CA Montpellier, ch. com., 14 novembre 2023, n° 21/07144
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
BTP Export (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Demont
Conseillers :
Mme Bourdon, M. Graffin
Avocats :
Me Lafon, Me Garrigue, Me Prades
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 14 novembre 2018, la SASU [N] Bâtiment ayant comme activité la maçonnerie générale et le gros 'uvre du bâtiment a acheté pour un montant total de de 42'000 euros à la SASU BTP Export, ayant pour activité le commerce de machines dédiées à l'extraction, la construction et le génie civil, une centrale à béton d'occasion de la marque Imer Koala 1540 n°08020079.
Le transport, le montage, la mise en service et la formation pour l'utilisation de cette centrale béton étaient prévus dans le cadre de cette vente.
La société [N] Bâtiment a réglé à la société Btp Export un premier acompte de 5 000 euros le 14 novembre 2018, le solde d'un montant de 45'400 euros a ensuite été versé le 14 janvier 2019, de sorte que la centrale à béton a été intégralement payée avant la livraison du 15 janvier 2019 sur le site de [Localité 5] (Yvelines).
Lors de la livraison et de l'installation, la société [N] déplorant que la centrale ne puisse fonctionner compte tenu d'éléments manquants indispensables au montage tels': des vis à ciment, un pied de silo, un câble d'alimentation, une trappe à ciment, une vanne sous silo, un tube à air polyamide, un kit de dégraissage, en a informé le vendeur par courriel du 22 janvier 2019.
La société [N] Bâtiment a relancé une nouvelle fois la société BTP Export le 24 janvier 2019 par email en sollicitant son intervention rapide. Puis par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 11 février 2019, elle a mis en demeure la société BTP Export d'intervenir sous huitaine afin de procéder à la mise en service de cette centrale à béton pour ne pas retarder son chantier.
Elle annexait à sa demande deux devis, le premier réalisé par la société Imer Group portant sur la fourniture et le transport d'une vis à ciment pour silo de 50 tonnes (Koala 1540) et d'un kit de prolongation jambes pour le silo de 50 tonnes au prix de 7'968 euros.
Le second établi par la société Atps d'un montant de 5 881,42 euros portant sur la fourniture et le montage des éléments manquants, à savoir un câble d'alimentation, un câble peson, un kit de graissage, un tube à air polyamide, une vanne sous silo, un câble silo, un bouton d'arrêt d'urgence, une bavette de cuve, une trappe à ciment ; ce devis comprenant également une formation.
La société [N] Bâtiment demeurant sans réponse du vendeur et a fait procéder aux travaux.
Par exploit du 30 décembre 2019, elle a fait la société BTP Export pour voir principalement ':
- constater la non-conformité et le défaut de délivrance du bien ;
- condamner la société Btp Export à lui rembourser les frais exposés à la remise en état et la mise en service de la centrale à béton à hauteur de la somme de 4 189,68 euros et de la somme de 17 566, 27 euros ;
- prononcer à titre principal la résolution de la vente ;
- condamner la société Btp Export à lui rembourser le prix de vente, à savoir la somme de 50'400 euros.
- et à titre subsidiaire, de désigner un expert avec pour mission d'examiner le matériel et équipements litigieux, se faire remettre tous documents et toutes pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission, décrire les désordres et en recherche l'origine, l'étendue et les causes, déterminer toutes solutions propres à remédier aux désordres constatés, entendre tout sachant, et faire si besoin les comptes entre les parties.
Par jugement en date du 15 novembre 2021 le tribunal de commerce de Béziers a':
- constaté la non-conformité et le défaut de délivrance du bien acquis par la société [N] Bâtiment auprès de la société Btp Export,
- condamné la société BTP Export à rembourser à la société [N] Bâtiment les frais exposés à la remise en état et la mise en service de la centrale à béton à hauteur de 21 755,95 euros,
- prononcé à titre de principal la résolution de la vente,
- condamné la société Btp Export à rembourser à la société [N] Bâtiment le prix de la vente, à savoir la somme de 50 400 euros,
- rejeter les demandes de la société [N] Bâtiment d'expertise, et de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
- condamné la société Btp Export à verser à la société [N] Bâtiment la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles ;
-ordonné l'exécution provisoire de la décision en application de l'article 514 du code de procédure civile ;
- et rejeté les demandes plus amples.
Par ordonnance de référé en date du 30 mars 2022 le délégataire du premier président de la cour de ce siège a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire en retenant d'une part que les premiers juges avaient fait une fausse application de l'article 514 du code de procédure civile qui n'était pas applicable à l'espèce, l'exécution provisoire n'étant alors pas de droit, mais devant n'être ordonnée que dans les conditions posées par l'article 515 ancien du code de procédure civile, d'autre part en estimant que l'exécution provisoire exposerait la société BTP Export à des conséquences manifestement excessives.
Le 13 décembre 2021 la SASU BTP Export a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 18 septembre 2023, elle demande à la cour :
-de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
-de débouter la société [N] Bâtiment de toutes ses demandes ;
-de la débouter de son appel incident et de sa demande de paiement de dommages intérêts pour résistance abusive ;
-de la condamner au paiement de la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel,
-et très subsidiairement, en cas de confirmation, de faire injonction à la société [N] Bâtiment de restituer la centrale à béton avec tous ses accessoires à la société Btp Export sous telle astreinte qu'il plaira à la cour de fixer.
Par conclusions du 11 mai 2023, la société [N] Bâtiment demande à la cour, au visa des articles 1103, 1221, 1222, 1240, 1603 et 1604 du code civil, de'confirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive présentée sur le fondement de l'article 1240 du code civil, en tout état de cause, de condamner la société BTP Export à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens avec distraction.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 4 octobre 2023.
Motivation
MOTIFS
Attendu que BTP export fait valoir au soutien de son appel que la société [N] Bâtiment demandait initialement seulement l'octroi de la somme de 13'840,42 € TTC pour solliciter désormais la résolution de la vente, le remboursement du prix et des diverses factures de réparation qu'elle a dû acquitter en raison des pannes subies par la centrale à béton ; qu'une centrale à béton peut fonctionner avec un seul silo principal ou bien avec la silo principal et aussi le secondaire mais qu'il n'est pas possible de monter deux silos principaux ensemble sur la centrale ; que le deuxième silo acquis devait donc être transformé en un silo secondaire afin de pouvoir être utilisé ; que le tribunal lui a reproché de ne pas avoir mentionné que le matériel commandé nécessitait des équipements supplémentaires, alors que M. [N] a examiné les matériels avec son chef de chantier ainsi qu'il résulte de la facture valant bon de commande qu'il a signé le 14 novembre 2018 laquelle mentionne « matériel vendu dans l'état où il se trouve vu et accepté par le client sans aucune garantie » ; qu'il avait vu les deux centrales mais qu'il pensait transformer le deuxième silo en silo auxiliaire à peu de frais ; que lorsque le matériel lui a été livré il a dû constater que cette transformation nécessitait des modifications et des ajouts de matériel onéreux ; que les devis invoqués n'ont pas pour objet la fourniture de pièces manquantes, mais bien l'adaptation d'un silo principal en silo secondaire ; que la centrale à béton fournie montée par la société BTP export fonctionnait parfaitement mais avec un seul silo principal ; que la société [N] Bâtiment est une professionnelle avertie qui sait faire la différence entre un silo principal et un silo secondaire, même si elle n'a pas compétence technique pour transformer elle-même un silo principal en silo auxiliaire ; qu'elle ne peut ignorer qu'une centrale à béton ne peut pas fonctionner avec deux silos principaux ; que les conditions générales de vente prévoyaient une clause de non garantie des vices cachés et que les modifications ou réparations étaient à sa charge ; que si l'un des deux silos devait être modifié pour être apte, non pas à son usage, qui est celui d'un silo principal, mais à l'usage particulier que comptait en faire l'intimée qui veut l'utiliser comme silo secondaire, cette modification était donc à sa charge ; et que jusqu'en février 2019 la centrale a fonctionné sans défaillance ;
Mais attendu que la société [N] Bâtiment répond que le bon de commande mentionne expressément la centrale à béton et deux silos de 50 tonnes et tous les accessoires nécessaires, ainsi que le transport, le montage la mise en service et la formation pour l'utilisation de cette centrale à béton étaient ; que si la centrale à béton a été achetée avec les deux silos, c'était bien pour les utiliser tous les deux ; que la mise en service devait donc être assurée par la société BTP Export ; qu'invitée à se déplacer le 24 janvier 2019 puis par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 février 2019 pour terminer le montage de la centrale et effectuer les tests de fonctionnement, la société BTP Export n'a rien répondu ; qu'ayant fait procéder par les entreprises tierces aux travaux nécessaires à sa mise en marche, la centrale à béton est tombée définitivement en panne le 10 juillet 2019 soit moins de trois mois après sa mise en fonctionnement ; que le vendeur a également manqué à son obligation de conseil au sens de l'article 1194 du code civil, le vendeur de matériels complexes devant s'assurer de sa mise au point effective, de façon à ce que l'acheteur puisse l'utiliser pleinement ; et que le non fonctionnement ou l'inadaptation du silo avec la centrale n'est indiqué, renseigné, exposé ou même mentionné par BTP Export nulle part à l'attention de la société intimée, ni dans sa première facture pro forma, ni dans les échanges d'e-mails ni dans d'éventuelles conditions particulière ;
Attendu en effet que l'obligation de conseil imposait au vendeur de permettre à son acheteur d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du matériel vendu et de le renseigner sur l'adaptation du matériel vendu à l'usage auquel il est destiné ;
Attendu que si, comme la société BTP Export l'assure, le matériel était impropre en l'état à l'usage auquel l'acquéreur le destinait, le vendeur a manqué à son obligation d'information et de conseil et de loyauté contractuelle en s'abstenant de l'aviser des frais supplémentaires que la société [N] Bâtiment devait nécessairement exposer ;
Attendu que le tribunal de commerce a donc exactement retenu que la société Btp Export a livré et monté du matériel sur le chantier de la société [N] Bâtiment qui ne fonctionnait pas en l'état, nécessitant des équipements supplémentaires ; que la société [N] Bâtiment , si elle est une professionnelle de la maçonnerie, n'a pas la compétence technique pour la mise en fonctionnement du matériel commandé ;
Attendu que l'acquéreur plaide utilement que l'obligation de délivrance de machines complexes n'est pleinement exécutée qu'une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue ; et qu'il ne suffit pas que le fournisseur livre les éléments matériels commandés mais qu'il doit veiller à l'effectivité de la mise en route, ce qui en l'espèce était contractuellement prévu ;
Que la société Btp Export, pourtant requise au lendemain de la vente, n'a pas procédé elle-même aux modifications permettant le fonctionnement normal du matériel et n'a pas donné suite à la mise en demeure du conseil de la société [N] Bâtiment, alors qu'elle s'était engagée contractuellement à assurer le transport, le montage et la mise en service outre la formation des salariés de l'acquéreur pour l'utilisation de cette centrale à béton, toutes prestations décrites expressément au devis et entrées dans le champ contractuel ;
Que l'appelante ne justifie pas avoir rempli son devoir de conseil, devant informer l'acquéreur des caractéristiques techniques de la centrale à béton et de ses nécessités d'adaptation pour permettre son utilisation, et ce d'autant que la mise en service avait été contractuellement prévue dans le bon de commande du 13 novembre 2018 prévoyant expressément "le montage et la mise en service" de la centrale à béton ;
Qu'en dépit de mises en demeure successives la société BTP Export n'a pas finalisé le montage de la centrale à béton ni a fortiori veillé à mise en service et encore moins à la formation des équipes de [N] Bâtiment ;
Attendu que le vendeur a manqué à son obligation de délivrance conforme aux stipulations contractuelles de la chose et des prestations vendues, la clause de non garantie des vices cachés étant inopérante à cet égard ;
Attendu que l'acquéreur victime de l'inexécution de ses obligations peut librement choisir son exécution en nature, soit la résolution du contrat et dans les deux cas, la réparation de son préjudice en application de l'article 1221'et 1222 du code civil ; et que les mesures peuvent, le cas échéant, être cumulées ;
Attendu toutefois que l'acquéreur a justement fait usage des articles 1221 et 1222 pour solliciter du vendeur la prise en charge de la mise en état de fonctionnement des équipements acquis auprès de lui, et à défaut de réponse, elle a fait l'avance des frais de travaux évalués par deux devis ; qu'elle n'est pas fondée à réclamer à la fois le remboursement des frais de remise en état et la résolution de la vente entrainant la restitution du prix ;
Que dès lors le tribunal ne pouvait pas en sus prononcer la résolution de la vente, alors que la réparation aux frais exposés de l'acquéreur était satisfactoire, dans la mesure où le matériel a ensuite fonctionné normalement plusieurs mois durant, après que l'acquéreur eut choisi de suppléer la carence du vendeur ;
Attendu ainsi que les deux mesures au cas d'espèce ne peuvent pas être cumulées, le vendeur fait valoir exactement que les 28 février et 1er mars 2019 suivant, le compresseur a dû être remplacé pour une raison qui demeure inconnue et dont rien ne démontre qu'elle serait liée au défaut de conformité du matériel vendu par l'appelante ;
Attendu qu'en l'absence d'expertise amiable corroborée par des éléments extrinsèques ou de rapport d'expertise judiciaire, que la cour ne saurait ordonner pour suppléer une carence probatoire de la demanderesse à l'action, l'appelante fait valoir sans contradiction que c'est le prestataire qui a mal monté le compresseur, à l'envers, ce qui ressort des productions, et ce qui a provoqué une série de pannes et interventions ; qu'aucune pièce ne démontre que la centrale à béton ne serait plus utilisable, aucune facture postérieure à l'assignation n'étant produite, ce qui pourrait fort bien s'expliquer, selon elle, par le fait que depuis cette date la centrale fonctionne à nouveau sans difficulté ;
Attendu que si la société [N] Bâtiment verse tardivement deux attestations : l'une de M. [D] qui semble être un préposé de l'intimée, et l'autre M. [I], gérant d'une société SMJ hydraulique, affirmant que la centrale n'est pas économiquement réparable, ces éléments sont insuffisants à la preuve de la panne totale de la centrale à béton, à en déterminer la cause, et a fortiori son imputabilité au vendeur, faute d'examen et de conclusions techniques émises impartialement, au contradictoire de la société BTP Export, de sorte que les attestations invoquées ne lui sont pas opposables ;
Attendu en conséquence que le jugement doit être partiellement réformé ;
Attendu que les deux devis pour la mise en route initiale se corroborent l'un l'autre pour établir qu'il manquait des éléments nécessaires à la mise en service des deux silos achetés ;
Attendu que la société [N] Bâtiment qui ne verse qu'une seule facture initiale, n'établit toutefois avoir exposé la somme de 4 182,65 € TTC au titre de la facture en date du 15 novembre 2019 émanant de la société ATPS Concrete, alors que les factures ultérieures du 30 avril 2019 d'ATPS et de 17'566,27 € d'ORU France du 17 juillet 2018, sont en lien avec le désordre affectant le compresseur ; que faute d'expertise contradictoire, ces montants ne sont pas en lien de causalité suffisant avec le défaut de livraison déploré, et ne peuvent être suffisamment imputés au vendeur, pouvant être attribués, comme ce dernier l'avance, aux effets inconnus d'interventions entre-temps de tiers sollicités par la société [N] Bâtiment ; qu'il en va nécessairement de même de la facture définitive en juillet 2019 ;
Attendu que le jugement sera donc également réformé s'agissant du montant retenu au titre de la remise en état à hauteur de 21 755,95 euros, au lieu des seuls frais de mise en service de 4 182,65 € ;
Attendu que l'appelante succombant encore plus large part, devra supporter la charge des dépens d'appel, et verser en équité la somme de 3000 € à la société [N] Bâtiment au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ne pouvant elle-même prétendre au bénéfice de ce texte ; qu'aucune résistance abusive n'est suffisamment caractérisée et ne peut être retenue ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de la société [N] Bâtiment tendant à obtenir une expertise judiciaire et tendant à l'octroi de dommages-intérêts pour résistance abusive, et en ce qu'il a condamné la société BTP Export à verser à la société [N] Bâtiment la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé à titre principal la résolution de la vente, condamné la société Btp Export à rembourser à la société [N] Bâtiment le prix de la vente, à savoir la somme de 50 400 euros, et condamné la société BTP Export à rembourser à la société [N] Bâtiment les frais exposés à la remise en état et la mise en service de la centrale à béton à hauteur de la somme de 21 755,95 euros,
Statuant à nouveau et ajoutant
Condamne la SASU BTP Export à rembourser à la SASU [N] Bâtiment les frais exposés pour la mise en service de la centrale à béton à hauteur de 4 182,65 €,
Rejette la demande présentée par la SASU [N] Bâtiment en résolution de la vente du 14 novembre 2018,
Condamne la SASU BTP Export à payer à la SASU [N] Bâtiment la somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.