, toute augmentation du réchauffement planétaire aura une incidence sur la morbidité et la mortalité liées à la chaleur, mais qu’il existe néanmoins un consensus scientifique mondial selon lequel un grand nombre de décès prématurés et d’altérations de la santé pourront être évités si la limite de 1,5 oC est respectée[12].
La situation en Suisse
69. En 2020, les émissions de GES par habitant en Suisse auraient représenté 5,04 tonnes d’équivalent CO2. Le total des émissions nationales de GES en Suisse se serait élevé à 43,40 millions de tonnes d’équivalent CO2[13]. Pour la même année, la part de la Suisse dans les émissions mondiales cumulées de CO2 serait de 0,18 %[14].
70. Ces chiffres ne tiendraient toutefois pas compte des émissions attribuables à la Suisse mais produites hors de son territoire (« les émissions extérieures »), telles que les émissions de GES générées par les carburants dont les pleins sont effectués en Suisse pour les transports aérien et maritime internationaux (ces émissions auraient pratiquement doublé depuis 2004 et, en 2019, auraient représenté environ 13,2 % des émissions nationales totales de GES en Suisse[15]) et les émissions de GES dues à la consommation, générées par l’importation de biens (la Suisse serait le premier importateur mondial de ces émissions en regard de ses émissions nationales[16]). À cet égard, l’empreinte par habitant se serait élevée à 13 tonnes d’équivalent CO2[17]. L’OFEV aurait jugé cette empreinte GES excessivement élevée[18].
71. Les requérantes estiment qu’il faut également mentionner les émissions causées par les flux financiers (liés par exemple aux investissements, souscriptions, prêts et assurances). Elles indiquent qu’une étude réalisée en 2015 à la demande de l’OFEV a montré que les investissements réalisés par les plus grands fonds de placement agréés en Suisse tendaient à contribuer à un réchauffement planétaire de l’ordre de 4 à 6 oC[19]. L’OFEV aurait donc estimé que des efforts supplémentaires pouvaient être accomplis dans ce secteur[20].
72. En Suisse, la température moyenne annuelle aurait augmenté d’environ 2,1 oC par rapport à 1864, année des premiers relevés[21]. Les étés 2003, 2015, 2018, 2019 et 2022 seraient les cinq étés les plus chauds jamais enregistrés dans le pays ; ceux de 2003 et de 2022 seraient les premier et deuxième plus chauds enregistrés depuis le début des relevés[22].
73. En Suisse, on comptabiliserait davantage de décès pendant les étés chauds qu’en moyenne[23]. On aurait enregistré près de 1 000 décès supplémentaires liés à la chaleur en juin et août 2003 ; environ 800 en juin, juillet et août 2015 ; 185 en août 2018 ; et 521 en juin, juillet et août 2019. Entre juin et août 2022, on aurait comptabilisé chez les personnes de plus de 65 ans 1 700 décès de plus que le nombre attendu selon les prévisions statistiques (l’analyse des causes ne serait pas totalement achevée)[24].
74. Lors de la canicule de 2003, 80 % des décès supplémentaires enregistrés auraient emporté des personnes de plus de 75 ans. La plus forte augmentation du risque de décès au cours de la canicule de l’été 2015 aurait touché le groupe d’âge des 75 à 84 ans. En août 2018, près de 90 % des décès liés à la chaleur auraient concerné des femmes âgées, presque toutes de plus de 75 ans. Pendant la canicule de 2019, les personnes âgées auraient été les plus exposées au risque de décès, et les personnes de 85 ans et plus auraient été les plus touchées (448 sur 521). De même, les canicules de 2022 auraient apparemment touché principalement les personnes de plus de 65 ans[25].
Mesures prises par les autorités suisses
75. Les requérantes déclarent que la Suisse n’a pas procédé à la transposition en droit interne de sa contribution déterminée au niveau national (CDN), adoptée dans le cadre du droit international, et elles avancent à cet égard ce qui suit :
– L’actuelle loi (de 2011) sur le CO2 ne contient qu’un objectif contraignant de réduction des émissions pour 2020 et 2024.
– Une nouvelle loi (de 2020) sur le CO2[26], qui fixait un objectif contraignant pour 2030, a été rejetée à l’issue d’un référendum tenu le 13 juin 2021.
– Le 16 septembre 2022, le gouvernement a soumis au Parlement un projet de modification de la loi de 2011 sur le CO2[27] qui devait s’appliquer à la période 2025-2030[28]. Le Parlement a cependant approuvé une autre proposition[29] de loi.
– En outre, la Suisse n’a jamais effectué d’analyse de son budget carbone.
76. Selon les requérantes, les objectifs et mesures de réduction de la Suisse en matière de climat peuvent se résumer comme suit :
– 2007-2013 : selon la loi de 2011 sur le CO2 (en vigueur depuis 2013), les émissions nationales de GES devaient d’ici à 2020 être réduites de 20 % par rapport aux niveaux des années 1990. Or en 2007 le GIEC a déclaré que les pays développés tels que la Suisse devraient d’ici à 2020 réduire leurs émissions nationales de 25 à 40 % par rapport aux niveaux de 1990 pour pouvoir respecter, selon une probabilité de 66 %, la limite de 2 oC (aujourd’hui obsolète)[30]. Le gouvernement a reconnu le caractère inadéquat de la solution proposée[31].
– 2014-2017 : en 2017, le gouvernement a présenté une nouvelle loi sur le CO2 (ce texte est plus tard devenu la loi de 2020 sur le CO2 et a été rejeté), qui proposait une réduction globale de 50 % et, à l’horizon 2030, une réduction des émissions nationales de 30 % par rapport aux niveaux de 1990[32]. Or en 2014 le GIEC a estimé que les pays tels que la Suisse devaient réduire leurs émissions nationales d’au moins 40 %, voire de 100 %, à l’horizon 2030 pour qu’il y ait une probabilité de 66 % de rester dans la limite (aujourd’hui obsolète) de 2 oC. Cela impliquait la nécessité d’une réduction moyenne des émissions nationales de 50 % à l’horizon 2030[33].
– En 2020, la Suisse a présenté une CDN actualisée, indiquant qu’elle s’engageait à suivre les recommandations scientifiques pour une limitation du réchauffement à 1,5 oC et que, compte tenu de son objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050, sa CDN devait viser à la réduction de ses émissions de GES d’au moins 50 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990[34].
– 2018-2030 : la Suisse n’a pas réellement progressé au regard de la CDN officiellement « actualisée »[35], et le texte de la législation nationale actuelle et prévue sur le climat ne traduit pas un engagement à respecter la limite de 1,5 oC. En outre, les trajectoires de réduction des émissions ne cadrent pas avec la limite de 1,5 oC : en comparaison avec la période qui allait jusqu’en 2020 (qui selon les requérantes impliquait une réduction de 2 % par an), elles ont même fléchi en 2021 (paragraphe 123 ci-dessous ; article 3 (1bis et 1ter) de la loi de 2011 sur le CO2). Les autorités suisses ont admis que la trajectoire de réduction ne permettrait pas de respecter la CDN de la Suisse, que la compensation du retard pris dans la réduction des émissions serait un défi majeur et que la part des mesures prises à l’étranger devrait être nettement plus élevée que prévu[36]. Pour la période 2025-2030, le gouvernement sera l’autorité compétente pour déterminer l’étendue des mesures à mettre en œuvre en Suisse au regard de l’objectif de réduction d’au moins 50 % d’ici à 2030. L’objectif de réduction au niveau national est d’environ 34 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990 (1,52 % par an). Cependant, l’État n’a pas expliqué comment le retard accusé pourrait être compensé au moyen de cette trajectoire de réduction interne[37].
– 2031-2050 : pour cette période, l’objectif visé par les autorités suisses est, d’ici à 2040, une réduction des émissions de GES de 75 % par rapport aux niveaux des années 1990 et, d’ici à 2050, la réalisation de l’objectif de zéro net. Les requérantes soulignent toutefois que, selon la législation, ces objectifs ne sont à atteindre que « dans la mesure du possible », au moyen de mesures de portée interne[38]. Par ailleurs, elles considèrent qu’ils ne cadrent pas avec la limite de 1,5 oC.
77. Les requérantes observent que, selon le GIEC, au niveau planétaire une action immédiate visant à limiter le réchauffement à 1,5 oC passe par une réduction des émissions mondiales nettes de GES de 43 % d’ici à 2030 et de 84 % d’ici à 2050, par rapport aux niveaux de 2019[39]. Pour limiter l’augmentation de la température planétaire, il y aurait lieu de limiter les émissions globales cumulées de CO2 dans le cadre d’un budget carbone. Pour une probabilité de 67 % de respecter la limite de 1,5 oC, le budget carbone mondial restant serait de 400 gigatonnes (Gt) de CO2 ; pour une probabilité de 83 %, il serait de 300 Gt de CO2[40]. Ainsi, selon le calcul des requérantes, même en appliquant la méthode de « répartition par habitant de l’effort » de réduction des émissions à partir de 2020 (les intéressées contestent la validité de la méthode des « émissions égales par habitant », en regard du « niveau d’ambition le plus élevé possible »), la Suisse aurait un budget carbone restant de 0,44 Gt de CO2 pour une probabilité de 67 % de respecter la limite de 1,5 oC, ou de 0,33 Gt de CO2 pour une probabilité de 83 %. Dans le cadre d’un scénario prévoyant une réduction de 34 % des émissions de CO2 d’ici à 2030 et de 75 % d’ici à 2040, la Suisse aurait épuisé le budget carbone restant vers 2034 (ou 2030, pour une probabilité de 83 %).
78. Les requérantes signalent que The Climate Action Tracker (« le CAT »)[41] a estimé que si tous les États suivaient l’approche de la Suisse, le réchauffement atteindrait 3 oC. En outre, disent-elles, le CAT a qualifié d’« insuffisant » à la fois l’objectif de la juste part de la Suisse et son financement pour le climat, et a indiqué que des « progrès importants » étaient nécessaires pour une mise en phase avec un réchauffement limité à 1,5 oC[42]. Les requérantes ajoutent que le CAT a conclu que pour accomplir sa juste part aux fins d’une telle limitation, la Suisse devait abaisser ses émissions de GES à un niveau nettement inférieur à zéro d’ici à 2030 (ce qui signifie une réduction comprise entre 160 % et plus de 200 % par rapport aux émissions de 1990)[43]. Elles font remarquer que d’autres études ont abouti à des conclusions similaires[44].
79. Elles observent qu’en dépit de cela la Suisse mène une stratégie consistant à « acheter » des réductions d’émissions à l’étranger et à en tenir compte dans l’objectif national de réduction pour 2030, ce qui selon elles ne fera que reporter les efforts que le pays devra fournir par lui-même afin d’atteindre d’ici 2050 l’objectif de zéro émission nette. Elles avancent qu’après 2030 cette stratégie obligera la Suisse à ramener à zéro ses émissions nationales dans un très court laps de temps, sur la base de taux de réduction annuels élevés qui deviendront de plus en plus difficiles à atteindre[45].
80. De surcroît, selon les requérantes, la plupart des émissions de GES attribuables à la Suisse sont produites à l’étranger. Les autorités suisses auraient dans un premier temps reconnu qu’il fallait en tenir compte dans la fixation d’objectifs climatiques[46]. Ce point ne figurerait toutefois ni dans leurs propositions législatives actuelles ni dans la CDN actualisée de 2021[47]. Dans ce contexte, le secteur financier pèserait lourdement sur les émissions de GES[48]. Or, disent les requérantes, selon la loi (modifiée) de 2011 sur le CO2, ce secteur ne sera inclus dans la législation nationale sur le climat qu’en 2025, et cela aura un effet limité car il sera simplement tenu d’examiner les risques financiers liés au changement climatique et non de veiller à ce que les flux financiers soient compatibles avec une trajectoire d’émissions respectueuse du climat.
81. Les autorités suisses auraient également reconnu qu’elles avaient manqué leur propre objectif climatique pour 2020. Après les restrictions liées à la Covid‑19, les émissions de GES auraient connu un fort rebond[49]. Certains secteurs (en particulier le bâtiment et les transports au sein des cantons) seraient mal contrôlés, d’autres (tels les secteurs agricole et financier) ne seraient pas réglementés.
82. Les requérantes soutiennent que les mesures (prévues) de réduction des émissions pour 2030 sont similaires à celles de la loi de 2011 sur le CO2 et qu’elles ne permettront pas d’atteindre une réduction des émissions nationales d’environ 34 % d’ici à 2030[50]. Elles avancent toutefois qu’une trajectoire nationale compatible avec un réchauffement de 1,5 oC reste techniquement et économiquement possible[51]. Elles précisent qu’il faudrait que la Suisse parvienne à une décarbonation totale cadrant avec la limite de 1,5 oC et intensifie l’adoption de mesures à l’étranger afin d’accomplir sa « juste part ».
Éléments présentés par le Gouvernement
83. Selon le Gouvernement, la situation relative au changement climatique en Suisse et les mesures adoptées en la matière doivent être examinées selon deux phases distinctes : la première concerne les mesures prises avant l’adoption de l’arrêt que le TF a rendu le 5 mai 2020 dans la cause des requérantes (paragraphes 52-63 ci-dessus) ; la seconde porte sur les mesures prises après l’adoption de cet arrêt.
La première phase
84. Le Gouvernement expose que la loi de 2011 sur le CO2, qui appliquait le Protocole de Kyoto[52], prévoyait d’ici à 2020 une réduction des émissions de GES en Suisse de 20 % par rapport aux niveaux de 1990 et que cela correspondait à une réduction de 15,8 % en moyenne entre 2013 et 2020, soit l’objectif international fixé par la Suisse sur le fondement du Protocole de Kyoto. Il précise que le Conseil fédéral s’était appuyé sur les données scientifiques disponibles afin de fixer l’objectif pour la période allant jusqu’en 2020.
85. Il explique que le quatrième rapport du GIEC (2007)[53] indiquait que, pour éviter des changements climatiques dangereux, il fallait stabiliser la concentration de GES dans l’atmosphère à un niveau de 445 à 490 ppm éqCO2. De cette manière, il était possible de limiter l’élévation des températures à 2 oC, voire 2,4 oC, par rapport aux niveaux de la période préindustrielle. Pour atteindre cet objectif, il fallait abaisser les émissions mondiales de GES de 5,8 tonnes à 1 à 1,5 t éqCO2 par habitant au maximum. Un tel objectif nécessitait, d’ici à 2050 et par rapport aux niveaux de 1990, une réduction des émissions de GES d’au moins 50 à 85 % à l’échelle mondiale et de 80 à 95 % au niveau national pour les pays industrialisés. Ces derniers devaient donc, d’ici à 2050 et par rapport aux niveaux de 1990, réduire leurs émissions de 25 à 40 %. À cet égard, l’objectif fixé par la Suisse (20 % par rapport aux niveaux de 1990) correspondait à celui fixé par ses principaux partenaires commerciaux, notamment l’Union européenne (UE). Le Gouvernement ajoute que le Conseil fédéral a envisagé la possibilité d’élever à 30 % le niveau pertinent de réduction des émissions de GES, mais que finalement il n’a pas retenu cette option.
86. Il indique que, fin 2020, la législation pertinente sur le climat prévoyait les mesures suivantes : a) imposition d’une taxe CO2 sur les agents énergétiques fossiles et mise en place d’avantages pour le secteur du bâtiment, la technologie, les ménages et les entreprises ; b) prescription pour toute installation émettant des niveaux importants de GES de participer au système d’échange de quotas d’émission de l’UE[54] ; c) mise en œuvre d’une réduction des émissions par les petites et moyennes installations émettant des GES ; d) alignement de la législation nationale sur les exigences de l’UE relatives aux émissions de GES provenant des voitures de tourisme ; e) obligation pour les importateurs d’agents énergétiques fossiles de compenser une part donnée des émissions de CO2 ; f) adoption de mesures dans le domaine de la gestion des déchets afin de réduire les émissions de GES ; g) coordination des mesures d’adaptation pertinentes ; et h) fourniture d’information et de documentation sur les changements climatiques.
87. Il soutient que ces mesures et celles prises dans d’autres secteurs, notamment l’agriculture et l’énergie, devaient permettre à la Suisse de réduire ses émissions de 20 % à l’horizon 2020 par rapport aux niveaux de 1990. Il indique que selon une évaluation effectuée en la matière[55], la Suisse a manqué cet objectif de peu : en 2020, ses émissions de GES auraient été inférieures d’environ 19 % aux niveaux de 1990. En 2020, grâce à un hiver doux, les émissions auraient été particulièrement faibles dans le secteur du bâtiment ; de plus, les mesures prises pour endiguer la pandémie de Covid‑19 auraient entraîné une diminution des émissions dues aux transports. Cependant, seul le secteur industriel aurait atteint l’objectif fixé. Les émissions générées par le bâtiment et les transports, ainsi que d’autres émissions, auraient dépassé le niveau ciblé. En moyenne, sur la période 2013-2020, la Suisse aurait réduit ses émissions de GES d’environ 11 % par rapport aux niveaux de 1990.
88. Le Gouvernement expose qu’en 2012 le Conseil fédéral a mis en place la stratégie nationale d’adaptation aux changements climatiques et que celle‑ci recense les mesures à prendre dans différents secteurs pour faire face à ce phénomène.[56] Il précise qu’il s’agit d’une stratégie fédérale mais que la loi sur le CO2 permet toutefois l’adoption de nombreuses mesures par les autorités compétentes aux niveaux local et cantonal.
89. Il indique que, pour la période 2014-2019, le Conseil fédéral a envisagé soixante‑trois mesures d’adaptation, notamment en matière de protection contre les canicules. Il déclare que cette question a donné lieu à la publication de nouveaux rapports scientifiques[57], dont l’un émanait de l’OFEV et constatait que l’augmentation du stress thermique et la dégradation de la santé humaine causé par celui-ci figuraient parmi les principaux risques liés au changement climatique en Suisse[58]. Il indique que d’autres mesures d’adaptation ont encore été adoptées[59].
90. Il expose par ailleurs qu’en 2015 la Suisse a créé le National Centre for Climate Services, chargé de coordonner au niveau fédéral divers services en matière climatique. Il ajoute qu’en réaction aux épisodes de canicule de l’été 2003, l’Office fédéral de météorologie et de climatologie (MétéoSuisse) lance depuis 2005 les alertes canicule, et que l’Office fédéral de la santé publique publie des recommandations sur la manière de faire face aux effets de ces vagues de chaleur[60]. Diverses mesures d’adaptation auraient ainsi été prises au niveau cantonal pour protéger la population en cas de canicule.
91. Concernant la planification relative à la période 2030‑2050, le Gouvernement signale que la Suisse a été le premier pays à fournir sa CDN, à la date du 27 février 2015[61]. Il explique qu’elle s’y est engagée à réduire ses émissions de GES de 50 % par rapport à 1990 d’ici à 2030 et que cela représente une réduction moyenne de 35 % sur la période 2021-2030. Il ajoute qu’elle s’est fixé un objectif indicatif de réduction de 70 à 85 % à l’horizon 2050. Pour définir ces objectifs, la Suisse s’est selon lui appuyée sur les données scientifiques disponibles, contenues notamment dans le cinquième rapport du GIEC (2014)[62]. Le Gouvernement expose que, pour la Suisse, l’engagement à réduire ses émissions de 50 % par rapport à 1990 d’ici à 2030 correspond aux recommandations contenues dans le rapport du GIEC, à savoir une réduction des émissions mondiales de 40 à 70 % par rapport à 2010 d’ici à 2050. La Suisse relève également que sa responsabilité quant aux émissions de GES est limitée, en ce qu’elle ne produit qu’environ 0,1 % des émissions mondiales et que ses émissions par habitant se situent dans la moyenne mondiale. En outre, indique le Gouvernement, la Suisse prend des mesures pour réduire les émissions de GES.
92. Le Gouvernement déclare encore qu’en ratifiant l’Accord de Paris, la Suisse s’est résolument engagée à diviser par deux ses émissions de GES à l’horizon 2030 et à les réduire de 35 % par an en moyenne sur la période 2021-2030 par rapport aux niveaux de 1990. Il ajoute qu’en 2017 le Conseil fédéral a proposé une loi de mise en œuvre de cet engagement mais que celle‑ci, bien qu’approuvée par le Parlement, a été rejetée par référendum le 13 juin 2021.
93. Il explique que les débats parlementaires sur la révision complète de la loi sur le CO2 ont pris du retard et qu’en 2019 le Parlement a donc décidé de procéder à une révision partielle de la loi sur le CO2 alors en vigueur, en prolongeant le délai fixé pour les mesures en cours et en arrêtant pour 2021 un objectif de réduction prévoyant une diminution annuelle des émissions de GES de 1,5 % par rapport à leur niveau de 1990. Selon le Gouvernement, l’objectif de 2021 représentait en particulier une base légale permettant de déterminer le taux de compensation applicable aux importateurs de carburants fossiles ainsi que le niveau d’augmentation de la taxe sur le CO2. Le Gouvernement ajoute qu’en août 2019 le Conseil fédéral a décidé qu’à partir de 2050 la Suisse devrait cesser d’émettre davantage de GES que ce qui pourrait être absorbé par les réservoirs naturels et stocké par des installations techniques (objectif zéro émission nette)[63]. Selon le Gouvernement, cela correspondait aux données scientifiques présentées dans le rapport spécial du GIEC de 2018 sur le réchauffement planétaire de 1,5 oC (précité). La même base scientifique sous-tendrait les objectifs énoncés dans la stratégie climatique que la Suisse a adoptée en 2021 (paragraphe 100 ci‑dessous).
La seconde phase
94. Le Gouvernement expose que, le 25 septembre 2020, le Parlement a adopté une nouvelle loi sur le CO2, destinée à permettre la mise en œuvre des engagements pris par la Suisse au titre de l’Accord de Paris et la fixation des objectifs pour la période allant jusqu’en 2030 (baisse des émissions de 50 % d’ici à 2030 et de 35 % pour la période 2021-2030, dans les deux cas par rapport aux niveaux de 1990). Il indique que cette nouvelle loi prévoyait un ensemble complet de mesures censées permettre la réalisation des objectifs fixés et qu’elle devait entrer en vigueur le 1er janvier 2022, mais qu’elle a cependant été rejetée par référendum le 13 juin 2021.
95. Il explique que, le 17 décembre 2021, afin d’éviter un vide législatif, le Parlement a décidé d’adopter une version partiellement révisée de la loi existante de 2011 sur le CO2[64], prévoyant pour la période 2021-2024 un objectif de réduction de 1,5 % par an par rapport au niveau de 1990, étant entendu qu’à partir de 2022 un quart au maximum de cette réduction pourrait être atteint au moyen de mesures mises en œuvre à l’étranger. Il précise qu’il s’agissait d’objectifs indépendants de l’objectif de réduction de 20 % fixé pour la période allant jusqu’en 2020, et qu’ils étaient susceptibles de donner lieu à de nouveaux ajustements.
96. Il indique qu’entre-temps, le 17 septembre 2021, le Conseil fédéral avait défini les étapes suivantes de la politique climatique suisse[65]. Il note qu’il s’agissait en particulier de répondre aux craintes exprimées lors de la votation populaire quant à une augmentation du coût de la vie, notamment une possible hausse du prix de l’essence, qui avaient conduit au rejet de la nouvelle loi sur le CO2. Il expose que le Conseil fédéral avait donc établi les principes directeurs suivants pour la nouvelle législation : a) maintien des instruments de la loi existante sur le CO2 ; b) aucune nouvelle taxe ; c) aide financière supplémentaire aux secteurs et à la population concernés ; et d) développement des carburants d’aviation durables.
97. Il poursuit en expliquant que, le 17 décembre 2021, le Conseil fédéral a entamé le processus de consultation sur la révision de la loi sur le CO2 pour la période postérieure à 2024[66]. Il précise que ce processus s’est achevé en avril 2022 et qu’en septembre de la même année le Conseil fédéral a publié un communiqué sur ladite révision pour la période en question[67]. Il indique que les mesures alors envisagées étaient les suivantes : a) réintroduction de la taxe sur le CO2 et, pour une période déterminée, augmentation des aides octroyées pour la protection du climat ; b) soutien financier aux installations de biogaz et encouragement de la planification énergétique dans les communes ; c) abaissement des valeurs cibles d’émissions de CO2 applicables aux nouveaux véhicules, en coopération avec l’Union européenne ; d) introduction des mesures de protection du climat concernant le secteur des transports ; e) développement des carburants d’aviation durables, en coordination avec l’Union européenne ; f) relèvement à 90 % de la part des émissions que les importateurs d’essence sont tenus de compenser (mesures de compensation en Suisse et à l’étranger) ; g) introduction d’une possibilité d’exemption de la taxe sur le CO2 pour les entreprises disposées à mettre en place les mesures compensatoires appropriées ; et h) instauration d’une obligation pour les autorités de surveillance du secteur financier d’examiner les risques liés au changement climatique. Le Gouvernement note que toutes ces mesures, combinées au recours à des technologies innovantes, devraient permettre à la Suisse de maintenir son objectif de réduction des émissions de 50 % d’ici à 2030. Le Conseil fédéral, ajoute-t-il, a estimé que les mesures mises en œuvre en Suisse devaient aboutir à une réduction des émissions d’environ 34 %. Il précise que le processus législatif devant conduire à l’adoption de cette loi est en cours.
98. Le Gouvernement relève que la législation nationale a également connu d’autres évolutions, liées à des initiatives populaires de lutte contre le changement climatique, notamment l’« Initiative pour les glaciers », qui visait à faire inscrire dans la Constitution une interdiction d’émettre des GES à l’horizon 2050. Il expose toutefois que le Conseil fédéral s’est opposé à certains aspects de cette initiative, considérant qu’elle allait trop loin, et que le 11 août 2021 il a fait une contre-proposition législative, estimant plus approprié d’instaurer une obligation de réduire la consommation de combustibles fossiles, excepté dans certaines circonstances exceptionnelles (par exemple en cas de nécessité pour les services de l’armée, de la police ou pour d’autres services de sécurité).
99. Il signale que, le 30 septembre 2022, le Parlement a finalement adopté la loi sur la protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique (« la loi sur le climat »)[68] et que ce texte a mis en place le principe de l’objectif de zéro émission nette à atteindre d’ici à 2050. Il indique que cette loi a été approuvée à l’issue d’une votation populaire tenue le 18 juin 2023, qu’elle prévoit des objectifs intermédiaires pour 2040 (réduction de 75 % par rapport à 1990), pour la période 2031-2040 (réduction de 64 % en moyenne) et pour la période 2041-2050 (réduction de 89 % en moyenne) et que par ailleurs elle fixe des valeurs indicatives pour la réduction des émissions dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’industrie pour les années 2040 et 2050. Un important budget aurait déjà été alloué aux fins de la réalisation des objectifs de cette loi.
100. Le Gouvernement déclare que la loi sur le climat correspond à la stratégie climatique pour 2050, que le Conseil fédéral a établie en janvier 2021[69], soit plusieurs mois avant la publication du sixième rapport du GIEC[70]. Il estime que, par l’adoption de cette stratégie, la Suisse – certes, avec un mois de retard – a respecté ses engagements découlant de l’Accord de Paris en montrant qu’elle pourrait réduire ses émissions de GES de près de 90 % à l’horizon 2050. Selon le Gouvernement, d’ici à 2050 les secteurs du bâtiment et des transports pourraient couper leurs émissions, et le secteur industriel pourrait éliminer ses émissions dues à la consommation énergétique ; dans le secteur agricole, une réduction des émissions d’au moins 40 % par rapport aux niveaux de 1990 serait également possible.
101. Pour ce qui est des mesures d’adaptation, le Gouvernement indique qu’en août 2020, s’appuyant sur des évaluations préliminaires de la situation, le Conseil fédéral a adopté le deuxième plan d’adaptation aux changements climatiques.[71] Il précise que la principale nouveauté de ce plan réside dans la mise en place de la mesure « prévention du stress thermique », destinée à protéger la population, tout spécialement les travailleurs, contre la chaleur. Il ajoute que diverses autres mesures ont été prises pour faire face aux effets néfastes des canicules. Par ailleurs, dit-il, la Suisse prépare actuellement son prochain plan d’adaptation aux changements climatiques, pour la période postérieure à 2025.
102. Se plaçant sur le terrain international, le Gouvernement expose que le 9 décembre 2020 la Suisse a soumis sa nouvelle CDN et que celle-ci fixe l’objectif d’une réduction des émissions de GES d’au moins 50 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990. Il fait remarquer que, comparé à l’objectif qui avait été annoncé en 2015, celui de 2020 se caractérise par les éléments suivants : la réduction visée est passé de 50 % à 50 % au moins, et l’objectif indicatif de réduction a été porté de 70 % à 85 % d’ici à 2050 et est complété par l’objectif de neutralité GES à l’horizon 2050.[72] Enfin, le Gouvernement déclare que la Suisse a tenu les parties à l’Accord de Paris dûment informées des développements intervenus au niveau national.
Faits relatifs au changement climatique qui ressortent des éléments dont dispose la Cour
103. En vue de l’examen de la présente espèce, et eu égard aux deux autres affaires qui sont examinées par la Grande Chambre (paragraphe 5 ci‑dessus) et sur lesquelles la Cour se prononce à la même date que sur celle‑ci, ainsi qu’à d’autres affaires qui demeurent pendantes au sein d’une chambre, la Cour juge nécessaire de mettre en lumière les aspects présentés ci‑après, qui ressortent des éléments dont elle dispose.
104. Dès 1992, alors que les éléments et connaissances scientifiques étaient moins nombreux qu’aujourd’hui, le préambule de la Convention‑cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC)[73] indiquait que « l’activité humaine a[vait] augmenté sensiblement les concentrations de [GES] dans l’atmosphère, que cette augmentation renfor[çait] l’effet de serre naturel et qu’il en résultera[it] en moyenne un réchauffement supplémentaire de la surface terrestre et de l’atmosphère, ce dont risqu[ai]ent de souffrir les écosystèmes naturels et l’humanité ». Ce constat a été développé lors de l’opérationnalisation, par l’adoption du Protocole de Kyoto de 1997 (y compris l’Amendement de Doha) et de l’Accord de Paris de 2015, des engagements pris dans le cadre de la CCNUCC, traité international juridiquement contraignant sur les changement climatiques. Ainsi, le préambule de l’Accord de Paris reconnaît, en particulier, que « les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière et que, lorsqu’elles prennent des mesures face à ces changements, les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’Homme, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes en situation vulnérable et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations ».
105. Plus récemment, en 2021, les inquiétudes exprimées dans l’Accord de Paris ont été réaffirmées dans le Pacte de Glasgow pour le climat[74], où la Conférence des parties (COP) s’est déclarée « extrêmement préoccupée » par le réchauffement planétaire entraîné par les activités humaines ; de plus, en 2022, l’Accord de Paris a été approuvé dans le Plan de mise en œuvre de Charm el-Cheikh de la COP27, et des conclusions similaires ont été formulées en 2023 dans la décision de la COP28 (paragraphe 140 ci‑dessous). Pour sa part, l’UE a, dans la loi européenne sur le climat, reconnu la « menace existentielle que pose le changement climatique » et noté que cette menace « exige[ait], de la part de l’Union et des États membres, d’accroître le niveau d’ambition et d’intensifier l’action pour le climat ». Une position analogue a été exprimée dans les différentes initiatives et les différents instruments adoptés sous l’égide de l’ONU lors des derniers événements relatifs au changement climatique, notamment quant à la reconnaissance d’un droit fondamental à un environnement propre, sain et durable (Résolution 76/300 de l’Assemblée générale des Nations unies[75]).
106. Par ailleurs, la Cour note qu’en définissant les objectifs de l’Accord de Paris, les États ont formulé et accepté l’objectif primordial consistant à contenir le réchauffement « nettement en dessous de 2 oC par rapport aux niveaux préindustriels et [à] poursuiv[re] l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 oC par rapport aux niveaux préindustriels », étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques (article 2 § 1 a)). Depuis lors, les connaissances scientifiques ont encore progressé et les États ont estimé que « les effets des changements climatiques ser[aient] bien moindres si la température augmente de 1,5 oC et non de 2 oC » et ont donc décidé « de poursuivre [encore] l’action destinée à limiter l’élévation de la température à 1,5 oC » (Pacte de Glasgow pour le climat, § 21, et Plan de mise en œuvre de Charm el-Cheikh, § 4).
107. À cet égard, dans sa décision ayant porté sur l’adoption de l’Accord de Paris, la Conférence des Parties à la CCNUCC a en fait invité le GIEC à présenter en 2018 un rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire supérieur à 1,5 oC par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d’évolution des émissions mondiales de GES (1/CP.21, § 21). Dans le rapport en question – le rapport spécial de 2018 intitulé « Réchauffement planétaire de 1,5 oC » (précité) –, le GIEC constate qu’en 2017 le réchauffement planétaire anthropique a dépassé d’environ 1 oC les niveaux de l’époque préindustrielle (la période 1850‑1900) et qu’il augmente de 0,2 oC par décennie (degré de confiance élevé). En conséquence, il est considéré dans le rapport que des mesures ambitieuses d’atténuation sont indispensables pour limiter le réchauffement à 1,5oC[76]. Le rapport constate également que, selon les projections, toute augmentation du réchauffement planétaire (par exemple de 0,5 oC) devrait affecter la santé humaine, avec des conséquences principalement négatives (degré de confiance élevé). Il indique que les risques devraient être moins importants à 1,5 oC qu’à 2 oC de réchauffement pour ce qui concerne la morbidité et la mortalité liées à la chaleur (degré de confiance très élevé) et la mortalité liée à l’ozone si les émissions nécessaires à la formation d’ozone restent élevées (degré de confiance élevé)[77].
108. Par ailleurs, le rapport relève de manière alarmante que, sur la base des engagements relatifs aux émissions pris à l’époque dans le cadre de l’Accord de Paris (les CDN), le réchauffement planétaire devrait dépasser une augmentation de 1,5 oC par rapport aux niveaux préindustriels, même si les mesures annoncées sont complétées par une revue à la hausse, très difficile à tenir, de l’ampleur et des ambitions en matière d’atténuation, après 2030 (degré de confiance élevé). Le rapport indique ainsi qu’il faut parvenir à des émissions nettes de CO2 égales à zéro en moins de quinze ans et que des émissions de GES réduites en 2030 assureraient une meilleure probabilité de maintenir le pic de réchauffement à 1,5 oC (degré de confiance élevée). Il précise en particulier que limiter le réchauffement à 1,5 oC implique de ramener à zéro les émissions mondiales nettes de CO2 aux alentours de 2050 et, parallèlement, de fortes réductions du forçage radiatif autre que celui dû au CO2 (degré de confiance élevé)[78].
109. Dans son rapport, le GIEC cherche à quantifier les besoins en matière d’atténuation sous l’angle de trajectoires compatibles avec la limite de 1,5 oC faisant référence aux « budgets carbone ». Le rapport explique que les émissions cumulées de CO2 seront maintenues dans les limites d’un budget carbone si l’on ramène à zéro les émissions annuelles mondiales nettes de CO2. Cette évaluation indique un budget carbone restant d’environ 420 Gt de CO2 pour une probabilité de 66 % de parvenir à limiter le réchauffement à 1,5 oC, et d’environ 580 Gt de CO2 pour une probabilité de 50 % (degré de confiance moyen). Par ailleurs, respecter les limites d’un budget carbone restant de 580 Gt de CO2 implique que les émissions de CO2 atteignent la neutralité carbone dans trente ans environ, ramenés à vingt ans pour un budget carbone restant de 420 Gt de CO2 (degré de confiance élevé). En outre, les émissions de gaz autres que le CO2 contribuent à un réchauffement d’intensité maximale et ont une incidence sur le budget carbone restant[79].
110. Dans ses rapports d’évaluation (« RE ») ultérieurs, le GIEC est parvenu à des conclusions similaires, confirmant et actualisant les constats qu’il avait formulés dans son rapport spécial de 2018. Ainsi, le RE6 intitulé « Changement climatique 2021 : Les bases scientifiques physiques » (précité) confirme sans équivoque qu’un changement climatique anthropique a entraîné divers effets néfastes pour l’espèce humaine et la nature et engendré le risque que d’autres effets semblables ne se produisent à l’avenir, eu égard notamment au réchauffement planétaire. Le rapport expose que la température à la surface du globe continuera à augmenter au moins jusqu’au milieu de ce siècle, dans tous les scénarios d’émissions considérés, et qu’un réchauffement planétaire de 1,5 oC et 2 oC sera dépassé au cours du XXIe siècle, sauf si des réductions importantes des émissions de CO2 et d’autres GES ont lieu au cours des prochaines décennies. Il indique par ailleurs que, avec la poursuite du réchauffement planétaire, les changements de facteurs climatiques générateurs d’impacts seraient plus généralisés pour 2 oC que pour 1,5 oC de réchauffement planétaire et encore plus généralisés et/ou prononcés pour des niveaux de réchauffement planétaire plus élevés[80]. Le rapport réaffirme également la conclusion précédemment livrée par le GIEC (degré de confiance élevé) selon laquelle il existe une relation quasi linéaire entre les émissions anthropiques cumulées de CO2 et le réchauffement planétaire qu’elles provoquent. Il explique ainsi que limiter le réchauffement planétaire anthropique à un niveau donné nécessite de limiter les émissions cumulées de CO2, en atteignant au minimum des émissions nettes de CO2 égales à zéro, tout en réduisant fortement les émissions des autres GES. En outre, le rapport nuance l’estimation pertinente des budgets carbone restants à partir du début de 2020. Il explique que, pour une probabilité de 67 % de respecter la limite de 1,5 oC, le budget carbone global restant est de 400 Gt de CO2, et que pour une probabilité de 83 %, il est de 300 Gt de CO2.[81]
111. Le RE6 « Changement climatique 2022 : atténuation du changement climatique » (précité) constate que les émissions anthropiques totales nettes de GES ont continué d’augmenter pendant la période 2010‑2019. Dans ce rapport, le GIEC précise qu’au cours de cette période les émissions annuelles moyennes de GES ont été supérieures à celles de toutes les décennies précédentes (degré de confiance élevé). Il indique que les émissions anthropiques nettes de GES ont augmenté dans tous les grands secteurs au niveau mondial[82]. Le rapport souligne en outre qu’un développement constant des politiques et lois d’atténuation a permis d’éviter des émissions qui autrement auraient eu lieu. Il expose que les émissions mondiales de GES en 2030, associées à la mise en œuvre des CDN annoncées avant la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques (COP26), rendent probable un réchauffement supérieur à +1,5 oC au cours du XXIe siècle. Il explique que contenir le réchauffement en dessous de 2 oC reposerait alors sans doute sur une accélération rapide des mesures d’atténuation après 2030. Selon le rapport, les politiques mises en œuvre avant la fin de 2020 devaient se traduire par des émissions mondiales de GES supérieures à celles qu’impliquent les CDN (degré de confiance élevé). En d’autres termes, selon les conclusions du GIEC, le monde se trouve actuellement sur une trajectoire qui risque d’avoir des conséquences néfastes très importantes pour la vie et le bien‑être de l’espèce humaine.
112. Selon le même rapport du GIEC, les émissions mondiales de GES devraient atteindre un pic entre 2020 et au plus tard avant 2025 dans les trajectoires modélisées à l’échelle mondiale qui limitent le réchauffement à 1,5 oC sans dépassement ou avec un dépassement limité, et dans celles qui limitent le réchauffement à 2 oC, et supposent une action immédiate (dans les deux types de trajectoires modélisées, des réductions rapides et importantes des émissions de GES se poursuivent jusqu’à 2030, 2040 et 2050). Le rapport prévoit cependant qu’à défaut de politiques plus fortes que celles déjà mises en œuvre fin 2020, les émissions de GES augmenteront après 2025, conduisant à un réchauffement planétaire médian de 3,2 oC (2,2 à 3,5 oC) d’ici 2100 (degré de confiance moyen)[83].
113. En outre, le rapport souligne que les émissions mondiales nettes de CO2 seraient ramenées à zéro au début des années 2050 dans les trajectoires modélisées limitant le réchauffement à 1,5 oC sans dépassement ou avec un dépassement limité, et vers le début des années 2070 dans les trajectoires modélisées limitant le réchauffement à 2 oC. Il indique que ces scénarios comprennent aussi de fortes réductions des autres émissions de GES. Il ajoute que ramener à zéro les émissions mondiales nettes de GES et les maintenir à ce niveau entraînerait une baisse progressive du réchauffement (degré de confiance élevé).[84]
114. Dans son récent « Rapport de synthèse : changement climatique 2023 » (RE6), le GIEC note que les activités humaines, principalement par le biais des émissions de GES (qui continuent d’augmenter, avec des contributions historiques et actuelles inégales résultant d’une utilisation non durable de l’énergie, de l’utilisation et du changement d’affectation des terres, des modes de vie et des modèles de consommation et de production dans les régions, entre les pays et au sein des pays, et entre les individus), ont de toute évidence causé un réchauffement planétaire, avec une augmentation de la température à la surface du globe de 1,1 oC entre la période 1850‑1900 et la période 2011‑2020. Selon le rapport, le changement climatique d’origine anthropique a déjà un impact sur de nombreux phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes dans toutes les régions du globe, provoquant des effets négatifs généralisés et des pertes et préjudices connexes pour la nature et les populations (degré de confiance élevé)[85].
115. Le GIEC ajoute que les politiques et lois relatives à l’atténuation n’ont pas cessé de se développer et ont déjà été déployées avec succès dans certains pays, se traduisant par des émissions évitées et, dans certains cas, réduites ou éliminées (degré de confiance élevé). Il considère qu’au vu des émissions mondiales de GES en 2030 qui devraient résulter des CDN annoncées jusqu’en octobre 2021, il est probable que le réchauffement dépassera 1,5 oC au cours du XXIe siècle et qu’il sera plus difficile de le limiter à moins de 2 oC. Il explique qu’il existe un écart entre les émissions prévues par les politiques mises en œuvre et celles qu’impliquent les CDN, et que les flux financiers ne sont pas suffisants pour atteindre les objectifs climatiques dans tous les secteurs et toutes les régions (degré de confiance élevé). Il prévient que la poursuite des émissions de GES entraînera une augmentation du réchauffement planétaire, qui atteindra 1,5 oC à court terme (2021‑2040) dans le meilleur scénario envisagé, et que dans le même temps, chaque aggravation du réchauffement intensifiera des risques multiples et simultanés. Il ajoute que des réductions fortes, rapides et soutenues des émissions de GES conduiraient en revanche à un ralentissement perceptible du réchauffement planétaire en l’espace d’environ deux décennies, ainsi qu’à des changements perceptibles dans la composition de l’atmosphère en l’espace de quelques années (degré de confiance élevé). Il estime que certains changements futurs sont inévitables et/ou potentiellement irréversibles, mais qu’ils peuvent être limités par une réduction forte, rapide et soutenue des émissions mondiales de GES. Il expose que la probabilité de changements abrupts et/ou irréversibles augmente avec l’élévation des niveaux de réchauffement planétaire. De même, il indique que les chances que surviennent des résultats à faible probabilité associés à des incidences négatives potentiellement considérables augmente avec l’élévation des niveaux de réchauffement planétaire (degré de confiance élevé). Il observe que les options d’adaptation qui sont réalisables et efficaces aujourd’hui deviendront limitées et moins efficaces avec l’augmentation du réchauffement planétaire. Il prévoit que les pertes et les préjudices augmenteront aussi, et que davantage de systèmes humains et naturels atteindront leurs limites d’adaptation (degré de confiance élevé).[86]
116. Dans le même rapport, le GIEC insiste sur l’importance des budgets carbone et des politiques visant des émissions nettes nulles. Il note que la limitation du réchauffement planétaire anthropique nécessite des émissions nettes de CO2 nulles. Il expose que la capacité à limiter le réchauffement à 1,5 oC ou 2 oC dépendra en grande partie des émissions de carbone cumulées jusqu’au moment où les émissions nettes de CO2 seront nulles et du niveau de réduction des émissions de GES au cours de cette décennie. Il ajoute qu’en l’absence de réduction supplémentaire, les projections pour les émissions de CO2 dues aux infrastructures existantes liées aux combustibles fossiles dépasseront le budget carbone restant pour 1,5 oC (50 %) (degré de confiance élevée). Concernant les trajectoires d’atténuation, il note que toutes les trajectoires modélisées au niveau mondial qui limitent le réchauffement à 1,5oC (> 50 %) sans dépassement ou avec un dépassement limité, et celles qui limitent le réchauffement à 2 oC (> 67 %), prévoient des réductions rapides et fortes et, dans la plupart des cas, immédiates des émissions de GES dans tous les secteurs au cours de la présente décennie. Il estime que les émissions mondiales nettes de CO2 seront ramenées à zéro, pour ces catégories de trajectoires, au début des années 2050 et vers le début des années 2070, respectivement (degré de confiance élevé).[87]
117. Le GIEC précise cependant que dans l’hypothèse où le réchauffement dépasserait un certain niveau, 1,5 oC par exemple, il pourrait être progressivement réduit à nouveau si l’on parvenait à atteindre et maintenir des émissions nettes de CO2 négatives à l’échelle mondiale, ce qui, par rapport aux trajectoires sans dépassement, nécessiterait un déploiement supplémentaire des mesures d’élimination du dioxyde de carbone. Il considère que cela soulèverait toutefois des questions plus importantes sur les plans de la faisabilité et de la durabilité étant donné que le dépassement entraîne des conséquences négatives, dont certaines sont irréversibles, et des risques supplémentaires pour les systèmes humains et naturels, qui augmentent tous avec l’ampleur et la durée du dépassement (degré de confiance élevée)[88].
118. Le GIEC insiste sur l’urgence d’une action climatique intégrée à court terme. Il note que les changements climatiques sont une menace pour le bien-être humain et la santé de la planète et que la fenêtre d’opportunité permettant d’assurer un avenir vivable et durable pour tous se referme rapidement (degré de confiance très élevé). Il ajoute qu’un développement résilient au changement climatique intègre l’adaptation et l’atténuation afin de faire progresser le développement durable pour tous, et qu’il est rendu possible par une coopération internationale accrue, y compris un meilleur accès à des ressources financières adéquates ainsi qu’une gouvernance inclusive et des politiques coordonnées (degré de confiance élevé). Il affirme que les choix et les actions mis en œuvre au cours de cette décennie auront des répercussions sur le présent et pendant des milliers d’années (degré de confiance élevé).[89]
119. Le GIEC considère qu’une atténuation profonde, rapide et soutenue et une mise en œuvre accélérée des mesures d’adaptation au cours de cette décennie permettraient de réduire les pertes et préjudices que l’homme et les écosystèmes devraient subir (degré de confiance très élevé). Il estime qu’à l’inverse, le report des mesures d’atténuation et d’adaptation aurait pour effet de figer les infrastructures à fortes émissions, d’augmenter le risque des actifs échoués et celui de l’escalade des coûts, de réduire la faisabilité et d’accroître les pertes et préjudices (degré de confiance élevé)[90].
120. Le GIEC note qu’une action climatique efficace est rendue possible par un engagement politique, une gouvernance à plusieurs niveaux bien harmonisée, des cadres institutionnels, des lois, des politiques et des stratégies, ainsi qu’un meilleur accès au financement et à la technologie. Il explique que des objectifs clairs, une coordination entre plusieurs domaines politiques et des processus de gouvernance inclusifs facilitent une action climatique efficace. Il ajoute que les instruments réglementaires et économiques peuvent favoriser de fortes réductions des émissions et la résilience climatique s’ils sont transposés et appliqués à grande échelle (degré de confiance élevé).[91]
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE
La Constitution
121. Les dispositions pertinentes de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, adoptée le 18 avril 1999 (Cst., RS 101), sont ainsi libellées :
Article 10 Droit à la vie et liberté personnelle
« 1. Tout être humain a droit à la vie. La peine de mort est interdite.
2. Tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l’intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement.
(...) »
Article 13 Protection de la sphère privée
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu’elle établit par la poste et les télécommunications.
(...) »
Article 29 Garanties générales de procédure
« 1. Toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable.
2. Les parties ont le droit d’être entendues.
(...) »
Article 29a Garantie de l’accès au juge
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire. La Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l’accès au juge dans des cas exceptionnels. »
Article 73 Développement durable
« La Confédération et les cantons œuvrent à l’établissement d’un équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l’être humain. »
Article 74 Protection de l’environnement
« 1. La Confédération légifère sur la protection de l’être humain et de son environnement naturel contre les atteintes nuisibles ou incommodantes.
2. Elle veille à prévenir ces atteintes. Les frais de prévention et de réparation sont à la charge de ceux qui les causent.
3. L’exécution des dispositions fédérales incombe aux cantons dans la mesure où elle n’est pas réservée à la Confédération par la loi. »
Article 189 Compétences du Tribunal fédéral
« (...)
4. Les actes de l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral ne peuvent pas être portés devant le Tribunal fédéral. Les exceptions sont déterminées par la loi. »
La loi fédérale sur la protection de l’environnement
122. Les dispositions pertinentes de la loi fédérale du 7 octobre 1983 sur la protection de l’environnement (« la LPE », RS 814.01) sont ainsi libellées :
Article 1 But
« 1) La [loi sur la protection de l’environnement] a pour but de protéger les hommes, les animaux et les plantes, leurs biocénoses et leurs biotopes contre les atteintes nuisibles ou incommodantes, et de conserver durablement les ressources naturelles, en particulier la diversité biologique et la fertilité du sol.
2) Les atteintes qui pourraient devenir nuisibles ou incommodantes seront réduites à titre préventif et assez tôt. »
Article 3 Réserve d’autres lois
« 1) Les dispositions plus sévères d’autres lois fédérales sont réservées.
(...) »
Article 4 Prescriptions d’exécution fondées sur d’autres lois fédérales
« 1) Les prescriptions relatives aux atteintes à l’environnement par les pollutions atmosphériques, le bruit, les vibrations et les rayons, qui se fondent sur d’autres lois fédérales doivent être conformes au principe de la limitation des émissions (art. 11), aux valeurs limites d’immissions (art. 13 à 15), aux valeurs d’alarme (art. 19) et aux valeurs de planification (art. 23 à 25).
(...) »
Article 11 Principe
« 1) Les pollutions atmosphériques, le bruit, les vibrations et les rayons sont limités par des mesures prises à la source (limitation des émissions).
2) Indépendamment des nuisances existantes, il importe, à titre préventif, de limiter les émissions dans la mesure que permettent l’état de la technique et les conditions d’exploitation et pour autant que cela soit économiquement supportable.
3) Les émissions seront limitées plus sévèrement s’il appert ou s’il y a lieu de présumer que les atteintes, eu égard à la charge actuelle de l’environnement, seront nuisibles ou incommodantes. »
Article 12 Limitations d’émissions
« 1) Les émissions sont limitées par l’application :
a) des valeurs limites d’émissions ;
b) des prescriptions en matière de construction ou d’équipement ;
c) des prescriptions en matière de trafic ou d’exploitation ;
d) des prescriptions sur l’isolation thermique des immeubles ;
e) des prescriptions sur les combustibles et carburants.
2) Les limitations figurent dans des ordonnances ou, pour les cas que celles-ci n’ont pas visés, dans des décisions fondées directement sur la présente loi. »
Article 13 Valeurs limites d’immissions
« 1) Le Conseil fédéral édicte par voie d’ordonnance des valeurs limites d’immissions applicables à l’évaluation des atteintes nuisibles ou incommodantes.
2) Ce faisant, il tient compte également de l’effet des immissions sur des catégories de personnes particulièrement sensibles, telles que les enfants, les malades, les personnes âgées et les femmes enceintes. »
Article 14 Valeurs limites d’immissions des pollutions atmosphériques
« Les valeurs limites d’immissions des pollutions atmosphériques sont fixées de manière que, selon l’état de la science et l’expérience, les immissions inférieures à ces valeurs :
a) ne menacent pas les hommes, les animaux et les plantes, leurs biocénoses et leurs biotopes ;
b) ne gênent pas de manière sensible la population dans son bien-être ;
c) n’endommagent pas les immeubles ;
d) ne portent pas atteinte à la fertilité du sol, à la végétation ou à la salubrité des eaux. »
La loi sur le CO2
123. Les dispositions pertinentes de la loi fédérale du 23 décembre 2011 sur la réduction des émissions de CO2 (« la loi sur le CO2 », RS 641.71) sont ainsi libellées :
Article 1 But
« 1) La présente loi vise à réduire les émissions de [GES], en particulier les émissions de CO2 dues à l’utilisation énergétique des agents fossiles (combustibles et carburants) ; l’objectif est de contribuer à ce que la hausse de la température mondiale soit inférieure à 2 oC.
(...) »
Article 3 Objectif de réduction des [GES]
« 1) D’ici à 2020, les émissions de [GES] réalisées en Suisse doivent être globalement réduites de 20 % par rapport à 1990. Le Conseil fédéral peut fixer des objectifs sectoriels intermédiaires.
1bis) Les émissions de [GES] doivent être réduites jusqu’en 2024 chaque année de 1,5 % supplémentaire par rapport à 1990. Le Conseil fédéral peut fixer des objectifs sectoriels intermédiaires.
1ter) La réduction des émissions de [GES] selon l’al. 1bis doit être réalisée à 75 % au moins par des mesures prises en Suisse.
(...)
3) La quantité totale des émissions de [GES] est calculée sur la base des rejets de ces gaz en Suisse. Les émissions issues des carburants d’aviation utilisés pour les vols internationaux ne sont pas prises en compte.
(...)
4) Le Conseil fédéral peut, d’entente avec les milieux concernés, fixer des objectifs particuliers pour certains secteurs économiques.
5) Il soumet en temps voulu à l’Assemblée fédérale des propositions pour les objectifs postérieurs à 2020. Il consulte au préalable les milieux concernés. »
124. Le Conseil fédéral a fixé des objectifs intermédiaires pour différents secteurs (article 3 § 1 de l’ordonnance sur la réduction des émissions de CO2 [« ordonnance sur le CO2 », RS 641.711], combiné avec l’article 3 § 1, alinéa 2, de la loi sur le CO2). Lorsqu’un objectif sectoriel intermédiaire n’est pas atteint, le DETEC, après avoir consulté les cantons et les milieux concernés, demande au Conseil fédéral de prendre des mesures supplémentaires (article 3 § 2 de l’ordonnance sur le CO2) ; ou bien, dans le secteur des combustibles, la taxe sur le CO2 est automatiquement augmentée (article 94 § 1 de l’ordonnance sur le CO2 combiné avec l’article 29 de la loi sur le CO2). La loi sur le CO2 prévoit diverses mesures pour atteindre l’objectif de réduction des émissions. Il s’agit tout d’abord de mesures techniques de réduction des émissions de CO2 dans le secteur du bâtiment (adoption par les cantons de normes de construction applicables aux nouveaux et aux anciens bâtiments, assortie d’une obligation de rendre compte à l’OFEV – article 9 de la loi sur le CO2 combiné avec l’article 16 de l’ordonnance sur le CO2) et dans le secteur des transports (valeurs cibles globales pour les émissions de CO2 de toutes les voitures de tourisme neuves mises en circulation en Suisse ainsi que, depuis le 1er janvier 2018, pour les voitures de livraison et les tracteurs à sellette légers mis en circulation pour la première fois, combinées avec des valeurs cibles spécifiques et des pénalités pécuniaires – articles 10 et suivants de la loi sur le CO2).
125. Dans le secteur des transports, une partie des émissions de CO2 résultant de l’utilisation énergétique des carburants doit être compensée, par exemple au moyen de projets de réduction des émissions. Le Conseil fédéral détermine le taux de compensation en fonction, notamment, de la réalisation de l’objectif de réduction visé à l’article 3 de la loi sur le CO2 (article 26 §§ 1 et 2 de la loi sur le CO2 combiné avec l’article 89 § 1 de l’ordonnance sur le CO2).
126. Le gouvernement fédéral prélève la taxe CO2 susmentionnée sur la production, l’extraction et l’importation des combustibles (article 29 de la loi sur le CO2). L’application de la loi sur le CO2 et l’adoption des dispositions d’exécution relèvent du Conseil fédéral (article 39 § 1 de la loi sur le CO2). Celui-ci évalue périodiquement l’efficacité des mesures prévues par la loi et la nécessité de mesures supplémentaires (article 40 § 1 de la loi sur le CO2). L’exécution de l’ordonnance sur le CO2 relève de l’Office fédéral de l’environnement (article 130 § 1 de l’ordonnance sur le CO2).
La loi sur le climat
127. Les dispositions pertinentes de la loi fédérale du 30 septembre 2022 sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique (« la loi sur le climat », FF 2022 2403) sont ainsi libellées :
Article 1 – But
« La présente loi vise à fixer les objectifs suivants, conformément à l’accord du 12 décembre 2015 sur le climat :
a) réduction des émissions de [GES] et utilisation de technologies d’émission négative ;
b) adaptation et protection face aux effets des changements climatiques ;
c) orientation des flux financiers de manière à les rendre compatibles avec un développement à faible émission capable de résister aux changements climatiques. »
Article 3 – Objectifs en matière de réduction des émissions et de technologies d’émission négative
« 1) La Confédération veille à ce que l’effet des émissions de [GES] d’origine humaine générées en Suisse soit ramené à zéro d’ici à 2050 (objectif de zéro net) grâce aux mesures suivantes :
a) réduire le plus possible les émissions de [GES], et
b) compenser l’effet des émissions de [GES] restantes en recourant à des technologies d’émission négative en Suisse et à l’étranger.
2) Après 2050, la quantité de CO2 extraite et stockée en recourant à des technologies d’émission négative doit être supérieure aux émissions de [GES] restantes.
3) La Confédération veille à ce que les émissions de [GES] soient réduites par rapport à 1990 ; les objectifs intermédiaires sont les suivants :
a) entre 2031 et 2040 : d’au moins 64 % en moyenne ;
b) jusqu’en 2040 : d’au moins 75 % ;
c) entre 2041 et 2050 : d’au moins 89 % en moyenne.
4) Les objectifs de réduction doivent être réalisables sur le plan de la technique et économiquement supportables. Dans la mesure du possible, ils doivent être atteints grâce à des réductions d’émissions réalisées en Suisse.
5) Dans le cadre de leurs compétences, la Confédération et les cantons veillent à ce que, au plus tard d’ici à 2050, des puits de carbone soient disponibles en Suisse et à l’étranger en quantité suffisante pour atteindre l’objectif de zéro net. Le Conseil fédéral peut fixer des valeurs indicatives pour le recours à des technologies d’émission négative.
6) Les émissions générées par les carburants dont les pleins sont effectués en Suisse pour les transports aérien et maritime internationaux sont prises en considération en vue d’atteindre les objectifs visés aux al. 1 et 2. »
Article 4 – Valeurs indicatives pour les différents secteurs
« 1) Les objectifs de réduction visés à l’art. 3, al. 1 et 3, doivent être atteints en réduisant au moins les émissions de [GES] en Suisse par rapport à 1990 comme suit :
a) dans le secteur du bâtiment :
1. jusqu’en 2040 : de 82 %,
2. jusqu’en 2050 : de 100 % ;
b) dans le secteur des transports :
1. jusqu’en 2040 : de 57 %,
2. jusqu’en 2050 : de 100 % ;
c) dans le secteur de l’industrie :
1. jusqu’en 2040 : de 50 %,
2. jusqu’en 2050 : de 90 %.
2) Après consultation des milieux concernés, le Conseil fédéral peut, en conformité avec l’al. 1, fixer des valeurs indicatives pour d’autres secteurs ainsi que pour des [GES] et des émissions générées par les agents énergétiques fossiles. Il tient compte des connaissances scientifiques les plus récentes, des nouvelles technologies disponibles et de l’évolution au sein de l’Union européenne. »
Article 11 – Mise en œuvre des objectifs
« 1) Après avoir entendu les milieux concernés et en tenant compte des connaissances scientifiques les plus récentes, le Conseil fédéral soumet suffisamment tôt à l’Assemblée fédérale des propositions de mise en œuvre des objectifs de la présente loi :
a) pour la période allant de 2025 à 2030 ;
b) pour la période allant de 2031 à 2040 ;
c) pour la période allant de 2041 à 2050.
2) Les propositions visées à l’al. 1 doivent être mises en œuvre en premier lieu dans la loi du 23 décembre 2011 sur le CO2.
3) Les propositions du Conseil fédéral visent un renforcement de l’économie et l’acceptabilité sur le plan social.
4) Dans le cadre de leurs compétences, la Confédération et les cantons s’engagent, en Suisse et dans le contexte international, en faveur de la limitation des risques et des effets des changements climatiques, conformément aux objectifs de la présente loi. »
La loi fédérale sur la procédure administrative
128. La disposition pertinente de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative, (« la LPA », RS 172.021), qui détermine la qualité pour demander une décision relative à des actes matériels (c’est‑à‑dire des actes fondés sur le droit public fédéral et touchant à des droits ou des obligations, mais ne résultant pas de décisions formelles), est la suivante :
Article 25a Décision relative à des actes matériels
« 1) Toute personne qui a un intérêt digne de protection peut exiger que l’autorité compétente pour des actes fondés sur le droit public fédéral et touchant à des droits ou des obligations :
a) s’abstienne d’actes illicites, cesse de les accomplir ou les révoque ;
b) élimine les conséquences d’actes illicites ;
c) constate l’illicéité de tels actes.
2) L’autorité statue par décision. »
129. D’autres dispositions pertinentes de la loi sont évoquées dans l’arrêt Athanassoglou et autres c. Suisse ([GC], no 27644/95, § 28, CEDH 2000‑IV).
La jurisprudence interne pertinente
130. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’article 73 de la Constitution ne prévoit pas le recours individuel (ATF [Arrêts du Tribunal fédéral] 132 II 305, point 4.3). À l’inverse, il ne s’agit pas d’une simple déclaration ou d’un outil d’interprétation, « mais d’une instruction contraignante à l’adresse des autorités compétentes » (FOJ, VPB 65.2, A.III). La Constitution conçoit donc la recherche de la durabilité comme une tâche permanente (jamais achevée). Les destinataires sont la Confédération et les cantons, chacun dans le cadre de ses compétences. Les autorités politiques (législateur, parlement et gouvernement) sont les premières visées ; sont concernées ensuite, et seulement subsidiairement, dans la limite de leurs compétences, les autorités chargées de faire appliquer la loi.
131. De même que l’article 73, l’article 74 de la Constitution n’est pas une norme opposable. Cette disposition fournit simplement une orientation pour la législation. Le destinataire en est principalement le législateur. Les autorités chargées de faire appliquer la loi doivent cependant tenir compte des exigences de l’article 74 § 2 de la Constitution dans le cadre et les limites de l’interprétation constitutionnelle (ATF 132 II 305, point 4.3, concernant la notion de précaution). Le « principe de précaution », en tant qu’orientation constitutionnelle, vise à éviter que l’absence de certitude scientifique ne serve de prétexte à l’inaction de l’État (ATF 132 II 305, point 4.3). Le paragraphe 2 laisse au législateur (fédéral) une certaine marge quant à l’appréciation et à l’élaboration des mesures législatives à adopter. En cohérence avec l’article 74 § 2 de la Constitution, l’article 1 § 2 de la loi sur la protection de l’environnement interprète ce mandat constitutionnel comme signifiant que les atteintes qui pourraient devenir nuisibles ou incommodantes doivent être « réduites assez tôt ».
132. En outre, l’article 189 § 4 de la Constitution exclut le contrôle abstrait des normes par voie de recours. Il ne fait toutefois pas obstacle à une action en justice concrète contre une ordonnance. Ne sont exclus ni le contrôle préalable d’une ordonnance dans les circonstances particulières d’une affaire dans laquelle elle a été appliquée (contrôle concret des normes ; ATF 141 V 473, point 8.3, et ATF 141 II 169, point 3.4), ni le contrôle préalable d’un autre acte du Conseil fédéral ou du Parlement (ATF 139 II 499, point 4.1). L’article 189 § 4 de la Constitution ne permet pas non plus que la garantie constitutionnelle de la voie de droit prévue à l’article 29a de la Constitution soit contournée. Le contenu de ce dernier doit être pris en compte dans l’interprétation et la mise en œuvre de l’article 189 de la Constitution ; de même, il doit être tenu compte des exigences du droit international découlant de l’article 6 § 1 ou de l’article 13 de la Convention (message du Conseil fédéral accompagnant la Constitution, p. 531).
LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS
Les Nations unies
Le système de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques
a) La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques
133. Les parties pertinentes de la CCNUCC sont ainsi libellées :
« Conscientes que les changements du climat de la planète et leurs effets néfastes sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière,
Préoccupées par le fait que l’activité humaine a augmenté sensiblement les concentrations de [GES] dans l’atmosphère, que cette augmentation renforce l’effet de serre naturel et qu’il en résultera en moyenne un réchauffement supplémentaire de la surface terrestre et de l’atmosphère, ce dont risquent de souffrir les écosystèmes naturels et l’humanité,
Notant que la majeure partie des [GES] émis dans le monde par le passé et à l’heure actuelle ont leur origine dans les pays développés, que les émissions par habitant dans les pays en développement sont encore relativement faibles et que la part des émissions totales imputable aux pays en développement ira en augmentant pour leur permettre de satisfaire leurs besoins sociaux et leurs besoins de développement,
(...)
Notant que la prévision des changements climatiques recèle un grand nombre d’incertitudes, notamment en ce qui concerne leur déroulement dans le temps, leur ampleur et leurs caractéristiques régionales,
Conscientes que le caractère planétaire des changements climatiques requiert de tous les pays qu’ils coopèrent le plus possible et participent à une action internationale, efficace et appropriée, selon leurs responsabilités communes mais différenciées, leurs capacités respectives et leur situation sociale et économique,
(...)
Rappelant que, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, les États ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources selon leur propre politique d’environnement et de développement, et ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l’environnement dans d’autres États ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale,
(...)
Considérant qu’il appartient aux États d’adopter une législation efficace en matière d’environnement, que les normes, objectifs de gestion et priorités écologiques doivent refléter les conditions d’environnement et de développement dans lesquelles ils s’inscrivent et que les normes appliquées par certains pays risquent d’être inappropriées et par trop coûteuses sur les plans économique et social pour d’autres pays, en particulier les pays en développement,
(...)
Conscientes que les mesures permettant de comprendre les changements climatiques et d’y faire face auront une efficacité pour l’environnement et une efficacité sociale et économique maximales si elles se fondent sur les considérations scientifiques, techniques et économiques appropriées et si elles sont constamment réévaluées à la lumière des nouveaux progrès réalisés dans ces domaines,
Sachant que diverses mesures prises pour faire face aux changements climatiques peuvent trouver en elles-mêmes leur justification économique et peuvent aussi contribuer à résoudre d’autres problèmes d’environnement,
Sachant également que les pays développés doivent agir immédiatement et avec souplesse sur la base de priorités clairement définies, ce qui constituera une première étape vers des stratégies d’ensemble aux niveaux mondial, national et éventuellement régional, ces stratégies de riposte devant tenir compte de tous les [GES] et prendre dûment en considération la part de chacun d’eux dans le renforcement de l’effet de serre,
(...)
Affirmant que les mesures prises pour parer aux changements climatiques doivent être étroitement coordonnées avec le développement social et économique afin d’éviter toute incidence néfaste sur ce dernier, compte pleinement tenu des besoins prioritaires légitimes des pays en développement, à savoir une croissance économique durable et l’éradication de la pauvreté,
(...)
Résolues à préserver le système climatique pour les générations présentes et futures (...) »
Article premier
Définitions
« Aux fins de la présente Convention :
1. On entend par « effets néfastes des changements climatiques » les modifications de l’environnement physique ou des biotes dues à des changements climatiques et qui exercent des effets nocifs significatifs sur la composition, la résistance ou la productivité des écosystèmes naturels et aménagés, sur le fonctionnement des systèmes socio-économiques ou sur la santé et le bien-être de l’homme.
2. On entend par « changements climatiques » des changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables.
(...)
4. On entend par « émissions » la libération de [GES] ou de précurseurs de tels gaz dans l’atmosphère au-dessus d’une zone et au cours d’une période données.
5. On entend par « [GES] » les constituants gazeux de l’atmosphère, tant naturels qu’anthropiques, qui absorbent et réémettent le rayonnement infrarouge.
(...)
9. On entend par « source » tout processus ou activité qui libère dans l’atmosphère un [GES], un aérosol ou un précurseur de [GES]. »
Article 2
Objectif
« L’objectif ultime de la présente Convention et de tous instruments juridiques connexes que la Conférence des Parties pourrait adopter est de stabiliser, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, les concentrations de [GES] dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Il conviendra d’atteindre ce niveau dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent s’adapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d’une manière durable. »
Article 3
Principes
« Dans les mesures qu’elles prendront pour atteindre l’objectif de la Convention et en appliquer les dispositions, les Parties se laisseront guider, entre autres, par ce qui suit :
1. Il incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient, en conséquence, aux pays développés parties d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes.
2. Il convient de tenir pleinement compte des besoins spécifiques et de la situation spéciale des pays en développement parties, notamment de ceux qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques, ainsi que des Parties, notamment des pays en développement parties, auxquelles la Convention imposerait une charge disproportionnée ou anormale.
3. Il incombe aux Parties de prendre des mesures de précaution pour prévoir, prévenir ou atténuer les causes des changements climatiques et en limiter les effets néfastes. Quand il y a risque de perturbations graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour différer l’adoption de telles mesures, étant entendu que les politiques et mesures qu’appellent les changements climatiques requièrent un bon rapport coût-efficacité, de manière à garantir des avantages globaux au coût le plus bas possible (...)
4. Les Parties ont le droit d’œuvrer pour un développement durable et doivent s’y employer (...)
5. Il appartient aux Parties de travailler de concert à un système économique international qui soit porteur et ouvert et qui mène à une croissance économique et à un développement durables de toutes les Parties, en particulier des pays en développement parties (...) »
Article 4
Engagements
« 1. Toutes les Parties, tenant compte de leurs responsabilités communes mais différenciées et de la spécificité de leurs priorités nationales et régionales de développement, de leurs objectifs et de leur situation :
a) Établissent, mettent à jour périodiquement, publient et mettent à la disposition de la Conférence des Parties, (...) des inventaires nationaux des émissions anthropiques (...) ;
b) Établissent, mettent en œuvre, publient et mettent régulièrement à jour des programmes nationaux et, le cas échéant, régionaux contenant des mesures visant à atténuer les changements climatiques en tenant compte des émissions anthropiques par leurs sources et de l’absorption par leurs puits de tous les [GES] non réglementés par le Protocole de Montréal, ainsi que des mesures visant à faciliter l’adaptation voulue aux changements climatiques ;
c) Encouragent et soutiennent par leur coopération la mise au point, l’application et la diffusion – notamment par voie de transfert – de technologies, pratiques (...)
d) Encouragent la gestion rationnelle et encouragent et soutiennent par leur coopération la conservation et, le cas échéant, le renforcement des puits et réservoirs (...)
e) Préparent, en coopération, l’adaptation à l’impact des changements climatiques (...)
f) Tiennent compte, dans la mesure du possible, des considérations liées aux changements climatiques dans leurs politiques et actions sociales, économiques et écologiques et utilisent des méthodes appropriées, par exemple des études d’impact, formulées et définies sur le plan national, pour réduire au minimum les effets − préjudiciables à l’économie, à la santé publique et à la qualité de l’environnement – des projets ou mesures qu’elles entreprennent en vue d’atténuer les changements climatiques ou de s’y adapter ;
g) Encouragent et soutiennent par leur coopération les travaux de recherche scientifique, technologique, technique, socioéconomique et autres (...)
2. Les pays développés parties (...) prennent les engagements spécifiques prévus ci‑après :
a) Chacune de ces Parties adopte des politiques nationales et prend en conséquence les mesures voulues pour atténuer les changements climatiques en limitant ses émissions anthropiques de [GES] et en protégeant et renforçant ses puits et réservoirs de [GES]. Ces politiques et mesures démontreront que les pays développés prennent l’initiative de modifier les tendances à long terme des émissions anthropiques conformément à l’objectif de la Convention, reconnaissant que le retour, d’ici à la fin de la présente décennie, aux niveaux antérieurs d’émissions anthropiques de dioxyde de carbone et d’autres [GES] non réglementés par le Protocole de Montréal contribuerait à une telle modification et, tenant compte des différences entre ces Parties quant à leur point de départ et à leur approche, à leur structure économique et à leur base de ressources, de la nécessité de maintenir une croissance économique forte et durable, des technologies disponibles et des autres circonstances propres à chaque cas, ainsi que de la nécessité pour chacune de ces Parties de contribuer de façon appropriée et équitable à l’action mondiale entreprise pour atteindre cet objectif. Ces Parties peuvent appliquer de telles politiques et mesures en association avec d’autres Parties et aider d’autres Parties à contribuer à l’objectif de la Convention, en particulier à celui du présent alinéa ;
b) Afin de favoriser le progrès dans ce sens, chacune de ces Parties soumettra (...) des informations détaillées sur ses politiques et mesures visées à l’alinéa a, (...) en vue de ramener individuellement ou conjointement à leurs niveaux de 1990 les émissions anthropiques de dioxyde de carbone et d’autres [GES] non réglementés par le Protocole de Montréal (...) »
b) Le Protocole de Kyoto
134. Le Protocole de Kyoto (1997) a permis de donner pour la première fois un contenu concret à la CCNUCC. Ce texte engage les pays industrialisés et les pays en transition économique à limiter et à réduire leurs émissions de GES conformément aux objectifs de chaque pays convenus et au principe des « responsabilités communes mais différenciées et [des] capacités respectives ». La partie pertinente du protocole est ainsi libellée :
Article 3 § 1
« Les Parties visées à l’annexe I font en sorte, individuellement ou conjointement, que leurs émissions anthropiques agrégées, exprimées en équivalent‑dioxyde de carbone, des [GES] indiqués à l’annexe A ne dépassent pas les quantités qui leur sont attribuées, calculées en fonction de leurs engagements chiffrés en matière de limitation et de réduction des émissions inscrits à l’annexe B et conformément aux dispositions du présent article, en vue de réduire le total de leurs émissions de ces gaz d’au moins 5 % par rapport au niveau de 1990 au cours de la période d’engagement allant de 2008 à 2012. »
135. Pour la Suisse, l’annexe B du Protocole de Kyoto a fixé à 92 % l’engagement chiffré de limitation ou de réduction des émissions (en pourcentage des émissions de l’année ou de la période de référence).
c) L’Accord de Paris
136. L’Accord de Paris, qui a été adopté lors de la COP21, la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques tenue à Paris le 12 décembre 2015, est un traité international qui énonce l’objectif global primordial que constitue la réduction des émissions de GES. Les passages pertinents de cet accord se lisent ainsi :
« Soucieuses d’atteindre l’objectif de la Convention, et guidées par ses principes, y compris le principe de l’équité et des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales,
Reconnaissant la nécessité d’une riposte efficace et progressive à la menace pressante des changements climatiques en se fondant sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles,
(...)
Reconnaissant que les Parties peuvent être touchées non seulement par les changements climatiques, mais aussi par les effets des mesures de riposte à ces changements,
(...)
Conscientes que les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière et que, lorsqu’elles prennent des mesures face à ces changements, les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’Homme, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes en situation vulnérable et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations,
(...) »
Article 2
« 1. Le présent Accord, en contribuant à la mise en œuvre de la Convention, notamment de son objectif, vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, notamment en :
a) Contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 oC par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 oC par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques ;
b) Renforçant les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et en promouvant la résilience à ces changements et un développement à faible émission de [GES], d’une manière qui ne menace pas la production alimentaire ;
c) Rendant les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de [GES] et résilient aux changements climatiques.
2. Le présent Accord sera appliqué conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales. »
Article 3
« À titre de contributions déterminées au niveau national à la riposte mondiale aux changements climatiques, il incombe à toutes les Parties d’engager et de communiquer des efforts ambitieux (...) »
Article 4
« 1. En vue d’atteindre l’objectif de température à long terme énoncé à l’article 2, les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de [GES] dans les meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties, et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de [GES] au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté.
2. Chaque Partie établit, communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives qu’elle prévoit de réaliser. Les Parties prennent des mesures internes pour l’atténuation en vue de réaliser les objectifs desdites contributions. »
d) La COP26 et la COP27
137. Le Pacte de Glasgow pour le climat a été adopté lors de la COP26, la Conférence des Parties à la CCNUCC qui s’est tenue à Glasgow du 31 octobre au 13 novembre 2021. Il énonce notamment ceci :
« La Conférence des Parties
(...)
Considérant également que les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière, les Parties devraient, lorsqu’elles prennent des mesures pour faire face à ces changements, respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’homme, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes en situation vulnérable, et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations,
(...)
I Données scientifiques et urgence
1. Estime qu’il importe de disposer des meilleures données scientifiques pour que l’action climatique et l’élaboration des politiques climatiques soient efficaces ;
(...)
3. Se déclare extrêmement préoccupée par le fait que les activités humaines ont, à ce jour, entraîné un réchauffement d’environ 1,1 oC, dont les effets se font déjà sentir dans toutes les régions, et que les budgets carbone permettant d’atteindre l’objectif de température fixé par l’Accord de Paris sont désormais restreints et s’épuisent rapidement ;
4. Rappelle la disposition énoncée au paragraphe 2 de l’article 2 de l’Accord de Paris, selon laquelle ledit Accord sera appliqué conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales ;
5. Souligne qu’il est urgent de renforcer l’ambition et l’action en matière d’atténuation, d’adaptation et de financement en cette décennie cruciale afin de combler le retard pris dans la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris ;
(...)
IV. Atténuation
20. Réaffirme l’objectif de température énoncé dans l’Accord de Paris et consistant à contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 oC par rapport aux niveaux préindustriels et à poursuivre l’action destinée à limiter l’élévation de la température à 1,5 oC par rapport aux niveaux préindustriels ;
21. Estime que les effets des changements climatiques seront bien moindres si la température augmente de 1,5 oC et non de 2 oC et décide de poursuivre l’action destinée à limiter l’élévation de la température à 1,5 oC ;
22. Estime que, pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 oC, il faut réduire rapidement, nettement et durablement les émissions mondiales de [GES], notamment les émissions mondiales de dioxyde de carbone de 45 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2010, l’objectif étant d’enregistrer des émissions nettes nulles vers le milieu du siècle, et réduire les émissions d’autres [GES] de manière notable ;
23. Estime également qu’il faut, partant, accélérer les efforts en cette décennie cruciale, sur la base des meilleures données scientifiques disponibles et de l’équité, compte tenu des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté ;
(...)
26. Souligne que les Parties doivent d’urgence redoubler d’efforts pour réduire collectivement les émissions en accélérant l’action menée et l’application des mesures internes pour l’atténuation visées au paragraphe 2 de l’article 4 de l’Accord de Paris ;
(...) »
138. La COP27, Conférence des Parties à la CCNUCC, s’est tenue à Charm el-Cheikh du 6 au 20 novembre 2022. Dans ses parties pertinentes, le Plan de mise en œuvre de Charm el-Cheikh adopté à cette occasion énonce ce qui suit :
« La Conférence des Parties,
(...)
Considérant que les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière et que, lorsqu’elles prennent des mesures face à ces changements, les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’homme, le droit à un environnement propre, sain et durable, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes en situation vulnérable, et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations,
(...)
57. Encourage les Parties à faire en sorte que davantage de femmes puissent participer pleinement et sur un pied d’égalité à toutes les mesures en faveur du climat et que les questions de genre soient prises en compte dans la mise en œuvre et les moyens de mise en œuvre, notamment en appliquant pleinement le Programme de travail de Lima relatif au genre et le Plan d’action pour l’égalité des sexes y relatif, afin de relever le niveau d’ambition et d’atteindre les objectifs fixés en matière de climat ;
(...)
59. Constate le rôle joué par les enfants et les jeunes, en tant qu’agents de changement, dans les mesures prises pour faire face et répondre aux changements climatiques et encourage les Parties à inclure les enfants et les jeunes dans leurs processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques en matière de climat et de l’action climatique et, le cas échéant, à envisager d’inclure de jeunes représentants et négociateurs dans leurs délégations nationales, en reconnaissant l’importance de l’équité intergénérationnelle et du maintien de la stabilité du système climatique pour les générations futures (...) »
e) La COP28
139. Dans le cadre des préparatifs de la COP28, la Conférence des Parties à la CCNUCC (tenue à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023), les conclusions suivantes ont été formulées dans le rapport de synthèse sur le dialogue technique au titre du premier bilan mondial, effectué en vertu de l’Accord de Paris[92] :
« Conclusion no 1 : depuis son adoption, l’Accord de Paris a impulsé une action climatique quasi universelle en fixant des objectifs et en sensibilisant la communauté internationale à l’urgence de répondre à la crise climatique. Il reste cependant encore beaucoup à faire sur tous les fronts.
Conclusion no 2 : pour renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, les pouvoirs publics doivent appuyer les transformations des systèmes qui prennent en compte la résilience climatique et le développement à faible émission de [GES]. Les entités non parties doivent prendre des mesures crédibles, responsables et transparentes pour intensifier la transformation des systèmes.
Conclusion no 3 : la transformation des systèmes ouvre de nombreuses possibilités, mais les changements rapides peuvent être perturbateurs. En mettant l’accent sur l’inclusion et l’équité, il est possible de relever le niveau d’ambition de l’action climatique et d’accroître l’appui à cette action.
Conclusion no 4 : les émissions mondiales ne suivent pas les trajectoires d’atténuation modélisées au niveau mondial qui sont compatibles avec l’objectif de température de l’Accord de Paris, et les possibilités de relever le niveau d’ambition et de donner effet aux engagements actuels afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5 oC par rapport aux niveaux préindustriels s’amenuisent rapidement.
Conclusion no 5 : il faut intensifier l’action et l’appui ayant trait à l’application des mesures d’atténuation nationales et fixer des objectifs plus ambitieux dans les CDN afin de tirer parti des possibilités existantes et nouvelles dans tous les contextes pour réduire les émissions mondiales de GES de 43 % d’ici à 2030 et de 60 % d’ici à 2035 par rapport aux niveaux de 2019 et atteindre l’objectif d’émissions nettes nulles de CO2 au niveau mondial d’ici à 2050.
Conclusion no 6 : pour parvenir à des émissions nettes nulles de CO2 et de GES, il faut transformer les systèmes dans tous les secteurs et dans tous les contextes, notamment en développant les énergies renouvelables tout en éliminant progressivement tous les combustibles fossiles sans dispositif d’atténuation, en mettant fin au déboisement, en réduisant les émissions autres que le CO2 et en appliquant des mesures axées à la fois sur l’offre et sur la demande.
Conclusion no 7 : les transitions justes peuvent contribuer à l’obtention de résultats d’atténuation meilleurs et plus équitables, grâce à des approches adaptées aux différents contextes.
Conclusion no 8 : la diversification économique est une stratégie essentielle pour faire face aux effets des mesures de riposte, plusieurs options s’offrant dans différents contextes.
Conclusion no 9 : les changements climatiques menaçant tous les pays, toutes les communautés et toutes les personnes dans le monde, il est urgent d’intensifier les activités d’adaptation et de redoubler d’efforts pour prévenir les pertes et les préjudices, les réduire au minimum et y remédier afin de réduire les effets croissants des changements et d’y répondre, en particulier pour ceux qui sont les moins bien préparés à ces changements et les moins à même de se relever après une catastrophe.
Conclusion no 10 : au niveau collectif, les plans et les engagements en matière d’adaptation et d’appui sont de plus en plus ambitieux, mais la plupart des mesures d’adaptation examinées sont fragmentées, progressives, sectorielles et inégalement réparties entre les régions.
Conclusion no 11 : lorsque les mesures d’adaptation sont judicieuses et déterminées par les circonstances, les populations et les priorités locales, la pertinence et l’efficacité de l’action et de l’appui en matière d’adaptation sont renforcées, ce qui peut également favoriser une adaptation porteuse de transformations.
Conclusion no 12 : pour prévenir les pertes et préjudices, les réduire au minimum et y remédier, il est urgent de prendre des mesures dans le cadre des politiques climatiques et des politiques de développement afin de gérer les risques de manière globale et d’aider les communautés touchées.
Conclusion no 13 : il faut rapidement trouver des sources de financement novatrices et plus importantes afin d’intensifier l’appui à l’adaptation et de développer des mécanismes de financement pour prévenir les pertes et préjudices, les réduire au minimum et y remédier. Les flux financiers doivent pouvoir répondre aux besoins urgents et croissants d’un mode de développement résilient aux changements climatiques.
Conclusion no 14 : la mobilisation accrue de fonds pour l’action climatique dans les pays en développement suppose un redéploiement stratégique des financements publics internationaux, qui restent un moteur essentiel de l’action, et la poursuite d’une plus grande efficacité, notamment en ce qui concerne l’accès, l’appropriation et les effets.
Conclusion no 15 : des milliers de milliards de dollars doivent être débloqués et les investissements doivent être réorientés vers l’action climatique à différentes échelles pour que les flux financiers − internationaux et nationaux, publics et privés – soient compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de GES et résilient aux changements climatiques.
Conclusion no 16 : les technologies plus propres disponibles doivent être déployées rapidement, tout en accélérant l’innovation, le développement et le transfert de nouvelles technologies, afin de répondre aux besoins des pays en développement.
Conclusion no 17 : le renforcement des capacités est fondamental pour parvenir à une action climatique durable et de grande envergure, et nécessite une coopération efficace, pilotée par les pays et fondée sur les besoins, afin que les capacités soient renforcées et préservées dans le temps à tous les niveaux. »
140. Les parties pertinentes des « Résultats du premier bilan mondial »[93], présentés lors de la COP28, se lisent ainsi :
« La Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties à l’Accord de Paris,
Rappelant le paragraphe 1 de l’article 2 de l’Accord de Paris, qui dispose que l’Accord, en contribuant à la mise en œuvre de la Convention, notamment de son objectif, vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté,
Rappelant également le paragraphe 2 de l’article 2 de l’Accord de Paris, qui dispose que l’Accord sera appliqué conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales,
(...)
Constatant que les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité toute entière et que, lorsqu’elles prennent des mesures face à ces changements, les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’homme, le droit à un environnement propre, sain et durable, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des populations locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes vulnérables et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations,
(...)
I. Contexte et considérations transversales
1. Se félicite que l’Accord de Paris ait lancé une action climatique quasi universelle en fixant des objectifs et en sensibilisant la communauté internationale à l’urgence d’agir face à la crise climatique ;
2. Souligne qu’en dépit des progrès globaux accomplis concernant l’atténuation, l’adaptation et les moyens de mise en œuvre et d’appui, les Parties prises collectivement ne sont pas en passe de réaliser l’objet de l’Accord de Paris et d’atteindre ses buts à long terme ;
3. Réaffirme l’objectif énoncé dans l’Accord de Paris consistant à contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 oC par rapport aux niveaux préindustriels et à poursuivre l’action destinée à limiter l’élévation de la température à 1,5 oC par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques liés aux changements climatiques et les effets de ceux-ci ;
4. Souligne que les effets des changements climatiques seront bien moindres si la température augmente de 1,5 oC et non de 2 oC et décide de poursuivre l’action destinée à limiter l’élévation de la température à 1,5 oC ;
5. Se déclare vivement préoccupée par le fait que 2023 devrait être l’année la plus chaude jamais enregistrée et que les effets des changements climatiques s’accélèrent rapidement, et souligne la nécessité d’agir d’urgence et de fournir un appui pour que l’objectif de 1,5 oC reste atteignable et pour faire face à la crise climatique au cours de cette décennie cruciale ;
6. S’engage à accélérer les efforts en cette décennie cruciale, sur la base des meilleures données scientifiques disponibles et de l’équité, compte tenu des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté ;
7. Met l’accent sur le paragraphe 2 de l’article 2 de l’Accord de Paris, qui dispose que l’Accord sera appliqué conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales ;
(...)
15. Se dit alarmée et profondément préoccupée par les conclusions suivantes, qui figurent dans le sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat :
a) Les activités humaines ont incontestablement provoqué, principalement par les [GES] qu’elles émettent, un réchauffement de la planète d’environ 1,1 oC ;
b) Les effets des changements climatiques induits par l’homme se font déjà sentir dans toutes les régions du monde, celles contribuant le moins à ces changements étant les plus vulnérables à leurs effets qui, conjointement avec les pertes et les préjudices, s’aggraveront à mesure que la température augmentera ;
c) La plupart des mesures d’adaptation observées sont fragmentaires, progressives, sectorielles et inégalement réparties entre les régions et, malgré les progrès accomplis, des écarts importants en matière d’adaptation subsistent entre les secteurs et les régions et continueront de se creuser aux niveaux actuels d’exécution ;
16. Prend note des conclusions suivantes, qui figurent aussi dans le sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat :
a) Les efforts d’atténuation intégrés dans le contexte plus large du développement peuvent accroître le rythme, l’intensité et l’ampleur des réductions d’émissions, et les stratégies qui orientent le développement vers la durabilité peuvent élargir l’ensemble des options d’atténuation et permettre des synergies avec les objectifs de développement ;
b) Le montant des fonds affectés à l’adaptation et à l’atténuation devrait être décuplé, il y a suffisamment de capitaux dans le monde pour combler le déficit d’investissement mondial mais il existe des obstacles à la réorientation des capitaux vers l’action climatique, les gouvernements, grâce aux financements publics et à des signaux clairs aux investisseurs, sont essentiels pour aplanir ces obstacles, et les investisseurs, les banques centrales et des autorités de régulation financière ont également un rôle à jouer ;
c) Des solutions d’atténuation réalisables, efficaces et peu coûteuses sont déjà disponibles dans tous les secteurs et contribueraient, grâce à la coopération nécessaire en matière de technologies et d’appui, à ce que l’objectif de 1,5 oC reste atteignable au cours de cette décennie critique ;
17. Constate avec inquiétude l’écart entre l’ambition en matière d’atténuation et les mesures réellement prises par les pays développés parties avant 2020 et le fait que selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, il aurait fallu que les pays développés réduisent leurs émissions de 25 à 40 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici à 2020 ;
II. Progrès collectifs dans la réalisation de l’objet et des buts à long terme de l’Accord de Paris (...)
A. Atténuation
(...)
25. Se déclare préoccupée par le fait que le budget carbone permettant d’atteindre l’objectif de température fixé dans l’Accord de Paris est désormais réduit et s’épuise rapidement, et constate que le volume cumulé des émissions nettes passées de dioxyde de carbone représente déjà environ quatre cinquièmes du budget carbone total correspondant à une probabilité de 50 % de parvenir à limiter le réchauffement à 1,5 oC ;
(...)
28. Souligne en outre la nécessité de réduire nettement, rapidement et durablement les émissions de [GES] conformément aux trajectoires conduisant à une augmentation de la température de 1,5 oC, et engage les Parties à contribuer aux efforts mondiaux suivants, selon des modalités déterminées au niveau national, en tenant compte de l’Accord de Paris et de leurs différentes situations, trajectoires et approches nationales :
(...)
d) Opérer une transition juste, ordonnée et équitable vers une sortie des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques, en accélérant l’action pendant cette décennie critique, afin d’atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050, conformément aux données scientifiques (...) »
La Convention d’Aarhus
141. Les parties pertinentes de la Convention d’Aarhus (1998) sont ainsi libellées :
« Les Parties à la présente Convention,
(...)
Reconnaissant qu’une protection adéquate de l’environnement est essentielle au bien‑être de l’homme ainsi qu’à la jouissance des droits fondamentaux, y compris du droit à la vie lui-même,
Reconnaissant également que chacun a le droit de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être et le devoir, tant individuellement qu’en association avec d’autres, de protéger et d’améliorer l’environnement dans l’intérêt des générations présentes et futures,
(...)
Sont convenues de ce qui suit : »
Article 2
Définitions
« (...)
4. Le terme « public » désigne une ou plusieurs personnes physiques ou morales et, conformément à la législation ou à la coutume du pays, les associations, organisations ou groupes constitués par ces personnes.
5. L’expression « public concerné » désigne le public qui est touché ou qui risque d’être touché par les décisions prises en matière d’environnement ou qui a un intérêt à faire valoir à l’égard du processus décisionnel; aux fins de la présente définition, les organisations non gouvernementales qui œuvrent en faveur de la protection de l’environnement et qui remplissent les conditions pouvant être requises en droit interne sont réputées avoir un intérêt. »
Article 9
Accès à la justice
« (...)
2. Chaque Partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que les membres du public concerné
a) ayant un intérêt suffisant pour agir
ou, sinon,
b) faisant valoir une atteinte à un droit, lorsque le code de procédure administrative d’une Partie pose une telle condition, puissent former un recours devant une instance judiciaire et/ou un autre organe indépendant et impartial établi par loi pour contester la légalité, quant au fond et à la procédure, de toute décision, tout acte ou toute omission tombant sous le coup des dispositions de l’article 6 et, si le droit interne le prévoit et sans préjudice du paragraphe 3 ci-après, des autres dispositions pertinentes de la présente Convention.
Ce qui constitue un intérêt suffisant et une atteinte à un droit est déterminé selon les dispositions du droit interne et conformément à l’objectif consistant à accorder au public concerné un large accès à la justice dans le cadre de la présente Convention. À cet effet, l’intérêt qu’a toute organisation non gouvernementale répondant aux conditions visées au paragraphe 5 de l’article 2 est réputé suffisant au sens de l’alinéa a) ci-dessus. Ces organisations sont également réputées avoir des droits auxquels il pourrait être porté atteinte au sens de l’alinéa b) ci-dessus.
(...)
3. En outre, et sans préjudice des procédures de recours visées aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus, chaque Partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement. »
142. Les parties pertinentes du Guide d’application de la Convention d’Aarhus[94] se lisent ainsi (notes de bas de page omises) :
« L’expression « public concerné », certes plus stricte que le terme « public », reste néanmoins très large. Quant au critère du public « qui est touché », il est très lié à la nature de l’activité en question. Certaines des activités relevant de l’article 6 de la Convention sont susceptibles de toucher un grand nombre de personnes. Par exemple, dans le cas des canalisations pour le transport de gaz, de pétrole ou de produits chimiques, le public concerné, dans la pratique, se compte d’ordinaire en milliers de personnes, alors que dans le cas des centrales nucléaires, les autorités compétentes peuvent estimer que le public concerné représente jusqu’à plusieurs centaines de milliers de personnes réparties entre plusieurs pays.
S’agissant du critère relatif au public qui « a un intérêt à faire valoir », la définition semble aller bien au-delà du type de formulation qu’on trouve habituellement dans les textes juridiques ayant trait à « l’intérêt suffisant » (voir le paragraphe suivant). En particulier, il convient d’interpréter cette définition au sens où elle n’englobe pas seulement les membres du public dont les intérêts juridiques ou les droits garantis par le droit risquent d’être lésés par l’activité proposée. Les intérêts potentiellement affectés peuvent aussi inclure les droits sociaux, tels que le droit d’être protégé contre tout préjudice ou le droit à un environnement salubre. Cette définition s’applique aussi, toutefois, à une catégorie du public ayant un intérêt non précisé dans le processus décisionnel.
Il est important de noter que le paragraphe 5 de l’article 2 ne prescrit pas qu’une personne doive avoir un intérêt juridique pour être considérée comme membre du public concerné. Le terme « intérêt » inclut donc aussi bien « l’intérêt de droit » que « l’intérêt de fait » tels que définis par les systèmes juridiques des pays d’Europe continentale comme l’Allemagne, l’Autriche et la Pologne. Conformément au droit national, les personnes n’ayant qu’un simple intérêt de fait ne jouissent pas, normalement, de toute la panoplie des droits procéduraux accordés aux personnes ayant un intérêt juridique. En revanche, le même statut est reconnu à chacun par la Convention (du moins dans le cas de l’article 6), que l’intérêt de la personne soit de droit ou de fait.
Le paragraphe 5 de l’article 2 fait expressément entrer dans le cadre de la catégorie du « public concerné » les ONG dont les objectifs statutaires comprennent la promotion de la protection de l’environnement, pour autant qu’elles « remplissent les conditions pouvant être requises en droit interne ». Quant à savoir si une ONG œuvre à la promotion de la protection de l’environnement, divers moyens permettent de le déterminer, notamment en s’appuyant sur sa charte, ses statuts ou ses activités. La « protection de l’environnement » peut comporter toute fin conforme à la définition implicite de l’environnement figurant au paragraphe 3 de l’article 2. L’exigence d’« œuvrer en faveur de la protection de l’environnement » serait donc satisfaite dans le cas d’ONG s’attachant à tel ou tel aspect de la définition implicite de l’environnement du paragraphe 3 de l’article 2. Par exemple, si une ONG s’emploie à promouvoir les intérêts des personnes souffrant de problèmes de santé liés à des maladies transmises par l’eau, on considérera que cette ONG satisfera à la définition du paragraphe 5 de l’article 2.
Le fait de renvoyer aux organisations non gouvernementales « qui remplissent les conditions pouvant être requises en droit interne » ne doit pas être interprété au sens où la définition de ces conditions serait laissée à l’entière discrétion des Parties. Leur faculté d’appréciation doit être envisagée dans le cadre du rôle important que la Convention assigne aux ONG s’agissant de sa mise en œuvre et de l’exigence clairement formulée au paragraphe 4 de l’article 3, faisant obligation à chaque Partie d’accorder « la reconnaissance et l’appui voulus » aux ONG. Dans ses conclusions relatives à la communication ACCC/C/2004/05 (Turkménistan), le Comité d’examen du respect des dispositions a estimé que « les organisations non gouvernementales, grâce à leurs connaissances spécialisées et à leurs ressources, sont généralement mieux en mesure de faire valoir véritablement leurs droits au titre de la Convention que chacun des membres du public ».
Les Parties peuvent certes imposer aux ONG certaines exigences en vertu de la législation nationale mais, étant donné le rôle important joué par les ONG dans la mise en œuvre de la Convention, les Parties doivent veiller à ce que ces conditions ne soient pas excessivement pesantes ou inspirées par des mobiles politiques, et que le cadre juridique de chaque Partie encourage la constitution d’ONG et leur participation constructive aux affaires publiques. De plus, il convient que toutes les exigences soient conformes aux principes de la Convention, tels que la non-discrimination et l’élimination ou la réduction des obstacles techniques et financiers. Dans ces limites, les Parties peuvent imposer certaines exigences s’appuyant sur des critères objectifs qui ne seront pas indûment restrictifs.
Par exemple, le fait d’exiger éventuellement qu’une ONG de défense de l’environnement ait exercé ses activités dans le pays considéré pendant un certain nombre d’années peut ne pas être conforme avec les dispositions de la Convention d’Aarhus dans a mesure où cette condition peut contrevenir à la clause de non‑discrimination visée au paragraphe 9 de l’article 3. De plus, le fait d’exiger d’avoir « exercé des activités » peut être considéré en soi comme indûment restrictif pour des pays où la constitution d’ONG n’est autorisée que depuis peu de temps et où ces organisations sont donc encore relativement peu développées.
Il est également parfois exigé que les ONG comptent un certain nombre d’adhérents actifs. Telle était l’une des questions examinées par la CJE dans l’affaire C-263/08 (Suède) (...) Une telle exigence relative au nombre d’adhérents sera aussi considérée comme indûment restrictive au sens de la Convention si le seuil est fixé à un niveau tel que seule une poignée d’ONG pourra répondre à cette condition dans un pays donné. En 2009, la Slovénie a modifié sa loi sur la protection de l’environnement pour supprimer l’obligation faite aux ONG œuvrant en faveur de la protection de l’environnement d’être assujetties à un audit financier de leurs activités afin de pouvoir rentrer dans la définition du « public concerné » visée au paragraphe 5 de l’article 2.
Si une ONG répond aux conditions visées au paragraphe 5 de l’article 2, elle est considérée comme un membre du « public concerné » au sens de l’article 6 et du paragraphe 2 de l’article 9. En revanche, pour les ONG qui ne remplissent pas ces conditions d’emblée ainsi que pour les particuliers, la Convention n’établit pas de manière claire si le simple fait de prendre part à une procédure de participation du public en vertu du paragraphe 7 de l’article 6 confère à la personne la qualité de membre du « public concerné ». Cependant, étant donné que le paragraphe 2 de l’article 9 définit le mécanisme de mise en application des droits conférés par l’article 6, on peut faire valoir que toute personne participant en tant que membre du public à une audition ou à toute autre procédure de participation du public au sens du paragraphe 7 de l’article 6 doit avoir la possibilité de faire usage des dispositions concernant l’accès à la justice énoncées au paragraphe 2 de l’article 9. En pareil cas, cette personne relèvera de la définition du « public concerné » (...)
Rien dans la Convention n’empêche les Parties d’attribuer la qualité pour agir à quiconque, sans distinction aucune. Toutefois, la Convention exige – au minimum – que les membres du « public concerné » ayant un intérêt suffisant ou faisant valoir une atteinte à un droit, aient qualité pour former un recours afin de contester la légalité, quant au fond et à la procédure, de toute décision, tout acte ou toute omission tombant sous le coup des dispositions de l’article 6 (...)
S’agissant des ONG, la Convention dispose clairement que les ONG qui répondent aux conditions visées au paragraphe 5 de l’article 2 sont réputées avoir un « intérêt suffisant » ou des droits auxquels il pourrait être porté atteinte (...)
La bonne mise en œuvre de la Convention et le respect de ses obligations exigent que l’objectif d’un large accès à la justice soit maintenu au moment de déterminer quelles sont les personnes – tant physiques que morales – ayant qualité pour agir en justice. Plusieurs Parties à la Convention appliquent telle ou telle condition en vue de déterminer les critères de la qualité pour agir, qui concernent souvent un intérêt direct, suffisant, personnel ou juridique, ou un droit individuel légalement protégé. Si certains de ces critères, par exemple le fait de limiter la qualité pour agir en justice aux seuls membres du public ayant des droits de propriété, peuvent se révéler contraires à la Convention, l’admissibilité d’autres critères dépendra de la manière dont ils sont interprétés par l’organe de recours dans la pratique. En d’autres termes, mêmes des critères comme le fait d’avoir un intérêt suffisant ou de faire valoir une atteinte à un droit peuvent s’avérer incompatibles avec la Convention s’ils sont interprétés de manière trop étroite dans le cadre de la jurisprudence des organes de recours.
Comme il est indiqué dans les conclusions du Comité d’examen du respect des dispositions relatives à la communication ACCC/C/2005/11 (Belgique), afin de répondre à l’objectif de la Convention consistant à accorder au public concerné un large accès à la justice, il faudra peut-être que la manière de concevoir la question évolue considérablement dans les pays où les ONG n’ont précédemment pas eu la qualité pour agir dans certaines affaires car on y avait estimé qu’elles n’avaient pas un intérêt suffisant pour agir ou qu’elles n’avaient pas à faire valoir une atteinte à un droit. Dans la communication ACCC/C/2005/11, les autorités judiciaires belges avaient appliqué le critère général imposé par la loi belge aux ONG pour avoir la qualité pour agir en justice, à savoir que les ONG demanderesses devaient justifier d’un intérêt direct, personnel et légitime, ainsi que de la « qualité requise ». Le Comité d’examen du respect des dispositions a conclu que même si la formulation des textes de lois belges pertinents n’impliquait pas un non-respect des dispositions en tant que tel, la jurisprudence des tribunaux belges, telle que développée avant l’entrée en vigueur de la Convention pour la Belgique, impliquait que l’accès à la justice était trop restrictif pour les associations de défense de l’environnement et qu’elle ne respectait donc pas les dispositions de la Convention (...)
Le critère suédois précédemment retenu pour les ONG était un exemple de critère national en matière de qualité pour agir en justice qui ne serait plus du tout en conformité avec la Convention. Selon la législation suédoise antérieure, pour pouvoir faire appel d’une décision relative à une autorisation de développement, les associations de protection de l’environnement devaient avoir exercé leurs activités depuis plus de trois ans et compter au moins 2 000 adhérents. La CJUE a estimé qu’il s’agissait d’une violation de la législation de l’Union européenne visant à appliquer la Convention d’Aarhus (...) »
143. La partie pertinente des Recommandations de Maastricht de 2015[95] sur l’application de la Convention d’Aarhus précise ce qui suit :
« c. [L]e terme « public concerné » inclut, notamment, les organisations non gouvernementales (ONG) qui œuvrent en faveur de la protection de l’environnement et qui remplissent les conditions pouvant être requises en droit interne. Afin de garantir un cadre aussi transparent, clair et cohérent que possible pour la participation du public, les éléments suivants peuvent être clairement précisés en droit interne :
i. ce que constitue avoir « un intérêt à faire valoir » à l’égard du processus décisionnel en matière d’environnement ;
ii. les conditions, le cas échéant, que les ONG œuvrant en faveur de la protection de l’environnement doivent remplir pour être réputées avoir un intérêt. Ce qui constitue un intérêt suffisant devrait être déterminé conformément à l’objectif consistant à accorder au public concerné un large accès à la justice. »
L’Assemblée générale des Nations unies
a) La Résolution sur le droit à un environnement propre, sain et durable en tant que droit humain
144. Le 28 juillet 2022, après y avoir été invitée par la Résolution 48/13 du Conseil des droits de l’homme en date du 8 octobre 2021, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté sa Résolution 76/300 sur le droit à un environnement propre, sain et durable.
145. Cette résolution a été adoptée par 161 voix pour (sur 169 États membres représentés), avec 8 abstentions[96] et aucune voix contre[97] ; 45 des 46 États membres du Conseil de l’Europe ont voté pour la résolution.[98]
146. Dans le préambule de cette résolution, l’Assemblée générale relève ceci :
« [L]a grande majorité des États ont reconnu sous une forme ou une autre le droit à un environnement propre, sain et durable dans des accords internationaux ou dans leur constitution, leur législation, leurs lois ou leurs politiques (...) »
147. Les quatre paragraphes qui constituent le dispositif de cette résolution sont ainsi libellés :
« 1. Considère que le droit à un environnement propre, sain et durable fait partie des droits humains ;
2. Constate que le droit à un environnement propre, sain et durable est lié à d’autres droits et au droit international existant ;
3. Affirme que la promotion du droit à un environnement propre, sain et durable passe par l’application pleine et entière des accords multilatéraux relatifs à l’environnement, conformément aux principes du droit international de l’environnement ;
4. Engage les États, les organisations internationales, les entreprises et les autres acteurs concernés à adopter des politiques, à améliorer la coopération internationale, à renforcer les capacités et à continuer de mettre en commun les bonnes pratiques afin d’intensifier les efforts visant à garantir un environnement propre, sain et durable pour tous. »
b) Autres documents de l’Assemblée générale
148. Pratiquement chaque année depuis sa première résolution sur le sujet, à savoir la Résolution no 43/53 sur la protection du climat mondial pour les générations présentes et futures, adoptée le 6 décembre 1988, l’Assemblée
générale inscrit à son ordre du jour la question de la protection du climat mondial pour les générations futures, ce qui a conduit à l’adoption de nombreuses résolutions[99].
149. Dans sa Résolution 69/220, adoptée le 19 décembre 2014, l’Assemblée générale a explicitement mentionné la nécessité de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, en faisant référence à la CCNUCC.
150. Dans le préambule de sa Résolution 72/219, adoptée le 20 décembre 2017, l’Assemblée générale a fait une déclaration qu’elle a depuis lors réitérée dans le préambule de chacune des résolutions adoptées sur ce sujet[100] :
« Considérant que, dans le cadre de ses activités, l’ONU doit promouvoir la sauvegarde du climat mondial afin de garantir le bien-être des générations présentes et futures (...) »
Le Secrétaire général des Nations unies
151. En 2009, le Secrétaire général des Nations unies a relevé ceci :
« Les organismes des Nations Unies créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme estiment tous qu’il existe un lien intrinsèque entre l’environnement et l’exercice de plusieurs droits fondamentaux, dont les droits à la vie, à la santé, à l’alimentation, à l’eau et au logement (voir A/HRC/10/61). »[101]
152. En mai 2022, à la demande du Conseil des droits de l’homme[102], le Secrétaire général a publié un rapport sur les « Effets des changements climatiques sur les droits humains des personnes vulnérables »[103], dans lequel il présentait le cadre juridique et directif applicable à ces personnes dans le contexte des changements climatiques (notes de bas de page omises) :
« Les neuf principaux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme imposent aux États qui y sont parties des obligations juridiquement contraignantes, dont certaines ont trait aux changements climatiques. Pour s’acquitter de ces obligations dans le contexte des changements climatiques, les États doivent parfois prendre des mesures visant à protéger les personnes contre les préjudices liés aux changements climatiques qui se répercutent sur l’exercice des droits de l’homme et mettre en œuvre des politiques climatiques inclusives. L’action climatique doit sortir les personnes vulnérables de l’impuissance en garantissant leur participation totale et effective en tant que titulaires de droits. »
153. Dans ce rapport, le Secrétaire général a adressé aux États et aux autres parties prenantes une série de recommandations visant à remédier aux effets des changements climatiques sur les droits fondamentaux des personnes vulnérables (paragraphes 48-58).
Le Conseil des droits de l’homme
a) Résolutions
154. En 2018, dans sa Résolution 37/8, le Conseil des droits de l’homme a constaté que « plus d’une centaine d’États [avaient] reconnu sous une forme ou une autre le droit à un environnement sain, notamment dans des accords internationaux ou dans leur constitution, leur législation ou leurs politiques ».[104]
155. Dans sa Résolution 46/7 sur les droits de l’homme et l’environnement[105], le Conseil des droits de l’homme a relevé ce qui suit :
« Rappelant également l’Accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015 par les parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, dans le préambule duquel les parties se sont déclarées conscientes que, lorsqu’elles prennent des mesures pour faire face aux changements climatiques, elles devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’homme, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes en situation de vulnérabilité, et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre générations,
(...)
Prenant note des textes issus de la vingt-cinquième session de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et engageant les États à prendre en considération, parmi d’autres questions, celle du respect et de la promotion des droits de l’homme, à la vingt-sixième session, qui doit se tenir à Glasgow (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) du 1er au 12 novembre 2021 (...) »
156. Dans sa Résolution 48/13 du 8 octobre 2021, le Conseil des droits de l’homme a officiellement reconnu que le droit à un environnement propre, sain et durable faisait partie intégrante des droits de l’homme et il a invité l’Assemblée générale à examiner la question (voir la Résolution 76/300 de l’Assemblée générale, précitée). La partie pertinente de cette résolution se lit ainsi :
« Rappelant également les obligations mises à la charge des États par les instruments et accords multilatéraux sur l’environnement, y compris ceux qui portent sur les changements climatiques, et les engagements pris au titre de ces documents, ainsi que les résultats de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable, tenue à Rio de Janeiro (Brésil) en juin 2012, et son document final intitulé « L’avenir que nous voulons », qui réaffirme les principes de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement,
Rappelant en outre toutes ses résolutions sur les droits de l’homme et l’environnement, dont les plus récentes sont les résolutions 45/17 du 6 octobre 2020, 45/30 du 7 octobre 2020 et 46/7 du 23 mars 2021, ainsi que les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale,
Considérant que le développement durable dans ses trois dimensions (économique, sociale et environnementale) et la protection de l’environnement, y compris les écosystèmes, facilitent et favorisent le bien-être et la réalisation des droits humains des générations actuelles et futures, notamment le droit à la vie, le droit de bénéficier du meilleur état de santé physique et mentale possible et les droits à un niveau de vie suffisant, à une nourriture suffisante, au logement, à l’eau potable et à l’assainissement et à la participation à la vie culturelle,
Réaffirmant l’importance d’une coopération internationale basée sur le respect mutuel, pleinement conforme aux buts et principes de la Charte, strictement respectueuse de la souveraineté des États et tenant compte des priorités nationales,
Considérant que, à l’inverse, les conséquences des changements climatiques, la gestion et l’utilisation non viables des ressources naturelles, la pollution de l’air, des sols et de l’eau, la mauvaise gestion des produits chimiques et des déchets, l’appauvrissement de la biodiversité qui en résulte et le déclin des services fournis par les écosystèmes compromettent la possibilité de bénéficier d’un environnement propre, sain et durable et que les atteintes à l’environnement ont des effets négatifs, directs et indirects, sur l’exercice effectif de tous les droits de l’homme,
(...)
1. Considère que l’exercice du droit de bénéficier d’un environnement propre, sain et durable est un élément important de la jouissance des droits de l’homme ;
2. Constate que le droit à un environnement propre, sain et durable est lié à d’autres droits et au droit international existant ;
3. Affirme que la promotion du droit à un environnement propre, sain et durable passe par l’application pleine et entière des accords multilatéraux sur l’environnement conformément aux principes du droit international de l’environnement (...) »
157. Le 7 juillet 2022, le Conseil des droits de l’homme a adopté la Résolution 50/9 sur les droits de l’homme et les changements climatiques, dans laquelle il s’est intéressé de près aux conséquences des changements climatiques sur la pleine réalisation du droit à l’alimentation et, de plus, a engagé tous les États à adopter
« une approche des politiques d’adaptation et d’atténuation concernant les changements climatiques qui soit globale et intégrée et tienne compte des questions relatives au genre, à l’âge et au handicap, conformément à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et aux objectifs et principes qui y sont énoncés (...) ».
158. Le 6 octobre 2022, le Conseil des droits de l’homme a adopté la Résolution 51/4 sur les droits de l’homme des personnes âgées, dans laquelle il a reconnu la contribution essentielle que les personnes âgées apportent au fonctionnement des sociétés et à la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030 (voir aussi la Résolution 44/7 du 16 juillet 2020).
b) Procédures spéciales
Le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques
159. Un mandat de Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques a été créé en octobre 2021 par le Conseil des droits de l’homme.
160. Dans le rapport thématique de juillet 2022, adressé à l’Assemblée générale des Nations unies et intitulé « Promotion et protection des droits humains dans le contexte de l’atténuation des changements climatiques, des pertes et préjudices et de la participation » (A/77/226), le Rapporteur spécial a formulé une série de recommandations :
« Recommandations visant à combler les lacunes en matière d’atténuation
89. Le Rapporteur spécial soutient que toutes les recommandations relatives aux mesures d’atténuation formulées par le Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable dans le rapport qu’il a soumis à l’Assemblée générale en 2019 sont toujours pertinentes et devraient être considérées comme faisant partie du présent rapport et prises en compte en plus des recommandations formulées ci-dessous.
90. En ce qui concerne l’atténuation, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques recommande que l’Assemblée générale prenne les mesures suivantes :
(...)
d) Créer un tribunal international des droits humains pour que les gouvernements, les entreprises et les institutions financières continuent d’investir dans les combustibles fossiles et les industries à forte intensité de carbone répondent de leurs actes et des conséquences de ces investissements sur les droits humains ;
(...)
97. Le Rapporteur spécial recommande en outre que l’Assemblée générale encourage tous les États Membres à inclure des représentants des jeunes dans les parlements nationaux afin qu’ils mettent en avant les préoccupations relatives aux changements climatiques.
98. Le Rapporteur spécial recommande également que l’Assemblée générale encourage tous les États à habiliter les enfants et les jeunes, y compris les enfants et les jeunes autochtones, à participer aux procédures judiciaires internationales, nationales et infranationales. »
Le Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable
161. En 2018, le Rapporteur spécial de l’époque a publié un rapport qui résumait les principales obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, sous le titre de « Principes-cadres relatifs aux droits de l’homme et à l’environnement »[106].
162. En 2019, le nouveau rapporteur a publié deux rapports thématiques (l’un adressé au Conseil des droits de l’homme, l’autre à l’Assemblée générale).
163. Dans son rapport du 8 janvier 2019 adressé au Conseil des droits de l’homme (A/HRC/40/55), le Rapporteur spécial s’est intéressé au droit de respirer un air pur comme composante du droit fondamental à un environnement sûr, propre, sain et durable. Il a précisé comme suit la portée et le contenu des obligations en matière de droits de l’homme relatives à l’air pur :
« IV. Obligations en matière de droits de l’homme relatives à l’air pur
57. Comme le précédent titulaire de mandat l’a clairement indiqué, les États ont l’obligation de protéger l’exercice des droits de l’homme contre les dommages environnementaux (A/HRC/25/53). Les effets néfastes et prévisibles de la mauvaise qualité de l’air sur l’exercice des droits de l’homme font que les États ont des obligations plus larges quant à la prise immédiate de mesures visant à protéger la population. Dans une déclaration conjointe publiée en 2017, un groupe d’experts des Nations Unies a dit « qu’une telle menace ne pouvait plus être ignorée et que les États étaient tenus de prévenir et de contrôler l’exposition à la pollution atmosphérique toxique et de protéger la population contre ses effets néfastes sur les droits de l’homme ».[107]
58. Les principes-cadres relatifs aux droits de l’homme et à l’environnement précisent les trois catégories d’obligations de l’État : les obligations procédurales, les obligations de fond et les obligations spéciales à l’égard des personnes en situation de vulnérabilité. Ils peuvent donc être traduits en termes opérationnels dans le contexte de la pollution de l’air en vue de respecter et de protéger les droits de l’homme et de leur donner effet.
59. Les obligations procédurales des États liées au droit de respirer un air pur sont assorties de devoirs dans les domaines suivants : promotion de l’éducation et sensibilisation de la population, accès à l’information, garantie de la liberté d’expression, d’association et de réunion, facilitation de la participation de la population à l’évaluation des projets proposés, des politiques et des décisions relatives à l’environnement et garantie d’un accès abordable, dans les meilleurs délais, à des voies de recours.
60. En ce qui concerne les obligations de fond, les États ne doivent pas porter atteinte au droit de respirer un air pur par leur action ; doivent protéger ce droit contre toute atteinte par des tierces parties, en particulier des entreprises ; et doivent établir, rendre effectifs et faire appliquer des textes législatifs, des politiques et des programmes visant à réaliser ce droit, et éviter la discrimination et les mesures rétrogrades.
61. Les États doivent prendre sept grandes mesures pour réaliser le droit de respirer un air pur : contrôler la qualité de l’air et surveiller ses effets sur la santé des personnes ; analyser les sources de pollution atmosphérique ; publier les informations, y compris les avis de santé publique ; établir des textes de lois, des textes réglementaires, des normes et des politiques relatifs à la qualité de l’air ; élaborer des plans d’action relatifs à la qualité de l’air à l’échelle locale et nationale et, le cas échéant, au niveau régional ; mettre en œuvre un plan d’action sur la qualité de l’air et faire respecter les normes ; évaluer les progrès accomplis et, si nécessaire, renforcer le plan d’action afin de garantir le respect des normes.
62. Pour chacune de ces mesures, les États doivent veiller à ce que la population soit véritablement informée et à ce qu’elle ait la possibilité de participer aux processus de prise de décisions. Des efforts supplémentaires devraient toujours être faits pour atteindre les femmes, les enfants et d’autres personnes en situation de vulnérabilité dont la voix est rarement entendue dans les processus concernant la politique de l’environnement. Les États doivent accorder une attention particulière aux défenseurs de l’environnement dont l’action vise à protéger le droit à un air pur. »
164. Dans son rapport de 2019 adressé à l’Assemblée générale (A/74/161), le Rapporteur spécial s’est appuyé sur les Principes-cadres de 2018 relatifs aux droits de l’homme et à l’environnement (mentionnés au paragraphe 161 ci‑dessus) et a détaillé comme suit le contenu des obligations pesant sur les États (notes de bas de page omises) :
« 63. Les principes-cadres relatifs aux droits de la personne et à l’environnement définissent pour les États trois catégories d’obligations : les obligations d’ordre procédural, les obligations de fond et les obligations particulières envers les personnes vulnérables. Ils peuvent [être] appliqués dans le contexte des changements climatiques afin de garantir le respect et la protection des droits de la personne et d’en permettre la jouissance.
64. Conformément au droit international des droits de l’homme, les États ont les obligations procédurales suivantes :
a) Fournir aux populations des informations facilement accessibles, disponibles à un coût abordable et compréhensibles sur les causes et conséquences de la crise climatique mondiale (notamment en intégrant le sujet des changements climatiques dans les programmes scolaires à tous les niveaux) ;
b) S’assurer que chacun puisse participer à l’action climatique de manière équitable et veiller pour ce faire à tenir compte des disparités entre les genres, en s’attachant tout particulièrement à donner des moyens d’action aux populations les plus touchées, à savoir les femmes, les enfants, les jeunes, les peuples autochtones et les populations locales, les personnes vivant dans la pauvreté, les personnes handicapées, les personnes âgées, les migrants, les personnes déplacées et les autres populations qui pourraient être vulnérables ;
c) Garantir à chacun un accès abordable et opportun à la justice et à des recours utiles, pour que les États et entreprises puissent être tenus de respecter leurs obligations relatives aux changements climatiques ;
d) Évaluer les effets potentiels de tout plan et de toute politique ou proposition sur les changements climatiques et les droits de la personne, y compris les effets produits en amont et en aval (c’est-à-dire les émissions issues de la production et de la consommation) ;
e) Garantir l’égalité des genres dans toutes les activités climatiques, en permettant aux femmes de jouer un rôle de premier plan ;
f) Respecter les droits des peuples autochtones dans toutes les activités climatiques, en particulier leur droit à un consentement préalable, libre et éclairé ;
g) Offrir une protection efficace à tou(te)s les défenseuses et défenseurs de l’environnement et des droits de la personne qui travaillent sur des questions liées au climat (par exemple l’occupation des sols ou les combustibles fossiles), et notamment faire preuve de vigilance pour les protéger contre le harcèlement, l’intimidation et la violence.
65. S’agissant des obligations de fond, les États doivent veiller à ne pas enfreindre, par leurs actes, le droit à un climat vivable, protéger ce droit contre toute violation par des tiers, en particulier les entreprises, et concevoir, mettre en œuvre et faire respecter des lois, politiques et programmes visant à garantir ce droit. Les États se doivent également d’éviter toute discrimination ou mesure rétrograde. Ces principes régissent toutes les activités climatiques, y compris celles découlant des obligations en matière d’atténuation des effets des changements climatiques, d’adaptation à ces changements, de financement et de pertes et dommages.
66. Les obligations relatives aux droits de la personne sont renforcées par le droit international de l’environnement, les États étant tenus de veiller à ce que les activités polluantes exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne nuisent pas gravement à l’environnement ou aux populations d’autres États ou de zones situées au-delà des limites de leur juridiction nationale. Étant donné que l’on prévoit des changements climatiques de plus en plus importants, on peut conclure que les émissions actuelles de [GES] vont à l’encontre du principe bien établi en droit international coutumier consistant à « ne pas nuire ». En effet, quel que soit l’endroit où ils sont émis, ces gaz contribuent cumulativement à créer des effets néfastes dans d’autres États, notamment les petits États insulaires en développement. L’affaire Urgenda, aux Pays‑Bas, constitue un précédent important, car la Cour s’est appuyée sur le droit international des droits de l’homme pour contraindre le Gouvernement néerlandais à respecter les engagements qu’il disait lui-même être nécessaires pour prévenir les changements climatiques dangereux.
(...)
68. Les États ont l’obligation de travailler en coopération en vue de parvenir à un avenir durable, où les émissions de carbone seront faibles et où l’on sera en mesure de faire face aux changements climatiques. Cette obligation comprend la communication d’informations, le transfert des technologies très performantes qui n’émettent pas ou peu de carbone des États riches aux États moins riches, les activités de renforcement des capacités, une augmentation des fonds alloués à la recherche et au développement pour garantir une transition vers des énergies propres, le respect des engagements internationaux et des solutions justes, légales et durables pour les migrants et les personnes déplacées. En application du principe des responsabilités communes mais différenciées, les États riches doivent prendre en charge une part équitable des dépenses engagées dans les pays à faible revenu pour mettre en œuvre des mesures d’atténuation et d’adaptation. Dans les pays à faible revenu, l’action climatique devrait être financée par des subventions, et non des prêts. On ne peut contraindre les pays pauvres à assumer les frais des mesures nécessaires pour faire face aux changements climatiques quand le problème a été causé par les pays riches. Cela va à l’encontre des principes fondamentaux de la justice.
69. Les mesures climatiques, y compris celles qui sont prises dans le cadre des mécanismes en cours de négociation au titre de l’article 6 de l’Accord de Paris, doivent être conçues et mises en œuvre de manière qu’elles ne menacent, ni n’enfreignent les droits de la personne. Par le passé, les politiques d’appui à la production de biocarburants ont contribué à faire flamber le prix des denrées alimentaires, entraîné des émeutes et provoqué une augmentation importante du nombre total de personnes souffrant de la faim. Les politiques de préservation des forêts soulèvent des inquiétudes semblables en matière de droits, car elles risquent de limiter l’accès à des terres utilisées pour la chasse, la pêche, la cueillette, la culture et d’autres activités culturelles importantes. Pour éviter ce type d’effets néfastes, il est indispensable d’entreprendre des activités visant à atteindre à la fois les objectifs climatiques et les objectifs de développement durable, en coopération avec les populations touchées.
70. En 2018, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a averti les États qu’il serait contraire à leur obligation de respecter, protéger et mettre en œuvre tous les droits de l’homme pour tous de ne pas prévenir des atteintes prévisibles aux droits de l’homme provoquées par les changements climatiques ou de ne pas mobiliser les ressources disponibles dans toute la mesure possible afin de prévenir de telles atteintes. Les États doivent donc allouer autant de ressources financières et matérielles que possible au passage aux énergies renouvelables, aux transports propres et aux systèmes agroécologiques, arrêter et inverser le processus de déforestation et de dégradation des sols, et améliorer les capacités d’adaptation, en particulier celles des populations vulnérables et marginalisées (...)
74. Le non-respect des engagements internationaux en matière de changements climatiques constitue une violation prima facie de l’obligation qu’ont les États de protéger les droits fondamentaux de leurs citoyens (...)
75. Un changement radical de cap s’impose. Pour s’acquitter de leurs obligations en matière de droits de l’homme, les États développés et les autres grands émetteurs doivent réduire leurs émissions au rythme annoncé dans leurs engagements internationaux. Pour atteindre l’objectif fixé à Paris, à savoir limiter le réchauffement à 1,5 oC, les États doivent présenter, au plus tard en 2020, des contributions ambitieuses déterminées au niveau national qui contribueront, d’ici à 2030, à une diminution d’au moins 45 % des émissions mondiales de [GES], telles que calculées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Tous les États devraient se doter d’un plan de décarbonisation axé sur les droits ayant pour objet de réduire leurs émissions nettes de carbone à néant en 2050 au plus tard, conformément au paragraphe 19 de l’article 4 de l’Accord de Paris. Ils doivent prendre les quatre grandes mesures ci‑après : sortir la société de sa dépendance aux combustibles fossiles ; accélérer la prise d’autres mesures d’atténuation ; protéger les personnes vulnérables des effets des changements climatiques ; apporter une aide financière sans précédent aux pays les moins avancés et aux petits États insulaires en développement. »
165. Dans son rapport de 2020 adressé au Conseil des droits de l’homme et intitulé « Droit à un environnement sain : bonnes pratiques » (A/HRC/43/53), le Rapporteur spécial a résumé les bonnes pratiques issues de plus de 175 États en matière de réalisation du droit de l’homme à un environnement sûr, propre, sain et durable. Il a exposé que la reconnaissance juridique de ce droit pouvait en elle-même être considérée comme une bonne pratique. Les parties pertinentes de ce rapport se lisent ainsi :
« III. Mise en œuvre du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable : bonnes pratiques
A. Reconnaissance juridique
9. Dans le présent rapport, le Rapporteur spécial s’intéresse à la mise en œuvre du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable. La reconnaissance juridique de ce droit peut en elle-même être considérée comme une bonne pratique, qu’elle découle de la constitution, d’une législation environnementale ou de la ratification d’un traité régional.
10. En collaboration avec le Vance Center for International Justice, le Rapporteur spécial a établi une liste actualisée des États dans lesquels le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable est reconnu par la loi (voir annexe II). Ce droit bénéficie d’une protection constitutionnelle dans 110 États. Une telle protection des droits de l’homme est essentielle dans la mesure où la constitution est la loi suprême de tout ordonnancement juridique. En outre, la constitution joue un important rôle culturel, puisqu’elle reflète les valeurs et les aspirations de la société.
11. Un total de 126 États ont ratifié au moins un des traités régionaux dans lesquels le droit à un environnement sain est expressément énoncé, à savoir la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (52 États parties), la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (Convention d’Aarhus) (45 États parties), le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels (Protocole de San Salvador) (16 États parties) et la Charte arabe des droits de l’homme (16 États parties). Au 1er décembre 2019, cinq États avaient ratifié l’Accord régional sur l’accès à l’information, la participation publique et l’accès à la justice à propos des questions environnementales en Amérique latine et dans les Caraïbes (Accord d’Escazú), mais 11 ratifications sont nécessaires pour que cet instrument encore récent entre en vigueur. Dix États ont adopté la Déclaration des droits de l’homme de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, qui n’est pas contraignante.
12. Il importe aussi de promulguer et d’appliquer des lois destinées à garantir le respect, la protection et la mise en œuvre du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable. Un total de 101 États ont incorporé ce droit dans leur législation nationale. Des pratiques particulièrement louables peuvent être observées en Afrique du Sud, en Argentine, au Brésil, en Colombie, au Costa Rica, en France, aux Philippines et au Portugal, où le droit à un environnement sain est un principe transversal, qui imprègne les textes de loi, les textes réglementaires et les politiques.
13. Au total, plus de 80 % des États Membres de l’Organisation des Nations Unies (156 sur 193) reconnaissent juridiquement le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable. Le Rapporteur spécial a recueilli les textes des dispositions constitutionnelles et législatives par lesquelles ce droit est consacré. »
166. Le Rapporteur spécial a également publié des rapports thématiques sur les questions suivantes : « Les droits de l’homme et la crise mondiale de l’eau : la pollution de l’eau, la pénurie d’eau et les catastrophes liées à l’eau » (A/HRC/46/28, 2021) ; « Alimentation saine et durable : réduire les effets environnementaux des systèmes alimentaires sur les droits humains » (A/76/179, 2021) ; et « Droit à un environnement propre, sain et durable : environnement non toxique » (A/HRC/49/53, 2022).
167. Dans le récent rapport thématique intitulé « Le droit humain de bénéficier d’un environnement propre, sain et durable : un catalyseur pour intensifier les mesures visant à atteindre les objectifs de développement durable » (A/77/284, 2022), le Rapporteur spécial a voulu « remet[tre] en question l’idée préconçue selon laquelle les objectifs de développement durable ne sont que des velléités, en faisant ressortir les nombreuses obligations relatives aux droits humains sur lesquelles reposent ces objectifs ». À cet égard, le rapport formule les recommandations suivantes :
« a) Intégrer le droit à un environnement propre, sain et durable à tous les niveaux (mondial, régional et national), notamment dans un instrument universel juridiquement contraignant, la Déclaration universelle des droits de l’homme, le cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020, la Convention européenne des droits de l’homme et leurs constitutions, lois et politiques nationales ;
b) Reconnaître que les objectifs reposent sur une base solide de droits humains, qui établit des obligations juridiquement contraignantes (...) »
L’Expert indépendant sur les droits de l’homme et la solidarité internationale
168. Dans un rapport de 2020 soumis au Conseil des droits de l’homme et intitulé « Solidarité internationale et changements climatiques » (A/HRC/44/44), l’Expert indépendant sur les droits de l’homme et la solidarité internationale a formulé une série de recommandations pour une réforme fondée sur les droits de l’homme, en lien avec les menaces que représentent les changements climatiques. Parmi ces recommandations figurent notamment celles-ci :
« a) Tous les États, les entreprises et les organisations internationales devraient prendre, séparément et conjointement, toutes les mesures nécessaires pour parvenir à l’objectif zéro émission nette d’ici à 2050, conformément à leur niveau d’ambition le plus élevé en matière de réduction des émissions et à l’objectif commun, énoncé dans l’Accord de Paris, de contenir l’élévation de la température de la planète en dessous de 1,5 oC ;
b) À cette fin, les États, les entreprises et les institutions financières, en particulier les États les plus gros émetteurs, de longue date ou depuis peu, devraient envisager de mettre fin aux activités d’exploration de combustibles fossiles et de ne pas faire de nouveaux investissements dans ce domaine, au nom de la solidarité internationale fondée sur les droits de l’homme, étant donné que le budget carbone de la planète sera dépassé si les projets de production de combustibles fossiles déjà engagés et proposés sont menés à bien ;
c) Les États, les entreprises et les institutions financières devraient coopérer afin que toute transformation de l’économie basée sur les combustibles fossiles (qui doit impérativement être réalisée) ne perpétue pas les déséquilibres entre États et peuples riches et pauvres. À mesure que les pays réduisent ou suppriment progressivement leurs activités liées aux combustibles fossiles, les pays riches devraient fournir un appui aux pays pauvres dont l’adaptation à la transition est plus difficile, au nom du droit au développement des États les plus pauvres et des droits sociaux et économiques de leurs populations qui dépendent des systèmes énergétiques ;
(...)
g) Les États devraient coopérer dans le cadre international d’action climatique et par l’intermédiaire de la communauté internationale de défense des droits de l’homme, y compris l’OIT, pour garantir l’accès à la justice dans le contexte des changements climatiques, pour ce qui est de :
i) Compenser les pertes et les préjudices liés aux inégalités que perpétuent les changements climatiques, notamment en accordant à cette question le même degré de priorité qu’à celles de l’atténuation et de l’adaptation et en apportant une aide financière suffisante aux pays et aux populations touchés ;
ii) Préserver l’exercice des droits humains des peuples autochtones et des populations locales qui sont touchés par les projets liés aux changements climatiques, tels qu’ils sont consacrés par le droit international, y compris en protégeant les défenseurs de l’environnement contre les poursuites pénales ;
iii) Mettre au point et exécuter, du niveau mondial au niveau local, des projets concrets visant à garantir une transition juste vers des économies viables dans lesquelles le droit à un travail décent est garanti pour tous ;
iv) Coopérer pour s’acquitter des obligations internationales relatives aux droits humains des groupes marginalisés qui sont particulièrement touchés par les changements climatiques, y compris les peuples autochtones, les personnes âgées, les enfants, les personnes handicapées, les personnes vivant dans la pauvreté et les femmes. »
L’Experte indépendante chargée de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme
169. Dans son rapport de 2019 (A/HRC/42/43), l’Experte indépendante évoque comme suit les conséquences négatives des changements climatiques sur les personnes âgées :
« 101. L’Experte indépendante reste convaincue que l’absence d’un instrument juridique international global et intégré destiné à assurer la promotion et la protection des droits et de la dignité des personnes âgées a d’importantes conséquences pratiques pour ces personnes, notamment dans les situations d’urgence. Elle souligne en particulier que les instruments actuels ne traitent pas les questions relatives au vieillissement de manière spécifique ou ne leur accordent pas suffisamment de visibilité, ce qui empêche les personnes âgées d’exercer pleinement leurs droits fondamentaux, particulièrement dans les situations d’urgence. »
170. Dans son rapport de 2021 intitulé « Droits humains des femmes âgées : intersection entre vieillissement et genre » (A/76/157), l’Experte indépendante a ajouté que « [d]ans les situations d’urgence provoquées par les effets des changements climatiques (...), les femmes âgées peuvent être perçues comme des fardeaux et être ainsi exposées à la maltraitance et à la négligence (...) Toutefois, les risques que les situations d’urgence comportent pour les femmes âgées et les incidences qu’ont sur elles ces situations sont généralement invisibles. »
Le Comité des droits de l’homme
171. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« le PIDCP »)[108] ne contient aucune disposition visant expressément la protection de l’environnement. Néanmoins, le Comité des droits de l’homme (« le CDH ») déduit du droit à la vie (article 6) et du droit à la vie privée et familiale (article 17) des obligations particulières liées à la protection de l’environnement.
172. Dans son Observation générale no 36 sur le droit à la vie, adoptée en 2019[109], le CDH a rappelé l’existence d’un lien entre la protection de l’environnement et l’obligation de protéger la vie (lien déjà établi par le CDH dans une communication de 2001) :
« 26. L’obligation de protéger la vie signifie également que les États parties devraient prendre des mesures appropriées destinées à améliorer certains contextes dans la société susceptibles d’engendrer des menaces directes pour la vie ou d’empêcher des personnes de jouir de leur droit à la vie dans la dignité. Il peut s’agir notamment (...) de la dégradation de l’environnement (...) »
173. Renvoyant à des instruments internationaux tels que l’Accord de Paris, le CDH a livré ces précisions sur le lien entre les obligations des États relatives au droit à la vie et celles qui concernent la préservation de l’environnement (notes de bas de page omises) :
« 62. La dégradation de l’environnement, les changements climatiques et le développement non durable font partie des menaces les plus urgentes et les plus graves pour la capacité des générations présentes et futures de jouir du droit à la vie. Les obligations des États parties au regard du droit international de l’environnement devraient donc éclairer la teneur de l’article 6 du Pacte, et l’obligation qu’ont les États parties de respecter et garantir le droit à la vie devrait également éclairer leurs obligations pertinentes au regard du droit international de l’environnement. La mise en œuvre de l’obligation de respecter et garantir le droit à la vie, et en particulier à la vie dans la dignité, dépend, entre autres, des mesures prises par les États parties pour préserver l’environnement et le protéger contre les dommages, la pollution et les changements climatiques résultant de l’activité des acteurs publics et privés. Les États parties devraient par conséquent veiller à ce qu’il soit fait un usage durable des ressources naturelles, élaborer des normes environnementales de fond et les faire appliquer, réaliser des études d’impact sur l’environnement et consulter les États concernés au sujet des activités susceptibles d’avoir des incidences écologiques notables, notifier aux autres États concernés les catastrophes naturelles et situations d’urgence et coopérer avec eux, assurer un accès approprié à l’information sur les risques environnementaux et prendre dûment en considération le principe de précaution. »
174. Dans l’affaire Portillo Cáceres c. Paraguay[110], le CDH a déclaré ceci :
« 6.3 Le Comité prend note des arguments de l’État partie concernant l’irrecevabilité ratione materiae de la communication, selon lesquels les droits environnementaux ne sont pas visés par le Pacte. Toutefois, le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel ils n’invoquent pas une violation du droit à un environnement sain, mais une violation de leurs droits à la vie, à l’intégrité physique, à la vie privée et familiale et à un recours utile, l’État partie ayant manqué à son obligation positive de protéger ces droits, ce qui, dans leur situation particulière, impliquait de contrôler le respect des normes environnementales. Par conséquent, le Comité estime que l’article 3 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.
(...)
7.4 Le Comité prend également note de l’évolution en la matière observée dans d’autres instances internationales, qui ont reconnu qu’il existait un lien indéniable entre la protection de l’environnement et la réalisation des droits de l’homme, et que la dégradation de l’environnement avait des incidences sur la jouissance effective du droit à la vie . En effet, il a déjà été conclu qu’une dégradation grave de l’environnement constituait une violation du droit à la vie.
7.5 Dans la présente affaire, le Comité considère que les fumigations massives avec des produits phytosanitaires toxiques dans la zone considérée, dont il a été fait largement état , constituent une menace pour la vie des auteurs que l’État partie pouvait raisonnablement prévoir, ces fumigations massives ayant contaminé les cours d’eau dans lesquels les auteurs pêchent, les puits dont ils boivent l’eau et les arbres fruitiers, les cultures et les animaux d’élevage dont ils se nourrissent (...) En conséquence, compte tenu des graves intoxications subies par les auteurs, dont la réalité a été reconnue par la décision de 2011 rendue dans le cadre du recours en amparo (...), et du décès de M. Portillo Cáceres, au sujet duquel l’État partie n’a jamais donné d’explication, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 6 du Pacte, au préjudice de M. Portillo Cáceres et des auteurs de la communication.
(...)
7.8 (...) Lorsque la pollution a des répercussions directes sur le droit à la vie privée et familiale et sur le domicile et que les conséquences néfastes de la pollution ont un certain degré de gravité, compte tenu de l’intensité ou de la durée des nuisances et de ses effets physiques ou psychologiques, la dégradation de l’environnement peut avoir des incidences sur le bien-être de l’individu et entraîner des violations du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile. Le Comité constate qu’en l’espèce ces éléments sont présents. En conséquence, à la lumière des faits dont il est saisi, le Comité conclut que les faits de la présente affaire font apparaître une violation de l’article 17 du Pacte. »
175. Dans l’affaire Teitiota c. Nouvelle-Zélande[111], le CDH s’est prononcé comme suit :
« 9.4 Le Comité rappelle que le droit à la vie ne peut pas être entendu correctement s’il est interprété de manière restrictive et que sa protection exige que les États parties adoptent des mesures positives. Il rappelle également son observation générale no 36 (2018) sur le droit à la vie, dans laquelle il est dit que le droit à la vie recouvre aussi le droit des personnes de vivre dans la dignité et de ne pas être victimes d’actes ou d’omissions susceptibles de causer leur décès non naturel ou prématuré (par. 3). Il rappelle en outre que l’obligation des États parties de respecter et garantir le droit à la vie s’applique aussi face aux menaces et aux autres situations raisonnablement prévisibles dans lesquelles la vie d’une personne est mise en danger, et qu’il peut y avoir violation de l’article 6 par les États parties même si pareilles menaces ou situations n’entraînent pas effectivement la mort. De plus, le Comité rappelle que la dégradation de l’environnement, les changements climatiques et le développement non durable font partie des menaces les plus urgentes et les plus graves pesant sur la capacité des générations présentes et futures de jouir du droit à la vie.
9.5 Le Comité fait de surcroît observer que lui-même et certaines juridictions régionales des droits de l’homme ont jugé que la dégradation de l’environnement pouvait compromettre l’exercice effectif du droit à la vie et qu’une dégradation grave de l’environnement pouvait avoir des conséquences sur le bien-être des personnes et entraîner une violation du droit à la vie.
(...)
9.7 [Concernant la plainte de l’auteur relative au risque de violences dans le cadre des différends fonciers, le Comité relève] qu’une situation générale de violence n’est suffisamment grave pour créer un risque réel de préjudice irréparable au sens des articles 6 ou 7 du Pacte que dans les cas les plus extrêmes, lorsque le simple fait d’y être exposé ferait courir à la personne un risque réel de préjudice en cas de renvoi ou lorsque l’intéressé est particulièrement vulnérable (...) [L’auteur] n’a pas établi que les autorités nationales avaient fait une appréciation arbitraire ou manifestement erronée de la question de savoir si les violences commises à Kiribati à cause du surpeuplement ou des différends fonciers l’exposeraient à un risque réel, personnel et raisonnablement prévisible de violation du droit à la vie.
9.8 (...) S’il est conscient des difficultés que peut entraîner le rationnement de l’eau, le Comité constate néanmoins que les informations fournies par l’auteur ne suffisent pas à démontrer que l’eau potable disponible est à ce point inaccessible, insuffisante ou insalubre que la santé de l’auteur est exposée à une menace raisonnablement prévisible de nature à porter atteinte au droit de l’intéressé de vivre dans la dignité ou à causer son décès prématuré ou non naturel.
9.9 (...) Le Comité est conscient du fait que, à certains endroits, l’absence d’autres moyens de subsistance peut placer les personnes dans une situation de vulnérabilité accrue face aux effets néfastes des changements climatiques (...) Les informations portées à sa connaissance ne démontrent pas que, au moment de son renvoi, l’auteur était exposé à un risque réel et raisonnablement prévisible de vivre dans l’indigence, d’être privé de nourriture ou de se retrouver dans une situation de précarité extrême de nature à porter atteinte à son droit à la vie, y compris son droit de vivre dans la dignité (...)
9.11 (...) Le Comité est d’avis que, si des mesures énergiques ne sont pas prises aux niveaux national et international, les effets des changements climatiques dans les États de destination risquent d’exposer les prétendants à l’asile à une violation des droits garantis par les articles 6 ou 7 du Pacte, ce qui obligerait les États qui entendent renvoyer les intéressés à appliquer le principe de non-refoulement. En outre, le risque qu’un pays entier disparaisse sous les eaux est un risque à ce point grave que les conditions de vie dans le pays en question pourraient devenir incompatibles avec le droit de vivre dans la dignité avant même que la catastrophe se produise.
9.12 En l’espèce, le Comité accueille l’argument de l’auteur selon lequel l’élévation du niveau de la mer va probablement rendre Kiribati inhabitable. Il fait toutefois observer que le délai de dix à quinze ans mentionné par l’auteur pourrait permettre au Gouvernement d’intervenir, avec le soutien de la communauté internationale, en vue de prendre des mesures concrètes pour protéger et, si nécessaire, déplacer la population. Le Comité note que les autorités de l’État partie ont examiné ce point de manière approfondie et constaté que Kiribati prenait des mesures d’adaptation en vue de réduire les vulnérabilités existantes et de renforcer la résilience face aux dommages résultant des changements climatiques. Sur la base des informations dont il est saisi, le Comité ne saurait conclure que, lorsqu’elles ont estimé que les dispositions prises par Kiribati suffiraient à protéger le droit à la vie garanti à l’auteur par l’article 6 du Pacte, les autorités nationales ont procédé à une appréciation arbitraire, manifestement erronée ou constitutive d’un déni de justice. »
176. Dans les constatations adoptées le 21 juillet 2022 sur la communication no 3624/2019 (Daniel Billy et al. c. Australie, « Affaire des insulaires du détroit de Torres »), le CDH n’a pas conclu à la violation de l’article 6 dans cette affaire particulière mais a estimé que les effets négatifs des changements climatiques pouvaient être considérés comme une menace raisonnablement prévisible pour la vie. Il s’est exprimé ainsi (traduction du greffe) :
« Article 6
8.3 Le Comité prend note de l’allégation des auteurs consistant à dire que les faits de la cause s’analysent en une violation par action et par omission de leur droit de vivre dans la dignité au regard de l’article 6 du Pacte [international relatif aux droits civils et politiques], en raison du manquement de l’État partie à remplir son obligation de prendre des mesures d’adaptation et d’atténuation pour faire face aux effets des changements climatiques qui ont des répercussions négatives sur leur vie, notamment leur mode de vie. En ce qui concerne la position de l’État partie selon laquelle l’article 6 § 1 du Pacte ne lui impose pas l’obligation de prévenir les pertes prévisibles en vies humaines dues aux changements climatiques, le Comité rappelle que le droit à la vie ne peut pas être entendu correctement s’il est interprété de manière restrictive et que sa protection exige que les États parties adoptent des mesures positives.[112] Le Comité rappelle également son observation générale no 36 (2018) sur le droit à la vie, dans laquelle il a posé que le droit à la vie recouvre aussi celui des personnes de vivre dans la dignité et de ne pas subir d’actes ni d’omissions susceptibles de causer leur décès non naturel ou prématuré (par. 3).[113] Le Comité rappelle en outre que l’obligation des États parties de respecter et garantir le droit à la vie vaut face aux menaces et situations raisonnablement prévisibles qui mettent la vie en danger.[114] Il peut y avoir violation de l’article 6 du Pacte par les États parties même si une telle menace ou situation n’aboutit pas à la perte de la vie. Le Comité considère que parmi ces menaces peuvent figurer les effets négatifs des changements climatiques, et il rappelle que la dégradation de l’environnement, les changements climatiques et le développement non durable font partie des menaces les plus urgentes et les plus graves pour la capacité des générations présentes et futures de jouir du droit à la vie. Il redit que les États parties devraient prendre toute mesure appropriée pour améliorer certains contextes dans la société susceptibles d’engendrer des menaces directes pour la vie ou d’empêcher des personnes de jouir de leur droit à la vie dans la dignité.
8.4 Le Comité prend note de la position de l’État partie selon laquelle l’extension de l’article 6 § 1 du Pacte à un droit de vivre dans la dignité, par le biais de l’observation générale no 36, n’est pas étayée par les règles d’interprétation des traités, en particulier l’article 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités. Le Comité estime toutefois que la formulation en question est compatible avec cette dernière disposition, aux termes de laquelle un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Sur ce point, il note qu’au regard de l’article 31 de la Convention, le contexte dans lequel s’inscrit l’interprétation d’un traité comprend en premier lieu le texte de ce traité, y compris son préambule et ses annexes. Le préambule du Pacte indique d’emblée que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ; il reconnaît en outre que ces droits découlent de la dignité inhérente à la personne humaine. Si l’État partie relève que les droits socioéconomiques sont protégés par un Pacte distinct, le Comité observe que le préambule du Pacte [international relatif aux droits civils et politiques] reconnaît que l’idéal de l’être humain libre, libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits civils et politiques, aussi bien que de ses droits économiques, sociaux et culturels, sont créées.
8.5 Le Comité fait observer que lui-même et certaines juridictions régionales des droits de l’homme ont jugé que la dégradation de l’environnement pouvait compromettre l’exercice effectif du droit à la vie et qu’une dégradation grave de l’environnement pouvait avoir des conséquences sur le bien-être des personnes et entraîner une violation du droit à la vie. »
Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes
177. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ne mentionne pas expressément les droits environnementaux. Cependant, dans sa Recommandation générale no 37 (2018) sur les aspects de la réduction des risques de catastrophe et des changements climatiques ayant trait à la problématique femmes-hommes, publiée en 2018[115], le Comité a dégagé de cette convention des principes généraux (§§ 25-38) ainsi que des principes particuliers (§§ 39‑54) applicables à la réduction des risques de catastrophe et à l’adaptation aux changements climatiques.
Le Comité des droits de l’enfant
178. Le Comité des droits de l’enfant (« le CRC ») a traité de la question des conséquences des changements climatiques sur les enfants dans son Observation générale no 26 sur les droits de l’enfant et l’environnement, mettant l’accent en particulier sur les changements climatiques.[116]
179. Dans l’affaire Sacchi et consorts c. Argentine (CRC/C/88/D/104/2019, 22 septembre 2021), le CRC a examiné[117] une plainte dont seize enfants de diverses nationalités l’avaient saisi et qui était dirigée contre l’Argentine (la même plainte fut également introduite contre le Brésil, la France, l’Allemagne et la Türkiye). Les auteurs de cette plainte alléguaient qu’ils étaient victimes des changements climatiques et que les États défendeurs étaient responsables a) d’avoir manqué à leur obligation de prévenir, par une réduction de leurs émissions selon le « niveau d’ambition le plus élevé possible », les violations prévisibles des droits de l’homme que les changements climatiques peuvent causer, et, b) d’avoir retardé les fortes réductions des émissions de carbone qui s’imposaient pour protéger la vie et le bien-être des enfants, sur leur territoire et à l’étranger. Le CRC a établi la juridiction des États défendeurs mais a déclaré l’affaire irrecevable pour non‑épuisement des voies de recours internes. Pour plus de détails, voir Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres (déc.) ([GC], no 39371/20, §§ 58-60, 9 avril 2024).
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels
180. Dans sa déclaration du 8 octobre 2018 sur les changements climatiques et le Pacte[118], le Comité des droits économiques, sociaux et culturels s’est exprimé ainsi (traduction du greffe) :
« 3. Le Comité accueille avec satisfaction les engagements déjà pris. Toutefois, indépendamment des engagements pris volontairement dans le cadre du régime applicable aux changements climatiques, tous les États ont des obligations en matière de droits de l’homme qui devraient les guider dans l’élaboration et la mise en œuvre de mesures visant à remédier aux changements climatiques.
(...)
5. Au regard du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les États sont tenus de respecter, protéger et mettre en œuvre tous les droits de l’homme pour tous. Cette obligation des États concerne non seulement leur propre population, mais a aussi un caractère extraterritorial, suivant les articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies. Pour s’en acquitter, les États devraient agir conformément au Pacte, en se fondant sur les meilleures données scientifiques disponibles.
6. Le Comité a déjà souligné qu’il serait contraire à cette obligation de ne pas prévenir des atteintes prévisibles aux droits de l’homme provoquées par les changements climatiques ou de ne pas mobiliser les ressources disponibles dans toute la mesure possible afin de prévenir de telles atteintes.
Les contributions déterminées au niveau national (CDN) qui ont été annoncées jusqu’à présent sont insuffisantes par rapport à ce que les scientifiques estiment nécessaire pour éviter les effets les plus graves des changements climatiques. Afin d’agir conformément à leurs obligations en matière de droits de l’homme, les États devraient revoir ces CDN afin qu’elles correspondent mieux au « niveau d’ambition le plus élevé possible » mentionné dans l’Accord de Paris (article 4 § 3). Dans les futures directives de mise en œuvre de l’Accord, il faudrait exiger des États qu’ils tiennent compte de leurs obligations en matière de droits de l’homme lors de l’élaboration des CDN, en gardant à l’esprit les questions de genre et les principes de participation, de transparence et de responsabilité et en s’appuyant sur les savoirs locaux et traditionnels.
Les États parties devraient en outre adopter des mesures pour s’adapter aux effets néfastes des changements climatiques et intégrer ces mesures dans leurs politiques sociales, environnementales et budgétaires au niveau national. Enfin, dans le cadre de leurs obligations d’assistance et de coopération internationales aux fins de la réalisation des droits de l’homme, les États à revenu élevé devraient aussi soutenir les efforts d’adaptation, en particulier dans les pays en développement, en facilitant le transfert de technologies vertes et en contribuant au Fonds vert pour le climat. Cela serait conforme à l’obligation qui incombe aux États parties au Pacte de garantir « [le droit de chacun] de bénéficier du progrès scientifique » et à la reconnaissance par le Pacte des « bienfaits qui doivent résulter de l’encouragement et du développement de la coopération et des contacts internationaux dans le domaine de la science (...)
(...)
8. (...) Les mécanismes des droits de l’homme ont un rôle essentiel à jouer dans la protection des droits de l’homme en veillant à ce que les États ne prennent pas de mesures susceptibles d’accélérer les changements climatiques et à ce qu’ils mobilisent autant de ressources disponibles que possible pour adopter des mesures propres à atténuer ces changements, notamment accélérer la transition vers les énergies renouvelables, telles que l’énergie éolienne ou solaire, ralentir la déforestation et opter pour l’agroécologie afin que les sols puissent jouer le rôle de puits de carbone, améliorer l’isolation des bâtiments et investir dans les transports publics. Il est urgent de remplacer, au niveau mondial, les hydrocarbures par des sources d’énergie renouvelables afin d’éviter une perturbation anthropique dangereuse du système climatique et les graves violations des droits de l’homme qu’une telle perturbation entraînerait.
9. Tant les États que les acteurs non étatiques ont le devoir de se conformer aux obligations relatives aux droits de l’homme qui leur incombent dans le contexte des changements climatiques. À cette fin, ils doivent respecter les droits de l’homme, en s’abstenant d’adopter des mesures qui pourraient aggraver les changements climatiques ; ils doivent les protéger en réglementant efficacement les activités des acteurs privés pour qu’elles n’aggravent pas les changements climatiques ; et ils doivent les mettre en œuvre en adoptant des politiques propres à rendre les modes de production et de consommation plus durables d’un point de vue écologique (...)
Le rôle du Comité des droits économiques, sociaux et culturels
10. Dans le cadre de ses travaux futurs, le Comité continuera à suivre les effets des changements climatiques sur les droits économiques, sociaux et culturels et à fournir aux États des orientations concernant la manière dont ils peuvent s’acquitter de leurs obligations au titre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte de l’atténuation des changements climatiques et de l’adaptation à leurs effets inévitables. »
181. Dans les parties pertinentes de son Observation générale no 25 (2020) sur la science et les droits économiques, sociaux et culturels[119], le Comité des droits économiques, sociaux et culturels s’est exprimé ainsi :
« B. Participation et principe de précaution
56. La participation recouvre aussi le droit à l’information et la participation à la maîtrise des risques associés à certains processus scientifiques et à leurs applications. Dans ce contexte, le principe de précaution joue un rôle important. Ce principe exige qu’en l’absence de certitude scientifique complète, lorsqu’une mesure ou une politique risque d’entraîner un dommage inacceptable pour le public ou l’environnement, des mesures soient prises pour l’empêcher ou l’atténuer. Un dommage est inacceptable pour l’homme ou l’environnement lorsqu’il : a) menace la vie ou la santé humaine ; b) est grave et est effectivement irréversible ; c) est inéquitable envers les générations présentes ou futures ; ou d) est imposé sans tenir dûment compte des droits fondamentaux des personnes concernées. Les études d’impact technologique et d’impact sur les droits de l’homme peuvent aider à détecter les risques éventuels rapidement et dès que les applications scientifiques commencent à être utilisées.
(...)
Coopération internationale
(...)
81. En quatrième lieu, la coopération internationale est primordiale du fait que les risques mondiaux les plus graves qui se rattachent à la science et à la technologie, tels que les changements climatiques, l’appauvrissement rapide de la biodiversité, la mise au point de technologies dangereuses, dont les armes autonomes fondées sur l’intelligence artificielle, ou la menace des armes de destruction massive, en particulier des armes nucléaires, sont transnationaux, et que seule une coopération internationale solide permet d’y répondre efficacement. Les États devraient promouvoir des accords multilatéraux pour empêcher ces risques de se concrétiser ou pour en atténuer les effets (...) »
182. Les parties pertinentes de l’Observation générale no 14 (2020) sur le droit à la santé[120] se lisent ainsi (notes de bas de page omises) :
« 11. Le Comité interprète le droit à la santé, tel que défini au paragraphe 1 de l’article 12, comme un droit global, dans le champ duquel entrent non seulement la prestation de soins de santé appropriés en temps opportun, mais aussi les facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que l’accès à l’eau salubre et potable et à des moyens adéquats d’assainissement, l’accès à une quantité suffisante d’aliments sains, la nutrition et le logement, l’hygiène du travail et du milieu et l’accès à l’éducation et à l’information relatives à la santé, notamment la santé sexuelle et génésique. Un autre aspect important est la participation de la population à la prise de toutes les décisions en matière de santé aux niveaux communautaire, national et international.
(...)
15. Les mesures visant à « l’amélioration de tous les aspects de l’hygiène du milieu et de l’hygiène industrielle » (par. 2 b) de l’article 12) comprennent notamment les mesures de prévention contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, les mesures visant à assurer un approvisionnement suffisant en eau salubre et potable et en moyens d’assainissement élémentaires; et les mesures visant à empêcher et réduire l’exposition de la population à certains dangers tels que radiations ou produits chimiques toxiques et autres facteurs environnementaux nocifs ayant une incidence directe sur la santé des individus (...)
36. L’obligation de mettre en œuvre le droit à la santé requiert des États parties, entre autres, de lui faire une place suffisante dans le système politique et juridique national (de préférence par l’adoption d’un texte législatif) (...) Les États sont également tenus d’adopter des mesures contre les dangers pesant sur l’hygiène du milieu et du travail et contre toute autre menace mise en évidence par des données épidémiologiques. À cet effet, ils devraient élaborer et mettre en œuvre des politiques nationales visant à réduire et à éliminer la pollution de l’air, de l’eau et du sol, y compris la pollution par des métaux lourds tels que le plomb provenant de l’essence (...) »
183. La partie pertinente de l’Observation générale no 26 (2022) sur la terre et les droits économiques, sociaux et culturels[121] se lit comme suit :
« Changements climatiques
56. Dans de nombreux pays, les changements climatiques entravent grandement l’accès à la terre, ce qui a des répercussions sur les droits des utilisateurs. Dans les zones côtières, l’élévation du niveau de la mer a des effets sur le logement, l’agriculture et l’accès aux zones de pêche. Les changements climatiques entraînent également la dégradation des sols et la désertification. La hausse des températures, la modification du régime des précipitations et l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes comme les sécheresses et les inondations influent de plus en plus sur l’accès à la terre. Les États doivent coopérer à l’échelon international et s’acquitter de leur obligation d’atténuer les émissions et de tenir les engagements qu’ils ont pris au titre de l’Accord de Paris. Ces obligations leur sont aussi faites par le droit des droits de l’homme, comme le Comité a déjà eu l’occasion de le souligner. En outre, les États doivent éviter d’adopter des politiques visant à atténuer les changements climatiques, telles que le piégeage du carbone par un reboisement massif ou la protection des forêts existantes, qui conduisent à différentes formes d’accaparement des terres, en particulier lorsqu’elles touchent les terres et territoires de populations en situation de vulnérabilité, comme les paysans ou les peuples autochtones. Les politiques d’atténuation devraient conduire à des réductions absolues des émissions grâce à l’abandon progressif de la production et de l’utilisation des combustibles fossiles.
57. Les États ont l’obligation de concevoir à l’échelon national des politiques d’adaptation aux changements climatiques qui prennent en considération toutes les formes de changement d’affectation des terres induites par les changements climatiques, d’enregistrer toutes les personnes touchées et d’agir au maximum des ressources dont ils disposent pour remédier aux effets des changements climatiques, particulièrement à leurs effets sur les groupes défavorisés.
58. Les changements climatiques touchent tous les pays, y compris ceux qui y ont le moins contribué. Ainsi, les pays qui ont historiquement contribué le plus à ces changements et ceux qui en sont les principaux contributeurs à l’heure actuelle doivent aider ceux qui en souffrent le plus, mais qui sont le moins en mesure d’y faire face, notamment en soutenant et en finançant des mesures d’adaptation relatives aux terres. Les mécanismes de coopération pour les mesures d’atténuation des changements climatiques et d’adaptation à ces changements doivent prévoir un ensemble solide de garanties environnementales et sociales pour faire en sorte qu’aucun projet ne porte préjudice aux droits de l’homme et à l’environnement et pour garantir l’accès à l’information et l’organisation de consultations véritables avec les personnes concernées par les projets. Ils doivent également respecter le consentement préalable − donné librement et en connaissance de cause − des peuples autochtones. »
Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme
184. En 2009, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme avait présenté au Conseil des droits de l’homme un rapport général sur les liens entre les changements climatiques et les droits de l’homme. Plus tard, il a soumis à ce même organe divers rapports consacrés aux conséquences des changements climatiques sur l’exercice des droits de l’homme par certaines catégories de personnes, à savoir les personnes handicapées[122], les femmes[123], les migrants et les personnes déplacées[124], les enfants[125] et les personnes souffrant de problèmes de santé mentale[126].
185. Dans son Étude analytique sur la promotion et la protection des droits des personnes âgées dans le contexte des changements climatiques (A/HRC/47/46), publiée en 2021, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme s’est penché sur les formes multiples et croisées de discrimination en lien avec les changements climatiques. La partie pertinente de cette étude se lit ainsi (notes de bas de page omises) :
« 34. Tant le vieillissement que les changements climatiques ont des effets différenciés en fonction du genre. Les femmes vivant plus longtemps que les hommes, les femmes âgées sont plus nombreuses que les hommes âgés et les femmes vivant en partenariat hétérosexuel survivent généralement à leur partenaire. Les femmes âgées vivant seules sont donc plus nombreuses. Les différences physiques et physiologiques, les normes et les rôles sociaux, la discrimination fondée sur le genre et les inégalités en matière d’accès aux ressources et au pouvoir contribuent à faire en sorte que les femmes âgées soient davantage exposées aux effets des changements climatiques.
35. Les femmes âgées vivent davantage dans la pauvreté que les hommes âgés et sont aux prises avec d’autres difficultés économiques qui sont aggravées par les changements climatiques. Elles sont en outre davantage exposées à des risques pour leur santé, notamment au risque de développer des maladies chroniques et aux effets néfastes de la pollution de l’air, et leur taux de mortalité et les autres risques de problèmes de santé exacerbés par les pics de chaleur sont plus élevés que pour n’importe quel autre groupe de population. À l’inverse, on a constaté que lors des typhons, les hommes âgés risquaient davantage de perdre la vie.
36. Les rôles sociaux et les attentes fondés sur le genre produisent des effets complexes sur les risques climatiques auxquels les personnes âgées sont exposées. Dans certaines sociétés, les hommes âgés connaissent davantage l’isolement social et ont par conséquent plus de mal à accéder aux services d’assistance susceptibles de leur permettre de faire face aux effets délétères des changements climatiques. Cependant, dans les situations d’urgence ou lorsque les ressources familiales sont restreintes par les effets des changements climatiques, les femmes âgées risquent davantage d’être perçues comme des fardeaux et d’être mal traitées ou négligées. Dans certains pays, les événements météorologiques extrêmes sont imputés aux femmes âgées, qui sont accusées de sorcellerie et risquent de ce fait d’être victimes de violence et d’exclusion. La transformation des moyens de subsistance traditionnels et des pratiques culturelles et sociales produisent également des effets qui diffèrent entre les hommes et les femmes en raison des différences de rôle social. Les normes sociales et l’identité sexuelle peuvent aussi exacerber les effets négatifs des changements climatiques sur les droits de l’homme des personnes âgées lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes. »
Autres éléments
186. En 2019, les organes des traités de l’ONU (le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le Comité des droits de l’enfant et le Comité des droits des personnes handicapées) ont publié une déclaration conjointe sur les droits de l’homme et les changements climatiques[127], dont les parties pertinentes se lisent ainsi (traduction du greffe, notes de bas de page omises) :
« 3. Le rapport [que le GIEC a publié en 2018 sur un réchauffement planétaire de 1,5 oC par rapport aux niveaux préindustriels] confirme que les changements climatiques risquent de gravement compromettre l’exercice des droits de l’homme protégés par la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées. Les effets néfastes recensés dans le rapport menacent, entre autres, le droit à la vie, le droit à une alimentation adéquate, le droit à un logement convenable, le droit à la santé, le droit à l’eau et les droits culturels. Ces effets négatifs transparaissent aussi dans les dommages subis par les écosystèmes, qui compromettent eux-mêmes l’exercice des droits de l’homme. Le risque de préjudice est particulièrement élevé pour les groupes de la population tels que les femmes, les enfants, les personnes handicapées, les peuples autochtones et les habitants des zones rurales, qui sont déjà en situation de marginalisation ou de vulnérabilité ou qui, du fait de la discrimination et des inégalités préexistantes, n’ont guère accès au processus décisionnel et aux ressources. Les enfants courent un risque particulièrement élevé pour leur santé en raison de leur immaturité physiologique.
(...)
Obligations des États en matière de droits de l’homme
10. Au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant et de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, les États parties sont tenus, y compris à l’échelle extraterritoriale, de respecter, de protéger et de mettre en œuvre tous les droits de l’homme pour tous. Il serait contraire à cette obligation de ne pas prévenir des atteintes prévisibles aux droits de l’homme provoquées par les changements climatiques ou de ne pas réglementer les activités qui contribuent à de telles atteintes.
11. Pour s’acquitter de leurs obligations relatives aux droits de l’homme et atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, les États doivent adopter et mettre en œuvre des politiques visant à réduire les émissions. Ces politiques doivent correspondre au niveau d’ambition le plus élevé possible, promouvoir la résilience aux changements climatiques et faire en sorte que les investissements publics et privés soient compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de [GES] et résilient aux changements climatiques.
12. Dans le cadre des efforts qu’ils déploient pour réduire les émissions, les États parties devraient contribuer efficacement à l’abandon progressif des combustibles fossiles, à la promotion des énergies renouvelables et à la réduction des émissions du secteur foncier, notamment en luttant contre la déforestation. En outre, les États doivent réglementer les acteurs privés, y compris en leur demandant des comptes pour les dommages qu’ils causent à l’intérieur et à l’extérieur de leurs frontières. Ils devraient également mettre fin aux incitations financières ou aux investissements destinés aux activités et infrastructures qui ne sont pas compatibles avec un profil d’évolution à faible émission de [GES], qu’ils soient d’origine publique ou privée, à titre de mesure d’atténuation pour éviter des dommages et des risques supplémentaires.
13. Les États doivent, dans le cadre de la réduction des émissions et de l’adaptation aux effets des changements climatiques, s’efforcer de lutter contre toutes les formes de discrimination et d’inégalité, notamment en favorisant une égalité réelle entre les hommes et les femmes, en protégeant les droits des peuples autochtones et des personnes handicapées, et en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.
(...)
Le rôle des Comités
18. Dans le cadre de leurs travaux futurs, les Comités continueront d’examiner les effets des changements et des catastrophes climatiques sur les titulaires de droits protégés par leurs instruments respectifs. Ils continueront également de conseiller les États parties sur les moyens de s’acquitter des obligations découlant de ces instruments en ce qui concerne l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à ces changements. »
187. Le 12 décembre 2022, le Tribunal international du droit de la mer a été saisi par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international d’une demande d’avis consultatif sur la portée et la teneur des « obligations particulières des États Parties à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (« la CNUDM »), notamment en vertu de la partie XII [de celle-ci] ».[128] Y étaient posées les questions suivantes :
« Quelles sont les obligations particulières des États Parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (« la CNUDM »), notamment en vertu de la partie XII :
a) de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin eu égard aux effets nuisibles qu’a ou peut avoir le changement climatique, notamment sous l’action du réchauffement des océans et de l’élévation du niveau de la mer, et de l’acidification des océans, qui sont causés par les émissions anthropiques de [GES] dans l’atmosphère ?
b) de protéger et préserver le milieu marin eu égard aux incidences du changement climatique, notamment le réchauffement des océans et l’élévation du niveau de la mer, et l’acidification des océans ? »
188. Le 29 mars 2023, en vertu de l’article 96 de la Charte des Nations unies, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution[129] invitant la Cour internationale de justice à rendre un avis consultatif sur les obligations des États face aux changements climatiques. Les questions qui ont été posées à la juridiction internationale sont les suivantes :
« Eu égard en particulier à la Charte des Nations Unies, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, à l’Accord de Paris, à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, à l’obligation de diligence requise, aux droits reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, au principe de prévention des dommages significatifs à l’environnement et à l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin :
a) Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de [GES] pour les États et pour les générations présentes et futures ?
b) Quelles sont, au regard de ces obligations, les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, à l’égard :
i) Des États, y compris, en particulier, des petits États insulaires en développement, qui, de par leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des changements climatiques ou sont particulièrement vulnérables face à ces effets ?
ii) Des peuples et des individus des générations présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements climatiques ? »
Le Conseil de l’Europe
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
189. Dans une recommandation adoptée le 29 septembre 2021 et intitulée « Ancrer le droit à un environnement sain : la nécessité d’une action renforcée du Conseil de l’Europe »[130], l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a recommandé au Comité des Ministres d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et un protocole additionnel à la Charte sociale européenne, relatifs au droit à un environnement sûr, propre, sain et durable et s’appuyant sur la terminologie utilisée par les Nations unies.
190. De façon plus générale, dans une résolution portant le même titre, l’APCE a recommandé aux États membres du Conseil de l’Europe d’établir et de consolider un cadre juridique – aux niveaux national et européen – pour ancrer le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, en s’appuyant sur les orientations des Nations unies en la matière.[131] La partie pertinente de cette résolution se lit comme suit :
« 3. L’Assemblée parlementaire note que la Déclaration de Stockholm adoptée à l’issue de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement établissait explicitement, dès 1972, le lien entre protection de l’environnement et droits humains de première génération, renvoyant indirectement au droit à un environnement sain. Depuis, près de la moitié des pays du monde ont inscrit le droit à un environnement sain dans leur Constitution, dont 32 États membres du Conseil de l’Europe. Le droit à un environnement sain est également reconnu mondialement par divers accords et dispositifs régionaux – sauf dans la région européenne.
4. L’Assemblée estime que la vision européenne contemporaine de la protection des droits humains pourrait néanmoins devenir un cadre de référence pour les droits humains écologiques au XXIe siècle, à condition d’agir immédiatement. Jusqu’à présent, cette vision s’est limitée aux droits civils et politiques consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, ci-après « la Convention ») et ses protocoles, et aux droits économiques et sociaux reconnus par la Charte sociale européenne (STE nos 35 et 163, ci-après « la Charte »).
5. L’Assemblée observe que la Convention ne mentionne pas expressément la protection de l’environnement et que la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après « la Cour ») ne peut donc pas statuer de manière suffisamment efficace sur ce droit humain de nouvelle génération. L’appel à l’action de l’Assemblée, notamment dans sa Recommandation 1885 (2009) « Élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un environnement sain », n’a malheureusement pas été entendu par le Comité des Ministres.
6. La jurisprudence de la Cour consacre une protection par ricochet du droit à l’environnement sain en se cantonnant à ne sanctionner que des atteintes à l’environnement qui entraînent simultanément une atteinte à d’autres droits humains déjà reconnus dans la Convention. La Cour privilégie de ce fait une approche anthropocentrique et utilitariste de l’environnement, qui empêche toute protection per se des éléments naturels. L’Assemblée encourage le Conseil de l’Europe à reconnaître, à terme, la valeur intrinsèque de la nature et des écosystèmes au nom de l’interdépendance des sociétés humaines avec la nature.
7. L’Assemblée est convaincue que le Conseil de l’Europe, en tant que première organisation de défense des droits humains et de l’État de droit du continent européen, devrait rester proactif en ce qui concerne l’évolution des droits humains et adapter son cadre juridique en conséquence. Un instrument juridiquement contraignant et opposable, comme un protocole additionnel à la Convention, fournirait finalement une base incontestable à la Cour pour statuer sur les atteintes aux droits humains découlant des effets environnementaux néfastes pour la santé, la dignité et la vie des personnes.
8. L’Assemblée considère qu’une reconnaissance explicite du droit à un environnement sain et viable ouvrirait la voie à l’adoption de législations environnementales plus fortes au niveau national et inciterait la Cour à adopter une approche plus protectrice. La reconnaissance de ce droit permettrait aux victimes de déposer plus facilement des requêtes en réparation et agirait également comme un mécanisme préventif, qui viendrait s’ajouter à la jurisprudence de la Cour, qui intervient plutôt de manière curative.
9. Reconnaître un droit autonome à un environnement sain présenterait l’avantage de pouvoir conclure à une infraction indépendamment de l’atteinte à un autre droit, ce qui donnerait une place plus importante à ce droit. Dans ce contexte, l’Assemblée observe que les Nations Unies mentionnent essentiellement, dans leurs études et résolutions sur les droits humains et l’environnement, les obligations découlant des droits humains relatives à la jouissance d’un « environnement sûr, propre, sain et durable ». Le Conseil de l’Europe devrait être encouragé à reprendre cette terminologie dans ses propres instruments juridiques, sans que cela l’empêche pour autant d’aller plus loin et de garantir le droit à un environnement « décent » ou « écologiquement viable ».
191. Dans sa Recommandation 2211 (2021)[132], l’APCE a recommandé au Comité des Ministres d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable. La partie pertinente de cette recommandation est ainsi libellée :
« 1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution 2396 (2021) « Ancrer le droit à un environnement sain : la nécessité d’une action renforcée du Conseil de l’Europe », et réaffirme qu’il est nécessaire que le Conseil de l’Europe modernise son activité normative afin d’y inclure les droits humains de nouvelle génération. L’Assemblée est vivement préoccupée par la vitesse et l’ampleur de la dégradation de l’environnement, de la perte de la biodiversité et de la crise climatique qui affectent directement la santé, la dignité et la vie humaine. Elle considère qu’il est grand temps que le Conseil de l’Europe fasse preuve d’ambition et d’une vision stratégique pour l’avenir en se montrant à la hauteur de ce défi majeur porteur de transformations pour les droits humains et en veillant à renforcer la protection de ces droits à l’heure où des menaces environnementales systémiques pèsent sur les générations actuelles et futures.
2. L’Assemblée constate que les dommages environnementaux font de plus en plus obstacle à la réalisation des droits humains de première et de deuxième génération sur le plan individuel et sur celui de la société dans son ensemble, mettant ainsi à mal les valeurs communes que le Conseil de l’Europe est chargé de défendre. Ces dommages sont reconnus dans le cadre des procédures contentieuses de niveau national en matière environnementale, aussi bien en Europe qu’au-delà. Ils constituent un motif impérieux pour renforcer et actualiser l’arsenal juridique du Conseil de l’Europe, et pour établir un lien entre les actions de niveau national et les engagements pris au titre des traités internationaux pertinents, comme la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et l’Accord de Paris.
3. À cet effet, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres :
3.1 d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, ci-après « la Convention ») sur le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, s’appuyant sur la terminologie utilisée par les Nations Unies et sur le texte reproduit ci-dessous, qui fait partie intégrante de la présente recommandation; l’inclusion de ce droit dans la Convention établirait clairement que les États membres ont la responsabilité de maintenir l’environnement dans un état qui permette de vivre dans la dignité et en bonne santé, et d’exercer pleinement les autres droits fondamentaux; elle favoriserait aussi une protection beaucoup plus efficace d’un environnement sûr, propre, sain et durable au niveau national, y compris pour les générations futures;
3.2 d’élaborer un protocole additionnel à la Charte sociale européenne (STE nos 35 et 163, ci-après « la Charte ») sur le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable ; l’inclusion de ce droit dans la Charte permettrait de reconnaître l’interdépendance entre la protection des droits sociaux et la protection de l’environnement ; elle permettrait également aux organisations non gouvernementales d’effectuer des réclamations collectives en matière environnementale ;
3.3 d’entamer les travaux préparatoires à une étude de faisabilité pour une convention de type « cinq P » sur les menaces environnementales et les risques technologiques pour la santé, la dignité et la vie humaine ; l’établissement d’une telle convention permettrait d’y inscrire les principes de prévention, de précaution et de non-régression, nécessaires pour assurer l’effectivité de la protection du droit de l’humanité à un environnement sain ; la convention pourrait également intégrer un mécanisme supranational de contrôle à l’instar des comités d’experts indépendants comme le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) et le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) ;
3.4 de réviser la Recommandation CM/Rec(2016)3 sur les droits de l’homme et les entreprises dans le but de renforcer la responsabilité environnementale des entreprises afin de protéger de manière adéquate le droit humain à un environnement sûr, propre, sain et durable. »
192. L’APCE a également adopté une recommandation[133] et une résolution[134], intitulées « Crise climatique et État de droit ». La résolution renvoie à la jurisprudence de la Cour en matière de préjudice environnemental. En particulier, elle exhorte les États membres
« 5.1 à promouvoir l’État de droit et à employer un processus législatif transparent, responsable et démocratique pour mettre en œuvre l’objectif du « zéro émission nette » étayé par des plans clairs et crédibles pour atteindre les engagements de maintenir l’augmentation de la température mondiale conforme à l’objectif privilégié de l’Accord de Paris, représentant une augmentation des températures moyennes de 1,5 oC ; »
Le Comité des Ministres
193. Le Comité des Ministres a publié ses réponses aux recommandations susmentionnées de l’Assemblée parlementaire. Concernant la recommandation relative à l’adoption d’un nouveau protocole à la Convention européenne des droits de l’homme, il a répondu le 4 octobre 2022 qu’il avait chargé le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH) d’entreprendre d’autres travaux éventuels, notamment la préparation d’une étude sur la nécessité et la faisabilité d’un ou de plusieurs nouveaux instruments sur les droits de l’homme et l’environnement[135].
194. Le 27 septembre 2022, le Comité des ministres a adopté la Recommandation CM/Rec(2022)20 aux États membres sur les droits de l’homme et la protection de l’environnement. Dans le préambule de ce texte, le Comité des Ministres a souligné
« la reconnaissance accrue d’une certaine forme du droit à un environnement propre, sain et durable, notamment dans les instruments internationaux, y compris les instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme, et les Constitutions, législations et politiques nationales ; »
195. Le Comité des Ministres a ensuite recommandé aux États membres
« 1. de réfléchir à la nature, au contenu et aux implications du droit à un environnement propre, sain et durable, et, sur cette base, d’envisager activement de reconnaître au niveau national ce droit comme un droit de l’homme important pour la jouissance des droits de l’homme et lié à d’autres droits et au droit international existant ;
2. de revoir leur législation et leurs pratiques nationales afin de s’assurer qu’elles sont conformes aux recommandations, principes et orientations énoncés dans l’annexe à la présente recommandation ;
(...) »
196. L’annexe à cette recommandation, qui contient six paragraphes, est ainsi libellée :
« 1. Dans la mise en œuvre de la présente recommandation, les États membres devraient veiller au respect des principes généraux du droit international de l’environnement, tels que le principe d’absence de dommage, le principe de prévention, le principe de précaution et le principe du pollueur-payeur, et tenir compte de la nécessité d’une équité intergénérationnelle.
2. Les États membres devraient garantir, sans discrimination, la jouissance effective des droits et libertés énoncés dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales et, le cas échéant, dans la Charte sociale européenne et la Charte sociale européenne révisée, y compris en matière d’environnement.
3. Les États membres devraient prendre des mesures adéquates pour protéger les droits des personnes qui sont les plus vulnérables face aux dommages environnementaux ou qui sont particulièrement menacées par ceux-ci, en tenant compte de leurs besoins, des risques qu’elles courent et de leurs capacités.
4. Les États membres devraient garantir l’accès sans discrimination, entre autres, à l’information et à la justice en matière d’environnement, à la participation au processus décisionnel en matière d’environnement et à l’éducation à l’environnement. Les États membres devraient veiller à ce que les droits de l’homme soient pris en compte à tous les stades du processus décisionnel en matière d’environnement.
5. En tenant compte de leur rôle essentiel dans la protection de l’environnement, les États membres devraient consulter les entités infranationales, la société civile, les institutions nationales des droits de l’homme, les institutions régionales pour la protection et la promotion des droits de l’homme, les défenseurs des droits de l’homme liés à l’environnement, les acteurs économiques, les peuples autochtones et les communautés locales, les villes et les régions, et coopérer avec eux pour la mise en œuvre de la présente recommandation.
6. Les États membres devraient encourager ou, le cas échéant, exiger des entreprises qu’elles agissent en conformité avec leurs responsabilités en matière de droits de l’homme liés à l’environnement, notamment en appliquant un assortiment judicieux de mesures − nationales et internationales, contraignantes et volontaires. »
197. Dans l’exposé des motifs de cette recommandation[136], le CDDH a indiqué que celle-ci n’avait pas d’effet sur la nature juridique des instruments sur lesquels elle se fondait, ni sur l’étendue des obligations juridiques existantes des États, et qu’elle ne cherchait pas non plus à établir de nouvelles normes ou obligations.
La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
198. Dans le Carnet des droits de l’homme intitulé « Vivre dans un environnement sain, un droit négligé qui nous concerne tous »[137], la Commissaire a déclaré ce qui suit :
« Les organes du Conseil de l’Europe qui veillent à la mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte sociale européenne ont produit une vaste jurisprudence qui définit les obligations des États parties en matière d’environnement. L’environnement n’est pas expressément mentionné dans la Convention, mais la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour) a clairement établi que certaines formes de dégradation environnementale peuvent entraîner des violations de droits tels que le droit à la vie, le droit au respect de la vie privée et familiale, l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants et le droit de jouir paisiblement de son domicile. En outre, le Comité européen des droits sociaux a jugé, dans son interprétation du droit à la santé garanti par la Charte, que celui-ci comprend le droit à un environnement sain.
(...)
Les États doivent adopter – et appliquer – des politiques et des mesures ambitieuses pour préserver l’environnement et la biodiversité, lutter contre la pollution de l’air, de l’eau et du sol, atténuer le changement climatique et gérer correctement les déchets. Dans ce contexte, ils doivent apporter une attention particulière à la protection des droits des personnes les plus vulnérables, notamment les enfants et les groupes de population défavorisés économiquement ou marginalisés, qui ont tendance à être davantage touchés par la dégradation de l’environnement. Une nouvelle approche s’impose : non pas une approche au cas par cas qui ne ferait que réagir aux plaintes individuelles, mais une approche préventive, s’inscrivant au niveau national et local, et fondée sur les normes du Conseil de l’Europe relatives aux droits de l’homme. Cela implique aussi de veiller à ce que les politiques environnementales s’accompagnent de mesures visant à protéger les droits des personnes qu’elles pourraient impacter négativement, y compris le droit au travail et à des conditions de vie décentes pour ceux qui travaillent dans les mines ou les industries lourdes, par exemple. Il est extrêmement important que les gouvernements s’attachent à sensibiliser et éduquer les citoyens dès le plus jeune âge à la nécessité de préserver l’environnement. Ils doivent en outre veiller à ce que les citoyens puissent exercer leurs droits à l’information, à la participation et à l’indemnisation, et s’engager en ce sens en ratifiant la Convention d’Aarhus. »
Autres documents
199. En 2020, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« la Commission de Venise ») a déclaré ceci sur la question du contrôle juridictionnel dans le domaine de la protection de l’environnement :
« 114. La Commission de Venise est consciente des problèmes de contrôle judiciaire dans le domaine de la protection de l’environnement. Les critiques ou les sceptiques diront que ce domaine ne se prête pas au contrôle judiciaire, car il entraînera les tribunaux dans des discussions sophistiquées sur les sciences naturelles. Ils pourraient également prétendre que, puisque la protection de l’environnement est un domaine qui relève du pouvoir discrétionnaire et des compromis politiques, au cas où un parlement ou un gouvernement ferait un compromis politique sur la protection de l’environnement, le pouvoir judiciaire ne devrait pas intervenir. Cependant, un argument important pour contrer une telle conclusion est que la protection de l’environnement n’est pas comme le conflit traditionnel des droits de l’homme, où la minorité a besoin de protection contre la majorité. Dans le domaine de la protection de l’environnement, il existe une dimension totalement nouvelle : la protection des droits des générations futures. Comme les générations futures ne participent pas à la démocratie actuelle et ne votent pas aux élections actuelles, le pouvoir judiciaire semble être le mieux placé pour protéger les générations futures contre les décisions des hommes politiques actuels. »[138]
200. L’annexe V de la Déclaration de Reykjavík[139] énonce ce qui suit :
« Nous, chefs d’État et de gouvernement, soulignons l’urgence de prendre des mesures coordonnées pour protéger l’environnement en luttant contre la triple crise planétaire liée à la pollution, au changement climatique et à la perte de biodiversité. Nous affirmons que les droits de l’homme et l’environnement sont intimement liés et qu’un environnement propre, sain et durable est essentiel au plein exercice des droits de l’homme des générations actuelles et futures.
(...)
Nous notons que le droit à un environnement sain est inscrit de diverses manières dans plusieurs constitutions des États membres du Conseil de l’Europe et que le droit à un environnement propre, sain et durable est de plus en plus reconnu, notamment dans les instruments internationaux, les instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme, les constitutions, les législations et les politiques nationales.
Nous rappelons la jurisprudence et la pratique étendues en matière d’environnement et de droits de l’homme développées par la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité européen des droits sociaux. Nous saluons les travaux en cours au Comité des Ministres, à l’Assemblée parlementaire, au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, ainsi que ceux de la Commissaire aux droits de l’homme, du secteur de la jeunesse et d’autres instances du Conseil de l’Europe en vue de renforcer la protection des droits de l’homme liée à la protection de l’environnement.
(...)
Ensemble, nous nous engageons à :
i. renforcer notre travail au Conseil de l’Europe sur les aspects de l’environnement liés aux droits de l’homme, sur la base de la reconnaissance politique du droit à un environnement propre, sain et durable en tant que droit de l’homme, en ligne avec la Résolution 76/300 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le droit à un environnement propre, sain et durable, et en poursuivant la mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2022)20 du Comité des Ministres sur les droits de l’homme et la protection de l’environnement ;
(...)
v. lancer le « processus de Reykjavík » pour renforcer les travaux du Conseil de l’Europe dans ce domaine, dans le but de faire de l’environnement une priorité visible pour l’Organisation. Le processus concentrera et rationalisera les activités de l’Organisation, en vue de promouvoir la coopération entre les États membres. Nous identifierons les défis que pose la triple crise planétaire liée à la pollution, au changement climatique et à la perte de biodiversité pour les droits de l’homme et contribuerons à l’élaboration de réponses communes, tout en facilitant la participation de la jeunesse à ces discussions. Nous y parviendrons notamment en renforçant et en coordonnant les activités existantes du Conseil de l’Europe liées à l’environnement et nous encourageons la création d’un nouveau Comité intergouvernemental sur l’environnement et les droits de l’homme (« Comité de Reykjavík »). »
L’Union européenne
La législation primaire
201. L’article pertinent du Traité sur l’Union européenne (JO 2012/C 326, pp. 13-390) est ainsi libellé :
Article 3 § 3
« L’Union (...) œuvre pour le développement durable de l’Europe (...), qui tend (...) [à] un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement (...) »
202. Les articles pertinents du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2012/C 326, pp. 47–390) se lisent ainsi :
Article 11
« Les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable. »
Article 191
« 1. La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement contribue à la poursuite des objectifs suivants :
— la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement,
— la protection de la santé des personnes,
— l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles,
— la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique.
2. La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur.
Dans ce contexte, les mesures d’harmonisation répondant aux exigences en matière de protection de l’environnement comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour des motifs environnementaux non économiques, des mesures provisoires soumises à une procédure de contrôle de l’Union.
3. Dans l’élaboration de sa politique dans le domaine de l’environnement, l’Union tient compte :
— des données scientifiques et techniques disponibles,
— des conditions de l’environnement dans les diverses régions de l’Union,
— des avantages et des charges qui peuvent résulter de l’action ou de l’absence d’action,
— du développement économique et social de l’Union dans son ensemble et du développement équilibré de ses régions.
(...) »
Article 263
« La Cour de justice de l’Union européenne contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers.
À cet effet, la Cour est compétente pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application, ou détournement de pouvoir, formés par un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission.
(...)
Toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.
(...) »
203. L’article 37 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2012/C 326, pp. 391-407) est ainsi libellé :
Article 37
Protection de l’environnement
« Un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable. »
Les actes législatifs
a) Concernant les émissions de GES
204. Par la Décision no 94/69/CE du Conseil du 15 décembre 1993 concernant la conclusion de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (JO 2009/L 140, pp. 136-148), le Conseil a approuvé la CCNUCC au nom de la Communauté européenne (aujourd’hui l’Union européenne).
205. La Décision no 406/2009/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu’en 2020 (JO 2009/L 140, pp. 136-148) prévoit que chaque État membre limite ses émissions de GES en se conformant au pourcentage fixé pour cet État membre (article 3). L’annexe II de cette décision détaille les pourcentages fixés pour chaque État membre.
206. La Directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE (JO 2009/L 140, pp. 16-62) définit un cadre commun pour la promotion de la production d’énergie à partir de sources renouvelables (article 1) et fixe des objectifs nationaux globaux contraignants concernant l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (article 3 et annexe I).
207. La Directive 2012/27/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique, modifiant les directives 2009/125/CE et 2010/30/UE et abrogeant les directives 2004/8/CE et 2006/32/CE (JO 2012/L 315, pp. 1-56) établit un cadre commun de mesures pour la promotion de l’efficacité énergétique dans l’Union en vue d’assurer la réalisation du grand objectif fixé par l’Union d’accroître de 20 % l’efficacité énergétique d’ici à 2020 (article 1).
208. Le Règlement (UE) 2018/842 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l’action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris et modifiant le Règlement (UE) no 525/2013 (JO 2018/L 156, pp. 26-42) établit pour les États membres des obligations relatives à leurs contributions minimales pour la période 2021‑2030, en vue d’atteindre l’objectif de l’Union de réduire, d’ici à 2030, ses émissions de GES de 30 % par rapport aux niveaux de 2005 dans certains secteurs. Il indique que chaque État membre devra d’ici 2030 limiter ses émissions de GES en respectant au moins le pourcentage fixé pour cet État membre par rapport au niveau de ses émissions de GES en 2005 (article 4 § 1 ; annexe I).
209. Par le Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat (« le règlement sur la gouvernance », JO 2018/L 328, pp. 1-77), l’Union européenne a établi un mécanisme de gouvernance, fondé sur des stratégies à long terme, aux fins de mettre en œuvre des stratégies et des mesures destinées à atteindre les objectifs généraux et les objectifs spécifiques de l’Union de l’énergie ainsi que les engagements à long terme pris par l’Union en ce qui concerne les émissions de GES conformément à l’accord de Paris (article 1).
210. En adoptant la Décision (EU) 2022/591 du 6 avril 2022 relative à un programme d’action général de l’Union pour l’environnement à l’horizon 2030 (JO 2022/L 114, pp. 22-36), le Parlement européen et le Conseil ont établi un programme d’action général dans le domaine de l’environnement pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2030 (le « 8e programme d’action pour l’environnement » ou « 8e PAE »).
211. Le Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) no 401/2009 et (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat ») (JO 2021/L 243, pp. 1‑17) a établi un cadre pour la réduction irréversible et progressive des émissions anthropiques de GES par les sources et le renforcement des absorptions par les puits réglementées dans le droit de l’Union. Le règlement fixe un objectif contraignant de neutralité climatique dans l’Union d’ici à 2050 en vue de la réalisation de l’objectif de température à long terme fixé à l’article 2, paragraphe 1, point a), de l’Accord de Paris, ainsi qu’un objectif contraignant au niveau de l’Union consistant en une réduction nette des émissions de GES dans l’Union pour 2030. Le règlement exige par ailleurs que le budget indicatif prévisionnel de l’Union en matière de GES soit établi et qu’il repose sur les meilleures données scientifiques disponibles.
b) Concernant l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice en matière d’environnement
212. Par le Règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006/L 264, pp. 13-19), la Communauté européenne avait garanti au public le droit d’accès aux informations environnementales reçues ou établies par les institutions ou organes communautaires (article 1).
213. Ce règlement a été modifié récemment, à la suite des conclusions et recommandations formulées en 2017 par le Comité d’examen du respect des dispositions de la Convention d’Aarhus concernant une communication que lui avait adressée une ONG relativement au respect par l’Union européenne de la Convention d’Aarhus (en particulier de ses articles 3 § 1 et 9 §§ 2, 3, 4 et 5).[140]
214. En conséquence, le Règlement (UE) 2021/1767 du 6 octobre 2021 modifiant le règlement (CE) no 1367/2006 concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement a élargi le champ des actes pouvant faire l’objet d’un réexamen interne et celui des personnes habilitées à solliciter pareil réexamen. Les dispositions pertinentes du règlement (CE) no 1367/2006 (version consolidée) sont ainsi libellées :
Article 2
Définitions
« (...)
g) [par] « acte administratif », [on entend] tout acte non législatif adopté par une institution ou un organe de l’Union, ayant un effet juridique et extérieur et contenant des dispositions qui peuvent aller à l’encontre du droit de l’environnement au sens de l’article 2, paragraphe 1, point f) ;
h) [par] « omission administrative », [on entend] toute carence d’une institution ou d’un organe de l’Union à adopter un acte non législatif ayant un effet juridique et extérieur, lorsque cette carence peut aller à l’encontre du droit de l’environnement au sens de l’article 2, paragraphe 1, point f). »
Article 10
Demande de réexamen interne d’actes administratifs
« 1. Toute organisation non gouvernementale ou d’autres membres du public satisfaisant aux critères énoncés à l’article 11 sont habilités à introduire une demande de réexamen interne auprès de l’institution ou de l’organe de l’Union qui a adopté l’acte administratif ou, en cas d’allégation d’omission administrative, qui était censé avoir adopté un tel acte, au motif que ledit acte ou ladite omission va à l’encontre du droit de l’environnement au sens de l’article 2, paragraphe 1, point f)
(...) »
Article 11
Conditions liées à l’habilitation au niveau de l’Union
« 1. Une organisation non gouvernementale est habilitée à introduire une demande de réexamen interne conformément à l’article 10, à condition que :
a) cette organisation soit une personne morale indépendante et sans but lucratif en vertu du droit ou de la pratique nationaux d’un État membre ;
b) cette organisation ait pour objectif premier déclaré de promouvoir la protection de l’environnement dans le cadre du droit de l’environnement ;
c) cette organisation existe depuis plus de deux ans et qu’elle poursuive activement l’objectif visé au point b) ;
d) l’objet de la demande de réexamen interne introduite par cette organisation s’inscrive dans son objectif et ses activités.
1 bis. D’autres membres du public peuvent également introduire une demande de réexamen interne, sous réserve des conditions suivantes :
a) ils démontrent que l’infraction alléguée au droit de l’environnement de l’Union porte atteinte à leurs droits et que, contrairement au reste du public, ils sont directement affectés par cette atteinte ; ou
b) ils démontrent qu’il existe un intérêt public suffisant et que la demande est soutenue par au moins 4 000 membres du public qui résident ou sont établis dans au moins cinq États membres et qu’au moins 250 membres du public proviennent de chacun de ces États membres.
Dans les cas visés au premier alinéa, les membres du public sont représentés par une organisation non gouvernementale satisfaisant aux critères énoncés au paragraphe 1 ou par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre. Cette organisation non gouvernementale ou cet avocat coopère avec l’institution ou organe de l’Union concerné afin d’établir que les conditions quantitatives énoncées au premier alinéa, point b), sont remplies, le cas échéant, et fournit sur demande des éléments de preuve supplémentaires. »
La jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de l’Union européenne
215. En 1991, la Commission européenne décida d’accorder à l’Espagne une assistance financière du Fonds européen de développement régional pour la construction de deux centrales électriques aux îles Canaries. En 1993, Greenpeace saisit le Tribunal de première instance (« le TPI », aujourd’hui le Tribunal) d’un recours qui visait à l’annulation de la décision de la Commission de verser ces fonds à l’Espagne, ainsi que d’une autre décision – prise plus tard par la Commission, selon Greenpeace – de rembourser des frais supplémentaires engagés pour la construction des centrales électriques. En 1995, le TPI rejeta l’action en annulation de l’association requérante au motif que cette dernière n’avait pas qualité pour agir. Dans son pourvoi, l’association requérante soutint d’une part que, en appliquant la jurisprudence sur la qualité pour agir développée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans le cadre des questions économiques, le TPI n’avait pas tenu compte de la nature et du caractère spécifique des intérêts environnementaux qui fondaient son recours et, d’autre part, que « l’approche suivie par le [TPI] [avait] conduit à un vide juridique en matière de contrôle du respect de la législation communautaire de l’environnement, dans la mesure où, dans ce domaine, les intérêts [étaient] par nature communs et partagés et où les droits respectifs [étaient] susceptibles d’être détenus par un nombre potentiellement élevé de particuliers, en sorte qu’il ne [pouvait] jamais y avoir un cercle fermé de requérants qui puisse satisfaire aux critères retenus par le [TPI] » (arrêt rendu par la CJUE le 2 avril 1998 dans l’affaire Stichting Greenpeace Council (Greenpeace International) et autres c. Commission, C‑321/95 P, EU:C:1998:153, paragraphes 17‑18). La CJUE a répondu en statuant comme suit (ibidem, paragraphes 27-30 et 33) :
« [L’]interprétation de l’article 173, quatrième alinéa, du traité [l’actuel article 263 du TFUE], retenue par le [TPI] pour conclure au défaut de qualité pour agir des requérants, est conforme à la jurisprudence constante de la Cour [de justice].
En effet, s’agissant des personnes physiques, il résulte de la jurisprudence (...) que, dans le cas où, comme en l’espèce, la situation particulière du requérant n’a pas été prise en considération lors de l’adoption de l’acte, lequel le concerne de manière générale et abstraite et, en fait, comme toute autre personne se trouvant dans la même situation, ce requérant n’est pas individuellement concerné par ledit acte.
Il en est de même en ce qui concerne les associations qui fondent leur qualité pour agir sur la circonstance que les personnes qu’elles représentent sont individuellement concernées par la décision attaquée. Pour les raisons indiquées au point précédent, tel n’est pas le cas.
Pour apprécier les arguments des requérants visant à démontrer que la jurisprudence de la Cour [de Justice] appliquée par le [TPI] ne tient pas compte de la nature et du caractère spécifique des intérêts environnementaux qui fondent leurs recours, il convient de souligner que c’est la décision de construction des deux centrales en cause qui serait de nature à porter atteinte aux droits en matière d’environnement dont les requérants se prévalent, droits qui découlent de la directive 85/337.
(...) [C]es droits se trouvent, en l’espèce, pleinement protégés par les juridictions nationales qui, le cas échéant, peuvent saisir la Cour [de justice] d’une question préjudicielle en vertu de l’article 177 du traité [l’actuel article 267 du TFUE]. »
216. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 25 juillet 2002 dans l’affaire Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil de l’Union européenne (C-50/00 P, EU:C:2002:462, paragraphes 40-41), la CJUE a confirmé comme suit ce raisonnement sur les conditions strictes que doivent remplir les personnes physiques ou morales afin d’avoir la qualité pour former un recours en annulation :
« [L]e traité, par ses articles 173 et 184 [les actuels articles 263 et 277 du TFUE], d’une part, et par son article 177 [l’actuel article 267 du TFUE], d’autre part, a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions, en le confiant au juge communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23). Dans ce système, des personnes physiques ou morales ne pouvant pas, en raison des conditions de recevabilité visées à l’article 173 [l’actuel article 263 du TFUE], quatrième alinéa, du traité, attaquer directement des actes communautaires de portée générale, ont la possibilité, selon les cas, de faire valoir l’invalidité de tels actes soit, de manière incidente en vertu de l’article 184 du traité [l’actuel 277 du TFUE], devant le juge communautaire, soit devant les juridictions nationales et d’amener celles-ci, qui ne sont pas compétentes pour constater elles-mêmes l’invalidité desdits actes (voir arrêt du 22 octobre 1987, 314/85, Foto-Frost, Rec. p. 4199, point 20), à interroger à cet égard la Cour par la voie de questions préjudicielles.
Ainsi, il incombe aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures permettant d’assurer le respect du droit à une protection juridictionnelle effective. »
217. En 2021, la CJUE a rejeté deux recours en annulation dans des affaires concernant le changement climatique. Dans l’une, les requérants avaient sollicité l’annulation du paquet législatif sur les émissions de GES (Armando Carvalho e.a.[141]) ; dans l’autre, les requérants avaient demandé l’annulation partielle de la Directive (UE) 2018/2001 du 11 décembre 2018, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (Peter Sabo e.a.[142]). S’appuyant sur sa jurisprudence constante relative à l’article 263 § 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) (JO 2016/C 202/01, p. 47), sur la qualité des personnes physiques ou morales pour former un recours en annulation, la CJUE a confirmé que les auteurs d’un tel recours devaient être en mesure de démontrer qu’ils sont individuellement concernés par les actes litigieux, condition qui n’était remplie par les requérants d’aucune des deux affaires en question.
218. Les parties pertinentes de l’arrêt rendu par la CJUE dans l’affaire Armando Carvalho e.a., qui a été tranchée par une chambre de trois juges, se lisent comme suit :
« 40. [L]e Tribunal a, en substance, considéré (...) que le fait que les incidences liées au changement climatique puissent être différentes à l’égard d’une personne de ce qu’elles sont à l’égard d’une autre et qu’elles dépendent des circonstances personnelles propres à chaque personne ne signifie pas que les actes litigieux individualisent chacun des requérants. En d’autres termes, le fait que les requérants, par les circonstances alléguées, soient affectés de manière différente par le changement climatique ne suffit pas à lui seul à constater la qualité de ces requérants pour intenter une action en annulation d’une mesure d’application générale telle que les actes litigieux.
41. De ce fait, le Tribunal a jugé, au point 50 de l’ordonnance attaquée, que l’interprétation faite par les requérants des circonstances alléguées par ceux-ci comme établissant leur affectation individuelle priverait les exigences de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, de leur substance et créerait un droit à agir pour tous sans que le critère de l’affectation individuelle au sens de l’arrêt Plaumann soit satisfait.
42. Par conséquent, les requérants ne sauraient faire valoir que le Tribunal n’a pas pris en compte, dans l’ordonnance attaquée, les caractéristiques qui leur sont propres pour déterminer leur affectation individuelle.
43. Par ailleurs, l’argument des requérants selon lequel le Tribunal n’a fait, dans l’ordonnance attaquée, aucune référence aux éléments de preuve démontrant que les requérants ont été affectés de manière différente par le changement climatique est, compte tenu de ce qui précède, inopérant.
(...)
46. En effet, selon une jurisprudence constante, qui n’a pas été modifiée par le traité de Lisbonne, les personnes physiques ou morales ne satisfont à la condition relative à l’affectation individuelle que si l’acte attaqué les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle d’un destinataire (arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 71 et 72 ainsi que jurisprudence citée).
47. À cet égard, comme le Parlement le relève, le raisonnement des requérants, outre sa formulation générique, amène à considérer qu’il existe un droit à agir pour tout requérant, puisqu’un droit fondamental est toujours susceptible d’être concerné d’une manière ou d’une autre par des actes d’application générale tels ceux contestés en l’espèce.
48. Ainsi qu’il a été rappelé par le Tribunal, au point 48 de l’ordonnance attaquée, l’allégation selon laquelle les actes litigieux violent les droits fondamentaux ne suffit pas à elle seule à déclarer recevable le recours d’un particulier, sous peine de vider les exigences de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, de leur substance (voir, en ce sens, ordonnances du 10 mai 2001, FNAB e.a./Conseil, C‑345/00 P, EU:C:2001:270, point 40, ainsi que du 14 janvier 2021, Sabo e.a./Parlement et Conseil, C‑297/20 P, non publiée, EU:C:2021:24, point 29 ainsi que jurisprudence citée).
49. Or, dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 46 de l’ordonnance attaquée, les requérants se sont bornés à invoquer, devant le Tribunal, une violation de leurs droits fondamentaux en en déduisant une affectation individuelle, au motif que les effets du changement climatique et, partant, la violation des droits fondamentaux seraient uniques et différents pour chaque individu, il convient de constater qu’il ne saurait être considéré que les actes litigieux atteignent les requérants en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle d’un destinataire.
50. Dès lors, le Tribunal a pu considérer, à bon droit, au point 49 de l’ordonnance attaquée, que les requérants n’ont pas établi que les dispositions attaquées des actes litigieux étaient de nature à les individualiser, d’une manière analogue à celle du destinataire de ces dispositions, par rapport à toute autre personne physique ou morale concernée par ces dispositions. »
219. Évoquant le fait que, en vertu du droit de l’UE, des recours en annulation formés par des associations avaient été jugés recevables, notamment dans la situation où l’association représentait les intérêts de ses membres et où ces derniers auraient eux-mêmes été fondés à agir, la CJUE a dit ceci (ibidem) :
« 89. En effet, pour autant que les requérants, en tant que personnes physiques, ont été considérés comme n’étant pas individuellement affectés, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, la même considération s’impose à l’égard des membres de cette association. Ces derniers ne sauraient donc faire valoir qu’ils possèdent des qualités qui les individualisent par rapport aux autres destinataires potentiels des actes litigieux.
90. En ce qui concerne la première condition, il convient de rappeler que des associations ont un droit de recours contre un acte de l’Union lorsque des dispositions du droit de l’Union reconnaissent spécifiquement à ces associations des droits procéduraux (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 1983, Fediol/Commission, 191/82, EU:C:1983:259, point 28). Or, l’association Sáminuorra n’a pas fait valoir l’existence de telles dispositions en sa faveur.
91. S’agissant de l’argument selon lequel le Tribunal aurait dû reconnaître l’existence d’une autre situation dans laquelle des associations seraient recevables à agir, à savoir « le recours d’un collectif défendant un bien collectif », cet argument n’a pas été avancé en première instance et doit, par conséquent, en vertu de l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, être rejeté comme étant irrecevable dans le cadre du présent pourvoi.
92. En effet, permettre aux requérants de soulever pour la première fois devant la Cour des arguments qu’ils n’ont pas soulevés devant le Tribunal reviendrait à les autoriser à saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est donc limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens et aux arguments débattus devant les premiers juges (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, EU:C:2010:346, point 52). »
220. Par ailleurs, dans l’affaire Peter Sabo e.a., la CJUE s’est exprimée ainsi :
« 29. (...) [L’]allégation selon laquelle un acte viole les droits fondamentaux ne suffit pas à elle seule pour que le recours d’un particulier soit déclaré recevable, sous peine de vider les exigences posées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE de leur substance. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’importance de l’atteinte alléguée au respect des droits fondamentaux des requérants ne saurait permettre, en tout état de cause, d’écarter l’application des critères de recevabilité fixés expressément par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (...) »
221. La CJUE possède également une abondante jurisprudence relative à la Convention d’Aarhus, que l’UE a ratifiée en 2005, avant d’adopter divers autres textes juridiques, dont le « règlement d’Aarhus » de 2006 (Règlement (CE) no 1367/2006). Plus récemment, dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 du TFUE, la portée et le contenu des obligations découlant de l’article 9 § 3 de la Convention d’Aarhus (accès à la justice) au regard des règles de l’UE relatives aux émissions des véhicules à moteur ont été examinés dans l’arrêt que la CJUE (grande chambre) a rendu le 8 novembre 2022 dans l’affaire Deutsche Umwelthilfe eV c. Bundesrepublik Deutschland.[143]
222. En ses parties pertinentes, cet arrêt se lit ainsi :
« 1. L’article 9, paragraphe 3, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005, lu en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une association de protection de l’environnement, habilitée à ester en justice conformément au droit national, ne puisse contester devant une juridiction nationale une décision administrative accordant ou modifiant une réception CE par type susceptible d’être contraire à l’article 5, paragraphe 2, du règlement (CE) no 715/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2007, relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules.
(...)
65. Deuxièmement, lorsqu’un État membre établit des règles de droit procédural applicables aux recours visés à l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus et portant sur l’exercice des droits que tire une association de protection de l’environnement de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 715/2007 afin que des décisions des autorités nationales compétentes fassent l’objet d’un contrôle au regard des obligations leur incombant en vertu de cet article, cet État membre met en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, et doit ainsi notamment garantir le respect du droit à un recours effectif, consacré à l’article 47 de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Protect Natur-, Arten- und Landschaftsschutz Umweltorganisation, C‑664/15, EU:C:2017:987, points 44 et 87 ainsi que jurisprudence citée).
66. Partant, s’il est vrai que l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus est dépourvu d’effet direct dans le droit de l’Union et ne peut dès lors être invoqué, en tant que tel, dans le cadre d’un litige relevant du droit de l’Union, afin d’écarter l’application d’une disposition de droit national qui y serait contraire, il n’en demeure pas moins que, d’une part, la primauté des accords internationaux conclus par l’Union commande de donner, dans toute la mesure du possible, au droit national une interprétation conforme aux exigences de ceux-ci et, d’autre part, que cette disposition, lue en combinaison avec l’article 47 de la Charte, impose aux États membres l’obligation d’assurer une protection juridictionnelle effective des droits conférés par le droit de l’Union, notamment des dispositions du droit de l’environnement (arrêt du 20 décembre 2017, Protect Natur-, Arten- und Landschaftsschutz Umweltorganisation, C‑664/15, EU:C:2017:987, point 45).
67. Or, le droit de recours prévu à l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus, qui a pour objectif de permettre d’assurer une protection effective de l’environnement (arrêt du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie, C‑240/09, EU:C:2011:125, point 46), serait vidé de tout effet utile, voire de sa substance même, s’il devait être admis que, par l’imposition de critères prévus par le droit interne, certaines catégories des « membres du public », a fortiori des « membres du public concerné » telles les associations de protection de l’environnement répondant aux exigences posées à l’article 2, paragraphe 5, de la convention d’Aarhus, se voient dénier tout droit de recours contre des actes ou des omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre de certaines catégories de dispositions du droit national de l’environnement (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Protect Natur-, Arten‑und Landschaftsschutz Umweltorganisation, C‑664/15, EU:C:2017:987, point 46).
68. L’imposition de ces critères ne saurait en particulier priver les associations de protection de l’environnement de la possibilité de faire contrôler le respect des normes issues du droit de l’Union de l’environnement, dès lors également que de telles normes sont, le plus souvent, tournées vers l’intérêt général et non vers la seule protection des intérêts des particuliers pris individuellement et que ces associations ont pour mission de défendre l’intérêt général (arrêt du 20 décembre 2017, Protect Natur-, Arten- und Landschaftsschutz Umweltorganisation, C‑664/15, EU:C:2017:987, point 47 ainsi que jurisprudence citée). »
Textes émanant d’autres mécanismes régionaux de protection des droits de l’homme
Le système interaméricain
a) Les instruments pertinents
223. La Convention américaine relative aux droits de l’homme[144] ne contient aucune disposition particulière sur la protection d’un droit fondamental à un environnement sain. Cependant, le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels[145] contient la disposition suivante :
Article 11
Droit à un environnement salubre
« 1. Toute personne a le droit de vivre dans un environnement salubre et de bénéficier des équipements collectifs essentiels.
2. Les États parties encourageront la protection, la préservation et l’amélioration de l’environnement. »
224. La Convention interaméricaine sur la protection des droits fondamentaux des personnes âgées[146] dispose :
Article 25
Droit à un environnement sain
« Les personnes âgées ont le droit de vivre dans un environnement sain et de disposer des services publics de base. À cette fin, les États parties adoptent les mesures pertinentes pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit, notamment les mesures suivantes :
a. Encourager le plein épanouissement des personnes âgées en harmonie avec la nature.
b. Garantir l’accès des personnes âgées, dans des conditions d’égalité avec d’autres groupes, aux services publics de base d’eau potable et d’assainissement, entre autres. »
b) La Cour interaméricaine des droits de l’homme
225. Le 15 novembre 2017, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a rendu un avis consultatif sur l’environnement et les droits de l’homme[147]. Elle y déduit de l’article 26 de la Convention américaine (droits économiques, sociaux et culturels) le droit à un environnement sain. La partie pertinente des conclusions de l’avis consultatif se lit comme suit (traduction du greffe) :
« Conclusions (...)
242. Eu égard à ce qui précède, et en réponse aux deuxième et troisième questions posées par l’État requérant, la Cour considère que, pour respecter et garantir le droit à la vie et le droit à l’intégrité personnelle :
a. Les États ont l’obligation de prévenir tout dommage environnemental important sur leur territoire ou en dehors de celui-ci (paragraphes 127 à 174 du présent avis).
b. Pour se conformer à l’obligation de prévention, les États doivent réglementer, superviser et contrôler les activités relevant de leur juridiction qui sont susceptibles de provoquer des dommages environnementaux importants, réaliser des études d’impact environnemental en présence d’un risque de dommage environnemental important, préparer un plan d’urgence dans le but d’établir des mesures et procédures de sécurité destinées à minimiser le risque d’accidents environnementaux majeurs, et atténuer tout dommage environnemental important ayant pu se produire, même s’il s’est produit malgré les actions préventives de l’État (paragraphes 141 à 174 du présent avis).
c. Les États doivent agir conformément au principe de précaution afin de protéger le droit à la vie et le droit à l’intégrité personnelle en cas de dommage potentiel grave ou irréversible à l’environnement, et ce même en l’absence de certitude scientifique (paragraphe 180 du présent avis).
d. Les États ont l’obligation de coopérer de bonne foi pour prévenir les dommages environnementaux (paragraphes 181 à 210 du présent avis).
e. Pour se conformer à l’obligation de coopération, lorsqu’ils se rendent compte qu’une activité planifiée relevant de leur juridiction pourrait présenter une menace de dommage transfrontière important, ainsi qu’en cas d’urgence environnementale, les États doivent informer les autres États potentiellement touchés ; ils doivent aussi procéder à des consultations et négociations de bonne foi avec les États potentiellement touchés par un dommage transfrontière important (paragraphes 187 à 210 du présent avis).
f. Les États ont l’obligation de garantir le droit d’accès à l’information, énoncé à l’article 13 de la Convention américaine, concernant d’éventuelles conséquences pour l’environnement (paragraphes 213 à 225 du présent avis).
g. Les États ont l’obligation de garantir aux personnes relevant de leur juridiction le droit pour le public de participer – énoncé à l’article 23 § 1 a) de la Convention américaine – aux politiques et à la prise de décisions pouvant avoir une incidence sur l’environnement (paragraphes 226 à 232 du présent avis).
h. Les États sont tenus d’assurer l’accès à la justice relativement aux obligations de l’État en matière de protection de l’environnement énoncées dans le présent avis (paragraphes 233 à 240).
243. Les obligations décrites ci-dessus ont été définies relativement aux exigences générales de respect et de garantie du droit à la vie et du droit à l’intégrité personnelle, car il s’agit des droits que l’État a mentionnés dans sa demande (paragraphes 37, 38, 46 et 69 ci-dessus). Toutefois, cela ne signifie pas que ces obligations n’existent pas relativement aux autres droits décrits dans le présent avis comme étant particulièrement vulnérables en cas de dégradation de l’environnement (paragraphes 56 à 69 ci‑dessus). »
226. Dans l’arrêt Communautés autochtones de l’Association Lhaka Honhat (Notre terre) c. Argentine[148], rendu en 2020, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a jugé l’Argentine responsable d’une violation des droits fondamentaux des communautés autochtones en raison de son manquement à reconnaître et à protéger leurs terres. Dans cette affaire, la juridiction interaméricaine a examiné de manière autonome les droits à un environnement sain, à une alimentation adéquate, à l’eau et à l’identité culturelle.
227. En janvier 2023, la Colombie et le Chili ont soumis une nouvelle demande[149] d’avis consultatif à la Cour interaméricaine, priant celle-ci de clarifier la portée des obligations qui incombent aux États, dans leur dimension individuelle et collective, afin qu’ils répondent à l’urgence climatique dans le cadre du droit international des droits de l’homme, en accordant une attention particulière aux effets différenciés de cette urgence sur les individus de diverses régions et de divers groupes de la population, ainsi que sur la nature et la survie de l’espèce humaine sur la planète.
c) La Commission interaméricaine des droits de l’homme
228. En mars 2022, la Commission interaméricaine des droits de l’homme et le Bureau du Rapporteur spécial sur les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux ont publié une résolution reconnaissant que le changement climatique constitue une urgence en matière de droits de l’homme[150].
Le système africain
229. La disposition pertinente de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples[151] se lit ainsi :
Article 24
« Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement. »
230. Le 14 mai 2019, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté une Résolution sur les impacts, en matière de droits de l’homme, des conditions climatiques extrêmes en Afrique orientale et australe dues au changement climatique[152]. La Commission y traite des conséquences de ce phénomène sur les droits de l’homme.
231. Dans l’affaire Social and Economic Action Rights Centre v. Nigeria[153], la Commission africaine s’est prononcée comme suit (traduction du greffe, notes de bas de page omises) :
« 50. Les requérants allèguent que le gouvernement nigérian a violé le droit à la santé et le droit à un environnement propre reconnus par les articles 16 et 24 de la Charte africaine (...)
51. Ces droits consacrent l’importance d’un environnement propre et sûr, aspect qui est étroitement lié aux droits économiques et sociaux dès lors que l’environnement a une incidence sur la qualité de vie et la sécurité de l’individu. Ainsi que Alexander Kiss l’a justement fait observer, « un environnement dégradé par la pollution et défiguré par la destruction de toute beauté et de toute variété est aussi dommageable à des conditions de vie satisfaisantes et au développement que la rupture des équilibres écologiques fondamentaux est néfaste pour la santé physique et morale ».
52. Le droit à un environnement satisfaisant et global garanti par l’article 24 de la Charte africaine, ou le droit à un environnement sain, ainsi qu’il est communément appelé, impose donc des obligations claires à un gouvernement. Il exige de l’État qu’il prenne des mesures raisonnables et d’autres initiatives afin de prévenir la pollution et la dégradation de l’environnement, de favoriser la préservation et d’assurer un développement et une utilisation des ressources naturelles qui soient écologiquement durables. L’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), auquel le Nigéria est partie, impose aux gouvernements de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’amélioration de tous les aspects de l’hygiène du milieu et de l’hygiène industrielle. Le droit [pour toute personne] de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre, énoncé à l’article 16 § 1 de la Charte africaine, et le droit à un environnement satisfaisant et global propice au développement (article [24]), déjà mentionné, obligent les gouvernements à s’abstenir de menacer directement la santé et l’environnement de leurs citoyens. L’État est tenu de respecter les droits susmentionnés, ce qui implique une conduite essentiellement non interventionniste : il doit par exemple se garder d’appliquer, de soutenir ou de tolérer toute pratique, politique ou mesure juridique portant atteinte à l’intégrité de l’individu.
53. Le respect par un gouvernement de l’esprit des articles 16 et 24 de la Charte africaine doit aussi englober les actes consistant à demander ou, à tout le moins, à autoriser une surveillance scientifique indépendante des milieux menacés, à requérir et à publier des études d’impact environnemental et social avant tout aménagement industriel majeur, à mettre en place un suivi approprié et à fournir des informations aux communautés exposées à des matières et activités dangereuses, et à offrir aux individus des possibilités satisfaisantes d’être entendus et de participer aux décisions relatives au développement qui concernent leur communauté.
(...)
68. Le caractère unique de la situation en Afrique et les spécificités de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples imposent à la Commission africaine une mission importante. Le droit international et les droits de l’homme doivent tenir compte du contexte africain. Il est évident que les droits collectifs, les droits environnementaux et les droits économiques et sociaux constituent des éléments essentiels des droits de l’homme en Afrique. La Commission africaine applique chacun des divers droits protégés par la Charte africaine. Elle se félicite de cette occasion qui lui est donnée de dire clairement que la Charte africaine ne contient aucun droit qui ne puisse être rendu effectif. Or, comme indiqué dans les paragraphes précédents, le gouvernement nigérian ne s’est pas montré à la hauteur des attentes minimales de la Charte africaine. »
DROIT COMPARÉ
Éléments de droit comparé concernant la Convention d’Aarhus
232. Sur les quarante-six États membres que compte le Conseil de l’Europe, seuls cinq n’ont pas ratifié la Convention d’Aarhus[154]. Dans la grande majorité des trente-huit États membres étudiés par la Cour[155] (dans trente-quatre États au moins), les associations non gouvernementales de défense de l’environnement sont autorisées à engager des actions en justice dans l’intérêt de la protection de l’environnement et/ou dans l’intérêt de particuliers susceptibles d’être touchés par des risques environnementaux ou des projets industriels spécifiques.
233. L’association non gouvernementale concernée doit toutefois remplir certains critères. Dans presque tous les États membres étudiés, il doit y avoir un lien entre les buts qu’elle poursuit selon ses statuts et les intérêts qu’elle cherche à protéger. Dans onze États membres, les associations de ce type doivent avoir existé ou avoir pris une part active à la protection de l’environnement pendant un certain temps avant de pouvoir engager une action en justice ; dans huit États membres, l’association qui saisit la justice doit exercer ses activités dans une zone géographique particulière. Certains États membres subordonnent la reconnaissance de la qualité pour agir d’une association à des critères supplémentaires, qui sont toutefois moins fréquents, à savoir : la taille de l’association, la participation antérieure de l’association au processus décisionnel, l’organisation interne de l’association, l’interdiction pour l’association ou ses dirigeants de prendre part à des activités lucratives, et l’exigence générale de légalité des activités de l’association. Dans certains systèmes, en outre, la qualité pour agir de l’association peut dépendre de celle des personnes physiques susceptibles d’être directement touchées par des risques environnementaux. La qualité pour agir de l’association peut être établie directement par le juge ou, ce qui est le cas dans six États membres, au moyen d’un mécanisme prévoyant la délivrance d’une accréditation préalable par une autorité administrative.
234. Concernant les affaires relatives au changement climatique, l’étude montre que dans la plupart des États membres il est possible en théorie, ou il ne peut être exclu, qu’une association environnementale engage une action en la matière ; cependant, il n’existe pas de jurisprudence concluante sur ce point, voire pas de jurisprudence du tout. Dans sept États membres, pareille action formée par une association de défense de l’environnement ne serait probablement pas admise dans l’ordre juridique national. Dans cinq autres États membres (l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Irlande et les Pays‑Bas), la possibilité pour une telle association de saisir les tribunaux d’une action relative au changement climatique, sous certaines conditions (le grief doit pouvoir donner lieu à une action en justice), a été examinée par les juridictions internes.
Éléments de jurisprudence interne concernant le changement climatique
235. Ci-dessous sont présentés des extraits de décisions que des juridictions nationales d’États membres du Conseil de l’Europe ont rendues dans des affaires relatives au changement climatique.
France
a) L’affaire Commune de Grande-Synthe
236. Les circonstances précises de l’affaire Commune de Grande‑Synthe, qui a été examinée par le Conseil d’État, sont exposées dans la décision Carême c. France ([GC], no 7189/21, 9 avril 2024). Dans cette affaire, à la suite d’un recours qui avait été formé par M. Carême, agissant en son nom personnel et en sa qualité de maire de la commune de Grande-Synthe, au nom et pour le compte de celle-ci, le Conseil d’État a admis la recevabilité du recours exercé par la commune et déclaré irrecevable celui formé par M. Carême. Il a considéré que les mesures prises par les autorités pour faire face au changement climatique n’avaient pas été suffisantes et a enjoint à ces dernières de prendre des mesures supplémentaires avant le 31 mars 2022 afin d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES fixés par la législation nationale et l’annexe I du règlement (UE) 2018/842.
b) Les recours pour excès de pouvoir tendant à faire respecter les valeurs limites de concentrations en particules fines et dioxyde d’azote
237. Par une décision du 12 juillet 2017, le Conseil d’État, qui avait été saisi d’un recours pour excès de pouvoir, a annulé les décisions implicites de refus du Président de la République, du Premier ministre et des ministres chargés de l’environnement et de la santé, et enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre, avant le 31 mars 2018, toutes mesures utiles et d’élaborer des plans conformes à l’article 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 permettant de réduire, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote (voir Conseil d’État, Assemblée, 10 juillet 2020, Association Les Amis de la Terre France et autres, no 428409).
238. Se référant notamment aux valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote fixées par la directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe[156], et au dépassement, dans certaines zones du territoire français, de ces valeurs chaque année de 2012 à 2014, le Conseil d’État a estimé que l’autorité investie du pouvoir réglementaire avait méconnu ses obligations en refusant d’élaborer, pour les zones concernées, des plans relatifs à la qualité de l’air conformes aux dispositions de la directive et aux dispositions de transposition de cette directive en droit national.
239. Le Conseil d’État a précisé dans cet arrêt que l’annulation des décisions implicites de refus impliquait nécessairement que soient prises toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en œuvre les plans relatifs à une qualité de l’air appropriée.
c) Les recours de plein contentieux tendant à faire respecter l’objectif de réduction des émissions de GES
240. Dans une autre affaire plus récente dite « l’Affaire du siècle », qui avait trait à l’objectif de réduction des émissions de GES et qui relevait cette fois du plein contentieux, le tribunal administratif de Paris, s’inspirant de l’affaire Commune de Grande-Synthe, a reconnu par un jugement du 3 février 2021 que des associations de défense de l’environnement étaient « fondées à soutenir qu’à hauteur des engagements [que l’État] avait pris et qu’il n’a pas respectés dans le cadre du premier budget carbone, [il devait] être regardé comme responsable d’une partie du préjudice écologique, au sens (...) de l’article 1246 du code civil ». Cet article, tel que modifié par la loi no 2016‑1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dispose que « toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer » (tribunal administratif de Paris, 3 février 2021, Oxfam France et autres, no 1904967).
241. Concernant les engagements de l’État français et l’obligation générale de lutte contre le changement climatique, le tribunal administratif de Paris s’est fondé sur les mêmes textes que ceux invoqués dans l’affaire Commune de Grande-Synthe, à savoir : d’une part, les engagements de la France tels que prévus par la CCNUCC, l’Accord de Paris, la décision no 406/2009/CE du 23 avril 2009 relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et le règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre ; d’autre part, l’article L. 100-4 du code de l’énergie et l’article L. 222-1 B du code de l’environnement. Le tribunal administratif s’est également fondé sur l’article 3 de la Charte de l’environnement, qui rappelle l’existence d’un principe de prévention d’ores et déjà présent dans la loi et dispose que « [t]oute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ». Le tribunal administratif a déduit qu’il résultait de l’ensemble de ces textes que l’État français « [avait] reconnu l’existence d’une « urgence » à lutter contre le dérèglement climatique en cours, [avait] également reconnu sa capacité à agir effectivement sur ce phénomène pour en limiter les causes et en atténuer les conséquences néfastes » et « [avait] choisi (...) d’exercer son pouvoir de réglementation, notamment en menant une politique publique de réduction des émissions de [GES] émis depuis le territoire national, par laquelle il s’est engagé à atteindre, à des échéances précises et successives, un certain nombre d’objectifs dans ce domaine ».
242. Pour ce qui est de la mise en œuvre de ces engagements étatiques au regard de l’objectif de réduction des émissions de GES, le tribunal administratif a conclu que « l’État [devait] être regardé comme ayant méconnu le premier budget carbone et [comme n’ayant] pas (...) réalisé les actions qu’il avait lui-même reconnues comme étant susceptibles de réduire les émissions de [GES] ». Pour arriver à cette conclusion, le tribunal administratif s’est fondé notamment sur les mêmes rapports du Haut conseil pour le climat que ceux cités par le Conseil d’État dans sa décision sur l’affaire Commune de Grande-Synthe.
243. Rappelant que « l’État ne [pouvait] être regardé comme responsable du préjudice écologique invoqué (...) qu’autant que le non‑respect du premier budget carbone [avait] contribué à l’aggravation des émissions de [GES] », le tribunal administratif a, avant dire-droit, ordonné un supplément d’instruction. Il estimait en effet que l’état de l’instruction ne lui permettait pas de déterminer avec précision les mesures à ordonner pour permettre à l’État d’atteindre les objectifs que la France s’était fixés en matière de réduction des émissions de GES.
244. À l’issue de cette mesure d’instruction, dans un jugement ultérieur du 14 octobre 2021, le tribunal administratif a enjoint au Premier ministre et aux ministres compétents de prendre, au plus tard le 31 décembre 2022, toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et à prévenir l’aggravation des dommages à hauteur de la part non compensée d’émissions de GES au titre du premier budget carbone, soit 15 Mt éqCO2, et sous réserve d’un ajustement tenant compte des estimations du CITEPA (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique) au 31 janvier 2022. Le tribunal administratif considérait que ces mesures concrètes étaient de nature à permettre la réparation du préjudice invoqué (tribunal administratif de Paris, 14 octobre 2021, Oxfam France et autres, no 1904967). À ce stade, il n’a pas assorti l’injonction d’une astreinte.
245. Dans ses conclusions sur la seconde décision du Conseil d’État dans l’affaire Commune de Grande-Synthe, en date du 1er juillet 2021, le rapporteur public a consacré les développements suivants à la spécificité des affaires climatiques examinées en France en regard de celles traitées dans d’autres États européens :
« L’affaire devant vous appartient (...) [à la catégorie des actions dirigées contre la politique climatique des États], le recours pour excès de pouvoir, au sein duquel les contentieux climatiques prennent là encore des formes variées. Une des distinctions majeures entre ces contentieux est la norme invoquée pour demander l’annulation : elle peut reposer sur la méconnaissance des droits humains, c’est en particulier le terrain retenu par la cour suprême des Pays-Bas dans l’affaire Urgenda, ou sur des normes spécifiques d’émission de [GES] qui s’imposent aux États ou aux gouvernements, normes qui peuvent être tirées du droit international, lorsqu’il est invocable devant le juge national, qui peuvent être constitutionnelles comme dans l’affaire devant [la Cour constitutionnelle allemande] (...), ou qui peuvent être législatives, comme dans l’affaire qui nous occupe, ou comme dans l’affaire Friends of the Irish Environnement.
Le dernier embranchement dans lequel il faut s’engager pour cerner le contentieux dont vous êtes saisi est sans doute le plus délicat : tous ces contentieux visent à stigmatiser les insuffisances d’une politique climatique. »
246. À l’occasion de son discours du 21 mai 2021 devant la Cour de cassation sur le thème « L’environnement : les citoyens, le droit, les juges »[157], le vice-président du Conseil d’État, Bruno Lasserre, s’est exprimé comme suit au sujet des premières décisions rendues par les juridictions administratives (celle rendue par le Conseil d’État le 19 novembre 2020 dans l’affaire Commune de Grande-Synthe, celle rendue par l’Assemblée du Conseil d’État le 10 juillet 2020 sur la requête de l’Association Les Amis de la Terre France, et celle rendue le 3 février 2021 par le tribunal administratif de Paris dans « l’Affaire du Siècle ») :
« (...) [une des innovations de ces jurisprudences] concerne la portée juridique conférée d’une part à l’Accord de Paris, auquel le Conseil d’État, suivi en cela par le tribunal administratif de Paris, a pour la première fois reconnu une force interprétative ; aux objectifs de réduction des émissions de [GES] inscrits dans le droit de l’Union et la loi nationale d’autre part, puisque le juge administratif franchit un pas décisif en jugeant que ces objectifs ne sont pas simplement programmatiques, mais bien contraignants. Le Conseil d’État a ce faisant ouvert une nouvelle veine dans un contentieux climatique que les juridictions [nationales] avaient jusque-là essentiellement appréhendé par le biais des droits fondamentaux, tout du moins dans leurs décisions les plus emblématiques. Ainsi, par exemple, les décisions Urgenda, fondées sur les articles 2 et 8 de la convention européenne des droits de l’homme, et la récente décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui repose sur une disposition de la Loi fondamentale protégeant les « fondements naturels de la vie ». Or l’approche du juge varie sensiblement selon qu’il vérifie que l’État respecte des engagements précis et détaillés ou qu’il se demande si son action est conforme à des principes aussi généraux que le droit à la vie ou le droit au respect de la vie privée. Deux standards qui influent donc sur la méthode et, plus fondamentalement, sur le positionnement du juge (...)
Enfin, le Conseil d’État s’est adapté au temps de la lutte contre le changement climatique en inaugurant un nouveau type de contrôle, qu’on peut appeler contrôle de la trajectoire. Les objectifs inscrits dans le droit ont beau avoir des horizons lointains – 2030, 2040, voire 2050 – le juge ne peut pas attendre dix, vingt ou trente ans pour vérifier qu’ils ont été atteints, sauf à nier l’urgence qu’il y a à agir dès aujourd’hui, sauf à priver d’emblée son contrôle de tout effet utile compte tenu de la très forte inertie du climat. Le contrôle de la trajectoire s’apparente alors à un contrôle de conformité par anticipation, qui amène le juge à s’assurer, à la date à laquelle il statue, non pas que les objectifs ont été atteints, mais qu’ils pourront l’être, qu’ils sont en voie d’être atteints, qu’ils s’inscrivent dans une trajectoire crédible et vérifiable ».
d) Exemples d’injonctions et d’astreintes prononcées en matière de contentieux climatique
247. Statuant le 10 juillet 2020, dans l’affaire Association Les Amis de la Terre France et autres, sur un recours pour excès de pouvoir, le Conseil d’État, après avoir enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’Environnement de prendre toutes les mesures nécessaires au plus tard le 31 mars 2018, a prononcé une astreinte contre l’État pour le cas où il ne justifierait pas, dans les six mois suivant la notification de cette décision, avoir exécuté la décision du 12 juillet 2017, pour chacune des zones concernées ; il a fixé le montant de cette astreinte à 10 millions d’euros (EUR) par semestre jusqu’à la date de l’exécution (Conseil d’État, 10 juillet 2020, Association Les Amis de la Terre France et autres, no 428409).
248. Par la suite, le Conseil d’État a procédé à la liquidation provisoire de l’astreinte prononcée.
249. Par une décision du 4 août 2021, il a condamné l’État, pour la période du 11 janvier au 11 juillet 2021, couvrant un semestre, à verser la somme de 10 millions d’EUR.
250. Dans ses conclusions sur cette affaire, le rapporteur public a consacré les développements suivants à la question de savoir à qui doivent être versées les sommes dues par l’État au titre de l’astreinte dans les contentieux climatiques :
« 4. (...) C’est ici qu’intervient le raisonnement novateur de votre arrêt d’assemblée puisque la règle est celle du second alinéa de l’article L. 911-8, qui prévoit que la part non versée au requérant est affectée au budget de l’État. Toutefois, l’astreinte ayant pour finalité de contraindre la personne morale de droit public (...) à exécuter les obligations qui lui ont été assignées par une décision de justice, ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer lorsque l’État est débiteur de l’astreinte en cause. Dans ce dernier cas, lorsque cela apparaît nécessaire à l’exécution effective de la décision juridictionnelle, la juridiction peut, même d’office, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties ainsi que de la ou des personnes morales concernées, décider d’affecter cette fraction à une personne morale de droit public disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’État et dont les missions sont en rapport avec l’objet du litige ou à une personne morale de droit privé, à but non lucratif, menant, conformément à ses statuts, des actions d’intérêt général également en lien avec cet objet. Ce sont les termes de votre arrêt d’assemblée.
4.1. Pour déterminer les personnes autres que l’État susceptibles de bénéficier du produit de tout ou partie de l’astreinte, (...) Il nous parait en effet important de garder à l’esprit la finalité de l’astreinte, qui est de contraindre l’État à exécuter une décision de justice comme il lui appartient de le faire dans un État de droit. »
251. Suivant ces conclusions, le Conseil d’État a donc ordonné que cette somme de 10 millions d’EUR soit versée à hauteur de 8 800 000 EUR au profit principalement de quatre établissements publics dont les missions sont en rapport avec la défense de l’environnement : l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS). Le reste de la somme devait être versé aux associations de surveillance de la qualité de l’air des régions les plus concernées.
252. Par une décision du 17 octobre 2022, le Conseil d’État a procédé à une nouvelle liquidation provisoire de l’astreinte pour la période du 12 juillet 2021 au 12 juillet 2022, couvrant deux semestres, et condamné l’État à verser la somme de 20 millions d’EUR, dont 16 950 000 EUR au profit principalement des mêmes établissements publics. Dans une nouvelle décision en date du 24 novembre 2023, le Conseil d’État a constaté que la décision du 12 juillet 2017 avait été en partie exécutée et a enjoint à l’État de verser la somme de 10 millions d’EUR aux établissements publics et associations susmentionnés, ainsi qu’à l’Association Les Amis de la Terre France.
253. Enfin, cette même affaire a également donné lieu à un arrêt en manquement prononcé par la CJUE, compte tenu du non-respect par la France des valeurs limites de concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines définies par la Directive 2008/50/CE (arrêt rendu le 24 octobre 2019 dans l’affaire Commission c. France, C-636/18, EU:C:2019:900, paragraphes 44 et 45).
Allemagne
254. Dans l’affaire Neubauer et autres c. République fédérale d’Allemagne[158], la Cour constitutionnelle fédérale allemande (« la CCFA ») a connu de quatre recours constitutionnels relatifs à certaines dispositions de la loi fédérale du 12 décembre 2019 sur le changement climatique (Bundes‑Klimaschutzgesetz) et à une allégation de manquement de l’État à son obligation de prendre des mesures supplémentaires pour réduire les émissions de GES.
255. À l’appui de leurs griefs, les requérants invoquaient le droit à la vie et à l’intégrité physique (article 2 § 2, première phrase, de la Loi fondamentale), le droit de propriété et le droit d’hériter (article 14 § 1 de la Loi fondamentale), ainsi que le droit fondamental à un futur compatible avec la dignité humaine et le droit fondamental à un niveau de vie offrant des standards minimum en matière d’écologie qu’ils tiraient de l’article 2 § 1 combiné avec l’article 20a de la Loi fondamentale et de l’article 2 § 1 combiné avec l’article 1 § 1, première phrase, de cette même Loi.
256. La CCFA a considéré que les dispositions de la loi fédérale sur le changement climatique étaient incompatibles avec les droits fondamentaux en ce qu’elles ne contenaient pas d’indications suffisamment précises concernant la réduction des émissions à compter de 2031. Elle a rejeté les recours constitutionnels sur tous les autres points. Elle a estimé qu’il ne pouvait pas être établi qu’en adoptant ces dispositions le législateur eût bafoué son devoir constitutionnel de protéger les auteurs du recours contre les risques liés au changement climatique ou manqué à l’obligation d’agir en faveur du climat découlant de l’article 20a de la Loi fondamentale. Elle a toutefois jugé que les dispositions contestées avaient bien porté atteinte aux libertés des auteurs du recours, dont certains étaient encore très jeunes, dès lors que de façon irrévocable elles renvoyaient à l’après-2030 le déploiement d’importants efforts de réduction des émissions. Elle a indiqué que la nécessité de réduire les émissions de GES résultait de la Loi fondamentale, notamment de l’objectif constitutionnel en matière de climat découlant de son article 20a. Elle a ajouté que presque tous les aspects de la vie humaine impliquaient encore des émissions de GES et étaient donc potentiellement menacés par des restrictions draconiennes après 2030, et qu’en conséquence ces futures obligations de réduction pesaient sur pratiquement tout type de liberté. Elle en a conclu que le législateur aurait dû adopter des mesures de précaution destinées à atténuer les vastes efforts à déployer, afin de préserver les libertés fondamentales.
257. Le sommaire officiel de l’arrêt résume comme suit les conclusions de la juridiction constitutionnelle (traduction du greffe) :
« 1. La protection de la vie et de l’intégrité physique garantie par la première phrase du second alinéa de l’article 2 de la Loi fondamentale inclut la protection contre les atteintes aux intérêts constitutionnellement garantis résultant de la pollution de l’environnement, quels qu’en soient les auteurs et les causes. L’obligation de protection que la première phrase du second alinéa de l’article 2 de la Loi fondamentale fait peser sur l’État inclut également le devoir de protéger la vie et la santé contre les risques liés au changement climatique. Elle peut en outre faire naître une obligation objective de protection des générations futures.
2. L’article 20a de la Loi fondamentale fait obligation à l’État de protéger le climat, ce qui inclut notamment de parvenir à la neutralité climatique.
a. L’article 20a de la Loi fondamentale ne bénéficie pas d’une primauté absolue vis‑à‑vis des autres intérêts, droits et principes constitutionnels, et il doit, en cas de conflit, être concilié avec ceux-ci. Dans cet exercice de mise en balance, l’obligation de protection du climat prend d’autant plus d’importance que le changement climatique s’intensifie.
b. En cas d’incertitude scientifique quant aux liens de cause à effet qui existeraient en matière environnementale, le devoir particulier de vigilance que l’article 20a de la Loi fondamentale fait peser sur le législateur, au bénéfice des générations actuelles mais également futures, exige de celui-ci qu’il tienne compte des informations attestant de manière suffisamment fiable de l’existence de risques de dommages environnementaux graves ou irréversibles.
c. Dans la mesure où il consacre une obligation de protection du climat, l’article 20a de la Loi fondamentale comporte une dimension internationale. Ce n’est pas parce que le climat et le réchauffement de la planète constituent des phénomènes mondiaux et que les problèmes causés par le changement climatique ne pourront donc pas être résolus par l’action d’un seul État que se trouve remise en cause l’obligation de protection du climat incombant à l’État. Ladite obligation impose à ce dernier d’agir à l’échelle internationale pour assurer la protection globale du climat et l’oblige à poursuivre cet objectif dans le cadre de la coopération internationale. L’État ne saurait se dégager de sa responsabilité en excipant des émissions de [GES] produites dans d’autres États.
d. Le législateur, dans l’exercice de sa mission et de ses prérogatives de concrétisation de la loi, a défini l’objectif de protection du climat formulé par l’article 20a de la Loi fondamentale en adoptant l’obligation, constitutionnellement conforme, de contenir l’augmentation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 oC par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence en dessous de 1,5 oC.
e. L’article 20a de la Loi fondamentale contient une norme juridique invocable en justice qui a pour but d’imposer au processus politique la prise en compte d’intérêts écologiques, notamment ceux des générations futures.
3. La justification de la constitutionnalité des ingérences de l’État dans les droits fondamentaux suppose, à titre de condition préalable, la compatibilité de celles‑ci avec l’article 20a de la Loi fondamentale.
4. Sous certaines conditions, la Loi fondamentale impose que les libertés constitutionnellement garanties soient préservées dans le temps et que les chances de jouir de ces libertés soient proportionnellement réparties entre les générations. Dans leur dimension subjective, les droits fondamentaux – en tant que garanties de libertés à travers le temps – offrent une protection contre un report unilatéral vers l’avenir de la charge de réduire les émissions de [GES] imposée par l’article 20a de la Loi fondamentale. Le devoir de protection formulé à l’article 20a de la Loi fondamentale englobe en outre, dans sa dimension objective, la nécessité de traiter les fondements naturels de la vie avec suffisamment de soin et de les laisser dans un état suffisant pour que les générations futures ne soient pas contraintes de se plier à une austérité radicale si elles veulent continuer à préserver ces fondements.
La préservation de la liberté future exige en outre que la transition vers la neutralité climatique soit amorcée à temps. Concrètement, il est indispensable de formuler suffisamment tôt des indications transparentes quant au cheminement ultérieur vers la réduction des émissions de [GES], lesquelles indications devront servir de cadre d’orientation pour les processus de conception et de mise en œuvre qui devront s’ensuivre, tout en exerçant une incitation suffisante pour le développement de ces processus et en offrant la sécurité nécessaire à leur planification.
5. Le législateur est tenu de fixer lui-même les dispositions nécessaires relatives aux volumes totaux des émissions autorisées pour une période donnée. En ce qui concerne la méthode d’adoption du cadre juridique relatif aux volumes d’émissions autorisés, une participation du Parlement réduite à la seule approbation par le Bundestag de décrets adoptés par le gouvernement fédéral ne saurait se substituer à la procédure législative, car c’est précisément la publicité caractéristique de cette procédure qui rend ici nécessaire le recours à celle-ci. Il est vrai que, dans des branches du droit caractérisées par un développement continu et des connaissances évolutives, l’établissement d’une législation par la voie parlementaire peut nuire à la protection des droits fondamentaux. Toutefois, l’idée fondamentale en la matière, à savoir celle d’une protection dynamique des droits fondamentaux (voir la décision de principe in Recueil BVerfGE 49, 89 <137>), ne peut pas être opposée ici à l’exigence d’une législation établie par voie parlementaire. Le défi est non pas d’assurer la protection des droits fondamentaux en adaptant le cadre juridique aux nouvelles évolutions et connaissances, mais d’établir un régime qui rende possibles les évolutions futures de la protection des droits fondamentaux. »
Irlande
258. Dans l’affaire Friends of the Irish Environment CLG v. the Government of Ireland, Ireland and the Attorney General[159], la Cour suprême irlandaise était appelée à vérifier le caractère adéquat des mesures prises au niveau national pour faire face au changement climatique, eu égard aux dispositions légales adoptées en 2015, et à examiner des arguments relatifs aux droits – le droit à la vie et le droit à l’intégrité physique – qui étaient formulés sur le terrain de la Constitution et de la Convention.
259. En sa partie pertinente, la conclusion de l’arrêt, prononcé par le Chief Justice d’alors, se lit comme suit (traduction du greffe) :
« 9.1 Dans le présent arrêt, j’examine tout d’abord l’argument tiré par [Friends of the Irish Environment, FIE] de ce que le plan ne serait pas conforme à la mission définie par la loi de 2015 et s’analyserait donc en un excès de pouvoir. Il convient de noter qu’aucune question n’a été soulevée à l’audience quant à la qualité de FIE pour avancer des arguments en ce sens. Pour les raisons exposées dans le présent arrêt, je conclus que, contrairement à ce qui a été soutenu pour le compte du Gouvernement, FIE est en droit de soulever les plus amples arguments en la matière exposés dans ses observations écrites. Je conclus également que ces questions peuvent être soumises au contrôle des tribunaux et que celui-ci ne s’analyserait pas en un empiétement irrégulier dans des domaines relevant du pouvoir politique. Ce qui pouvait relever antérieurement du domaine politique relève désormais du droit par l’effet de l’adoption de la loi de 2015.
9.2 Je conclus également que la loi de 2015, et en particulier son article 4, impose qu’un plan conforme définisse les mesures nécessaires pour atteindre l’Objectif national de transition d’ici à 2050 avec un niveau de précision suffisant pour permettre à une personne raisonnable et intéressée de se faire un avis tant sur le caractère réaliste du plan en question que sur le point de savoir si ces mesures sont cohérentes avec les orientations politiques retenues pour atteindre l’ONT telles qu’elles sont précisées par ce plan. Dans son ensemble, la loi de 2015 se caractérise non seulement par la participation du public au processus d’adoption d’un plan mais aussi par la transparence quant à la politique officielle qui est choisie par le gouvernement pour parvenir à réaliser l’ONT d’ici à 2050 et qui, une fois adoptée selon une procédure ainsi définie par la loi, deviendra le cadre légal de réalisation de cet objectif. Un plan conforme n’est pas un plan quinquennal : il couvre toute la période restant à courir jusqu’en 2050. Si l’on peut comprendre que les informations relatives à ce qui est prévu pour les années les plus lointaines soient moins détaillées, le plan devra, pour être conforme, comporter des précisions suffisantes quant à la politique à suivre sur la période allant jusqu’en 2050.
9.3 Pour les raisons également exposées dans le présent arrêt, je conclus que le plan est bien en deçà du niveau de précision requis pour assurer cette transparence et pour respecter les dispositions de la loi de 2015. Par conséquent, je propose que le plan soit annulé.
9.4 Dans le présent arrêt, je me suis aussi interrogé sur l’opportunité d’examiner plus avant les autres questions soulevées, étant donné que je propose d’annuler le plan et qu’un plan identique ne pourra donc pas être établi à l’avenir. Toutefois, dès lors que les questions de qualité pour agir qui sont en cause dans le présent pourvoi pourraient tout à fait se poser dans le cadre de la contestation d’un futur plan, j’y réponds. Pour les raisons exposées dans le présent arrêt, je conclus que FIE, en tant que personne morale qui ne jouit pas elle-même du droit à la vie ni du droit à l’intégrité physique, n’a pas qualité pour soulever les arguments relatifs à ces droits qu’elle entend faire valoir sur le terrain de la Constitution ou sur celui de la Convention européenne des droits de l’homme. Je conclus également qu’il n’a pas été démontré qu’il était nécessaire de reconnaître à FIE la qualité pour agir en vertu de l’exception qui trouve à s’appliquer lorsque refuser cette qualité rendrait impossible ou excessivement difficile la jouissance de droits importants.
9.5 Pour les raisons qui précèdent, je n’ai pas jugé opportun de répondre aux arguments formulés sur le terrain [du droit à la vie et du droit à l’intégrité physique]. En revanche, je me prononce sur la question de l’existence d’un droit constitutionnel implicite ou, comme je préférerais le dire, un droit constitutionnel dérivé, à un environnement sain. Tout en n’excluant pas que des droits et obligations constitutionnels puissent trouver à s’appliquer en matière environnementale dans certaines affaires, je suis d’avis que le droit revendiqué à un environnement sain est soit superflu (s’il ne s’étend pas au-delà du droit à la vie et du droit à l’intégrité physique), soit excessivement vague et mal défini (s’il s’étend au-delà de ces droits). Dans ces conditions, j’estime qu’un tel droit ne peut être dérivé de la Constitution. Je réserve cependant la question de savoir si, et sous quelle forme, des droits constitutionnels et des obligations pesant sur l’État peuvent entrer en ligne de compte, en contentieux environnemental, dans le cadre d’une affaire où ces questions se révéleraient déterminantes. »
Pays-Bas
260. Dans l’arrêt État néerlandais c. Fondation Urgenda (20 décembre 2019, NL:HR:2019:2007), la Cour de cassation néerlandaise a confirmé la décision par laquelle les juridictions inférieures avaient enjoint à l’État de réduire, d’ici à la fin de l’année 2020, les émissions de GES d’au moins 25 % par rapport à 1990.
261. Le résumé officiel de cet arrêt se lit comme suit (traduction du greffe) :
« La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’État néerlandais est tenu de réduire, d’ici à la fin de l’année 2020, les émissions de [GES] produites sur le territoire néerlandais d’au moins 25 % par rapport à 1990, et si les tribunaux peuvent enjoindre à l’État de réaliser cette réduction.
Le grief de la Fondation Urgenda et les décisions du tribunal d’arrondissement et de la cour d’appel
La Fondation Urgenda a demandé aux juridictions d’enjoindre à l’État de réduire les émissions de [GES] de manière à ce que, d’ici à la fin de l’année 2020, ces émissions soient réduites de 40 %, ou à tout le moins de 25 %, par rapport à 1990.
En 2015, le tribunal d’arrondissement a fait droit à la demande d’Urgenda dans la mesure où il a enjoint à l’État de réduire, d’ici à la fin de l’année 2020, les émissions d’au moins 25 % par rapport à 1990.
En 2018, la cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal d’arrondissement.
Le pourvoi en cassation
L’État s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel et a soulevé à ce titre de nombreux moyens.
Le substitut du procureur général et l’avocat général ont invité la Cour de cassation à rejeter le pourvoi formé par l’État et à confirmer l’arrêt de la cour d’appel.
La décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation conclut au rejet du pourvoi en cassation formé par l’État. En conséquence, l’injonction faite à l’État par le tribunal d’arrondissement, et confirmée par la cour d’appel, de réduire les émissions de [GES] d’au moins 25 % par rapport à 1990 d’ici à la fin de l’année 2020 est définitive.
La Cour de cassation a basé sa décision sur les faits et les principes qui ont été établis par la cour d’appel et que ni l’État ni Urgenda n’ont contestés en cassation. En tant que juge de cassation, elle détermine si la cour d’appel a correctement appliqué le droit et si, au regard des faits qui peuvent être pris en considération, la décision de la cour d’appel est compréhensible et suffisamment motivée. Les motifs de sa décision, exposés ci‑dessous aux points 4 à 8 de l’arrêt, sont résumés dans les paragraphes qui suivent. Ce résumé ne se substitue pas aux motifs de la présente décision et ne reflète pas l’intégralité de la décision de la Cour de cassation.
Un changement climatique dangereux (points 4.1 à 4.8 ci-dessous)
Urgenda et l’État partagent tous deux le constat établi par la science climatique selon lequel il existe un risque réel que le climat connaisse un changement dangereux dans les prochaines décennies. L’existence d’une telle menace fait l’objet d’un large consensus chez les climatologues et au sein de la communauté internationale. Ces éléments peuvent se résumer comme suit.
Les émissions de [GES], dont fait partie le CO2, entraînent une hausse de la concentration de ces gaz dans l’atmosphère. Ceux-ci retiennent la chaleur dégagée par la Terre. En raison du fait que, depuis le début de la révolution industrielle, soit un siècle et demi, il a été émis un volume toujours croissant de [GES], la Terre se réchauffe de plus en plus. Au cours des cent cinquante dernières années, la Terre s’est réchauffée d’environ 1,1 oC, et la majeure partie de ce réchauffement (0,7 oC) est survenue au cours des quarante dernières années. Les climatologues et la communauté internationale s’accordent largement sur le principe que le réchauffement de la planète ne doit pas dépasser 2 oC ou, selon des points de vue plus récents, 1,5 oC. Un réchauffement supérieur à cette limite pourrait avoir des conséquences dramatiques, telles que des températures, sécheresses ou précipitations extrêmes, une perturbation des écosystèmes susceptible de mettre en péril notamment la production alimentaire, et une élévation du niveau de la mer du fait de la fonte des glaciers et des calottes glaciaires. Ce réchauffement peut également conduire à des points de bascule entraînant des changements brusques et globaux à l’échelle planétaire ou dans certaines régions du monde. L’ensemble de ces phénomènes porterait atteinte à la vie, au bien‑être et à l’environnement de nombreuses personnes dans le monde entier, y compris aux Pays‑Bas. Certaines de ces conséquences sont déjà en train de se produire.
La protection des droits de l’homme fondée sur la Convention européenne des droits de l’homme (points 5.2.1 à 5.5.3 ci-dessous)
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) impose aux États qui y sont parties de protéger les droits et libertés qu’elle reconnaît à leurs habitants. Son article 2 protège le droit à la vie, et son article 8 le droit au respect de la vie privée et familiale. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour EDH »), ces dispositions imposent aux États contractants de prendre des mesures appropriées lorsqu’il existe un risque réel et immédiat pour la vie ou le bien-être des personnes et qu’ils ont connaissance de ce risque.
Cette obligation de prendre des mesures appropriées s’applique également en matière de risques environnementaux menaçant des groupes importants de personnes ou l’ensemble de la population, et ce même si les risques ne sont susceptibles de se réaliser qu’à longue échéance. Si les articles 2 et 8 de la CEDH ne sauraient avoir pour effet de faire peser sur l’État un fardeau insupportable ou excessif, ces dispositions lui font obligation de prendre des mesures effectivement propres à parer autant qu’il est raisonnablement possible au danger imminent. L’article 13 de la CEDH veut que le droit interne prévoie un recours juridictionnel effectif permettant de se plaindre d’une violation ou d’une violation imminente des droits garantis par la CEDH. Cela signifie que les juridictions nationales doivent être en mesure de fournir une protection juridique effective.
Problème mondial et responsabilité nationale (points 5.6.1 à 5.8 ci-dessous)
Le risque d’un changement climatique dangereux est un problème mondial par nature : les [GES] sont émis non pas seulement depuis le territoire néerlandais mais dans le monde entier. Les conséquences de ces émissions se font sentir partout dans le monde.
Les Pays-Bas sont parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Le but de cette convention est de maintenir la concentration des [GES] dans l’atmosphère à un niveau permettant d’éviter une perturbation du système climatique par l’activité humaine. La CCNUCC repose sur le principe selon lequel tous les États parties sont tenus, dans des proportions variables selon leurs responsabilités et leurs possibilités respectives, de prendre des mesures de lutte contre le changement climatique.
Chaque pays a donc sa part de responsabilité. Cela signifie qu’un pays ne peut se soustraire à la responsabilité qui lui est propre de prendre des mesures en prétextant que, par rapport au reste du monde, ses propres émissions seraient relativement limitées et que leur réduction n’aurait que très peu de conséquences à l’échelle mondiale. Chaque État est donc tenu de réduire les émissions de [GES] produites sur son territoire à hauteur de sa part de responsabilité. Cette obligation pesant sur l’État d’accomplir « sa part » découle des articles 2 et 8 de la CEDH, puisqu’il existe un risque grave que se produisent des changements climatiques dangereux qui mettront en danger la vie et le bien-être de nombreuses personnes aux Pays-Bas.
Quelles sont, concrètement, les implications de l’obligation imposant à l’État d’accomplir « sa part » ? (points 6.1 à 7.3.6 ci-dessous)
Le contenu des obligations positives incombant à l’État en application des articles 2 et 8 de la CEDH doit être défini en tenant compte des constats scientifiques largement admis et des normes internationalement reconnues. Les rapports du GIEC, notamment, ont une importance à cet égard. Le GIEC est une organisation intergouvernementale regroupant des scientifiques qui a été constituée dans le cadre des Nations unies pour mener des travaux de recherche sur le climat et ses évolutions. Le rapport du GIEC de 2007 exposait un scénario selon lequel on pouvait raisonnablement envisager de limiter le réchauffement de la Terre à un maximum de 2 oC. Pour parvenir à cet objectif, les pays de l’Annexe I (c’est-à-dire les pays développés, dont les Pays-Bas) devaient réduire leurs émissions de 25 à 40 % en 2020, et de 80 à 95 % en 2050, par rapport à 1990.
Lors des conférences annuelles sur le climat organisées dans le cadre de la CCNUCC depuis 2007, la quasi-totalité des pays ont régulièrement souligné la nécessité d’agir conformément au scénario exposé par le GIEC et de parvenir à une réduction de 25 à 40 % des émissions de [GES] en 2020. À de multiples reprises, l’UE et des États membres de l’UE ont rappelé la nécessité, établie par la science, de réduire les émissions de 30 % en 2020 par rapport à 1990.
En outre, depuis 2007, le point de vue selon lequel le réchauffement de la Terre doit, pour ne pas emporter de conséquences dangereuses, rester limité à 1,5 oC plutôt qu’à 2 oC, s’est largement imposé. L’Accord de Paris de 2015 stipule donc expressément que les États doivent s’efforcer de limiter le réchauffement à 1,5 oC. Il faudra donc réduire encore davantage les émissions par rapport à ce qui avait été estimé auparavant.
En somme, il existe un large consensus sur la nécessité urgente pour les pays figurant à l’Annexe I de réduire les émissions de [GES] d’au moins 25 à 40 % en 2020. Les articles 2 et 8 de la CEDH doivent être interprétés et appliqués en prenant en considération le consensus sur cet objectif. La nécessité urgente d’une réduction de 25 à 40 % en 2020 s’applique également à l’échelle nationale pour les Pays-Bas.
La politique de l’État (points 7.4.1 à 7.5.3 ci-dessous)
L’État et Urgenda considèrent tous deux qu’il est nécessaire de limiter la concentration en [GES] dans l’atmosphère pour parvenir à l’objectif de 2 oC comme à celui de 1,5 oC. Leurs avis divergent cependant quant à la célérité nécessaire à l’adoption des mesures de réduction des émissions de [GES].
Jusqu’en 2011, la politique de l’État visait à parvenir en 2020 à une réduction de 30 % par rapport à 1990. Selon l’État, une telle réduction était nécessaire pour rester sur une trajectoire permettant que l’objectif de 2 oC demeure réalistement atteignable.
Après 2011 toutefois, l’État a, dans le cadre fixé par l’UE, abaissé l’objectif de réduction des émissions des Pays-Bas pour 2020 de 30 % à 20 %. Après avoir atteint les 20 % en 2020, l’État a prévu d’accélérer la réduction en la portant à 49 % en 2030 puis à 95 % en 2050. Ces objectifs pour 2030 et 2050 ont été fixés par la loi néerlandaise sur le climat. Or l’État n’a pas expliqué en quoi une réduction limitée à 20 % en 2020 (plutôt que la réduction de 25 à 40 % en 2020 qui, au niveau international, est largement regardée comme nécessaire) pourrait être considérée comme responsable dans le cadre de l’UE.
Les climatologues et la communauté internationale s’accordent largement à penser que plus les mesures de réduction destinées à permettre d’atteindre l’objectif final envisagé sont repoussées dans le temps, plus elles seront coûteuses et devront être nombreuses. Le report dans le temps de ces mesures augmente en outre le risque d’un changement climatique brutal du fait d’un passage à un point de bascule. Compte tenu du large consensus sur ce point, il incombait à l’État de montrer que l’accélération de la réduction après 2020 qui était proposée était réalisable et suffisamment efficace pour permettre de parvenir aux objectifs fixés pour 2030 et 2050 et ainsi de faire en sorte que les objectifs de limitation du réchauffement à 2 oC et 1,5 oC restent atteignables. Or, l’État n’a pas fourni de telles explications. C’est donc à bon droit que la cour d’appel a jugé que l’État était tenu de se conformer à l’objectif, considéré comme nécessaire par la communauté internationale, d’une réduction d’au moins 25 % en 2020.
Les tribunaux et le domaine politique (points 8.1 à 8.3.5 ci-dessous)
L’État soutient qu’il n’appartient pas aux tribunaux de se livrer aux appréciations politiques qui sont nécessaires à la prise de décisions en matière de réduction des émissions de [GES].
Dans le régime politique néerlandais, les décisions relatives aux émissions de [GES] relèvent de la compétence du gouvernement et du parlement. L’un et l’autre disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour procéder aux arbitrages politiques nécessaires en la matière. Il appartient aux juridictions de décider si le gouvernement et le parlement ont pris leurs décisions en respectant les limites du cadre juridique qui s’impose à eux. Ces limites découlent notamment de la CEDH. La Constitution des Pays-Bas fait obligation aux juridictions néerlandaises d’appliquer les dispositions de cette convention en se conformant à l’interprétation qu’en donne la Cour EDH. Cette mission, revenant aux juridictions, qui consiste à offrir une protection juridique, même contre le gouvernement, est une composante essentielle d’un État démocratique régi par la prééminence du droit.
L’arrêt de la cour d’appel est conforme à ce qui précède, puisque celle-ci a jugé que la politique de l’État en ce qui concerne la réduction des [GES] ne satisfait manifestement pas aux exigences qui découlent des articles 2 et 8 de la CEDH et qui imposent de prendre des mesures appropriées pour protéger les personnes résidant sur le territoire des Pays-Bas contre les dangers du changement climatique. En outre, la cour d’appel s’est bornée à enjoindre à l’État de respecter le plancher (25 %) de la réduction minimale nécessaire de 25 à 40 % pour 2020, qui est approuvé au niveau international.
Cette injonction laisse à l’État le soin de déterminer quelles mesures spécifiques il entend adopter pour s’y conformer. Si des mesures législatives sont nécessaires pour y parvenir, il appartient à l’État de déterminer quelle législation précise est souhaitable et nécessaire.
Conclusion
En résumé, le point essentiel de la décision de la Cour de cassation est que l’injonction prononcée par le tribunal d’arrondissement, puis confirmée par la cour d’appel, qui impose à l’État de réduire les émissions de [GES] d’ici à la fin de l’année 2020 d’au moins 25 % par rapport à 1990, est maintenue. La cour d’appel a le droit et le pouvoir de conclure, sur le fondement des articles 2 et 8 de la CEDH, que l’État est tenu de parvenir à cette réduction, compte tenu du risque de changements climatiques dangereux qui pourraient avoir un effet grave sur la vie et le bien-être des personnes résidant aux Pays-Bas. »
Norvège
262. Dans un arrêt du 22 décembre 2020[160], la Cour suprême norvégienne s’est prononcée sur la conformité au droit à un environnement sain (article 112 de la Constitution) d’un décret royal du 10 juin 2016 concernant la délivrance d’autorisations d’extraction pétrolière pour des secteurs situés sur le plateau continental norvégien dans des zones marines (dénommées « sud de la mer de Barents Sud » et « sud-est de la mer de Barents »). Dans cette affaire se posait également la question de savoir si la décision de délivrer des autorisations d’extraction respectait l’article 93 de la Constitution, relatif au droit à la vie, et son article 102, relatif au respect de la vie privée et familiale, ainsi que les dispositions correspondantes de la Convention, à savoir ses articles 2 et 8. La Cour suprême a conclu que la décision en question ne méconnaissait ni l’article 2 ni l’article 8 de la Convention. Elle n’a pas non plus constaté de violation de l’article 112 de la Constitution. Cette affaire est actuellement pendante devant la Cour (Greenpeace Nordic et autres c. Norvège, requête no 34068/21).
263. Les parties pertinentes de cet arrêt se lisent comme suit (traduction du greffe) :
« Objet
2) La présente affaire porte sur la validité d’un décret royal du 10 juin 2016. Le décret (ci-après, « la décision ») concerne dix autorisations d’extraction pétrolière accordées, dans le cadre du 23e cycle d’autorisation, pour un total de 40 secteurs ou sous‑secteurs du plateau continental norvégien dans les zones marines dénommées « sud de la mer de Barents Sud » et « sud-est de la mer de Barents ».
3) La décision trouve sa base légale dans l’article 3-3 de la loi relative au pétrole. La principale question qui se pose est celle de la conformité de cette décision à l’article 112 de la Constitution relatif au droit à un environnement sain. Se pose également dans cette affaire la question de savoir si cette décision respecte l’article 93 de la Constitution, relatif au droit à la vie, et l’article 102, relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi que les dispositions correspondantes de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), à savoir ses articles 2 et 8. L’affaire porte enfin sur la régularité procédurale de cette décision. Le point crucial est l’interprétation de l’article 112 de la Constitution et la mesure dans laquelle cet article reconnaît aux individus des droits matériels invocables devant les juridictions.
4) Les parties s’accordent à reconnaître, premièrement, que nous sommes confrontés à des défis majeurs en raison du changement climatique, deuxièmement, qu’une part à tout le moins considérable de l’augmentation des températures terrestres observée au cours du siècle dernier est due aux émissions de [GES] et, troisièmement, que ces émissions doivent être réduites pour arrêter cette tendance et pour pouvoir espérer l’inverser.
5) Sur le terrain du droit constitutionnel, la question générale qui se pose est celle du rôle que les tribunaux doivent jouer en matière climatique. L’affaire touche au principe de séparation des pouvoirs, qui repose sur une tripartition entre législatif, exécutif et judiciaire.
(...)
La décision est-elle incompatible avec l’article 2 ou l’article 8 de la CEDH, ou avec l’article 93 ou l’article 102 de la Constitution ?
167) Il ne fait aucun doute que les conséquences du changement climatique en Norvège peuvent entraîner des pertes en vies humaines, par exemple en raison d’inondations ou de glissements de terrain. Il reste toutefois à déterminer s’il existe, entre la délivrance d’autorisations d’extraction dans le cadre du 23e cycle d’autorisation et d’éventuelles pertes en vies humaines, un lien adéquat satisfaisant au critère d’un risque « réel et immédiat ».
168) Selon moi, la réponse est non. Premièrement, on ne sait pas avec certitude si, ni dans quelle mesure, la décision entraînera effectivement des émissions de [GES]. Deuxièmement, les éventuels effets sur le climat ne seront perceptibles qu’à long terme. Même si la menace climatique est bien réelle, la décision n’emporte pas un risque « réel et immédiat », au sens de la CEDH, de pertes en vies humaines en Norvège. Dès lors, il ne peut être conclu à la violation de l’article 2 de la CEDH.
(...)
171) À ce jour, la Cour européenne des droits de l’homme ne s’est pas prononcée sur des requêtes se rapportant au climat. Toutefois, la Cour a récemment communiqué une requête dirigée par six jeunes gens contre la Norvège et 32 autres pays. Dans cette affaire, qui porte sur l’absence de réduction des émissions, les requérants se réfèrent en particulier aux feux de forêt et aux vagues de chaleur que le Portugal a connus en 2017 et 2018. Néanmoins, rien dans la jurisprudence actuelle ne donne à penser que l’objet des affaires climatiques sera différent de celui des affaires qui concernent des atteintes à l’environnement en général. Compte tenu de l’importance que la Cour a jusqu’ici attribuée aux termes « direct et immédiat », il me semble évident que les effets des émissions que risquent de causer à l’avenir les autorisations d’extraction accordées lors du 23e cycle d’autorisation ne relèvent pas de l’article 8 de la CEDH.
172) Au cours de l’audience d’appel, une attention particulière a été accordée à l’affaire néerlandaise Urgenda. Dans cette espèce, l’organisation écologiste néerlandaise Urgenda cherchait à faire prononcer une injonction contre l’État néerlandais. Urgenda demandait aux tribunaux de déclarer que l’État néerlandais avait l’obligation, pour l’année 2020, de réduire les émissions de [GES] de 40 %, ou à tout le moins de 25 %, par rapport à 1990. Dans un arrêt du 20 décembre 2019 (ECLI:NL:HR:2019:2007, traduction anglaise non officielle), la Cour de cassation néerlandaise (Hoge Raad) a confirmé les décisions des juridictions inférieures enjoignant à l’État néerlandais de réduire les émissions de [GES] de l’année 2020 de 25 % par rapport à 1990. Elle s’est notamment référée aux articles 2 et 8 de la CEDH.
173) Cet arrêt néerlandais n’est guère transposable à l’affaire en cause. D’une part, dans l’affaire Urgenda, il fallait déterminer si le gouvernement néerlandais pouvait revoir à la baisse les objectifs généraux d’émissions qu’il avait déjà fixés ; il ne s’agissait donc pas de faire interdire une mesure particulière ni d’empêcher de possibles émissions futures. D’autre part, le débat ne portait pas sur la validité d’une décision administrative.
174) Enfin, les organisations écologistes disent que, lorsqu’elle détermine le contenu des droits [protégés par la Convention], la Cour européenne des droits de l’homme peut tenir compte des accords internationaux qui correspondent à une communauté de vue partagée par l’ensemble des États membres (voir l’arrêt de Grande Chambre du 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie, paragraphes 85 et 86). Un tel principe n’est guère applicable aux questions environnementales, puisque la CEDH ne renferme pas de dispositions portant spécifiquement sur l’environnement. En toute hypothèse, il n’a pas été démontré que les autorisations d’extraction méconnaissent nos obligations internationales.
175) J’ajoute que la plupart des pièces justificatives qui ont été produites et versées au dossier conformément à l’article 15-8 de la loi relative aux litiges se rapportent globalement aux obligations internationales qui découlent de la CEDH et du droit international en général. Rien dans ces documents n’est de nature à me faire revenir sur mon analyse.
176) Dans ces conditions, la décision en cause n’a pas emporté violation de l’article 2 ni de l’article 8 de la CEDH. »
Espagne
264. Dans l’affaire Greenpeace Espagne et autres c. Espagne, plusieurs associations et cinq personnes physiques contestaient le plan national en matière d’énergie et de climat en soutenant que son objectif de réduction des émissions de GES (baisse de 23 % à l’horizon 2030, par rapport aux niveaux de 1990) ne cadrait pas avec l’Accord de Paris. Ils demandaient aux tribunaux de modifier ce plan en imposant un objectif de réduction des GES de 55 % à l’horizon 2023, par rapport aux niveaux de 1990.
265. Le 24 juillet 2023, le Tribunal suprême (STS 3556/2023) a débouté les auteurs du recours, estimant qu’au regard du droit interne pertinent les juridictions ne pouvaient imposer au gouvernement une mesure telle que celle demandée en l’espèce que s’il existait, entre des dispositions réglementaires et une norme supérieure, un conflit manifeste ne laissant aucune marge d’appréciation à l’exécutif, ce qui selon la haute juridiction n’était pas le cas dans cette affaire. Le Tribunal suprême a observé que les objectifs de réduction des GES avaient des incidences énormes sur l’économie nationale et les politiques socioéconomiques du gouvernement. Il a indiqué que revoir ces objectifs à la hausse reviendrait à imposer d’importants sacrifices aux générations actuelles et qu’accueillir la demande en question équivaudrait à empiéter de manière excessive sur les prérogatives du gouvernement. Il a également jugé que le plan était conforme au droit de l’UE et que celui‑ci témoignait d’efforts ambitieux dans la lutte contre le changement climatique. Il a ajouté que l’UE était en train d’actualiser ses objectifs de réduction des GES et que l’Espagne allait devoir coordonner ses actions suivant le droit de l’UE.
Royaume-Uni
266. Dans l’affaire Plan B Earth and four other citizens v. Prime Minister[161], portée devant la High Court of Justice, les demandeurs ont contesté en vain la légalité des politiques du gouvernement britannique en matière de changement climatique. Ils alléguaient une violation de l’article 6 de la loi de 1998 sur les droits de l’homme à raison d’une méconnaissance de l’article 2 et/ou de l’article 8 de la Convention.
267. Examinant ces griefs, M. Bourne, juge à la High Court of Justice, a dit notamment ceci (traduction du greffe) :
« Le problème insurmontable que rencontre le grief tiré de l’article 2 (de même que tout grief tiré, sur le terrain de l’article 8, des effets physiologiques ou psychologiques du changement climatique sur les demandeurs) tient à ce qu’il existe un cadre administratif destiné à lutter contre les menaces résultant du changement climatique, en l’occurrence la loi de 2008 et toutes les politiques et mesures qui ont été adoptées sur la base de cette loi.
49. Ce cadre prévoit et définit le rôle du CCC [Comité sur le changement climatique] en matière de conseil et d’évaluation concernant ces politiques et mesures. Il est en constante évolution.
(...)
51. (...) [La High Court of Justice] n’a pas les moyens adéquats pour se forger sa propre opinion sur les points en débat. Je suis invité à valider les positions exprimées dans des citations partielles tirées des travaux du CCC et d’autres organes. Lorsque je parle de « citations partielles », je ne mets en doute la bonne foi d’aucune des parties. Je souligne plutôt le fait que la [High Court of Justice] ne dispose pas, et ne peut acquérir, d’expertise dans ce domaine complexe, et qu’elle sera toujours dépendante d’éléments en conflit tirés d’un débat général. À supposer même que je puisse surmonter le problème des citations partielles, je ne serais pas en mesure d’apprécier l’exactitude des éléments cités. »
268. Lorsque cette même affaire a été portée devant la Cour d’appel, le Lord Justice Singh s’est exprimé ainsi en rejetant une demande d’autorisation d’interjeter appel contre le refus de la High Court of Justice d’autoriser le dépôt d’une demande de contrôle juridictionnel[162] :
« 5. (...) La difficulté essentielle à laquelle les demandeurs se heurtent tient à ce qu’ils ne peuvent se prévaloir d’aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme citant l’Accord de Paris comme pertinent pour l’interprétation des articles 2 et 8 de la CEDH. Ils s’appuient sur des décisions émanant des plus hautes juridictions d’autres parties à la CEDH, en particulier la Cour de cassation néerlandaise ; or, comme le juge l’a observé en l’espèce, nous ignorons le contexte constitutionnel dans lequel s’inscrivent ces décisions. L’article 2 de la [loi de 1998 sur les droits de l’homme] impose aux juridictions de ce pays de tenir compte des décisions pertinentes de la Cour européenne des droits de l’homme ; en général, nous suivons ces décisions. »
Belgique
269. Dans l’affaire VZW Klimaatzaak c. Royaume de Belgique et autres, une association ainsi que 58 000 citoyens ont engagé une action contre le gouvernement fédéral, la Région wallonne, la Région flamande et la Région de Bruxelles-Capitale, alléguant le non-respect par les parties défenderesses des objectifs pertinents de réduction des émissions de GES et priant le tribunal d’ordonner les mesures nécessaires en la matière.
270. Le 17 juin 2021, le tribunal de première instance de Bruxelles, reconnaissant la qualité pour agir de l’association et des citoyens en question, a jugé que les parties défenderesses avaient manqué à leur devoir de vigilance découlant du droit interne pertinent et à l’obligation de prévention résultant des articles 2 et 8 de la Convention, pour n’avoir pas pris les mesures nécessaires face aux effets néfastes du changement climatique. Le tribunal a refusé de fixer des objectifs de réduction spécifiques en raison du principe de séparation des pouvoirs.
271. Le 30 novembre 2023, la cour d’appel de Bruxelles a confirmé le constat de violation du droit interne ainsi que des articles 2 et 8 de la Convention par les parties défenderesses, excepté la Région wallonne. Considérant notamment que les juridictions ne méconnaîtraient pas le principe de séparation des pouvoirs dès lors que le juge s’abstiendrait de se substituer aux autorités dans le choix des moyens de remédier aux manquements constatés, cette juridiction a enjoint aux parties défenderesses de réduire les émissions de GES d’au moins 55 % à l’horizon 2030, par rapport aux niveaux de 1990.
272. Contrairement aux décisions de juridictions nationales qui sont évoquées aux paragraphes 236-266 ci-dessus, l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles est à présent susceptible de recours devant la Cour de cassation.
EN DROIT
QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
Sur la deuxième requérante
273. La deuxième requérante est décédée au cours de la procédure menée devant la Cour. Par des lettres des 12 août et 8 septembre 2021, son représentant a informé la Cour que son fils et héritier, M. André Seidenberg, souhaitait poursuivre la procédure au nom de sa mère. Le gouvernement défendeur ne s’y est pas opposé. Dans ces conditions, eu égard à sa jurisprudence constante, la Cour estime que le fils de Mme Schaub possède un intérêt légitime à poursuivre la procédure et a qualité pour ce faire (Taşkın et autres c. Turquie, no 46117/99, § 102, CEDH 2004-X, Jivan c. Roumanie, no 62250/19, §§ 25-26, 8 février 2022, et Pavlov et autres c. Russie, no 31612/09, § 51, 11 octobre 2022). En effet, compte tenu de ce que, d’une part, la deuxième requérante était une dame âgée et de ce que, d’autre part, son grief concernait les effets du changement climatique sur la catégorie de la population à laquelle elle appartenait, on peut considérer qu’il serait contraire à la mission de la Cour que celle-ci s’abstienne de statuer sur les griefs de la requérante récemment décédée au seul motif que, en raison de son grand âge, elle n’a pas eu la force de vivre assez longtemps pour connaître l’issue de la procédure menée devant la Cour (voir, mutatis mutandis, Hristozov et autres c. Bulgarie, nos 47039/11 et 358/12, § 73, CEDH 2012 (extraits)).
274. Pour des raisons pratiques, dans le présent arrêt la Cour continuera de considérer Mme Schaub comme étant la deuxième requérante.
Sur l’objet de la requête
275. Dans les observations complémentaires du 13 octobre 2021 qu’elles ont communiquées à la Cour dans le cadre de la procédure menée devant la chambre, les requérantes ont expressément développé une argumentation sur la question des émissions de GES générées à l’étranger et attribuables selon elles à la Suisse en raison de l’importation de biens de consommation des ménages, qui ferait relever ces émissions des « émissions induites » de la Suisse. La question se posait toutefois de savoir si ce grief faisait partie de ceux soumis à la Cour par les requérantes (leurs « demandes ») dans leur requête initiale. Au cours de la procédure devant la Grande Chambre, cette question a été expressément posée aux parties, qui n’ont pas fourni les mêmes réponses sur ce point.
Thèses des parties
276. Le Gouvernement soutient que la question des émissions de GES produites à l’étranger et attribuées à la Suisse ne fait pas partie des griefs ou « demandes » formulés par les requérantes dans leur requête initiale à la Cour. Il expose que les intéressées n’ont soulevé cette question que dans leurs observations complémentaires du 13 octobre 2021, adressées à la chambre, et qu’en tout état de cause elles ne l’ont pas évoquée devant les juridictions internes, auxquelles elles ont au contraire expressément demandé d’enjoindre à la Suisse de réduire ses émissions de GES sur son propre territoire. Il dit en outre qu’une grande partie de l’argumentation des requérantes devant la Cour repose sur les engagements pris par l’État au titre de l’Accord de Paris, précisant que celui-ci porte sur les contributions au niveau national et les mesures internes à prendre. Il estime donc que la question des émissions de GES produites à l’étranger soit ne relève pas de l’objet du présent litige, soit est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes ou non‑respect du délai de six mois.
277. Les requérantes exposent que les arguments qu’elles ont soulevés dans leurs observations adressées à la chambre, au sujet des émissions de GES produites à l’étranger et attribuées à l’État défendeur, font partie des griefs ou « demandes » qu’elles ont formulés dans leur requête initiale à la Cour. Elles indiquent en particulier que, dans leurs observations, elles ont expliqué que les efforts auxquels l’État est tenu doivent être déterminés en fonction non seulement des émissions qui sont produites sur son territoire, mais aussi des émissions extérieures. Elles précisent qu’il s’agissait là d’étoffer le grief initial qu’elles avaient soulevé dans le formulaire de requête, selon lequel l’État n’avait pas pris de mesures préventives pour réduire les émissions de manière compatible avec la limite de 1,5 oC. Elles ajoutent que la Cour pourrait aussi chercher d’office à clarifier leur grief initial en tenant compte de la question des émissions extérieures.
Appréciation de la Cour
278. Les principes pertinents de la jurisprudence de la Cour concernant l’objet de l’affaire dont celle-ci se trouve saisie peuvent se résumer comme suit (voir, par exemple, Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018 ; voir, pour un exemple très récent, Grosam c. République tchèque [GC], no 19750/13, § 88, 1er juin 2023) :
« 126. [L’]objet d’une affaire « soumise » à la Cour dans l’exercice du droit de recours individuel est délimité par le grief soumis par le requérant. Un grief comporte deux éléments : des allégations factuelles et des arguments juridiques. En vertu du principe jura novit curia, la Cour n’est pas tenue par les moyens de droit avancés par le requérant en vertu de la Convention et de ses Protocoles, et elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d’un grief en examinant celui-ci sur le terrain d’articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par le requérant. Elle ne peut toutefois pas se prononcer sur la base de faits non visés par le grief car cela reviendrait à statuer au-delà de l’objet de l’affaire ou, autrement dit, à trancher des questions qui ne lui auraient pas été « soumises » au sens de l’article 32 de la Convention. »
279. En l’espèce, il est important de noter que, dans les rapports établis par les autorités suisses compétentes[163] ainsi que dans d’autres sources[164], il a été admis que les émissions de GES attribuables à la Suisse en raison de l’importation de biens et de produits de consommation constituent une part importante (70 % selon les estimations pour 2015)[165] de l’empreinte GES totale de la Suisse. Ainsi, l’OFEV a noté ceci : « Dans une économie mondialisée, il faut tenir compte d’une part des [GES] émis en Suisse et d’autre part de ceux émis à l’étranger en raison de la demande finale suisse (dépenses totales de consommation finale des ménages et du secteur public). Une grande partie de l’empreinte de la Suisse est créée à l’étranger car les importations constituent une proportion importante de la consommation totale du pays ».[166]
280. Il serait donc difficile, sinon impossible, d’examiner la responsabilité de la Suisse à raison des effets de ses émissions de GES sur les droits des requérantes sans tenir compte des émissions générées par l’importation de biens et de produits de consommation, c’est‑à‑dire, pour reprendre les termes employés par les requérantes, des « émissions induites ». Comme l’a noté l’OFEV, « il faut » tenir compte de ces émissions dans l’appréciation globale des émissions de GES de la Suisse. Il s’ensuit, eu égard aux principes de la jurisprudence de la Cour rappelés ci‑dessus, que celle-ci doit faire la lumière sur ces éléments, si nécessaire d’office, pour examiner le grief initial – et plutôt général – dans le cadre duquel les requérantes se plaignent que la Suisse n’ait pas réduit ses émissions de GES pour atteindre la limite visée de 1,5 oC.
281. En outre, il importe de noter que dans une annexe jointe au formulaire de requête, les requérantes ont exposé leurs griefs en soutenant que « l’État défendeur doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour accomplir sa part dans la prévention d’une augmentation mondiale de la température de plus de 1,5 oC par rapport aux niveaux préindustriels » (italiques ajoutés). Dans le cadre du présent examen, cette affirmation révèle que les requérantes entendaient bien englober dans leurs griefs la contribution totale de la Suisse aux effets planétaires du changement climatique. Il est donc acceptable, au regard de la jurisprudence de la Cour, qu’elles se soient efforcées de compléter et de préciser leurs griefs ultérieurement dans le cadre de la procédure écrite en étoffant, notamment, les développements consacrés à la question des « émissions induites ».
282. Le Gouvernement argue que les requérantes n’ont pas formulé cette question au niveau interne. À cet égard, la Cour observe que dans leurs démarches tendant à obtenir une voie de droit, elles ont soulevé le même point que celui qu’elles ont développé devant elle quant à la contribution globale de la Suisse à l’augmentation de la température à l’échelle planétaire (paragraphe 22 ci-dessus). Il n’est certes pas possible de tirer de conclusion quant à la position des juridictions internes sur cette question (notamment en ce qui concerne les « émissions induites ») puisqu’elles n’ont pas examiné au fond l’action en justice des requérantes, mais on peut noter que le DETEC a rejeté cette action au motif que le but général de leurs démarches était d’obtenir une réduction des émissions de CO2 au niveau mondial et non pas seulement dans leur environnement immédiat (paragraphe 30 ci-dessus).
283. Il s’ensuit dès lors que le grief des requérantes relatif aux « émissions induites » relève de l’objet de l’affaire et que toute objection du gouvernement défendeur à cet égard doit être rejetée. Bien entendu, cette conclusion est sans préjudice de l’examen de la question des effets réels des « émissions induites » (c’est-à-dire des émissions résultant de l’importation en Suisse de biens de consommation des ménages) sur la responsabilité de l’État au regard de la Convention.
Sur la juridiction
Thèses des parties
284. Le Gouvernement ne conteste pas que les requérantes relèvent de la juridiction de la Suisse pour ce qui est de leur grief relatif aux émissions nationales de GES et à leurs effets sur le changement climatique. Toutefois, en ce qui concerne les émissions de GES produites à l’étranger, le Gouvernement, s’appuyant sur la jurisprudence constante de la Cour (il renvoie notamment à la décision M.N. et autres c. Belgique [GC], no 3599/18, 5 mai 2020), considère que cette question ne relève d’aucun des critères à l’aune desquels peut être établie à titre exceptionnel la juridiction extraterritoriale de l’État.
285. Le Gouvernement estime que la seule question qui peut éventuellement se poser est celle de savoir si la Cour est compétente pour examiner si la Suisse a respecté les obligations qu’elle pourrait avoir de prendre des mesures dans les limites de son propre ressort et de ses propres pouvoirs pour réduire les émissions de GES produites à l’étranger. Or, il rappelle en particulier que la jurisprudence de la Cour n’admet pas une notion de juridiction de type « cause à effet » et que la seule capacité à agir d’un État ne suffit pas à établir sa juridiction (il cite notamment H.F. et autres c. France [GC], nos 24384/19 et 44234/20, § 199, 14 septembre 2022). Il plaide donc que les émissions de GES produites à l’étranger ne peuvent pas être reliées directement à de prétendues omissions de la Suisse et que les autorités de cet État n’ont pas de contrôle direct sur les sources de ces émissions ; il en conclut que lesdites émissions ne peuvent pas être considérées comme engageant la responsabilité de la Suisse. En outre, selon le Gouvernement, l’ensemble du régime établi par la CCNUCC, le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris repose sur le principe de territorialité et sur la responsabilité des États quant aux émissions produites sur leur propre territoire. À cet égard, le Gouvernement soutient également que le principe voulant que la Convention soit interprétée comme un instrument vivant n’est pas applicable à la question de la juridiction au sens de l’article 1 de la Convention (il renvoie à la décision Banković et autres c. Belgique et autres [GC], no 52207/99, §§ 63‑66, CEDH 2001‑XII). Ainsi, de l’avis du Gouvernement, établir la juridiction quant aux émissions de GES produites à l’étranger irait trop loin et se heurterait à la nature même de la notion de juridiction au sens de la Convention.
286. Les requérantes soutiennent qu’aucune question ne se pose quant à la juridiction au sens de l’article 1 de la Convention. Elles indiquent que leurs griefs portent sur le fait que l’État défendeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour réduire les émissions de GES relevant de sa juridiction territoriale. Elles disent ne pas prétendre que l’État doit ou aurait dû prendre des mesures en dehors de son territoire, qu’il viole les droits de personnes se trouvant hors de son territoire, ou qu’il doit exercer sa juridiction sur des personnes se trouvant hors de son territoire.
Appréciation de la Cour
287. La Cour est d’avis qu’il ne se pose aucune réelle question de juridiction, au sens de l’article 1 de la Convention, en ce qui concerne le grief relatif aux « émissions induites ». Elle observe en particulier que toutes les requérantes résident en Suisse et relèvent par conséquent de la juridiction territoriale de cet État, lequel doit donc, en vertu de l’article 1 de la Convention, répondre de toute atteinte aux droits et libertés protégés par la Convention dans le chef des intéressées dès lors que l’atteinte en question lui est attribuable (Duarte Agostinho et autres, décision précitée, § 178). Ainsi, même s’il comporte un aspect extraterritorial, le grief des requérantes relatif aux « émissions induites » ne soulève aucune question touchant à la juridiction de la Suisse à l’égard des requérantes. La question qui se pose est celle de la responsabilité de la Suisse à raison des effets allégués des « émissions induites » sur la jouissance par les requérantes de leurs droits protégés par la Convention. La question de la responsabilité est un point distinct, à analyser, s’il y a lieu, dans le cadre de l’examen au fond du grief (ibidem).
288. Eu égard à ce qui précède, la Cour rejette l’exception de défaut de juridiction formulée par le Gouvernement.
Sur le respect du délai de six mois
289. Le Gouvernement rappelle que la requête a été introduite devant la Cour le 26 novembre 2020 et que la décision définitive des juridictions internes avait été adoptée le 5 mai 2020, soit plus de six mois auparavant. Il admet qu’à l’époque pertinente la Cour avait publié un communiqué de presse annonçant que le délai appliqué à l’introduction des requêtes individuelles était prolongé en raison des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de Covid-19, mais il estime néanmoins que le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention ne peut pas être prorogé de cette manière. En tout état de cause, selon lui, les requérantes n’étaient pas confrontées à une situation de force majeure pendant la période concernée et elles étaient en mesure de saisir la Cour dans le délai de six mois.
290. La Cour fait observer qu’elle a déjà clarifié dans sa jurisprudence la question que le Gouvernement soulève en l’espèce en ce qui concerne la prolongation du délai d’introduction des requêtes individuelles dans le contexte de la situation exceptionnelle liée à la pandémie de Covid‑19 (Saakashvili c. Géorgie (déc.), nos 6232/20 et 22394/20, §§ 57‑58, 1er mars 2022, Makarashvili et autres c. Géorgie, nos 23158/20 et 2 autres, §§ 47‑48, 1er septembre 2022, Kitanovska et Barbulovski c. Macédoine du Nord, no 53030/19, § 40, 9 mai 2023, et X et autres c. Irlande, nos 23851/20 et 24360/20, § 58, 22 juin 2023). Elle ne voit pas de raison de revenir sur cette jurisprudence. L’exception soulevée par le Gouvernement sur ce point est donc rejetée.
REMARQUES INTRODUCTIVES CONCERNANT LES GRIEFS SOULEVÉS DANS LA PRÉSENTE ESPÈCE
291. Invoquant les articles 2, 6, 8 et 13 de la Convention, les requérantes allèguent que les autorités suisses n’agissent pas aux fins de l’atténuation du changement climatique, en particulier des effets du réchauffement planétaire, et, à cet égard, elles se plaignent notamment d’un défaut d’accès à un tribunal.
292. La Cour note qu’il existe un lien étroit entre les obligations matérielles découlant des différentes dispositions de la Convention qui entrent en jeu dans le contexte en cause. Cela tient au fait qu’il faut interpréter la Convention de manière à promouvoir sa cohérence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions (paragraphe 455 ci-dessous) et au fait que les obligations positives de l’État en matière d’environnement qui résultent des articles 2 et 8 peuvent se chevaucher dans une large mesure (Brincat et autres c. Malte, nos 60908/11 et 4 autres, §§ 85-102, 24 juillet 2014).
293. De même, l’article 6 offre une garantie procédurale, à savoir le « droit à un tribunal » pour faire connaître d’une contestation relative à des « droits et obligations de caractère civil », tandis que l’article 8 sert l’objectif plus général qui consiste à assurer le juste respect, entre autres, de la vie privée. Il faut que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte, comme il se doit, les intérêts protégés par l’article 8 (voir, par exemple, Zammit Maempel c. Malte, no 24202/10, § 32, 22 novembre 2011, avec d’autres références). Il peut donc suffire, dans certains cas, d’examiner l’affaire, y compris les aspects des garanties procédurales requises, sous l’angle de l’article 8 (ibidem, § 33), tandis que dans d’autres cas la Cour peut décider d’examiner les deux dispositions séparément (voir, par exemple, Taşkın et autres, précité, §§ 118‑125 et 135‑138). C’est une question qui ne peut être tranchée que sur la base des circonstances d’une affaire donnée.
294. La même approche vaut pour les garanties procédurales découlant de l’article 13 de la Convention : la Cour peut juger inutile ou non de procéder à leur examen en plus de l’appréciation sur le terrain de la disposition matérielle pertinente (voir, par exemple, Kolyadenko et autres c. Russie, nos 17423/05 et 5 autres, §§ 227-228, 28 février 2012, et Cordella et autres c. Italie, nos 54414/13 et 54264/15, §§ 175-176). En tout état de cause, et en ce qui concerne l’articulation entre les articles 6 et 13 de la Convention, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que les exigences de la seconde disposition sont moins strictes que celles de la première. Ainsi, la Cour considère souvent que les exigences de l’article 13 sont absorbées par celles de l’article 6 (voir, par exemple, Fu Quan, s.r.o. c. République tchèque [GC], no 24827/14, § 85, 1er juin 2023 ; voir aussi Association Burestop 55 et autres c. France, nos 56176/18 et 5 autres, § 64, 1er juillet 2021).
295. Eu égard à ces considérations, la Cour commencera par définir le contenu des obligations incombant aux États au titre des dispositions matérielles de la Convention, c’est-à-dire les articles 2 et 8. Elle examinera séparément les griefs soulevés sous l’angle des articles 6 et 13.
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 8 DE LA CONVENTION
296. Les requérantes se plaignent de divers manquements des autorités suisses relativement à l’atténuation du changement climatique – et en particulier des effets du réchauffement planétaire – qui, disent-elles, a des conséquences négatives sur la vie, les conditions de vie et la santé des requérantes individuelles et adhérentes de l’association requérante. Elles invoquent les articles 2 et 8 de la Convention.
297. Le passage pertinent de l’article 2 est ainsi libellé :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...) »
298. Le passage pertinent de l’article 8 se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile (...) »
Thèses des parties
Les requérantes
a) Remarques liminaires
299. Les requérantes disent ne pas douter que les canicules provoquées par le changement climatique ont causé, causent et causeront de nouveaux décès et de nouvelles maladies chez les personnes âgées, en particulier les femmes. Elles avancent que ce message fait d’ailleurs partie de la communication adoptée par l’État défendeur vis-à-vis de ses citoyens relativement aux effets du changement climatique sur la santé publique.
300. Les requérantes individuelles soutiennent qu’eu égard à leur âge et à leur sexe elles appartiennent à une catégorie vulnérable et elles indiquent plus particulièrement que de nombreuses adhérentes de l’association ont expliqué en quoi elles étaient touchées par le changement climatique. Selon les requérantes, la deuxième d’entre elles souffrait de problèmes cardiovasculaires, la troisième en souffre toujours, et les quatrième et cinquième requérantes sont atteintes de maladies respiratoires. À leurs yeux, le risque pertinent pour les deuxième, troisième et quatrième requérantes s’est déjà concrétisé, comme en attesteraient les certificats médicaux fournis par elles. En outre, par des déclarations individuelles, les requérantes nos 2 à 5 ont décrit les effets des canicules sur leur santé et leur bien-être.
301. Les requérantes affirment que les autorités suisses sont parfaitement conscientes des risques associés au changement climatique et de la nécessité d’y faire face, et qu’elles ont reconnu ces risques dans leur communication publique en approuvant les conclusions du GIEC et en devenant parties à la CCNUCC et à l’Accord de Paris. Les requérantes considèrent cependant que les autorités n’ont pas fixé d’objectifs climatiques contraignants pour 2030 et 2050, que leur stratégie climatique ne cadre pas avec un réchauffement limité à 1,5 oC, et que, de plus, elles n’ont pas atteint leurs propres objectifs climatiques, qui étaient inadéquats. Or, pour les requérantes, la Suisse est capable d’accomplir sa part, c’est‑à‑dire de réduire le risque de surmortalité et de surmorbidité lié à la chaleur.
302. À cet égard, les requérantes arguent que l’objectif en matière climatique fixé par la Suisse pour 2020 était censé respecter la limite (aujourd’hui obsolète) de 2 oC. Elles exposent que, après un engagement à respecter la limite de 1,5 oC, l’objectif fixé par la Suisse pour 2030 n’a fait l’objet que d’une actualisation superficielle. Elles expliquent que les réductions prévues étaient totalement inappropriées et que cette insuffisance a de plus été aggravée par une révision à la baisse des ambitions nationales. Selon les requérantes, ni l’objectif même, de long terme, d’une hausse des températures limitée à 1,5 oC, ni les objectifs de réduction des émissions compatibles avec ladite limite n’ont été inscrits ou n’étaient destinés à être inscrits dans le droit national. Le grief des requérantes porte donc sur la situation climatique actuelle de la Suisse et sur le caractère à leurs yeux inadéquat des objectifs fixés pour 2030 et 2050.
303. Les requérantes déclarent que, selon sa stratégie climatique actuelle, la Suisse prévoit de produire plus d’émissions que ne le permettrait une méthode de quantification fondée sur des « émissions égales par habitant ». Elles estiment qu’en tout état de cause une méthode de répartition de l’effort fondée sur des « émissions égales par habitant » n’est pas une approche valable pour déterminer les « justes parts » nationales dans la réduction des GES. Elles précisent que l’idée générale, consacrée dans l’Accord de Paris et la Déclaration de Rio[167], est qu’un niveau équitable de contribution reflète le « niveau d’ambition le plus élevé possible » et les « responsabilités communes mais différenciées et [les] capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales ».
304. Les requérantes soutiennent que la stratégie climatique actuelle de la Suisse est bien loin d’une « juste » contribution à l’objectif global d’atténuation fixé à 1,5 oC. Elles exposent que, pour apporter une juste contribution, la Suisse devrait renforcer la réduction de ses émissions nationales et – en finançant la diminution des émissions à l’étranger – parvenir en 2030 à des émissions de GES nettes négatives, avec des baisses allant de 160 % à 200 % par rapport au niveau des émissions de 1990, pour une probabilité de 50 % de respecter la limite de 1,5 oC. Concernant le renforcement des engagements de réduction des émissions nationales dans le cadre du critère de la « juste part », elles considèrent que la Suisse devrait garantir d’ici à 2030 une baisse des émissions de GES de plus de 60 % par rapport aux niveaux de 1990. Elles estiment toutefois irréaliste de penser qu’elle y parviendra au moyen des mesures actuellement envisagées par la législation interne.
b) Sur la qualité de victime
305. Les requérantes (l’association et les requérantes nos 2 à 5) s’estiment toutes victimes, au sens autonome que revêt ce terme tiré de l’article 34 de la Convention, d’une violation des articles 2 et 8 de la Convention à raison d’un manquement persistant de l’État défendeur à leur assurer une protection effective contre les effets du réchauffement climatique. Plus particulièrement, elles se considèrent comme des victimes parce que, disent-elles, elles subissent directement les effets des mesures litigieuses. Elles soulignent que le terme « victime » représente une notion autonome qu’il convient d’interpréter de manière évolutive et non d’appliquer de façon rigide, mécanique ou inflexible. À leur avis, il suffit qu’une violation soit concevable, et le point de savoir si cette violation s’est concrétisée doit être tranché au fond.
L’association requérante
306. Concernant en particulier la qualité de victime de l’association requérante, les intéressées font observer que, bien qu’elle jouisse de la personnalité morale, l’association doit tout simplement être perçue comme un groupe d’individus, chacun d’entre eux subissant directement les effets des manquements de l’État défendeur, à l’instar des requérantes nos 2 à 5 (également adhérentes de l’association requérante). Elles en concluent que leur requête n’est pas une actio popularis. Elles expliquent que l’association requérante n’engage pas une action d’intérêt général ou public (même si les intérêts de ses adhérentes coïncident avec ceux de l’ensemble de la population), car, disent-elles, les mesures d’atténuation du changement climatique ne pourront jamais bénéficier exclusivement à certaines catégories de la population. Elles indiquent que l’association requérante doit plutôt être considérée comme un moyen permettant à des personnes physiques de porter leur plainte devant la Cour. À leur avis, empêcher l’association requérante de présenter une requête sur le terrain des articles 2 et 8 au motif qu’elle est une personne morale reviendrait à méconnaître la réalité et serait incompatible avec le principe voulant que les droits garantis par la Convention soient concrets et effectifs. De plus, selon les requérantes, la Cour doit veiller à ce que sa conception de la notion de qualité de victime soit conforme à la Convention d’Aarhus, qui en substance prévoit la possibilité pour les associations de se substituer aux individus dans l’exercice de leurs actions en matière environnementale.
307. Renvoyant à l’arrêt Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne (no 62543/00, CEDH 2004-III), les requérantes soulignent que, tout comme l’association concernée dans cette affaire, l’association requérante en la présente espèce a été créée dans le but spécifique de défendre les intérêts de ses membres devant les tribunaux. Elles expliquent que les adhérentes de l’association en l’espèce appartiennent à un groupe particulièrement vulnérable, qu’elles subissent directement les effets des manquements de l’État défendeur en matière de protection du climat et que l’association requérante est là pour leur assurer la possibilité de saisir la Cour. Elles estiment ainsi que le fait de permettre à l’association requérante de revendiquer la qualité de victime relativement à ses adhérentes individuelles revient à garantir que les membres de ce groupe particulier puissent exercer leurs droits à long terme. Pour elles, cela est d’autant plus vrai qu’il aurait été financièrement prohibitif pour la plupart des personnes de porter une affaire individuelle de cette ampleur devant les juridictions suisses avant de se tourner vers la Cour. À leurs yeux, en effet, compte tenu de la complexité et du coût d’une action en matière climatique, il n’est pas surprenant que, au cours des dernières années, les associations aient joué un rôle croissant dans ce type d’affaires et qu’elles aient eu ce faisant plus de succès que les demandeurs individuels.
Les requérantes nos 2 à 5
308. Les requérantes nos 2 à 5 auraient souffert et continueraient de souffrir directement et personnellement d’affections liées à la chaleur. Lors de chaque canicule, elles auraient été et seraient exposées à un risque réel et sérieux de mortalité et de morbidité qui serait plus élevé pour elles que pour la population générale du seul fait qu’elles sont des femmes de plus de soixante-quinze ans. Du fait de leurs maladies respiratoires et cardiovasculaires, elles courraient un risque encore plus élevé que d’autres femmes âgées. Elles seraient aussi des victimes directes par l’effet cumulé de toutes les conséquences qu’elles auraient déjà subies et auraient à subir à l’avenir. Ainsi, leur grief serait spécifique et ne porterait pas sur une dégradation générale de l’environnement.
309. Il serait établi au-delà de tout doute raisonnable que les risques que les canicules provoquées par le changement climatique font peser sur le groupe particulièrement vulnérable des femmes âgées se concrétiseront immanquablement pour telle ou telle personne. Il incomberait donc à l’État de prouver que leurs problèmes de santé n’ont pas été causés par une chaleur excessive, contrairement à ce qu’indiqueraient les pièces médicales fournies par les requérantes.
310. En outre, les requérantes nos 2 à 5 seraient des victimes potentielles parce que le manquement persistant de l’État défendeur à prendre les mesures nécessaires pour réduire les émissions de manière à respecter la limite de 1,5 oC serait de nature à augmenter sensiblement le risque pour elles d’être touchées par la mortalité et la morbidité liées à la chaleur. Il ne ferait aucun doute que les canicules causées par le changement climatique provoqueront un nombre croissant de maladies et de décès parmi les femmes âgées atteintes de maladies chroniques, groupe dont les requérantes en question relèveraient. Celles-ci indiquent l’avoir établi en s’appuyant sur des éléments solides et détaillés (des données épidémiologiques et d’autres données scientifiques), afin de démontrer la probabilité réelle de nouvelles violations de leurs droits. Le GIEC aurait estimé que, selon les trajectoires actuelles, un réchauffement de 1,5 oC serait atteint d’ici la première moitié des années 2030, voire à la fin des années 2020.[168] Les requérantes déclarent qu’elles pensent et espèrent être encore en vie à ce moment-là.
311. Les requérantes soulignent qu’elles relèvent d’une catégorie particulièrement vulnérable. Selon elles, les décès dus à la chaleur ne se répartissent pas de façon aléatoire dans l’ensemble de la population, mais surviennent plus spécifiquement parmi les femmes âgées. Tant les adhérentes de l’association requérante en général que les requérantes nos 2 à 5 appartiendraient à ce segment spécifique de la population dont les membres seraient particulièrement touchés par le changement climatique en raison de leur âge et de leur sexe. Les requérantes nos 2 à 5 seraient encore plus vulnérables du fait de leurs maladies chroniques. À titre individuel et en tant que membres du groupe particulièrement vulnérable des femmes de plus de soixante-quinze ans, elles seraient – par rapport à la l’ensemble de la population – spécialement touchées par les effets de la hausse des températures.
c) Sur l’applicabilité des dispositions pertinentes de la Convention
Article 2 de la Convention
312. Selon les requérantes, l’État défendeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour réduire les émissions de manière à respecter la limite de 1,5 oC et atténuer ainsi l’effet de l’élévation des températures, si bien que l’article 2 entre en jeu. La vie des requérantes nos 2 à 5 et des adhérentes de l’association requérante serait exposée à un risque réel et sérieux du fait de l’élévation des températures. Les canicules récurrentes auraient déjà entraîné une surmortalité et une surmorbidité liées à la chaleur parmi la catégorie des femmes âgées ; il existerait des preuves, d’une part, de la gravité du risque que le changement climatique en cours présenterait pour les requérantes, et, d’autre part, de ce que celles-ci, en raison de leurs maladies chroniques, auraient déjà subi un préjudice et demeureraient exposées à un risque particulièrement élevé.
313. Les intéressées déclarent que, dans ces conditions, l’article 2 fait obligation à l’État de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des requérantes nos 2 à 5 et des adhérentes de l’association requérante. Elles précisent qu’elles font notamment référence à l’obligation positive pour l’État de mettre en place un cadre législatif et administratif dissuasif propre à prévenir de manière effective toute menace au droit à la vie. Elles estiment que cette obligation naît lorsqu’il existe un risque connu et grave pour la vie. Elles considèrent toutefois que pour que cette obligation entre en jeu, il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’un risque imminent ou immédiat pour la vie, ce qui n’est selon elles pertinent que lorsqu’il y a un devoir d’agir concrètement, devoir qui, estiment-elles, n’est pas en cause en l’espèce.
314. Les requérantes soutiennent qu’en toute hypothèse, le changement climatique présente un risque immédiat lié aux événements indésirables qu’il engendre, et qu’une quantité suffisante de données scientifiques vient corroborer ce constat. Invoquant le principe selon lequel la Convention ne peut s’interpréter dans le vide, elles arguent que quand bien même il existerait des incertitudes quant aux effets du changement climatique, il conviendrait d’appliquer le principe de précaution, de sorte que se trouvent englobées les notions d’effet direct, d’inévitabilité et d’irréversibilité.
315. Les requérantes estiment avoir fourni des éléments de preuve suffisants pour établir les faits relativement à l’existence d’un lien de causalité entre le manquement allégué de l’État défendeur à faire face au changement climatique et les effets physiques et psychologiques qu’elles disent subir. Concernant le critère de causalité, elles soulignent que le fait qu’une multiplicité d’États soient responsables des émissions de GES n’exonère pas l’État défendeur de sa propre responsabilité. Elles arguent que le critère de causalité à appliquer dans le contexte du changement climatique consiste à déterminer s’il existe une responsabilité individuelle, partielle ou conjointe de contribuer à la lutte contre les dangers dudit changement (ce qui, selon les intéressées, est conforme à l’article 47 du projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite[169]). Elles allèguent que, dans ces conditions, une responsabilité partielle résulte d’une causalité partielle, même si un seul État ne peut à lui seul empêcher un certain résultat. Selon elles, cette approche concorde avec la façon dont la Cour a abordé la causalité dans le cadre du rejet de l’analyse du « n’eût été » (« but for » test) (les requérantes se réfèrent notamment à l’arrêt O’Keeffe c. Irlande [GC], no 35810/09, § 149, CEDH 2014 (extraits)), ainsi qu’avec l’approche adoptée au niveau des juridictions nationales dans le cadre des contentieux relatifs au changement climatique. Dans ce dernier cadre, l’argument des États consistant à dire que leurs émissions ne contribuent que faiblement au changement climatique (argument de la « goutte d’eau dans l’océan ») aurait de plus été rejeté. Les requérantes plaident que cet argument ne saurait exonérer l’État de sa responsabilité. Elles soutiennent en effet que les actions menées individuellement par un État dans la lutte contre le changement climatique contribuent substantiellement à créer la confiance mutuelle qui est selon elles nécessaire pour pousser d’autres États à agir.
Article 8 de la Convention
316. Les requérantes soutiennent que la grave menace que le changement climatique fait selon elles peser sur leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie suffit à faire naître des obligations positives au titre de l’article 8. Elles estiment que ce constat aurait aussi été valable si leur état de santé ne s’était pas dégradé ou n’avait pas été sérieusement mis en péril. Elles considèrent que de l’article 8 découlent pour elles un droit à l’autonomie personnelle et un droit de vieillir dans la dignité.
317. Les requérantes arguent que pour déterminer si l’article 8 est applicable, la Cour doit tenir compte de ce que, selon elles, les circonstances et données pertinentes montrent que les canicules induites par le changement climatique représentent un risque réel et sérieux pour leur santé et leur bien-être. L’État défendeur serait conscient du risque réel et sérieux de subir un préjudice auquel les intéressées se trouveraient exposées. Les requérantes auraient établi un lien de causalité directe entre les omissions de l’État défendeur, qui auraient contribué au changement climatique, et les effets néfastes qu’elles subiraient. Quoi qu’il en soit, prouver l’existence d’un lien de causalité direct ne serait pas un préalable nécessaire à l’entrée en jeu de l’article 8 (les requérantes renvoient sur ce point à l’arrêt Tătar c. Roumanie, no 67021/01, § 107, 27 janvier 2009).
318. Selon les requérantes, l’État défendeur ne saurait considérer que l’élévation des températures due au changement climatique doit être traitée comme un aspect normal du quotidien. Les conséquences extrêmes du changement climatique et le fait que la Suisse se soit engagée au titre du droit international à prendre des mesures pour en atténuer les effets montreraient qu’il ne s’agit en aucune façon d’un aspect de la « vie normale ». Renvoyant aux observations qu’elles ont formulées sur le terrain de l’article 2, les requérantes arguent que les effets cumulés de toutes les conséquences qu’elles ont déjà subies et subiront montrent que le seuil d’applicabilité de l’article 8 a été franchi.
d) Sur le fond
319. Les requérantes soutiennent qu’au titre de l’article 2 de la Convention, la Cour doit déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, l’État a pris toutes les mesures requises pour empêcher que leur vie ne soit inutilement mise en danger (elles renvoient à l’arrêt L.C.B. c. Royaume‑Uni, 9 juin 1998, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1998-III). Elles exposent que les risques que le changement climatique fait peser sur la vie des requérantes nos 2 à 5 et des autres adhérentes de l’association requérante sont comparables et potentiellement supérieurs à ceux dont la Cour a eu à connaître jusqu’à présent. Elles estiment en particulier qu’au vu de l’ampleur des risques que fait naître le changement climatique, de la clarté des données scientifiques, de l’urgence de la situation et de l’objectif ultime et clair de la CCNUCC, l’État est tenu par une obligation positive de prendre toutes les mesures qui ne sont pas impossibles ou qui ne représentent pas une charge économique disproportionnée, dans l’objectif de ramener les émissions de GES à un niveau sûr. Elles arguent que la situation impose à l’État de faire tout ce qui est en son pouvoir pour les protéger.
320. Les requérantes exposent que la portée de l’obligation de protection qui incombe à l’État défendeur découle notamment des règles et principes pertinents du droit international, de l’évolution des normes de droit national et international, et du consensus qui se dégage des instruments internationaux spécialisés et de la pratique des États contractants. Elles estiment, tenant compte de l’impératif d’interprétation harmonieuse de la Convention et de ces considérations, que pour satisfaire à son obligation positive de les protéger de manière effective, l’État doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour accomplir sa part dans le cadre des efforts visant à empêcher une élévation de la température mondiale de plus de 1,5 oC par rapport aux niveaux préindustriels. Elles ajoutent que cela passe nécessairement par la mise en place d’un cadre législatif et administratif devant permettre la réalisation de cet objectif. Selon les requérantes, le principe de l’interprétation harmonieuse contribue également à clarifier l’ambiguïté qui entoure la « juste part » exacte qui est celle de l’État défendeur dans l’effort d’atténuation requis au niveau mondial, ainsi que la question de savoir si la portée de l’obligation de protection s’étend aux émissions produites à l’étranger. À cet égard, les engagements pris par l’État au titre de la CCNUCC et de l’Accord de Paris revêtiraient une importance particulière car, combinés avec les conclusions du GIEC, ils démontreraient que l’État a connaissance du risque réel et sérieux que les changements climatiques, y compris les vagues de chaleur extrême, font peser sur les requérantes. Ces dernières estiment en outre que les études scientifiques pertinentes et les normes établies[170] doivent servir à éclairer la portée des obligations de l’État.
321. À la lumière de ces considérations, les requérantes affirment que l’État défendeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour atténuer les dommages et les risques que le changement climatique représente pour elles. Elles estiment plus spécifiquement qu’il a accompli beaucoup moins que sa part pour empêcher une augmentation de la température mondiale de plus de 1,5 oC. Elles soutiennent que, contrairement à ce qui est requis d’elle, la Suisse a une stratégie climatique qui ne cadre pas avec la limite de 1,5 oC, et que le pays connaît depuis longtemps des échecs en matière d’action climatique. Elles ajoutent que l’État n’a pas fixé d’objectifs climatiques contraignants au niveau national pour 2030 et 2050, et qu’il n’a pas davantage atteint son objectif climatique pour 2020 (lequel à leur avis était inadéquat). Elles considèrent que le potentiel d’atténuation est resté largement inexploité en Suisse, en partie sans aucune justification, en partie au prétexte de coûts élevés, motif qui n’est selon elles ni étayé ni – concernant la Suisse – pertinent. Elles arguent que la charge de la preuve pèse sur le Gouvernement qui, à l’aide de données précises et rigoureuses, doit démontrer que l’État a pris les mesures nécessaires. Elles soutiennent toutefois qu’en Suisse les décisions ne reposent pas sur des études scientifiques et que l’État a en fait décidé de se passer de son organe consultatif sur le changement climatique, lequel, selon elles, avait pointé dès 2012 l’insuffisance des objectifs fixés en la matière.
322. Sur les raisons avancées par le Gouvernement pour expliquer pourquoi la Suisse n’a pas établi un budget carbone national – et n’a donc pas défini sa politique climatique sur la base d’une évaluation quantitative (paragraphe 360 ci-dessous) –, les requérantes considèrent que l’approche de l’État repose sur des idées fondamentalement erronées.
323. À cet égard, les requérantes font observer qu’elles ont demandé une expertise[171] concernant la méthodologie utilisée dans la note d’orientation de 2012 sur laquelle l’État s’appuie[172]. Elles expliquent que dans le cadre de cette expertise, la méthodologie qui avait été suivie dans la note d’orientation a été appliquée au budget global restant (associé à un réchauffement de 1,5 oC) tiré du rapport RE6 du GIEC, et qu’il a été déterminé que le budget restant pour la Suisse s’élevait à 381 Mt éqCO2 à compter du 1er janvier 2022. Elles ajoutent que, d’après les calculs réalisés dans le cadre de l’expertise sur la base des objectifs actuels et prévus de la Suisse en matière de réduction des émissions, ce budget sera épuisé entre 2030 et 2033. Elles affirment qu’au regard des objectifs actuels et prévus qu’elle s’est fixée, la Suisse s’arrogerait 0,2073 % du budget mondial de CO2 restant en 2022, alors que sa population représente 0,1099 % de la population mondiale. Elles considèrent que pour rester dans les limites budgétaires définies par la méthodologie suivie dans la note d’orientation, la Suisse devrait ramener à zéro ses émissions nettes d’ici 2040, soit bien avant la date qu’elle s’est fixée pour y parvenir, à savoir 2050. Elles soulignent que selon le rapport d’expertise, la méthodologie utilisée dans la note d’orientation présente plusieurs lacunes, en conséquence de quoi, estiment-elles, il est malavisé de s’appuyer sur cette note pour éclairer la question des objectifs de « juste part » des pays.
324. Les requérantes arguent que le GIEC a également procédé à des évaluations des méthodes de répartition de l’effort. Elles soutiennent que dans son rapport le plus récent (RE6), le GIEC a explicitement reconnu qu’il est important que les pays expliquent comment les principes d’équité sont « opérationnalisés » et expriment leurs objectifs en part du budget mondial restant.[173] Elles arguent que la même approche quant à la nécessité de quantifier la juste part d’un État a été suivie dans le cadre de contentieux climatiques traités au niveau national en Allemagne et aux Pays-Bas. En revanche, en ce qui concerne l’argument de l’État défendeur qui consiste à dire que la Suisse s’appuie sur les trajectoires de réduction des émissions mondiales établies par le GIEC, elles font observer que le GIEC lui-même a admis que ces trajectoires ne pouvaient être considérées comme des hypothèses explicites concernant l’équité mondiale, la justice environnementale ou la répartition intrarégionale des revenus[174].
325. Les études communiquées par les requérantes – publiées notamment par le CAT, Climate Analytics[175] et Rajamani et al. –concorderaient avec les observations des intéressées. Elles s’appuieraient sur l’évaluation des études relatives à la répartition de l’effort réalisée par le GIEC dans son rapport RE5, complétée par des études plus récentes et des données historiques. Elles couvriraient donc un éventail de méthodologies de répartition de l’effort encore plus large que dans l’évaluation livrée dans le rapport RE4. À l’inverse, l’État défendeur n’aurait fourni aucune justification chiffrée de l’équité de son objectif en matière d’émissions. L’approche suivie par lui, qui s’apparenterait à une approche budgétaire, serait erronée et manifestement insuffisante. Explicitement sollicité sur ce point par les requérantes, l’OFEV, dans une lettre du 10 mars 2021, n’aurait pas établi que, dans son appréciation de la politique climatique de la Suisse, il s’était fondé sur la note d’orientation ou sur l’évaluation interne que le Gouvernement soumet aujourd’hui à la Cour, documents qui en toute hypothèse reposeraient sur une méthodologie incorrecte (paragraphe 323 ci‑dessus).
326. Les études sur la répartition de l’effort communiquées par les requérantes auraient uniquement déterminé le niveau de diminution des émissions correspondant à la « juste part » d’un pays, en précisant si les réductions devaient être réalisées au niveau national. Les difficultés techniques alléguées et le coût élevé de la diminution des émissions sur le territoire de l’État défendeur seraient sans pertinence pour la fixation du niveau de responsabilité en matière de réduction globale des émissions, niveau qui pourrait également être atteint par un soutien aux pays ayant des niveaux de responsabilité et de capacité moindres. Les requérantes en concluent que la Suisse serait clairement en mesure de mettre en œuvre les mesures d’atténuation requises.
327. En résumé, les requérantes considèrent que l’action de la Suisse en matière de lutte contre le changement climatique est inadéquate pour les raisons suivantes : a) la Suisse n’a pas légiféré concernant les exigences de réduction minimale des émissions pour 2020, puis elle n’a pas atteint cet objectif inadéquat de réduction des émissions ; b) l’objectif proposé pour 2030 est manifestement inadéquat et n’a même pas été transposé dans la loi ; et c) l’objectif proposé par la Suisse pour 2050 est inadéquat dans la mesure où il n’engage pas la Suisse à atteindre un objectif de zéro émission nette au niveau national, et il n’a pas non plus été transposé dans la loi.
328. Dans les conditions exposées ci-dessus, les requérantes soutiennent que l’État a manqué et continue de manquer à son obligation de les protéger de manière effective. Elles y voient une violation de leur droit à la vie découlant de l’article 2 de la Convention.
329. Les requérantes relèvent également que, dans le domaine environnemental, la portée des obligations positives résultant de l’article 2 recoupe largement celle des obligations positives découlant de l’article 8 (elles renvoient notamment à l’arrêt Kolyadenko et autres, précité, § 216). Elles estiment donc que les considérations déjà exposées ci-dessus au sujet de l’article 2 s’appliquent aussi au grief qu’elles formulent sur le terrain de l’article 8. De plus, en ce qui concerne le juste équilibre à ménager (pertinent sous l’angle de l’article 8) entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble, elles soulignent qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts en l’espèce. À leurs yeux, il est au contraire dans l’intérêt de l’ensemble de la société que l’État adopte des mesures préventives afin, comme le prévoit l’Accord de Paris, de réduire la probabilité que les températures mondiales dépassent la limite de 1,5 oC. Les requérantes estiment toutefois que considérer qu’elles sollicitent la Cour en vue de faire appliquer l’Accord de Paris reviendrait à déformer leur grief. Elles soutiennent qu’elles demandent seulement à la Cour de se prononcer sur le point de savoir si la Suisse a violé les droits qu’elles tirent de la Convention.
330. Les requérantes arguent que le grief porte sur la question du respect de normes internationales que l’État a lui-même reconnues, sur un risque de catastrophe anthropique et sur une violation des droits fondamentaux protégés par l’article 2 de la Convention, et qu’en conséquence la marge d’appréciation de l’État est limitée. Elles ajoutent que l’urgence de la situation et le risque de dommages irréversibles vont aussi dans le sens d’une marge d’appréciation étroite. Si elles admettent qu’il appartient à la Suisse de décider des mesures à prendre pour réaliser les objectifs et que l’État dispose à cet égard d’une marge d’appréciation, elles estiment qu’il n’en va pas de même en ce qui concerne la fixation des objectifs eux-mêmes ou encore la nécessité d’une législation de nature à les mettre en œuvre concrètement. En effet, arguent-elles, il n’y a qu’un seul moyen d’empêcher le dépassement de la limite de 1,5 oC : faire en sorte que les émissions mondiales n’excèdent pas le budget carbone restant, lequel devrait être équitablement réparti entre les États.
331. Les requérantes soutiennent que la portée de l’obligation de protection que les articles 2 et 8 imposent à l’État défendeur doit être interprétée à la lumière des instruments internationaux pertinents, qui font ressortir une tendance internationale (et des obligations internationales) relativement aux mesures à prendre pour faire face aux risques graves et majeurs du changement climatique. Pour les requérantes, il s’agit en particulier des engagements pris par l’État au titre de la CCNUCC et de l’Accord de Paris, ainsi que du Pacte de Glasgow pour le climat (2021), qui a confirmé la valeur de 1,5 oC comme principal plafond pour l’augmentation des températures mondiales.
332. Les requérantes exposent que les principes de prévention et de précaution constituent des bases importantes à partir desquelles déterminer la portée de l’obligation de protection au moyen d’une interprétation harmonieuse de la Convention (les intéressées citent l’article 3 § 3 de la CCNUCC et le projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières[176]). Elles considèrent que les impératifs de « prévention » et de « précaution » recouvrent tout l’éventail des mesures préventives, qu’elles soient prises dans un contexte d’incertitude scientifique ou non. Elles ajoutent que la jurisprudence de la Cour mentionne aussi le principe de précaution (elles renvoient à Tătar, précité, §§ 109‑120).
333. Pour les requérantes, l’évolution des normes de droit national et international et le consensus qui se dégage des instruments internationaux spécialisés et de la pratique des États constituent d’autres éléments importants à partir desquels déterminer la portée de l’obligation de protection au moyen d’une interprétation harmonieuse de la Convention. Au cours de la dernière décennie, disent les requérantes, un large éventail d’institutions judiciaires, quasi judiciaires et autres, aux niveaux national, régional et international, ont reconnu l’impact considérable que le changement climatique avait déjà, et aurait à l’avenir, sur l’exercice de multiples droits fondamentaux, notamment le droit à la vie et le droit à la santé. À cet égard, selon les intéressées, la Résolution 76/300 de l’Assemblée générale des Nations unies doit être considérée comme une avancée récente et importante au niveau international, la reconnaissance explicite de ce que « le droit à un environnement propre, sain et durable fait partie des droits humains ». Les requérantes font du reste observer que tous les États contractants ont voté en faveur de cette résolution. Elles indiquent que cette convergence ressort également de la loi européenne sur le climat[177] et elles exposent que ce texte contient un accord sur la réduction minimale des émissions à opérer, réduction qui, disent‑elles, est bien plus ambitieuse que celle envisagée par la Suisse.
334. Les requérantes soutiennent que, au vu du progrès des connaissances scientifiques, il ne fait désormais plus de doute que le changement climatique a des conséquences désastreuses et qu’il est réellement urgent de prendre les mesures nécessaires pour y faire face. Elles indiquent que ces points sont reconnus dans la CCNUCC mais que, depuis l’adoption de ce traité, l’urgence s’est considérablement accrue, comme en attestent selon elles le besoin qui s’est fait ressentir d’adopter l’Accord de Paris, puis l’adoption même de cet accord. Les requérantes exposent que, selon le consensus scientifique actuel, il ne reste que très peu, voire pas, de temps pour empêcher des hausses de température catastrophiques. Dès lors, estiment‑elles, la Cour doit interpréter et appliquer les droits garantis par la Convention en tenant compte du consensus scientifique qui existe autour des idées suivantes : le changement climatique a des conséquences dramatiques pour la vie sur terre ; il existe un risque réel de dépassement de nouveaux seuils critiques, appelés « points de bascule » ; d’importantes mesures d’atténuation du changement climatique doivent être prises de toute urgence pour éviter les conséquences les plus catastrophiques, même s’il n’est plus possible d’éviter toutes les conséquences.
335. Les requérantes considèrent que si les mesures d’adaptation sont certes cruciales elles aussi, elles ne répondent pas à ce que la Suisse aurait dû faire pour atténuer le changement climatique. Elles estiment, d’une part, que même avec des mesures d’adaptation, on constaterait globalement une augmentation de la mortalité due à la chaleur, et, d’autre part, qu’avec l’élévation des températures, le potentiel d’adaptation est de plus en plus limité.[178]
336. Les requérantes avancent qu’il est largement reconnu au niveau international que la prévention du changement climatique fait partie intégrante de l’obligation pour les États de protéger les droits de l’homme.[179] Elles indiquent que les juridictions internes l’ont également reconnu au niveau national. Elles arguent que, dans l’hypothèse où la Cour jugerait que ces juridictions internes ont eu tort de considérer que la non‑adoption par les États et les sociétés de mesures suffisantes pour atténuer le changement climatique a mis en jeu – et, au vu des circonstances des affaires en question, a violé – les articles 2 et 8 de la Convention, il s’agirait d’un recul majeur dans la lutte contre le changement climatique. Elles ajoutent que l’éventuelle invocation par la Cour du fait que, en vertu de l’article 53 de la Convention, les juridictions internes peuvent aller au‑delà des exigences de celle‑ci ne suffirait pas à écarter les risques associés à un tel revers.
Le Gouvernement
a) Remarques liminaires
337. Le Gouvernement considère que le réchauffement de la planète est l’un des plus grands défis qui se pose à l’humanité. Il expose que ses effets se font déjà sentir dans différentes régions du monde et qu’ils seront certainement plus perceptibles encore à l’avenir. Pour lui, il y a donc urgence à adopter et à appliquer de manière effective une série de mesures destinées à lutter contre le changement climatique et à en limiter au maximum les effets. À son avis, seule une action collective des États, combinée aux efforts individuels des citoyens, pourra apporter une solution pérenne aux effets du réchauffement climatique. Le Gouvernement ajoute que la Suisse, pays alpin selon lui particulièrement touché par le changement climatique, a d’ores et déjà reconnu le problème du réchauffement de la planète et pris diverses mesures pour y faire face. Il estime toutefois important de signaler que la contribution de la Suisse aux émissions mondiales de GES ne représente qu’environ 0,1 %.
338. Tout en admettant qu’il est légitime, dans une société démocratique, que l’opinion publique cherche à faire pression sur les autorités pour qu’elles s’attaquent au changement climatique, le Gouvernement estime que le mécanisme de recours individuel prévu par la Convention n’est pas le moyen approprié pour ce faire, compte tenu en particulier du principe de subsidiarité. Il considère que les institutions démocratiques du système politique suisse fournissent des moyens suffisants et appropriés pour répondre aux préoccupations nées du changement climatique, et que « judiciariser » la question au niveau international ne ferait que créer des tensions sous l’angle du principe de subsidiarité et de la séparation des pouvoirs. Il estime qu’en tout état de cause la Cour ne peut pas agir en qualité de juridiction suprême en matière d’environnement, compte tenu notamment de la complexité de la question en matière de preuve et sur le plan scientifique. Il ajoute qu’en l’espèce la Cour ne peut se pencher sur les faits relatifs au changement climatique que pour la période allant jusqu’au 5 mai 2020, date de la décision définitive des juridictions internes dans la cause des requérantes, la période postérieure à cette date n’ayant pas été examinée par lesdites juridictions.
339. Il considère en outre que le cas d’espèce ne peut présenter un intérêt que s’il est tiré grief, sur le terrain des articles 6 et 13, d’un défaut d’examen au fond par les juridictions internes de l’action des requérantes (au motif qu’elles n’auraient pas respecté les conditions de recevabilité). Il estime en revanche que, pour ce qui concerne les articles 2 et 8 de la Convention, la Cour ne peut pas agir en tant que juridiction de première instance en matière de changement climatique.
b) Sur la qualité de victime
L’association requérante
340. Le Gouvernement relève qu’en l’espèce les juridictions internes n’ont pas tranché la question de savoir si l’association requérante avait la qualité de victime. À ses yeux, il est toutefois clair que rien n’empêche l’association d’œuvrer à la réalisation des objectifs pour lesquels elle a été créée.
341. Le Gouvernement souligne en outre que la Convention ne reconnaît pas la possibilité d’engager une actio popularis et qu’en conséquence les associations ne peuvent avoir la qualité de victime que si elles ont été directement touchées par la mesure en cause. Il ajoute que certains droits garantis par la Convention ne peuvent pas, eu égard à leur nature, être exercés par une association. De l’avis du Gouvernement, l’association requérante ne peut se prévaloir ni du droit à la vie ni du droit au respect de sa vie privée et familiale et, dès lors, ne peut se prétendre victime d’une violation des articles 2 et 8.
Les requérantes nos 2 à 5
342. Le Gouvernement admet que les canicules (températures supérieures à 30 oC pendant plusieurs jours et ne descendant pas en dessous de 20 oC pendant la nuit) peuvent présenter un risque pour la santé et même être mortelles pour les personnes âgées ou souffrant de maladies (chroniques), les femmes enceintes ou les enfants en bas âge. Il avance toutefois que, selon certaines études, tous les décès causés par la chaleur ne sont pas liés au réchauffement climatique. Il considère que les requérantes nos 2 à 5 appartiennent certes à l’une des catégories à risque en cas de canicule, mais que l’âge précis de la personne concernée n’est qu’un facteur parmi d’autres, de sorte que l’on ne peut selon lui englober toutes les personnes âgées dans une catégorie unique qui serait exposée à un risque particulier. Il ajoute que les femmes ne semblent pas être plus à risque que les hommes du même âge. En toute hypothèse, selon lui, il n’est pas possible d’établir la qualité de victime d’un requérant au seul motif qu’il appartient à un groupe vulnérable. En l’espèce, les requérantes n’auraient pas démontré l’existence d’un lien suffisant entre le préjudice qu’elles disent avoir subi (ou devoir subir à l’avenir) et les manquements allégués de l’État. Leur requête serait par nature une actio popularis.
343. Concernant la situation individuelle des requérantes nos 2 à 5, le Gouvernement estime que les effets qu’elles se plaignent d’avoir subis ne leur sont pas assez spécifiques et ne sont pas d’une intensité suffisante pour leur valoir la qualité de victimes directes au regard de la Convention. Il expose par exemple que les mesures d’adaptation qu’elles ont dû prendre face aux canicules sont des pratiques courantes pendant ces vagues de chaleur, qui touchent aussi le reste de la population, et il considère qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments pour établir que les problèmes de santé dont souffrent les intéressées sont liés à de prétendues omissions et actions de l’État. De plus, selon le Gouvernement, soit les différents problèmes de santé des requérantes ne sont pas uniquement liés aux canicules, soit les griefs qu’elles en tirent sont flous.
344. Quant à la qualité de victimes potentielles d’une violation des articles 2 et 8 de la Convention dont se prévalent les requérantes, le Gouvernement estime que les travaux du GIEC montrent qu’il n’est pas possible d’établir l’existence d’un risque réel pour les intéressées de subir dans un avenir proche une violation de leurs droits découlant desdites dispositions. Selon le Gouvernement, reconnaître des risques potentiels pour l’avenir est source d’incertitudes et pose la question de savoir si les requérantes, qui ont déjà plus de quatre-vingts ans, seront elles-mêmes touchées individuellement par les effets évoqués lorsque le réchauffement de la planète atteindra 1,5 oC en 2040, suivant les prévisions pertinentes. À son avis, plus la date supposée de survenance d’un dommage est éloignée dans le temps, plus la survenance de ce dommage et son incidence sur les personnes concernées sont incertaines.
345. Compte tenu de ce qui précède, le Gouvernement estime que les requérantes ne sont ni des victimes directes ni des victimes potentielles sous l’angle des articles 2 et 8 de la Convention.
c) Sur l’applicabilité des dispositions pertinentes de la Convention
346. Le Gouvernement soutient que les requérantes n’ont pas établi l’existence d’un lien de causalité entre les prétendus manquements de la Suisse et les atteintes à leurs droits découlant des articles 2 et 8. Il souligne que le réchauffement climatique est un phénomène mondial et que seule une action résolue de l’ensemble des États, associée à des changements de comportement de la part des acteurs privés et de l’ensemble des citoyens, pourra permettre de trouver des solutions pérennes à cet immense défi. Il ajoute que les émissions de GES sont causées par la communauté des États et qu’elles varient d’un pays à l’autre. Il poursuit en arguant que, compte tenu de la faible intensité actuelle des GES de la Suisse, les manquements reprochés à cet État ne sont pas de nature à causer, à elles seules, les souffrances évoquées par les requérantes et à avoir des conséquences sérieuses sur leur vie même et sur leur vie privée et familiale. Pour le Gouvernement, il n’y a donc pas de lien suffisant entre les émissions polluantes et l’État défendeur pour que se pose la question des obligations positives de celui-ci au titre des articles 2 et 8 de la Convention.
Article 2 de la Convention
347. S’agissant plus particulièrement de l’article 2, le Gouvernement estime que, si la réalité des dangers liés au réchauffement climatique est évidente, les requérantes n’ont cependant pas démontré l’existence d’un risque « imminent » pour leur vie, élément nécessaire, dit-il, à l’applicabilité de cette disposition. Il ajoute que la gravité des effets négatifs du réchauffement climatique n’atteint pas l’intensité requise pour faire entrer en jeu l’article 2.
Article 8 de la Convention
348. En ce qui concerne l’article 8, eu égard au fait que la Cour a reconnu que des atteintes graves à l’environnement peuvent affecter le bien‑être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile au point de nuire à sa vie privée et familiale, le Gouvernement ne peut pas exclure totalement que cette disposition puisse en principe trouver à s’appliquer dans le contexte du changement climatique. Selon lui, en effet, il est notoire que l’accélération du réchauffement de la planète est un phénomène extrêmement préoccupant pour l’humanité et qu’elle résulte des émissions de CO2 d’origine humaine. À son avis, le réchauffement planétaire est indéniablement de nature à faire sentir ses effets sur la qualité de vie des individus, même quand leur santé n’est pas gravement menacée.
349. Le Gouvernement estime cependant que le réchauffement climatique n’a pas atteint un niveau propre à avoir un effet tangible sur la vie privée et familiale des requérantes nos 2 à 5, notamment sur leur bien‑être mental. Il expose que les requérantes disent non pas que les émissions de GES sont directement nuisibles à leur santé mais plutôt que ces émissions provoquent le réchauffement climatique et des canicules qui, elles, seraient préjudiciables à leur santé. Or, il souligne que les requérantes ne sont pas constamment exposées à de tels effets et il en déduit qu’elles ne sont pas touchées dans leur vie quotidienne. Il indique aussi qu’il est possible d’adopter des mesures de prévention simples pour réduire le risque de mortalité pendant les canicules.
350. Dès lors, le Gouvernement n’est pas convaincu que l’article 8 puisse trouver à s’appliquer ; il considère que cette question n’a pas à être tranchée compte tenu de ses arguments sur le bien-fondé de ce grief.
d) Sur le fond
351. Le Gouvernement argue que, dans un domaine aussi technique et complexe que celui du changement climatique, l’État doit jouir d’une ample marge d’appréciation et que le contrôle de la Cour doit se limiter à vérifier que l’État n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. Sur les facteurs à prendre en compte dans ce cadre, il souligne que le réchauffement planétaire fait naître des questions et des défis inédits et d’une grande complexité. Il considère que le problème englobe des questions sociales et techniques difficiles et que son traitement nécessite l’étude de données scientifiques et une évaluation des risques. Il voit le choix des meilleurs moyens de lutter contre le réchauffement climatique comme un exercice délicat dans le cadre duquel doivent être pris en compte de nombreux intérêts différents, voire contradictoires. Il soutient que les mesures de protection du climat peuvent aussi emporter des restrictions des droits fondamentaux et des libertés individuelles. Selon lui, il convient donc de trouver les solutions les plus judicieuses au terme d’une mise en balance de l’ensemble des intérêts en jeu. Les choix opérationnels nécessiteraient de fixer des priorités, y compris dans l’allocation des ressources. Conformément au principe de subsidiarité, la définition et le choix des mesures à prendre, dont la palette serait large, relèveraient de la compétence des gouvernements et des parlements nationaux ainsi que, dans le cas de la Suisse, qui repose sur un système de démocratie directe, du peuple. Tous ces éléments plaideraient en faveur de la reconnaissance d’une ample marge d’appréciation de l’État en l’espèce.
352. En ce qui concerne le principe d’interprétation harmonieuse de la Convention, le Gouvernement estime qu’il ne peut être utilisé pour combler une prétendue lacune dans le cadre juridique international en matière de changement climatique et – ce que, soutient-il, les requérantes souhaitent en réalité – pour contourner le mécanisme établi par l’Accord de Paris en cherchant à instaurer un système de contrôle juridictionnel international des mesures de limitation des émissions de GES. Il expose qu’en effet, lors des négociations sur l’Accord de Paris, les parties ont décidé de ne pas créer de mécanisme contraignant de contrôle des engagements des États. Il considère donc que les requérantes ne peuvent demander l’instauration d’un tel mécanisme dans le cadre de la Convention, d’autant que toutes les parties à l’Accord de Paris ne sont pas parties à la Convention et que cela risquerait de créer une inégalité entre elles si les questions relevant de l’Accord de Paris venaient à être soumises à un contrôle juridictionnel fondé sur la Convention. Pour le Gouvernement, il serait donc plus indiqué de traiter les questions relatives au changement climatique sur le terrain d’autres instruments internationaux que la Convention.
353. Le Gouvernement expose, dans l’hypothèse où la Cour estimerait devoir prendre en compte certains instruments internationaux sur le changement climatique, que tous ceux-ci sont le résultat de négociations entre États souverains et qu’ils prévoient un objectif collectif et des obligations individuelles en laissant diverses questions en la matière à la discrétion des États. Il précise que c’est en particulier le cas de la CCNUCC et de l’Accord de Paris.
354. Le Gouvernement souligne que le projet d’articles de la Commission du droit international sur la prévention des dommages transfrontières n’est pas directement pertinent dans le cas d’espèce, celui-ci ne portant pas selon lui sur des dommages transfrontières. De même, il estime que la loi européenne sur le climat n’est pas pertinente : à l’appui de cet argument, il explique que la Suisse n’est pas un État membre de l’Union européenne et que, quoi qu’il en soit, le texte en question est postérieur aux décisions rendues en l’espèce par les juridictions internes. Quant à la nouveauté apportée par la Résolution 76/300 de l’Assemblée générale des Nations unies, il rappelle que cet instrument n’est pas juridiquement contraignant. Il affirme qu’il en va de même de la Recommandation CM/Rec(2022)20 (précitée) et des travaux menés actuellement par le Conseil de l’Europe en matière de changement climatique.
355. Dans ces conditions, notant que la Convention ne garantit pas le droit à un environnement sain, le Gouvernement estime que la doctrine de l’instrument vivant ne permet pas d’interpréter la Convention d’une manière qui porte atteinte aux principes de base du système, tels que le principe de subsidiarité. À ses yeux, la doctrine de l’instrument vivant ne peut être invoquée pour justifier un changement radical de la jurisprudence de la Cour qui ferait fi de la situation prévalant au sein des Hautes Parties contractantes. Pour le Gouvernement, c’est sous cet angle qu’il faut voir les évolutions survenues au niveau national dans l’interprétation des droits fondamentaux en matière de changement climatique (notamment aux Pays‑Bas, en Irlande, en France et en Allemagne).
356. En ce qui concerne la substance des obligations de l’État, le Gouvernement soutient que la Suisse a mis en place un cadre législatif et administratif adéquat visant la réduction des émissions de GES, et qu’elle est déterminée à adapter ce cadre en fonction de l’évolution de la situation, des connaissances scientifiques et des circonstances politiques et juridiques. Il ajoute qu’une série de mesures ont été adoptées au niveau interne et qu’elles sont compatibles avec l’objectif de l’Accord de Paris.
357. Le Gouvernement explique en outre que les différentes actions menées au niveau interne démontrent la volonté de la Suisse de se trouver dans la fourchette indiquée par le GIEC pour contribuer à une stabilisation du réchauffement climatique à 1,5 oC. Il expose aussi que l’adoption de l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050 sert de point de départ à l’élaboration d’une stratégie climatique à long terme. Selon le Gouvernement, le fait que la nouvelle loi sur le CO2 ait été rejetée à l’issue d’un référendum ne signifie pas que la Suisse ne s’emploie pas à lutter contre le changement climatique ni que sa CDN ait changé. En fait, le peuple aurait rejeté non pas l’idée qu’il est nécessaire de lutter contre le réchauffement climatique, mais plutôt les outils proposés pour le faire. De plus, le Conseil fédéral aurait envisagé une série de mesures visant à trouver d’autres solutions. Quoi qu’il en soit, déterminer quels sont les meilleurs moyens de faire face au changement climatique relèverait de la marge d’appréciation de l’État, et la Suisse et sa population seraient les mieux placées pour trouver les solutions appropriées. Selon le Gouvernement, la Suisse a rempli et s’est engagée à remplir pleinement les engagements auxquels elle a souscrit au titre de l’Accord de Paris, et, par conséquent, elle n’a pas outrepassé, et n’outrepassera pas, sa marge d’appréciation.
358. Par ailleurs, le Gouvernement soutient que la Suisse a atteint l’objectif international qui avait été fixé la concernant dans le cadre du Protocole de Kyoto (réduire ses émissions de GES entre 2013 et 2020 de 15,8 % en moyenne par rapport à 1990), notamment en diminuant ses émissions de 11 % en moyenne. Il déclare aussi que, au niveau national, l’objectif énoncé dans l’actuelle loi sur le CO2 (d’ici 2020, réduire les émissions de GES de 20 % par rapport à 1990) n’a été manqué que de très peu (il précise que la Suisse a diminué ses émissions de GES de 19 %). Il souligne toutefois qu’à cet égard il importe de garder à l’esprit qu’en Suisse les coûts de réduction des émissions de GES sont élevés car, explique-t-il, les seuls secteurs où des diminutions sont possibles sont ceux du logement et des transports, lesquels nécessitent selon lui de plus longues périodes de conversion.
359. Évoquant les appréciations – du CAT, de Climate Analytics et de Rajamani et al. (2021) notamment (paragraphe 325 ci-dessus) – sur lesquelles les requérantes se fondent concernant les mesures d’atténuation prises par la Suisse, le Gouvernement soutient qu’elles reposent sur des hypothèses subjectives et ne peuvent être considérées comme donnant à penser que la trajectoire fixée par l’État est impossible à respecter. Il estime en particulier que la classification des pays par catégories établie par le CAT est discutable et que la méthodologie manque de clarté. Le CAT aurait lui‑même admis qu’il n’existe pas de cadre unique et établi propre à déterminer à quoi correspondrait une juste contribution aux efforts mondiaux. De plus, certaines études seraient fondées sur d’autres méthodologies. L’analyse de Climate Analytics, quant à elle, ne proposerait pas de fourchette statistique dans ses projections et la modélisation serait pratiquement linéaire, avec un point de départ en 2020 et un point final en 2030. Il serait difficile de comprendre comment Climate Analytics a pu calculer avec précision une trajectoire modélisée pour un réchauffement de 1,5 oC. Le Gouvernement indique que Climate Analytics a analysé les amendements à la loi sur le CO2 qui ont été rejetés, alors qu’une nouvelle loi sera soumise au vote populaire en 2023. Selon lui, Climate Analytics a, d’une part, omis de prendre en compte les accords bilatéraux que la Suisse a conclus avec d’autres pays concernant les mesures d’atténuation et, d’autre part, suggéré des réductions des émissions de GES qui feraient peser une pression disproportionnée sur le système national. Quant à l’étude de Rajamani et al. (2021), le Gouvernement soutient qu’elle est fondée sur des considérations tenant à divers principes du droit international de l’environnement, qu’elle est donc partiellement subjective et qu’elle propose elle aussi la mise en place de mesures qui feraient peser une pression disproportionnée sur le système interne.
360. Le Gouvernement argue qu’en toute hypothèse il n’existe aucune méthodologie établie pour déterminer le budget carbone d’un pays ou sa « juste part ».[180] Il expose que la Suisse n’a pas fixé un budget carbone spécifique mais que sa politique nationale en matière de climat est assimilable à une approche consistant à établir un budget carbone. Selon le Gouvernement, la Suisse a fondé sa politique climatique sur les évaluations internes pertinentes[181] et, par ses CDN, elle a déterminé ses objectifs de réduction des émissions de carbone et se trouve sur une trajectoire claire qui la conduira à atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. La CDN de la Suisse serait conforme à sa juste part parce qu’elle reposerait sur les principes suivants : responsabilité (compte tenu de la contribution mondiale aux émissions de GES, que le Gouvernement qualifie de faible), capacité à contribuer à la résolution du problème du changement climatique et capacité à supporter la charge financière des mesures de réduction des émissions de GES.
361. Le Gouvernement considère en outre que les mesures d’adaptation sont également importantes dans ce contexte, d’autant que, dit-il, la Suisse ne peut pas à elle seule empêcher le réchauffement climatique. Il estime que la Suisse a adopté diverses mesures d’adaptation qui sont efficaces. Ainsi, la surmortalité liée à la chaleur aurait été nettement plus faible en 2018 et 2019 qu’entre 2003 et 2015. Diverses initiatives auraient été prises aux niveaux cantonal et fédéral aux fins de la sensibilisation aux risques posés par le réchauffement climatique et les canicules.
362. Le Gouvernement est d’avis que le processus législatif et décisionnel relatif à l’élaboration des mesures de réduction des émissions de GES de la Suisse se caractérise par son ouverture et par une transparence totale. Il expose que ce processus a aussi permis la prise en compte systématique d’enquêtes et d’études scientifiques ainsi qu’une très large participation de l’ensemble des parties prenantes. Il ajoute qu’un référendum a été organisé sur la question. Il argue que le système de démocratie directe de la Suisse constitue non pas une menace pour les minorités mais plutôt un moyen d’intégrer et de protéger ces populations.
363. Selon le Gouvernement, les efforts relevés au niveau interne vont dans le sens des principes énoncés dans la Convention d’Aarhus, bien que celle-ci ne soit entrée en vigueur que plus tard à l’égard de la Suisse (le 1er juin 2014) et ne prévoie pas spécifiquement la nécessité de disposer d’études scientifiques dans le cadre de la participation du public. La participation et l’information du public auraient également été assurées d’autres manières, notamment par l’intermédiaire de l’Organe consultatif sur le changement climatique et du National Centre for Climate Services, ainsi que sur la base du principe de la transparence dans le travail de l’administration.
364. Pour autant que les requérantes invoquent le principe de précaution, le Gouvernement soutient qu’il n’a pas valeur de règle de droit international incontestée et que la Cour ne s’y est d’ailleurs référée que dans le contexte assez spécifique de l’affaire Tătar (arrêt précité). Tout en admettant que ce principe puisse fournir quelques éclaircissements sur l’obligation positive des États découlant des articles 2 et 8 de la Convention, il l’estime trop vague pour pouvoir véritablement orienter la prise de décision. Il déclare que, en tout état de cause, la Suisse n’a jamais opposé l’absence de certitude scientifique comme prétexte pour différer l’adoption de mesures en matière de changement climatique. Quant au principe de la solidarité intergénérationnelle, le Gouvernement considère que, à l’instar du principe de précaution, il n’a pas valeur de règle de droit international et qu’il est de toute façon sans pertinence dans le cas d’espèce.
365. En résumé, le Gouvernement soutient que la Suisse s’est acquittée des obligations qui lui incombent au titre des articles 2 et 8 de la Convention et il est d’avis que les griefs des requérantes doivent être déclarés irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
Les tiers intervenants
Les gouvernements intervenants
a) Le gouvernement autrichien
366. Le gouvernement autrichien considère qu’il est important de clarifier la nature de l’Accord de Paris. Il estime que seules quelques dispositions de cet accord sont juridiquement contraignantes (articles 2 à 4) tandis que les autres ont valeur de recommandations. Il avance que l’Accord de Paris précise que chaque État peut définir de manière autonome ses intentions en matière de réduction des émissions, en ce qui concerne tant les objectifs quantitatifs que les moyens pour y parvenir, en fonction des situations nationales particulières (le gouvernement intervenant se réfère à la notion d’« auto-différenciation »). En outre, affirme-t-il, les obligations qui découlent des articles 2 à 4 de l’Accord sont des obligations de moyens et non de résultat. Il fait observer que l’accord ne prévoit pas de sanctions juridiques en cas de non-réalisation des objectifs de réduction ou de non‑respect des CDN. Il voit dans la présente requête une démarche tendant à rendre l’Accord de Paris opposable en justice et à ouvrir de facto la possibilité d’introduire des requêtes fondées sur la Convention en combinaison avec l’Accord, ce qui méconnaîtrait la nature et l’objectif mêmes du mécanisme de la Convention aussi bien que de l’Accord de Paris. Il estime en effet impossible de consacrer un droit à un environnement sain sur le fondement de la Convention, de même que, en toute hypothèse, sur celui de l’Accord de Paris. Il ajoute qu’à supposer même que le principe de précaution soit pertinent, il ne s’agit pas d’un principe universel de droit international coutumier.
b) Le gouvernement irlandais
367. Le gouvernement irlandais reconnaît la gravité de la menace à laquelle la communauté internationale fait face en raison du changement climatique, ainsi que la nécessité d’une action urgente pour y répondre. Il considère toutefois que cette réponse doit être globale et effective et qu’il n’appartient pas à la Cour de s’ériger en une autorité législative ou règlementaire car cela reviendrait à méconnaître le rôle du processus démocratique et des institutions dans la riposte au changement climatique. Il argue en outre que, dans le domaine en cause, la notion de juridiction doit être entendue uniquement au sens territorial. Il estime par ailleurs qu’une association ne peut revendiquer la qualité de victime sur le terrain des articles 2 et 8 à raison de risques pour la vie ou la santé, et que le facteur de l’âge ne peut être suffisant pour que l’on considère un groupe de requérants comme victime à raison du changement climatique. Le gouvernement intervenant renvoie en outre au seuil selon lui élevé qui est requis pour l’application des articles 2 et 8 en la matière. Il soutient enfin que, dans le respect du principe de subsidiarité et de l’ample marge d’appréciation laissée aux États, le principal rôle de la Cour en matière de contentieux environnemental consiste à examiner le processus décisionnel sous l’angle procédural et que c’est seulement dans des « circonstances exceptionnelles » que la Cour peut se livrer à une appréciation du contenu d’une politique environnementale.
368. Si le gouvernement intervenant admet que la Convention doit être interprétée en harmonie avec les autres règles du droit international, il dit que l’état actuel du droit international découlant de la CCNUCC et de l’Accord de Paris doit contribuer à délimiter l’étendue des obligations qui résultent de la Convention. Il ajoute que la Convention doit être interprétée dans le respect et à la lumière de ces instruments internationaux spécialisés, qui sont les points de référence les plus pertinents en la matière. Il soutient enfin que les interprétations retenues par une ou plusieurs juridictions nationales, en particulier lorsqu’elles vont au-delà de la jurisprudence constante de la Cour, ne peuvent être réputées fixer la norme conventionnelle.
369. En bref, le gouvernement intervenant estime que la présente requête vise à faire étendre de façon considérable la jurisprudence de la Cour sur la recevabilité et l’examen au fond des articles 2 et 8, qu’elle tend à court‑circuiter le processus démocratique par lequel l’action pour le climat doit être menée pour être légitime et efficace, et qu’elle est incompatible avec le cadre international régissant spécifiquement l’action climatique auquel les Parties contractantes ont adhéré.
c) Le gouvernement italien
370. Le gouvernement italien estime important de souligner que la notion de juridiction, au sens de l’article 1 de la Convention, est essentiellement territoriale. Il considère que le caractère « spécial » des circonstances d’une affaire donnée n’implique pas en lui-même l’existence d’une juridiction extraterritoriale, et que le principe d’interprétation selon lequel la Convention est un « instrument vivant » n’est pas applicable à cet article. Il soutient en outre que, pour revendiquer la qualité de victime à raison de dommages et risques environnementaux, les requérantes ne peuvent se contenter de simples conjectures de violations et doivent démontrer qu’elles sont directement touchées. Il argue qu’une menace doit peser sur la vie pour que l’article 2 trouve à s’appliquer et que, sous l’angle de l’article 8, les conséquences néfastes de la pollution environnementale doivent atteindre un certain niveau minimum de gravité. Il ajoute qu’en toute hypothèse, l’État jouit d’une ample marge d’appréciation dans les domaines techniques et complexes.
d) Le gouvernement letton
371. Le gouvernement letton estime que le consensus international sur la nécessité de lutter contre le changement climatique réserve aux États une très ample marge d’appréciation dans la détermination du bon équilibre à ménager entre les intérêts concurrents en jeu. Il est d’avis que le choix des moyens et des modalités de mise en œuvre de ceux-ci revient à l’État concerné. Il ajoute que le principe de subsidiarité qui sous-tend le système de la Convention revêt une importance particulière, en particulier dans la perspective d’une possible application de l’article 46 de la Convention. Il souligne également que dans le contexte en cause, la juridiction, au sens donné à cette notion par la Convention, devrait être territoriale et qu’aucune évolution au niveau international ne peut être interprétée comme justifiant l’extension de cette notion. Si le gouvernement intervenant admet que la Cour devrait déterminer l’étendue des obligations qui incombent aux États au titre de la Convention en matière de changement climatique en prenant en compte les instruments internationaux qui existent dans ce domaine, il soutient que la Cour ne saurait juger qu’il existe un droit autonome des individus à demander aux États qu’ils adoptent des actions, mesures ou politiques spécifiques de lutte contre le changement climatique, dès lors que selon lui un tel droit n’est pas consacré par les instruments internationaux en question.
e) Le gouvernement norvégien
372. Le gouvernement norvégien souligne que la Norvège est profondément déterminée à réduire les émissions nationales et à contribuer à la réalisation de l’objectif global de long terme énoncé à l’article 2 de l’Accord de Paris. Il précise toutefois que la détermination des politiques en matière climatique et énergétique devrait pour l’essentiel être un exercice politique et démocratique. Il soutient que la Convention n’est pas un instrument de protection des intérêts collectifs et que la Cour n’a pas pour fonction de superviser les décisions politiques qui touchent l’ensemble de la société. Il considère qu’il n’existe pas de base légale permettant l’extension, en matière environnementale, du champ d’application territorial, personnel et matériel des obligations découlant de la Convention, dès lors selon lui qu’une telle démarche irait à l’encontre du principe de subsidiarité et méconnaîtrait la marge d’appréciation laissée à l’État. En particulier, affirme-t-il, il n’y a pas de base légale permettant d’étendre la notion de juridiction territoriale dans le contexte climatique en cause, ni de revenir sur le rejet par la Cour de la conception de type « cause à effet » de cette notion. Il dit que les divers instruments internationaux relatifs au changement climatique n’ont aucune incidence sur l’interprétation de la Convention et qu’ils sont plutôt le reflet de ce que les États souverains conservent leur compétence dans ce domaine. Il en voit une preuve dans la conduite actuelle par les États membres du Conseil de l’Europe de négociations pour décider s’ils souhaitent ou non introduire des droits opposables portant spécifiquement sur l’environnement et le climat. Il ajoute qu’en toute hypothèse, le droit à un environnement sain n’est pas reconnu à ce jour comme une règle de droit international coutumier. Il fait enfin observer que lorsqu’elle a adopté la Résolution 76/300 de l’Assemblée générale des Nations unies, la Norvège a clairement signifié que ce texte constituait une reconnaissance politique mais qu’elle était dépourvue de tout effet juridique.
f) Le gouvernement portugais
373. Le Gouvernement portugais reconnaît l’urgence liée au changement climatique mais souligne qu’il appartient aux États de prendre des initiatives et de mettre en place des stratégies pertinentes pour lutter contre ce phénomène. En ce qui concerne les exigences découlant de la Convention pour l’établissement de la qualité de victime, le gouvernement intervenant insiste sur la nécessité pour les requérantes de fournir des preuves de ce qu’elles sont directement touchées par la mesure litigieuse dans le contexte du changement climatique. Aussi le gouvernement intervenant considère-t-il que les requérantes appartenant à une tranche d’âge particulière doivent démontrer : a) qu’il y a bien eu inaction de la part des autorités, b) que cette inaction ou omission a en pratique touché différemment des groupes ou segments distincts de la population et, c) que cette inaction s’analyse en un manquement à fournir une protection effective contre les effets du changement climatique. Il ajoute que, concernant l’applicabilité des articles 2 et 8 de la Convention dans le domaine environnemental, la mesure litigieuse doit atteindre un seuil minimum de gravité. Il considère qu’il doit donc exister un risque réel et imminent pour la vie ou la santé, ou un effet direct et sérieux sur un droit du requérant au respect de sa vie privée ou familiale ou de son domicile. Il soutient également que l’Accord de Paris a principalement établi des obligations procédurales et que la seule obligation matérielle faite aux États est celle de prendre des mesures appropriées pour parvenir aux buts poursuivis. Il précise toutefois que l’Accord de Paris n’a fixé ni sanction ni mécanisme d’exécution et qu’il est donc douteux que la Cour ait le pouvoir ou la compétence pour intervenir dans ce domaine.
g) Le gouvernement roumain
374. Le gouvernement roumain soutient que le changement climatique représente un défi mondial qui exige une réaction internationale. Il s’agit selon lui d’un enjeu qui par définition dépasse les frontières et qui appelle une action coordonnée, en particulier au niveau de l’Union européenne, pour permettre de compléter et de renforcer les politiques nationales de manière effective. En ce qui concerne l’applicabilité de la Convention relativement aux griefs qui se rapportent au changement climatique, le gouvernement intervenant estime que les requérantes doivent démontrer l’existence d’un lien direct et immédiat entre la situation objet du litige et son effet sur leurs droits. Il ajoute que la violation alléguée doit atteindre un certain niveau de gravité. En toute hypothèse, argue-t-il, le système de la Convention ne reconnaît pas la possibilité d’introduire des griefs relevant d’une actio popularis et la Convention ne peut être étendue jusqu’à inclure la CCNUCC et l’Accord de Paris. Le gouvernement intervenant estime également important que la Cour tienne compte du fait que les juridictions internes ont souvent à connaître d’affaires liées au changement climatique et à faire application des normes nationales et internationales du droit de l’environnement. Il considère à cet égard que la Cour ne doit pas perdre de vue le caractère subsidiaire de son rôle ni la marge d’appréciation laissée aux États. Selon lui, il est fort contestable qu’un État ou une quelconque autre entité puisse aujourd’hui être tenue pour directement responsable, à titre individuel et indépendamment d’autres entités, des conséquences cumulées d’un processus qui a débuté il y a plus d’un siècle.
h) Le gouvernement slovaque
375. Le gouvernement slovaque reconnaît l’existence d’une nécessité réellement urgente de mettre en œuvre une série de mesures effectives pour combattre le réchauffement de la planète et en limiter les effets. Selon lui, il est communément admis aujourd’hui que les droits de l’homme et l’environnement sont interdépendants, à tel point qu’il serait avancé que les droits environnementaux relèvent de la « troisième génération de droits de l’homme ». Cependant, les droits qui découlent de la Convention ne seraient pas spécifiquement conçus pour assurer une protection générale de l’environnement en tant que tel. Compte tenu de la nature globale de la menace que constituent le changement climatique et ses effets, il ne serait pas possible d’interpréter la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention de telle manière qu’elle puisse s’étendre à tout groupe potentiellement vulnérable. Il serait donc malavisé, et peut-être injustifié quant aux conséquences qui en résulteraient, que la Cour cherche à déduire l’existence d’un risque particulier pour un groupe donné à partir de données statistiques ou que, d’une autre manière, elle généralise les effets du changement climatique, tels que le réchauffement de la planète. Enfin, les États devraient jouir d’une ample marge d’appréciation en ce qui concerne les questions liées au changement climatique.
La Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme
376. L’intervenante soutient que, selon les données disponibles, la Suisse n’a pas déployé les efforts nécessaires à la réalisation de l’objectif de réduction des émissions de GES pour 2020. Elle ajoute que l’objectif de réduction des émissions de la Suisse pour 2030 n’est pas compatible avec les objectifs d’atténuation du changement climatique fixés par la communauté internationale. En ce qui concerne la qualité de victime dans les affaires portant sur le changement climatique, elle relève que les évolutions des jurisprudences nationale et internationale indiquent que le risque d’être affecté qui est allégué par la victime doit être davantage qu’une simple possibilité théorique. Elle précise toutefois que le fait qu’un vaste pan de la population soit touché par le changement climatique n’exclut pas que les requérantes soient touchées individuellement. Elle dit qu’il convient d’envisager le critère de la menace imminente de manière globale, en tenant compte de la caractéristique particulière des effets émergents lents tels que ceux qui résulteraient souvent du changement climatique. Elle explique que des risques de nature évolutive pourraient entraîner des conséquences irréparables du fait des longs délais nécessaires pour obtenir un résultat concret. Elle estime que l’appréciation juridique de la qualité de victime doit donc tenir compte des meilleures données scientifiques disponibles. Elle ajoute que les obligations associées à la lutte contre les effets néfastes du changement climatique exigent que les juridictions aient une fonction de redressement afin que ces obligations juridiques produisent leurs effets.
377. L’intervenante note également que le Comité des droits de l’homme des Nations unies a clairement indiqué que « l’obligation de protéger la vie signifie également que les États parties devraient prendre des mesures appropriées destinées à améliorer certains contextes dans la société susceptibles d’engendrer des menaces directes pour la vie ou d’empêcher des personnes de jouir de leur droit à la vie dans la dignité », notamment en ce qui concerne la dégradation de l’environnement.[182] Elle se réfère en outre à des études selon lesquelles les effets néfastes du changement climatique lèsent de manière disproportionnée, dans leur droit à la vie et dans leur santé, les personnes âgées, et en particulier les femmes âgées. Elle argue également que le fait d’être en bonne santé est une composante du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile, de sorte que la dégradation de l’environnement porte atteinte à ce droit. Enfin, elle dit que les obligations qui découlent pour les États des articles 2 et 8 doivent être lues à la lumière du principe de précaution, du principe d’équité intergénérationnelle et du devoir de coopération internationale.
Les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur les substances toxiques et les droits de l’homme, et sur les droits de l’homme et l’environnement ; l’Experte indépendante chargée de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme
378. Les intervenants estiment que le monde fait face à une crise climatique. Selon eux, cette crise produit déjà des effets néfastes considérables et elle constitue une menace existentielle pour la jouissance effective des droits humains dans le futur. Dans les affaires climatiques, les intérêts individuels et collectifs ne seraient pas divergents. L’individu et la collectivité partageraient un intérêt commun à bénéficier d’un système climatique sûr. Cet intérêt serait commun à toutes les Parties à la Convention, de même qu’à l’ensemble de la communauté internationale. Il n’y aurait donc pas lieu pour la Cour de mettre en balance des intérêts concurrents des individus et de la collectivité. Les intervenants estiment que la Cour doit examiner si un État s’acquitte bien de ses obligations positives de protection contre les risques climatiques en étant guidée par les avancées de la science, qui pourraient l’aider à vérifier attentivement si l’action gouvernementale est suffisante face aux risques catastrophiques induits par le changement climatique. Les meilleures données scientifiques disponibles auraient confirmé la réalité du changement climatique anthropique, notamment en ce qui concerne les phénomènes météorologiques extrêmes, et auraient réaffirmé la nécessité d’une réduction urgente et drastique des émissions de GES. En outre, le changement climatique aurait des effets sur le plein exercice des droits humains par les personnes âgées. Les effets de l’âge et du changement climatique seraient différents selon le sexe, et les femmes âgées seraient exposées à un risque particulier de vulnérabilité aux effets climatiques, notamment en ce qu’elles seraient davantage susceptibles d’être touchées par des maladies chroniques et des affections liées à la pollution de l’air, et en ce qu’elles afficheraient un taux de mortalité supérieur lors des épisodes de canicule.
379. Notant les évolutions juridiques aux niveaux international et national, les intervenants estiment que la question n’est plus de savoir si, mais comment les juridictions compétentes en matière de droits de l’homme doivent aborder la question des effets des dommages environnementaux sur la jouissance des droits de l’homme. Selon eux, un dialogue est nécessaire entre les droits de l’homme et les normes environnementales. Puisque le droit international de l’environnement comporte des normes coutumières et conventionnelles ainsi que des principes généraux emportant des obligations matérielles (notamment en lien avec le principe de précaution et le principe de prévention des dommages, l’obligation de procéder à une étude d’impact environnemental, les droits d’accès à l’information, à la participation et à la justice, et le principe d’équité intergénérationnelle), les organes de protection des droits de l’homme seraient fondés à en faire usage. Dans ce cadre, les intervenants estiment que l’examen par la Cour des affaires climatiques devrait se concentrer plus particulièrement sur les éléments suivants : le principe de précaution (qui constituerait la base normative d’une action climatique ambitieuse de la part des gouvernements puisqu’il exigerait d’eux qu’ils agissent avec détermination pour réduire leurs émissions de GES), le principe de prévention des dommages environnementaux (qui ferait naître une obligation de prévenir les dommages environnementaux transfrontières majeurs), les obligations extraterritoriales en matière de droits de l’homme, et le principe du niveau d’ambition le plus élevé possible (fondé sur les exigences de la diligence requise) énoncé par l’Accord de Paris.
La Commission internationale de juristes (CIJ) et la section suisse de la CIJ (CIJ-CH)
380. Les intervenantes soutiennent que ce n’est pas parce que l’action climatique engagée par un requérant particulier peut servir l’intérêt public général qu’elle s’analyse pour autant en une actio popularis. Elles indiquent que la jurisprudence de la Cour admet la possibilité de reconnaître la qualité de victime à des requérants qui ont été exposés aux effets plus globaux de la pollution, et qu’elle n’exige donc pas que soit satisfait un critère de proximité immédiate. Elles estiment en outre qu’il est crucial de permettre aux associations d’introduire devant la Cour des requêtes relatives au changement climatique. Elles soutiennent qu’une telle possibilité s’impose car dans un domaine aussi exigeant que le changement climatique, tant sur le plan financier qu’en termes de preuves scientifiques, les associations sont particulièrement bien placées pour saisir la Cour. Elles arguent en toute hypothèse que dans les affaires climatiques, qui soulèvent des questions considérées par l’Accord de Paris comme constituant « un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière », l’établissement de la qualité de victime exige des éléments de preuve scientifiques documentés et est donc étroitement lié au fond des griefs des requérants.
381. Les intervenantes avancent qu’il est crucial de garantir l’accès des requérants aux juridictions pour les questions relatives au changement climatique. En ce qui concerne les articles 2 et 8, elles arguent que les données scientifiques confirment que le changement climatique est à l’origine d’un risque particulier pour les personnes – surtout les femmes – âgées. Elles estiment que l’ampleur, l’intensité et l’imminence des dommages environnementaux découlant du changement climatique anthropique sont telles que les articles 2 et 8 trouvent à s’appliquer. Elles soutiennent que ces dispositions mettent à la charge des États une obligation positive de prendre les mesures d’atténuation et d’adaptation nécessaires. Elles considèrent qu’en outre, cette obligation positive incombant aux États devrait être interprétée à la lumière des buts fixés par l’Accord de Paris ainsi que du principe de précaution énoncé par la CCNUCC et par la Déclaration de Rio. Elles indiquent qu’à cet égard, la marge d’appréciation laissée aux États devrait être limitée par leurs engagements de droit international de l’environnement, qui leur imposent de réaliser des CDN et de mettre en œuvre des stratégies de long terme pour la réduction des émissions de GES.
Le réseau européen des institutions nationales des droits de l’homme (ENNHRI)
382. L’intervenant soutient que, puisqu’il est souvent difficile de quantifier les effets négatifs de la pollution environnementale dans chaque cas individuel, les requérantes ne devraient pas avoir à prouver l’existence d’un lien de causalité direct entre un problème environnemental et les effets qu’il a sur elles. Il estime que l’existence d’un tel lien peut être prouvée au moyen de données statistiques. Il considère que la Cour pourrait également prendre en compte d’autres éléments, tels que des études publiées dans des revues scientifiques, et que les rapports du GIEC devraient se voir accorder un poids particulier. Il relève que les rapports du GIEC et d’autres études scientifiques ont constaté que le changement climatique induit par les émissions de GES a d’ores et déjà été la cause d’une augmentation significative de la fréquence, de l’intensité et de la durée des canicules en Europe, et qu’ils ont prévu l’aggravation de ces phénomènes dans l’hypothèse où le réchauffement climatique serait supérieur à 1,5 oC, en particulier dans les villes d’Europe centrale. Il affirme que bon nombre des canicules que l’Europe a connues au cours des vingt dernières années n’auraient très certainement pas eu lieu en l’absence du changement climatique anthropique et que les températures extrêmes sont susceptibles de devenir chose courante d’ici aux années 2040. Il avance que les effets négatifs des canicules sur la mortalité et la morbidité sont bien documentés et que les projections anticipent que ces effets s’aggraveront à mesure de l’augmentation du réchauffement. Il indique que 31,3 % des décès liés à la chaleur survenus en Suisse entre 1991 et 2018 sont imputables au changement climatique anthropique, et que les femmes âgées et les enfants en bas âge ont été particulièrement touchés. Il argue que les personnes âgées, et plus spécifiquement celles qui vivent dans des zones urbaines, sont particulièrement vulnérables aux canicules en raison de facteurs à la fois sociaux et physiologiques. Il soutient qu’en Suisse, les femmes de plus de soixante-quinze ans sont les personnes les plus exposées au risque de décès lié à la chaleur.
383. L’intervenant soutient que le fait que le changement climatique soit causé par l’accumulation des émissions à l’échelle mondiale n’exonère pas les États de leur responsabilité à raison de la conduite qui leur est imputable. Il considère que, dès lors que les émissions de GES provoquent des dommages sur les territoires nationaux indépendamment de la région du monde dans laquelle elles ont eu lieu, la juridiction de l’État aux fins de l’article 1 de la Convention devrait englober toutes les émissions produites sous le contrôle effectif de l’État. Il argue par ailleurs qu’en ce qui concerne la qualité de victime, les données scientifiques susmentionnées montrent l’existence d’un effet direct et immédiat du changement climatique sur les individus ainsi que l’existence d’un risque, non pas hypothétique mais bien réel, que des conséquences néfastes découlent à l’avenir du changement climatique. Il affirme que les femmes âgées représentent un groupe de personnes particulièrement menacées par les épisodes de chaleur liés au changement climatique. Il indique que, comme l’a selon lui reconnu la Convention d’Aarhus, les associations jouent un rôle essentiel en la matière. Il estime qu’il est important d’examiner la question de la qualité de victime en gardant à l’esprit que le justiciable peut rencontrer des difficultés à introduire une requête devant la Cour et qu’une protection effective des intérêts individuels qui s’attachent, sur le long terme, au fait de vivre dans un environnement sain pourrait dépendre de la capacité des associations environnementales à engager des actions en justice destinées à prévenir des atteintes irréversibles au climat tant qu’il est encore possible de le faire.
384. Concernant l’applicabilité de l’article 2 de la Convention, l’intervenant considère que le changement climatique induit par les émissions de GES est intrinsèquement dangereux et que le droit à la vie pourrait donc être en jeu. Il indique que la souplesse s’impose, dans ce domaine, pour interpréter le caractère immédiat du risque pour la vie. Il estime qu’il convient aussi de tenir compte de ce que les dangers du changement climatique représentent déjà un risque sérieux, réel et immédiat pour la vie, en particulier pour les personnes vulnérables, et de ce que toute nouvelle hausse des émissions conduirait à une aggravation du réchauffement, laquelle, dit-il, s’accompagnerait certainement d’un accroissement exponentiel de la mortalité liée à la chaleur. Il ajoute que des considérations analogues devraient être prises en compte pour l’évaluation de l’applicabilité de l’article 8, qui selon lui couvre non seulement les risques de pollution ou de nuisances présentant un caractère direct et immédiat ou un caractère sérieux et important, mais également l’exposition à des risques environnementaux futurs présentant un lien suffisamment étroit avec la jouissance du domicile ou de la vie privée ou familiale.
385. L’intervenant indique que la Convention doit être interprétée à la lumière des conditions actuelles et qu’en conséquence elle entre en ligne de compte en matière de dommage climatique. Il déclare que, dans ces conditions, la Cour est invitée non pas à innover mais simplement à confirmer l’évolution jurisprudentielle observée en Europe (notamment aux Pays‑Bas et en Allemagne) et ailleurs relativement au changement climatique. Il ajoute que le contrôle des réductions d’émissions renforcerait la démocratie, ce qui serait conforme aux exigences du droit international. Selon l’intervenant, il y aurait violation de la Convention dans trois cas : premièrement, si l’État adoptait des mesures d’adaptation sans prévoir d’atténuation ; deuxièmement, si l’État poursuivait des politiques qui sapent les efforts visant à limiter le réchauffement à 1,5 oC ; et, troisièmement, si l’État ne démontrait pas que ses mesures de réduction des émissions sont compatibles avec la part adéquate de son budget carbone restant dans l’optique d’une limitation du réchauffement à 1,5 oC.
Les observations coordonnées du Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels (ESCR-Net)
386. Les intervenants soutiennent que, selon divers organes internationaux, la dégradation de l’environnement et le changement climatique portent atteinte à la jouissance du droit à la santé ainsi qu’au droit à la vie. Ils estiment que, dans ces conditions, les mécanismes en matière de droits de l’homme jouent un rôle dans la protection de ces droits en ce qu’ils empêchent les États de prendre des mesures susceptibles d’accélérer le changement climatique et les incitent à allouer le maximum de ressources disponibles à l’adoption de mesures propres à permettre une atténuation de ce changement. Ils font état de décisions de juridictions nationales et régionales concluant à la violation par des États du droit à un environnement sain et du droit à la vie, faute pour ceux-ci d’avoir pris des mesures suffisantes en matière de lutte contre le changement climatique et de réduction des émissions. Ils affirment que les personnes âgées présentent une vulnérabilité particulière aux effets du changement climatique. Ils soutiennent qu’il serait donc nécessaire que les États adoptent des mesures positives propres à assurer la prise en compte de ces vulnérabilités. Ils considèrent que les États sont tenus d’adopter sur leurs propres territoires des mesures destinées à prévenir les effets néfastes prévisibles du changement climatique susceptibles de survenir hors du territoire national.
Le Centre des droits de l’homme de l’université de Gand
387. L’intervenant soutient que le droit international tend progressivement à reconnaître que l’effet négatif du changement climatique sur les vies humaines est une question qui relève des droits de l’homme. Il avance que plusieurs organes judiciaires et quasi judiciaires internationaux ont dégagé à cet égard des obligations incombant aux États sous l’angle des droits de l’homme. Il ajoute que les juridictions nationales reconnaissent de plus en plus souvent des liens entre le changement climatique et les droits de l’homme. Il indique que, depuis quelques années, les juridictions nationales font face à une nette augmentation des requêtes relatives au changement climatique et que de nombreuses affaires pendantes font explicitement référence aux droits garantis par la Convention. Il relève qu’en ce qui concerne la question du lien de causalité, des juridictions internes (néerlandaises, allemandes et belges) ont jugé que la responsabilité de l’État devait être établie sur la base non pas d’un lien de causalité, mais du principe d’attribution, lequel consiste à considérer que chaque État est responsable en proportion de sa contribution propre au changement climatique. Il ajoute que les juridictions nationales apprécient les obligations positives des États dans le cadre de contentieux internes en accordant une place importante au principe de précaution, de même qu’aux données climatologiques pertinentes et aux obligations qui résultent pour les États des traités internationaux relatifs au changement climatique, et en particulier de l’Accord de Paris. Selon lui, cette approche devrait également guider la Cour dans son examen des affaires climatiques.
388. L’intervenant considère que la reconnaissance par la jurisprudence de la Cour des effets potentiellement négatifs sur les droits de l’homme des catastrophes environnementales et de la dégradation de l’environnement (que leurs causes soient anthropiques ou naturelles) devrait a priori être étendue au changement climatique puisque, dit-il, celui-ci emporte des conséquences de plus long terme, plus violentes et potentiellement plus graves que des dommages environnementaux isolés, locaux et circonstanciels. Il estime que, de la même manière, la jurisprudence d’ores et déjà établie par la Cour en matière de vulnérabilité, et notamment en ce qui concerne les droits des personnes âgées, devrait être prise en compte et appliquée dans le cadre du changement climatique. Il avance également que reconnaître l’appartenance des requérants à un groupe particulièrement vulnérable devrait conduire à conclure que les États jouissent à cet égard d’une marge d’appréciation étroite.
389. L’intervenant argue que la question de la preuve est le point clé des affaires climatiques. Il estime que la science de l’attribution a démontré plus précisément le lien de causalité entre les émissions de GES et les phénomènes climatiques. Il invite par ailleurs la Cour à reconnaître les difficultés d’administration de la preuve auxquelles les requérants se heurtent dans les affaires climatiques et à considérer que les gouvernements sont les mieux placés pour contrôler la production de la plupart des éléments de preuve au niveau interne. Il considère donc que la charge de la preuve ne doit pas peser uniquement sur les requérants. Il estime à l’inverse qu’un gouvernement qui ferait valoir que sa politique environnementale est suffisante pour assurer la protection des personnes contre les effets néfastes du changement climatique est tenu d’étayer ses affirmations. Il ajoute que le principe de précaution pourrait également aider la Cour à déterminer le niveau de preuve requis.
Les professeures Evelyne Schmid et Véronique Boillet (université de Lausanne)
390. Les intervenantes considèrent qu’il est important de faire la distinction entre, d’une part, les obligations positives préventives (qui se rapportent à des menaces spécifiques et ponctuelles) et, d’autre part, l’obligation positive de mettre en place un cadre législatif et administratif visant à assurer la protection des droits garantis par la Convention (qui se rapporte à un danger moins ponctuel, plus général et ne provenant pas nécessairement d’une source spécifique). Elles estiment qu’en ce qui concerne le changement climatique, la question de l’attribution ne pose aucune difficulté dès lors que les omissions alléguées relèvent de la responsabilité des organes étatiques. Elles considèrent toutefois qu’il faut interpréter la notion de qualité de victime, au sens de l’article 34, en s’attachant dans un premier temps aux obligations positives qui résultent des articles 2 et 8, puis dans un second temps au lien entre les omissions alléguées à cet égard et les requérants de l’espèce. Elles ajoutent que la qualité de victime devrait être examinée à la lumière du principe de prévention et du principe de précaution. Elles soutiennent qu’en toute hypothèse, en souscrivant aux obligations qui découlent de diverses initiatives internationales de lutte contre le changement climatique, les États ont accepté de limiter leur marge d’appréciation en ce qui concerne les risques climatiques et la mise en œuvre des obligations positives qui découlent de la Convention.
391. Concernant la tenue d’un référendum sur les problèmes posés par le changement climatique, les intervenantes rappellent le principe énoncé à l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités[183], selon lequel un État ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant le non-respect de ses obligations de droit international. Elles ajoutent que, de toute manière, une initiative populaire ne saurait être considérée comme un moyen apte à mettre en œuvre les obligations pertinentes destinées à assurer la protection des droits fondamentaux de requérants.
Les professeurs Sonia I. Seneviratne et Andreas Fischlin (École polytechnique fédérale de Zurich)
392. Les intervenants soutiennent qu’il existe au sein de la communauté scientifique un net consensus pour dire que les êtres humains ont perturbé le système climatique et sont à l’origine du réchauffement planétaire. Ils ajoutent que la communauté scientifique s’accorde également à considérer que ce réchauffement joue un rôle dans le changement climatique et dans l’apparition des effets et des risques qui en découlent, en particulier pour les personnes les plus vulnérables. Ils affirment que les effets sur la santé liés au réchauffement climatique anthropique sont également bien établis. Ils indiquent que la limitation de l’élévation de la température à 1,5 oC, telle que prévue par l’Accord de Paris, permettrait aujourd’hui de réduire considérablement les risques par rapport à ceux qui seraient à craindre en cas de réchauffement plus important (de 2 oC ou plus). Ils estiment qu’en revanche, l’échec à contenir le réchauffement climatique aurait pour effet d’augmenter les effets néfastes pour l’espèce humaine et les risques sanitaires, en particulier pour les personnes les plus vulnérables.
393. S’appuyant sur une analyse des mesures pertinentes d’émissions de GES, les intervenants soutiennent que, en dépit de quelques avancées observées au cours des dernières années en matière de politique climatique, la contribution de la Suisse au changement climatique anthropique, y compris la responsabilité historique de ce pays, est globalement aussi élevée, sinon supérieure, à celle de bon nombre d’autres pays européens. Ils affirment que, malgré cela, la Suisse a longuement tardé à mettre en place une législation visant à réduire les émissions de CO2 et d’autres GES. Ils ajoutent que les données scientifiques indiquent nettement que la contribution actuelle de la Suisse à l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 1,5 oC est insuffisante. Ils arguent que s’il est clairement impossible de recourir à un ensemble de critères fondés sur la seule science pour déterminer de manière précise et quantifiée la juste contribution globale d’un pays à la limitation du réchauffement planétaire, tous les indicateurs concernant la Suisse pointent dans la même direction, à savoir que ce pays est tenu d’apporter une contribution supérieure à la moyenne de l’ensemble des pays de la planète, dont bon nombre ont selon eux une consommation ou une responsabilité historique bien inférieures. Or, affirment-ils, la Suisse est à la traîne par rapport à la moyenne des pays se trouvant dans une situation comparable.
Global Justice Clinic, Climate Litigation Accelerator et le professeur C. Voigt (université d’Oslo)
394. Les intervenants soutiennent que, depuis 2015, plus de quatre‑vingt actions climatiques fondées sur les droits de l’homme ont été introduites devant les juridictions du monde entier. Ils indiquent que ces affaires soulèvent régulièrement des questions relatives à la qualité de victime et aux obligations matérielles qui découlent pour les États, en matière de droits de l’homme, de leurs engagements en droit international climatique. Ils sont d’avis que, dans les affaires climatiques, les personnes âgées peuvent à juste titre être considérées comme des victimes directes et potentielles aux fins de l’article 34 de la Convention, compte tenu des effets qu’ont sur elles le changement climatique et ses répercussions, notamment les canicules, les inondations ou d’autres phénomènes météorologiques extrêmes, ainsi que l’augmentation de certaines maladies, qui les exposent à des risques accrus de préjudices importants pouvant aller jusqu’à des atteintes corporelles graves et au décès. Ils arguent en outre que les ONG peuvent à juste titre s’estimer victimes de violations de la Convention à raison du changement climatique si elles sont en mesure de démontrer que les préjudices emportant selon elles violation de la Convention ont directement touché leurs intérêts personnels. Ils ajoutent qu’en toute hypothèse, la Cour devrait interpréter la notion de qualité de victime avec une certaine souplesse. Ils considèrent à cet égard que le simple fait que l’acte ou l’omission litigieux ait un effet sur un large pan de la population, voire sur la quasi-totalité de la population, ne devrait pas empêcher la Cour de reconnaître la qualité de victime aux requérantes de la présente espèce et de statuer sur le fond de l’affaire.
395. Les intervenants soutiennent en outre que les obligations qui incombent aux États en vertu des articles 2 et 8 de la Convention devraient être interprétées à la lumière des dispositions de l’Accord de Paris et des engagements qui en découlent. Ils estiment que, si cela ne signifie pas que la Cour doive prescrire aux États ce qu’ils sont tenus de faire ni le type exact de mesures à prendre, elle doit en revanche déterminer si les mesures prises ont été adoptées avec la diligence requise, c’est-à-dire si elles étaient raisonnables et adéquates pour prévenir le risque d’atteinte à la jouissance des droits de l’homme à raison du changement climatique. Ils considèrent plus précisément que la Cour doit rechercher si les mesures prises en matière climatique correspondent au niveau d’ambition le plus élevé possible et si elles sont conçues pour permettre de parvenir de manière effective à des réductions rapides et significatives des émissions de GES, afin de pouvoir atteindre vers 2050 la neutralité nette à l’échelle mondiale en matière d’émissions de GES, conformément à l’Accord de Paris.
ClientEarth
396. L’intervenant soutient que la science du changement climatique a montré que les effets sur la santé humaine des augmentations de la température mondiale ne sont pas seulement futurs mais d’ores et déjà actuels. Il estime que l’absence d’action suffisamment rapide et ambitieuse fait peser de graves menaces sur la santé et le bien-être des générations actuelles et futures. Il avance à cet égard que, selon des projections, plus de neuf millions de décès seront liés chaque année au changement climatique à la fin du siècle. Il argue que, dans ce contexte, l’adaptation (mesures visant à permettre l’adaptation au changement climatique et la réduction de ses effets) constitue une part essentielle des obligations des États en matière de lutte contre le changement climatique. Il considère toutefois que l’adoption de mesures d’adaptation ne remplace pas l’adoption de mesures d’atténuation adéquates (mesures visant à permettre la réduction des émissions de GES). Selon lui, il dépendra de l’ampleur des réductions d’émissions que l’adaptation imposée par le changement climatique soit ou non maîtrisable.
397. L’intervenant argue qu’il convient d’apprécier l’adéquation des mesures prises par les États en gardant à l’esprit les grandes conclusions suivantes, qui font selon lui l’objet d’un consensus au sein de la communauté scientifique : il est urgent de réduire les émissions de GES pour limiter le réchauffement à 1,5 oC (les rapports du GIEC montrent que, sans même parler d’une réduction des émissions mondiales de GES au niveau requis pour ce faire, la tendance générale de ces émissions ne s’est toujours pas infléchie dans la bonne direction) ; les augmentations de la température sont probablement irréversibles (le réchauffement climatique est susceptible d’avoir des effets à long terme et irréversibles) ; il existe un risque réel que soient dépassés des « points de bascule » (des phénomènes naturels susceptibles d’entraîner des évolutions majeures dans l’ampleur et le rythme du changement climatique et de ses effets) et qu’il en résulte des conséquences considérablement plus graves que celles qui sont envisagées avec un degré de confiance élevé par les projections ; il y a un décalage temporel significatif entre les émissions de GES et leurs effets sur les systèmes géophysiques, de même qu’entre les mesures visant à transformer les systèmes humains, et notamment à réduire leurs émissions, et les effets de ces mesures sur ces derniers systèmes.
398. L’intervenant avance également que le droit international relatif au changement climatique, notamment la CCNUCC et l’Accord de Paris, impose aux États des obligations de prendre des mesures d’atténuation et d’adaptation. Il estime que, dans ces conditions, il est important de développer le critère de la diligence requise dans le cadre de la Convention, en tenant compte du principe du « niveau d’ambition le plus élevé possible » et de l’urgence qui s’attache à la réduction des émissions au niveau mondial. Selon lui, l’obligation d’agir qui pèse sur les États à cet égard leur impose : d’agir à brève échéance pour réduire les émissions ; de prendre des mesures crédibles et efficaces fondées sur des objectifs contraignants à court et à long terme et qui correspondent au niveau d’ambition le plus élevé possible de l’État considéré ; d’adopter une approche « systémique globale » reconnaissant la nécessité d’agir à tous les niveaux de gouvernement et dans tous les secteurs de l’économie ; de mettre en place des organes consultatifs composés d’experts indépendants de manière à permettre un contrôle effectif de l’adéquation des objectifs et des progrès réalisés ; et d’assurer la transparence des plans et progrès gouvernementaux dans le but de permettre un contrôle par la société civile, ainsi que la claire attribution des responsabilités revenant aux gouvernements afin que puissent en découler des obligations de rendre des comptes (y compris par des actions en justice).
Our Children’s Trust, Oxfam France et Oxfam International et ses affiliés (Oxfam)
399. Les intervenants considèrent que la Cour doit fonder ses décisions sur les données scientifiques les meilleures et les plus récentes disponibles, c’est-à-dire celles : qui offrent le plus haut niveau de qualité, d’objectivité et d’intégrité des informations, notamment statistiques ; qui s’appuient sur des éléments examinés par plusieurs pairs et accessibles au public ; qui documentent et exposent clairement les risques et les incertitudes des éléments scientifiques sur lesquels reposent leurs conclusions. À cet égard, ils affirment que les objectifs de limitation de l’augmentation de la température à 1,5 oC et 2 oC énoncés dans l’Accord de Paris, qui sont selon eux le résultat d’un consensus politique et non d’un constat scientifique, sont insuffisants pour la protection des droits de l’homme. Ils sont d’avis que la Cour devrait plutôt se fonder sur la méthode du « bilan énergétique de la Terre », qui constitue selon eux l’outil de mesure scientifique permettant de déterminer si des mesures de lutte contre le changement climatique sont efficaces. Sur ce point, ils ajoutent qu’il existe au sein de la communauté scientifique un consensus pour dire que, pour parvenir à un rétablissement de la stabilité du climat terrestre propre à protéger la vie et la santé humaines, les États doivent prendre les mesures nécessaires pour ramener les concentrations atmosphériques en CO2 à 350 parties par million (ppm), qui est selon eux un taux équitable et durable du point de vue environnemental (les intervenants indiquent que le niveau effectif était d’environ 416 ppm en 2021 et que, si les mesures ne sont pas encore terminées pour 2022, tout porte à croire qu’il sera encore plus élevé). Ils arguent que les États ont déjà dépassé les taux de CO2 dans l’atmosphère garantissant la sécurité et la stabilité du climat mais soutiennent que les États disposent encore d’une étroite marge d’action pour ramener ces taux de réchauffement, actuellement dangereux selon eux, à des niveaux permettant la protection de la vie, de la santé et du bien-être humains d’ici à la fin du siècle. Ils affirment cependant que des mesures immédiates et ambitieuses sont nécessaires pour parvenir à un tel objectif.
400. À cet égard, les intervenants soutiennent que la Cour doit elle aussi agir sans plus attendre et de manière résolue. Ils ajoutent qu’un ensemble solide de données autorise la Cour à parvenir notamment aux conclusions suivantes, qui sont selon eux décisives :
a) Le droit à la vie et le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile, qui découlent respectivement des articles 2 et 8, englobent le droit à un système climatique stable qui protège la vie, la santé et le bien‑être des êtres humains.
b) Les mesures prises par les États pour lutter contre le changement climatique anthropique devraient être fondées sur les meilleures données scientifiques disponibles et, par conséquent, être conçues pour conduire au retour à l’équilibre du bilan énergétique de la Terre, ce qui impose aux États d’adopter des trajectoires permettant de ramener les concentrations atmosphériques en CO2 à 350 ppm le plus rapidement possible.
c) Les États dont la législation, les politiques publiques et les engagements sont insusceptibles de permettre d’atteindre l’objectif de 350 ppm devraient prendre des mesures spécifiques, immédiates et adéquates à des fins, d’une part, de limitation progressive des émissions de CO2 et de la pollution causée par les autres GES et, d’autre part, d’élimination du CO2 présent dans l’atmosphère dans des quantités suffisantes pour permettre la stabilisation du système climatique et la protection des ressources dont dépendent la vie, la santé et le bien-être humains. Si les États jouissent d’une marge d’appréciation dans le choix des moyens pour parvenir à l’objectif de 350 ppm, il ne leur est en revanche pas loisible de modifier cet objectif, qui est fondé sur des données scientifiques.
d) Il existe des circonstances exceptionnelles qui peuvent justifier que la Cour indique, dans des termes suffisamment précis, des mesures spécifiques au titre de l’article 46 de la Convention afin de guider les États dans le choix des mesures, de la trajectoire et du calendrier qu’il est pertinent d’adopter.
401. Les intervenants soutiennent également que, dans son appréciation, la Cour devrait garder à l’esprit que des études montrent que le changement climatique constitue pour la vie individuelle et la santé humaine un danger actuel et clairement identifiable et que cette analyse fait l’objet d’un consensus au sein de la communauté scientifique mondiale. Ils affirment d’ailleurs que les autorités étatiques sont parfaitement conscientes des effets du changement climatique. Selon eux, il est particulièrement important que la Cour reconnaisse, comme découlant de l’article 2 de la Convention, le droit à un système climatique stable qui protège la vie, la santé et le bien‑être humains.
Le groupe de membres de l’université de Berne (les professeurs Claus Beisbart, Thomas Frölicher, Martin Grosjean, Karin Ingold, Fortunat Joos, Jörg Künzli, C. Christoph Raible, Thomas Stocker, Ralph Winkler et Judith Wyttenbach, et les docteures Ana M. Vicedo‑Cabrera et Charlotte Blattner)
402. Les intervenants considèrent que la Cour devrait réaffirmer, dans le domaine de l’environnement, que les États ont des obligations positives leur imposant d’assurer la protection des droits de l’homme. Ils estiment que la question de l’existence d’un risque réel et immédiat résultant des effets néfastes du changement climatique doit être analysée à la lumière des données scientifiques relatives aux risques effectivement encourus par les femmes âgées vivant en Suisse du fait du changement climatique anthropique, et plus particulièrement de la hausse des températures. Ils soutiennent que l’étendue des obligations positives incombant à l’État varie en fonction de la mesure dans laquelle le risque considéré est susceptible d’atténuation, mesure qui s’apprécie selon eux en tenant dûment compte des instruments juridiques établis aux fins de la régulation de ces risques, c’est‑à‑dire du régime fixé par le droit climatique international. D’après eux, la question qui se pose est celle de savoir si les mesures prises par l’État visent et contribuent effectivement à ce qu’il accomplisse sa juste part dans l’effort mondial pour empêcher le changement climatique d’atteindre des niveaux dangereux.
403. Les intervenants soutiennent que la Suisse n’a pas tenu les engagements qu’elle a pris en matière climatique, en particulier ceux qui découlent de l’Accord de Paris, qui selon eux n’ont pas encore été transposés en droit interne. Ils estiment que les politiques suisses sont en nette contradiction avec les trajectoires de réduction des émissions qui selon les analyses scientifiques sont compatibles avec un réchauffement limité à 1,5 oC, même suivant une vision étroite des ambitions et évolutions nécessaires. Ils ajoutent qu’avant l’ouverture de la présente affaire, la Suisse n’avait pas de plan pour contribuer efficacement à l’atténuation du réchauffement climatique et qu’elle n’en a toujours pas. Ils indiquent également que les chances qu’elle atteigne ses objectifs s’amenuisent à mesure que la fenêtre d’action se referme, aux dépens de la protection des groupes particulièrement vulnérables. Ils affirment que, depuis l’adoption de l’Accord de Paris, la Suisse n’a fait aucun progrès dans la lutte contre le changement climatique et ne s’est fixé aucun objectif contraignant en la matière. En d’autres termes, disent-ils, la politique climatique de la Suisse n’a jamais été à la hauteur de ses objectifs d’atténuation, déjà peu ambitieux. Telles sont les considérations que, selon les intervenants, la Cour devrait prendre en compte dans son examen de la marge d’appréciation dont jouit la Suisse et du respect par cet État des obligations positives qui découlent pour lui de la Convention. Par ailleurs, ajoutent les intervenants, la Cour devrait également être attentive à l’importance que revêtent, dans le contexte en cause, l’accès à la justice et l’effectivité de l’action normative des autorités.
Le Centre de droit international de l’environnement (Center for International Environmental Law) et la docteure Margaretha Wewerinke-Singh
404. Les intervenants soutiennent que, conformément au principe de l’interprétation harmonieuse de la Convention, la Cour devrait tenir compte des évolutions internationales pertinentes en droit de l’environnement et notamment de la reconnaissance, par la Résolution 76/300 de l’Assemblée générale de l’ONU, du droit à un environnement propre, sain et durable. Ils estiment que la Cour devrait également tenir compte du consensus qui selon eux se dégage de la CCNUCC, de l’Accord de Paris et des meilleures données scientifiques disponibles, et en particulier des rapports du GIEC, quant à l’existence d’obligations pour les États de prévenir la menace du changement climatique. Ils affirment que les meilleures études scientifiques disponibles reconnaissent que les niveaux actuels de réchauffement causent d’ores et déjà des dommages et des atteintes aux droits de l’homme. Selon eux, un réchauffement égal ou supérieur à 1,5 oC serait dangereux pour la plupart des pays et des populations, et un dépassement, même temporaire, de la limite de 1,5 oC pourrait entraîner d’autres préjudices irréversibles, tels qu’une hausse des décès. La science aurait ainsi démontré que la protection des droits de l’homme contre de nouvelles atteintes climatiques prévisibles impose que le réchauffement demeure inférieur à 1,5 oC. Le GIEC aurait démontré que les mesures d’atténuation les plus efficaces pour parvenir à la réduction des émissions de GES d’ici à 2030 (qui serait l’horizon d’action le plus décisif pour que puisse être évité le dépassement de la limite de 1,5 oC) consisteraient à remplacer les combustibles fossiles par les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.
405. Citant des rapports scientifiques portant sur les effets du réchauffement climatique, et notamment le rapport spécial du GIEC, les intervenants soutiennent que l’élimination du dioxyde de carbone (« EDC ») et les crédits de compensation dérivés d’activités réalisées hors du territoire national ne permettent pas de parvenir à ces réductions. Ils considèrent que le principe de précaution et le principe de prévention font interdiction aux États de renoncer à mettre en œuvre des mesures existantes et scientifiquement validées permettant des réductions nettes et immédiates des émissions de GES au prétexte qu’ils miseraient sur des technologies hypothétiques telles que les procédés d’élimination du dioxyde de carbone, lesquels augmentent selon eux la probabilité de dépassement de la limite de 1,5 oC. Les intervenants estiment que dès lors que les plans d’atténuation du changement climatique d’un État sont fondés sur l’achat de crédits de compensation des émissions résultant d’activités réalisées hors de son territoire ou sur des technologies d’EDC, ils méconnaissent les obligations incombant à cet État de respecter et d’assurer le droit à la vie et le droit au respect de la vie privée et familiale.
Le Centre Sabin de recherche sur le droit du changement climatique (Columbia Law School)
406. L’intervenant soutient que la jurisprudence actuelle de différents organes nationaux et internationaux prouve que l’appréciation par la Cour de la qualité de victime peut valablement être appréhendée comme une question de fond. Il avance que, lorsqu’elles sont confrontées à une telle question, les juridictions ont tendance à offrir aux requérants la possibilité de prouver qu’ils ont subi un préjudice individuel particulier à raison du manquement allégué d’un État en matière d’atténuation du changement climatique. Il affirme que la science a clairement établi que les effets néfastes du changement climatique sur la vie et les moyens de subsistance des individus et des populations du monde entier sont généralisés et d’une ampleur considérable, et qu’il est absolument nécessaire que la communauté internationale de même que chaque pays réduisent immédiatement et radicalement les émissions de GES. Or, ajoute l’intervenant, en Europe comme ailleurs dans le monde, on observe un décalage entre les exigences d’un budget carbone mondial équilibré, le calendrier et l’étendue des engagements nationaux en matière climatique, et la mise en œuvre de ces engagements sur le plan national.
407. Selon l’intervenant, en ce qui concerne la marge d’appréciation qui est laissée aux États en matière d’obligations climatiques, une étude comparée permet de constater que les juridictions apportent trois types de réponses à la question de la séparation des pouvoirs dans ce domaine. Dans une première approche, des juridictions jugeraient que les gouvernements ne disposent que d’une latitude limitée et que les tribunaux doivent exercer un contrôle juridictionnel lorsque l’action ou l’inaction gouvernementale menace les droits de l’homme. Suivant une deuxième approche, des juridictions estimeraient être autorisées à exercer un contrôle juridictionnel de la légalité de l’action ou de l’inaction gouvernementale, tout en considérant que les gouvernements disposent d’une grande latitude dans la fixation des objectifs ultimes en matière climatique. Adoptant une troisième approche, des juridictions concluraient que, lorsqu’elles sont appelées à se prononcer sur le caractère approprié des mesures d’atténuation prises (ou non) par un État, elles ne peuvent imposer des normes ou des mesures de réparation particulières, et ce quand bien même elles seraient susceptibles d’offrir certaines formes de redressement de nature déclaratoire.
Germanwatch, Greenpeace Allemagne et Scientifiques pour l’avenir
408. Les intervenants soutiennent qu’il est possible de cerner quatre types d’atteintes par les États aux droits individuels du fait du changement climatique : a) une atteinte résultant des émissions de GES par les services publics ; b) une atteinte résultant d’une omission quant aux GES émis par les acteurs privés ; c) le défaut de prévention par anticipation d’atteintes futures, qui, indiquent-ils, est une notion élaborée par la Cour constitutionnelle allemande dans sa jurisprudence relative au changement climatique ; et d) une atteinte résultant de l’attribution de droits d’émissions, qui surviendrait lorsque l’État attribue des droits d’émissions de GES à des émetteurs et devrait de ce fait être tenu pour responsable de ces émissions. Les intervenants ajoutent que, dans le domaine en cause, le lien de causalité se caractérise par sept éléments : a) la certitude, au sujet de laquelle ils renvoient aux rapports du GIEC, qui selon eux établissent que la réalité du changement climatique et de ses effets sont admis avec le niveau de confiance le plus élevé ; b) l’individualisation des effets sur l’intéressé ; c) l’intensité, qui serait liée à la gravité de l’atteinte et serait à évaluer en fonction des effets sur la santé humaine et l’environnement en tant que biens communs ; d) le critère temporel, qui exigerait que l’atteinte soit actuelle, imminente ou immédiate ; e) l’interdépendance avec l’environnement « en tant que tel », qui découlerait de ce que la jurisprudence de la Cour aurait reconnu l’existence d’un lien entre les droits garantis par la Convention et l’environnement en tant que tel (et qui serait indépendant d’une éventuelle reconnaissance par la Cour d’un droit à un environnement sain) ; f) l’attribution à un État, qui se différencierait selon trois types d’émissions (émissions depuis le territoire de cet État et touchant ce même territoire ; émissions depuis le territoire de cet État et produisant ses effets à l’étranger ; émissions depuis un territoire autre que celui de cet État mais provenant ou résultant d’activités humaines réalisées sur le territoire de ce dernier) ; et g) les contributions partagées (ou l’argument dit de la « goutte d’eau dans l’océan »), pour l’analyse desquelles toute contribution serait à prendre en compte, quelle que soit son ampleur.
409. Les intervenants considèrent que l’on peut déterminer le niveau de réduction des émissions de GES nécessaire à la garantie des droits fondamentaux en retenant trois critères : a) les justes parts revenant à chaque État dans le budget global des émissions, qu’il convient d’établir en définissant d’abord le budget global, puis la répartition de ce budget entre les États, laquelle peut être calculée sur la base du modèle utilisé par le CAT ou encore à l’aide d’un modèle fondé sur le nombre d’habitants ; b) les trajectoires d’émissions modélisées (qu’il conviendrait de déterminer à partir de mesures compatibles avec les limites supérieures en matière de réchauffement), tenant compte du modèle des budgets divergents et de l’insuffisance de la compensation purement financière en la matière ; ou c) l’exploration des possibilités techniques, économiques et sociales, qui correspond à une obligation pesant sur l’État défendeur de faire tout ce qui est techniquement, économiquement et socialement possible pour réduire les émissions de GES. Enfin, les intervenants sont d’avis que les principes régissant l’attribution et la juridiction doivent être étoffés et affinés de manière à permettre la prise en compte des émissions réalisées à l’étranger.
Appréciation de la Cour
Remarques liminaires
410. La Cour note d’emblée que la question du changement climatique est l’une des plus préoccupantes de notre époque. Si la cause principale du changement climatique se trouve dans l’accumulation de GES dans l’atmosphère terrestre, les conséquences pour l’environnement ainsi que les effets néfastes de ce phénomène sur les conditions de vie des individus et des différentes communautés humaines sont complexes et multiples. Par ailleurs, la Cour est consciente de ce que les effets délétères du changement climatique soulèvent la question de la répartition de l’effort entre les générations (paragraphe 420 ci-dessous) et pèsent tout particulièrement sur diverses catégories vulnérables de la société, qui ont besoin d’une attention et d’une protection spéciales de la part des autorités.
411. Cependant, la Cour ne peut connaître de questions liées au changement climatique que dans les limites de l’exercice de sa compétence, consistant aux termes de l’article 19 de la Convention à assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la Convention et de ses protocoles. À cet égard, elle est, et doit rester, consciente du fait que, de manière générale, les mesures conçues pour lutter contre le changement climatique et ses effets néfastes nécessitent une action de la part du législateur, tant au niveau du cadre politique que dans divers domaines sectoriels. Dans une démocratie, qui représente un élément fondamental de l’ordre public européen, comme il ressort du préambule de la Convention ainsi que des principes de subsidiarité et de responsabilité partagée (voir, notamment, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 45, Recueil 1998-I, et Grzęda c. Pologne [GC], no 43572/18, § 324, 15 mars 2022), pareille action dépend donc nécessairement du processus décisionnel démocratique.
412. Une intervention juridictionnelle, y compris de la Cour, ne peut remplacer les mesures qui doivent être prises par les pouvoirs législatif et exécutif, ou fournir un substitut à celles-ci. Toutefois, la démocratie ne saurait être réduite à la volonté majoritaire des électeurs et des élus, au mépris des exigences de l’État de droit. La compétence des juridictions internes et de la Cour est donc complémentaire à ces processus démocratiques. La tâche du pouvoir judiciaire consiste à assurer le nécessaire contrôle de la conformité avec les exigences légales. La base juridique de l’intervention de la Cour se limite toujours à la Convention, qui donne aussi à la Cour le pouvoir de vérifier la proportionnalité de mesures générales adoptées par le législateur national (Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 108, CEDH 2013 (extraits)). Le cadre juridique en fonction duquel est définie la portée du contrôle opéré par les juridictions internes peut être considérablement plus vaste et il dépend de la nature et de la base légale des griefs soulevés par les justiciables.
413. Dans le même temps, la Cour doit aussi tenir compte du fait que l’insuffisance de l’action passée de l’État pour lutter contre le changement climatique, insuffisance largement reconnue, se traduit à l’échelle mondiale par une aggravation des risques de conséquences négatives et des menaces – déjà reconnues par les États du monde entier – qui en découlent pour la jouissance des droits de l’homme. La situation présente met donc en jeu des conditions actuelles impérieuses, confirmées par les connaissances scientifiques, que la Cour, en tant qu’organe judiciaire chargé de faire respecter les droits de l’homme, ne peut méconnaître. Cependant, étant donné, d’une part, que la responsabilité concernant ces questions relève nécessairement des pouvoirs législatif et exécutif en premier lieu et, d’autre part, que les conséquences et problèmes résultant des effets néfastes du changement climatique sont de nature intrinsèquement collective, le point de savoir qui peut, dans ce contexte, chercher à obtenir une protection judiciaire sur le fondement de la Convention ne revient pas à rechercher simplement qui peut saisir la justice de ce problème général, en s’adressant d’abord aux juridictions, puis à la Cour ; ce point soulève des questions plus vastes touchant à la séparation des pouvoirs.
414. Avec la présente espèce, ainsi que les deux autres affaires dont l’audience s’est déroulée devant la même formation de la Grande Chambre (paragraphe 5 ci‑dessus), la Cour se trouve saisie de questions inédites. À ce jour, elle ne s’est jamais penchée sur le caractère particulier des problèmes engendrés par le changement climatique au regard des questions qu’ils posent sur le terrain de la Convention. Si sa jurisprudence en matière environnementale (voir, en particulier, le paragraphe 538 ci-dessous) peut être utile jusqu’à un certain point, les questions juridiques soulevées par le changement climatique présentent d’importantes différences avec celles qui ont été traitées jusqu’à aujourd’hui.
415. La jurisprudence de la Cour relative aux questions environnementales se rapporte à des situations où les atteintes à l’environnement émanaient de sources spécifiques. Dans les affaires concernées, il était donc possible de localiser et d’identifier de manière raisonnablement certaine les personnes exposées aux dommages en cause, et, de manière générale, d’établir l’existence d’un lien de causalité entre la source identifiable du dommage en question et ses effets néfastes concrets sur un groupe d’individus. Il était possible également de vérifier précisément quelles mesures normatives ou pratiques avaient ou n’avaient pas été prises pour réduire les nuisances émanant d’une source donnée. En bref, on pouvait relier la source d’un dommage aux personnes l’ayant subi, et les mesures d’atténuation requises étaient identifiables et pouvaient être prises au niveau de la source même du dommage.
416. En matière de changement climatique, les caractéristiques et circonstances principales sont très différentes. Premièrement, la source du dommage n’est ni unique ni spécifique. Les émissions de GES proviennent de sources multiples. Le dommage découle de l’agrégation de différentes émissions[184]. Deuxièmement, le CO2 – c’est-à-dire le principal GES – n’est pas toxique en lui-même à des niveaux de concentration normaux[185]. Les émissions deviennent nuisibles à l’issue d’un enchaînement d’effets complexe. Elles ne connaissent pas les frontières nationales.
417. Troisièmement, l’enchaînement d’effets n’est pas seulement complexe, il est aussi plus imprévisible d’un point de vue spatial et temporel que pour les autres émissions de toxiques polluants spécifiques. Les niveaux combinés de CO2 créent le réchauffement planétaire et le changement climatique. Ceux‑ci sont à l’origine d’incidents ou de périodes météorologiques extrêmes, lesquels causent différents phénomènes dommageables tels que vagues de chaleur excessive, sécheresses, pluies excessives, vents violents ou tempêtes. Ces phénomènes sont eux-mêmes sources de catastrophes telles qu’incendies, inondations, glissements de terrain et avalanches. Le danger immédiat pour les êtres humains naît de ce type de conséquences de telles ou telles conditions climatiques. À plus long terme, certaines de ces conséquences risquent de détruire, dans les zones les plus touchées, la base des moyens de subsistance et de survie de l’espèce humaine. Des populations entières sont ou seront affectées, certes de différentes manières, à des degrés divers et avec des conséquences plus ou moins graves et plus ou moins immédiates.
418. Quatrièmement, les sources d’émissions de GES ne sont pas limitées à des activités spécifiques qui pourraient être qualifiées de dangereuses. Dans bien des endroits, les principales sources d’émissions de GES correspondent à des secteurs tels que l’industrie, l’énergie, les transports, le logement, la construction et l’agriculture – c’est-à-dire des activités de base des sociétés humaines. En conséquence, les mesures d’atténuation ne peuvent généralement pas être localisées ou limitées à des installations spécifiques d’où émaneraient les effets néfastes. Elles passent nécessairement par des politiques normatives complètes appliquées dans différents secteurs d’activité[186]. Les mesures d’adaptation relèvent peut-être plus largement de l’action locale[187]. Il demeure que, sans atténuation effective (point central dans les arguments des requérantes en l’espèce – paragraphes 304, 306 et 335 ci‑dessus), les mesures d’adaptation ne peuvent suffire en elles-mêmes pour lutter contre le changement climatique (paragraphe 115 ci-dessus).
419. Cinquièmement, on ne peut lutter contre le changement climatique, et stopper ce phénomène, par l’adoption de mesures spécifiques localisées ou limitées à un secteur donné. Le changement climatique est un phénomène polycentrique. La décarbonation des systèmes économiques et des modes de vie passe nécessairement par la transformation complète et profonde de différents secteurs. Ces « transitions vertes » requièrent la mise en œuvre d’un ensemble très complexe et très large d’actions, de politiques et d’investissements coordonnés faisant intervenir tant le secteur public que le secteur privé. Les individus eux-mêmes sont appelés à assumer leur part d’efforts et de responsabilités. Les politiques de lutte contre le changement climatique posent donc inévitablement des questions d’adaptation sociale et de répartition de l’effort entre les générations, ce qui concerne aussi bien les différentes générations de personnes vivant actuellement que les générations futures.
420. À cet égard, la Cour note que, dans le cadre spécifique du changement climatique, la répartition intergénérationnelle de l’effort revêt une importance particulière, tant pour les différentes générations de personnes vivant actuellement que pour les générations futures. Certes, les obligations juridiques que la Convention impose aux États concernent les personnes vivant actuellement qui, au moment considéré, relèvent de la juridiction de telle ou telle Partie contractante ; il n’en reste pas moins clair que les générations futures risquent de supporter le fardeau croissant des conséquences des manquements et omissions d’aujourd’hui dans la lutte contre le changement climatique (paragraphe 119 ci-dessus), et que cependant elles n’ont nulle possibilité de participer aux processus décisionnels actuels en la matière. En s’engageant au titre de la CCNUCC, les États parties ont contracté l’obligation de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures (voir, au paragraphe 133 ci‑dessus, l’article 3 de la CCNUCC). Cette obligation doit être considérée à la lumière des effets néfastes du changement climatique qui se produisent d’ores et déjà, ainsi que de l’urgence de la situation et du risque de dommages irréversibles engendré par ce phénomène. Dans ce contexte, compte tenu des perspectives d’aggravation des conséquences qui pèseront sur les générations futures, le point de vue intergénérationnel met en exergue le risque inhérent à la prise de décision politique dans ce domaine, c’est-à-dire le fait que les intérêts et préoccupations de court terme pourraient l’emporter et prendre le pas sur le besoin impérieux d’une prise de décisions viables, risque particulièrement sérieux et justifiant plus encore l’existence d’une possibilité de contrôle juridictionnel.
421. Enfin, si la lutte contre le changement climatique s’inscrit dans une problématique mondiale, tant l’importance relative des différentes sources d’émissions que les politiques nécessaires et les actions requises pour parvenir à un niveau suffisant d’atténuation et d’adaptation peuvent varier dans une certaine mesure d’un État à l’autre en fonction de plusieurs facteurs, tels que la structure de l’économie, les conditions géographiques et démographiques et d’autres éléments sociétaux. Même si, à plus long terme, le changement climatique représente un risque pour l’existence même de l’humanité, il n’en reste pas moins qu’à court terme, la nécessité de lutter contre ce phénomène implique divers conflits, dont la résolution relève, comme indiqué précédemment, des processus décisionnels démocratiques, complétés par un contrôle des juridictions nationales et de la Cour.
422. En raison de ces différences fondamentales, il ne serait ni satisfaisant ni opportun de transposer directement au domaine du changement climatique la jurisprudence existante en matière d’environnement. La Cour estime approprié d’adopter une approche qui reconnaisse et prenne en compte les particularités du phénomène en cause et qui soit ajustée à ses caractéristiques spécifiques. Ainsi, dans la présente espèce, tout en s’inspirant des principes énoncés dans sa jurisprudence, la Cour s’emploiera à élaborer une approche plus adéquate et adaptée des différentes questions que peut soulever le changement climatique au regard de la Convention.
Considérations générales sur les litiges relatifs au changement climatique
423. Avant de procéder à l’examen des questions juridiques soulevées par la présente espèce, la Cour estime utile de commencer par aborder certaines considérations générales sur les litiges relatifs au changement climatique.
a) Sur les questions de causalité
424. Comme indiqué ci-dessus, par rapport aux affaires environnementales classiques, la spécificité des litiges relatifs au changement climatique tient à ce que ceux-ci ne portent pas sur des questions environnementales locales associées à une source unique de dommage mais sur un problème global plus complexe. Dans le cadre de griefs dirigés contre des États et formulés sur le terrain des droits de l’homme, les questions de causalité se posent sur plusieurs plans, qui sont distincts les uns des autres et ont des incidences sur l’appréciation de la qualité de victime ainsi que des aspects matériels des obligations et de la responsabilité de l’État au regard de la Convention.
425. La première dimension de la causalité concerne le lien entre, d’une part, les émissions de GES – et l’accumulation de GES qui en résulte dans l’atmosphère mondiale – et, d’autre part, les diverses manifestations du changement climatique. Cette question relève de la connaissance et de l’évaluation scientifiques. La deuxième dimension a trait au lien entre les divers effets néfastes du changement climatique et les risques qu’ils font peser aujourd’hui et feront peser à l’avenir sur l’exercice des droits de l’homme. De manière générale, cet aspect relève de la question juridique de savoir comment considérer l’étendue de la protection des droits de l’homme face aux conséquences pour l’être humain d’une dégradation actuelle ou d’un risque de dégradation de ses conditions de vie. La troisième dimension concerne le lien, au niveau individuel, entre, d’une part, un dommage ou risque de dommage touchant supposément des personnes ou groupes de personnes spécifiques et, d’autre part, les actes ou omissions des autorités de l’État qui se trouve visé par une plainte fondée sur les droits de l’homme. La quatrième dimension porte sur l’attribuabilité de la responsabilité, quant aux effets néfastes du changement climatique, qu’invoquent des individus ou des groupes contre un État donné, eu égard au fait que de multiples acteurs contribuent aux quantités et aux effets globaux des émissions de GES.
426. La Cour examinera ces questions l’une après l’autre, aux paragraphes 427 à 444 ci-dessous.
b) Sur les questions de preuve
427. L’une des caractéristiques principales des affaires relatives au changement climatique est la nécessité pour la juridiction appelée à en connaître d’étudier un ensemble de données scientifiques complexes. En matière environnementale, la Cour a déclaré ceci au sujet des principes généraux relatifs au niveau et à la charge de la preuve (Fadeïeva c. Russie, no 55723/00, § 79, CEDH 2005-IV) :
« La Cour rappelle d’emblée qu’elle applique généralement le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ». Une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. Il convient également de noter que la Cour autorise une certaine flexibilité en la matière et tient compte de la nature du droit matériel en cause ainsi que des éventuelles difficultés d’administration de la preuve. Il arrive que l’État défendeur soit seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou de réfuter les allégations du requérant : en pareil cas, il est impossible d’appliquer rigoureusement le principe affirmanti, non neganti, incumbit probatio (...) »
428. Une simple allégation selon laquelle l’État n’a pas respecté certaines règles et normes environnementales et techniques internes n’est pas en elle-même suffisante pour fonder l’affirmation que les droits du requérant ont été touchés d’une manière qui pose problème au regard de la Convention (voir par exemple, à titre de comparaison, Fägerskiöld c. Suède (déc.), no 37664/04, 26 février 2008, et Ivan Atanasov c. Bulgarie, no 12853/03, § 75, 2 décembre 2010). Néanmoins, la Cour attache de l’importance au fait que la situation litigieuse soit contraire au droit interne applicable (voir, par exemple, Yevgeniy Dmitriyev c. Russie, no 17840/06, § 33, 1er décembre 2020). De plus, dans certaines affaires, la Cour peut devoir tenir compte des normes internationales pertinentes concernant les effets de la pollution de l’environnement lorsqu’elle recherche si les droits d’un individu ont été touchés (voir, par exemple, Oluić c. Croatie, no 61260/08, § 60, 20 mai 2010, Hardy et Maile c. Royaume-Uni, no 31965/07, § 191, 14 février 2012, et Thibaut c. France (déc.), nos 41892/19 et 41893/19, § 42, 14 juin 2022).
429. La Cour s’appuie également sur des études et rapports établis par des organes internationaux compétents au sujet d’impacts environnementaux sur les individus (Tătar, précité, § 95). Sur la question du changement climatique, la Cour souligne l’importance particulière des rapports établis par le GIEC, groupe intergouvernemental d’experts indépendants qui a été créé aux fins de l’examen et de l’évaluation des données scientifiques relatives à ce phénomène. Ces rapports reposent sur une méthodologie exhaustive et rigoureuse, notamment en ce qui concerne le choix de la littérature, le processus d’examen et d’approbation desdits rapports, les mécanismes d’enquête et, si nécessaire, de correction d’éventuelles erreurs dans les rapports publiés. Ils fournissent des indications scientifiques sur le changement climatique aux niveaux régional et mondial, ses répercussions et les risques à venir, ainsi que sur les possibilités en matière d’adaptation et d’atténuation[188].
430. Enfin, la Cour attache une importance particulière aux conclusions des juridictions et des autres autorités internes compétentes pour l’établissement des circonstances factuelles de l’affaire (voir, par exemple, Taşkın et autres, précité, § 112). En principe, lorsque des procédures internes ont été menées, la Cour n’a pas à substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions nationales, auxquelles il appartient d’établir les faits sur la base des éléments du dossier. La Cour rappelle toutefois que, consciente du caractère subsidiaire de son rôle et prudente avant d’assumer celui de juge du fait de première instance, elle n’est néanmoins pas liée par les constatations factuelles des tribunaux nationaux et peut s’en écarter lorsque les circonstances d’une affaire particulière rendent cela inévitable. Il lui appartient d’examiner sous l’angle de la Convention le raisonnement développé par les autorités judiciaires internes et de rechercher si celles-ci ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu (Pavlov et autres, précité, § 76, avec d’autres références).
c) Les effets du changement climatique sur la jouissance des droits protégés par la Convention
431. Ces derniers temps, les connaissances scientifiques, les attitudes sociopolitiques et les normes juridiques ont évolué sur la question de la nécessité de protéger l’environnement, notamment dans le contexte du changement climatique. De même, il est à présent reconnu que la dégradation de l’environnement peut entraîner et a entraîné des effets négatifs graves et potentiellement irréversibles sur la jouissance des droits de l’homme. Ce constat se retrouve dans les documents scientifiques, les instruments internationaux, la législation et les normes nationales, et il est confirmé par la jurisprudence internationale et la jurisprudence de certains États (paragraphes 173, 176, 225 et 236-267 ci‑dessus).
432. Les conclusions des rapports du GIEC qui sont exposées aux paragraphes 107 à 120 ci-dessus ne sont ni contestées ni mises en doute par le gouvernement défendeur ou les gouvernements intervenants. Il est à noter également que les signes évidents qui ont trait aux effets négatifs du changement climatique – ceux qui se produisent d’ores et déjà et ceux qui seraient associés à une hausse de la température planétaire de plus de 1,5 oC – et qui ont été observés par le GIEC ont aussi été relevés par bon nombre de scientifiques et d’experts des questions environnementales qui se sont portés tiers intervenants devant la Cour dans la présente procédure (voir, par exemple, les paragraphes 392-393, 397, 399, 404-405 et 406 ci‑dessus).
433. De plus, les conclusions du GIEC correspondent à la position de principe adoptée par les États dans le cadre de leurs engagements internationaux en matière de lutte contre le changement climatique. Ces conclusions étayent également les objectifs de politique générale définis au sein de l’État défendeur au regard de la nécessité urgente d’agir face au changement climatique et à ses effets négatifs sur la vie, la santé et le bien‑être des individus (paragraphes 84-102 ci-dessus)[189]. Cela englobe les activités des organes de protection de l’environnement – tels l’OFEV – qui suivent l’évolution du changement climatique et alertent régulièrement quant à ses effets négatifs sur les individus. En outre, ni le gouvernement défendeur en l’espèce ni les nombreux gouvernements intervenants n’ont contesté l’existence d’une urgence climatique (paragraphes 337, 367 et 373‑375 ci‑dessus).
434. La Cour ne saurait ignorer ces évolutions et ces considérations. Au contraire, elle rappelle que la Convention est un instrument vivant qui doit être interprété à la lumière des conditions de vie actuelles, auxquelles il y a lieu d’intégrer l’évolution du droit international, de façon à refléter le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme, lequel implique une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques (Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 146, CEDH 2008). Ainsi, pour adopter l’approche adéquate et adaptée qui, pour les raisons exposées ci‑dessus (paragraphe 422), s’impose à l’égard des différentes questions que peut poser le changement climatique sur le terrain de la Convention, il faut prendre en compte, d’une part, les éléments scientifiques actuels et en constante évolution qui établissent la nécessité de lutter contre ce phénomène et l’urgence d’agir face à ses effets négatifs, en particulier le risque grave que ceux-ci ne deviennent inéluctables et irréversibles, et, d’autre part, la reconnaissance scientifique, politique et judiciaire de l’existence d’un lien entre lesdits effets négatifs et la jouissance (de différents aspects) des droits de l’homme.
435. Ainsi que la Cour l’a déjà reconnu, l’article 8 peut entrer en jeu en raison d’effets néfastes non seulement sur la santé des individus mais aussi sur leur bien-être et leur qualité de vie (paragraphe 514 ci-dessous), et non seulement en raison d’effets néfastes réels mais aussi de risques suffisamment graves que pareils effets ne touchent des individus (paragraphe 470 ci‑dessous). Par ailleurs, la Cour a établi que l’article 8 peut trouver à s’appliquer dans les affaires relatives à l’environnement, que la pollution en question soit directement causée par l’État ou que la responsabilité de ce dernier découle de l’absence de réglementation adéquate de l’industrie privée (voir, par exemple, Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 98, CEDH 2003-VIII). Elle a également jugé que l’obligation de réglementer concerne non seulement le dommage réel découlant d’activités spécifiques, mais s’étend aussi aux dangers inhérents à ces activités (voir, par exemple, Di Sarno et autres c. Italie, no 30765/08, § 106, 10 janvier 2012). En d’autres termes, les questions de causalité doivent toujours être examinées à la lumière du caractère factuel de la violation alléguée et compte tenu de la nature et de la portée des obligations juridiques en cause.
436. En résumé, à partir des constats exposés ci-dessus, la Cour procédera à l’analyse des questions soulevées en l’espèce en considérant comme établie l’existence d’indications suffisamment fiables de ce que le changement climatique anthropique existe, qu’il représente actuellement et pour l’avenir une grave menace pour la jouissance des droits de l’homme garantis par la Convention, que les États en ont conscience et sont capables de prendre des mesures pour y faire face efficacement, que les risques pertinents devraient être moindres si le réchauffement est limité à 1,5 oC par rapport aux niveaux préindustriels et si des mesures sont prises d’urgence, et que les efforts mondiaux actuels en matière d’atténuation ne suffisent pas pour assurer la réalisation de ce dernier objectif.
d) Sur la question de la causalité et des obligations positives face au changement climatique
437. Dans sa jurisprudence relative aux effets néfastes d’un dommage environnemental, la Cour a souvent joint l’appréciation de la qualité de victime à celle de l’applicabilité de l’article 8 (voir, par exemple, Hardy et Maile, précité, §§ 187-192). Par ailleurs, elle n’a pas formulé la question de la causalité de façon spécifique. Cela s’explique par les éléments exposés ci‑après. Premièrement, l’applicabilité de l’article 8 – comme indiqué ci‑dessus – résulte non seulement d’une atteinte effective à la santé ou au bien-être d’un requérant, mais aussi du risque de pareils effets, lorsque ce risque présente un lien suffisamment étroit avec la jouissance par le requérant des droits garantis par l’article 8. Deuxièmement, les griefs soulevés dans de telles affaires concernaient de supposés manquements des autorités à leurs obligations positives visant à ce que le dommage fût évité ou limité. Troisièmement, ces obligations ont été présentées comme le devoir de prendre des mesures propres à assurer la protection effective des personnes susceptibles d’être exposées aux risques inhérents à l’activité dommageable (paragraphe 538 ci-dessous).
438. La notion de mesures propres à assurer une protection effective, sur le plan des obligations positives, peut varier considérablement d’une affaire à l’autre, en fonction de la gravité des conséquences pour les droits conventionnels d’un requérant et de l’ampleur de la charge que l’obligation imposerait à l’État. La Cour a toutefois défini certains facteurs pertinents pour l’appréciation du contenu de ces obligations positives incombant aux États dans le contexte d’un dommage environnemental (paragraphes 538‑539 ci‑dessous). Quoi qu’il en soit, pour que les obligations positives d’un État soient en jeu, il faut que des éléments attestent l’existence d’un risque atteignant un certain niveau. Il doit y avoir un lien de causalité entre le risque en question et le supposé manquement aux obligations positives.
439. En matière de changement climatique, la spécificité de la question de la causalité est plus marquée. Les effets néfastes et les risques pour des individus ou groupes d’individus particuliers vivant en un lieu donné résultent de l’ensemble des émissions mondiales de GES, et les émissions provenant d’un pays donné ne représentent qu’une partie des causes du dommage. Dès lors, le lien de causalité entre, d’une part, les actes ou omissions des autorités nationales d’un pays et, d’autre part, le dommage ou risque de dommage qui en découle dans ce pays, est nécessairement plus ténu et indirect que dans le contexte d’une pollution dommageable ayant des origines locales. En outre, du point de vue des droits de l’homme, l’essence des obligations pertinentes de l’État en matière de changement climatique est liée à la réduction des risques de dommage pour les individus. À l’inverse, un défaut d’exécution de ces obligations entraîne une aggravation des risques en cause, même si l’exposition des individus à ces risques varie en termes de nature, de gravité et d’imminence, en fonction d’un ensemble de circonstances. Il s’ensuit que les questions relatives à la qualité de victime individuelle ou au contenu particulier des obligations de l’État ne peuvent pas être tranchées sur la base d’une stricte condition sine qua non.
440. Il faut donc adapter plus avant la façon d’aborder ces questions, en tenant compte des spécificités du problème du changement climatique qui feront naître les obligations positives de l’État, en fonction d’un seuil de gravité du risque de conséquences négatives sur la vie, la santé et le bien‑être des êtres humains. Ce point sera traité plus précisément dans le cadre de l’appréciation par la Cour de la qualité de victime et de l’applicabilité des dispositions pertinentes de la Convention (paragraphes 478‑488 et 507‑520 ci‑dessous), et lors de la détermination du contenu des obligations positives des États dans ce contexte (paragraphes 544‑554 ci‑dessous).
e) Sur la question de la part de responsabilité de l’État
441. Le gouvernement défendeur a soulevé une question concernant la part représentée par les contributions de l’État défendeur dans les émissions mondiales de GES et la capacité des États à agir individuellement et à assumer la responsabilité d’un phénomène mondial qui exige une action de l’ensemble des États (paragraphe 346 ci‑dessus). Ces arguments ont été examinés et rejetés par les juridictions de certains pays dans le cadre de litiges nationaux relatifs au changement climatique (paragraphes 253 et 257 ci‑dessus).
442. Pour sa part, la Cour observe que, si le changement climatique est sans conteste un phénomène mondial qui mérite d’être traité au niveau international par l’ensemble des États, le régime climatique mondial établi par la CCNUCC repose sur le principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives des États (article 3 § 1). Ce principe a été réaffirmé dans l’Accord de Paris (article 2 § 2) et repris dans le Pacte de Glasgow pour le climat (précité, paragraphe 18), ainsi que dans le Plan de mise en œuvre de Charm el-Cheikh (précité, paragraphe 12). Il s’ensuit que chaque État a sa propre part de responsabilité s’agissant de prendre des mesures pour faire face au changement climatique et que l’adoption de ces mesures est déterminée par les capacités propres de l’État concerné, et non par une action (ou omission) particulière de tout autre État (Duarte Agostinho et autres, décision précitée, §§ 202‑203). La Cour considère qu’un État défendeur ne doit pas se soustraire à sa responsabilité en mettant en avant celle d’autres États, qu’il s’agisse ou non de Parties contractantes à la Convention.
443. Cette position est conforme à celle que la Cour a adoptée dans des affaires où des violations alléguées de droits protégés par la Convention mettaient en jeu la responsabilité conjointe de plusieurs États, chacun d’entre eux pouvant avoir à rendre des comptes à raison de sa part de responsabilité dans la violation en question (voir, quoique dans des contextes différents, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 264 et 367, et Razvozzhayev c. Russie et Ukraine et Udaltsov c. Russie, nos 75734/12 et 2 autres, §§ 160‑161 et 179‑181, 19 novembre 2019). Elle cadre également avec les principes de droit international relatifs à la responsabilité d’une pluralité d’États, selon lesquels la responsabilité de chaque État concerné est établie séparément, sur la base de son propre comportement et au regard de ses propres obligations internationales (CDI, projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, commentaire sur l’article 47, paragraphes 6 et 8). De même, la violation alléguée de droits garantis par la Convention en raison d’un dommage résultant des émissions de GES à l’échelle mondiale et des actions et omissions de multiples États dans la lutte contre les effets néfastes du changement climatique peut engager la responsabilité de chaque Partie contractante, sous réserve que sa juridiction, au sens de l’article 1 de la Convention, entre en jeu (Duarte Agostinho et autres, précité). En effet, la juridiction au sens de l’article 1 étant principalement territoriale, chaque État, dans le cadre de sa propre juridiction territoriale, a ses propres responsabilités en matière de changement climatique.
444. Concernant enfin l’argument de la « goutte d’eau dans l’océan » qui ressort implicitement des observations du Gouvernement – autrement dit, la question de la capacité de tel ou tel État à influer sur le changement climatique mondial –, il convient de relever que, dans le contexte des obligations positives qui incombent à un État au titre de la Convention, la Cour a toujours dit qu’il n’y a pas lieu d’établir avec certitude que les choses auraient tourné autrement si les autorités avaient adopté une conduite différente. L’analyse pertinente n’exige pas qu’il soit démontré qu’en l’absence d’un manquement ou d’une omission des autorités, le dommage ne se serait pas produit. Ce qui est important et suffisant pour engager la responsabilité de l’État, c’est plutôt le constat que des mesures raisonnables que les autorités internes se sont abstenues de prendre auraient eu une chance réelle de changer le cours des événements ou d’atténuer le préjudice causé (voir, parmi beaucoup d’autres, O’Keeffe c. Irlande [GC], no 35810/09, § 149, CEDH 2014 (extraits), et Baljak et autres c. Croatie, no 41295/19, § 124, 25 novembre 2021, avec d’autres références). En matière de changement climatique, ce principe doit également être interprété à la lumière de l’article 3 § 3 de la CCNUCC, selon lequel les États doivent prendre des mesures pour prévoir, prévenir ou atténuer les causes de ce phénomène et en limiter les effets néfastes.
f) Sur la portée de l’appréciation de la Cour
445. La Cour a dit à maintes reprises qu’aucun article de la Convention ne garantit spécifiquement une protection générale de l’environnement en tant que tel (Kyrtatos c. Grèce, no 41666/98, § 52, CEDH 2003‑VI (extraits), et Cordella et autres, précité, § 100). D’autres instruments internationaux et législations internes sont des cadres plus adaptés au traitement de cette question de protection.
446. Il demeure que la Cour a souvent eu à connaître de différentes questions environnementales supposées toucher des droits individuels protégés par la Convention, notamment par l’article 8 (Hatton et autres, précité, § 96). Elle a toutefois expliqué que, le système de la Convention ne reconnaissant pas les requêtes de type actio popularis (paragraphe 460 ci‑dessous), l’élément crucial qui permet de déterminer si, dans les circonstances d’une affaire, des atteintes à l’environnement ont emporté violation de l’un des droits garantis par la Convention est l’existence d’un effet néfaste sur la personne, et non pas simplement la dégradation générale de l’environnement (voir, par exemple, Di Sarno et autres, précité, §§ 80‑81).
447. S’il est arrivé que la Cour mentionne « le droit des intéressés (...) à la jouissance d’un environnement sain et protégé » (Tătar, précité, § 112, et Di Sarno et autres, précité, § 110), on ne saurait comprendre cette formule sans tenir compte de la distinction qu’il convient de faire entre, d’une part, les droits protégés par la Convention et, d’autre part, le poids des préoccupations environnementales dans l’appréciation des buts légitimes et la mise en balance des droits et intérêts en jeu dans le cadre de l’application de la Convention. À cet égard, la Cour a dit par exemple ceci, sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (Turgut et autres c. Turquie, no 1411/03, § 90, 8 juillet 2008) :
« [l]a société d’aujourd’hui se soucie sans cesse davantage de (...) préserver [l’environnement] (...) [La Cour] note qu’elle a traité maintes fois les questions liées à la protection de l’environnement et souligné l’importance de la matière (...) La protection de la nature et des forêts et plus généralement l’environnement constituent une valeur dont la défense suscite dans l’opinion publique, et par conséquent auprès des pouvoirs publics, un intérêt constant et soutenu. Des impératifs économiques et même certains droits fondamentaux, comme le droit de propriété, ne devraient pas se voir accorder la primauté face à des considérations relatives à la protection de l’environnement (...) »
448. C’est aussi à partir de cette double perspective adoptée jusqu’ici par la Cour en matière environnementale – d’une part, assurer la protection des droits garantis par la Convention et, d’autre part, tenir dûment compte des préoccupations environnementales dans l’appréciation des buts légitimes et la mise en balance des droits et intérêts en jeu dans le cadre de l’application de la Convention – qu’il convient d’appréhender, au regard de la Convention, la pertinence des récentes initiatives internationales en faveur de la reconnaissance d’un droit fondamental à un environnement propre, sain et durable (voir, en particulier, la Résolution 76/300 de l’Assemblée générale des Nations unies et la Recommandation CM/Rec(2022)20 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, toutes deux précitées). Il n’appartient donc pas à la Cour de déterminer si la tendance générale à reconnaître un tel droit fait naître une obligation juridique spécifique (voir le paragraphe 372 ci‑dessus, concernant les arguments présentés par le gouvernement norvégien, tiers intervenant). Une telle évolution s’inscrit dans le cadre du droit international au regard duquel la Cour apprécie les questions portées devant elle sur le terrain de la Convention (Demir et Baykara c. Turquie [GC], précité, § 76), notamment pour ce qui est de la reconnaissance par les Parties contractantes d’un lien étroit entre la protection de l’environnement et les droits de l’homme.
449. La Cour est consciente que, dans un contexte tel que celui de la présente espèce, il peut être difficile d’opérer une nette distinction entre les questions de droit et les questions d’opportunité ou de choix politiques, et elle garde donc à l’esprit le rôle fondamentalement subsidiaire du mécanisme de la Convention, compte tenu en particulier de la complexité des questions qui sont en jeu lorsqu’il s’agit d’adopter des décisions relatives à l’environnement (Dubetska et autres c. Ukraine, no 30499/03, § 142, 10 février 2011). Elle a déjà souligné que les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe et se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur les besoins et contextes pertinents. Lorsque sont en jeu des questions de politique générale, ou de choix politiques, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national (Hatton et autres, précité, § 97).
450. Toutefois, cela n’exclut pas la possibilité que, lorsque des griefs portés devant la Cour concernent la politique de l’État relative à une question ayant une incidence sur les droits d’un individu ou groupe d’individus protégés par la Convention, il ne s’agisse plus simplement de choix politiques ou décisionnels mais de droit et de l’interprétation et de l’application de la Convention. En pareil cas, la Cour est compétente pour se prononcer, même si elle tient compte dans une large mesure du décideur national, des mesures résultant du processus démocratique en question et/ou du contrôle opéré par les juridictions internes. Il s’ensuit que la marge d’appréciation dont jouissent les autorités internes n’est pas illimitée et qu’elle va de pair avec un contrôle au niveau européen, opéré par la Cour, laquelle doit s’assurer que les effets produits par les mesures mises en place au niveau national sont compatibles avec la Convention.
451. Il découle des considérations qui précèdent que la compétence de la Cour pour connaître de litiges relatifs au changement climatique ne peut, par principe, être exclue. En effet, compte tenu de la nécessité de répondre à l’urgence de la menace que constitue le changement climatique et eu égard au consensus général selon lequel ce changement est une préoccupation commune de l’humanité (paragraphes 420 et 436 ci-dessus), il y a du sens dans la thèse avancée par les rapporteurs spéciaux des Nations unies selon laquelle la question n’est plus de savoir si les juridictions de protection des droits de l’homme doivent examiner les conséquences des dommages environnementaux sur la jouissance des droits de l’homme, mais comment elles doivent le faire (paragraphe 379 ci‑dessus).
g) Sur les principes pertinents d’interprétation de la Convention
452. Les principes jurisprudentiels bien établis d’interprétation de la Convention en tant que traité international ont été résumés par la Cour dans les affaires Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie ([GC], no 18030/11, §§ 118-125, 8 novembre 2016, avec d’autres références), et Slovénie c. Croatie ((déc.) [GC], no 54155/16, § 60, 18 novembre 2020).
453. La Cour doit répondre aux préoccupations exprimées par le gouvernement défendeur quant à une interprétation harmonieuse et évolutive de la Convention à la lumière des directions que prennent les règles et principes du droit international de l’environnement (paragraphes 352 et 355 ci‑dessus). L’avis du gouvernement défendeur, appuyé par la plupart des gouvernements intervenants, est que les principes de l’interprétation harmonieuse et évolutive de la Convention ne doivent pas servir à justifier une interprétation qui ferait de la Convention un mécanisme international de contrôle juridictionnel dans le domaine du changement climatique, et qui changerait les droits consacrés par la Convention en droits visant à lutter contre ce phénomène (paragraphes 366, 368, 371‑373 et 375 ci‑dessus).
454. La Cour rappelle qu’elle n’est compétente que pour contrôler le respect de la Convention. C’est en effet la Convention que la Cour a pour mission d’interpréter et d’appliquer. La Cour n’est pas compétente pour contrôler le respect des autres traités internationaux ou des obligations internationales qui ne découlent pas de la Convention. Ainsi, elle a souligné que même si d’autres instruments peuvent offrir une protection plus étendue que la Convention, elle n’est pas liée par les interprétations d’instruments analogues qui sont livrées par d’autres organes, les dispositions de ces autres instruments internationaux et/ou le rôle des organes chargés d’en contrôler l’application pouvant être différents des dispositions de la Convention et du rôle de la Cour (Caamaño Valle c. Espagne, no 43564/17, §§ 53‑54, 11 mai 2021, avec d’autres références).
455. Il n’en reste pas moins que, dans l’interprétation et l’application des droits protégés par la Convention, la Cour peut et doit tenir compte non seulement des éléments factuels et de l’évolution des circonstances ayant une incidence sur la jouissance des droits en question, mais aussi des instruments juridiques pertinents que la communauté internationale élabore pour répondre à ces éléments. La Cour a toujours dit que la Convention doit, autant que faire se peut, s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international (ibidem). De plus, si la Cour devait faillir à maintenir une approche dynamique et évolutive, pareille attitude risquerait de faire obstacle à toute réforme ou amélioration (Fedotova et autres c. Russie [GC], nos 40792/10 et 2 autres, § 167, 17 janvier 2023).
456. La Cour ne saurait ignorer l’existence d’éléments scientifiques très préoccupants et du consensus international croissant quant aux graves effets du changement climatique sur la jouissance des droits de l’homme (paragraphe 436 ci-dessus). Cette considération se rapporte en particulier au consensus qui émane des mécanismes de droit international auxquels les États membres ont volontairement adhéré et aux obligations et engagements qu’ils ont ainsi contractés (Demir et Baykara, précité, §§ 85‑86 ; comparer avec Guberina c. Croatie, no 23682/13, § 92, 22 mars 2016), notamment au titre de l’Accord de Paris. La Cour doit garder à l’esprit ces éléments d’appréciation en opérant son analyse sous l’angle de la Convention (paragraphes 445‑451 ci‑dessus).
457. Ce faisant, elle doit aussi tenir compte du caractère subsidiaire de son rôle ainsi que de la double nécessité de laisser aux États contractants une marge d’appréciation dans la mise en œuvre des politiques et mesures de lutte contre le changement climatique, et de respecter comme il se doit les principes constitutionnels applicables, notamment ceux relatifs à la séparation des pouvoirs.
Sur la recevabilité
a) Qualité de victime/qualité pour agir (représentation)
458. De manière générale, la jurisprudence de la Cour fait ressortir trois façons possibles de se pencher sur l’existence de la qualité de victime au regard de l’article 34 de la Convention. Cette question peut être examinée à titre de question préalable distincte dans l’affaire (voir, par exemple, S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, §§ 53-58, CEDH 2014 (extraits)) ; elle peut être examinée dans le cadre de l’appréciation de l’applicabilité de la disposition concernée de la Convention (voir, par exemple, Greenpeace e.V. et autres c. Allemagne (déc.), no 18215/06, 12 mai 2009) ; elle peut aussi être considérée comme « étroitement liée » aux questions qui devront être étudiées au fond, et donc être jointe à l’examen au fond du grief (voir, par exemple, Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 111, CEDH 2012).
459. Par souci de clarté méthodologique et compte tenu du fait que la question de la qualité de victime constitue l’un des aspects essentiels des affaires relatives au changement climatique, la Cour estime nécessaire à ce stade d’exposer séparément les principes généraux relatifs à cette question. Toutefois, eu égard à l’existence d’un lien étroit entre la qualité de victime et l’applicabilité des dispositions pertinentes de la Convention (paragraphes 513 et 519 ci‑dessous), le point de savoir si les requérantes en l’espèce ont la qualité de victime sera examiné par la Cour en même temps que l’applicabilité des articles 2 et 8 de la Convention.
Principes généraux
460. La Convention ne reconnaît pas l’actio popularis. La Cour n’a pas normalement pour tâche d’examiner dans l’abstrait la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées au requérant ou l’ont touché a donné lieu à une violation de la Convention (voir, par exemple, Roman Zakharov c. Russie [GC], no 47143/06, § 164, CEDH 2015, avec d’autres références). Dès lors, une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers doit pouvoir se prétendre victime d’une violation des droits reconnus dans la Convention. La Convention n’autorise pas les particuliers ou les groupes de particuliers à se plaindre d’une disposition de droit interne simplement parce qu’il leur semble, sans qu’ils en aient directement subi les effets, qu’elle enfreint la Convention (Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, §§ 50‑51, CEDH 2012).
461. La Cour a souligné à maintes reprises que le critère de la qualité de victime ne saurait être appliqué de façon rigide, mécanique et inflexible (Albert et autres c. Hongrie [GC], no 5294/14, § 121, 7 juillet 2020). De plus, la notion de victime évoquée à l’article 34 doit comme les autres dispositions de la Convention faire l’objet d’une interprétation évolutive à la lumière des conditions de vie d’aujourd’hui (Gorraiz Lizarraga et autres, précité, § 38, et Yusufeli İlçesini Güzelleştirme Yaşatma Kültür Varlıklarını Koruma Derneği c. Turquie (déc.), no 37857/14, § 39, 7 décembre 2021). Dans ce contexte, la Cour a souligné qu’une approche par trop formaliste de la notion de victime rendrait inefficace et illusoire la protection des droits garantis par la Convention (Gorraiz Lizarraga et autres, précité, § 38).
462. La Cour interprète la notion de victime de façon autonome, indépendamment des notions internes telles que celles d’intérêt ou de qualité pour agir, même si elle doit prendre en compte le fait que le requérant a été partie à la procédure interne (Aksu, précité, § 52). De plus, l’existence de la qualité de victime n’implique pas nécessairement l’existence d’un préjudice (Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 50, CEDH 1999‑VII).
463. De manière générale, par « victime », l’article 34 désigne les catégories suivantes de personnes (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, §§ 96‑101, CEDH 2014) : les personnes directement touchées par la violation (alléguée) de la Convention (les victimes directes), les personnes indirectement touchées par la violation (alléguée) de la Convention (les victimes indirectes), et les personnes potentiellement touchées par la violation (alléguée) de la Convention (les victimes potentielles). Dans l’arrêt Mansur Yalçın et autres c. Turquie (no 21163/11, § 40 in fine, 16 septembre 2014), la Cour a observé qu’en tout état de cause, que la victime soit directe, indirecte ou potentielle, il doit exister un lien entre le requérant et le préjudice qu’il estime avoir subi du fait de la violation alléguée.
464. La Cour rappelle que la qualité de victime est à distinguer de la qualité pour agir. Cette dernière concerne les questions liées à la représentation des victimes (directes) devant la Cour et elle peut donc aussi être qualifiée de « représentation » (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, §§ 102‑103).
α) La qualité de victime des individus
465. Pour relever de la catégorie des victimes directes, le requérant doit pouvoir démontrer qu’il a « subi directement les effets » de la mesure litigieuse (Lambert et autres c. France [GC], no 46043/14, § 89, CEDH 2015 (extraits)). Cela implique qu’il ait été personnellement et effectivement touché par la violation (alléguée) de la Convention, ce qui résulte d’ordinaire d’une mesure appliquant la loi pertinente ou d’une décision estimée contraire à la Convention ou, dans certains cas, d’actes ou d’omissions d’autorités de l’État ou de parties privées supposés attentatoires aux droits du requérant découlant de la Convention (voir, par exemple, Aksu, précité, § 51 ; voir aussi Karner c. Autriche, no 40016/98, §§ 24‑25, CEDH 2003‑IX, et Berger‑Krall et autres c. Slovénie, no 14717/04, § 258, 12 juin 2014).
466. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que l’intéressé doive avoir été personnellement visé par l’omission ou l’acte litigieux. Ce qui importe, c’est que la conduite en question l’ait touché personnellement et directement (voir, par exemple, Aksu, précité, §§ 51‑54).
467. Les questions liées à la catégorie des victimes indirectes portent d’ordinaire sur la qualité d’un proche de la victime directe pour introduire ou poursuivre devant la Cour une requête concernant les problèmes qui touchent la victime directe (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, §§ 97-100, avec d’autres références).
468. Selon la jurisprudence constante de la Cour, « l’article 34 vise non seulement la ou les victimes directes de la violation alléguée, mais encore toute victime indirecte à qui cette violation causerait un préjudice ou qui aurait un intérêt personnel valable à obtenir qu’il y soit mis fin » (Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 47, CEDH 2013 (extraits), avec d’autres références). Ainsi, les victimes indirectes doivent démontrer l’existence d’un « effet ricochet » créé par la violation touchant supposément une personne (la victime directe) sur les droits conventionnels d’une autre personne (la victime indirecte), pour que cette dernière puisse établir l’existence d’un préjudice ou d’un intérêt personnel légitime à ce qu’il soit mis fin à la situation incriminée.
469. On trouve dans la jurisprudence deux types de qualité de victime potentielle (voir, par exemple, Senator Lines GmbH c. Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Espagne, Suède et Royaume-Uni (déc.) [GC], no 56672/00, CEDH 2004‑IV). Le premier type concerne les personnes qui soutiennent être effectivement touchées par une certaine mesure législative générale. La Cour a précisé qu’elle peut admettre l’existence de la qualité de victime lorsqu’un requérant soutient qu’une loi viole ses droits, en l’absence d’acte individuel d’exécution, s’il fait partie d’une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la législation ou s’il est obligé de changer de comportement sous peine de poursuites (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 104, CEDH 2010, et Sejdić et Finci, précité § 28).
470. Le second type concerne les personnes qui prétendent qu’elles sont susceptibles d’être touchées un jour. La Cour a indiqué que l’exercice du droit de recours individuel ne saurait avoir pour objet de prévenir une violation de la Convention et qu’en principe elle ne peut examiner une violation qu’a posteriori, lorsque celle-ci a déjà eu lieu. Ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le risque d’une violation future peut néanmoins conférer à un requérant la qualité de victime d’une violation de la Convention (Berger-Krall et autres, précité, § 258, avec d’autres références). De manière générale, le critère pertinent permettant de se pencher sur l’existence de ce type de qualité de victime est le suivant : le requérant doit produire des preuves plausibles et convaincantes de la probabilité de survenance d’une violation dont il subirait personnellement les effets, de simples soupçons ou conjectures ne suffisant pas à cet égard (Asselbourg et autres c. Luxembourg (déc.), no 29121/95, CEDH 1999-VI, et Senator Lines GmbH, décision précitée).
471. Le terme « potentiel » désigne donc, dans certaines circonstances, les victimes qui affirment être ou avoir été touchées par la mesure générale litigieuse et, dans d’autres circonstances, celles qui affirment qu’une telle mesure pourrait les toucher à l’avenir. Dans certains cas, ces deux types de situations peuvent coexister ou être difficiles à distinguer (voir, par exemple, Tănase, précité, § 108) et les principes jurisprudentiels pertinents peuvent s’appliquer de manière interchangeable (voir, par exemple, Shortall et autres c. Irlande (déc.), no 50272/18, §§ 50‑61, 19 octobre 2021).
472. En matière environnementale, la Cour a estimé qu’il ne suffisait pas que le requérant se plaigne d’une atteinte générale à l’environnement (Di Sarno et autres, arrêt précité, § 80). Selon sa jurisprudence actuelle dans ce domaine, pour pouvoir prétendre à la qualité de victime, le requérant doit démontrer qu’il subit les effets du dommage ou du risque environnemental dénoncé. Les critères sur lesquels la Cour s’appuie pour reconnaître la qualité de victime tiennent surtout compte d’éléments tels que le seuil minimum de gravité du dommage en cause, la durée de ce dommage et l’existence d’un lien suffisant avec le ou les requérants, notamment, dans certains cas, une proximité géographique entre l’intéressé et l’atteinte litigieuse à l’environnement (voir, par exemple, Tătar, précité, §§ 95‑97, Greenpeace e.V. et autres, précité, Caron et autres c. France (déc.), no 48629/08, 29 juin 2010, Hardy et Maile, précité, §§ 190‑192, Cordella et autres, précité, §§ 104‑108, et Pavlov et autres, précité, §§ 64‑70).
β) La qualité pour agir (représentation) des associations
473. Selon la jurisprudence de la Cour, une association ne peut pas en principe se fonder sur des considérations de santé pour arguer d’une violation de l’article 8 (Greenpeace e.V. et autres, décision précitée) et, en général, elle ne peut se plaindre de nuisances ou troubles que seules des personnes physiques peuvent ressentir (Besseau et autre c. France (déc.), no 58432/00, 7 février 2006).
474. Récemment, dans un contexte environnemental, la Cour a livré le raisonnement suivant à propos de la qualité de victime des associations (Yusufeli İlçesini Güzelleştirme Yaşatma Kültür Varlıklarını Koruma Derneği, décision précitée, § 41) :
« La première raison tient à l’interdiction visant l’actio popularis dans le système de la Convention ; autrement dit, un requérant ne peut pas introduire une action d’intérêt public ou général si la mesure ou l’acte litigieux ne le touche pas directement. Il s’ensuit que pour pouvoir se prétendre victime, le requérant doit produire des preuves plausibles et convaincantes de la probabilité de survenance d’une violation dont il subirait personnellement les effets, de simples soupçons ou conjectures ne suffisant pas à cet égard (...) La seconde raison a trait à la nature du droit conventionnel qui est en jeu et à la manière dont il a été invoqué par l’association requérante en question. Certains droits garantis par la Convention, tels que ceux protégés par les articles 2, 3 et 5, ne peuvent par nature être exercés par une association, mais seulement par ses membres (...) Dans la décision Asselbourg et autres (précitée), lorsqu’elle a refusé d’accorder la qualité de victime à l’association requérante, la Cour a noté que celle-ci ne pouvait agir que comme représentante de ses membres ou salariés, au même titre par exemple qu’un avocat représentant son client, mais ne pouvait se prétendre elle‑même victime d’une violation de l’article 8. »
475. Si d’ordinaire la Cour n’accorde pas la qualité de victime à une association en l’absence de mesure touchant celle-ci directement, quand bien même les intérêts de ses membres pourraient être en jeu, il arrive toutefois que des « considérations spéciales » justifient qu’une association représente des individus même en l’absence de pareille mesure.
476. Ainsi, dans l’arrêt Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu (précité, §§ 103 et 105), la Cour a jugé qu’il pouvait y avoir des « considérations spéciales » permettant d’admettre que des requêtes puissent être introduites par d’autres au nom des victimes en l’absence de mandat spécifique. Elle a souligné que ses arrêts « servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes ». En même temps, elle a dit qu’elle n’oubliait pas de veiller à ce que les conditions de recevabilité à remplir pour pouvoir la saisir soient interprétées de manière cohérente.
477. Se fondant sur les principes jurisprudentiels qu’elle avait énoncés dans l’arrêt Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, elle a, dans plusieurs affaires similaires, reconnu à des associations la qualité pour introduire et/ou maintenir des requêtes au nom de victimes directes, même lorsque la victime aurait pu porter plainte elle-même de son vivant (Association de défense des droits de l’homme en Roumanie – Comité Helsinki au nom de Ionel Garcea c. Roumanie, no 2959/11, §§ 42‑46, 24 mars 2015).
Qualité de victime/qualité pour agir dans le contexte du changement climatique
(α) Qualité de victime des individus
478. La Cour note qu’il existe des données scientifiques convaincantes démontrant que le changement climatique a déjà contribué à une augmentation de la morbidité et de la mortalité, spécifiquement parmi certaines catégories plus vulnérables, qu’il engendre bel et bien de tels effets et qu’en l’absence d’une action résolue des États il risque d’évoluer jusqu’à devenir irréversible et catastrophique (paragraphes 104‑120 ci‑dessus). D’un autre côté, les États, qui peuvent agir sur les causes du changement climatique anthropique, ont reconnu les effets néfastes de ce phénomène et se sont engagés – selon leurs responsabilités communes mais différenciées et leurs capacités respectives – à prendre les indispensables mesures d’atténuation (aux fins de la réduction des émissions de GES) et d’adaptation (aux fins de l’adaptation au changement climatique et de la limitation de son impact). Ces considérations font apparaître qu’il peut exister un lien de causalité juridiquement pertinent entre des actions ou omissions de l’État (qui provoquent le changement climatique ou n’y remédient pas) et le dommage touchant des individus, comme l’indique le paragraphe 436 ci‑dessus.
479. Eu égard à la nature du changement climatique et aux divers effets néfastes et risques futurs qu’il comporte, la somme des personnes touchées, de manières différentes et à des degrés divers, est indéterminée. La résolution de la crise climatique nécessite et passe par un ensemble complet et complexe de politiques de transformation englobant des mesures législatives, réglementaires, fiscales, financières et administratives, ainsi que des investissements publics et privés. Les questions cruciales découlent de l’inaction, ou d’actions inadéquates – autrement dit, de manquements. Sur des points clés, les carences se situent au niveau du cadre législatif ou réglementaire pertinent. À cet égard, la nécessité d’une approche particulière de la qualité de victime, et de sa délimitation, découle donc du fait que les griefs peuvent concerner des actes ou omissions relatifs à différents types de mesures générales, dont les conséquences ne se limitent pas à certains individus ou groupes identifiables mais touchent plus largement la population. L’issue d’une procédure judiciaire, dans ce cadre, a nécessairement des effets qui dépassent les droits et intérêts d’un individu ou groupe d’individus particulier, et elle est par nature orientée vers l’avenir, c’est-à-dire vers ce qu’il faut faire pour assurer efficacement une atténuation des effets néfastes du changement climatique ou une adaptation à ses conséquences.
480. Cela étant, la Cour fait observer que l’appréciation de la qualité de victime dans la présente affaire, dans laquelle les requérantes se plaignent d’omissions en matière de mesures générales visant à prévenir un dommage, ou à réduire un risque de dommage, pouvant toucher un nombre indéfini de personnes, ne préjuge pas de la détermination de la qualité de victime dans des circonstances où des individus se plaindraient de violations liées à une perte ou un dommage individuel particulier déjà subi par eux (voir, par exemple, Kolyadenko et autres, précité, §§ 150‑155).
481. La question que doit traiter la Cour dans la présente affaire climatique consiste à déterminer de quelle manière et dans quelle mesure les allégations sur l’existence d’un préjudice qui serait lié à des actions et/ou omissions de l’État en matière de changement climatique et qui toucherait les droits conventionnels d’individus (tels le droit à la vie garanti par l’article 2 et/ou le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8) peuvent être examinées sans que soit remise en cause l’exclusion de l’actio popularis dans le système de la Convention ni que soit méconnue la nature de la fonction judiciaire de la Cour, qui est par définition réactive et non proactive.
482. À cet égard, la Cour a déjà admis, quoique dans le cadre de l’application de l’article 6 et en matière environnementale, que la question de la qualité de victime doit faire l’objet d’une interprétation évolutive à la lumière des conditions de vie d’aujourd’hui et qu’une approche trop formaliste de la notion de victime rendrait inefficace et illusoire la protection des droits garantis par la Convention (Gorraiz Lizarraga et autres, précité, § 38).
483. La jurisprudence de la Cour relative à la qualité de victime repose sur l’existence d’un effet direct, ou d’un risque réel d’effet direct, de l’action ou de l’omission alléguée sur le requérant. Toutefois, dans le domaine du changement climatique, chacun peut, d’une manière ou d’une autre et dans une certaine mesure, être directement touché ou être exposé à un risque réel d’être directement touché par les effets néfastes du phénomène en cause. Si l’on fait abstraction de la question de la juridiction, il demeure qu’un très grand nombre de personnes pourraient sur ce fondement se prévaloir de la qualité de victime au regard de la Convention. Certes, lorsqu’il s’agit de situations/mesures générales, la catégorie de personnes pouvant prétendre à la qualité de victime « peut en fait être très vaste » (Shortall et autres, décision précitée, § 53) ; toutefois, admettre sans réserve suffisante et prudente l’existence de la qualité de victime face au changement climatique ne se concilierait guère avec l’exclusion de l’actio popularis dans le mécanisme de la Convention, ni avec le fonctionnement effectif du droit de recours individuel.
484. Si, parmi l’ensemble de la population relevant de la juridiction des Parties contractantes, le cercle des « victimes » effectivement ou potentiellement touchées est défini de manière ample et généreuse, cela risque d’ébranler les principes constitutionnels internes et la séparation des pouvoirs en ouvrant un large accès au système judiciaire comme moyen de provoquer des changements dans les politiques générales relatives au climat. Si en revanche c’est un cercle trop petit et restreint qui est défini, des lacunes ou dysfonctionnements même évidents dans l’action gouvernementale ou les processus démocratiques risquent de conduire à porter atteinte aux droits conventionnels d’individus et de groupes d’individus sans que ceux‑ci aient aucune possibilité de saisir la Cour. En outre, compte tenu des questions de répartition intergénérationnelle de l’effort liées aux conséquences et aux risques du changement climatique, les membres de la société qui sont fortement susceptibles d’être les plus touchés par les effets de ce phénomène peuvent être considérés comme nettement défavorisés sur le plan de la représentation (paragraphe 420 ci‑dessus). La nécessité, d’une part, d’assurer une protection effective des droits garantis par la Convention et, d’autre part, de veiller à ce que les critères relatifs à la qualité de victime ne glissent pas de facto vers l’acceptation de l’actio popularis est singulièrement pressante dans le présent contexte.
485. À cet égard, bien que l’inaction, ou l’action insuffisante, de l’État dans la lutte contre le changement climatique engendre une situation aux conséquences générales, la Cour estime que l’on ne peut dans ce contexte appliquer la jurisprudence relative aux victimes « potentielles », qui permettrait à une « catégorie de personnes » ayant « un intérêt personnel légitime » à ce qu’il soit mis fin à la situation litigieuse de revendiquer la qualité de victime (paragraphe 471 ci‑dessus). Face au changement climatique, pareille option pourrait englober pratiquement tout le monde, de sorte qu’elle n’opérerait pas comme un critère limitatif. Tout un chacun est concerné par les risques actuels et futurs, de différentes façons et à des degrés divers, et peut prétendre avoir un intérêt personnel légitime à voir ces risques disparaître.
486. Dès lors, eu égard aux spécificités du changement climatique, pour établir les critères déterminant la qualité de victime – qui repose sur l’existence d’un risque réel d’« effet direct » sur le requérant (paragraphes 465‑466 et 483 ci‑dessus) –, la Cour s’appuiera sur des éléments de distinction tels qu’un niveau et une gravité particuliers caractérisant les risques de conséquences négatives du changement climatique touchant la ou les personnes en question (paragraphe 440 ci‑dessus), et elle tiendra compte du caractère impérieux de leur besoin de protection individuelle.
487. En résumé, la Cour considère que pour pouvoir prétendre à la qualité de victime au regard de l’article 34 de la Convention, dans le cadre de griefs liés à un dommage ou un risque de dommage découlant de manquements supposés de l’État dans la lutte contre le changement climatique, un requérant doit démontrer qu’il a été personnellement et directement touché par les manquements qu’il dénonce. Il reviendra alors à la Cour d’établir, à la lumière des principes relatifs aux questions de preuve exposés ci-dessus (paragraphes 427‑430), les éléments suivants concernant la situation du requérant :
a) le requérant doit être exposé de manière intense aux effets néfastes du changement climatique : un niveau et une gravité notables doivent caractériser les (risques de) conséquences négatives d’une action ou inaction des pouvoirs publics pour le requérant ; et
b) il faut qu’il y ait un besoin impérieux d’assurer la protection individuelle du requérant, en raison de l’absence de mesures raisonnables ou adéquates de réduction du dommage.
488. Le seuil à atteindre pour satisfaire à ces critères est particulièrement élevé. Étant donné l’exclusion de l’actio popularis dans le cadre de la Convention (paragraphes 483‑484 ci‑dessus), la question de savoir si le seuil est atteint dans le cas d’un requérant appellera un examen approfondi des circonstances concrètes de l’affaire. À cet égard, la Cour tiendra dûment compte de circonstances telles que la situation prévalant au niveau local et l’existence de particularités et vulnérabilités individuelles. L’analyse de la Cour inclura aussi, de manière non exhaustive, des considérations concernant : la nature et l’objet du grief que le requérant tire de la Convention, le caractère réel/lointain et/ou la probabilité des effets négatifs du changement climatique dans le temps, l’impact spécifique sur la vie, la santé ou le bien-être du requérant, l’ampleur et la durée des effets néfastes, la portée du risque (localisé ou général), et la nature de la vulnérabilité du requérant.
(β) Qualité pour agir des associations
489. Comme la Cour l’a déjà observé dans l’arrêt Gorraiz Lizarraga et autres (précité, § 38), dans les sociétés actuelles, lorsque les citoyens sont confrontés à des actes administratifs spécialement complexes, le recours à des entités collectives telles que les associations représente l’un des moyens accessibles, parfois le seul, dont ils disposent pour assurer une défense efficace de leurs intérêts particuliers. Cela vaut particulièrement face au changement climatique, qui est un phénomène mondial et complexe. Les causes de celui‑ci sont multiples, et ses effets néfastes ne préoccupent pas qu’un individu ou groupe d’individus en particulier mais sont en fait « un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière » (préambule de la CCNUCC). De plus, dans ce domaine où la répartition de l’effort entre les générations revêt une importance particulière (paragraphe 420 ci‑dessus), l’action collective menée par le biais d’associations ou d’autres groupes d’intérêt peut constituer l’un des seuls moyens qui permette aux personnes qui sont nettement défavorisées sur le plan de la représentation de faire entendre leur voix et de tenter d’influer sur les processus décisionnels pertinents.
490. Ces observations générales sur l’importance du recours à des entités collectives telles que les associations pour la défense des droits et des intérêts des individus touchés ou concernés, en matière environnementale, ont trouvé leur expression dans des instruments internationaux tels que la Convention d’Aarhus. Celle-ci reconnaît que « chacun a le droit de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être et le devoir, tant individuellement qu’en association avec d’autres, de protéger et d’améliorer l’environnement dans l’intérêt des générations présentes et futures » (paragraphe 141 ci‑dessus).
491. La Convention d’Aarhus souligne également l’importance du rôle que jouent les organisations non gouvernementales en matière de protection de l’environnement. Elle évoque la nécessité de veiller à ce que les organisations non gouvernementales aient un large accès à la justice dans ce domaine (voir, en particulier, le préambule et l’article 9 de la Convention d’Aarhus). Dans son article 2 § 5, elle fait expressément entrer dans la catégorie du « public concerné » les organisations non gouvernementales dont les objectifs statutaires comprennent la promotion de la protection de l’environnement, pour autant qu’elles remplissent les « conditions pouvant être requises en droit interne ». Le Guide d’application[190] de cette convention précise que divers éléments permettent de déterminer si une organisation non gouvernementale œuvre ou non à la promotion de la protection de l’environnement, notamment sa charte, ses statuts ou ses activités. Il ajoute que, à cet égard, toute fin conforme à la définition implicite de l’environnement qui figure à l’article 2 § 3 de la Convention d’Aarhus peut relever de la « protection de l’environnement ». Il indique par ailleurs que le fait de renvoyer à la nécessité de remplir « les conditions pouvant être requises en droit interne » ne doit pas être interprété de telle manière que la définition de ces conditions serait laissée à l’entière discrétion des États, mais que la faculté d’appréciation à cet égard doit plutôt être envisagée dans le cadre du rôle important que la Convention d’Aarhus assigne aux organisations non gouvernementales.
492. La Cour relève en outre que l’UE a développé un ensemble d’instruments juridiques concernant l’application de la Convention d’Aarhus (paragraphes 212‑214 ci‑dessus). La CJUE a dit que l’article 9 § 3 de la Convention d’Aarhus doit être lu conjointement avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux et interprété de manière à ce qu’une « organisation de défense de l’environnement dûment constituée et fonctionnant conformément aux exigences prévues par le droit national » puisse contester une mesure ayant une incidence sur l’environnement[191].
493. À cet égard, il convient également de noter qu’il a été constaté dans le cadre d’une étude comparative réalisée en 2019 que plusieurs États membres de l’UE prévoyaient dans leur droit comme dans leur pratique des conditions très larges d’octroi de la qualité pour agir (treize États sur vingt‑huit à l’époque). En outre, si dans certains pays l’accès à la justice a été élargi au fil des ans, que ce soit par la voie jurisprudentielle (Autriche, Belgique) ou législative (Grèce, Irlande, Slovaquie, Slovénie, Suède), on a observé que, dans d’autres, la jurisprudence récente (Slovénie) ou les réformes législatives prévues (Royaume‑Uni) ou adoptées (Pays‑Bas) tendaient à restreindre l’accès aux tribunaux[192]. Il est ressorti d’une étude comparative antérieure datant de 2013 que selon la législation des États membres, une association ne pouvait se voir reconnaître la qualité pour agir en justice que si elle remplissait l’une au moins des conditions suivantes : avoir inscrit dans ses statuts la protection de l’environnement ou tout autre élément pertinent au regard de la décision contestée ; exercer une activité relevant du domaine en cause ; répondre à des critères de proximité géographique ; avoir été immatriculée et en activité depuis un nombre d’années donné ; compter un nombre donné d’adhérents ; représenter une part importante de la population ou avoir l’appui du public ; faire preuve de transparence et être dotée d’une structure démocratique ; exercer des activités à but non lucratif[193].
494. Les conclusions des études évoquées ci-dessus ont été confirmées par une étude comparative plus large que la Cour a menée aux fins de la présente procédure (paragraphes 232‑234 ci‑dessus). À l’issue de cet exercice, il a été constaté que la quasi-totalité des États membres du Conseil de l’Europe avaient ratifié la Convention d’Aarhus et que les associations – répondant à certains des critères mentionnés au paragraphe 233 ci‑dessus – se voyaient généralement reconnaître la qualité pour agir en justice dans l’intérêt de la protection de l’environnement et/ou dans l’intérêt d’individus s’estimant exposés à des risques environnementaux particuliers ou aux conséquences de projets industriels spécifiques. Si les positions évoluent encore sur la question de la qualité pour agir des associations dans le contentieux né du changement climatique – point non couvert par la Convention d’Aarhus –, il apparaît que la plupart des États membres offrent au moins une possibilité théorique aux associations de défense de l’environnement de saisir la justice dans ce domaine, et que certains États ont déjà fixé, au moyen de leur législation ou de leur jurisprudence internes, les critères d’octroi de cette qualité (paragraphe 234 ci‑dessus).
495. À la lumière des considérations qui précèdent, et en vue de définir la manière d’aborder la question dans la présente affaire, dans laquelle l’association requérante revendique également la qualité de victime, la Cour relèvera quelques principes clés qui doivent guider sa décision en la matière.
496. Premièrement, il est nécessaire d’établir et de maintenir une distinction entre la qualité de victime des individus et la qualité pour agir de représentants qui interviennent pour le compte de personnes se plaignant d’une violation de leurs droits conventionnels (paragraphes 465‑477 ci‑dessus). En ce qui concerne la qualité de victime, il semble n’exister aucune raison de remettre en cause le principe jurisprudentiel selon lequel une association ne peut s’appuyer sur des considérations de santé ou sur des nuisances et problèmes liés au changement climatique que seules des personnes physiques peuvent ressentir (paragraphe 474 ci‑dessus). Par la force des choses, la possibilité d’accorder la qualité de victime à une association pour toute question de fond relevant de l’article 2 et/ou de l’article 8 de la Convention se trouve de ce fait limitée.
497. Deuxièmement, la société contemporaine a évolué en ce qui concerne la reconnaissance de l’importance que revêt la possibilité pour des associations de saisir les tribunaux de problèmes liés au changement climatique pour le compte de personnes touchées. En effet, les litiges relatifs à ce phénomène comportent souvent des questions de droit et de fait complexes, ce qui exige d’importantes ressources financières et logistiques et une bonne coordination, et l’issue d’un litige a nécessairement une incidence sur la situation de nombreuses personnes (paragraphe 410 ci‑dessus). Les circonstances liées aux contentieux climatiques nationaux (voir, par exemple, les paragraphes 258, 260 et 262 ci‑dessus ; voir aussi Carême, décision précitée) montrent que les associations figurent régulièrement comme l’un des demandeurs, parfois comme seul demandeur, ou comme intervenant clé dans l’affaire.
498. Les considérations particulières liées au changement climatique plaident pour que l’on reconnaisse aux associations la possibilité, sous certaines conditions, d’avoir qualité pour représenter devant la Cour les adhérents dont elles allèguent qu’ils ont été ou seront touchés dans leurs droits. En effet, comme la Cour l’a déjà relevé dans les décisions Asselbourg et autres et Yusufeli İlçesini Güzelleştirme Yaşatma Kültür Varlıklarını Koruma Derneği (précitée, §§ 41 et 43), on peut envisager qu’une association ait qualité pour agir devant la Cour quand bien même elle ne pourrait se prétendre elle-même victime d’une violation de la Convention.
499. De plus, la nature particulière du changement climatique, sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière, et la nécessité de favoriser la répartition intergénérationnelle de l’effort dans ce domaine (paragraphe 489 ci‑dessus) militent également en faveur de l’octroi aux associations de la qualité pour agir dans les affaires climatiques portées devant la Cour. Étant donné l’urgence de la lutte contre les effets néfastes du changement climatique et la gravité des conséquences de ce phénomène, notamment le grave risque d’irréversibilité, les États doivent engager une action adéquate, en particulier par l’adoption de mesures générales propres à garantir les droits conventionnels non seulement aux personnes qui sont actuellement touchées par le changement climatique, mais aussi à celles qui relèvent de leur juridiction et dont l’exercice desdits droits pourrait être gravement et irrévocablement compromis à l’avenir si rien n’est fait en temps voulu. Aussi la Cour estime-t-elle opportun, dans ce contexte spécifique, de reconnaître l’importance d’autoriser une association à recourir à l’action en justice dans le but d’obtenir la protection des droits fondamentaux des personnes qui sont ou qui risquent d’être touchées par les effets néfastes du changement climatique, plutôt que de se reposer exclusivement sur des procédures entamées par chaque individu pour son propre compte.
500. Toutefois, allant dans le sens des observations formulées ci‑dessus quant à la qualité de victime de personnes physiques dans ce contexte (paragraphe 483 in fine ci‑dessus), la Cour estime que l’exclusion de l’actio popularis dans le cadre de la Convention impose de subordonner à certaines conditions la possibilité pour les associations de la saisir. Il est clair en effet que le mécanisme de la Convention ne peut accueillir aucun type de grief abstrait relatif à une dégradation générale des conditions de vie si la Cour n’est pas appelée à considérer les conséquences de cette dégradation sur un individu ou groupe d’individus particulier.
501. À cet égard, aux fins de l’élaboration des critères auxquels une association doit satisfaire afin d’avoir qualité pour agir dans le cadre d’un contentieux relatif au changement climatique sous l’angle de la Convention, la Cour juge pertinent de tenir compte de la Convention d’Aarhus, dont l’importance a déjà été relevée dans sa jurisprudence (Collectif national d’information et d’opposition à l’usine Melox – Collectif Stop Melox et Mox c. France (déc.), no 75218/01, 28 mars 2006). La Cour doit toutefois garder à l’esprit la différence qui existe entre, d’une part, la nature et le but profonds de la Convention d’Aarhus, qui visent à renforcer la participation du public aux affaires environnementales, et, d’autre part, ceux de la Convention, qui visent à protéger les droits fondamentaux de la personne humaine. Elle doit également tenir compte des spécificités qui caractérisent les litiges relatifs au changement climatique (paragraphes 410‑422 ci‑dessus) et de la différence qui existe entre ce phénomène et les problèmes environnementaux (traditionnels) plus linéaires et localisés pour lesquels la Convention d’Aarhus a été conçue. En outre, pour autant que cet instrument octroie aux associations une qualité pour agir très large dès lors qu’est présumée l’existence d’un effet sur le « public concerné » (pour autant que l’association concernée soit dûment établie en droit interne), la Cour doit avoir conscience que sa propre approche ne peut aboutir à une reconnaissance de l’actio popularis qui, en principe et selon la jurisprudence constante, n’est pas prévue dans le système de la Convention.
502. Partant, à la lumière des considérations qui précèdent, la Cour déterminera à partir des éléments suivants si une association a qualité pour agir devant elle dans le domaine en question.
Afin de se voir reconnaître la qualité pour introduire en vertu de l’article 34 de la Convention une requête relative au manquement allégué d’un État contractant à prendre des mesures adéquates pour protéger les individus contre les effets néfastes du changement climatique sur la vie et la santé humaines, l’association en question doit : a) avoir été légalement constituée dans le pays concerné ou avoir la qualité pour agir dans ce pays, b) être en mesure de démontrer qu’elle poursuit un but spécifique, conforme à ses objectifs statutaires, dans la défense des droits fondamentaux de ses adhérents ou d’autres individus touchés dans le pays concerné, en se limitant ou non à l’action collective pour la protection de ces droits contre les menaces liées au changement climatique, et c) être en mesure de démontrer qu’elle peut être considérée comme véritablement représentative et habilitée à agir pour le compte d’adhérents ou d’autres individus touchés dans le pays concerné dont la vie, la santé ou le bien-être, tels que protégés par la Convention, se trouvent exposés à des menaces ou conséquences néfastes spécifiques liées au changement climatique.
Dans ce cadre, la Cour tiendra compte d’éléments tels que le but pour lequel l’association a été constituée, le caractère non lucratif de ses activités, la nature et l’étendue de ses activités dans le pays concerné, ses effectifs et sa représentativité, les principes et la transparence de sa gouvernance, et le point de savoir si, de manière générale, dans les circonstances particulières d’une affaire, l’octroi à l’association de la qualité pour agir sert l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
Eu égard aux spécificités du recours à l’action en justice par une association en la matière (paragraphes 497‑499 ci‑dessus), la qualité d’une association pour agir au nom de ses adhérents ou d’autres individus touchés dans le pays concerné ne sera pas subordonnée à une obligation distincte d’établir que les personnes au nom desquelles l’affaire a été portée devant la Cour auraient elles‑mêmes satisfait aux conditions d’octroi de la qualité de victime qui s’appliquent aux personnes physiques dans le domaine du changement climatique, telles qu’établies aux paragraphes 487 à 488 ci‑dessus.
503. En cas de restrictions concernant la qualité pour agir devant les juridictions internes d’une association répondant aux exigences de la Convention susmentionnées, la Cour pourra aussi, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, prendre en compte le point de savoir si et dans quelle mesure ses adhérents individuels ou d’autres personnes touchées ont pu avoir accès à un tribunal dans le cadre de la même procédure interne ou d’une procédure interne connexe.
Application de ces principes au cas d’espèce
504. Le gouvernement défendeur conteste la qualité pour agir/qualité de victime de l’ensemble des requérantes en ce qui concerne les dispositions matérielles de la Convention qui sont invoquées, à savoir les articles 2 et 8 (paragraphes 341 et 345 ci‑dessus).
505. Suivant l’approche exposée au paragraphe 459 ci-dessus, la Cour examinera les questions relatives à la qualité de victime des requérantes nos 2 à 5 et à la qualité pour agir de l’association requérante lorsqu’elle se penchera sur l’applicabilité des articles 2 et 8 de la Convention.
b) Sur l’applicabilité des dispositions pertinentes de la Convention
506. Dans un sens analogue aux observations livrées ci-dessus quant à la qualité de victime (paragraphe 458 ci‑dessus), la question de l’applicabilité des dispositions pertinentes de la Convention peut être examinée séparément en tant que question de recevabilité ou dans le cadre de l’examen au fond du grief (voir, par exemple, à titre de comparaison, Boudaïeva et autres c. Russie, nos 15339/02 et 4 autres, § 146, CEDH 2008 (extraits), et M. Özel et autres c. Turquie, nos 14350/05 et 2 autres, § 171 in fine, 17 novembre 2015). Par souci de clarté méthodologique, la Cour exposera séparément les principes généraux concernant l’applicabilité (voir l’approche adoptée au paragraphe 459 ci‑dessus).
Principes généraux
(α) Article 2
507. Dans l’arrêt Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie ([GC], no 41720/13, §§ 140-141, 25 juin 2019), la Cour a consacré des développements aux principes généraux relatifs à l’applicabilité de l’article 2 dans les cas où le droit à la vie était en jeu et où la personne concernée n’était pas décédée. Dans sa partie pertinente en l’espèce, le raisonnement que la Cour a tenu se lit ainsi :
« 140. Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour que lorsque la victime a survécu et qu’elle n’allègue aucune intention de tuer, le critère à appliquer à un grief examiné sous ce volet de l’article 2 consiste à déterminer, premièrement, si la personne a été victime d’une activité, publique ou privée, qui de par sa nature même lui faisait courir un risque réel et imminent pour sa vie et, deuxièmement, si elle a subi des blessures qui devaient apparaître potentiellement mortelles au moment de leur constat. D’autres facteurs peuvent également entrer en jeu (...) L’appréciation de la Cour dépend des circonstances. Quoiqu’il n’existe pas de règle générale, il apparaît que si par nature l’activité en cause est dangereuse et propre à exposer la vie de la personne qui s’y livre à un risque réel et imminent, (...) la gravité des blessures subies peut ne pas être déterminante et, même en l’absence de toute blessure, un grief peut en pareil cas faire l’objet d’un examen sous l’angle de l’article 2 ((...) Kolyadenko et autres, précité, § 155, qui concernait un cas de catastrophe naturelle).
141. La Cour a jugé que l’article 2 emporte pareille obligation positive procédurale dans le cadre de différents domaines tels, par exemple, (...) celui des activités dangereuses de nature à provoquer des catastrophes industrielles ou environnementales (Öneryıldız [c. Turquie [GC], no 48939/99, CEDH 2004-XII], et Boudaïeva et autres, précité (...) [Cette liste] n’est pas exhaustive (...) »
508. Les principes pertinents relatifs à l’article 2, dans la jurisprudence actuelle concernant la dégradation de l’environnement, ont en commun l’idée que, pour qu’une obligation positive s’impose à l’État, il faut qu’il y ait une menace pour le droit à la vie. C’est ce qu’il ressort de la jurisprudence citée dans l’arrêt Nicolae Virgiliu Tănase (voir, par exemple, Öneryıldız, § 71, et Boudaïeva et autres, § 130, tous deux précités). Cela peut s’appliquer, par exemple, à des activités industrielles qui sont dangereuses de par leur nature même (Kolyadenko et autres, précité, § 158) ou à des cas où le droit à la vie est menacé par une catastrophe naturelle (M. Özel et autres, précité, § 170).
509. Il découle des principes généraux susmentionnés que les griefs concernant les manquements allégués de l’État à lutter contre le changement climatique entrent parfaitement dans la catégorie des affaires portant sur une activité qui, de par sa nature même, est susceptible de mettre en danger la vie d’un individu. En effet, les requérantes ont renvoyé la Cour à des données scientifiques incontestables qui montrent l’existence d’un lien entre le changement climatique et un risque accru de mortalité, en particulier parmi les catégories vulnérables (paragraphes 65-68 ci-dessus). À l’heure actuelle, rien dans les arguments présentés par le gouvernement défendeur ou les gouvernements intervenants ne vient remettre en question la pertinence et la fiabilité de ces éléments.
510. Ainsi, le GIEC a fait le constat (associé à un degré de confiance moyen) que le changement climatique anthropique, en particulier l’augmentation de la fréquence et de la gravité des événements extrêmes, augmente la mortalité humaine liée à la chaleur[194]. D’autres études scientifiques ont aussi montré que, depuis 2000, les canicules ont provoqué des dizaines de milliers de décès prématurés en Europe[195]. Dans ce domaine, le GIEC a également constaté (degré de confiance élevé) que les populations « les plus à risque » de morbidité et de mortalité liées à la température comprennent les personnes âgées, les enfants, les femmes, les personnes atteintes de maladies chroniques et les personnes qui prennent certains médicaments[196].
511. L’applicabilité de l’article 2 ne saurait toutefois opérer in abstracto de manière à protéger la population contre tout type de dommage environnemental pouvant résulter du changement climatique. Suivant la jurisprudence citée au paragraphe 507 ci-dessus, pour que l’article 2 trouve à s’appliquer dans le contexte d’une activité qui, de par sa nature même, est susceptible de mettre en danger la vie d’un individu, il doit exister un risque « réel et imminent » pour la vie. Cela peut donc s’étendre aux griefs tirés d’une action et/ou inaction de l’État face au changement climatique, notamment dans des circonstances telles que celles de la présente espèce, compte tenu de ce que le GIEC a fait le constat, associé à un degré de confiance élevé, que les personnes âgées sont « les plus à risque » de morbidité et de mortalité liées à la température.
512. Il est peut-être impossible d’élaborer une règle générale sur ce qui constitue un risque « réel et imminent » pour la vie, car cela dépend de l’appréciation que la Cour livre des circonstances propres à une affaire. Toutefois, la jurisprudence de la Cour indique que le terme de risque « réel » correspond à la condition voulant qu’une menace grave, véritable et suffisamment vérifiable pèse sur la vie d’une personne (voir, par exemple, Fadeïeva c. Russie (déc.), no 55723/00, 16 octobre 2003, et Brincat et autres, précité, §§ 82-84). Quant à l’« imminence » d’un tel risque, elle implique un élément de proximité physique de la menace (voir, par exemple, Kolyadenko et autres, précité, §§ 150-155) et de proximité temporelle de la menace (Brincat et autres, précité, § 84).
513. En somme, pour que l’article 2 trouve à s’appliquer à des griefs concernant l’action et/ou l’inaction de l’État face au changement climatique, il faut que soit établie l’existence d’un risque « réel et imminent » pour la vie. Dans le contexte du changement climatique, cette menace pour la vie doit cependant être appréhendée à la lumière du risque sérieux que les effets néfastes de ce phénomène, dont la fréquence et la gravité vont très probablement augmenter, ne soient inéluctables et irréversibles. Ainsi, le critère du risque « réel et imminent » peut être entendu comme renvoyant à une menace grave, véritable et suffisamment vérifiable pour la vie, comportant un élément de proximité matérielle et temporelle de la menace avec le dommage allégué par le requérant. Cela impliquera également que, lorsque la qualité de victime d’un requérant individuel aura été établie suivant les critères énoncés aux paragraphes 487 à 488 ci-dessus, il sera possible de considérer qu’un risque sérieux de baisse notable de son espérance de vie dû au changement climatique doit aussi rendre l’article 2 applicable.
(β) Article 8
514. Selon la jurisprudence actuelle de la Cour, pour qu’un grief relatif à une atteinte à l’environnement puisse relever de l’article 8 de la Convention, il faut démontrer, premièrement, qu’il y a eu une « véritable ingérence » dans la jouissance par le requérant de sa vie privée ou familiale ou de son domicile et, deuxièmement, qu’un certain niveau de gravité a été atteint. En d’autres termes, il s’agit d’établir que l’atteinte alléguée à l’environnement présente un niveau de gravité tel qu’elle a eu un effet suffisamment dommageable sur la jouissance par le requérant de son droit au respect de sa vie privée ou familiale ou de son domicile (Pavlov et autres, précité, § 59, avec d’autres références ; voir aussi Çiçek et autres c. Turquie (déc.), no 44837/07, § 22, 4 février 2020, avec d’autres références).
515. La question de la « véritable ingérence » se rapporte en pratique à l’existence d’un lien direct et immédiat entre, d’une part, l’atteinte alléguée à l’environnement et, d’autre part, la vie privée ou familiale ou le domicile du requérant (Ivan Atanasov, précité, § 66, et Hardy et Maile, précité, § 187). Dans ce contexte, la dégradation générale de l’environnement ne suffit pas. Il doit y avoir un effet néfaste sur la sphère privée ou familiale d’une personne (Kyrtatos, précité, § 52), ce qui relève essentiellement des critères énoncés aux paragraphes 487 à 488 ci-dessus relativement à l’existence de la qualité de victime).
516. En ce qui concerne la gravité de l’ingérence, la Cour a dit que, pour tomber sous le coup de l’article 8, les effets négatifs d’une pollution environnementale doivent atteindre un minimum de gravité (voir, par exemple, Yevgeniy Dmitriyev, précité, § 32). L’appréciation de ce minimum est relative et dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, notamment de l’intensité et de la durée des nuisances ainsi que de leurs conséquences physiques ou mentales sur la santé ou la qualité de vie de l’intéressé (Çiçek et autres, précité, § 22). De plus, les atteintes au droit au respect du domicile n’englobent pas seulement les atteintes matérielles ou corporelles, telles que l’entrée non autorisée dans le domicile d’une personne, mais aussi les atteintes immatérielles ou incorporelles, telles que les bruits, les émissions, les odeurs et autres ingérences. Si les atteintes sont graves, elles peuvent priver une personne de son droit au respect du domicile parce qu’elles l’empêchent de jouir de son domicile (Udovičić c. Croatie, no 27310/09, § 136, 24 avril 2014).
517. La Cour a indiqué qu’il ne peut y avoir de grief défendable sous l’angle de l’article 8 lorsque le préjudice allégué est négligeable en regard des risques environnementaux inhérents à la vie dans n’importe quelle ville moderne. À l’inverse, une pollution environnementale grave peut affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile au point d’avoir un effet négatif sur sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre sa santé sérieusement en péril (Jugheli et autres c. Géorgie, no 38342/05, § 62, 13 juillet 2017, avec d’autres références). De plus, la Cour a expliqué qu’il est souvent impossible de quantifier les effets de l’atteinte environnementale en cause dans chaque situation individuelle et de distinguer ces effets de l’influence d’autres facteurs pertinents, tels que l’âge, la profession ou le mode de vie de l’intéressé. Il en va de même pour une éventuelle dégradation de la qualité de vie, notion subjective qui ne se prête guère à une définition précise (ibidem, § 63).
518. Il convient de noter en outre que, dans certains cas, le fait qu’une personne soit exposée à un risque environnemental grave peut suffire pour que l’article 8 trouve à s’appliquer. Ainsi, dans l’arrêt Hardy et Maile (précité, §§ 189-192), la Cour a considéré que l’article 8 s’applique lorsqu’il est établi que les effets dangereux d’une activité auxquels des individus pourraient être exposés ont un lien suffisamment étroit avec la vie privée et familiale au sens de cette disposition. Dans Jugheli et autres (précité, § 71), la Cour a dit que, à supposer même que la pollution de l’air incriminée n’eût causé aucun dommage quantifiable à la santé des requérants, « elle avait pu les rendre plus vulnérables à diverses maladies ». Dans l’arrêt Dzemyuk c. Ukraine (no 42488/02, §§ 82-84, 4 septembre 2014), la Cour a jugé que les éléments disponibles confirmaient l’existence de risques écologiques potentiels liés à la présence d’un cimetière à proximité de la maison du requérant, avec les conséquences qui en résultaient pour l’environnement et la « qualité de vie » de l’intéressé au regard de l’article 8 de la Convention.
519. À la lumière de ce qui précède et eu égard au lien de causalité entre, d’une part, les actions et/ou omissions de l’État en matière de changement climatique et, d’autre part, le dommage ou risque de dommage touchant des individus (paragraphes 435, 436 et 478 ci-dessus), l’article 8 doit être considéré comme englobant un droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie.
520. Toutefois, dans ce contexte, la question de la « véritable ingérence » ou de l’existence d’un risque pertinent et suffisamment grave de nature à rendre l’article 8 applicable dépend pour l’essentiel de l’évaluation de critères semblables à ceux énoncés aux paragraphes 487 à 488 ci-dessus au sujet de la qualité de victime des individus, ou au paragraphe 502 à propos de la qualité pour agir des associations. Ces critères sont donc déterminants pour établir si les droits protégés par l’article 8 sont en jeu et si cette disposition trouve à s’appliquer. Il s’agit dans tous les cas de questions qui restent à examiner au vu des circonstances de l’affaire et des éléments de preuve disponibles.
Application de ces principes au cas d’espèce
(α) Article 8 de la Convention
‒ L’association requérante
521. En ce qui concerne les critères énoncés au paragraphe 502 ci‑dessus, la Cour note que, selon ses statuts, l’association requérante est une association de droit suisse à but non lucratif qui a été créée pour promouvoir et mettre en œuvre pour le compte de ses membres des mesures effectives de protection du climat. L’association requérante compte plus de 2 000 adhérentes, qui résident en Suisse et sont âgées de soixante-treize ans en moyenne. Près de 650 d’entre elles sont âgées de soixante-quinze ans et plus. Les statuts de l’association indiquent que celle-ci s’engage dans diverses actions visant à réduire les émissions de GES en Suisse et à faire face aux effets de ces émissions sur le réchauffement climatique. L’association défend non seulement les intérêts de ses adhérentes, mais aussi ceux de la population en général et des générations futures, dans le but de garantir une protection efficace du climat. Elle poursuit ses objectifs à travers différentes initiatives, notamment en introduisant des actions en justice portant sur les effets du changement climatique, dans l’intérêt de ses adhérentes (paragraphe 10 ci‑dessus).
522. Le TF et le TAF ont limité leur appréciation de la qualité pour agir aux requérantes individuelles, car ils ont jugé inutile d’examiner celle de l’association requérante. En conséquence, la Cour ne peut pas tirer profit d’une appréciation qui aurait porté sur le statut juridique de l’association requérante au regard du droit interne ou sur la nature et l’étendue de ses activités au sein de l’État défendeur.
523. La Cour observe par ailleurs que, dans les observations qu’elle lui a adressées, l’association requérante a expliqué qu’elle agissait afin de permettre à ses adhérentes d’exercer leurs droits face aux effets du changement climatique subis par elles (paragraphe 307 ci‑dessus). La Cour admet que, eu égard à ses effectifs, à sa représentativité et au but ayant sous‑tendu sa constitution, l’association requérante représente un moyen d’introduire un recours collectif tendant à la défense des droits et des intérêts d’individus contre les menaces du changement climatique au sein de l’État défendeur (paragraphe 497 ci‑dessus). La Cour note en outre que les requérantes individuelles n’ont pas eu accès à un tribunal dans l’État défendeur. Au vu de considérations générales, l’octroi à l’association requérante de la qualité pour agir devant la Cour sert donc l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
524. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que l’association requérante a été légalement constituée, qu’elle a démontré qu’elle poursuivait un but spécifique, conforme à ses objectifs statutaires, dans la défense des droits fondamentaux de ses adhérentes et d’autres individus touchés contre les menaces liées au changement climatique au sein de l’État défendeur, et qu’elle était véritablement représentative et habilitée à agir pour le compte de personnes pouvant faire valoir de manière défendable que leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie tels que protégés par la Convention se trouvent exposés à des menaces ou conséquences néfastes spécifiques liées au changement climatique (paragraphe 519 ci‑dessus).
525. Dans ces circonstances, la Cour considère que les griefs soulevés par l’association requérante pour le compte de ses adhérentes relèvent de l’article 8.
526. Il s’ensuit que l’association requérante possède la nécessaire qualité pour agir dans la présente procédure et que l’article 8 trouve à s’appliquer dans le cadre de son grief. Il convient dès lors de rejeter les exceptions formulées à cet égard par le Gouvernement.
‒ Les requérantes nos 2 à 5
527. Ont été énoncés deux critères fondamentaux permettant de reconnaître la qualité de victime à des personnes physiques dans le contexte du changement climatique : a) une exposition intense du requérant aux effets néfastes du changement climatique, et b) un besoin impérieux d’assurer la protection individuelle du requérant (paragraphes 487‑488 ci‑dessus). Le seuil à partir duquel ces critères sont réputés satisfaits est particulièrement élevé (paragraphe 488 ci‑dessus).
528. Devant la Cour, les requérantes en l’espèce allèguent qu’en tant que femmes âgées, elles se trouvent exposées aux effets néfastes du changement climatique du fait d’une action inadéquate de l’État défendeur dans ce domaine. Les circonstances factuelles qui sont à l’origine de leur grief peuvent être considérées comme localisées et centrées sur la situation spécifique – les effets néfastes passés, actuels et à venir du changement climatique et, en particulier, la survenance de vagues de chaleur – qui existe au lieu de leur domicile, en Suisse.
529. À cet égard, les requérantes ont produit des informations et d’autres éléments qui montrent la manière dont le changement climatique affecte les femmes âgées en Suisse, du fait notamment de la fréquence croissante et de l’intensité des vagues de chaleur. Les données communiquées par les intéressées, qui émanent d’organes nationaux et internationaux spécialisés ‑ et dont la pertinence et la valeur probante ne sont pas remises en question –, attestent que, ces dernières années, plusieurs étés ont figuré parmi les plus chauds jamais enregistrés en Suisse et que les vagues de chaleur sont un facteur d’augmentation de la mortalité et de la morbidité, en particulier chez les femmes âgées (paragraphes 65-67 ci-dessus).
530. Le GIEC a constaté que les personnes âgées appartenaient à l’une des catégories les plus vulnérables face aux effets néfastes du changement climatique sur la santé physique et mentale[197]. Des constats similaires ont été livrés par l’OFEV, lequel a plus spécifiquement observé que les vagues de chaleur mettaient l’organisme humain à rude épreuve et pouvaient entraîner une déshydratation ou une détérioration de la fonction cardiaque ou pulmonaire, ce qui se traduisait par une augmentation des admissions dans les services d’urgence des hôpitaux et que, dans ce contexte, les personnes âgées étaient particulièrement à risque[198]. En outre, les effets néfastes du changement climatique sur les femmes âgées, et la nécessité de protéger ces dernières contre lesdits effets ont été soulignés dans de nombreux documents internationaux[199].
531. S’il ressort indéniablement des constats évoqués ci-dessus que les requérantes appartiennent à une catégorie particulièrement sensible aux effets du changement climatique, cet élément ne suffirait pas en lui-même à justifier qu’on leur accorde la qualité de victime au regard des critères exposés aux paragraphes 487 à 488 ci-dessus. Il faudrait encore établir, pour chacune des requérantes, qu’est remplie l’exigence voulant qu’un niveau et une gravité particuliers caractérisent les conséquences négatives subies par l’intéressée, et notamment que celle-ci présente des vulnérabilités personnelles susceptibles de faire naître un besoin impérieux d’assurer sa protection individuelle.
532. À cet égard, il convient de noter au sujet des requérantes nos 2 à 4 que, dans les déclarations écrites et les dossiers médicaux qu’elles ont communiqués à la Cour, elles ont fait état de diverses difficultés rencontrées par elles lors des canicules, notamment des effets de celles-ci sur leur état de santé. Les intéressées ont également indiqué que lors des vagues de chaleur elles devaient prendre à titre individuel diverses mesures d’adaptation.
533. Cependant, si la Cour peut admettre que les vagues de chaleur ont une incidence sur la qualité de vie des requérantes, les documents disponibles ne montrent pas que les intéressées aient été exposées aux effets néfastes du changement climatique ou qu’elles risquent à un moment quelconque à l’avenir de s’y trouver exposées dans une mesure propre à faire naître un besoin impérieux d’assurer leur protection individuelle, compte tenu en particulier du seuil élevé qui s’applique nécessairement à la réalisation des critères énoncés aux paragraphes 487 à 488 ci-dessus. Nul ne peut affirmer que les requérantes aient souffert d’un problème de santé critique dont l’aggravation possible liée aux vagues de chaleur ne pourrait être atténuée par les mesures d’adaptation disponibles en Suisse ou au moyen de mesures raisonnables d’adaptation individuelle, face à l’intensité des vagues de chaleur qui frappent ce pays (paragraphes 88-90 ci-dessus). Il convient également de rappeler que la Cour ne reconnaît qu’à titre exceptionnel la qualité de victime relativement à un risque futur et que les requérantes individuelles n’ont pas démontré l’existence de pareilles circonstances exceptionnelles à leur égard (paragraphe 470 ci-dessus).
534. Enfin, la cinquième requérante a fourni une déclaration très générale qui ne fait état d’aucun facteur de morbidité particulier ni d’aucun autre effet négatif grave engendré par les vagues de chaleur qui dépasserait les effets habituels que toute personne relevant de la catégorie des femmes âgées est susceptible de subir. De plus, si elle a produit un certificat médical attestant qu’elle souffre d’asthme, elle a indiqué dans sa déclaration qu’elle n’avait jamais consulté de médecin en rapport avec une canicule (paragraphes 20‑21 ci‑dessus). Il est donc impossible d’établir l’existence d’un lien entre l’état de santé de la cinquième requérante et les griefs que celle-ci a formulés devant la Cour.
535. Il découle des considérations qui précèdent que les requérantes nos 2 à 5 ne remplissent pas les critères relatifs à la qualité de victime aux fins de l’article 34 de la Convention. Ce constat suffit à la Cour pour déclarer leurs griefs irrecevables pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3.
β) Article 2 of the Convention
536. Indéniablement, l’article 8 s’applique dans les circonstances de l’espèce à l’égard des griefs que l’association requérante a soulevés relativement aux conséquences de défaillances supposées de l’État défendeur dans ses mesures de lutte contre les effets néfastes et les menaces du changement climatique pour la santé humaine ; en revanche, il est plus contestable que ces défaillances supposées aient aussi pu avoir des conséquences potentiellement mortelles de nature à faire entrer en jeu l’article 2. Toutefois, pour les motifs exposés aux paragraphes 537 et 538 ci‑dessous, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’analyser plus avant les questions relatives au seuil d’applicabilité de l’article 2. Elle juge aussi, pour les raisons présentées aux paragraphes 527 à 535 ci-dessus, que les griefs formulés par les requérantes nos 2 à 5 sur le terrain de l’article 2 doivent être déclarés irrecevables pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3.
γ) Conclusion
537. La Cour considère qu’il convient d’examiner le grief de l’association requérante sous l’angle du seul article 8. Cela étant, dans l’analyse jurisprudentielle qu’elle présentera ci‑dessous, elle tiendra aussi compte des principes qui ont été développés sous l’angle de l’article 2, lesquels sont très largement similaires à ceux énoncés sur le terrain de l’article 8 (paragraphe 292 ci-dessus) et, considérés avec ces derniers, offrent une base utile pour définir l’approche globale à appliquer en matière de changement climatique sur le terrain des deux dispositions.
Sur le fond
a) Principes généraux
538. Dans une large mesure, la Cour a appliqué les mêmes principes que ceux énoncés sous l’angle de l’article 2 lorsqu’elle a été appelée à examiner sur le terrain de l’article 8 des affaires qui mettaient en jeu des questions environnementales. Dans ce cadre, elle a affirmé notamment ce qui suit :
a) Les États sont tenus par une obligation positive de mettre en place un cadre législatif et administratif pertinent visant à protéger de manière effective la vie et la santé humaines. Ils ont en particulier l’obligation de mettre en place une réglementation adaptée aux spécificités de l’activité en cause, notamment au niveau de risque qui pourrait en résulter. Il s’agit de régir l’autorisation, la mise en fonctionnement, l’exploitation, la sécurité et le contrôle de l’activité en question, ainsi que d’imposer à toute personne concernée par celle-ci l’adoption de mesures d’ordre pratique propres à assurer la protection effective des citoyens dont la vie risque d’être exposée aux dangers inhérents au domaine en cause (voir, par exemple, Jugheli et autres, § 75, Di Sarno et autres, § 106, et Tătar, § 88, tous précités).
b) Les États sont également tenus d’appliquer concrètement et de manière effective le cadre ainsi mis en place. En effet, une réglementation ayant pour objet la protection des droits garantis n’a guère d’utilité si elle n’est pas dûment observée, la Convention visant à protéger des droits effectifs et non illusoires. Les mesures pertinentes doivent être appliquées en temps utile et de manière effective (Cuenca Zarzoso c. Espagne, no 23383/12, § 51, 16 janvier 2018).
c) Pour déterminer si l’État défendeur s’est acquitté de ses obligations positives, la Cour doit rechercher si, dans la manière d’élaborer et/ou de mettre en œuvre les mesures pertinentes, il est resté dans les limites de sa marge d’appréciation. Dans les affaires liées à l’environnement, l’État doit jouir d’une marge d’appréciation étendue (Hardy et Maile, précité, § 218, avec d’autres références), en particulier pour ce qui est de l’aspect matériel (Hatton et autres, précité, § 100).
d) Le choix des moyens employés relève en principe de la marge d’appréciation de l’État ; le fait que l’État n’ait pas mis en œuvre une mesure déterminée prévue par le droit interne ne l’empêche pas de remplir son obligation positive d’une autre manière. On ne saurait imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif sans tenir compte, notamment, des choix opérationnels qu’elles doivent faire en termes de priorités et de ressources (Kolyadenko et autres, précité, § 160, et Kotov et autres c. Russie, nos 6142/18 et 13 autres, § 134, 11 octobre 2022).
e) S’il ne lui appartient pas de déterminer précisément ce qui aurait dû être fait, la Cour peut évaluer si les autorités ont abordé la question avec la diligence requise et pris en considération tous les intérêts concurrents (Mileva et autres c. Bulgarie, nos 43449/02 et 21475/04, § 98, 25 novembre 2010).
f) L’État est tenu par une obligation positive de donner accès aux informations essentielles qui sont de nature à permettre aux individus d’apprécier les risques pesant sur leur santé et leur vie (Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, §§ 57-60, Recueil 1998-I, qui étoffe la jurisprudence de l’arrêt López Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994, § 55, série A no 303‑C ; voir aussi McGinley et Egan c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, §§ 98‑104, Recueil 1998‑III, et Roche c. Royaume-Uni [GC], no 32555/96, §§ 157‑169, CEDH 2005-X).
g) La Cour apprécie si l’État défendeur a satisfait à ses obligations positives en tenant compte des circonstances particulières de l’espèce. L’étendue des obligations positives pesant sur l’État au vu des circonstances particulières dépend de l’origine de la menace et de la mesure dans laquelle les risques sont susceptibles d’être atténués (Kolyadenko et autres, précité, § 161, et Brincat et autres, précité, §§ 101‑102).
539. Dans les affaires environnementales qu’elle a examinées sous l’angle de l’article 8 de la Convention, la Cour a fréquemment étudié le processus décisionnel interne, en considérant les garanties procédurales dont disposaient les individus concernés comme un facteur particulièrement important pour déterminer si l’État défendeur n’avait pas outrepassé les limites de sa marge d’appréciation (voir, par exemple, Flamenbaum et autres c. France, nos 3675/04 et 23264/04, § 137, 13 décembre 2012). Dans ce contexte, la Cour a tenu compte en particulier des principes et éléments qui suivent :
a) Compte tenu de la complexité des questions liées à l’élaboration des politiques environnementales, le rôle de la Cour en la matière est principalement subsidiaire. La Cour doit donc commencer par rechercher si le processus décisionnel a été adéquat (Taşkın et autres, précité, §§ 117‑118).
b) La Cour doit examiner l’ensemble des éléments procéduraux, notamment le type de politique ou de décision en jeu, la mesure dans laquelle les points de vue des individus ont été pris en compte tout au long du processus décisionnel, et les garanties procédurales disponibles (Hatton et autres, précité, § 104).
c) La Cour a dit en particulier que lorsqu’il s’agit pour un État de traiter des questions complexes telles que celles touchant à la politique environnementale et économique, le processus décisionnel doit nécessairement comporter la réalisation d’enquêtes et d’études appropriées, de manière à permettre aux autorités de ménager un juste équilibre entre les divers intérêts concurrents en jeu. Il n’en résulte pas pour autant que des décisions ne peuvent être prises qu’en présence de données exhaustives et vérifiables sur tous les aspects de la question à trancher (ibidem, § 128). Ce qui importe, c’est que les effets des activités susceptibles de porter atteinte à l’environnement et donc aux droits des individus protégés par la Convention puissent être prévus et évalués à l’avance (Hardy et Maile, précité, § 220, avec d’autres références).
d) Le public doit avoir accès aux conclusions des études pertinentes, de manière à pouvoir évaluer le risque auquel il est exposé (Tătar, précité, § 113, avec d’autres références). De plus, dans certains cas, en s’appuyant sur la Convention d’Aarhus, la Cour a relevé l’obligation de faire en sorte qu’en cas de menace imminente pour la santé ou l’environnement, imputable à des activités humaines ou due à des causes naturelles, toutes les informations susceptibles de permettre au public de prendre des mesures pour prévenir ou limiter d’éventuels dommages qui sont en la possession d’une autorité publique soient diffusées immédiatement et sans retard aux personnes qui risquent d’être touchées (Di Sarno et autres, précité, § 107).
e) Les personnes concernées doivent avoir la possibilité de protéger leurs intérêts dans le processus décisionnel en matière d’environnement, ce qui implique qu’elles soient en mesure de participer de manière effective à la procédure en cause et de faire examiner leurs arguments pertinents, même si la conception même du processus relève de la marge d’appréciation de l’État (voir, par exemple, Flamenbaum et autres, précité, § 159).
540. C’est en gardant ces principes à l’esprit que la Cour définira la teneur des obligations positives qui incombent à l’État au titre des articles 2 et 8 de la Convention face au changement climatique (paragraphes 292 et 537 ci‑dessus). Toutefois, ce phénomène présentant un caractère particulier en regard des atteintes environnementales dont la Cour a eu à connaître et qui avaient une origine unique, les paramètres généraux des obligations positives doivent être adaptés à ce contexte spécifique.
b) Les obligations positives des États dans le contexte du changement climatique
La marge d’appréciation des États
541. Conformément au principe de subsidiarité, c’est au premier chef aux autorités nationales qu’il incombe de garantir le respect des droits et libertés définis dans la Convention, et celles-ci disposent pour ce faire d’une marge d’appréciation soumise au contrôle de la Cour (voir, parmi bien d’autres, Garib c. Pays-Bas [GC], no 43494/09, § 137, 6 novembre 2017 ; voir aussi le considérant ajouté au préambule de la Convention sur le fondement de l’article 1 du Protocole no 15).
542. Eu égard en particulier aux données scientifiques relatives à l’incidence du changement climatique sur les droits conventionnels, à celles qui concernent l’urgence de la lutte contre les effets néfastes du changement climatique et la gravité des conséquences de ce phénomène, y compris le risque sérieux que celles-ci n’atteignent un point d’irréversibilité, ainsi qu’à la reconnaissance scientifique, politique et judiciaire de l’existence d’un lien entre les effets néfastes du changement climatique et la jouissance (de divers aspects) des droits fondamentaux (paragraphe 436 ci-dessus), la Cour estime justifié de juger que la protection du climat doit se voir accorder un poids considérable dans la mise en balance de facteurs antagonistes. D’autres éléments militent dans le même sens, notamment le caractère mondial des conséquences des émissions de GES – par opposition à une atteinte à l’environnement se produisant uniquement à l’intérieur des frontières d’un pays – et le bilan généralement peu satisfaisant des États quant à l’adoption de mesures face aux risques liés au changement climatique qui sont devenus évidents ces dernières décennies, comme en témoigne le constat du GIEC selon lequel « la fenêtre d’opportunité permettant d’assurer un avenir vivable et durable pour tous se referme rapidement » (paragraphe 118 ci‑dessus), situation qui souligne la gravité des risques résultant du non-respect de l’objectif mondial global (voir aussi le paragraphe 139 ci‑dessus).
543. Partant du principe que les États doivent jouir d’une certaine marge d’appréciation en la matière, les considérations ci‑dessus appellent une distinction, quant à l’étendue de la marge d’appréciation, selon qu’elle concerne, d’une part, l’engagement de l’État en faveur de la nécessaire lutte contre le changement climatique et ses effets néfastes, et la fixation des buts et objectifs requis à cet égard, et, d’autre part, le choix par l’État des moyens propres à atteindre ces objectifs. Concernant le premier point, la nature et la gravité de la menace, ainsi que le consensus général quant aux enjeux liés à la réalisation de l’objectif primordial que constitue une protection effective du climat par la fixation d’objectifs globaux de réduction des émissions de GES conformément aux engagements pris par les parties contractantes en matière de neutralité carbone, appellent une marge d’appréciation réduite pour les États. S’agissant du deuxième point, c’est-à-dire le choix des moyens, y compris les choix opérationnels et les politiques adoptées pour atteindre les objectifs et engagements fixés sur le plan international compte tenu des priorités et des ressources, les États devraient se voir accorder une ample marge d’appréciation.
Le contenu des obligations positives incombant aux États
544. Comme indiqué ci-dessus, la Cour a déjà dit, il y a longtemps, que le champ de la protection assurée par l’article 8 de la Convention s’étend aux effets négatifs que des dommages ou risques de dommages environnementaux d’origines diverses entraînent sur la santé, le bien‑être et la qualité de vie des personnes. De même, la Cour déduit de l’article 8 l’existence d’un droit pour les individus de bénéficier de la protection effective des autorités de l’État contre les effets négatifs graves sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie qui résultent des conséquences et risques néfastes liés au changement climatique (paragraphe 519 ci‑dessus).
545. En conséquence, l’obligation que l’article 8 impose à l’État est d’accomplir sa part afin d’assurer cette protection. À cet égard, le devoir primordial de l’État est d’adopter, et d’appliquer effectivement et concrètement, une réglementation et des mesures aptes à atténuer les effets actuels et futurs, potentiellement irréversibles, du changement climatique. Cette obligation découle du lien de causalité existant entre le changement climatique et la jouissance des droits garantis par la Convention, comme indiqué aux paragraphes 435 et 519 ci-dessus, et du fait que l’objet et le but de la Convention, instrument de protection des droits de l’homme, appellent à interpréter et appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les garanties concrètes et effectives, et non pas théoriques et illusoires (voir, par exemple, H.F. et autres, § 208 in fine ; voir aussi le paragraphe 440 ci‑dessus).
546. Conformément aux engagements internationaux pris par les États membres, spécifiquement au titre de la CCNUCC et de l’Accord de Paris, et eu égard aux données scientifiques convaincantes fournies, en particulier, par le GIEC (paragraphes 104-120 ci-dessus), les États contractants doivent mettre en place la réglementation et les mesures nécessaires pour prévenir une augmentation des concentrations de GES dans l’atmosphère terrestre et une élévation de la température moyenne de la planète à des niveaux qui pourraient avoir des répercussions graves et irréversibles sur les droits de l’homme, notamment le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que du domicile garanti par l’article 8 de la Convention.
547. Étant donné que les obligations positives liées à la mise en place d’un cadre réglementaire doivent être adaptées aux spécificités de la matière et aux risques qui sont en jeu (paragraphes 107-120 et 440 ci-dessus) et que les objectifs mondiaux relatifs à la nécessité de limiter le réchauffement planétaire, tels qu’énoncés dans l’Accord de Paris, doivent guider l’élaboration de politiques nationales, il est évident que lesdits objectifs ne peuvent en eux-mêmes constituer un critère qui permettrait d’évaluer dans ce domaine le respect de la Convention par telle ou telle Partie contractante à celle-ci. En effet, chaque État est appelé à définir sa propre trajectoire capable de lui faire atteindre la neutralité carbone, en fonction des sources et des niveaux d’émissions et de tout autre facteur pertinent relevant de sa juridiction.
548. Il découle de ces considérations que le respect effectif des droits protégés par l’article 8 de la Convention exige de chaque État contractant qu’il prenne des mesures en vue d’une réduction importante et progressive de ses niveaux d’émission de GES, aux fins d’atteindre la neutralité nette, en principe au cours des trois prochaines décennies. À cet égard, pour que les mesures soient efficaces, les pouvoirs publics sont tenus d’agir en temps utile et de manière appropriée et cohérente (voir, mutatis mutandis, Georgel et Georgeta Stoicescu c. Roumanie, no 9718/03, § 59, 26 juillet 2011).
549. En outre, pour rendre les choses réellement possibles et pour éviter de faire peser une charge disproportionnée sur les générations futures, il faut prendre des mesures immédiatement et fixer des objectifs de réduction intermédiaires appropriés pour la période lors de laquelle la neutralité nette devra être atteinte. Ces mesures doivent tout d’abord être intégrées dans un cadre réglementaire contraignant au niveau national, puis être mises en œuvre adéquatement. Les objectifs et les calendriers pertinents doivent faire partie intégrante du cadre réglementaire interne et servir d’assise aux mesures d’atténuation générales et sectorielles. Rappelant la position adoptée ci‑dessus, en vertu de laquelle la marge d’appréciation à accorder aux États est réduite en ce qui concerne la fixation des buts et objectifs requis, tandis qu’elle demeure large pour le choix des moyens de poursuivre ces buts et objectifs, la Cour estime donc approprié d’énoncer comme suit les obligations positives des États en la matière (paragraphe 440 ci-dessus).
550. Pour déterminer si un État est resté dans les limites de sa marge d’appréciation (paragraphe 543 ci-dessus), la Cour recherche si les autorités internes compétentes, qu’elles soient législatives, exécutives ou judiciaires, ont dûment tenu compte de la nécessité
a) d’adopter des mesures générales précisant le calendrier à respecter pour parvenir à la neutralité carbone ainsi que le budget carbone total restant pour la période en question, ou toute autre méthode équivalente de quantification des futures émissions de GES, conformément à l’objectif primordial correspondant aux engagements nationaux et/ou mondiaux en matière d’atténuation du changement climatique ;
b) de fixer des objectifs et trajectoires intermédiaires de réduction des émissions de GES (par secteur ou selon d’autres méthodes pertinentes) qui sont considérés comme aptes à permettre, en principe, d’atteindre les objectifs nationaux globaux de réduction des émissions de GES dans les délais fixés par les politiques nationales ;
c) de fournir des informations montrant si elles se sont dûment conformées aux objectifs pertinents de réduction des émissions de GES ou qu’elles s’y emploient (alinéas a) et b) ci-dessus) ;
d) d’actualiser les objectifs pertinents de réduction des émissions de GES avec la diligence requise et en se fondant sur les meilleures données disponibles ; et
e) d’agir en temps utile et de manière appropriée et cohérente dans l’élaboration et la mise en œuvre de la législation et des mesures pertinentes.
551. L’appréciation par la Cour du point de savoir si les exigences susmentionnées ont été satisfaites revêt en principe un caractère global, ce qui signifie que l’existence d’une lacune sur un seul aspect particulier ne doit pas nécessairement conduire à considérer que l’État a outrepassé sa marge d’appréciation en la matière (paragraphe 543 ci-dessus).
552. En outre, pour une protection effective des droits des individus contre des effets néfastes pour la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie, il faut compléter les mesures d’atténuation susmentionnées par des mesures d’adaptation visant à amoindrir les conséquences les plus sévères ou immédiates du changement climatique, en tenant compte de tout besoin particulier de protection. Ces mesures d’adaptation doivent être mises en place et être appliquées de façon effective, sur le fondement des meilleures données disponibles (paragraphes 115 et 119 ci-dessus) et conformément à l’économie générale des obligations positives qui incombent à l’État en la matière (paragraphe 538 a) ci-dessus).
553. Enfin, ainsi que l’indique déjà sa jurisprudence, la Cour attache une importance particulière aux garanties procédurales dont disposent les individus concernés lorsqu’il s’agit de déterminer si l’État défendeur n’a pas outrepassé les limites de sa marge d’appréciation (paragraphe 539 ci‑dessus). Ce principe s’applique également dans les cas où sont en jeu des questions de politique générale, notamment quant au choix des moyens de lutter contre le changement climatique par des mesures d’atténuation et d’adaptation.
554. Dans ce contexte, en partant de l’approche suivie dans les affaires environnementales (paragraphe 539 ci-dessus) et en prenant acte de la nature et de la complexité particulières des questions touchant au changement climatique, la Cour devra tenir compte des garanties procédurales suivantes en ce qui concerne le processus décisionnel mis en place par l’État en matière de changement climatique :
a) Les informations détenues par les autorités publiques qui sont importantes pour l’élaboration et la mise en œuvre de la réglementation et des mesures appropriées pour faire face au changement climatique doivent être mises à la disposition du public, en particulier des personnes susceptibles d’être touchées par cette réglementation et ces mesures, ou par leur absence. À cet égard, des garanties procédurales doivent être en place afin que le public puisse avoir accès aux conclusions des études pertinentes, et ainsi évaluer le risque auquel il est exposé.
b) Il convient de mettre en place des procédures permettant la prise en compte dans le processus décisionnel de l’avis de la population, et en particulier des intérêts des personnes qui sont touchées ou risquent d’être touchées par la réglementation et les mesures pertinentes, ou par leur absence.
c) Application de ces principes au cas d’espèce
Remarques liminaires
555. Dans la présente affaire, eu égard à la nature du grief soulevé par l’association requérante pour le compte de ses adhérentes (paragraphe 296 ci‑dessus), la Cour recherchera si l’État défendeur s’est acquitté de son obligation de mettre en place, et d’appliquer effectivement et concrètement, les mesures d’atténuation pertinentes. Le non-respect par l’État de cet aspect des obligations positives qui lui incombent suffirait à la Cour pour conclure que l’État a manqué à ses obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si les mesures d’adaptation accessoires ont été mises en place (paragraphe 552 ci‑dessus).
556. En outre, eu égard à la nature du grief formulé par l’association requérante relativement aux effets néfastes actuels et à venir du changement climatique sur les droits des personnes pour le compte desquelles elle agit, et contrairement à ce que plaide le gouvernement défendeur (paragraphe 338 in fine ci‑dessus), la Cour peut procéder à cet examen en tenant compte de la situation globale au sein de l’État défendeur, et notamment de toute information pertinente apparue postérieurement à l’achèvement de la procédure interne. Toutefois, relevant qu’un processus législatif est en cours au niveau interne (paragraphe 97 ci‑dessus), la Cour limite son examen à la législation nationale telle qu’elle est en vigueur à la date d’adoption du présent arrêt, c’est-à-dire le 14 février 2024, et sur la base de laquelle les parties ont soumis leurs observations.
557. La Cour prend également note de plusieurs études mentionnées par l’association requérante qui avancent l’existence de défaillances dans les mesures adoptées par la Suisse pour faire face au changement climatique (paragraphe 325 ci-dessus), études que le Gouvernement conteste, considérant qu’elles reposent pour l’essentiel sur des hypothèses subjectives. Pour sa part, eu égard à ses conclusions formulées au paragraphe 573 ci‑dessous, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire, pour trancher la présente affaire, de résoudre les désaccords entre les parties concernant les conclusions de ces études.
Le respect par l’État défendeur de ses obligations positives
558. La Cour note d’emblée que la loi de 2011 sur le CO2 (en vigueur depuis 2013) imposait qu’en 2020, les émissions de GES soient globalement réduites de 20 % par rapport aux niveaux de 1990 (paragraphe 84 ci‑dessus). Toutefois, ainsi que les requérantes l’ont relevé, le Conseil fédéral suisse[200] a constaté dans une évaluation datant d’août 2009 que les données scientifiques alors disponibles[201] relativement à un réchauffement planétaire contenu dans une fourchette comprise entre 2 et 2,4 oC par rapport aux niveaux préindustriels (ce qui correspond donc à un réchauffement supérieur à la limite de 1,5 oC actuellement définie) faisaient apparaître la nécessité de réduire les émissions mondiales d’au moins 50 à 85 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici à 2050, ce qui signifiait que les pays industrialisés (tels que l’État défendeur) devaient réduire leurs émissions de 25 à 40 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici à 2020. L’étude en question a également constaté que, pour que les engagements pris dans le cadre de la CCNUCC (lesquels étaient d’un niveau plus élevé que la limite de 1,5 oC) soient respectés, il fallait que les émissions de GES décroissent de manière continue, de façon à ne pas dépasser 1 à 1,5 t éqCO2 par habitant d’ici à la fin du siècle. La trajectoire visant une réduction des émissions de 20 % en 2020 était toutefois considérée comme insuffisante pour la réalisation de cet objectif de long terme, lequel exigeait donc un effort supplémentaire pour la période postérieure à 2020.
559. En outre, comme le Gouvernement l’a reconnu, les évaluations internes pertinentes ont révélé que même cet objectif de réduction des émissions de GES pour 2020 n’avait pas été atteint. En effet, en moyenne sur la période 2013-2020, la Suisse a réduit ses émissions de GES d’environ 11 % par rapport aux niveaux de 1990 (paragraphe 87 ci-dessus), ce qui montre l’insuffisance des efforts passés des autorités pour prendre les mesures nécessaires face au changement climatique.
560. En décembre 2017, le Conseil fédéral a proposé pour la période 2020-2030 une révision de la loi de 2011 sur le CO2 qui prévoyait une réduction globale de 50 % des émissions de GES et incluait, à l’horizon 2030, une réduction des émissions internes de 30 % par rapport aux niveaux de 1990, la part restante étant à réaliser au moyen de mesures appliquées à l’étranger (« émissions extérieures »).
561. Néanmoins, cette proposition de révision de la loi de 2011 sur le CO2 a été rejetée à l’issue d’un référendum tenu en juin 2021. Selon le Gouvernement, cela ne signifie pas que les citoyens écartent la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique ou de réduire les émissions nationales de GES, mais plutôt qu’ils rejettent les outils proposés pour le faire (paragraphe 357 ci-dessus). À cet égard, la Cour rappelle que pour ce qui concerne le choix des moyens de lutter contre le changement climatique, les États jouissent d’une ample marge d’appréciation (paragraphe 543 ci‑dessus). Quoi qu’il en soit, et indépendamment de la manière dont le processus législatif est organisé du point de vue constitutionnel interne (G.S.B. c. Suisse, no 28601/11, §§ 72-73, 22 décembre 2015 ; voir aussi Humpert et autres c. Allemagne [GC], nos 59433/18 et 3 autres, §§ 71-72, 14 décembre 2023), il demeure que le référendum a laissé un vide législatif en ce qui concerne la période postérieure à 2020. L’État a cherché à le combler par l’adoption, le 17 décembre 2021, d’une version partiellement révisée de la loi de 2011 sur le CO2 alors en vigueur. Ce texte prévoyait pour la période 2021‑2024 un objectif de réduction de 1,5 % par an par rapport au niveau de 1990, étant entendu qu’à partir de 2022 un quart au maximum de cette réduction pourrait être obtenu au moyen de mesures mises en œuvre à l’étranger (paragraphe 95 ci-dessus). Le texte ne contenait par ailleurs aucune disposition concernant la période postérieure à 2024, au mépris de l’obligation qui impose à l’État défendeur d’adopter des mesures générales précisant les mesures d’atténuation à prendre conformément à un calendrier pour la neutralité des émissions nettes (paragraphe 550 a) ci‑dessus).
562. Ces lacunes montrent que l’État défendeur a failli à son obligation positive découlant de l’article 8 de concevoir un cadre réglementaire fixant les buts et objectifs requis (paragraphe 550 a)-b) ci-dessus). À cet égard, il convient de noter que dans son dernier rapport de synthèse, RE6 (« Changement climatique 2023 »), le GIEC a souligné que les choix et actions mis en œuvre au cours de cette décennie auraient des répercussions sur le présent et pendant des milliers d’années (paragraphes 118‑119 ci‑dessus).
563. D’autres évolutions et initiatives de réglementation en matière de changement climatique sont néanmoins intervenues au niveau interne. En décembre 2021, la Suisse a présenté une CDN actualisée dans laquelle elle s’engageait à se conformer aux objectifs fixés par l’Accord de Paris.[202] La Suisse a donc aligné sa politique climatique sur les engagements internationaux qu’elle avait pris dans le cadre de cet accord. Plus précisément, un communiqué[203] publié ultérieurement a résumé comme suit les engagements qui résultaient de cette CDN actualisée :
« La Suisse est déterminée à suivre les recommandations de la science pour limiter le réchauffement à 1,5 oC. Compte tenu de son objectif de neutralité carbone d’ici à 2050, la CDN de la Suisse consiste à réduire ses émissions de [GES] d’au moins 50 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici à 2030, ce qui correspond à une réduction moyenne des émissions de [GES] d’au moins 35 % pour la période 2021‑2030. D’ici 2025, une réduction des [GES] d’au moins 35 % par rapport aux niveaux de 1990 est anticipée. Les résultats d’atténuation transférés au niveau international (RATI) qui découleront de la coopération prévue à l’article 6 de l’Accord de Paris seront partiellement pris en compte. »
564. Le 30 septembre 2022 a été adoptée la loi sur le climat[204], dans laquelle sont transposés les engagements contenus dans la CDN actualisée (paragraphe 93 ci-dessus). Cette loi – qui n’a été acceptée par référendum que le 18 juin 2023 et qui n’est pas encore entrée en vigueur – retient le principe de l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050 en prévoyant une réduction « aussi importante que possible » des émissions de GES. Elle fixe également un objectif intermédiaire pour 2040 (une réduction de 75 % par rapport aux niveaux de 1990) ainsi que pour la période 2031-2040 (une réduction moyenne d’au moins 64 %) et pour la période 2041-2050 (une réduction moyenne de plus de 89 % par rapport aux niveaux de 1990). Elle détermine en outre des valeurs indicatives pour la réduction des émissions dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’industrie pour les années 2040 et 2050.
565. À cet égard, la Cour note que la loi sur le climat fixe des objectifs d’ordre général, mais que les propositions de mesures concrètes visant leur réalisation ne sont pas énoncées dans la loi et doivent encore être déterminées par le Conseil fédéral et soumises « suffisamment tôt » à l’Assemblée fédérale (article 11 § 1 de la loi sur le climat). En outre, les propositions en question doivent être mises en œuvre dans la loi de 2011 sur le CO2 (article 11 § 2 de la loi sur le climat), qui, comme il est indiqué aux paragraphes 558 à 559 ci‑dessus, ne peut être considérée, dans sa forme actuelle, comme prévoyant un cadre réglementaire suffisant.
566. Il convient également de relever que les nouvelles règles mises en place par la loi sur le climat concernent uniquement les objectifs intermédiaires pour la période postérieure à 2031. La loi de 2011 sur le CO2 ne fixant des objectifs intermédiaires que pour la période allant jusqu’en 2024 (paragraphe 561 ci-dessus), cela signifie que, en attendant l’adoption d’une nouvelle loi, la période 2025-2030 n’est couverte par aucune disposition.
567. Dans ces circonstances, compte tenu de la nécessité de prendre de toute urgence des mesures face au changement climatique et de l’absence actuelle d’un cadre réglementaire satisfaisant, la Cour a du mal à admettre que la simple présence dans la loi sur le climat d’un engagement à adopter « suffisamment tôt » des mesures pratiques satisfasse à l’obligation pour l’État d’offrir, et d’appliquer dans les faits et concrètement, une protection effective des personnes relevant de sa juridiction contre les effets néfastes du changement climatique sur leur vie et leur santé (paragraphe 555 ci‑dessus).
568. Si la Cour reconnaît que d’importants progrès sont à attendre de la loi sur le climat – récemment adoptée – une fois qu’elle sera entrée en vigueur, force lui est toutefois de conclure que la mise en place de cette nouvelle législation ne suffit pas à remédier aux défaillances relevées dans le cadre juridique applicable à ce jour.
569. La Cour observe en outre que l’association requérante a produit une estimation du budget carbone restant pour la Suisse en l’état actuel de la situation, laquelle tient compte également des nouveaux objectifs et trajectoires qui ont été fixés par la loi sur le climat (paragraphe 323 ci‑dessus). Se référant à l’évaluation pertinente du GIEC sur le budget carbone global et aux données de l’inventaire des GES de la Suisse[205], l’association requérante avance une estimation, partant de la même répartition par habitant de l’effort de réduction des émissions produites à partir de 2020, selon laquelle la Suisse disposerait d’un budget carbone restant de 0,44 Gt de CO2 pour une probabilité de 67 % de parvenir à limiter le réchauffement à 1,5 oC (ou de 0,33 Gt de CO2 pour une probabilité de 83 %). Dans un scénario prévoyant une réduction de 34 % des émissions de CO2 d’ici à 2030 et de 75 % d’ici à 2040, la Suisse aurait épuisé son budget restant vers 2034 (ou 2030, pour une probabilité de 83 %). Ainsi, si elle s’en tient à sa stratégie climatique actuelle, la Suisse autorise plus d’émissions de GES que ne le permettrait même une méthode de quantification fondée sur des « émissions égales par habitant » (equal per capita emissions).
570. La Cour observe que le Gouvernement s’appuie sur la note d’orientation de 2012 pour justifier l’absence de budget carbone spécifique pour la Suisse. Renvoyant à cette note d’orientation, le Gouvernement soutient qu’il n’existe pas de méthode établie pour déterminer le budget carbone d’un pays, et il reconnaît que la Suisse n’a pas fixé un tel budget. Il argue que la politique climatique nationale de la Suisse suit une approche semblable à celle consistant à définir un budget carbone et qu’elle est fondée sur des évaluations internes pertinentes préparées en 2020 et exprimées dans ses CDN (paragraphe 360 ci-dessus). Toutefois, la Cour n’est pas convaincue qu’un cadre réglementaire effectif puisse être mis en place en matière de changement climatique sans que, au moyen d’un budget carbone ou d’une autre manière, les limites nationales applicables aux émissions de GES soient quantifiées (paragraphe 550 a) ci-dessus).
571. À cet égard, force est à la Cour de constater que le GIEC a souligné l’importance des budgets carbone et des politiques visant un objectif de zéro émission nette (paragraphe 116 ci-dessus) ; or, contrairement à ce que le Gouvernement semble avancer, leur absence ne peut guère être compensée par l’existence de CDN reprenant les engagements pris par l’État dans le cadre de l’Accord de Paris. La Cour juge également convaincant le raisonnement que la CCFA a suivi pour rejeter l’argument selon lequel il est impossible de déterminer le budget carbone national, raisonnement qui renvoie notamment au principe de responsabilités communes mais différenciées contenu dans la CCNUCC et l’Accord de Paris (arrêt Neubauer et autres, cité au paragraphe 254 ci-dessus, paragraphes 215‑229). Ce principe exige en effet des États qu’ils agissent dans le respect de l’équité et en fonction de leurs capacités respectives. Ainsi, par exemple, il est instructif, à des fins comparatives, de voir que la loi européenne sur le climat prévoit l’établissement de budgets indicatifs en matière de GES (paragraphe 211 ci‑dessus).
572. Dans ces conditions, tout en reconnaissant que les mesures et méthodes retenues par l’État pour définir précisément sa politique climatique relèvent de l’ample marge d’appréciation dont il jouit, la Cour a du mal à admettre que l’on puisse considérer que l’État défendeur, en l’absence de toute mesure interne tendant à quantifier son budget carbone restant, se conforme de manière effective à l’obligation en matière de réglementation qui pèse sur lui au titre de l’article 8 de la Convention (paragraphe 550 ci‑dessus).
Conclusion
573. En conclusion, le processus de mise en place par les autorités suisses du cadre réglementaire interne pertinent a comporté de graves lacunes, notamment un manquement desdites autorités à quantifier, au moyen d’un budget carbone ou d’une autre manière, les limites nationales applicables aux émissions de GES. En outre, la Cour a relevé que, de l’aveu des autorités compétentes, l’État n’avait pas atteint ses objectifs passés de réduction des émissions de GES (paragraphes 558-559 ci-dessus). Faute d’avoir agi en temps utile et de manière appropriée et cohérente pour la conception, le développement et la mise en œuvre du cadre législatif et réglementaire pertinent, l’État défendeur a outrepassé les limites de sa marge d’appréciation et manqué aux obligations positives qui lui incombaient en la matière.
574. Les constats qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
575. Les requérantes allèguent qu’elles n’ont pas eu accès à un tribunal, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, pour se plaindre d’un manquement de l’État à son obligation d’adopter les mesures nécessaires en vue d’agir sur les effets néfastes du changement climatique.
576. La partie pertinente de l’article 6 § 1 de la Convention est ainsi libellée :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Thèses des parties
Les requérantes
577. Les requérantes considèrent que l’accès à un tribunal est crucial dans les affaires climatiques. Elles sont d’avis que le fait qu’elles aient participé à la procédure interne leur confère indubitablement la qualité de victime relativement au grief qu’elles fondent sur l’article 6 § 1 de la Convention. Elles estiment aussi que le volet civil de l’article 6 trouve à s’appliquer en l’espèce et, en particulier, que la protection de l’intégrité physique constitue un « droit de caractère civil » au sens de l’article 6. Elles déclarent que la contestation en cause a trait au droit à la vie garanti par l’article 10 § 1 de la Constitution suisse, ainsi qu’aux droits protégés par les articles 2 et 8 de la Convention (qui, selon elles, ont tous une base légale en droit interne), dans le contexte d’une application inadéquate de la loi sur le CO2 et d’objectifs climatiques insuffisants. À leurs yeux, la contestation en question porte sur l’étendue des droits mentionnés.
578. Les requérantes considèrent que la contestation est réelle et sérieuse, et que l’issue de la procédure est directement déterminante pour les droits en question. Elles exposent qu’il existe un lien clair, donc plus qu’un lien ténu ou des conséquences lointaines, entre les droits invoqués, d’une part, et la réduction des émissions de GES (issue attendue de la procédure), d’autre part. Elles indiquent que, dans le cadre de la procédure interne, elles ont sollicité une injonction propre à obliger l’État défendeur à prendre les mesures nécessaires pour faire face aux dangers du changement climatique. Elles ajoutent que cela serait allé de pair avec une réduction des émissions de GES et des vagues de chaleur liées à ces émissions, question qui, disent‑elles, présente un rapport évident avec la protection de leurs droits. Elles déclarent que, lors de la procédure interne, elles ne se sont pas contentées de se plaindre de conséquences hypothétiques pour l’environnement et la santé humaine, mais qu’elles ont aussi mis en avant les risques sanitaires concrets découlant d’émissions excessives de GES, risques auxquels elles se disent exposées en tant que membres d’un groupe particulièrement vulnérable et qui, à leur avis, se sont concrétisés pour certaines d’entre elles. Ainsi, selon les requérantes, l’issue de la procédure interne concernait la substance même de leur droit à la vie et au respect de la vie privée.
579. Les requérantes affirment qu’elles n’ont pas disposé d’un recours judiciaire effectif pour faire valoir leurs droits de caractère civil. Elles exposent que les autorités internes ont déclaré leurs demandes irrecevables en indiquant qu’elles n’avaient pas qualité pour agir en vertu de l’article 25a de la LPA, et que les juridictions internes ont confirmé cette décision. Selon les requérantes, lesdites juridictions n’ont pas examiné leur requête, ou bien elles ne l’ont fait que de manière arbitraire. Plus particulièrement, aucune des juridictions concernées n’aurait analysé au fond et de manière effective les questions cruciales telles que celles concernant la vulnérabilité des requérantes face à des vagues de chaleur extrême, le préjudice résultant pour les requérantes nos 2 à 5 de leurs affections liées à la chaleur, et le cadre législatif et administratif nécessaire à la protection du droit des intéressées à la vie et au respect de leur vie familiale et privée.
580. Les requérantes estiment que les juridictions internes ont appliqué les exigences relatives à la qualité pour agir de façon arbitraire et manifestement déraisonnable, portant atteinte à la substance même de leur droit d’accès à un tribunal. Elles exposent que l’appréciation du TAF selon laquelle elles n’étaient pas « particulièrement » touchées par les effets du changement climatique est en contradiction manifeste avec les meilleures données scientifiques disponibles et les certificats médicaux qu’elles ont soumis. Elles ajoutent que la conclusion du TF selon laquelle il reste du temps pour lutter contre les dangers du changement climatique est arbitraire et contraire à toutes les données scientifiques. Elles y voient le résultat d’un établissement des faits opéré par les juges eux-mêmes, sans la participation de scientifiques (spécialisés en matière climatique), alors que, disent-elles, la fonction de juridiction d’appel du TF se limite normalement à l’examen de violations de la loi. Elles considèrent qu’en toute hypothèse la conclusion du TF repose sur une prémisse erronée et est manifestement déraisonnable.
581. Les requérantes soutiennent également que les juridictions internes ont fait une application disproportionnée des exigences relatives à la qualité pour agir ; les intéressées estiment en effet que les juridictions sont tenues de prendre en considération la nature des droits en jeu et que, d’après l’interprétation qu’elles ont livrée des exigences en question, les actions et les omissions de l’État dans la lutte contre le changement climatique sont totalement exclues du champ du droit des droits de l’homme. Les requérantes y voient une conséquence inacceptable, compte tenu de l’ampleur de la menace que représente le changement climatique et de la pratique suivie dans des litiges environnementaux comparables. De plus, à leurs yeux, l’application que les juridictions internes ont faite des règles relatives à la qualité pour agir est arbitraire et incompatible avec les engagements pris par l’État défendeur au titre de la Convention d’Aarhus.
Le Gouvernement
582. Le Gouvernement affirme, pour les raisons qui se trouvent exposées ci-dessus (paragraphes 340-341) concernant la qualité de victime de l’association requérante au regard des dispositions matérielles (articles 2 et 8 de la Convention), que ladite association ne peut pas davantage être considérée comme ayant la qualité de victime au regard de l’article 6 § 1 de la Convention. En revanche, le Gouvernement ne conteste pas que les requérantes nos 2 à 5 puissent se prévaloir de la qualité de victime sur le terrain de cette dernière disposition.
583. S’appuyant sur les conclusions des juridictions internes, le Gouvernement soutient que les requérantes n’ont pas été touchées avec l’intensité requise dans l’exercice de leurs droits découlant de l’article 10 § 1 de la Constitution et des articles 2 et 8 de la Convention pour pouvoir se prévaloir de la qualité de victime aux fins de l’article 34 de la Convention. Pour le Gouvernement, leur demande était par nature une actio popularis et elles ne peuvent pas prétendre de manière défendable qu’il existait une contestation sur un droit reconnu par la législation interne. En outre, selon le Gouvernement, ni la Constitution de la Suisse ni aucune autre législation de cet État ne reconnaissent le droit à un environnement propre, sain et durable.
584. Le Gouvernement considère en outre que les requérantes n’ont pas établi l’existence d’un lien suffisant entre les omissions alléguées et les droits invoqués. De plus, selon lui, elles n’ont pas démontré l’existence d’une menace sérieuse et imminente pour les droits invoqués, et les actions demandées n’étaient pas de nature à contribuer immédiatement à la réduction des émissions de CO2 en Suisse. En conséquence, ni la menace en question ni les actions demandées ne présenteraient un degré de probabilité propre à rendre l’issue du litige directement déterminante pour les droits invoqués par les intéressées. Le lien entre les omissions alléguées et les droits invoqués par les requérantes serait donc trop ténu et lointain.
585. En l’espèce, les requérantes auraient en réalité cherché à obtenir le remplacement de la loi sur le CO2 par une loi prévoyant des mesures plus strictes. Ce serait donc l’intérêt général à la protection du climat qui aurait constitué l’objet de la procédure en question, et non pas une contestation sur un droit de caractère civil des requérantes. Le Gouvernement en conclut que l’article 6 n’est pas applicable.
586. Par ailleurs, le Gouvernement souligne que les requérantes ont eu accès à des juridictions internes de deux degrés. Il considère que le TAF et le TF ont tous deux soigneusement examiné la cause des intéressées et rendu des arrêts dûment motivés. De plus, selon le Gouvernement, la procédure administrative interne n’est pas particulièrement complexe et repose sur le principe inquisitoire en vertu duquel les autorités internes cherchent à établir les faits d’office. Le Gouvernement précise toutefois que, pour pouvoir introduire un recours fondé sur l’article 25a de la LPA, il faut que soient remplies certaines conditions destinées à éviter l’actio popularis.
587. Le Gouvernement estime que les conditions fixées par le droit procédural pour permettre à une autorité d’examiner une affaire donnée servent la bonne administration de la justice. Selon lui, l’exigence selon laquelle l’auteur du recours doit être touché dans une certaine mesure dans sa sphère juridique personnelle résulte du fait que l’article 25a de la LPA est un moyen de protection juridique individuelle. Cette exigence permettrait de tracer les limites par rapport à l’actio popularis. Elle concourrait également au respect de la séparation des pouvoirs. On ne pourrait dès lors considérer qu’elle restreint l’accès à un tribunal au point de porter atteinte à la substance même du droit de l’individu à un tribunal. De plus, il existerait un rapport raisonnable de proportionnalité entre cette exigence et les buts visés.
588. L’examen attentif que le TF aurait consacré au critère formel de l’intérêt digne de protection, ainsi que les caractéristiques du système politique propre à la Suisse, démontreraient que les tribunaux ne peuvent pas jouer un rôle déterminant en matière de changement climatique et qu’ils ne peuvent certainement pas définir eux-mêmes les mesures à prendre. Ce serait donc à juste titre que le TF a estimé qu’il ne fallait pas répondre aux griefs des requérantes par des moyens juridictionnels mais plutôt par des moyens politiques. Le recours des intéressées n’aurait pas servi l’objectif que constitue la protection juridique individuelle mais aurait visé à faire examiner de manière abstraite les mesures actuelles de protection du climat et celles prévues jusqu’en 2030. Cet élément en particulier aurait conduit le TF à qualifier le recours des requérantes d’actio popularis, type d’action qui serait incompatible avec les moyens de protection juridique individuelle. Pour le Gouvernement, ces conclusions ne sont ni arbitraires ni manifestement déraisonnables et, dès lors, la Cour ne doit pas les remettre en cause.
589. En résumé, le Gouvernement estime que les requérantes n’ont pas subi, quant à leur droit d’accès aux juridictions internes, une restriction disproportionnée qui aurait porté atteinte à la substance même de ce droit. À son avis, le grief formulé par les intéressées sur le terrain de l’article 6 § 1 est donc manifestement mal fondé.
Appréciation de la Cour
Sur la recevabilité
a) Qualité de victime
590. Pour pouvoir se dire victime dans le cadre d’un grief de violation de l’article 6 de la Convention et se plaindre de défaillances procédurales sous l’angle de cette disposition, il suffit normalement que le requérant ait été touché en tant que partie à la procédure engagée par lui devant les juridictions internes. Cela vaut pour les particuliers (voir, par exemple, Balmer-Schafroth et autres c. Suisse, 26 août 1997, § 26, Recueil 1997-IV, et Çöçelli et autres c. Türkiye, no 81415/12, §§ 39-40, 11 octobre 2022) et pour les associations (voir, par exemple, Gorraiz Lizarraga et autres, précité, § 36, et Yusufeli İlçesini Güzelleştirme Yaşatma Kültür Varlıklarını Koruma Derneği, décision précitée, § 40, avec d’autres références).
591. Lorsque la qualité pour agir d’un requérant a été écartée au niveau interne (voir, par exemple, Bursa Barosu Başkanlığı et autres c. Turquie, no 25680/05, §§ 114-116, 19 juin 2018), notamment lorsque son intérêt à agir n’a pas été retenu, et lorsqu’il se plaint d’un défaut d’accès à un tribunal ou d’un autre vice de procédure en la matière, il peut s’avérer plus approprié d’examiner la question de la qualité de victime dans le cadre de l’appréciation de l’applicabilité de l’article 6 au litige en question (voir, par exemple, Asselbourg et autres, décision précitée, Folkman et autres c. République tchèque (déc.), no 23673/03, 10 juillet 2006, SARL du Parc d’Activités de Blotzheim c. France, no 72377/01, §§ 18-20, 11 juillet 2006, et Association Burestop 55 et autres, précité, §§ 52‑60).
592. En l’espèce, le Gouvernement conteste la qualité pour agir/qualité de victime de l’ensemble des requérantes sur le terrain des dispositions matérielles de la Convention (articles 2 et 8), mais il ne remet pas en question la qualité de victime des requérantes nos 2 à 5 pour ce qui est des dispositions procédurales (articles 6 et 13) (paragraphes 341 et 345 ci‑dessus).
593. La qualité de victime au sens de l’article 34 étant un aspect qui en toute hypothèse relève de la compétence de la Cour, et que celle-ci examine d’office (Fedotova et autres, précité, § 88), la question de la qualité de victime des requérantes sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention sera jointe à l’appréciation de l’applicabilité de cette disposition.
b) Applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention
Principes généraux
594. L’article 6 de la Convention ne garantit pas un droit d’accès à un tribunal ayant compétence pour invalider ou remplacer une loi émanant du pouvoir législatif (voir, par exemple, Ruiz-Mateos et autres c. Espagne, no 14324/88, décision de la Commission du 19 avril 1991, Décisions et rapports 69, p. 22, Posti et Rahko c. Finlande, no 27824/95, § 52, CEDH 2002-VII, et Project‑Trade d.o.o. c. Croatie, no 1920/14, § 68, 19 novembre 2020).
595. Pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous son volet civil, il faut qu’il y ait « contestation » sur un droit que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, que ce droit soit ou non protégé par la Convention. Cette disposition n’assure par elle-même aux « droits et obligations » (de caractère civil) aucun contenu matériel déterminé dans l’ordre juridique des États contractants. La contestation doit être réelle et sérieuse, et elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. De plus, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1. Enfin, le droit doit revêtir un caractère « civil » (voir, pour un exemple très récent, Grzęda, précité, § 257, avec d’autres références ; dans le domaine environnemental, voir aussi Athanassoglou et autres c. Suisse [GC], no 27644/95, § 43, CEDH 2000-IV, et Association Burestop 55 et autres, précité, § 52).
596. Comme indiqué ci-dessus, la Convention ne reconnaît pas l’actio popularis et l’objet de cette prohibition est d’éviter que la Cour ne soit saisie par des individus se plaignant de la simple existence d’une loi applicable à tout citoyen d’un pays ou d’une décision de justice auxquels ils ne sont pas parties (L’Erablière A.S.B.L. c. Belgique, no 49230/07, § 29, CEDH 2009 (extraits)). Ainsi, une association de défense de l’environnement qui se fonde sur l’article 6 doit démontrer que le litige ou le grief soulevé par elle a un lien suffisant avec un droit particulier de caractère civil dont elle peut elle-même se prévaloir (Association Burestop 55 et autres, précité, § 55).
α) L’existence d’un « droit » et son caractère « civil »
597. La notion de droits « de caractère civil » est autonome. La Cour a déclaré que la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit être tranchée et celle de l’autorité compétente en la matière importent peu (Ivan Atanasov, précité, § 90). Ainsi, la qualification de la législation (civile, commerciale, administrative ou autre) ou celle du tribunal compétent (ordinaire, administratif ou autre) ne sont pas en tant que telles déterminantes. Ce qui importe, c’est que le droit puisse être exercé par la personne en question et puisse être qualifié de droit « de caractère civil ».
598. L’article 6 § 1 n’assure aux « droits et obligations » (de caractère civil) aucun contenu matériel particulier dans l’ordre juridique des États contractants : la Cour ne saurait créer, par voie d’interprétation de l’article 6 § 1, un droit matériel n’ayant aucune base légale dans l’État concerné. Pour décider si le droit invoqué possède une base en droit interne, il faut prendre pour point de départ les dispositions du droit national et l’interprétation qu’en font les juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Sauf si l’interprétation retenue est arbitraire ou manifestement déraisonnable, la tâche de la Cour se limite à déterminer si ses effets sont compatibles avec la Convention (Grzęda, précité, §§ 258‑259).
599. Dans le cadre de son appréciation, la Cour doit vérifier si la demande du requérant n’était pas futile, vexatoire ou mal fondée à d’autres égards (voir, par exemple, Miller c. Suède, no 55853/00, § 28, 8 février 2005). Par ailleurs, il faut que la Cour, par-delà les apparences et le vocabulaire employé, s’attache à cerner la réalité (Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 92, CEDH 2012, avec d’autres références).
600. En matière environnementale, la Cour a reconnu l’existence d’un droit de caractère civil là où la législation interne prévoit un droit individuel à la protection de l’environnement, lorsque les droits à la vie, à l’intégrité physique et au respect des biens sont en jeu (voir, par exemple, Zander c. Suède, 25 novembre 1993, § 24, série A no 279‑B, Balmer‑Schafroth et autres, précité, §§ 33-34, Athanassoglou et autres, précité, § 44, et Taşkın et autres, précité, §§ 132-133).
601. En ce qui concerne les associations, dans l’arrêt Gorraiz Lizarraga et autres (précité, §§ 45-47), la Cour a jugé l’article 6 applicable à une procédure qui visait à défendre certains intérêts particuliers des membres de l’association, à savoir leur mode de vie et leurs propriétés. Elle a relevé que l’association requérante s’était plainte d’une menace précise et directe pesant sur les biens personnels et le mode de vie de ses membres, et elle a estimé que cet aspect revêtait indubitablement une dimension patrimoniale et civile. Elle a déclaré que, si la procédure interne en question « était ostensiblement placée sous le sceau du droit public », il n’en restait pas moins que l’issue finale de l’action était déterminante pour les griefs des requérants selon lesquels il y avait eu atteinte à leurs propriétés et mode de vie. La Cour a donc conclu que la procédure, dans son ensemble, pouvait être considérée comme portant sur les droits de caractère civil des membres de l’association (pour des considérations similaires, voir aussi L’Erablière A.S.B.L., précité, §§ 29‑30).
602. Il est également évident que les associations peuvent invoquer l’article 6 dans des litiges portant sur leurs propres droits « de caractère civil » (Association Burestop 55 et autres, précité, § 55). Dans le contexte du contentieux environnemental, la Cour a fait observer que, selon une lecture stricte de l’article 6, celui-ci ne serait pas applicable à une procédure ayant pour objet la protection de l’environnement en tant que valeur d’intérêt général, dès lors qu’il ne s’agirait pas là d’une contestation sur un droit de caractère civil dont l’association pourrait elle-même se prévaloir. Toutefois, se fondant sur la jurisprudence Gorraiz Lizarraga et autres (arrêt précité), elle a estimé qu’une telle approche ne serait pas en phase avec la réalité de la société civile actuelle, dans laquelle les associations jouent un rôle important, notamment en défendant certaines causes devant les autorités ou les juridictions internes, en particulier dans le domaine de la protection de l’environnement (Collectif national d’information et d’opposition à l’usine Melox – Collectif Stop Melox et Mox, décision précitée). À cet égard, la Cour s’est également appuyée sur les principes découlant de la Convention d’Aarhus (Association Burestop 55 et autres, précité, § 54 ; voir aussi le paragraphe 491 ci‑dessus).
β) L’existence d’une contestation réelle et sérieuse
603. Pour que l’article 6 trouve à s’appliquer, il faut qu’existe une contestation, qui doit être réelle et sérieuse et qui peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice (paragraphe 596 ci-dessus). L’existence d’une contestation implique celle d’un désaccord. Toutefois, l’esprit de la Convention commande de ne pas prendre le terme « contestation » dans une acception trop technique et d’en donner une définition matérielle plutôt que formelle (Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 45, série A no 43, et Cipolletta c. Italie, no 38259/09, §§ 31‑32, 11 janvier 2018, avec d’autres références).
604. La Cour s’est montrée prête à admettre que les contestations touchant à des questions environnementales sont réelles et sérieuses. Elle a notamment tiré cette conclusion de la recevabilité du recours exercé au plan interne (voir, par exemple, Balmer-Schafroth et autres, précité, § 38, et Athanassoglou et autres, précité, § 45), de la substance des moyens développés par le requérant devant le juge interne (Association Burestop 55 et autres, précité, § 59), ou des motifs retenus par le juge interne pour rejeter un recours donné (Collectif national d’information et d’opposition à l’usine Melox – Collectif Stop Melox et Mox, décision précitée).
γ) Sur le point de savoir si l’issue de la procédure est « directement déterminante » pour le droit du requérant
605. Le point de savoir si l’issue de la procédure peut être considérée comme directement déterminante pour le droit en question dépend de la nature du droit invoqué ainsi que de l’objet de la procédure en cause.
606. En matière environnementale, dans l’arrêt Balmer-Schafroth et autres (précité, § 40), la Cour a considéré que les requérants n’avaient pas démontré qu’ils se trouvaient personnellement exposés, du fait du fonctionnement d’une centrale, à une menace non seulement sérieuse mais également précise et, surtout, imminente. Elle est parvenue à une conclusion similaire dans l’arrêt Athanassoglou et autres (précité, §§ 53-54), dans lequel elle a estimé que les requérants avaient en réalité cherché à contester le principe même de l’utilisation de l’énergie nucléaire, et que c’était là une question dont il appartenait à chaque État contractant de décider selon son processus démocratique, et non une question à examiner sous l’angle de l’article 6 § 1. Elle a suivi la même approche dans plusieurs autres affaires où les requérants se plaignaient pour l’essentiel d’un impact environnemental hypothétique et non d’une atteinte spécifique à leurs droits ou d’un effet négatif sur ceux-ci (voir, par exemple, Folkman et autres, décision précitée ; Zapletal c. République tchèque (déc.), no 12720/06, 30 novembre 2010 ; et Ivan Atanasov, précité, § 92).
607. En revanche, lorsque les conséquences environnementales négatives pour les droits d’un requérant étaient immédiates et certaines, la Cour a considéré que le litige en la matière relevait de l’article 6 § 1 (voir, par exemple, L’Erablière A.S.B.L., précité, §§ 28-29 ; Zander, précité, § 26 ; Taşkın et autres, précité, § 133 ; et Association Burestop 55 et autres, précité, § 59).
Applicabilité de l’article 6 § 1 dans le contexte du changement climatique
608. Les principes généraux susmentionnés concernant l’applicabilité de l’article 6 § 1 valent aussi dans le présent contexte du changement climatique, étant entendu que l’application de ces principes peut requérir la prise en compte des spécificités du contentieux climatique. Autrement dit, si les caractéristiques de cette matière ne poussent pas aujourd’hui la Cour à revoir sa solide jurisprudence relative à l’article 6, elles auront néanmoins d’inévitables conséquences sur l’application de cette jurisprudence, en ce qui concerne les critères d’applicabilité de l’article 6 mais aussi l’appréciation du respect des exigences qui découlent de cette disposition.
609. Comme il est rappelé ci-dessus, l’article 6 de la Convention ne garantit pas un droit d’accès à un tribunal ayant compétence pour invalider ou remplacer une loi émanant du Parlement (paragraphes 594 et 600 ci‑dessus). En conséquence, on ne saurait se fonder sur cette disposition pour engager devant un tribunal une action tendant à contraindre le Parlement à adopter une loi. En revanche, l’article 6 peut trouver à s’appliquer lorsque le droit interne prévoit l’accès individuel à une procédure devant une juridiction constitutionnelle ou une autre juridiction supérieure similaire qui est compétente pour examiner un recours visant directement une loi (Xero Flor w Polsce sp. z o.o. c. Pologne, no 4907/18, § 190, 7 mai 2021, avec d’autres références).
610. Comme indiqué ci-dessus, il peut exister un lien de causalité juridiquement pertinent entre des actions et/ou omissions de l’État et le dommage ou risque de dommage touchant des individus (paragraphes 431 et 519 ci-dessus). Lorsque les droits concernés sont reconnus dans la législation interne, un droit « de caractère civil » au sens de l’article 6 peut se trouver en jeu. De plus, il est important de relever que, dès lors que la participation du public et l’accès à l’information en matière environnementale (largement reconnus en droit international de l’environnement) constituent des droits reconnus dans la législation interne, cela peut conduire à conclure à l’existence d’un droit « de caractère civil » au sens de l’article 6. Ainsi, la présence de ces droits dans la législation interne peut aussi amener à conclure qu’un droit « de caractère civil » au sens de l’article 6 § 1 se trouve en jeu.
611. En outre, il est à noter que la question de savoir s’il existe une contestation ou un désaccord réel et sérieux sur la manière de garantir le respect d’un tel droit doit être tranchée en fonction des circonstances propres à chaque affaire (paragraphes 603-604 ci-dessus).
612. Concernant enfin l’exigence selon laquelle l’issue de la procédure en cause doit être « directement déterminante » pour le droit du requérant, la Cour relève qu’il existe un certain lien entre, d’une part, l’exigence découlant de l’article 6 selon laquelle l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour les droits du requérant invoqués au regard de la législation interne et, d’autre part, les éléments d’appréciation qu’elle a jugé pertinents pour la définition des critères permettant d’établir la qualité de victime ainsi que ceux concernant l’applicabilité de l’article 8 (voir, par exemple, l’approche adoptée dans Athanassoglou et autres, § 59, et Ivan Atanasov, §§ 78 et 93, arrêts précités).
613. L’objet de la procédure a de surcroît une incidence sur le point de savoir si l’issue de cette procédure peut être considérée comme déterminante pour le droit invoqué. Il est à noter à cet égard que, dans la plupart des affaires environnementales que la Cour a examinées à ce jour, la procédure portait sur des aspects relatifs à l’autorisation d’exploiter une installation spécifique ou aux conditions de cette exploitation. Dans de telles situations, lorsque l’exploitation dommageable ou la poursuite de celle-ci dépend de l’issue de la procédure, il apparaît souvent clairement que cette issue serait directement déterminante pour les droits invoqués par les personnes touchées et ayant la qualité de victime (voir, par exemple, Zander, précité, § 24 in fine ; voir aussi, a contrario, Balmer-Schafroth et autres, § 40, et Athanassoglou et autres, §§ 54‑55, arrêts précités). Dans le contexte d’un litige climatique, il se peut toutefois que l’objet de la procédure soit plus large, de sorte que la question de savoir si cet objet peut être considéré comme directement déterminant pour les droits invoqués occupe une place distincte et plus importante.
614. En même temps, on ne peut appliquer les divers éléments de l’analyse effectuée au regard de cet aspect, et en particulier la notion de dommage ou de danger imminent, sans tenir dûment compte de la nature particulière des risques liés au changement climatique, notamment du risque de conséquences irréversibles et de leur corollaire, la gravité du dommage. Lorsqu’un dommage à venir n’est pas simplement hypothétique mais qu’il est réel et hautement probable (ou pratiquement certain) à défaut de mesures correctives adéquates, le fait que ce dommage ne soit pas strictement imminent ne doit pas, à lui seul, conduire à la conclusion que l’issue de la procédure ne serait pas déterminante pour son atténuation ou sa réduction. Pareille approche aurait pour effet de limiter indûment l’accès à un tribunal en ce qui concerne de nombreux risques majeurs associés au changement climatique. Cela vaut en particulier pour les actions en justice engagées par des associations. Dans le domaine du changement climatique, ces actions en justice doivent être considérées à la lumière du rôle que jouent les associations en tant qu’elles permettent aux personnes touchées par le phénomène en question, y compris celles qui sont nettement défavorisées sur le plan de la représentation, de voir défendre leurs droits conventionnels et de chercher à obtenir des mesures correctives adéquates pour les manquements et omissions reprochés aux autorités en la matière.
Application des principes et considérations qui précèdent au cas d’espèce
615. La Cour observe que l’action engagée par les requérantes au niveau interne portait pour une large part sur une demande de mesures législatives et réglementaires qui n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 6 § 1 (voir les points 1 à 3 et certains aspects du point 4 de leurs prétentions, au paragraphe 22 ci-dessus). Cependant, l’action concernait aussi, pour partie, la mise en œuvre de mesures qui relevaient de la compétence des autorités concernées et qui s’imposaient pour que l’État puisse atteindre l’objectif en vigueur – une réduction des GES de 20 % – et, ainsi, mettre fin aux omissions illégales (voir la partie introductive du point 4, au paragraphe 22 ci‑dessus). Les requérantes demandaient également que les omissions alléguées des pouvoirs publics en matière de changement climatique soient déclarées illégales (point 5 de la requête des intéressées). Les requérantes ont reconnu que le grief qu’elles avaient soulevé dans leur action devant le TAF présentait ces deux aspects (paragraphe 33 ci‑dessus).
616. Le grief concernant des décisions politiques qui sont soumises aux processus démocratiques pertinents ne relève pas du champ d’application de l’article 6 (paragraphe 594 ci‑dessus) ; en revanche, la demande des requérantes qui portait sur une mise en œuvre effective des mesures d’atténuation prévues par le droit en vigueur est une question qui peut entrer dans le champ d’application de cette disposition, pourvu que les autres critères d’applicabilité de l’article 6 § 1 soient remplis.
617. Concernant le caractère « civil » du droit, les requérantes ont invoqué notamment le droit garanti par l’article 10 de la Constitution suisse (paragraphes 121 ci-dessus), dont la Cour a déjà eu l’occasion de constater qu’il couvrait non seulement le droit à la vie mais aussi le droit à la protection de l’intégrité physique (Balmer-Schafroth et autres, précité, §§ 33‑34). Selon la jurisprudence constante de la Cour, il s’agit de droits de caractère civil aux fins de la première branche de l’analyse relative à l’applicabilité de l’article 6 (paragraphe 600 ci‑dessus).
618. À cet égard, la Cour observe que si le TF a débouté les requérantes nos 2 à 5, ce n’est pas pour absence d’un droit invocable par elles mais parce qu’il a considéré que les requérantes avaient engagé une actio popularis et que celles d’entre elles qui étaient des personnes physiques ne subissaient pas une atteinte suffisamment intense (paragraphe 59 ci‑dessus). En somme, on ne saurait affirmer que l’action des requérantes individuelles était futile, vexatoire ou pour d’autres raisons mal fondée au regard du droit interne pertinent (paragraphe 599 ci‑dessus). La Cour ne peut souscrire à la conclusion du TF selon laquelle la demande des requérantes individuelles ne pouvait être tenue pour défendable aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 61 ci‑dessus). Concernant par ailleurs l’association requérante, si le TF n’a pas tranché la question de savoir si elle avait qualité pour agir devant lui, la Cour note que l’action engagée par l’association reposait sur la menace liée aux effets néfastes du changement climatique en tant qu’ils pesaient sur la santé et le bien-être de ses adhérentes (Gorraiz Lizarraga et autres, précité, § 46). La Cour considère que les intérêts défendus par l’association requérante sont de telle nature que la « contestation » soulevée par elle avait un lien direct et suffisant avec les droits en question de ses adhérentes, compte tenu du rôle particulier que jouent les associations face au changement climatique (paragraphe 614 ci‑dessus).
619. Les considérations qui précèdent sont également importantes pour éclairer le deuxième critère d’applicabilité de l’article 6, à savoir l’existence d’une contestation ou d’un désaccord réel et sérieux quant au respect du droit en question (paragraphe 611 ci‑dessus), condition qui était sans nul doute remplie en l’espèce.
620. Enfin, pour ce qui est du troisième critère – le point de savoir si l’issue de la procédure était « directement déterminante » pour les droits des requérantes –, la Cour relève ce qui suit.
621. En ce qui concerne la contestation soulevée par l’association requérante, et pour autant qu’elle résulte d’un volet pertinent de l’action intentée au niveau interne – à savoir le grief tiré d’un défaut de mise en œuvre effective des mesures d’atténuation prévues par le droit en vigueur (paragraphe 615 ci-dessus) –, la Cour note que l’association requérante a démontré l’existence d’un lien réel et suffisamment étroit avec la question litigieuse et avec les personnes qui cherchent à obtenir une protection contre les effets néfastes du changement climatique sur leur vie, leur santé et leur qualité de vie. En d’autres termes, l’association requérante s’est efforcée de défendre les droits civils particuliers de ses adhérentes face aux effets négatifs du changement climatique (voir également les paragraphes 521‑526 ci‑dessus). Elle a agi en tant que moyen permettant aux personnes touchées par le phénomène en question de voir défendre leurs droits et de chercher à obtenir des mesures correctives adéquates face au manquement de l’État à mettre en œuvre de manière effective les mesures d’atténuation prévues par le droit en vigueur (paragraphe 614 ci-dessus).
622. À cet égard, la Cour renvoie à ses conclusions ci-dessus relatives à la qualité pour agir de l’association requérante en ce qui concerne le grief fondé sur l’article 8 de la Convention (paragraphes 521-526). Elle rappelle l’importance du rôle que jouent les associations dans la défense de causes spéciales en matière de protection de l’environnement, élément déjà relevé dans sa jurisprudence (paragraphe 601 ci‑dessus), ainsi que la pertinence particulière de l’action collective face au changement climatique, phénomène dont les conséquences ne se limitent pas spécifiquement à certains individus. Dans le même esprit, dans la mesure où une contestation reflète cette dimension collective, l’exigence selon laquelle son issue doit être « directement déterminante » est à comprendre dans le sens plus général de la recherche d’une forme de correction des actions et omissions des autorités qui portent atteinte aux droits de caractère civil des adhérents au regard du droit interne.
623. Partant, l’article 6 § 1 s’applique au grief de l’association requérante et celle-ci peut être considérée comme ayant la qualité de victime sur le terrain de cette disposition relativement à son grief tiré d’un défaut d’accès à un tribunal (paragraphe 593 ci‑dessus). En conséquence, l’exception préliminaire que le Gouvernement a formulée sur ce point est rejetée.
624. Pour ce qui est des requérantes nos 2 à 5, on ne saurait retenir que la contestation soulevée par elles quant à un défaut de mise en œuvre effective des mesures d’atténuation prévues par le droit en vigueur était ou aurait pu être directement déterminante pour leurs droits particuliers. Pour des raisons similaires à celles exposées ci-dessus sur le terrain de l’article 8 (paragraphes 527-535), on ne saurait considérer que les requérantes nos 2 à 5 soient parvenues à établir que l’action requise de la part des autorités – la mise en œuvre effective de mesures d’atténuation en vertu du droit interne en vigueur – aurait à elle seule créé des effets suffisamment immédiats et certains sur leurs droits individuels dans le contexte du changement climatique. Il s’ensuit que la contestation soulevée par les intéressées avait simplement un lien ténu avec les droits invoqués, ou des répercussions lointaines sur ceux-ci, au regard du droit interne (comparer avec Balmer‑Schafroth, précité). Ainsi, l’issue de la contestation n’était pas directement déterminante pour leurs droits de caractère civil (paragraphe 612 ci‑dessus).
625. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que le grief des requérantes nos 2 à 5 est irrecevable pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Sur le fond
a) Principes généraux
626. Dans la présente affaire, une question se pose sous l’angle de l’article 6 § 1, relativement à l’impératif du droit d’accès à un tribunal. Les principes généraux pertinents en la matière sont les suivants (Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, §§ 76‑79, 5 avril 2018) :
« 76. Le droit d’accès à un tribunal a été défini dans l’arrêt Golder c. Royaume‑Uni (21 février 1975, §§ 28-36, série A no 18) comme un aspect du droit à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Se référant aux principes de la prééminence du droit et de l’interdiction de tout pouvoir arbitraire qui sous-tendent pour une bonne part la Convention, la Cour y avait conclu que le droit d’accès à un tribunal était un élément inhérent aux garanties consacrées par l’article 6. Ainsi, l’article 6 § 1 garantit à chacun le droit de faire statuer par un tribunal sur toute contestation portant sur ses droits et obligations de caractère civil (Roche c. Royaume‑Uni [GC], no 32555/96, § 116, CEDH 2005‑X ; voir aussi Z et autres c. Royaume‑Uni [GC], no 29392/95, § 91, CEDH 2001‑V, Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 54, CEDH 2010, et Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 84, CEDH 2016 (extraits)).
77. Le droit d’accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et non « théorique et illusoire » (voir en ce sens Bellet c. France, 4 décembre 1995, § 36, série A no 333‑B). Cette remarque vaut en particulier pour les garanties prévues par l’article 6, vu la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (Prince Hans‑Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 45, CEDH 2001‑VIII, et Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres, précité, § 86).
78. Le droit d’accès aux tribunaux n’étant toutefois pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 230, CEDH 2012). En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation. S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, elle n’a pas qualité pour substituer à l’appréciation des autorités nationales une autre appréciation de ce que pourrait être la meilleure politique en la matière. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres, précité, § 89, et la jurisprudence citée).
79. La Cour rappelle aussi qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, par exemple, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I, et Perez c. France [GC], no 47287/99, § 82, CEDH 2004‑I). En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour. Celle-ci n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, CEDH 2015). »
627. Il convient également de rappeler que l’article 6 ne va pas jusqu’à exiger un recours par lequel on puisse dénoncer, devant une autorité nationale, les lois d’un État contractant comme incompatibles avec la Convention ou avec des normes juridiques nationales équivalentes (Berger‑Krall et autres, précité, § 322, avec d’autres références ; voir aussi le paragraphe 600 ci‑dessus). De plus, la Cour a admis – quoique dans un autre contexte – que le maintien de la séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire constituait un but légitime en ce qui concerne la limitation du droit d’accès à un tribunal (A. c. Royaume-Uni, no 35373/97, § 77, CEDH 2002-X).
628. Les principes qui se rapportent aux limitations du droit d’accès à un tribunal traduisent le processus, inhérent à la mission que la Convention assigne à la Cour, consistant à maintenir un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (Fayed, précité, § 65 in fine). Il reste donc à déterminer, au regard des circonstances de l’affaire concernée, s’il y a eu une limitation disproportionnée du droit d’accès à un tribunal (Association Burestop 55 et autres, précité, §§ 71-72).
b) Application de ces principes au cas d’espèce
629. La Cour rappelle d’emblée que le droit d’accès à un tribunal comprend non seulement le droit d’engager une action, mais aussi le droit à une « solution » juridictionnelle du litige. Cela découle du fait que le droit d’accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et non pas théorique et illusoire (voir, par exemple, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie, précité, § 86).
630. En l’espèce, l’action intentée par l’association requérante a été rejetée, d’abord par une autorité administrative – le DETEC –, puis par des tribunaux internes, à deux niveaux de juridiction distincts, sans que ces organes aient examiné le fond des griefs avancés par l’intéressée (paragraphes 28‑31, 34‑42 et 52‑63 ci-dessus). Par conséquent, il y a bien eu une limitation du droit d’accès à un tribunal, et la Cour doit donc examiner si la façon dont cette limitation a opéré en l’espèce a eu pour effet de restreindre l’accès de l’association requérante à un tribunal d’une manière ou à un point tels que ce droit s’en est trouvé atteint dans sa substance même (paragraphes 626‑628 ci‑dessus).
631. Concernant le point de savoir si la limitation en cause poursuivait un but légitime, et compte tenu du fait que, dans leurs décisions, les juridictions internes ont cherché à distinguer entre, d’une part, la question de la protection des droits individuels et, d’autre part, les processus démocratiques pertinents et les contestations générales de la législation, excluant ainsi les recours relevant d’une actio popularis, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que le maintien de la séparation entre les pouvoirs législatif et judiciaire constitue un but légitime en ce qui concerne les limitations au droit d’accès à un tribunal (paragraphe 627 ci‑dessus). De plus, comme cela a déjà été exposé (paragraphes 596 et 627‑628 ci‑dessus), l’article 6 § 1 n’exige pas l’accès à un tribunal pour les contestations de la législation interne en vigueur, ni pour les recours relevant d’une actio popularis.
632. Cependant, le dernier élément de l’analyse pertinente est le point de savoir si, pour autant que la procédure ne sortait pas du champ d’application de l’article 6, la limitation du droit de l’association requérante d’accéder à un tribunal était proportionnée, c’est-à-dire s’il y avait un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but légitime visé (paragraphe 626 ci‑dessus).
633. À cet égard, il convient de rappeler que l’action engagée par l’association requérante au niveau interne peut s’analyser comme présentant un caractère hybride. À titre principal, elle portait clairement sur des questions qui touchaient au processus législatif démocratique et qui ne relevaient pas de l’article 6 § 1 ; mais elle soulevait aussi des questions qui concernaient spécifiquement d’éventuels manquements dans l’application du droit interne en vigueur qui auraient pesé sur la protection des droits défendus par l’association requérante. Certains des griefs formulés se rapportaient donc à la légalité des actions ou omissions alléguées des autorités et évoquaient des effets négatifs sur le droit à la vie et le droit à la protection de l’intégrité physique, lesquels sont consacrés par le droit interne, notamment l’article 10 de la Constitution (paragraphes 615‑617 ci‑dessus).
634. Dans la mesure où l’association requérante entendait faire valoir ces droits face aux menaces résultant d’une supposée inadéquation ou insuffisance de l’action des autorités dans la mise en œuvre de mesures d’atténuation du changement climatique déjà requises par le droit interne en vigueur, pareille action ne peut être considérée automatiquement ni comme une actio popularis ni comme une action soulevant une question politique que les juridictions doivent s’abstenir d’examiner. Cette position s’inscrit dans la logique du raisonnement exposé ci-dessus (paragraphe 436) concernant, d’une part, la manière dont le changement climatique peut peser sur les droits de l’homme et, d’autre part, le besoin impérieux de faire face aux menaces que représente ce phénomène.
635. La Cour n’est pas convaincue par la conclusion des juridictions internes selon laquelle il resterait encore du temps pour empêcher le réchauffement climatique d’atteindre une limite critique (paragraphes 56‑59 ci-dessus). Cette conclusion ne repose pas sur un examen suffisant des données scientifiques sur le changement climatique, qui étaient déjà disponibles à l’époque pertinente, et elle ne tient pas non plus compte du large consensus sur l’existence d’une urgence eu égard aux effets que ce phénomène a d’ores et déjà et aura inéluctablement à l’avenir sur divers aspects des droits de l’homme (paragraphe 436 ci‑dessus ; voir aussi le paragraphe 337 ci‑dessus, concernant la reconnaissance par le gouvernement défendeur de l’existence d’une urgence en matière climatique). En effet, les données disponibles et les conclusions scientifiques relatives à l’urgence de lutter contre les effets négatifs du changement climatique, et notamment au risque grave que ces effets ne soient inéluctables et irréversibles, permettent de penser qu’il existait un besoin impérieux d’assurer la protection juridique des droits de l’homme face à une action supposément inadéquate des autorités pour contrer le changement climatique.
636. La Cour note de plus que les juridictions internes n’ont pas tranché la question de la qualité pour agir de l’association requérante, qui méritait un examen séparé, indépendamment de leur position sur les griefs des requérantes individuelles. Les juridictions internes ne se sont pas penchées avec soin, voire pas du tout, sur l’action intentée par l’association requérante.
637. La Cour relève en outre que, avant de saisir les juridictions, l’association requérante et ses adhérentes ont soumis leurs griefs à divers organes et services administratifs spécialisés, mais qu’aucun d’entre eux ne s’est prononcé sur la substance de ces griefs (paragraphe 22 ci‑dessus). Opéré par les seules autorités administratives, un tel examen n’aurait pas pu répondre à l’impératif de l’accès à un tribunal qui découle de l’article 6 ; la Cour note cependant que, à en juger par la décision du DETEC, le rejet de l’action des requérantes par les autorités administratives semble avoir reposé sur des considérations inappropriées et insuffisantes, semblables à celles invoquées par les juridictions internes (paragraphes 28‑31 ci‑dessus). La Cour observe de surcroît que les requérantes individuelles/adhérentes de l’association n’ont pas eu accès à un tribunal et qu’il n’existait pas d’autre voie de recours en droit interne qui leur eût permis de soumettre leurs griefs à une juridiction. Dès lors, il n’y avait pas d’autres garanties pertinentes à prendre en compte dans l’appréciation de la proportionnalité de la limitation du droit d’accès de l’association requérante à un tribunal (paragraphe 628 ci‑dessus).
638. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que, pour autant que les griefs de l’association requérante relevaient du champ d’application de l’article 6 § 1, le droit d’accès de celle‑ci à un tribunal a été restreint d’une manière et à un point tels qu’il s’en est trouvé atteint dans sa substance même.
639. À ce propos, la Cour juge essentiel de souligner le rôle clé que les juridictions nationales ont joué et joueront dans les litiges relatifs au changement climatique, comme en témoigne la jurisprudence actuelle de certains États membres du Conseil de l’Europe qui fait ressortir l’importance de l’accès à la justice dans ce domaine. En outre, eu égard aux principes de responsabilité partagée et de subsidiarité, c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux juridictions, qu’il incombe de veiller au respect des obligations découlant de la Convention.
640. En l’espèce, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
641. Les requérantes allèguent qu’elles n’ont pas disposé d’un recours effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, pour se plaindre d’un manquement des autorités à leur obligation d’agir sur les effets néfastes du changement climatique.
642. L’article 13 est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
643. Le Gouvernement conteste le grief des requérantes.
644. La Cour rappelle que l’article 6 constitue une lex specialis par rapport à l’article 13, les exigences du second se trouvant comprises dans celles, plus strictes, du premier (voir, par exemple, Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 181, 23 juin 2016). Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue au sujet de l’association requérante sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 640 ci-dessus), elle juge que le grief tiré de l’article 13 ne soulève pas de question distincte à l’égard de l’intéressée. En conséquence, elle conclut qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 13 de la Convention.
645. En ce qui concerne les requérantes nos 2 à 5, eu égard aux conclusions qu’elle a formulées aux paragraphes 527 à 535 et 625 ci‑dessus, la Cour estime que les intéressées n’ont pas de grief défendable sous l’angle de l’article 13 et que celui qu’elles ont présenté est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention (voir, par exemple, Athanassoglou et autres, précité, §§ 59‑60) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION
Article 41 de la Convention
646. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
Dommage
647. L’association requérante n’a pas soumis de demande pour dommage. En conséquence, la Cour n’alloue aucune somme à ce titre.
Frais et dépens
648. Devant la chambre, l’association requérante avait demandé un montant total de 324 249,25 francs suisses (CHF) pour frais et dépens. Cette somme comprenait, d’une part, les honoraires d’avocat (315 249,25 CHF) et, d’autre part, les frais fixés au niveau interne par les juridictions suisses (soit un total de 9 000 CHF). Devant la Grande Chambre, elle réclame 187 988,45 CHF pour des frais et dépens nouvellement exposés. Elle a également soumis des factures et des pièces justificatives afférentes aux paiements effectués par elle. Par la suite, l’association requérante a produit des notes d’honoraires et des factures supplémentaires pour les prestations que lui ont fournies les représentants légaux, pour des montants totaux de 79 181,50 CHF, 63 057,92 euros (EUR) et 27 504,50 livres britanniques (GBP).
649. Le Gouvernement s’oppose à la demande de l’association requérante, qu’il estime excessive et infondée. Il considère qu’il convient de la rejeter ou, à titre subsidiaire, de n’allouer qu’un montant maximal de 13 000 CHF.
650. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Halet c. Luxembourg [GC], no 21884/18, § 214, 14 février 2023). Eu égard aux critères précités, la Cour n’est pas convaincue que tous les frais et dépens afférents à la procédure devant elle aient été nécessairement exposés et elle estime raisonnable d’octroyer la somme de 80 000 EUR, tous frais et dépens confondus. Elle rejette le surplus de la demande de l’association requérante pour frais et dépens.
Intérêts moratoires
651. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
Article 46 de la Convention
652. Les parties pertinentes de l’article 46 de la Convention sont ainsi libellées :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
Thèses des parties
653. Les requérantes estiment qu’en cas de constat de violation de la Convention par la Cour, il conviendrait d’appliquer l’article 46. Elles exposent toutefois que, le choix des moyens à mettre en œuvre pour exécuter l’arrêt de la Cour appartenant en premier lieu à l’État défendeur, la Cour ne devrait pas spécifier quelles sont les mesures à prendre. À leur avis, il serait préférable qu’elle indique à l’État qu’il doit prendre toutes mesures utiles lui permettant d’atteindre un niveau d’émissions annuelles compatible avec son objectif de réduction des émissions de GES d’au moins 40 % d’ici à 2030 et à parvenir à la neutralité carbone en 2050.
654. Le Gouvernement souligne que les requérantes n’ont demandé ni devant les juridictions internes ni devant la Cour que des mesures générales concrètes soient indiquées à l’État. Selon lui, les intéressées ont en fait admis que l’État défendeur disposait de différentes mesures permettant de respecter le budget carbone pertinent. Le Gouvernement note en outre que diverses mesures d’atténuation ont été élaborées au niveau international, notamment par le GIEC. Il est d’avis qu’il importe aussi de garder à l’esprit l’ample marge d’appréciation accordée à l’État dans un domaine aussi complexe et technique que celui du changement climatique. Il ajoute qu’indiquer des mesures concrètes au titre de l’article 46 irait à l’encontre du principe de subsidiarité et de la nécessaire séparation des pouvoirs. Il estime qu’en toute hypothèse il n’y a au niveau interne aucun problème systémique qui justifierait l’application de l’article 46. Il considère donc que la Cour ne doit pas indiquer de mesures générales sur le fondement de cette disposition.
Appréciation de la Cour
655. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs rendus par elle dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé de surveiller l’exécution de ces arrêts. Il en découle notamment que l’État défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à inscrire dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences (voir, parmi d’autres, H.F. et autres c. France [GC], nos 24384/19 et 44234/20, § 293, 14 septembre 2022).
656. La Cour rappelle en outre que ses arrêts sont essentiellement déclaratoires par nature et que, en principe, c’est au premier chef à l’État en cause qu’il appartient de choisir, sous la surveillance du Comité des Ministres, les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions et l’esprit de l’arrêt de la Cour. Toutefois, dans certaines circonstances particulières, elle a jugé utile d’indiquer à l’État défendeur le type de mesures, individuelles et/ou générales, qu’il pourrait prendre pour mettre fin au problème à l’origine du constat de violation (ibidem, § 294).
657. En l’espèce, eu égard à la complexité et à la nature des questions en jeu, la Cour ne saurait se montrer précise ou prescriptive quant aux mesures à mettre en œuvre pour se conformer de manière effective au présent arrêt. Compte tenu de la marge d’appréciation différenciée qui est accordée à l’État dans le domaine en question (paragraphe 543 ci-dessus), elle estime que l’État défendeur, avec l’assistance du Comité des Ministres, est mieux placé qu’elle pour déterminer précisément les mesures à prendre. C’est donc au Comité des Ministres qu’il appartient de vérifier, à partir des informations fournies par l’État défendeur, que les mesures visant à assurer que les autorités internes se conforment aux exigences de la Convention, telles que clarifiées dans le présent arrêt, ont été adoptées.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, à l’unanimité, que le fils et héritier de la deuxième requérante a qualité pour poursuivre la présente procédure à la place de la requérante ;
Rejette, à l’unanimité, les exceptions préliminaires soulevées par le Gouvernement concernant l’objet de la requête, la juridiction et le respect du délai de six mois ;
Joint, par seize voix contre une, la question de la qualité de victime/qualité pour agir des requérantes sur le terrain des articles 2 et 8 de la Convention à l’appréciation de l’applicabilité de ces dispositions ;
Dit, par seize voix contre une, que l’association requérante a qualité pour agir dans la présente procédure et que son grief doit être examiné sous l’angle du seul article 8 de la Convention, et rejette l’exception soulevée par le Gouvernement sur ce point ;
Accueille, à l’unanimité, l’exception soulevée par le Gouvernement quant à la qualité de victime des requérantes nos 2 à 5 sur le terrain des articles 2 et 8 de la Convention, et déclare irrecevables les griefs de ces requérantes ;
Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’applicabilité de l’article 2 de la Convention ;
Dit, par seize voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
Joint, par seize voix contre une, la question de la qualité de victime des requérantes sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention à l’appréciation de l’applicabilité de cette disposition ;
Dit, par seize voix contre une, que l’article 6 § 1 de la Convention s’applique au grief de l’association requérante et que celle-ci peut être considérée comme ayant la qualité de victime sur le terrain de cette disposition, et rejette l’exception soulevée par le Gouvernement sur ce point ;
Dit, par seize voix contre une, que l’article 6 § 1 de la Convention ne s’applique pas au grief des requérantes nos 2 à 5, et déclare irrecevable le grief de celles-ci ;
Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief de l’association requérante formulé sur le terrain de l’article 13 de la Convention, et déclare irrecevables les griefs des requérantes nos 2 à 5 ;
Dit, à l’unanimité,
a) que l’État défendeur doit verser à l’association requérante, dans les trois mois, 80 000 EUR (quatre-vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable de l’association requérante pour le surplus.
Fait en français et anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 9 avril 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Prebensen Síofra O’Leary
Adjoint à la greffière Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Eicke.
S.O.L.
S.P.R.
PARTLY CONCURRING PARTLY DISSENTING OPINION OF JUDGE EICKE[206]
Introduction
1. To my regret, I am unable to agree with the majority either in relation to the methodology they have adopted or on the conclusions which they have come to both in relation to the admissibility (and, in particular, the question of “victim” status) as well as on the merits. In so far as I have voted for a violation of Article 6, the right of access to court, as I will explain in a little more detail below, my conclusion was reached on the basis of a very different (and, arguably, a more orthodox) approach to the Convention and the case-law thereunder.
2. Despite a careful and detailed engagement with the arguments advanced both by the parties and interveners in this case (and those in the two linked cases of Carême v. France, app. no. 7189/21, and Duarte Agostinho and Others v. Portugal and 32 Others, app. no. 39371/20) as well as by my colleagues in the course of the deliberations, I find myself in a position where my disagreement goes well beyond a mere difference in the assessment of the evidence or a minor difference as to the law. The disagreement is of a more fundamental nature and, at least in part, goes to the very heart of the role of the Court within the Convention system and, more generally, the role of a court in the context of the unique and unprecedented challenges posed to humanity (including in but also across our societies) by anthropogenic climate change.
3. It is, of course, perfectly understood and accepted that, under Article 32 of the Convention, the Court’s jurisdiction extends to “all matters concerning the interpretation and application of the Convention” (Article 32 § 1) and that “[i]n the event of dispute as to whether the Court has jurisdiction, the Court shall decide” (Article 32 § 2). However, it is equally clear that this ultimate interpretative authority comes with immense responsibility; a responsibility which, in my view, is reflected in the Court’s normally careful, cautious and gradual approach to the evolutive interpretation of the Convention under what is frequently described as the “living instrument” doctrine. Unfortunately, for the reasons set out in a little more detail below, I have come to the conclusion that the majority in this case has gone well beyond what I consider to be, as a matter of international law, the permissible limits of evolutive interpretation.
4. In doing so, it has, in particular, unnecessarily expanded the concept of “victim” status/standing under Article 34 of the Convention and has created a new right (under Article 8 and, possibly, Article 2) to “effective protection by the State authorities from serious adverse effects on their life, health, well‑being and quality of life arising from the harmful effects and risks caused by climate change” (§§ 519 and 544 of the Judgment) and/or imposed a new “primary duty” on Contracting Parties “to adopt, and to effectively apply in practice, regulations and measures capable of mitigating the existing and potentially irreversible, future effects of climate change” (§ 545, emphasis added), covering both emissions emanating from within their territorial jurisdiction as well as “embedded emissions” (i.e. those generated through the import of goods and their consumption); none of which have any basis in Article 8 or any other provision of or Protocol to the Convention.
Background
5. It is worth repeating that, my disagreement with the majority does not relate in any way to the nature or magnitude of the risks and the challenges posed by anthropogenic climate change. I completely share their understanding of the urgent need to address this issue, both on its own and, perhaps as importantly, as (a major) aspect of what the Reykjavík Declaration “United around our values”, adopted at the end of the 4th Summit of Heads of State and Government of the Council of Europe (Reykjavík, 16‑17 May 2023), refers to as the “triple planetary crisis of pollution, climate change and loss of biodiversity” (see § 200 of the judgment)[207] currently confronting humanity. In fact, it seems clear to me that this is not just a question of ultimately achieving the target of limiting the temperature increase to 1.5oC above pre-industrial levels identified in the Paris Agreement (important though that is). After all, every tenth of a degree increase has an immediate impact and leads to an increase in the damage and danger created by climate change and, in fact, we all need to take immediate and effective steps to avoid any further increase. My principal disagreement with the majority therefore solely relates to the role this Court can play at this point in time in identifying and taking the steps necessary – and frequently already overdue – to ensure the survival of our planet.
6. In fact, the assessment set out by the European Environment Agency’s (“EEA”) “European climate risk assessment”, published shortly after this judgment was adopted,[208] serves to confirm our shared understanding. In its Executive Summary, the EEA identified its “key takeaways” as follows:
-Human-induced climate change is affecting the planet; globally, 2023 was the warmest year on record, and the average global temperature in the 12-month period between February 2023 and January 2024 exceeded pre-industrial levels by 1.5oC.
-Europe is the fastest-warming continent in the world. Extreme heat, once relatively rare, is becoming more frequent while precipitation patterns are changing. Downpours and other precipitation extremes are increasing in severity, and recent years have seen catastrophic floods in various regions. At the same time, southern Europe can expect considerable declines in overall rainfall and more severe droughts.
-These events, combined with environmental and social risk drivers, pose major challenges throughout Europe. Specifically, they compromise food and water security, energy security and financial stability, and the health of the general population and of outdoor workers; in turn, this affects social cohesion and stability. In tandem, climate change is impacting terrestrial, freshwater and marine ecosystems.
-Climate change is a risk multiplier that can exacerbate existing risks and crises. Climate risks can cascade from one system or region to another, including from the outside world to Europe. Cascading climate risks can lead to system-wide challenges affecting whole societies, with vulnerable social groups particularly affected. Examples include mega-droughts leading to water and food insecurity, disruptions of critical infrastructure, and threats to financial markets and stability.
-When applying the scales of severity used in the European climate risk assessment, several climate risks have already reached critical levels. If decisive action is not taken now, most climate risks identified could reach critical or catastrophic levels by the end of this century. Hundreds of thousands of people would die from heatwaves, and economic losses from coastal floods alone could exceed EUR 1 trillion per year.
-Climate risks to ecosystems, people and the economy depend on non-climatic risk drivers as much as on the climate-related hazards themselves. Effective policies and action at European and national levels can therefore help reduce these risks to a very significant degree. The extent to which we can avoid damages will largely depend on how quickly we can reduce global greenhouse gas emissions, and how fast and effectively we can prepare our societies and adapt to the unavoidable impacts of climate change.
-The EU and its Member States have made considerable progress in understanding the climate risks they are facing and preparing for them. National climate risk assessments are increasingly used to inform adaptation policy development. However, societal preparedness is still low, as policy implementation is lagging substantially behind quickly-increasing risk levels. Most of the climate risks are co-owned by the EU and its Member States; therefore, coordinated and urgent additional action is required at all governance levels.
-Most policies and actions to strengthen Europe’s resilience to climate change are made for the long term, and some actions have long lead times. Urgent action is needed now to prevent rigid choices that are not fit for the future in a changing climate, such as in land-use planning and long-lived infrastructure. We must prevent locking ourselves into maladaptive pathways and avoid potentially catastrophic risks.
-Adaptation policies can both support and conflict with other environmental, social and economic policy objectives. Thus, an integrated policy approach considering multiple policy objectives is essential for ensuring efficient adaptation.
7. The two major aspects of this challenge one can derive from all the evidence, however, are (a) the absolute need for urgent action and (b) the sheer complexity of the challenges climate change (and the other aspects of the “triple planetary crisis”) pose (geo-)politically, practically, logistically as well as legal.
8. In relation to the latter, Sir David Attenborough, the British biologist, natural historian, broadcaster and author, in his address to the UN Security Council on 23 February 2021,[209] expressed the challenge in these stark (but realistic) terms:
Perhaps the most significant lesson brought by these last 12 months has been that we are no longer separate nations, each best served by looking after its own needs and security. We are a single truly global species whose greatest threats are shared and whose security must ultimately come from acting together in the interests of us all.
Climate change is a threat to global security that can only be dealt with by unparalleled levels of global co-operation. It will compel us to: question our economic models and where we place value; invent entirely new industries; recognise the moral responsibility that wealthy nations have to the rest of the world; and put a value on nature that goes far beyond money.
9. It is also this spirit of global (rather than merely regional or bilateral) cooperation which has underpinned the increasingly detailed treaty regime addressing climate change as well as other, frequently interlinked or overlapping, aspects of the “triple planetary crisis”. These, of course, include the UN Framework Convention on Climate Change (“UNFCCC”) and the subsequent Protocols and other agreements concluded by or under the auspices of its annual Conference of the Parties (“COP”), including the Paris Agreement adopted at COP21. As the German Constitutional Court (Bundesverfassungsgericht) rightly stated, in § 204 of its judgment of 24 March 2021 (referred to in the judgment as Neubauer and Others v. Federal Republic of Germany):
The Paris Agreement very much relies on mutual trust as a precondition for effectiveness. In Art. 2(1)(a) PA, the Parties agreed on a climate target (well below 2oC and preferably 1.5oC) without committing themselves to any specific reduction measures. In this respect, the Paris Agreement establishes a voluntary mechanism by which the Parties determine their own measures for reaching the agreed temperature target. These measures must, however, be made transparent. The purpose of the transparency provisions is to ensure that all states are able to trust that other states will act in conformity with the target ([...]). Creating and fostering trust in the willingness of the Parties to achieve the target is therefore seen as a key to the effectiveness of the Paris Agreement. Indeed, the Agreement is highly reliant on the individual states making their own contributions.
10. It is in this context and in light of the need, in order to address the issue effectively, for mutual trust and cooperation amongst all the nations of the World or at least the now 198 Contracting Parties to the UNFCCC (including other major GHG emitters such as the United States, China and India) that it seems to me that this Court should act with extreme caution and prudence. This is even more so where:
(a) as it has repeatedly acknowledged, the Convention is not “specifically designed to provide general protection of the environment as such; to that effect, other international instruments and domestic legislation are more pertinent in dealing with this particular aspect” (Kyrtatos v. Greece, no. 41666/98, § 52, ECHR 2003-VI (extracts)); and
(b) none of the proposals of the Parliamentary Assembly of the Council of Europe (“PACE”)[210] to provide the Court with an express competence in relation to a clean and healthy environment through the adoption of a protocol or otherwise have so far[211] found the approval of the Contracting Parties to the Convention.
11. Furthermore, it seems to me that the potentially enormous evidential and scientific complexities which, by definition, have to inform any effective – cross-sectoral and cross-border - engagement with the issue of anthropogenic climate change also poses a very real question as to whether (and, if so, how) this Court (and, on the majority’s approach, the Committee of Ministers in the context of the execution of judgments under Article 46 of the Convention), can adequately or at all contribute to (rather than hinder) the fight against climate change in the absence of any clear or agreed measures or guidelines. After all, the necessary (and detailed) engagement with scientific evidence in the context of what the Court in Powell and Rayner v. the United Kingdom, 21 February 1990, § 44, Series A no. 172 described (in the context of the arguably simpler issue of aircraft noise) as “this difficult social and technical sphere” is not currently part of the Court’s working practices.
12. Just by way of example, in the week between 29 January and 2 February 2024, i.e. shortly before this judgment was adopted, an expert review team of the Subsidiary Body for Implementation (“SBI”),[212] set up to assist the governing bodies of the UNFCCC,[213] the Kyoto Protocol[214] and the Paris Agreement,[215] was due to review Switzerland’s Eighth National Communication and Fifth Biennial Report under the UNFCCC/Fifth National Communication under the Kyoto Protocol to the UNFCCC, of 16 September 2022.[216] This report, which runs to 297 densely typed pages, covers inter alia detailed evidence in relation to Switzerland’s compliance with the clearly quantified emissions limitations and reduction commitments incumbent upon it as an Annex I Party to the Kyoto Protocol. The expert review team which considered and reported on Switzerland’s previous (2022) Submissions consisted of 21 experts from different Contracting Parties covering six specialist review areas (“Generalist”, “Energy”, “IPPU” (industrial processes and product use), “Agriculture”, “LULUCF and KP‑LULUCF” (land use, land-use change and forestry; and activities under Article 3, paragraphs 3–4, of the Kyoto Protocol) and “Waste”) with two lead reviewers.[217]
13. It seems to me to be clear that the Court (or the Committee of Ministers) does not, in fact, have the capacity to engage in anything approaching such a review process to ensure, as the majority seems to envisage, that Contracting Parties have “adopt[ed], and ... effectively appl[ied] in practice, regulations and measures capable of mitigating the existing and potentially irreversible, future effects of climate change”.
14. As an aside, it is also noteworthy – and serves to reinforce the point made by the Bundesverfassungsgericht (above) – that the move, in the context of the Paris Agreement, away from binding and specific reduction measures (binding only on some Contracting Parties, i.e. the Annex I Parties to the Kyoto Protocol) to the voluntary mechanism by which the (all) Contracting Parties determine their own Nationally Determined Contributions (NDC)appears to have been a deliberate shift in approach. This shift was intended to ensure that this “common concern of mankind” is addressed by all States on the basis of “the principle of common but differentiated responsibilities and respective capabilities, in the light of different national circumstances” (Article 2(2) Paris Agreement); a principle or concept which seems to be difficult to reconcile (if not wholly inconsistent) with the Court’s primary role of ensuring observance of a common minimum standard of protection applicable equally to all Contracting Parties (see § 20(b) below).
15. In relation to the clear need for “urgent” action, it also seems to me that, even more so in light of the political complexities arising in the context of identifying and implementing the necessary measures to counter climate change effectively and swiftly, there must be significant doubt that proceedings before this Court can make a meaningful contribution. In fact, there must be a real risk that
(a) as is frequently the case when the Court is concerned with an “abstract” review of a legislative or regulatory regime, the legislation/regulatory regime before the Court (as considered, where applicable, by the national courts in the context of the exhaustion of domestic remedies) has long been replaced or changed substantially (see by way of recent example Big Brother Watch and Others v. the United Kingdom [GC], nos. 58170/13 and 2 others, §§ 269-270, 25 May 2021); and/or
(b) in any event, proceedings before this Court are much more likely to distract the Contracting Parties and slow down the necessary processes and, even if a judgment is obtained, any delay and/or failure in the implementation of any judgment is only likely to undermine the need for urgent action and, potentially, the rule of law.
The Court’s role and evolutive interpretation
16. As the Court has consistently made clear, its principal role is “to ensure the observance of the engagements undertaken by the Contracting States (Article 19 of the Convention). In accordance with Article 32 of the Convention, the Court provides the final authoritative interpretation of the rights and freedoms defined in Section I of the Convention” (see most recently Humpert and Others v. Germany [GC], nos. 59433/18 and 3 others, § 69, 14 December 2023).
17. The applicable principles of interpretation applied by the Court in this context were recently summarised in Slovenia v. Croatia (dec.) [GC], no. 54155/16, § 60, 18 November 2020 (based on the judgment in Magyar Helsinki Bizottság v. Hungary [GC], no. 18030/11, §§ 118-22 and 125, 8 November 2016; with further references):
(a) As an international treaty, the Convention must be interpreted in the light of the rules of interpretation provided for in Articles 31 to 33 of the Vienna Convention on the Law of Treaties of 23 May 1969 (...). In accordance with those provisions, the Court is required to ascertain the ordinary meaning to be given to the words in their context and in the light of the object and purpose of the provision from which they are drawn.
(b) Regard must also be had to the fact that the context of the provision is a treaty for the effective protection of individual human rights and that the Convention must also be read as a whole, and interpreted in such a way as to promote internal consistency and harmony between its various provisions.
(c) The object and purpose of the Convention, as an instrument for the protection of human rights, requires that its provisions must be interpreted and applied in a manner which renders its rights practical and effective, not theoretical and illusory. Moreover, as an instrument for the protection of human rights, the Convention comprises more than mere reciprocal engagements between Contracting States.
(d) When interpreting the Convention, recourse may also be had to supplementary means of interpretation, including the travaux préparatoires of the treaty, either to confirm a meaning determined in accordance with other methods, or to establish the meaning where it would otherwise be ambiguous, obscure, or manifestly absurd or unreasonable.
18. However, the Court has also always explained that there are clear limits as to what can legitimately be achieved by means of interpretation; limits which flow from the fact that its role is limited to interpreting the provisions of the Convention (and its Protocols):
(a) while it must take into account any relevant rules and principles of international law applicable in relations between the Contracting Parties and the Convention should so far as possible be interpreted in harmony with other rules of international law of which it forms part (see Güzelyurtlu and Others v. Cyprus and Turkey [GC], no. 36925/07, § 235, 29 January 2019 and authorities cited there; and Article 31 § 3 (c) of the Vienna Convention of 23 May 1969 on the Law of Treaties), the Court only “has authority to ensure that the text of the European Convention on Human Rights is respected (...). It is the Convention which the Court can interpret and apply; it does not have authority to ensure respect for international treaties or obligations other than the Convention (...)” (Caamaño Valle v. Spain, no. 43564/17, § 53, 11 May 2021); and
(b) “the Court cannot, by means of an evolutive interpretation, derive from these instruments a right that was not included therein at the outset. This is particularly so here, where the omission was deliberate” (see Johnston and Others v. Ireland, 18 December 1986, § 53, Series A no. 112; Austin and Others v. the United Kingdom [GC], nos. 39692/09 and 2 others, § 53, ECHR 2012; and Ferrazzini v. Italy [GC], no. 44759/98, § 30, ECHR 2001-VII).
19. As is clear from the historic refusal of the Contracting Parties to the Convention to respond positively to the repeated calls by the Parliamentary Assembly of the Council of Europe for the adoption of an additional protocol to the Convention which would provide for (and give the Court jurisdiction to ensure the observance of) a right to a clean and healthy environment (see above) and was, again, clear from the submissions of those Contracting Parties who were third party interveners in this case[218] and/or defendants in Duarte Agostinho and Others,[219] even if this issue was not, perhaps, considered at the time of the drafting of the original Convention, the omission from the Convention as it stands today of such a right was not coincidental.
20. In the context of the present case it is further important to have regard to the following:
(a) the Court has consistently recognised the fundamental (foundational) importance within the Convention system of the concept of “effective political democracy” governed by the rule of law as reflected in the Court’s approach to subsidiary and the (usually wide) margin of appreciation:
... the Court reiterates the fundamentally subsidiary role of the Convention. The national authorities have direct democratic legitimation and are, as the Court has held on many occasions, in principle better placed than an international court to evaluate local needs and conditions (...). In matters of general policy, on which opinions within a democratic society may reasonably differ widely, the role of the domestic policy-maker should be given special weight (see James and Others v. the United Kingdom, judgment of 21 February 1986, Series A no. 98, p. 32, § 46, where the Court found it natural that the margin of appreciation “available to the legislature in implementing social and economic policies should be a wide one”) (Hatton and Others v. the United Kingdom [GC], no. 36022/97, § 97, ECHR 2003-VIII with further authorities, see also Athanassoglou and Others v. Switzerland [GC], no. 27644/95, § 54, ECHR 2000-IV);
(b) while “nothing prevents the Contracting States from adopting a broader interpretation entailing a stronger protection of the rights and freedoms in question within their respective domestic legal systems (Article 53 of the Convention)” (see e.g. Gestur Jónsson and Ragnar Halldór Hall v. Iceland [GC], nos. 68273/14 and 68271/14, § 93, 22 December 2020) or through other international treaties or European Union law (Krombach v. France (Dec), no. 67521/14, § 39, 20 February 2018), the role of the Convention (and within it the Court) is clearly to lay down (and to ensure observance of) minimum standards of human rights protection; and
(c) as the principles of subsidiarity and the margin of appreciation (both now, following the entry into force of Protocol No 15, provided for in the Preamble of the Convention and reflected, even if not exactly, in domestic law by the principle of the separation of powers between the legislature and the judiciary (see A. v. the United Kingdom, no. 35373/97, § 77, ECHR 2002-X) make clear that, in relation to questions of social and economic policy requiring the careful weighing up of competing rights and interests (frequently, if not invariably in this context, including the rights and interests of parties not before the court), in a functioning democracy as envisaged by the Convention, this Court (and the courts more generally) take a subsidiary role to the democratically legitimated legislature and executive (or, in the context of an international treaty, the authorities of the Contracting Parties).
21. This latter point is, of course, of particular relevance in the present case where the most recent 2020 (Third) CO2 Act, though adopted by Parliament, was expressly rejected by a popular vote in the course of a referendum in June 2021 (see e.g. §§ 92 and 94 of the judgment). It seems to me that great care is required in such a context not to be perceived to be relying (at least in part) on this very expression of the democratic will of the people of Switzerland as a basis for finding a violation of Article 8.
“Victim” status/standing
22. When considering the question of “victim” status in this case, it is important to note at the outset that there was, in fact, no dispute and no uncertainty about the “victim” status of the individual applicants in relation to the Article 6 § 1 complaint in this case; and therefore no need to join that question to the merits. The only real issue on this question arose in relation to the complaints brought under Article 2 and/or 8 of the Convention.
23. This is, of course, not surprising. After all, as the majority note in § 590 of the judgment, relying inter alia on the judgment in Balmer-Schafroth and Others v. Switzerland, 26 August 1997, § 26, Reports of Judgments and Decisions 1997-IV, “[i]n order to claim to be a ‘victim’ in the context of an alleged violation of Article 6 of the Convention, and to complain of alleged procedural shortcomings under that provision, it is normally sufficient that the applicant was affected as a party to the proceedings brought by him or her before the domestic courts”. In Balmer-Schafroth and Others the Court was concerned with an objection to the extension of an operating licence for a nuclear power station. Rejecting the Government’s objection that the applicants in that case were not victims, the Court expressly confirmed that:
Under the Court’s case-law, for the purposes of Article [34] the word “victim” means the person directly affected by the act or omission in issue....
In the instant case, the fact that the Federal Council declared admissible the objections the applicants wish to raise before a tribunal (see paragraph 11 above) justifies regarding them as victims. The first preliminary objection must therefore be dismissed.
24. This rationale, of course, applies with equal force in the present case where the Federal Administrative Court, at first instance, expressly recognised that the individual applicants had “an ‘interest worthy of protection’ in the revocation or amendment of the impugned DETEC decision, which made the appeal admissible from that perspective” (§ 35).
25. Furthermore and in any event,
(a) the Swiss Government (perhaps as a result of the judgment in Balmer‑Schafroth and Others) did not, in fact, challenge the “victim” status of the individual applicants (§ 592); and
(b) in § 618, the majority expressly asserts that “the interests defended by the association are such that the ‘dispute’ raised by it had a direct and sufficient link to its members’ rights in question”, sufficient to confirm the latter as the real “victims” (see also § 621).
26. In light of this clear and uncontested position as to the “victim” status of the individual applicants under Article 6 § 1 it would, in my view, have been more obvious and more appropriate to address the complaint about the denial of access to court first; before then, if necessary, moving on to consider the complaint(s) under Articles 2 and 8 of the Convention.
27. Nevertheless, the majority decided to approach the latter issue(s) first and, as a result, once they came to consider Article 6, were inevitably compelled to join the question of “victim” status under Article 6 § 1 to the question of the admissibility of that provision (§ 593) and to conclude, ultimately, that only the association has “victim” status (§ 623).
28. This approach and conclusion was, in my view, the inevitable consequence of the novel approach the majority decided to take to the question of “victim” status under Article(s 2 and) 8 and the resulting need to find a way to reconcile this approach with both the existing case-law on “victim” status and the uncontested “victim” status of the individual applicants under Article 6.
29. In relation to the approach to “victim” status more generally, the judgment rightly notes (§ 460) that:
The Convention does not provide for the institution of an actio popularis. The Court’s task is not normally to review the relevant law and practice in abstracto, but to determine whether the manner in which they were applied to, or affected, the applicant gave rise to a violation of the Convention (see, for instance, Roman Zakharov v. Russia [GC], no. 47143/06, § 164, ECHR 2015, with further references). Accordingly, a person, non-governmental organisation or group of individuals must be able to claim to be a victim of a violation of the rights set forth in the Convention. The Convention does not permit individuals or groups of individuals to complain about a provision of national law simply because they consider, without having been directly affected by it, that it may contravene the Convention (see Aksu v. Turkey [GC], nos. 4149/04 and 41029/04, §§ 50-51, ECHR 2012).
30. As the Court confirmed this position again in Yusufeli İlçesini Güzelleştirme Yaşatma Kültür Varlıklarını Koruma Derneği v. Turkey (dec.), no. 37857/14, § 41, 7 December 2021, this time in relation to associations:
... there are two principal reasons why an association may not be considered to be a direct victim of an alleged violation of the Convention. The first reason is the prohibition on the bringing of an actio popularis under the Convention system; this means that an applicant cannot lodge a claim in the public or general interest if the impugned measure or act does not affect him or her directly. It follows that in order for an applicant to be able to argue that he is a victim, he must produce reasonable and convincing evidence of the likelihood that a violation affecting him personally will occur; mere suspicion or conjecture is insufficient in this respect (...). ...
31. In Asselbourg and Others v. Luxembourg (dec.), no. 29121/95, ECHR 1999-VI, in the specific context of environmental protection, the Court further explained that:
From the terms “victim” and “violation” in Article 34 of the Convention, like the underlying philosophy of the obligation to exhaust all domestic remedies imposed by Article 35, it can be deduced that, in the system for the protection of human rights as envisaged by the framers of the Convention, exercise of the right of individual petition cannot have the aim of preventing a violation of the Convention. It is only in wholly exceptional circumstances that the risk of a future violation may nevertheless confer the status of “victim” on an individual applicant, and only then if he or she produces reasonable and convincing evidence of the probability of the occurrence of a violation concerning him or her personally: mere suspicions or conjectures are not enough in that respect.
In the instant case, the Court considers that the mere mention of the pollution risks inherent in the production of steel from scrap iron is not enough to justify the applicants’ assertion that they are the victims of a violation of the Convention. They must be able to assert, arguably and in a detailed manner, that for lack of adequate precautions taken by the authorities the degree of probability of the occurrence of damage is such that it can be considered to constitute a violation, on condition that the consequences of the act complained of are not too remote (see, mutatis mutandis, the Soering v. the United Kingdom judgment of 7 July 1989, Series A no. 161, p. 33, § 85 (emphasis added)).
32. This approach was developed further, in relation to non-governmental organisations, in Yusufeli İlçesini Güzelleştirme Yaşatma Kültür Varlıklarını Koruma Derneği v. Turkey (dec.), § 41, cited above:
... there are two principal reasons why an association may not be considered to be a direct victim of an alleged violation of the Convention. .... The second reason concerns the nature of the Convention right at stake and the manner in which it has been invoked by the applicant association in question. Certain Convention rights, such as those under Article 2, 3 and 5, by their nature, are not susceptible of being exercised by an association, but only by its members (...). In Asselbourg and Others (cited above), when declining to grant victim status to the applicant association, the Court noted that the applicant association could only act as a representative of its members or employees, in the same way as, for example, a lawyer represented his client, but could not itself claim to be the victim of a violation of Article 8.
33. In fact the Court, in Asselbourg and Others, cited above, explained its conclusion on the basis that:
With regard to the association Greenpeace-Luxembourg, the Court considers that a non-governmental organisation cannot claim to be the victim of an infringement of the right to respect for its “home”, within the meaning of Article 8 of the Convention, merely because it has its registered office close to the steelworks that it is criticising, where the infringement of the right to respect for the home results, as alleged in this case, from nuisances or problems which can be encountered only by natural persons. In so far as Greenpeace-Luxembourg sought to rely on the difficulties suffered by its members or employees working or spending time at its registered office in Esch-sur-Alzette, the Court considers that the association may only act as a representative of its members or employees, in the same way as, for example, a lawyer represents his client, but it cannot itself claim to be the victim of a violation of Article 8 (...).
34. As a result it is only in “highly exceptional circumstances” that a person can either (a) seek a review of the relevant law and practice in abstracto or (b) claim to be a “victim” in relation to the risk of a “future violation”. As the Court summarised the position in relation to the latter in Berger-Krall and Others v. Slovenia, no. 14717/04), § 258, 12 June 2014:
... the exercise of the right of individual petition [under Article 34] cannot be used to prevent a potential violation of the Convention: in theory, the Court cannot examine a violation other than a posteriori, once that violation has occurred.
There is, therefore, other than in “highly exceptional circumstances” no basis on which the applicants in this case can be the victim of a “future risk” under Articles 2 and/or 8 or seek an in abstracto review of the relevant law and practice.
35. The principal examples of such “highly exceptional circumstances” recognised to date are
(a) in relation to “future” risk,
(i) complaints concerning a prima facie risk of inhuman and degrading treatment faced by the individual applicant in the receiving country in cases of expulsion or extradition (starting with Soering v. the United Kingdom, 7 July 1989, Series A no. 161); and
(ii) where, in the context of a negative obligation arising under the Convention, “a person [...] contend[s] that a law violates his rights, in the absence of an individual measure of implementation, if he is required either to modify his conduct or risk being prosecuted (...) or if he is a member of a class of people who risk being directly affected by the legislation” (Burden v. the United Kingdom [GC], no. 13378/05, § 34, ECHR 2008; see also Norris v. Ireland, 26 October 1988, § 32, Series A no. 142); and
(b) in relation to an alleged present or past risk, in cases of secret surveillance (also primarily a question of the negative obligation of the state not to interfere with the applicant’s right to respect for private life) where “an exception to the rule denying individuals the right to challenge a law in abstracto is justified ... only if he is able to show that, due to his personal situation, he is potentially at risk of being subjected to such measures” (see e.g. Roman Zakharov v. Russia [GC], no. 47143/06, § 171, ECHR 2015).
36. By contrast, the Commission decision in Noël Narvii Tauira and 18 Others v. France (application no. 28204/95, Commission decision of 4 December 1995, Decisions and Reports (DR) 83-B, p. 112), expressly relied on by the Court in Berger-Krall and Others, did not fall within this category of “highly exceptional circumstances”. In that case, the Commission declared inadmissible for lack of “victim” status complaints concerning the decision of the French President to resume nuclear testing in Tahiti. Despite having been provided with a whole series of scientific reports and evidence of the experience of past Nuclear tests, the Commission concluded that, absent “an arguable and detailed claim that, owing to the authorities’ failure to take adequate precautions, the degree of probability that damage will occur is such that it may be deemed to be a violation, on condition that the consequences of the act complained of are not too remote”, the application was inadmissible for lack of “victim status”.
37. The one crucial factor which is common to these very few recognised and legitimate cases of “highly exceptional circumstances” permitting apparent derogation from the mandatory requirement for the alleged victim to have been “directly affected” (in the past) by the measure in question, or, in so far as applicable in cases of positive obligations, by the respondent government’s failure to act, seems to be that identified by Mr. Justice Clarke, the then Chief Justice of Ireland, in his judgment in Friends of the Irish Environment v The Government of Ireland & Ors [2020] IESC 49 (31 July 2020) at § 7.21:
... there are circumstances in which an overly strict approach to standing could lead to important rights not being vindicated. However, that does not take away from the importance of standing rules in our constitutional order. The underlying position was reiterated in the recent decision of this Court in Mohan, which re-emphasised the need, ordinarily, for a plaintiff to be able to demonstrate that they have been affected in reality or as a matter of fact by virtue of the measure which they seek to challenge on the basis that it breaches rights. That remains the fundamental proposition. The circumstances in which it is permissible to accord standing outside the bounds of that basic principle must necessarily be limited and involve situations where there would be a real risk that important rights would not be vindicated unless a more relaxed attitude to standing were adopted.
38. This is, of course, also the underlying rationale for granting standing for associations who are not (or cannot be) direct victims such as in Centre for Legal Resources on behalf of Valentin Câmpeanu v. Romania [GC], no. 47848/08, §§ 111 - 113, ECHR 2014, where “the Court [was] satisfied that in the exceptional circumstances of this case and bearing in mind the serious nature of the allegations, it should be open to the CLR to act as a representative of Mr Câmpeanu, notwithstanding the fact that it had no power of attorney to act on his behalf and that he died before the application was lodged under the Convention”.
39. As a consequence, I fully accept that it might, in principle, be permissible, exceptionally and subject to clear conditions including the availability and effectiveness of the available domestic remedies, for the Court to recognise an exception to the established rules on “victim” status and standing under Article 34 of the Convention. This is, of course, little more than an expression of the principle of effectiveness, seeking “to render [the Convention] safeguards practical and effective, not theoretical and illusory” (see Muhammad and Muhammad v. Romania [GC], no. 80982/12, § 122, 15 October 2020 with further authorities).
40. However, it is also absolutely clear from the Court’s case-law that this could only be the case (again following the approach identified) where it is accepted – as I think it has to be in the context of climate change – that, in fact, no individual applicant complaining about a State’s failure to take adequate mitigation measures is likely ever to be able to establish that “for lack of adequate precautions taken by the authorities the degree of probability of the occurrence of damage is such that it can be considered to constitute a violation, on condition that the consequences of the act complained of are not too remote” (Asselbourg and Others, cited above and Noël Narvii Tauira and 18 Others).
41. Unfortunately, rather than go down this path, the majority has chosen what, in my view, is the worst of both worlds. After all, the majority has (at least implicitly) accepted that the application of the established “victim” test would not, in fact, lead to a situation where there would be a real risk that important rights of the individual applicants “would not be vindicated” at all as:
(a) the reasons given for the conclusion that the individual applicants in the present case did not satisfy the “victim” test neither rely on nor establish any such impossibility. In fact, the only reason given is that these individual applicants had failed to produce sufficient evidence to establish the necessary “direct impact” (§§ 532 -533 “... as regards applicants nos. 2-4 ... it is not apparent from the available materials that they were exposed to the adverse effects of climate change, or were at risk of being exposed at any relevant point in the future, with a degree of intensity giving rise to a pressing need to ensure their individual protection” and § 534 “... the fifth applicant provided a very general declaration not indicating any particular morbidity or other serious adverse effects created by heatwaves that would go beyond the usual effects which any person belonging to the group of older women might experience. ... It is therefore not possible to establish a correlation between the applicant’s medical condition and her complaints before the Court”); and
(b) the test laid down in §§ 486 – 488 for the assessment of “a real risk of a ‘direct impact’ on the applicant”, while described in § 488 as “especially high”, does not, in fact, seem to me to differ significantly (if at all) from the test summarised in Asselbourg and Others, cited above.
42. Of course, I also, in principle, perfectly understand (and share) the majority’s desire to ensure inter-generational justice and to “avoid a disproportionate burden on future generations” (§ 549). However, not having sought (or having been unable) to establish the necessary “highly exceptional circumstances” to justify the need for an exception to the traditional “victim”/standing test and absent an express provision in the Convention akin to Article 20a of the German Basic Law (Grundgesetz) (as considered by the Bundesverfassungsgericht in Neubauer) or the proposed Articles 2 and 3 of the proposed text for an additional protocol to the European Convention on Human Rights set out in the Appendix to PACE Recommendation 2211 (2021) Anchoring the right to a healthy environment: need for enhanced action by the Council of Europe, the inevitable conclusion is that there is no basis for drawing any enforceable obligation from the current text of the Convention to combat “future risk” in respect of the applicants before the Court and even less to combat a “future risk” in respect of “future generations”, i.e. by or on behalf of individuals who are, by definition, not even before the Court.
43. That being the case, the conclusions reached in §§ 532 – 534 of the judgment should have led the Court to declare this part of the application (under Articles 2 and/or 8) inadmissible; leaving the issues raised in relation to the alleged failure to take the necessary and/or appropriate mitigation measures in relation to the risks created by climate change for an appropriate future case in which the applicants could show, by reference either to the traditional test or the test identified in the judgment, that they were “directly affected” (or, of course, in the context of a request for an advisory opinion under Protocol No 16).
44. A further result of the approach adopted by the majority in relation to the individual applicants was that there was no need and no justification for the innovation of granting “victim” status/standing to the applicant association whether “as representatives of the individuals whose rights are or will allegedly be affected” (§ 498) or at all:
(a) such a development has no basis in the language of Article 34 of the Convention, which expressly makes the standing of a “non-governmental organisation or group of individuals” subject to them “claiming to be victims of a violation” themselves;
(b) for the reasons set out above, there is no justification in terms of the need to ensure effective access to the Court for creating such a right to bring proceedings before the Court, effectively by means of law making rather than interpretation; and
(c) the fact that “climate-change litigation often involves complex issues of law and fact, requiring significant financial and logistical resources and coordination, and the outcome of a dispute will inevitably affect the position of many individuals”, while perhaps justifying allowing associations to act as legal representatives of individual “victims” (which they, of course, can and do already), cannot justify giving them standing in their own right (and, even less so, giving them standing independently of whether their members are “victims” or not).
45. Nevertheless, that is exactly what the majority did and, in my view, in doing so, they created exactly what the judgment repeatedly asserts it wishes to avoid, namely a basis for actio popularis type complaints (see e.g. §§ 446, 481, 484, 488, 500 and 596). After all:
(a) the majority recognise that
(i) “[g]iven the nature of climate change and its various adverse effects and future risks, the number of persons affected, in different ways and to varying degrees, is indefinite” (§ 479);
(ii) “the fact that complaints may concern acts or omissions in respect of various types of general measures, the consequences of which are not limited to certain identifiable individuals or groups but affect the population more widely. The outcome of legal proceedings in this context will inevitably have an effect beyond the rights and interests of a particular individual or group of individuals, and will inevitably be forward-looking, in terms of what is required to ensure effective mitigation of the adverse effects of climate change or adaptation to its consequences” (§ 479); and
(iii) “in the climate-change context, everyone may be, one way or another and to some degree, directly affected, or at a real risk of being directly affected, by the adverse effects of climate change. Leaving aside the issue of jurisdiction, the fact remains that potentially a huge number of persons could claim victim status under the Convention on this basis” (§ 483); and
(b) while purporting to maintain the principle in the case-law that an association cannot, itself, rely on health considerations or nuisances and problems associated with climate change which can only be encountered by natural persons (§ 496), associations are nevertheless now granted the broadest standing “for the purpose of seeking the protection of the human rights of those affected, as well as those at risk of being affected, by the adverse effects of climate change” (§ 499), without, however, even being limited to protecting the rights of/representing their members. After all, the test for such standing laid down in § 502 expressly
(i) extends the remit of their standing to representing “members or other affected individuals within the jurisdiction”; and
(ii) does not require that those “members or other affected individuals within the jurisdiction”, on whose behalf the case has been brought, have to meet the “victim” status requirements for individuals. This aspect is further underlined by the fact that, in relation to the applicant association in the present case, the majority considered it enough to be satisfied that the association “represents a vehicle of collective recourse aimed at defending the rights and interests of individuals against the threats of climate change in the respondent State” (§ 523, emphasis added).
46. This, of course, has to be read in light of the stated overall rationale (§ 499) that “[i]n view of the urgency of combating the adverse effects of climate change and the severity of its consequences, including the grave risk of their irreversibility, States should take adequate action notably through suitable general measures to secure not only the Convention rights of individuals who are currently affected by climate change, but also those individuals within their jurisdiction whose enjoyment of Convention rights may be severely and irreversibly affected in the future in the absence of timely action.”
47. There is one further aspect of the issue of “victim” status/standing of associations, alluded to in § 503, which is worth noting. The majority there recognises that there exist in numerous Contracting Parties “existing limitations regarding the standing before the domestic courts of associations”. This, of course, potentially raises difficulties in relation to the requirement (under Article 35 § 1 of the Convention) that “the Court may only deal with the matter after all domestic remedies have been exhausted”, an essential component of the principle of subsidiarity. How is the Court to deal with an application brought before it by an association against a Contracting Party whose domestic procedural law does not provide for standing to be accorded to associations (generally or, at least, outside the very clear and narrow confines of the Aarhus Convention)?
48. The traditional answer would, of course, be that, unless there are domestic remedies which are available in theory and in practice at the relevant time and which the applicant (association) can directly institute themselves, an application can be made directly to the Court which would then, effectively, act as a first instance court. However, the majority seeks to answer this question by stating that “the Court may also, in the interests of the proper administration of justice, take into account whether, and to what extent, its individual members or other affected individuals may have enjoyed access to a court in the same or related domestic proceedings” (§ 503, emphasis added). The weakness of this “may” is clearly demonstrated by the facts of this case. After all, not only is the applicant association granted standing despite the fact that neither it nor its “individual members or other affected individuals” had effective access to court before applying to the Court; in fact, the very absence of access to court for the individual applicants in this case is used as the final justification for granting it standing “in the interests of the proper administration of justice” (§ 523).
49. Furthermore, even if this criterion were to be taken “into account” in future cases it will remain to be seen whether (and, if so, how) the Court is going to determine whether the exhaustion requirement has been fulfilled by reference to possible domestic litigation brought by “other affected individuals” over which litigation, by definition, the association will not have had any control or influence (for an example of the inverse situation in this context see Kósa v. Hungary (Dec.), no. 53461/15, §§ 59‑63, 21 November 2017). After all, the Grand Chamber has only recently had cause to reaffirm that “[i]n order to be able to lodge an application in accordance with Article 34 of the Convention, an individual must be able to show that he or she was directly affected by the measure complained of; this is indispensable for putting the protection mechanism of the Convention into motion (...). Likewise, the Court can base its decision only on the facts complained of (...). Therefore, it is not sufficient that a violation of the Convention is ‘evident’ from the facts of the case or the applicant’s submissions. Rather, the applicant must complain that a certain act or omission entailed a violation of the rights set forth in the Convention or the Protocols thereto (...), in a manner which should not leave the Court to second-guess whether a certain complaint was raised or not (...)” (Grosam v. the Czech Republic [GC], no. 19750/13, § 90, 1 June 2023).
50. As a consequence, it seems to me that a very real question that arises is whether the approach adopted by the majority means that:
(a) Contracting Parties will ultimately feel the need, or even be required, to introduce rules to permit such standing under domestic law, whether as a matter of strict legal obligation (under Articles 2, 8 and/or 13) or “just” in order to ensure that their national courts can consider the Convention complaint before it is brought before and considered by the Court (in application of the principle of subsidiarity); or
(b) where no such standing for an association is provided for in national law, the Court will, in fact, find itself having to consider these applications as a court of first instance and without the benefit of any prior consideration by the national courts. While this is clearly a role which this Court is not designed and is generally ill equipped to fulfil, this would be even more challenging when confronted with the inevitably detailed and complex evidence seeking to establish whether or not the respondent State has “adopted, and effectively applied in practice, regulations and measures capable of mitigating the existing and potentially irreversible, future effects of climate change”, as envisaged by the majority.
51. This dilemma, of course, assumes a yet further relevance – especially in relation to the question of “adoption” of practice, regulations and measures - for those 27 Contracting Parties to the Convention who are also member states of the European Union (“EU”) and, in case of the planned accession by the EU to the Convention, the EU itself. After all,
(a) as the EU Commission stated in their intervention in the case of Duarte Agostinho and Others, “the EU sets Union-wide binding targets for climate and energy that all Member States have to comply with and achieve through national implementation”, under the umbrella of, inter alia, Regulation (EU) 2018/1999 on the Governance of the Energy Union and Climate Action and/or Regulation (EU) 2021/1119 establishing the framework for achieving climate neutrality (“European Climate Law”) as well as a broad range of individual (general and sectoral) legislative acts;[220] and
(b) as the judgment records in §§ 215–202, as the law stands it appears that individuals and associations only have very limited standing before the Court of Justice of the European Union (“CJEU”) under Article 263 TFEU.
Article 6 – access to court
52. In relation to the substantive complaint under Article 6 concerning the alleged denial of access to court, it is perhaps helpful that the leading authorities on this question are, in fact, two Grand Chamber cases against Switzerland (and in the context of environment law): Balmer-Schafroth and Others, cited above and Athanassoglou and Others v. Switzerland [GC], cited above).
53. Before considering (briefly) the individual components required to be satisfied in relation to the applicability and a finding of a violation of Article 6 § 1, I want to make it clear that I agree with the majority (see e.g. §§ 594, 609, 616 and 627) that Article 6 § 1 does not guarantee a right of access to a court with power to invalidate or override laws enacted by parliament and/or to compel the adoption of laws. In fact, the Grand Chamber in Athanassoglou and Others, § 54, cited above expressly underlined that the question “how best to regulate the use of nuclear power is a policy decision for each Contracting State to take according to its democratic processes”. As a result, I also agree that only the “applicants’ complaint concerning effective implementation of the mitigation measures under existing law is a matter capable of falling within the scope of that provision” (§ 616) while those seeking “legislative and regulatory action” fall outside the scope of Article 6 § 1 (§ 615, referring to e.g. points 1-3 and some items under point 4 of the applicants’ claims identified in § 22 of the judgment).
54. The majority of the questions concerning the applicability of (the civil limb of) Article 6 § 1 are readily answered by reference to the Court’s judgments in the two previous cases against Switzerland, mentioned above, which apply with equal force in the present case:
(a) in relation to the necessary “existence of one or more ‘rights’ recognised under domestic law”, the judgment in Balmer-Schafroth and Others, cited above, § 34, held that “the right to have their physical integrity adequately protected”, in that case from the risks entailed by the use of nuclear energy, “is recognised in Swiss law, as is apparent in particular from section 5 (1) of the Nuclear Energy Act – to which both the applicants and the Federal Council expressly referred – and from the constitutional right to life, on which the Federal Council commented in its decision”. This was, again, confirmed in Athanassoglou and Others, § 44, cited above, where the Court noted that these rights “are, as the Government have always conceded, ones accorded to individuals under Swiss law, notably in the Constitution and in the provisions of the Civil Code governing neighbours’ rights”. Just as in Balmer-Schafroth and Others and Athanassoglou and Others there would seem to me to be no reason why the “civil right” in this case could not also be defined not only as enshrined in Article 10 of the Federal Constitution (the right to life and to personal freedom) but also by reference to the CO2 legislation (i.e. the CO2 Act and the CO2 Ordinance) as invoked by the applicants before the domestic authorities and courts and as summarised in §§ 123 – 126 of the judgment; and
(b) in relation to the existence of a “genuine and serious” dispute (“contestation”) of a justiciable nature over those “rights”, the Court, in Balmer-Schafroth and Others, §§ 37 – 38, cited above, confirmed that “[i]nasmuch as it sought to review whether the statutory requirements had been complied with, the Federal Council’s decision was therefore more akin to a judicial act than to a general policy decision ... Moreover, in the light of the above considerations and the fact that the Federal Council declared the applicants’ objection admissible, there can be no doubt that the dispute was genuine and serious”. In Athanassoglou and Others, § 45, cited above, the Court recorded that “[i]t was not contested by the Government in the light of the Court’s Balmer-Schafroth and Others judgment that there was a ‘genuine and serious’ dispute of a justiciable nature between the applicants and the decision-making authorities ...”. Applying these dicta to the present case, it is clear from the facts that “the FAC held that applicants nos. 2-5 had an ‘interest worthy of protection’ in the revocation or amendment of the impugned DETEC decision, which made the appeal admissible from that perspective” (§ 35). A similar approach was taken by the Federal Supreme Court: “The FSC considered that applicants nos. 2-5 had standing to lodge an appeal against the FAC’s judgment. The FSC, however, left it open whether the applicant association also had standing to lodge the appeal and considered it more appropriate to limit its considerations to applicants nos. 2-5.” (§ 53).
55. The only question which remains open, in light of the fact that the Court in both Balmer-Schafroth and Others and Athanassoglou and Others answered this question in the negative, is whether the outcome of the “dispute”/procedure was directly decisive for those domestic-law rights.
56. In Balmer-Schafroth and Others § 40, cited above, the Court based its conclusion on the fact that the applicants “did not for all that establish a direct link between the operating conditions of the power station which were contested by them and their right to protection of their physical integrity, as they failed to show that the operation of Mühleberg power station exposed them personally to a danger that was not only serious but also specific and, above all, imminent. In the absence of such a finding, the effects on the population of the measures which the Federal Council could have ordered to be taken in the instant case therefore remained hypothetical”. In Athanassoglou and Others, § 48, cited above, the Court identified the “remoteness” test to be applied as being “whether the applicants’ arguments were sufficiently tenable; it does not have to decide whether they were well-founded in terms of the applicable Swiss legislation”. After a detailed consideration of the assessment and inspection reports concerning the relevant power plant as well as the back-fitting to address the major on-going developments in nuclear power plant safety technology, the Court, nevertheless and contrary to the conclusion reached by the Commission (reported as Greenpeace Schweiz and others v Switzerland (Dec), no. 27644/95, 7 April 1997), concluded (at § 51) that “the facts of the present case provide an insufficient basis for distinguishing it from the Balmer‑Schaffroth and Others case”. By contrast, the Commission, relying on the Court’s judgment in Zander v. Sweden, 25 November 1993, § 25, Series A no. 279-B, had concluded that “the Federal Council’s discretion was not unfettered and there was serious disagreement between the authorities and the applicants. Finally, the outcome of the dispute was directly decisive for the applicants’ entitlement to protection against the effects of the nuclear power plant”.
57. In the context of the present case, it seems to me that the conclusion of the majority set out in § 618 would – mutatis mutandis - equally justify concluding that the outcome of the proceedings brought by the individual applicants was directly decisive for those domestic-law “civil” rights. The majority there held that “the association’s action was based on the threat arising from the adverse effects of climate change as they affected its members’ health and well-being (see Gorraiz Lizarraga and Others v. Spain, no. 62543/00, § 46, ECHR 2004-III). The Court is satisfied that the interests defended by the association are such that the “dispute” raised by it had a direct and sufficient link to its members’ [i.e. including the individual applicants’] rights in question”. This is further underlined by the fact that it would ultimately only have been through these proceedings before the national courts that the applicants could have sought compliance e.g. with the acknowledged failure by the Swiss authorities to meet even the GHG reduction target for 2020 (referred to in § 559).
58. Having established that Article 6 § 1, the right of access to court, was, in principle, applicable to the individual applicants it seems to me that, applying the reasoning of the majority in §§ 629 – 637 mutatis mutandis, to the extent that the applicants claims fell within the scope of Article 6 § 1, their “right of access to a court was restricted in such a way and to such an extent that the very essence of the right was impaired” (§ 638).
Articles 2 and 8 – the creation of a new right
59. Turning to the substantive complaints under Articles 2 and/or 8, it is telling of the majority’s whole approach, in the context of Article 2, that the reasoning moves from a quote taken from Nicolae Virgiliu Tănase v. Romania [GC], no. 41720/13, 25 June 2019 (in § 507) requiring evidence of an individual having been “the victim of an activity, whether public or private, which by its very nature put his or her life at real and imminent risk” (§ 140, emphasis added) to the (first, but in my view, questionable) conclusion (at § 509) that “the alleged failures of the State to combat climate change most appropriately fall into the category of cases concerning an activity which is, by its very nature, capable of putting an individual’s life at risk”. In so far as there is a causal connection at all, for the reasons set out above (when considering the question of “victim” status/standing) this is plainly too remote to be capable of engaging Article 2.
60. Having, therefore, at this early stage significantly underplayed (if not ignored) the need for any such risk to life to be “real and imminent” in order to fall within the competence of the Court, this question is then later addressed in §§ 512 – 513 of the judgment but not by reference to the further clarification provided in Nicolae Virgiliu Tănase at § 142. Recapitulating and rationalising the then (2019) existing case-law of the Court, the Grand Chamber in that case had made clear that “[w]here the real and imminent risk of death stemming from the nature of an activity is not evident, the level of the injuries sustained by the applicant takes on greater prominence. In such cases a complaint falls only to be examined under Article 2 where the level of the injuries was such that the victim’s life was put in serious danger”. Again, this is clearly not the scenario presented by these applicants. In legal terms, this difficulty is also not overcome by reference (in § 512) to the decisions in Kolyadenko and Others v. Russia, nos. 17423/05 and 5 others, 28 February 2012 (determining “imminence” of risk by reference to whether applicants were present or absent when their homes were flooded on 7 August 2001) or Brincat and Others v. Malta, nos. 60908/11 and 4 others, 24 July 2014 (where a complaint about exposure to asbestos was rejected on the basis that “[i]t can neither be said that their conditions constitute an inevitable precursor to the diagnosis of that disease, nor that their current conditions are of a life-threatening nature”). If anything, these decision confirm that any risk created by the alleged failure to act in this case cannot satisfy the “real and imminent” test.
61. Furthermore, even subject to this higher threshold, the test quoted – by its position in the reasoning in the Nicolae Virgiliu Tănase judgment - clearly only relates to “this procedural obligation” (§ 141), namely the “procedural obligation” identified in § 137 of that judgment: “Thirdly, the Court reiterates that the State’s duty to safeguard the right to life must be considered to involve not only these substantive positive obligations, but also, in the event of death, the procedural positive obligation to have in place an effective independent judicial system”. It does not and cannot relate to the separate “substantive positive obligation” entailing “a primary duty on the State to put in place a legislative and administrative framework designed to provide effective deterrence against threats to the right to life”, identified much earlier (in § 135) of Nicolae Virgiliu Tănase but which forms the blueprint for the positive obligation ultimately imposed by the majority under Article 8.
62. Arguably, therefore, (always assuming admissibility) the “procedural obligation” referred to in § 507 of the judgment (by reference to §§ 140 – 141 of Nicolae Virgiliu Tănase) might have been capable of being considered together with the complaint under Article 6 of the Convention and, if they had wanted to, enabled the majority to find a procedural violation of Article 2 and/or 8. However, the substantive violation of Article 8 which the majority seeks to construct from this starting premise has no basis either in the text of the Convention nor in any of the Court’s case-law.
63. As the judgment rightly notes (§ 445), the Court has repeatedly stressed that no Article of the Convention is specifically designed to provide general protection of the environment as such (see Kyrtatos v. Greece, no. 41666/98, § 52, ECHR 2003‑VI (extracts), and Cordella and Others, cited above, § 100) and that, to that effect, other international instruments and domestic legislation are more adapted to dealing with such protection. In Jugheli and Others v. Georgia, no. 38342/05, § 62, 13 July 2017 the Court further clarified that:
The Court reiterates at the outset that Article 8 is not violated every time an environmental pollution occurs. There is no explicit right in the Convention to a clean and quiet environment, but where an individual is directly and seriously affected by noise or other pollution, an issue may arise under Article 8 (...). Furthermore, the adverse effects of the environmental pollution must attain a certain minimum level if they are to fall within the scope of Article 8 (...). The assessment of that minimum is relative and depends on all the circumstances of the case, such as the intensity and duration of the nuisance, and its physical or psychological effects. There would be no arguable claim under Article 8 if the detriment complained of was negligible in comparison to the environmental hazards inherent to life in every modern city (...).
64. It is, of course, one of the characteristics of climate change that, in fact, its effects have become – at least by reference to any comparators within the respondent State – “environmental hazards inherent to life in every modern city” and, as such, no applicability of Article 8 is capable of being derived from such a comparison which, in the Court’s case-law, tended to be tied to or triggered by an identified source of (potential) pollution within the geographical vicinity.
65. Nevertheless, the majority went on, by reference to some of that very case-law, to
(a) create a new “right for individuals to effective protection by the State authorities from serious adverse effects on their life, health, well-being and quality of life arising from the harmful effects and risks caused by climate change” (§§ 519 and 544 of the judgment); and
(b) impose a new “primary duty” on High Contracting Parties “to adopt, and to effectively apply in practice, regulations and measures capable of mitigating the existing and potentially irreversible, future effects of climate change” (§ 545, emphasis added), an obligation which the majority translates into a requirement “that each Contracting State undertake measures for the substantial and progressive reduction of their respective GHG emission levels, with a view to reaching net neutrality within, in principle, the next three decades” (§ 548); neither of which have any basis in Article 8 or any other provision of or Protocol to the Convention.
66. Not only that, but the majority, in what seems to me to be a clear break with the Court’s traditional approach in relation to “difficult social and technical spheres” developed in the context of, arguably, (much) less complex spheres than the fight against anthropogenic climate change (see e.g. Powell and Rayner v. the United Kingdom, § 44, cited above and Hatton and Others, cited above, § 100), also considered that, in relation to this new obligation imposed on Contracting States, at least as far as “the State’s commitment to the necessity of combating climate change and its adverse effects, and the setting of the requisite aims and objectives in this respect” is concerned Contracting States will only be accorded a “reduced margin of appreciation” (§ 543). Only when concerned with the “choice of means, including operational choices and policies adopted in order to meet internationally anchored targets and commitments in the light of priorities and resources” does the majority allow for a “wide margin of appreciation”.
67. Compliance with either margin of appreciation will now be supervised by the Court (by means of an overall assessment relating both to mitigation as well as adaptation measures) and, it is to be assumed (in light of the requirement for exhaustion of domestic remedies under Article 35 § 1 of the Convention (see the discussion at §§ 47 et seq above) and the principle of subsidiarity) national courts and tribunals. This assessment is due to be carried out by reference to a detailed catalogue of criteria set out in § 550, including by reference to “the need to ... keep the relevant GHG reduction targets updated with due diligence, and based on the best available evidence” (§ 550 (d)), an assessment which, in my respectful view, the Court is ill-equipped and ill-suited to perform. The nature of this part of the test alone, of course, underlines why “the nature and gravity of the threat and the general consensus as to the stakes involved in ensuring the overarching goal of effective climate protection through overall GHG reduction targets in accordance with the Contracting Parties’ accepted commitments to achieve carbon neutrality” (§ 543) is wholly inadequate to explain or justify the adoption of such a fundamentally different approach to the margin of appreciation than the one Court has hitherto adopted.
Conclusion
68. In light of the above, and plainly recognising the nature or magnitude of the risks and the challenges posed by anthropogenic climate change and the urgent need to address them, the Court would already have achieved much if it had focussed on a violation of Article 6 of the Convention and, at a push, a procedural violation of Article 8 relating in particular to (again) the right of access to court and of access to information necessary to enable effective public participation in the process of devising the necessary policies and regulations and to ensure that compliance with and implementation of those policies and regulations as well as those already undertaken under domestic law is properly implemented and enforced. However, in my view, the majority clearly “tried to run before it could walk” and, thereby, went beyond what was legitimate for this Court, as the court charged with ensuring “the observance of the engagements by the High Contracting Parties in the Convention” (Article 19) by means of “interpretation and application of the Convention” (Article 32), to do.
69. I also do worry that, in having taken the approach and come to the conclusion they have, the majority are, in effect, giving (false) hope that litigation and the courts can provide “the answer” without there being, in effect, any prospect of litigation (especially before this Court) accelerating the taking of the necessary measures towards the fight against anthropogenic climate change. In fact, there is a significant risk that the new right/obligation created by the majority (alone or in combination with the much enlarged standing rules for associations) will prove an unwelcome and unnecessary distraction for the national and international authorities, both executive and legislative, in that it detracts attention from the on-going legislative and negotiating efforts being undertaken as we speak[221] to address the – generally accepted – need for urgent action. Not only will those authorities now have to assess and, if considered necessary, design and adopt (or have adopted) new “practice, regulations and measures capable of mitigating the existing and potentially irreversible, future effects of climate change” but there is also a significant risk that they will now be tied up in litigation about whatever practice, regulations and measures they have adopted (whether as a result or independently) and, where an applicant was successful, lengthy and uncertain execution processes in relation to any judgments. After all, under Article 46 § 2 of the Convention the execution of any judgment of the Court lies with the Committee of Ministers, i.e. representatives of the very states who have now had, contrary to their “intention” as reflected in the terms of the Convention had significant new obligations imposed on them by the Court. In this context, I would note that the Committee of Ministers is also not likely to be helped in any way by the generality of the majority’s conclusion under Article 46 (§ 657).
70. Consequently, while I understand and share the very real sense of and need for urgency in relation to the fight against anthropogenic climate change, I fear that in this judgment the majority has gone beyond what it is legitimate and permissible for this Court to do and, unfortunately, in doing so, may well have achieved exactly the opposite effect to what was intended.
[1] Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, Nations unies, Recueil des traités, vol. 2161, p. 447. Cette convention a été adoptée à Aarhus (Danemark) le 25 juin 1998 et est entrée en vigueur le 30 octobre 2001.
[2] Accord de Paris, 12 décembre 2015, Nations unies, Recueil des traités, vol. 3156.
[3] Référence au rapport du GIEC, « Changement climatique 2021 : les bases scientifiques physiques ». Contribution du Groupe de travail I au sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (« GTI RE6 »).
[4] Référence au « Rapport de synthèse RE6 : changement climatique 2023 » (« RS RE6 »).
[5] Référence, en particulier, au rapport du GIEC, « Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité ». Contribution du Groupe de travail II au sixième rapport d’évaluation du GIEC (« GTII RE6 ») ; et à l’étude de Vicedo-Cabrera, Scovronick, Sera et al., « The burden of heat-related mortality attributable to recent human-induced climate change », Nature Climate Change 11, 492-500 (2021).
[6] Référence, notamment, au rapport GTII RE6 (précité) ; et à l’étude de Evan De Schrijver, Sidharth Sivaraj, Christoph Raible et al., « Nationwide Projections of Heat and Cold‑Related Mortality under Different Climate Change and Population Development Scenarios in Switzerland » (2003).
[7] Référence à « The 2022 report of the Lancet Countdown on health and climate change: health at the mercy of fossil fuels ».
[8] Référence au rapport GTII RE6 (précité).
[9] Référence, notamment, au rapport de l’OFEV, « Changements climatiques en Suisse », (2020) ; au rapport de l’OFEV, « La canicule et la sécheresse de l’été 2018 » (2019) ; au rapport de Martina S. Ragettli et Martin Röösli, Institut tropical et de santé publique suisse (2020) ; et au rapport GTII RE6 (précité).
[10] Référence, notamment, au rapport spécial du GIEC publié en 2018 (précité) ; au rapport GTII RE6 (précité) ; et à l’étude de Ana M. Vicedo-Cabrera, Evan De Schrijver, Dominik Schumacher et al., « The Footprint of Anthropogenic Climate Change on Heat-Related Deaths in Summer 2022 in Switzerland » (2003).
[11] Référence, notamment au rapport de l’Institut tropical et de santé publique suisse, « Hitze und Gesundheit » (2022) ; à l’étude de Saucy et al., « The role of extreme temperature in cause-specific acute cardiovascular mortality in Switzerland: A case-crossover study », Science of The Total Environment, vol. 790, 10 octobre 2021 ; et au rapport de Martina S. Ragettli et Martin Röösli, Institut tropical et de santé publique suisse (2021).
[12] Référence, notamment, au rapport spécial du GIEC publié en 2018 (précité).
[13] Référence au rapport de l’OFEV, « Kenngrössen zur Entwicklung der Treibhausgasemissionen in der Schweiz 1990-2020 ».
[14] Référence au portail de Our World in Data (1er octobre 2019) ; consultable à cette adresse : www.ourworldindata.org (dernière consultation le 14.02.2024).
[15] Référence au rapport de l’OFEV, « Émissions de gaz à effet de serre générées par le transport aérien » (2022).
[16] Référence à un graphique de Our World in Data.
[17] Référence au rapport de l’OFEV pour la période1990-2020 (précité).
[18] Référence au rapport de l’OFEV, « Indicateur économie et consommation », qui traite notamment de l’empreinte GES (2021).
[19] Référence au rapport « Kohlenstoffrisiken für den Finanzplatz Schweiz » (2015).
[20] Référence au communiqué de l’OFEV, « Le test climatique 2022 révèle le potentiel du marché financier » (2022).
[21] Référence au portail sur le changement climatique de l’Office fédéral de météorologie et de climatologie MétéoSuisse (modifié en dernier lieu le 14 janvier 2022).
[22] Référence au rapport de l’OFEV, « La canicule et la sécheresse de l’été 2018 » (2019) ; au « Rapport climatologique 2019 » de MétéoSuisse (2020) ; à l’article de F. Michel, « Ein Tödlicher Sommer », Die Republik (2022).
[23] Référence au rapport de l’OFEV, « La canicule et la sécheresse » (précité).
[24] Référence au rapport de l’OFEV, « Changements climatiques en Suisse » (2020) (précité) ; au rapport de Martina S. Ragettli et Martin Röösli de 2020 (précité) ; et à l’article de F. Michel (précité).
[25] Référence au rapport du GIEC, « Changement climatique 2014 : impacts, adaptation et vulnérabilité ». Contribution du Groupe de travail II au cinquième rapport d’évaluation du GIEC (« GTII RE5 ») ; au rapport de l’OFEV, « La canicule et la sécheresse de l’été 2015 » (2016) ; au rapport de l’OFEV, « La canicule et la sécheresse » (précité) ; au rapport de Martina S. Ragettli et Martin Röösli de 2020 (précité) ; et à l’article de F. Michel (précité).
[26] FF 2020 7607 – Loi fédérale sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (loi sur le CO2).
[27] FF 2022 2652 – Loi fédérale sur la réduction des émissions de CO2 (loi sur le CO2) (projet).
[28] Référence au communiqué « Politique climatique : le Conseil fédéral adopte le message relatif à la révision de la loi sur le CO2 ».
[29] Présentée par l’Initiative pour les glaciers.
[30] Référence au GIEC, « Changement climatique 2007 : atténuation du changement climatique ». Contribution du Groupe de travail III au quatrième rapport d’évaluation du GIEC.
[31] Référence à FF 2009 6723 – « Message relatif à la politique climatique suisse après 2012 (Révision de la loi sur le CO2 et initiative populaire fédérale « pour un climat sain » ») ; et à FF 2012 1857 – « Message concernant l’évolution future de la politique agricole dans les années 2014–2017 (Politique agricole 2014–2017) ».
[32] Référence à FF 2018 229 – « Message relatif à la révision totale de la loi sur le CO2 pour la période postérieure à 2020 » ; et à FF 2018 373 – Loi fédérale sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (Loi sur le CO2).
[33] Référence au rapport GTII RE5 (précité).
[34] Référence à « Soumission de la Suisse à la CCNUCC concernant les négociations internationales sur le climat : 2020 ».
[35] Référence à « Emissions Gap Report 2022 » (consultable à cette adresse : www.unep.org ; dernière consultation le 14.02.2024), figure 3.1 ; et à Climate Analytics, « A 1.5°C compatible Switzerland » (2021).
[36] Référence à FF 2021 2252 – Initiative parlementaire. Prolongation de l’objectif de réduction de la loi sur le CO2. Projet et rapport explicatif de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national.
[37] Référence au « Message relatif à la révision de la loi sur le CO2 pour la période postérieure à 2024 ».
[38] Référence à FF 2022 1537 – Loi fédérale relative aux objectifs en matière de protection du climat (LCl) (projet), articles 3 § 3 et 4.
[39] Référence au rapport du GIEC, « Changement climatique 2022 : atténuation du changement climatique ». Contribution du Groupe de travail III au sixième rapport d’évaluation du GIEC (« GTIII RE6 »).
[40] Référence à GTI RE6 (précité).
[41] Consultable à cette adresse : www.climateactiontracker.org (dernière consultation le 14.02.2024)
[42] Ibidem.
[43] Ibidem ; référence également à Rajamani et al., « National ‘fair shares’ in reducing greenhouse gas emissions within the principled framework of international environmental law », Climate Policy 21:8, pp. 983-1004, 2021.
[44] Référence à Climate Analytics, « A 1.5°C compatible Switzerland ».
[45] Référence à « Emissions Gap Report 2022 » (précité) ; et au rapport spécial du GIEC publié en 2018 (précité).
[46] Référence au message FF 2018 229 (précité).
[47] Référence à « Switzerland’s information necessary for clarity, transparency and understanding in accordance with decision 1/CP.21 of its updated and enhanced nationally determined contribution (NDC) under the Paris Agreement (2021-2030) ».
[48] Référence à OFEV, « Climat et marché financier » (2020), et « Un test pour la compatibilité climatique » (2022).
[49] Référence à OFEV, « Inventaire des gaz à effet de serre 2020 : la Suisse manque de peu son objectif climatique ».
[50] Référence à Climate Analytics (voir ci-dessus) ; CAT (voir ci-dessus).
[51] Référence à CAT Targets (voir ci-dessus).
[52] Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, 11 décembre 1997, Nations unies, Recueil des traités, vol. 2303, p. 162.
[53] Référence à GIEC, Quatrième rapport d’évaluation, RE4 « Changement climatique 2007 » (« RE4 »).
[54] Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) (consultable à cette adresse : www.europa.eu ; dernière consultation le 14.02.2024).
[55] Référence au rapport de l’OFEV, « Examen de l’objectif 2020 (pour la période de 2013 à 2020) ».
[56] Référence à OFEV, « Adaptation aux changements climatiques en Suisse : stratégie du Conseil fédéral ».
[57] Référence au rapport « Boîte à outils contre la chaleur » (2021), établi par l’Institut tropical et de santé publique suisse, sous l’autorité de l’Office fédéral de la santé publique ; et au rapport de l’OFEV, « Quand la ville surchauffe » (2018).
[58] Référence à OFEV, « Risques et opportunités liés au climat » (2018).
[59] Référence à OFEV, « Programme pilote « Adaptation aux changements climatiques » ».
[60] Référence à la publication de l’OFEV, « Chaleur », consultable à cette adresse : www.bag.admin.ch (dernière consultation le 14.02.2024).
[61] Référence au communiqué du Conseil fédéral « La Suisse veut réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici 2030 ».
[62] GIEC, Cinquième rapport d’évaluation, RE5 « Changement climatique 2014 » (« RE5 ») .
[63] Référence au communiqué du Conseil fédéral « Le Conseil fédéral vise la neutralité climatique en Suisse d’ici à 2050 ».
[64] Référence au communiqué « Prolongation de l’objectif de réduction de la loi sur le CO2 » (2021).
[65] Référence au communiqué du Conseil fédéral « Politique climatique : le Conseil fédéral pose les jalons pour un nouveau projet de loi ».
[66] Référence au communiqué du Conseil fédéral « Politique climatique : le Conseil fédéral met la loi révisée sur le CO2 en consultation ».
[67] Référence au communiqué FF 2022 2651 du Conseil fédéral « Message relatif à la révision de la loi sur le CO2 pour la période postérieure à 2024 ».
[68] Référence à FF 2022 2403 – Loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique.
[69] Référence à OFEV, « Stratégie climatique à long terme 2050 ».
[70] Référence au Sixième rapport d’évaluation du GIEC.
[71] Référence à OFEV, « Adaptation aux changements climatiques en Suisse : Plan d’action 2020-2025 ».
[72] Référence à OFEV, « Protection du climat : cinq ans après l’Accord de Paris ».
[73] Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, 9 mai 1992, Nations unies, Recueil des traités, vol. 1771, p.107. Tous les États membres du Conseil de l’Europe sont membres du système de la CNUCC.
[74] Consultable à cette adresse : unfccc.int/process-and-meetings/the-paris-agreement/the-glasgow-climate-pact-key-outcomes-from-cop26 ; dernière consultation le 14.02.2024.
[75] Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur le droit à un environnement propre, sain et durable, A/RES/76/300, 28 juillet 2022.
[76] Chapitre 1, Résumé exécutif, pp. 51-52.
[77] Chapitre 3, Résumé exécutif, p. 177.
[78] Chapitre 2, Résumé exécutif, p. 95.
[79] Ibidem, p. 96.
[80] Résumé à l’intention des décideurs, pp. 15 et 27.
[81] Ibidem, pp. 31-33.
[82] Résumé à l’intention des décideurs, pp. 6, 8 et 14.
[83] Ibidem, p.17.
[84] Ibidem, p. 23.
[85] Résumé à l’intention des décideurs, pp. 4-5.
[86] Ibidem, pp. 10-19.
[87] Ibidem, pp. 20-23.
[88] Ibidem, p. 24.
[89] Ibidem, p. 25.
[90] Ibidem, pp. 27-29.
[91] Ibidem, p. 34.
[92] FCCC/SB/2023/9, 8 septembre 2023.
[93] FCCC/PA/CMA/2023/L.17, 13 décembre 2023.
[94] Commission économique des Nations unies pour l’Europe, La Convention d’Aarhus : Guide d’application, deuxième édition, 2014.
[95] Commission économique des Nations unies pour l’Europe, Recommandations de Maastricht sur les moyens de promouvoir la participation effective du public au processus décisionnel en matière d’environnement, 2015.
[96] Le Bélarus, le Cambodge, la Chine, l’Éthiopie, la Fédération de Russie, l’Iran, le Kirghizistan et la Syrie.
[97] Documents officiels : A/76/PV.97.
[98] Dans le document officiel, la Türkiye ne figure pas parmi les États qui ont voté.
[99] Résolutions nos 43/53, 6 décembre 1988 ; 44/207, 22 décembre 1989; 45/212, 21 décembre 1990 ; 46/169, 19 décembre 1991 ; 47/195, 22 décembre 1992 ; 48/189, « Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques », 21 décembre 1993 ; 49/120, 19 décembre 1994 ; 50/115, 20 décembre 1995 ; 51/184, 16 décembre 1996 ; 52/199, 18 décembre 1997 ; 54/222, 22 décembre 1999 ; Décision no 55/443, 20 décembre 2000 ; Résolutions nos 56/199, 21 décembre 2001 ; 57/257, 20 décembre 2002 ; 58/243, 23 décembre 2003 ; 59/234, 22 décembre 2004 ; 60/197, 22 décembre 2005 ; 61/201, 20 décembre 2006 ; 62/86, 10 décembre 2007 ; 63/32, 26 novembre 2008 ; 64/73, 7 décembre 2009 ; 65/159, 20 décembre 2010 ; 66/200, 22 décembre 2011 ; 67/210, 21 décembre 2012 ; 68/212, 20 décembre 2013 ; 69/220, 19 décembre 2014 ; 70/205, 22 décembre 2015 ; 71/228, 21 décembre 2016 ; 72/219, 20 décembre 2017 ; 73/232, 20 décembre 2018 ; 74/219, 19 décembre 2019 ; 75/217, 21 décembre 2020 ; 76/205, 17 décembre 2021.
[100] Notamment dans sa dernière résolution sur ce thème, la Résolution 76/205 sur la sauvegarde du climat mondial pour les générations présentes et futures, 17 décembre 2021.
[101] « Les changements climatiques et leurs répercussions éventuelles sur la sécurité », rapport du Secrétaire général à l’Assemblée générale, A/64/350, distr. 11 septembre 2009.
[102] Résolution 47/24 du Conseil des droits de l’homme, adoptée le 14 juillet 2021.
[103] « Effets des changements climatiques sur les droits humains des personnes vulnérables », rapport du Secrétaire général, A/HRC/50/57, distr. 6 mai 2022.
[104] Résolution 37/8 du Conseil des droits de l’homme, adoptée le 22 mars 2018, A/HRC/RES/37/8, dernier paragraphe du préambule.
[105] Résolution 46/7 du Conseil des droits de l’homme intitulée « Droits de l’homme et environnement », 20 mars 2021, A/HRC/RES/46/7.
[106] Les Principes-cadres relatifs aux droits de l’homme et à l’environnement sont annexés au rapport du rapporteur spécial, A/HRC/37/59, distr. 24 janvier 2018.
[107] « Toxic air pollution : UN rights experts urge tighter rules to combat “invisible threat” », communiqué de presse, 24 février 2017.
[108] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, New York, 16 décembre 1966, Nations unies, Recueil des traités, vol. 999, p. 171, et vol. 1057, p. 407.
[109] CDH, Observation générale no 36, Article 6 : droit à la vie, CCPR/C/GC/36, 3 septembre 2019.
[110] Portillo Cárceres c. Paraguay, communication no 2751/2016, CCPR/C/126/D/2751/2016, 20 septembre 2019.
[111] Teitiota c. Nouvelle-Zélande, communication no 2728/2016, CCPR/C/127/D/2728/2016, 23 septembre 2019.
[112] Voir, par exemple, Teitiota c. Nouvelle Zélande (CCPR/C/127/D/2728/2016), paragraphe 9.4, et Toussaint c. Canada, paragraphe 11.3.
[113] Voir aussi Portillo Cáceres et al. c. Paraguay (CCPR/C/126/D/2751/2016), paragraphe 7.3.
[114] Toussaint c. Canada (CCPR/C/123/D/2348/2014), paragraphe. 11.3, et Portillo Cáceres et al. c. Paraguay, paragraphe. 7.5.
[115] CEDAW, Recommandation générale no 37 sur les aspects de la réduction des risques de catastrophe et des changements climatiques ayant trait à la problématique femmes‑hommes, CEDAW/C/GC/37, distr. 13 mars 2018.
[116] Observation générale no 26 (2023) sur les droits de l’enfant et l’environnement, mettant l’accent en particulier sur les changements climatiques, CRC/C/GC/26, 23 août 2023.
[117] En vertu du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, A/RES/66/138, 19 décembre 2011.
[118] HCDH, « Climate change and the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights », déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 8 octobre 2018.
[119] Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale no 25 (2020) sur la science et les droits économiques, sociaux et culturels, E/C.12/GC/25, 30 avril 2020.
[120] Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale no 14 (2000) sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, E/C.12/2000/4, 11 août 2000.
[121] Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale no 26 (2022) sur la terre et les droits économiques, sociaux et culturels, E/C.12/GC/26, 24 janvier 2023.
[122] Étude analytique sur la promotion et la protection des droits des personnes handicapées dans le contexte des changements climatiques, A/HRC/44/30, distr. 2 avril 2020.
[123] Étude analytique sur une action climatique tenant compte des questions de genre et axée sur l’exercice plein et effectif des droits des femmes, A/HRC/41/26, distr. 1er mai 2019.
[124] Moyens de combler les lacunes en matière de protection des droits de l’homme dans le contexte des migrations et des déplacements de personnes d’un pays à un autre en raison des effets néfastes soudains ou lents des changements climatiques et sur les moyens de mise en œuvre de plans d’adaptation et d’atténuation dont les pays en développement ont besoin pour combler ces lacunes, A/HRC/38/21, distr. 23 avril 2018.
[125] Étude analytique sur la relation entre les changements climatiques et le plein exercice effectif des droits de l’enfant, A/HRC/35/13, distr. 4 mai 2017.
[126] Étude analytique des liens entre les changements climatiques et le droit qu’à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, A/HRC/32/23, distr. 6 mai 2016.
[127] HCDH, Joint Statement on human rights and climate change, HRI/2019/1, 16 septembre 2019.
[128] Les questions précises et les obligations en jeu sont présentées dans le communiqué de presse ITLOS/Press 327, 12 décembre 2022.
[129] Résolution A/RES/77/276, 29 mars 2023.
[130] APCE, Recommandation 2211 (2021), adoptée le 29 septembre 2021.
[131] APCE, Résolution 2396 (2021), adoptée le 29 septembre 2021.
[132] APCE, Recommandation 2211 (2021), adoptée le 29 septembre 2021.
[133] APCE, Recommandation 2214 (2021), adoptée le 29 septembre 2021.
[134] APCE, Résolution 2399 (2021), adoptée le 29 septembre 2021.
[135] Comité des Ministres, Réponse à la Recommandation 2211(2021), doc. 15623, adoptée lors de la 1444e réunion des Délégués des Ministres (27 septembre 2022), 4 octobre 2022, paragraphes 3-4.
[136] CM(2022)141-add3final, 27 septembre 2022.
[137] Commissaire aux droits de l’homme, Carnet des droits de l’homme, « Vivre dans un environnement sain, un droit négligé qui nous concerne tous », 4 juin 2019.
[138] Commission européenne pour la démocratie par le droit, Avis no 997/2020, 9 octobre 2020, CDL-AD(2020)020-e. L’avis se rapportait à quatre projets de loi constitutionnels sur la protection de l’environnement, sur les ressources naturelles, sur les référendums et sur le président de l’Islande, le gouvernement, les fonctions de l’exécutif et d’autres questions institutionnelles.
[139] Déclaration du quatrième Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe (Reykjavík, Islande, 16‑17 mai 2023).
[140] Conclusions et recommandations concernant la communication ACCC/C/2008/32 (partie II) relative au respect des dispositions par l’Union européenne, adoptées par le Comité d’examen du respect des dispositions le 17 mars 2017, ECE/MP.PP/C.1/2017.7.
[141] Armando Carvalho e.a. c. Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, C‑565/19 P, EU:C:2021:252.
[142] Peter Sabo e.a. c. Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, C-297/20 P, EU:C:2021:24.
[143] C-873/19, EU:C:2022:857.
[144] Convention américaine relative aux droits de l’homme, adoptée le 22 novembre 1969 et entrée en vigueur le 18 juillet 1978, Série des traités de l’OEA, no 36.
[145] Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels, « Protocole de San Salvador », adopté le 17 novembre 1988 et entré en vigueur le 16 novembre 1999, Série des traités de l’OEA, no 69.
[146] Convention interaméricaine sur la protection des droits fondamentaux des personnes âgées, adoptée à Washington le 15 juin 2015 et entrée en vigueur le 11 janvier 2017.
[147] Cour interaméricaine des droits de l’homme, State Obligations in relation to the environment in the context of the protection and guarantee of the rights to life and to personal integrity: Interpretation and scope of Articles 4(1) and 5(1) in relation to Articles 1(1) and 2, avis consultatif OC-23/17 sur l’environnement et les droits de l’homme, 15 novembre 2017.
[148] Case of the indigenous communities of the Lhaka Honhat Association (Our Land) v. Argentina, 6 février 2020.
[149] Demande d’avis consultatif sur l’urgence climatique et les droits de l’homme, soumise à la Cour interaméricaine des droits de l’homme par la République de Colombie et la République du Chili, 9 janvier 2023.
[150] Résolution no 3/21 intitulée « Climate Emergency: Scope of Inter-American human rights obligations ».
[151] Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée à Nairobi le 1er juin 1981 et entrée en vigueur le 21 octobre 1981.
[152] CADHP/Rés. 417 (LXIV) 2019, adoptée lors de la 64e session ordinaire de la Commission qui s’est tenue à Charm el-Cheikh, en République arabe d’Égypte, du 24 avril au 14 mai 2019.
[153] Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Social and Economic Rights Action Center & the Center for Economic and Social Rights v. Nigeria, communication no 155/96, 27 mai 2002.
[154] Andorre, Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin et Türkiye.
[155] Allemagne, Arménie, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Malte, Monténégro, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République de Moldova, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Türkiye et Ukraine.
[156] Directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, JO 2008/L 152, pp. 1-44.
[157] Consultable à cette adresse : www.conseil-etat.fr ; dernière consultation le 14.02.2024.
[158] Arrêt de la 1e chambre du 24 mars 2021, 1 BvR 2656/18 DE:BVerfG:2021:rs20210324.1bvr265618.
[159] Cour suprême irlandaise, Friends of the Irish Environment CLG v. the Government of Ireland, Ireland and the Attorney General, pourvoi no 205/19, 31 juillet 2020.
[160] Cour suprême norvégienne, Nature et Jeunesse Norvège et Greenpeace Nordic c. Ministère du pétrole et de l’énergie, HR-2020-2472-P, (affaire no 20-051052SIV-HRET).
[161] High Court of Justice, 21 décembre 2021, [2021] EWHC 3469 (Admin).
[162] Cour d’appel, 18 mars 2022, CA-2021-003448.
[163] OFEV, « Changements climatiques en Suisse » (2020).
[164] Our World in Data, « CO2 emissions embedded in trade » (consultable à cette adresse : www.ourworldindata.org ; dernière consultation le 14.02.2024).
[165] OFEV, « Changements climatiques en Suisse » (2020), p. 6.
[166] OFEV, « Economie et consommation : Indicateurs » (consultable à cette adresse : www.admin.ch ; dernière consultation le 14.02.2024).
[167] Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, 1992.
[168] Référence au rapport RE6 (précité), Résumé à l’intention des décideurs, B.1, et note 29.
[169] Commission du droit international, Draft Articles on Responsibility of States for Internationally Wrongful Acts, 2001 (« les articles de la CDI »).
[170] Référence, notamment, aux Principes d’Oslo de 2015 sur les obligations globales face au changement climatique.
[171] Robiou du Pont et Nicholls, « Calculation of an emissions budget for Switzerland based on Bretschger’s (2012) methodology » (2023).
[172] Voir la note de bas de page 180 ci-dessous.
[173] Référence au rapport GTIII RE6 (rapport complet), p. 1468.
[174] RE6 SYR (précité), p. 29.
[175] Les requérantes ont communiqué des lettres de Climate Analytics et du CAT en date du 26 avril 2023 qui fournissent des précisions supplémentaires sur les méthodologies employées.
[176] Commission du droit international, projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses, 2001.
[177] Règlement (UE) 2021/1119, précité.
[178] Référence au rapport GTII RE6 (précité) ; et à l’étude de Rupert Stuart-Smith, Ana Vicedo-Cabrera, Sihan Li et al. « Quantifying heat-related mortality attributable to human‑induced climate change » (2023).
[179] Référence à CDH, affaire Daniel Billy et al. c. Australie, précitée.
[180] Référence à l’étude de L. Bretschger, « Climate Policy and Equity Principles: Fair Burden Sharing in a Dynamic World », Center of Economic Research, ETH Zurich, Note d’orientation (Policy Brief) 12/16, mars 2012.
[181] Référence à un document interne (mis à la disposition de la Cour) : « Klimawandel und das Pariser Abkommen: Welcher NDC der Schweiz ist ‘fair und ambitiös’? » (2020).
[182] CCPR, Observation générale no 36 sur l’article 6 : droit à la vie, CCPR/C/GC/36, 3 septembre 2019, paragraphe 26.
[183] Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969.
[184] Voir, par exemple, GTIII RE6, Résumé à l’intention des décideurs, p. 8.
[185] GIEC, « Carbon Dioxide Capture and Storage » (2005), annexe I, pp. 385-395.
[186] Voir également GTIII RE6.
[187] Voir également GTII RE6.
[188] Pour plus d’informations, voir www.ipcc.ch/about ; dernière consultation le 14.02.2024.
[189] Pour une base de données mondiale sur les législations en matière de climat, voir www.climate-laws.org ; dernière consultation le 14.02.2024.
[190] Précité, pp. 57-58 et 194-195 ; voir aussi les Recommandations de Maastricht précitées, p. 12.
[191] Arrêt rendu le 20 décembre 2017 dans l’affaire Protect Natur-, Arten- und Landschaftsschutz Umweltorganisation c. Bezirkshauptmannschaft Gmünd, C‑664/15, EU:C:2017:987, paragraphe 58. Voir aussi, plus récemment, l’arrêt rendu le 8 novembre 2022 dans l’affaire Deutsche Umwelthilfe eV c. Bundesrepublik Deutschland, C‑873/19, EU:C:2022:857, paragraphe 81.
[192] Étude d’application, précitée, pp. 102-106.
[193] « Effective Justice? », Synthesis report of the study on the Implementation of Articles 9.3 and 9.4 of the Aarhus Convention in the Member States of the European Union (2013), pp. 14‑15.
[194] GTII RE6, Résumé à l’intention des décideurs, p. 9.
[195] Agence européenne pour l’environnement, « Extreme temperatures and health » (2021). Voir aussi l’étude publiée par le Lancet Countdown (vol. 400, 2022, p. 1619), qui constate qu’au niveau mondial les décès liés à la chaleur ont augmenté de 68 % entre 2000-2004 et 2017-2021 et que ce bilan a été considérablement aggravé par la conjonction avec la pandémie de Covid-19.
[196] GIEC, Rapport spécial de 2018, pp. 240-241.
[197] GTII RE6, Résumé technique, p. 50.
[198] OFEV, « Changements climatiques en Suisse », résumé (2020), p. 7.
[199] Voir, par exemple, les rapports du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme : « Étude analytique sur une action climatique tenant compte des questions de genre et axée sur l’exercice plein et effectif des droits des femmes », A/HRC/41/26, 1er mai 2019, et « Étude analytique sur la promotion et la protection des droits des personnes âgées dans le contexte des changements climatiques », A/HRC/47/46, 30 avril 2021 ; Note du Secrétaire général, « Droits humains des femmes âgées : intersection entre vieillissement et genre », A/76/157, 16 juillet 2021, paragraphe 61 ; et Rapport du Secrétaire général, « Effets des changements climatiques sur les droits humains des personnes vulnérables », A/HRC/50/57, 6 mai 2022, paragraphe 4.
[200] FF 2009 6723 – « Message relatif à la politique climatique suisse après 2012 (Révision de la loi sur le CO2 et initiative populaire fédérale « pour un climat sain ») » (2009), pp. 6737‑6738 et 6757.
[201] RE4 « Changement climatique 2007 : impacts, adaptation et vulnérabilité ».
[202] UNFCCC, Nationally Determined Contributions Registry consultable à cette adresse : www.unfccc.int/NDCREG ; dernière consultation le 14.02.2024.
[203] Rapport intitulé « Switzerland’s information necessary for clarity, transparency and understanding in accordance with decision 1/CP.21 of its updated and enhanced nationally determined contribution (NDC) under the Paris Agreement (2021-2030) ».
[204] FF 2022 2403 – Loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique.
[205] OFEV, « Inventaire des gaz à effet de serre de la Suisse », consultable à cette adresse : www.bafu.admin.ch ; dernière consultation le 14.02.2024.
[206] A French translation of Judge Eicke’s separate opinion will be made available on HUDOC after delivery of the judgment.
[207] https://rm.coe.int/4th-summit-of-heads-of-state-and-government-of-the-council-of-europe/1680ab40c1
[208] EEA Report No 1/2024, published on 11 March 2024
[209] https://www.gov.uk/government/speeches/pm-boris-johnsons-address-to-the-un-security-council-on-climate-and-security-23-february-2021
[210] Parliamentary Assembly of the Council of Europe, Future Action to be Taken by the Council of Europe in the Field of Environment Protection (4 November 1999) Recommendation 1431 (1999); Parliamentary Assembly of the Council of Europe, Environment and Human Rights (27 June 2003) Recommendation 1614 (2003); Parliamentary Assembly of the Council of Europe, Drafting an Additional Protocol to the European Convention on Human Rights Concerning the Right to a Healthy Environment (30 September 2009) Recommendation 1885 (2009).
[211] That said, the need for and feasibility of a further instrument or instruments on human rights and the environment has, of course, been under active consideration by CDDH-ENV at least since September 2022 which, at its last meeting on 19-21 March 2024, adopted its draft report with a view to it being transmitted to the CDDH for adoption at the latter’s meeting in June 2024 (https://rm.coe.int/steering-committee-for-human-rights-comite-directeur-pour-les-droits-h/1680aefdb5).
[212] Status of submission and review of national communications and biennial reports - Note by the secretariat (FCCC/SBI/2023/INF.8 of 22 September 2023)
[213] Conference of the Parties (“COP”)
[214] Conference of the Parties serving as the meeting of the Parties to the Kyoto Protocol (“CMP”)
[215] Conference of the Parties serving as the meeting of the Parties to the Paris Agreement (“CMA”)
[216] https://unfccc.int/documents/614139
[217] Report on the individual review of the annual submission of Switzerland submitted in 2022 (FCCC/ARR/2022/CHE of 24 February 2023)
[218] Austria, Ireland, Italy, Latvia, Norway, Portugal, Romania and Slovakia
[220] the EU Commission identified, in form of a non-exhaustive list, legislative acts such as “the Emission Trading System (“ETS”), Effort Sharing Regulation (“ESR”), Land Use, Land Change and Forestry Regulation (“LULUCF”) and Regulation setting CO2 emission performance standards for new passenger cars and for new light commercial vehicles”
[221] Including (but not exclusively) under the auspices of the Council of Europe. In this context it is worth noting again that the CDDH-ENV has, in fact, been engaged in actively considering the need for and feasibility of a further instrument or instruments on human rights and the environment since at least September 2022: see footnote 5 above.