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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 23 avril 2024, n° 22/01135

BESANÇON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Hags France (SAS)

Défendeur :

D.5.C (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Wachter

Conseillers :

M. Saunier, Mme Willm, Mme Domenego

Avocats :

Me Brocard, Me Alcalde, Me Latil, Me Leroux

TJ Vesoul, du 24 mai 2022, n° 21/01362

24 mai 2022

*************

Suivant acte sous seings privés en date du 1er mars 2019, la SCI D5C a donné en location à la SAS Hags France, à titre de bail dérogatoire non soumis aux dispositions du code du commerce relatif aux baux commerciaux, des locaux situés dans la zone de la Houche à Mailleroncourt-Charette (70), moyennant un loyer annuel hors charges de 38 064 euros, pour une durée ferme de 18 mois du 1er mars 2019 au 31 août 2020.

Par avenant en date du 1er septembre 2020, les parties ont convenu de proroger la durée du bail de deux mois à compter du 31 août 2020, soit jusqu'au 31 octobre 2020.

La société Hags France a quitté les lieux le 29 juillet 2021.

Par exploit du 18 octobre 2021, la SCI D5C a fait assigner la société Hags France devant le tribunal judiciaire de Vesoul pour voir juger qu'à compter du 1er novembre 2020 le bail dérogatoire devait être requalifié en bail soumis au statut des baux commerciaux, et, en conséquence, voir la défenderesse condamnée au paiement de la somme de 102 772,80 euros TTC au titre des loyers dus jusqu'au terme de la première période triennale, ainsi que celle de 2 428,70 euros au titre des charges impayées. En cours de procédure, elle a sollicité en outre la condamnation de la société Hags France au paiement de la somme de 3 245,11 euros au titre de la taxe foncière, et de celle de 7 929 euros au titre des travaux de remise en état.

La société Hags France s'est opposée à ces prétentions, au regard de la poursuite du bail dérogatoire et de l'absence de conclusion d'un bail commercial. Elle a réclamé que la SCI D5C soit condamnée à lui payer la domme de 4 900 euros en restitution du dépôt de garantie.

Par jugement du 24 mai 2022, le tribunal a :

- dit que le bail dérogatoire conclu le 1er mars 2019 entre la SCI D5C à (sic) la SAS Hags France, pour une durée ferme de 18 mois du 1er mars 2019 au 31 août 2020, prorogé par avenant en date du 1er septembre 2020, d'une nouvelle durée de deux mois à compter du 31 août 2020, soit jusqu'au 31 octobre 2020, s'est achevé le 30 novembre 2020 et qu'à compter du 1er décembre 2021 (sic), il s'est opéré un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux ;

- condamné la SAS Hags France à payer à la SCI D5C :

* la somme de 102 772,80 euros TTC au titre des loyers dus jusqu'au terme de la première période triennale ;

* celle de 2 428,70 euros au titre des charges impayées arrêtées au 31 juillet 2021 ;

* celle de 3 245,11 euros au titre de la taxe foncière 2021 ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- laissé à la charge de chaque partie les dépens par elle exposés, avec droit pour la SCP All Conseils de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :

- que le bail du 1er mars 2019, intitulé bail dérogatoire, avait été conclu pour une durée de 18 mois entiers et consécutifs à partir du 1er mars 2019 pour se terminer le 31 août 2020 ; que par avenant du 1er septembre 2020, les parties avaient convenu de proroger la durée du bail de deux mois à compter du 31 août 2020, soit jusqu'au 31 octobre 2020 ; que cet avenant prévoyait que, sauf accord exprès des parties, le locataire s'engageait à quitter le local à la date du 31 octobre 2020 et au plus tards dans le mois suivant cette échéance ; qu'il était établi que la société Hags France s'était maintenue dans les lieux après le 31 octobre 2020 ; que, par LRAR de son conseil du 9 février 2021, la bailleresse avait dénoncé toute volonté de consentir à une nouvelle prolongation, manifesté son refus d'un renouvellement d'un bail dérogatoire, et considéré que s'était nécessairement opéré, du fait du maintien en place, un bail commercial répondant au statut légal ;

- que le tribunal ne pouvait que constater l'absence de tout accord des parties relativement à une prorogation du bail dérogatoire, faute de production par la défenderesse d'un élément de nature à démontrer l'accord exprès de la bailleresse exigé par l'avenant ; que la société Hags France n'avait adressé sa proposition de prorogation que le 27 novembre 2020, soit trois jours seulement avant l'échéance, ce qui rendait difficile une réponse du bailleur avant l'expiration du délai, et une libération des lieux avant la date d'échéance, quand bien même une réponse serait parvenue immédiatement ; qu'il importait par ailleurs peu que la société Hags France ait manifesté sa volonté de ne pas conclure un bail commercial soumis au statut, dès lors qu'en application de l'article L. 145-5 du code de commerce, si le preneur restait et était laissé en possession des lieux au-delà du terme du bail dérogatoire, il s'opérait un nouveau bail dont l'effet était régi par les articles L. 145-1 et suivants ; que l'affectation des locaux à des services administratifs et de stockage était sans incidence sur l'existence d'un fonds de commerce dès lors qu'une activité commerciale s'exerçait indéniablement dans les locaux ;

- qu'aucun congé régulier n'avait été délivré 6 mois avant l'expiration du bail par LRAR ou acte extra-judiciaire ; que, s'il pouvait être mis fin à un bail commercial amiablement pour un terme antérieur, la volonté des parties de mettre fin au contrat ne se présumait pas et, pour être tacite, devait être certaine et non équivoque ; que la remise des clés au bailleur et la présence de son représentant lors de l'état des lieux de sortie n'établissaient pas, à elles-seules, la volonté du bailleur d'accepter la résiliation anticipée du bail commercial ; que le document produit par la société Hags France, constatant la résiliation amiable du contrat, n'était signé par aucune des parties et ne faisait pas mention de son auteur, alors que la société D5C n'avait jamais réclamé la remise des clés à la société Hags France ; qu'il y avait donc lieu de considérer que le bail s'était poursuivi, malgré la restitution des clés ;

- que la défenderesse était redevable des loyers impayés du 1er août 2021 au 31 octobre 2023, soit 102 772,80 euros, outre celle de 2 428,70 euros au titre des charges arrêtées au 31 juillet 2021 et celle, non contestée, de 3 245,11 euros au titre de la taxe foncière ;

- qu'il n'était fourni aucun état des lieux de sortie ni constat contradictoire ou d'huissier permettant au tribunal de connaître l'état des locaux et l'existence de dégradations imputables à la locataire ;

- qu'en l'absence de résiliation du bail commerical et d'un état des lieux valablement réalisé, il n'y avait pas lieu d'ordonner la restitution du dépôt de garantie.

La société Hags France a relevé appel de cette décision le 11 juillet 2022, en déférant à la cour l'ensemble de ses chefs.

Par conclusions récapitulatives n°2 transmises le 30 janvier 2023, l'appelante demande à la cour :

Vu les dispositions des articles L 145-1 et L 145-5 du code de commerce,

A titre principal

- de réformer la décision en ce qu'elle a considéré qu'il existait entre les parties un bail commercial à compter du 1er décembre 2020 ;

- de considérer qu'il ne s'est pas opéré entre les parties un bail commercial à compter du 1er décembre 2020 ;

- de réformer la décision en ce qu'elle a considéré qu'un fonds de commerce était exploité dans les lieux loués ;

- de considérer que les locaux loués ne servaient pas à l'exploitation d'un fonds de commerce ;

- de condamner la SCI D5C au remboursement intégral à la SAS Hags France de la somme de

4 900 euros TTC au titre de la restitution du dépôt de garantie ;

- de débouter la SCI D5C de toutes ses demandes ;

A titre subsidiaire

Si la cour devait confirmer la décision de 1ère instance

- d'ordonner la restitution des lieux loués au preneur dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir ;

En tout état de cause

- de rejeter l'appel incident ;

- de constater que la somme de 2 428,70 euros concernant les charges a été réglée ;

- de dire et juger que la taxe foncière 2021 ne pourra être mise à la charge du preneur que prorata temporis ;

- de condamner la SCI D5C à payer à la SAS Hags France la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner la SCI D5C aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 13 décembre 2022, la SCI D5C demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que le bail dérogatoire conclu le 1er mars 2019 entre la SCI D5C à (sic) la SAS Hags France, pour une durée ferme de 18 mois du 1er mars 2019 au 31 août 2020, prorogé par avenant en date du 1er septembre 2020, d'une nouvelle durée de deux mois à compter du 31 août 2020, soit jusqu'au 31 octobre 2020, s'est achevé le 30 novembre 2020 et qu'à compter du 1er décembre 2021, il s`est opéré un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux ;

* condamné la SAS Hags France à payer à la SCI D5C :

- la somme de 102 772,80 euros TTC au titre des loyers dus jusqu'au terme de la première période triennale ;

- celle de 2 428,70 euros au titre des charges impayées arrêtées au 31 juillet 2021 ;

- celle de 3 245,11 euros au titre de la taxe foncière 2021 ;

- d'accueillir l'appel incident de la SCI D5C ;

- d'infirmer ou réformer le jugement en ce qu'il a :

* débouté la SCI D5C de ses autres demandes tendant au paiement de la somme de 7 929 euros au titre des travaux de remise en état suite à l'état des lieux dressé au départ du locataire, de celle de 3 000 euros en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que la condamnation de la société Hags France aux dépens de l'instance ;

- de condamner la SAS Hags France à payer à la SCI D5C la somme de 7 929 euros au titre de sa facture 12/2021 relative aux travaux de remise en état ;

- de condamner la SAS Hags France à payer à la SCI D5C la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des frais irrépétibles exposés devant le tribunal judiciaire de Vesoul ainsi qu'à celle de 3 500 euros sur le même fondement devant la cour ;

- de condamner la SAS Hags France aux dépens de la procédure de première instance ainsi que de ceux d'appel.

La clôture de la procédure a été prononcée le 23 janvier 2024.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

Sur ce, la cour,

Sur le sort du bail

C'est aux termes d'une mise en perspective complète et pertinente des textes applicables et des pièces contractuelles, qu'aucun élément nouveau développé à hauteur de cour ne permet de remettre en cause, que le premier juge a retenu que le bail dérogatoire n'avait pas été renouvelé à l'arrivée de son échéance du 31 octobre 2020, faute d'accord exprès du bailleur à cette fin, peu important à cet égard que la durée cumulée des baux dérogatoires successifs n'ait pas atteint le maximum de 3 ans prévu à l'article L. 145-5 alinéa 1er du code de commerce.

Cet article énonce à son alinéa 2 que si, à l'expiration du bail dérogatoire, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre (bail commercial).

Il n'en demeure cependant pas moins que la mise en oeuvre de cette disposition reste subordonnée à la réunion des conditions d'existence d'un bail commercial, savoir notamment l'exploitation dans les lieux d'un fonds de commerce.

Or, il résulte des éléments produits qu'à la faveur des baux dérogatoires, les lieux loués étaient utilisés par la société Hags France à des fins exclusives de locaux administratifs et de stockage, dans le cadre d'une phase de désengagement de son implantation locale liée à la perspective d'une fusion avec une société exerçant son activité commerciale à [Localité 3], laquelle est intervenue le 4 mars 2021. C'est ce que confirme le fait que les baux dérogatoires portent sur des locaux constitués uniquement de bureaux et d'espaces de stockage, étant précisé que le seul espace dont l'usage était initialement à vocation commerciale, savoir celui désigné dans le bail sous le vocable de 'show-room', a fait l'objet, dans le cadre du bail dérogatoire, et avec l'accord du bailleur, de travaux ayant eu pour effet sa transformation en espace d'entreposage de marchandises.

Dès lors ainsi qu'il n'était pas exploité de fonds de commerce dans les lieux, aucun bail commercial n'a pris naissance entre les parties à l'arrivée de l'échéance du bail dérogatoire.

Le jugement querellé sera infirmé en ce sens.

Sur les demandes en paiement

1° Sur la demande en paiement de loyers

En l'absence de bail commercial, la décision entreprise ne pourra qu'êre infirmée en ce qu'elle a alloué à la SCI D5C une somme correspondant aux loyers pour la première période triennale.

Seule une indemnité d'occupation est due par la société Hags France pour la période au cours de laquelle elle a continué d'occuper les lieux, depuis l'échéance du bail dérogatoire jusqu'à leur libération le 29 juillet 2021.

Il n'est cependant pas contesté qu'elle s'est acquittée pendant toute la période concernée d'une somme correspondant au loyer conventionnel stipulé au bail dérogatoire, de sorte qu'il doit être considéré que le préjudice résultant de l'occupation a été intégralement compensé.

2° Sur la demande en paiement de charges

Cette demande ne fait l'objet d'aucune contestation, et la société Hags France fait valoir qu'elle s'est acquittée de son montant.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement sur ce point, sauf à dire que la condamnation prononcée l'est en deniers et quittances, pour prendre en compte le paiement.

3° Sur la demande relative à la taxe foncière 2021

La société Hags France ne conteste pas être redevable de la taxe foncière afférente à l'année 2021, mais fait valoir à juste titre qu'elle ne peut être tenue que dans la limite prorata temporis de son occupation des locaux.

Or, si la facture adressée par la bailleresse fait état d'une quote-part, il s'agit manifestement, non pas de l'application d'un prorata temporis, mais de l'application de la stipulation contractuelle selon laquelle la taxe foncière incombe à la locataire au prorata des surfaces occupées.

La société Hags France sera en conséquence condamnée à payer à ,la SCI D5C au titre des taxes foncières 2021 la somme de 1 893 euros (3 245,11 euros x 7/12).

La décision querellée sera infirmée en ce sens.

4° Sur les demandes relatives à la remise en état des lieux et à la restitution du dépôt de garantie

Pour s'opposer à la demande formée par la société Hags France en restitution du dépôt de garantie de 4 900 euros resté en possession de la bailleresse aux termes du bail dérogatoire, la SCI D5C fait valoir qu'elle a dû procéder à des travaux de remise en état des locaux loués pour un coût total de 7 929 euros, dont elle réclame le règlement.

La bailleresse produit à l'appui de sa prétention des devis relatifs à des travaux de nettoyage à hauteur de 790 euros HT, à des travaux de peinture pour un montant de 817,50 euros HT, et à des travaux de remise en état du parking pour un montant de 5 000 euros HT.

Toutefois, il sera constaté qu'il n'est versé aux débats aucun état des lieux ou procès-verbal de constat de nature à établir dans quel état se trouvaient les locaux respectivement lors de leur prise à bail, puis lors de leur restitution par la société Hags France le 29 juillet 2021, de sorte que rien ne démontre en l'état des pièces produites, et des contestations de la société Hags France, que les travaux facturés soient justifiés par des dégradation imputables à cette dernière.

Le jugement déféré sera en conséqucne confirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée à ce titre par la société D5C.

Celle-ci devra quant à elle être condamnée à restituer à la société Hags France le montant du dépôt de garantie, soit 4 900 euros. L'infirmation s'impose de ce chef.

Sur les autres dispositions

Le jugement sera infirmé s'agissant des dépens et confirmé s'agissant du rejet des demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI D5C sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Les demandes formées à hauteur de cour sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

Par ces motifs

Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,

Confirme le jugement rendu le 24 mai 2022 par le tibunal judiciaire de Vesoul en ce qu'il a :

* dit que le bail dérogatoire conclu le 1er mars 2019 entre la SCI D5C et la SAS Hags France, pour une durée ferme de 18 mois du 1er mars 2019 au 31 août 2020, prorogé par avenant en date du 1er septembre 2020, d'une nouvelle durée de deux mois à compter du 31 août 2020, soit jusqu'au 31 octobre 2020, s'est achevé le 30 novembre 2020 ;

* condamné la SAS Hags France à payer à la SCI D5C la somme de 2 428,70 euros au tiutre des charges impayées arrêtées au 31 juillet 2021, sauf à dure que cette condamnation est prononcée en deniers et quittances ;

* rejeté la demande formée par la SCI D5C au titre des travaux de remise en état ;

* rejeté les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Infirme le jugement déféré pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et ajoutant :

Dit qu'il ne s'est pas opéré conclusion d'un bail commercial à compter du 1er décembre 2020 ;

Rejette la demande de la SCI D5C en paiement de la somme de 102 772,80 euros TTC à titre de loyers ;

Condamne la SAS Hags France à payer à la SCI D5C la somme de 1 893 euros TTC au titre des taxes foncières 2021 ;

Condamne la SCI D5C à payer à la SAS Hags France la somme de 4 900 euros TTC au titre de la restitution du dépôt de garantie ;

Condamne la SCI D5C aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Rejette les demandes formées à hauteur d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.