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Décisions

CA Caen, 2e ch. civ. et com., 15 février 2024, n° 22/01792

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Gypass (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Emily

Conseillers :

Mme Courtade, M. Gouarin

Avocats :

Me Valery, Me Dartois, Me Senet

T. com. Lisieux, du 3 juin 2022, n° 2021…

3 juin 2022

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS

La SARL [B] [T] a pour activité les travaux de menuiserie bois et PVC ainsi que la pose de portails.

La SAS Gypass a pour objet la fabrication de portes et fenêtres en métal.

Le 30 juillet 2018, la société [B] [T] a passé commande à la société Gypass de divers matériels, notamment une porte de garage, laquelle a été acceptée le 2 août suivant.

Les matériels commandés ont été livrés le 19 septembre 2018 au domicile personnel de M. [T].

Le 21 septembre 2018, la société Gypass a établi une facture n°FG2018009402 d'un montant de 2.459,46 euros TTC.

À la suite de réclamation de la société [B] [T] concernant la couleur non uniforme de la porte de garage livrée, la société Gypass est intervenue le 15 mai 2019 pour remplacer le tablier de celle-ci.

Aucun règlement n'est intervenu de la part de la société [B] [T] au titre de cette facture.

Le 28 août 2018, la société [B] [T] a passé une nouvelle commande à la société Gypass concernant un portail de garage avec hublots, laquelle a donné lieu à l'établissement le 5 octobre 2018 d'une facture n°FG20180009839 d'un montant de 2.601,18 euros TTC.

Suite à la réclamation concernant des défauts esthétiques adressée par le client de la société [B] [T] à cette dernière, la société Gypass a proposé une remise qui a été refusée par le client de la société [B] [T].

La société [B] [T] a réglé une somme de 1.935,18 euros au titre de cette facture.

Par lettre recommandée du 3 décembre 2020, la société Gypass a mis en demeure la société [B] [T] de lui payer la somme de 3.125,46 euros TTC en règlement des sommes restant dues au titre de ces deux factures.

Suivant ordonnance du 14 décembre 2020, signifiée le 29 décembre 2020, le président du tribunal de commerce de Lisieux a enjoint à la société [B] [T] de payer à la société Gypass les sommes de 3.125,46 euros, 300 euros à titre d'indemnité de procédure, outre les frais accessoires et dépens.

Le 14 janvier 2021, la société [B] [T] a formé opposition à cette ordonnance d'injonction de payer.

Par jugement du 3 juin 2022, le tribunal de commerce de Lisieux a :

- débouté la société [B] [T] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné celle-ci à payer à la société Gypass la somme de 3.125,46 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2020,

- condamné la société [B] [T] au paiement de la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement de l'article L. 441-9 du code de commerce,

- condamné celle-ci à payer à la société Gypass la somme de 40 euros au titre des frais bancaires à la suite des effets impayés,

- condamné la société [B] [T] à payer à la société Gypass la somme de 500 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais d'injonction de payer, d'opposition et les frais de greffe liquidés à la somme de 115,23 euros.

Par déclaration du 15 juillet 2022, la société [B] [T] a interjeté appel de cette décision.

Suivant ordonnance du 11 janvier 2023, le conseiller de la mise en état a, notamment, rejeté la demande d'expertise judiciaire formée par la société [B] [T].

Par dernières conclusions du 20 novembre 2023, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une indemnité de procédure et aux dépens, statuant à nouveau, d'ordonner avant dire droit une expertise afin d'examiner les désordres, non-conformités, malfaçons, vices affectant les matériels fournis par la société Gypass et installés par la société [B] [T] auprès de ses différents clients.

Subsidiairement, elle demande à la cour de débouter l'intimée de toutes ses demandes et, à titre reconventionnel, de dire que la société Gypass a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard et condamner celle-ci à lui payer les sommes de 3.000 euros au titre de l'atteinte à l'image et à la réputation, 5.000 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires, 762 euros au titre de la facture du 1er février 2021 consistant à poser le nouveau portail fourni par la société Gypass au titre de sa garantie sur la maison de M. [P], celle de 2.500 euros à titre d'indemnité de procédure, d'ordonner, le cas échéant, la compensation entre les sommes dues et condamner l'intimée aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris ceux afférents à la procédure d'injonction de payer.

Par dernières conclusions du 21 novembre 2023, la société Gypass demande à la cour de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, de débouter la société [B] [T] de toutes ses demandes et de condamner cette dernière à lui verser la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.

La mise en état a été clôturée le 6 décembre 2023.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures.

Motivation

MOTIFS

1. Sur la demande d'expertise

Aux termes de l'article 143 du code de procédure civile, les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet de toute mesure d'instruction légalement admissibles.

Selon l'article 144, les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer.

L'article 146 dispose qu'une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.

Ces dispositions n'édictent nullement qu'une mesure d'instruction doive être ordonnée dans le cas où une partie ne dispose pas d'éléments de preuve suffisants, la faculté d'ordonner ou de refuser une mesure d'instruction relevant du pouvoir souverain des juges du fond.

La demande d'expertise judiciaire en cause est formée par la société [B] [T] à l'appui de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts en réparation de l'atteinte portée à son image et sa perte de chiffre d'affaires résultant, selon elle, des malfaçons affectant les matériels livrés par la société Gypass et installés par ses soins chez ses clients.

Cette demande concerne les chantiers [B] [T], [D], objet des demandes principales, mais également [U], [V], [P], [F], [E] et [O], compris dans les demandes reconventionnelles.

Il résulte des productions que les matériels commandés dans le cadre de ces chantiers ont été livrés entre 2015 et 2018.

Il n'est pas discuté que le matériel livré dans le cadre du chantier de M. [B] [T] à titre personnel a fait l'objet d'une intervention de la part de la société Gypass, qui a remplacé le tablier de la porte de garage.

S'agissant de la porte de garage livrée dans le cadre du chantier [D], la réclamation adressée par la société [B] [T] concerne des défauts esthétiques consistant en des boursouflures de peinture sur un hublot et des rayures sur l'un des panneaux. La remise proposée par la société Gypass a été refusée par M. [D]. La localisation et la datation des photographies produites ne sont pas établies.

Concernant le chantier [U], la société [B] [T] produit un rapport d'expertise amiable établi le 21 novembre 2022 par M. [K], expert près cette cour, ainsi qu'un procès-verbal de constat établi le 9 août 2023 portant sur le matériel fourni par la société Gypass à la société [B] [T] pour un chantier [U], objet d'une commande passée le 16 juin 2017. La société Gypass a indiqué se tourner vers son sous-traitant concernant le problème de laquage des lames du portail.

Pour le chantier [V], la société Gypass a remplacé le tablier complet.

S'agissant du chantier [P], la société Gypass a remboursé à la société [B] [T] le coût des matériels défectueux.

Concernant le chantier [F], la société [B] [T] ne produit aucune pièce de nature à établir la réalité du défaut de laquage invoqué au niveau des entourages de hublots.

S'agissant du chantier [E], la société Gypass a remplacé les trois hublots en cause.

Concernant le chantier [N], la société Gypass a remplacé le remplissage de la porte à trois vantaux, les motifs alunox devant être repositionnés.

S'agissant le chantier [O], la société [B] [T] ne communique aucune pièce de nature à établir la réalité d'un quelconque désordre.

Ainsi, soit les allégations de la société [B] [T] ne s'appuient sur aucun élément précis et sérieux permettant de lui faire crédit, soit les pièces produites suffisent à la solution du litige, de sorte que la demande d'expertise judiciaire formée par la société [B] [T] sera rejetée.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

2. Sur les demandes principales

Selon les articles 1147 ancien et 1231-1 du code civil, respectivement applicable avant et à compter du 1er octobre 2016, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Il résulte des dispositions de l'article 1604 que le vendeur professionnel est tenu de délivrer la chose vendue en conformité avec les caractéristiques convenues, la preuve de la non-conformité à la commande du matériel livré incombant à l'acquéreur.

Les défauts esthétiques, notamment de coloration, affectant la chose vendue constituent un défaut de conformité engageant la responsabilité du vendeur pour manquement à son obligation de délivrer une chose conforme.

En l'espèce, il ressort des pièces produites que la porte de garage destinée au chantier [T] et déclarée défectueuse au regard de son laquage a été remplacée gratuitement par la société Gypass, de sorte que celle-ci n'a pas manqué à son obligation de délivrance conforme et que la facture n°FG2018009402 établie le 21 septembre 2018 pour un montant de 2.459,46 euros TTC est due par la société [B] [T], qui ne justifie pas l'avoir réglée.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Concernant la facture n°FG20180009839 établie le 5 octobre 2018 pour un montant de 2.601,18 euros TTC portant sur une porte de garage destinée à M. [D], la réalité des non-conformités alléguées n'est pas démontrée à suffisance par les photographies produites dont la localisation et la datation ne sont pas établies. En outre, les courriels émanant de la société Gypass produits par l'appelante (pièce n°2-5 et 2-6) ne contiennent aucune reconnaissance de responsabilité concernant les rayures ou le laquage des hublots et l'existence de la remise qu'aurait accordée la société Gypass et qui aurait été refusée par M. [D] n'est mentionnée que dans un courriel émanant de la société [B] [T].

L'appelante ne sollicitant pas la résolution de la vente mais formant une demande de dommages-intérêts au titre de l'atteinte à son image et à sa réputation et de sa perte de chiffres d'affaires examinée plus loin, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la société [T] au paiement de l'intégralité du montant de cette facture.

Concernant la demande formée par la société Gypass au titre des frais de rejet des paiement effectués par la société [B] [T], il ressort du relevé de son compte ouvert au Crédit du Nord par la société Gypass (pièces n°8 et 14 intimée) que les 22 octobre et 5 novembre 2018, les paiements effectués par la société [B] [T] ont été rejetés et que des frais bancaires de 20 euros a été facturée à la société Gypass pour chacun de ces rejets, peu important à cet égard que la société Gypass ait modifié le 5 octobre 2018 les modalités de paiement de ces factures en exigeant un paiement à réception des factures par virement plutôt que par chèque.

Le jugement attaqué sera donc confirmé de ce chef.

3. Sur les demandes reconventionnelles

Au visa de l'article 1231-1 du code civil, l'appelante fait grief au tribunal d'avoir rejeté ses demandes indemnitaires, alors que les non-conformités des matériels livrés par la société Gypass sont établies et que celles-ci lui ont causé une atteinte à sa réputation et à son image ainsi qu'une perte de chiffre d'affaires.

Il résulte des dispositions de l'article 1604 que le vendeur professionnel est tenu de délivrer la chose vendue en conformité avec les caractéristiques convenues, la preuve de la non-conformité à la commande du matériel livré incombant à l'acquéreur.

Les défauts esthétiques, notamment de coloration, affectant la chose vendue constituent un défaut de conformité engageant la responsabilité du vendeur pour manquement à son obligation de délivrer une chose conforme.

Pour les motifs qui précèdent, les demandes formées par la société [B] [T] au titre des chantiers [T] et [D] seront rejetées.

Concernant le chantier [U], la société [B] [T] produit un rapport d'expertise amiable établi le 21 novembre 2022 par M. [K], expert près cette cour, ainsi qu'un procès-verbal de constat établi le 9 août 2023 établissant la réalité de non-conformités et mettant en cause le vendeur dans la conception du poteau de guidage de la porte du portail ainsi que la qualité du laquage de ce dernier, la teinte des lames du portail n'étant pas uniforme. La société Gypass a indiqué se tourner vers son sous-traitant concernant le problème de laquage des lames du portail, admettant ainsi l'existence des désordres.

Pour le chantier [V], la société Gypass a remplacé le tablier complet.

S'agissant du chantier [P], la société Gypass a remboursé à la société [B] [T] le coût des matériels défectueux.

Concernant le chantier [F], la société [B] [T] ne produit aucune pièce de nature à établir la réalité du défaut de laquage invoqué au niveau des entourages de hublots.

S'agissant du chantier [E], la société Gypass a remplacé les trois hublots en cause.

Concernant le chantier [N], la société Gypass a remplacé le remplissage de la porte à trois vantaux, les motifs alunox devant être repositionnés.

S'agissant le chantier [O], la société [B] [T] ne communique aucune pièce de nature à établir la réalité d'un quelconque désordre.

Il en est de même pour les autres chantiers évoqués par l'appelante, qui ne verse à l'appui de ses prétentions à cet égard qu'une liste des chantiers pour lesquels elle déplore des désordres établie par ses propres soins (pièce n°7 appelante), sans communiquer de pièces susceptibles d'établir leur réalité.

Par ailleurs, la société [B] [T] ne démontre pas la réalité de l'atteinte à sa réputation et à son image qu'auraient causée les non-conformités établies et auxquelles n'aurait pas remédier la société Gypass sur le chantier [U].

N'est pas davantage rapportée la preuve de la perte de chiffre d'affaires subie du fait des désordres établis, l'appelante ne produisant aucune pièce comptable tel le grand livre clients permettant d'établir les éventuels défauts de paiement et ne démontrant pas que M. [U] n'aurait pas donné suite à deux autres devis en raison des non-conformités affectant son portail.

Le rejet des demandes indemnitaires formées par la société [B] [T] sera donc confirmé.

En revanche, l'appelante est fondée à réclamer le paiement de la somme de 762 euros TTC au titre de ses frais d'intervention pour la pose du matériel de remplacement sur le chantier [P], la société [B] [T] n'ayant pas à supporter la charge financière de cette nouvelle intervention due aux non-conformités affectant le matériel vendu par la société Gypass.

Il y a lieu d'ordonner la compensation des sommes dues réciproquement par les parties en vertu du présent arrêt, conformément aux dispositions des articles 1347 et suivants du code civil.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.

4. Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, fondées sur une exacte appréciation, seront confirmées.

L'appelante, qui succombe en ses principales prétentions, sera condamnée aux dépens d'appel, déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et condamnée à payer à la société Gypass la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la SARL [B] [T] de sa demande de paiement de la somme de 762 euros TTC au titre de ses frais d'intervention pour la pose du matériel de remplacement sur le chantier [P] ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la SAS Gypass à payer à la SARL [B] [T] la somme de 762 euros TTC au titre de ses frais d'intervention pour la pose du matériel de remplacement sur le chantier [P] ;

Ordonne la compensation des sommes dues réciproquement par les parties en vertu du présent arrêt, conformément aux dispositions des articles 1347 et suivants du code civil ;

Condamne la SARL [B] [T] aux dépens d'appel et à payer à la SAS Gypass la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette la demande d'indemnité de procédure formée par la SARL [B] [T].