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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 18 avril 2024, n° 23/03231

DOUAI

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poupet

Conseillers :

M. Vitse, Mme Miller

Avocats :

Me Delannoy, Me Timmermans, Me Vannelle

TJ Lille, du 9 mai 2023

9 mai 2023

Mme [Y] [L] a été liée par un pacte civil de solidarité avec [C] [V] entre le 20 novembre 2015 et le18 septembre 2018. Ils étaient associés de la SCI Jaumed, à hauteur de 49% pour [C] [V] et de 51% pour Mme [L]. Cette SCI détient notamment à son actif un immeuble de rapport sis [Adresse 8] à [Localité 10] et des liquidités.

[C] [V] est décédé le [Date naissance 3] 2021.

Les opérations de succession sont ouvertes depuis le 28 septembre 2021 et Mme [M] [H], mère du défunt, est légataire universel des biens de ce dernier.

Le 12 octobre 2022, un acte authentique de partage partiel a été signé entre Mme [H] et Mme [L].

Par acte du 27 février 2023, Mme [H] a fait assigner Mme [L] devant le président du tribunal judiciaire de Lille statuant suivant la procédure accélérée au fond afin, notamment, d'obtenir la désignation d'un expert judiciaire aux fins d'évaluer les parts de la société Jaumed à la date du décès de [C] [V].

Par acte du 7 avril 2023, elle a fait assigner la SCI Jaumed en intervention forcée devant le tribunal judiciaire de Lille aux fins de lui rendre la procédure d'expertise demandée commune.

Cependant, les deux affaires n'ont pas été appelées aux mêmes audiences et n'ont pas été jointes.

Par jugement du 9 mai 2023, le président du tribunal judiciaire de Lille a déclaré la demande de Mme [H] irrecevable, laissé à celle-ci la charge des dépens de l'instance et débouté les parties de leurs demandes respectives formulées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 12 juillet 2023, Mme [H] a interjeté appel de cette décision.

Par jugement du 11 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Lille a considéré l'assignation en intervention forcée de la SCI Jaumed comme caduque.

***

Préalablement, anticipant sur l'issue probable de la procédure, Mme [H] avait fait assigner la société Jaumed devant le tribunal judiciaire de Lille par acte du 5 juillet 2023, dans le cadre d'une instance principale aux fins, notamment, d'obtenir la désignation d'un expert judiciaire afin de valoriser les parts de la société, ainsi que l'immeuble de [Localité 10] figurant à son actif.

Par jugement du 26 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Lille a déclaré sa demande recevable et a désigné M. [K] [E] en qualité de tiers évaluateur afin de procéder à l'évaluation des parts sociales détenues par [C] [V] au jour de son décès.

***

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 16 novembre 2023, Mme [H] demande à la cour, au visa des articles 1843-4 du code civil, 481-1, 232 à 248, 263 à 284 et 700 du code de procédure civile, d'infirmer le jugement du 9 mai 2023 et, statuant à nouveau, de :

A titre principal :

- juger que l'expertise décidée par le tribunal judiciaire de Lille par jugement du 26 septembre 2023, ayant désigné M. [K] [E] en qualité de tiers évaluateur des parts sociales de la société Jaumed au jour du décès de [C] [V] doit être rendue commune à l'intimée ;

- juger que cette dernière sera considérée comme partie à l'expertise diligentée par M. [E] à compter de la décision à intervenir ;

A titre subsidiaire :

- juger qu'une expertise sur la valorisation des parts sociales de la société Jaumed doit être diligentée compte tenu du désaccord sur la valeur desdites parts entre elle et Mme [L] ;

- désigner M. [K] [E] en qualité de tiers évaluateur, lequel pourra s'adjoindre tout sapiteur de son choix, avec une mission qu'elle détaille ;

- juger que les honoraires de ce dernier devront être partagés par moitié entre elle-même et Mme'[L] ;

En tout état de cause :

- condamner l'intimée, outre aux dépens, à lui verser la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 17 octobre 2023, Mme [L] demande à la cour, au visa des articles 145 et 700 du code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

- rejeter la demande d'expertise uniquement basée sur des 'avis de valeur', insuffisants en l'état';

- débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes ;

si la cour venait à faire droit à la demande d'expertise telle que présentée par l'appelante :

- condamner celle-ci à supporter les entiers frais d'expertise ;

- lui donner acte de toutes ses protestations et réserves ;

- condamner, en tout état de cause, l'appelante, outre aux dépens, à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour le détail de l'argumentation des parties, il sera référé à leurs dernières écritures précitées, par application de l'article 455 du code de procédure civile.

Par note en délibéré envoyée au parties le 3 avril 2024, la cour a demandé aux parties de présenter leurs observations sur la recevabilité de la demande principale au visa des articles 542 et 901-4° du CPC dès lors que l'objet de celle-ci ne fait pas l'objet d'un chef du jugement frappé d'appel.

Les parties n'ont pas présenté d'observations dans le délai imparti par la cour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande principale tendant à l'extension à Mme [L] de l'expertise ordonnée par le tribunal judiciaire de Lille le 26 septembre 2023

Aux termes de l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

Il résulte de l'article 901-4° du même code que la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 et par le cinquième alinéa de l'article 57, et à peine de nullité (...) les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

En l'espèce, la demande Mme [L], n'étant pas relative à un chef du jugement frappé d'appel qu'elle demanderait à la cour d'infirmer préalablement, n'est pas recevable.

Sur la demande subsidiaire aux fins d'expertise

Aux termes de l'article 122 du code de procédure, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel que le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En application des articles 31 et 32 du même code, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir étant irrecevable.

L'article 1843-4 du code civil dispose que :

'I. ' Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.

II. ' Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties.'

En l'espèce, [C] [V] était associé au sein de la SCI Jaumed à hauteur de 49 %, Mme [L] détenant les 51% restant.

Il est décédé le [Date décès 4] 2021 et Mme [H] est sa légataire universelle.

Aux termes de l'article 13 des statuts de la société, relatif à la mutation par décès, 'Toute transmission même par décès ou à titre gratuit, n'interviendra librement qu'au profit de personnes ayant déjà elles-mêmes la qualité d'associés, la qualité d'associé n'étant pas transmise de plein droit au profit des ayants droit des associés.

En conséquence, tout autre ayant droit doit, pour devenir associé, obtenir l'agrément de la collectivité des associés se prononçant par décision extraordinaire hors la présence de ces dévolutaires, les voix attachées aux parts de leur auteur n'étant pas retenues pour le calcul du quorum et de la majorité.

Les ayants droits doivent justifier de leurs qualités et demandeur leur agrément s'il y a lieu, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans un délai de trois mois à compter du décès ou de la disparition de la personnalité morale de l'associé.

Les ayants droits qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur. Cette valeur doit être payée par les nouveaux titulaires des parts ou par la société elle-même, si celle-ci les a rachetées en vue de leur annulation. Cette valeur est déterminée au jour du décès ou de la disparition de la personnalité morale dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du code civil. Les frais d'expertise sont supportés moitié par la société, moitié par la succession ou par les ayants droits évincés, selon le cas.' (souligné par la cour)

Mme [H] n'a pas été agréée en qualité d'associée de la SCI Jaumed, Mme [L], seule associée survivante de la SCI, lui ayant fait savoir, par l'intermédiaire de son conseil, qu'elle ne souhaitait agréer aucun nouvel associé dans la SCI.

Mme [H] a donc droit à une indemnisation correspondant à la valeur des parts détenues par [C] [V] au jour de son décès, soit le [Date décès 4] 2021.

Or la valeur des parts de la SCI Jaumed fait l'objet d'un désaccord entre Mme[L] et Mme [H], portant notamment sur la valeur du principal actif immobilier de la SCI (immeuble de [Localité 10]).

C'est à bon droit que, saisi d'une demande d'expertise de la SCI Jaumed formée par Mme'[H] à l'encontre de la seule Mme [L] et sans que la SCI soit dans la cause, le premier juge a estimé qu'elle était mal dirigée et donc irrecevable, quand bien même une demande en intervention forcée de la SCI Jaumed avait ensuite été initiée, étant précisé que la décision du juge de ne pas accorder le renvoi demandé en vue d'ordonner la jonction des deux procédures est une mesure d'administration judiciaire insusceptible de recours.

Il convient par ailleurs de constater que la SCI Jaumed n'a pas été mise en cause dans le cadre de la présente instance d'appel, ainsi que Mme [H] en aurait eu la possibilité par l'intermédiaire d'une assignation en intervention forcée en vertu de l'article 327 du code de procédure civile.

La décision entreprise sera donc confirmée.

Sur les autres demandes

Mme [M] [H] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Il convient par ailleurs de la condamner à payer à Mme [L] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme la décision entreprise,

Y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande formulée par Mme [M] [H] tendant à voir ordonner l'extension à Mme [Y] [L] de l'expertise ordonnée par le tribunal judiciaire de Lille par jugement du 26 septembre 2023 ;

Condamne Mme [M] [H] aux dépens d'appel ;

La condamne à payer à Mme [Y] [L] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.