CA Douai, 2e ch. sect. 2, 18 avril 2024, n° 23/04104
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Pavillon de Flore (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barbot
Conseillers :
Mme Cordier, Mme Soreau
Avocats :
Me Camus-Demailly, Me Schaeffer, Me Dewattine, Me Cliquennois
FAITS ET PROCEDURE
Par un acte authentique du 17 février 2002 la SCI du Pavillon de Flore (la SCI) a donné en location à Mme [O] un local commercial situé dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, situé [Adresse 2]. Ce bail, d'une durée de neuf années, a pris effet à compter du 1er mars 2002, pour un loyer mensuel de 1 402,53 euros hors taxes (HT).
Par un avenant du 1er mars 2002, la SCI a également donné en location à Mme [O] deux vitrines d'affichage publicitaire situées sur le pignon de immeuble ci-dessus désigné.
A son échéance, le 28 février 2011, le bail s'est poursuivi par tacite reconduction.
Par un acte du 2 octobre 2013, Mme [O] a demandé le renouvellement du bail pour une durée de neuf ans à compter du 1er octobre 2013. La SCI a accepté le principe du renouvellement.
Le litige opposant les parties sur le montant du bail renouvelé s'est achevé par un jugement du 5 décembre 2018, qui a rejeté la demande de la bailleresse tendant à la fixation du loyer après déplafonnement et fixé le loyer à la somme de 25 216,07 euros HT.
Par une sommation du 3 juillet 2015, la SCI a mis en demeure Mme [O] de procéder, avant le début du mois de septembre, à divers travaux de remise en état.
Le 6 septembre 2016, la SCI a délivré à Mme [O] un commandement visant la clause résolutoire afin d'obtenir le paiement de la somme de 3 254,87 euros correspondant à un impayé de loyers et charges. Mme [O] s'est acquittée de la somme de 3 240,28 euros, l'huissier instrumentaire ayant reversé celle de 2 972,89 euros au bailleur.
Le 19 avril 2017, la SCI a vainement mis Mme [O] en demeure de remettre en place les vitrines publicitaires dans le délai d'un mois.
Par un acte du 16 août 2017, la SCI a assigné Mme [O] en constat de la résiliation du bail, faute pour la locataire d'avoir déféré aux causes de la sommation du 3 juillet 2015, ainsi qu'en expulsion et en paiement d'une indemnité d'occupation.
Par un jugement du 21 mai 2019, le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer a :
- dit n'y avoir lieu au prononcé de la résiliation du bail commercial ;
- rejeté les demandes de la SCI tendant à l'expulsion de Mme [O] et à la fixation d'une indemnité d'occupation ;
- rejeté les demandes reconventionnelles de Mme [O] [tendant à être autorisée à consigner les loyers, à l'octroi de dommages et intérêts pour trouble d'exploitation, et pour procédure abusive] ;
- dit que chaque partie conserverait la charge de ses dépens.
Sur l'appel formé par la SCI, un arrêt rendu par la cour d'appel de Douai le 10 mars 2022 a :
- réformé le jugement entrepris en ce qu'il a dit que Mme [O] avait commis un manquement contractuel en s'opposant aux travaux votés par la copropriété, en ce qu'il a rejeté la demande de consignation des loyers et en ce qu'il a statué sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile ;
- confirmé ce jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs réformés et y ajoutant :
- ordonné la consignation des loyers entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats de Boulogne-sur-Mer ;
- condamné la SCI à payer à Mme [O] une indemnité procédurale de 5 000 euros au titre de la première instance et de l'appel ;
- condamné la SCI aux dépens de première instance et d'appel ;
- rejeté les prétentions plus amples ou contraires.
Par un arrêt du 6 juillet 2023 (troisième chambre civile, 6 juillet 2023, pourvoi n° 22-15923), la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt du 10 mars 2022 précité et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Douai autrement composée.
La cassation a été prononcée pour manque de base légale, au visa de l'ancien article 1184, alinéa 1er, du code civil et de l'article 1719 de ce code, aux motifs que la cour d'appel n'avait pas recherché, comme elle y était invitée, « si les infiltrations alléguées [par la locataire] avaient rendu les locaux loués impropres à l'usage auquel ils étaient destinés. »
Par une déclaration du 8 septembre 2023, la SCI a saisi la cour de renvoi, en critiquant les chefs suivants du jugement déféré :
- celui disant n'y avoir lieu au prononcé de la résiliation du bail ;
- celui rejetant les demandes d'expulsion et d'indemnités d'occupation formées par la SCI ;
- et celui relatif aux dépens.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 1er février 2024, la SCI demande à la cour, notamment au visa des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce et « 1848 » du code civil, de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
' dit n'y avoir lieu au prononcé de la résiliation du bail ;
' rejeté les demandes de la SCI tendant à l'expulsion de Mme [O] et à la fixation d'une indemnité d'occupation ;
' dit que chacune des parties conserverait la charge de ses dépens ;
- confirmer ce jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau :
' à titre principal :
- constater que Mme [O] n'a pas déféré à la sommation qui lui a été signifiée le 3 juillet 2015, sauf concernant la remise en place des vitrines publicitaires ;
- juger que la clause résolutoire du bail est acquise aux torts de Mme [O] ;
- constater la résiliation du bail et de son avenant par le jeu de la clause résolutoire ;
- rejeter l'intégralité des demandes formées par Mme [O] ;
' à titre subsidiaire :
Vu les manquements postérieurs aux causes de la sommation du 3 juillet 2015 ;
Vu les paiements très irréguliers des loyers commerciaux et des charges ;
Vu les sommes visées au commandement du 11 octobre 2023 ;
Vu la gravité et la persistance des manquements ;
- prononcer la résiliation du bail par suite des manquements postérieurs aux causes de la sommation du 3 juillet 2015 et du non-paiement des loyers commerciaux et charges ;
- rejeter l'intégralité des demandes formées par Mme [O] ;
' en tout état de cause :
- rejeter l'intégralité des demandes formées par Mme [O] ;
- ordonner son expulsion ;
- dire qu'elle sera tenue au paiement d'une indemnité d'occupation à compter de la décision à intervenir jusqu'au jour de la libération effective des lieux « sur la base de 150 % du loyer mensuel », la condamner à payer une indemnité d'occupation mensuelle d'un montant de 2 495,16 euros « correspondant au montant du loyer mensuel, charges comprises » ;
- condamner Mme [O] au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de sa résistance abusive ;
- la condamner au paiement d'une indemnité procédurale de 5 000 euros.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 février 2024, Mme [O] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
' rejeté la demande de résiliation du bail formée par la SCI ;
' rejeté la demande d'expulsion et d'indemnité d'occupation ;
- infirmer le jugement en ce qu'il rejette ses demandes ;
Statuant à nouveau :
- dire que la SCI est redevable des travaux permettant d'assurer le clos et le couvert des lieux loués ;
- dire qu'elle manque à son obligation de délivrance en ne remédiant pas aux infiltrations ;
- ordonner la consignation des loyers entre les mains du bâtonnier séquestre de l'ordre des avocats du barreau de Boulogne-sur-Mer ;
- condamner la SCI à lui payer les sommes suivantes :
' 5 000 euros en compensation des préjudices subis dans l'exploitation de son commerce depuis de nombreuses années ;
' 5 000 euros pour procédure abusive ;
- rejeter toutes les demandes de la SCI ;
En tout état de cause :
- condamner la SCI au paiement d'une indemnité procédurale de 7 000 euros ;
- condamner la même aux dépens d'appel.
MOTIVATION
A titre liminaire, il convient de rappeler que, hormis la demande tendant à la constatation du jeu de la clause résolutoire, les autres demandes de constatations ou de « dire et juger » constituent des moyens, et non des prétentions saisissant la cour au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile.
1°- Sur l'exception d'inexécution et la demande de consignation des loyers formées par la locataire, et les demandes de résiliation du bail formées par la bailleresse :
La SCI fonde sa demande de résiliation du bail sur trois séries de manquements imputables à la locataire.
En premier lieu, elle invoque le paiement irrégulier des loyers et charges par la locataire, et fait ainsi valoir que :
- depuis « 2011 » (p. 14 des concl.), la locataire n'a payé les loyers qu'à la suite de la délivrance de commandements ;
- la locataire a reconnu sa dette de loyers de 2021 par un courriel du 27 mars 2021, en demandant des délais de paiement et était débitrice, au « 12 mai 2021 », de la somme de 10 755,54 euros, qu'elle a payée en trois fois, « entre les 6 avril 2021 et 15 avril 2021 » (p. 12 des concl.) ;
- si les loyers sont séquestrés depuis l'arrêt (cassé depuis lors) du 10 mars 2022, la locataire n'a pas payé les charges, d'où la délivrance de nouveaux commandements de payer les 26 mai 2023 et 16 août 2023 ;
- au 1er janvier 2024, les impayés s'élevaient à 8 760 euros (p. 13) ;
- la locataire reste très évasive sur la réalité des impayés, arguant de ce qu'elle les aurait régularisés ;
- rien ne justifie que la locataire retienne le paiement des loyers en réponse à un prétendu défaut de délivrance des biens loués, dès lors qu'elle n'a jamais cessé d'exploiter son commerce. Le bailleur n'a jamais manqué à son obligation de délivrance, et ce nonobstant les infiltrations alléguées, qui n'ont pas rendu les lieux loués impropres à l'usage auxquels ils étaient destinés (p. 14) ;
- le défaut réitéré de paiement des loyers aux échéances contractuelles peut être invoqué comme une cause de résiliation aux torts du locataire. En l'espèce, elle, bailleresse, est donc bien fondée à demander le prononcé de la résiliation du bail pour manquements réitérés du locataire à son obligation de paiement à bonne date des loyers et charges depuis « 2015 » (p. 14 des concl.) ;
En deuxième lieu, la SCI reproche à la locataire des modifications faites dans les lieux loués sans son accord. Elle fait ainsi valoir que, si elle renonce à demander la résiliation du bail sur fondement du démontage des vitrines d'affichage (cf. p. 15 des concl.), d'autres modifications ont toutefois été réalisées sans son accord, qui sont retranscrites dans un procès-verbal de constat dressé par un huissier de justice le 13 novembre 2009. Or, l'article 7 du bail prévoit que pour tous les travaux, la preneuse doit solliciter une autorisation écrite. Ainsi, la locataire a :
- d'une part, procédé à la fermeture de la trémie de l'escalier d'origine qui descendait à la cave depuis la pièce du magasin. Dès 2015, il lui a été enjoint de remettre les lieux en l'état, mais en vain, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de constat du 23 juin 2023 ;
- d'autre part, fait des installations électriques non conformes sans autorisation. Il en est résulté une dégradation de l'installation électrique.
En dernier lieu, la SCI fait grief à la locataire d'un défaut d'entretien des lieux loués. Contrairement à ce que soutient Mme [O], l'article 4-5 du bail met bien à sa charge les travaux d'entretien pendant toute la durée du bail. En effet :
- un constat d'huissier du 28 mai 2015 a mis en évidence l'état lamentable des lieux loués, la sommation d'avoir à y remédier étant restée sans suite jusqu'à ce jour ;
- la locataire s'oppose systématiquement à la réalisation des travaux réclamés, plusieurs tentatives en ce sens ayant vainement été accomplies par elle. Cette attitude caractérise sa mauvaise foi. Le jugement entrepris a d'ailleurs relevé le comportement incohérent de la locataire, qui ne paie pas ses loyers en tirant prétexte de défaillances du bailleur dans l'exécution de ses obligations, tout en refusant aux entrepreneurs d'accéder à son appartement afin de réaliser les travaux ;
- les désordres dont se plaint la locataire correspondent à des infiltrations modérées, ainsi qu'en atteste un procès-verbal de constat du 25 août 2023. Pourtant, la locataire refuse au syndic un libre accès afin de constater ces désordres pour trouver leur cause ;
- la locataire n'ayant jamais cessé d'exploiter son commerce, elle ne peut donc opposer l'exception d'inexécution, qui suppose une impossibilité absolue d'exploiter son fonds en raison des manquements du bailleur à ses obligations de délivrance ou d'entretien (p. 19 des concl.) ;
La SCI en conclut que la résiliation du bail doit être prononcée par le jeu de la clause résolutoire insérée au bail ou en conséquence des manquements postérieurs aux causes de la sommation du 3 juillet 2015 et au non-paiement des loyers et charges, sont demandées l'expulsion de la locataire et sa condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation.
En réponse, Mme [O] fait d'abord valoir que la bailleresse est fautive (pp. 12-13). En effet :
- un arrêt rendu entre les parties le 4 mai 2023 confirme que la bailleresse « ne justifie pas de la délivrance totale du bien » donné en location ;
- c'est de mauvaise foi que la bailleresse soutient qu'elle aurait réalisé des travaux sans son autorisation ;
- ces travaux n'ont jamais été mentionnés lors des nombreuses procédures ayant opposé les parties et la preuve de leur existence n'est pas rapportée.
Ensuite, concernant l'exception d'inexécution (p. 14 et s.), Mme [O] fait valoir ceci :
- l'exception d'inexécution ne se limite pas à une impossibilité totale d'exploiter les lieux comme semble l'évoquer la Cour de cassation dans l'arrêt qu'elle a rendu en l'espèce ;
- il convient de ne pas confondre l'exception d'inexécution et les dispositions « des articles 1719 et suivants », qui supposent une absence de jouissance totale ou partielle du bail pendant une certaine durée ;
- les travaux que le bailleur prétend vouloir exécuter ne correspondent pas à ceux incombant au propriétaire, permettant la jouissance paisible et la fin des désordres qu'elle subit, mais à des travaux votés en assemblée générale ;
- elle ne peut laisser l'accès au local, outil de travail, « pour effectuer des travaux à son détriment » (p. 15), c'est-à-dire des travaux votés en assemblée générale qui ne correspondent pas à l'entretien des lieux loués et qui lui porteraient préjudice en ce qu'ils auraient pour finalité de réduire la superficie louée ;
- « les arguments tendant à prétendre que l'exception d'inexécution n'a pas lieu d'être n'[ont] pas lieu de s'appliquer » (p. 15) ;
- il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de résiliation du bail et d'expulsion, et à l'inverse, de l'infirmer en ce qu'il a rejeté sa demande à elle, locataire, de consignation des loyers.
Mme [O] ajoute (pp. 15 et s.) que :
- l'on ne peut lui reprocher de s'être opposée à la mise en oeuvre des travaux votés en assemblée générale, dès lors que le syndicat des copropriétaires a été débouté de ses demandes tendant à ce qu'il lui soit ordonné en référé à elle, locataire, de remettre en l'état la trémie de l'escalier (ordonnance du 18 décembre 2019) et tendant à laisser les entreprises accéder au local (arrêt du 14 décembre 2017) ;
- elle ne s'oppose aux travaux demandés par le syndicat des copropriétaires qu'en ce qu'ils portent atteinte aux droits qui lui ont été « transmis » par le bail. Ces travaux de reconstruction d'un escalier permettant l'accès aux étages supérieurs ne concernent pas les désordres qu'elle subit ;
- les travaux qu'elle demande et qui sont nécessaires au respect de l'obligation de délivrance du bailleur portent sur le clos de l'immeuble ;
- en l'espèce, la Cour de cassation, comme la cour d'appel et les rédacteurs de l'ordonnance du 10 février 2016 « avaient la volonté d'appliquer un principe de proportionnalité » (pp. 17 in fine et 18) ;
- « il faut que l'inexécution appliquée dans l'hypothèse d'une inexécution réciproque soit proportionnée à cette dernière » (p. 17). Tel est le cas puisque le séquestre « a été validé par les juridictions » ;
- il est indiscutable que l'absence de travaux entrave l'exploitation, puisque qu'elle-même, locataire, n'a pas la jouissance intégrale de son local ;
- il est donc incontestable que la bailleresse n'exécute pas son obligation volontairement.
Concernant le non-paiement des loyers (pp. 18 à 21), Mme [O] fait valoir que :
- le décompte établi le 1er octobre 2021 montre que les loyers de l'année 2017, visés par le commandement du 19 avril 2017, ont été rapidement acquittés ;
- même délivré par un huissier de justice, un commandement ne vaut que mise en demeure et n'accrédite en rien la véracité des faits qu'il contient. En effet, il appartient au bailleur d'établir la persistance de l'infraction aux clauses du bail après l'expiration du délai de mise en demeure ;
- l'interminable succession d'actes d'huissier délivrés par la bailleresse est révélatrice de l'acharnement de cette dernière ;
- la bailleresse argue de mauvaise foi d'impayés de loyers, alors que les commandements portaient surtout sur des charges ;
- il est logique qu'elle ne se soit pas acquittée des charges si leur montant était inexact. Ainsi, les charges de l'année 2016 ont été réclamées prématurément ;
- plusieurs décisions de justice ont confirmé l'illégitimité des demandes formées par la bailleresse ;
- le nombre important de commandements l'a contrainte à vérifier toutes les sommes réclamées avant de payer ;
- elle a toujours été de bonne foi et la bailleresse ne justifie pas d'un impayé de loyer ;
- il est donc « impensable de considérer que la clause résolutoire [est] acquise en se fondant sur ces retards de paiement » (p. 20) ;
- de manière surprenante lorsqu'est demandée l'acquisition de la clause résolutoire, la bailleresse ne lui demande pas de payer une quelconque somme correspondant à un impayé de loyer ;
- les retards cités datent de 2021 et portent sur quelques jours, et non plusieurs mois ;
- concernant l'impayé actuel, plus des deux tiers de la somme est payée. Le tiers restant concerne « un loyer plus que récent » et est réclamée une indemnité d'occupation alors que le bail n'est pas résilié (p. 21) ;
- il est faux de soutenir que le loyer n'est payé qu'après réception d'un commandement de payer - il n'y en a d'ailleurs plus depuis 2018 ;
- la bailleresse ne peut invoquer les tracasseries et l'énergie dépensée dans les multiples procédures à l'origine desquelles elle se trouve. Le jugement entrepris relève ainsi qu'elle ne peut se prévaloir de ses manquements à ses obligations, notamment de délivrance.
Concernant le non-entretien des locaux (pp. 21 à 25), Mme [O] estime que ce grief n'est pas fondé. Elle soutient ainsi que :
- le bail lui fait supporter de lourdes obligations en mettant toutes les réparations à sa charge, cependant que certains entretiens ne sont pas à la charge du locataire, en dépit des stipulations du bail. En effet, le bail a été renouvelé le 17 février 2020 et depuis la loi Pinel de 2014, certains travaux ne peuvent plus être mis à la charge du locataire. Il y a une grande différence entre entretenir son local en bon locataire, ce qui est le cas en l'espèce, et procéder à l'entretien complet de l'immeuble ;
- la bailleresse se plaint de l'état lamentable des lieux loués sans pour autant évoquer les travaux qui seraient à la charge du locataire et dont l'absence de réalisation justifierait la résiliation du bail. Les pièces produites ne démontrent rien ;
- il a été procédé à des travaux de la façade et d'installation d'une VMC et il est sollicité une remise aux normes de l'installation, alors que celle-ci n'a pas été modifiée depuis l'origine ;
- la bailleresse ne peut s'opposer à ce qu'elle, locataire, fasse les aménagements nécessaires à l'exercice de son activité ;
- la bailleresse ne s'est pas interrogée sur l'impact de la présence répétitive d'un huissier de justice sur son commerce à elle, locataire, et des nombreuses procédures, alors que les tribunaux ont désapprouvé son comportement ;
- les motifs invoqués à l'appui de la résiliation du bail sont « disproportionnés ».
Sur le défaut de délivrance des lieux loués (pp. 25 à 27), Mme [O] soutient que :
- les travaux auxquels elle s'oppose ne sont qu'un subterfuge derrière lequel se cache la bailleresse pour ne pas exécuter ses obligations, notamment celle de délivrance ;
- le bailleur est tenu d'une obligation d'entretien (articles 1719 et 1720 du code civil), même quand le contrat contient des « clauses types », comme en l'espèce, de telles clauses, dérogatoires, étant d'interprétation stricte. Les grosses réparations sont en principe à la charge du propriétaire (p. 26), de même que les travaux imposés par la vétusté, sauf clause contraire (p. 27) ;
- en l'espèce, elle a vainement tenté, depuis plusieurs années, d'obtenir que la bailleresse exécute ses obligations. Depuis 2012, cette dernière n'est pas intervenue auprès de la copropriété pour obtenir la réalisation des travaux, alors que les infiltrations n'ont pas cessé. Lorsque « l'expert judiciaire » (sic) est venu apprécier la consistance des lieux, il a pu constater que le sol des réserves comportait des flaques significatives de l'existence d'infiltrations. Le bailleur n'a pas réagi ;
- elle est donc fondée à demander l'autorisation de consigner les loyers jusqu'à ce qu'il soit justifié de la réalisation des travaux remédiant aux infiltrations.
Réponse de la cour :
A titre liminaire, il convient, d'indiquer que sont inopérants les développements de Mme [O] relatifs à la prescription de l'action en résiliation en ce que celle-ci concerne les vitrines d'affichage (cf. pp. 10 à 12 de ses conclusions), dès lors que, d'une part, dans ses dernières écritures d'appel (p. 15), la SCI a expressément renoncé à ce moyen au soutien de sa demande de résiliation du bail, d'autre part et surtout, le dispositif des dernières conclusions de Mme [O], qui seul saisit la cour en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, ne contient pas de prétention tendant à l'irrecevabilité de cette action pour cause de prescription.
En droit, il résulte de l'article 1728, 2° du code civil que le locataire est obligé de payer le prix du bail aux termes convenus. Il s'agit là de l'obligation essentielle lui incombant.
La charge de la preuve du paiement du loyer incombe au locataire et, s'agissant d'un fait juridique, le paiement se prouve par tous moyens.
Par ailleurs, il résulte des articles 1719 et 1720 du code civil que le bailleur est tenu d'une obligation de délivrance qui découle de la nature du contrat, sans qu'il soit besoin d'une stipulation particulière. Cette obligation, qui lui impose de délivrer un local clos et couvert, et conforme à l'usage auquel il est destiné, persiste pendant toute la durée du bail et de ses renouvellements (v. par ex. : Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 18-21890), à condition toutefois que le preneur l'informe de la survenance des désordres apparus en cours de bail (Civ. 3e, 13 oct. 2021, n° 20-19278).
Selon la jurisprudence, le preneur ne peut opposer au bailleur l'exception d'inexécution et, partant, légitimement refuser de payer les loyers, que si le manquement du bailleur a rendu les locaux impropres à l'usage auxquels ils sont destinés, ainsi que la Cour de cassation l'a rappelé dans l'arrêt de cassation rendu à l'occasion du présent litige (Civ. 3e, 6 juill. 2023, n° 22-15923, publié).
Enfin, en cas de manquement du locataire à ses obligations, le bailleur peut obtenir la résiliation du bail commercial sur deux fondements distincts : soit par l'effet d'une clause résolutoire stipulée au bail, soit en demandant la résiliation judiciaire du bail, dès lors que la stipulation d'une clause résolutoire ne prive pas son bénéficiaire de la faculté de demander la résiliation judiciaire (Civ. 3e, 26 nov. 1991, n° 91-10492, publié ; Civ. 3e, 10 déc. 2014, n° 13-27332). Le bailleur peut donc demander la résiliation du bail, à titre principal, sur le fondement de la clause résolutoire et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la résiliation judiciaire.
S'agissant de la résiliation de plein droit du bail, par l'effet d'une clause résolutoire, elle doit être constatée par le juge dès lors qu'est établi un manquement du locataire à l'une des obligations visées par la clause résolutoire, sans que le juge dispose d'un quelconque pouvoir d'appréciation quant à la gravité du manquement reproché.
Sur le fond, la mise en oeuvre de la clause résolutoire est subordonnée aux conditions suivantes :
- doit être établi un manquement à une clause expresse du bail ;
- ce manquement doit être visé par la clause résolutoire ;
- le bailleur doit invoquer la clause résolutoire de bonne foi ;
- et le manquement doit persister au-delà du délai d'un mois après la délivrance d'un commandement ou d'une mise en demeure.
En effet, au plan formel, l'article L. 145-41, alinéa 1, du code de commerce dispose que :
«Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. »
La délivrance d'un commandement, qui doit impérativement être signifié par acte extrajudiciaire, s'impose quel que soit le grief allégué par le bailleur.
Le commandement doit viser la clause résolutoire du bail, préciser les manquements reprochés au locataire afin que celui-ci puisse prendre la mesure des infractions qui lui sont reprochées, et rappeler le délai d'un mois imparti par l'article L. 145-41 au locataire pour obtempérer, et ce à peine de nullité.
Quant au prononcé de la résiliation judiciaire du bail, elle se fonde sur l'ancien article 1184 du code civil, applicable en la cause eu égard à la date du bail litigieux. Il découle de ce texte que, dans un contrat synallagmatique tel que le bail, si l'une des parties n'exécute pas ses obligations, son cocontractant peut poursuivre l'exécution forcée ou demander au juge de prononcer la résiliation du bail. S'il opte pour la résiliation, il lui appartient d'établir, à la charge de son cocontractant, une inexécution totale ou partielle des obligations, principales ou accessoires, d'une gravité suffisante - ce que les juges du fond apprécient souverainement.
En l'espèce, avant d'examiner le bien-fondé des demandes respectives des parties, il importe de déterminer la date de conclusion du bail en cause, afin de déterminer les textes qui lui sont applicables.
a) Sur la date du bail :
Il résulte des conclusions respectives des parties et des pièces versées aux débats, les éléments suivants :
- le 17 février 2002, les parties ont conclu un bail commercial pour une durée de neuf années, à compter du 1er mars 2002 et jusqu'au 28 février 2011 ;
- par un acte extrajudiciaire du 2 octobre 2013, Mme [O], après avoir exposé que ce bail avait été reconduit tacitement depuis le 28 février 2011, en a demandé le renouvellement pour une durée de neuf ans à compter du 1er octobre 2013. Par un acte d'huissier de justice du 27 décembre 2013, la SCI bailleresse a accepté le principe du renouvellement pour une durée de neuf années à compter du 1er octobre 2013, mais demandé l'augmentation du loyer à la somme de 4 000 euros, ce que la locataire a refusé ;
- le litige opposant les parties quant au montant du loyer s'est soldé par un jugement du 5 décembre 2018 qui a rejeté la demande d'augmentation du loyer formée par la SCI et dit que le loyer annuel s'élevait à 25 216,07 euros, hors taxes et hors charges, à compter du 1er octobre 2013. N'étant pas soutenu que ce jugement aurait fait l'objet d'un appel, il s'en déduit qu'il est devenu irrévocable.
Mme [O] évoque, dans ses écritures d'appel (p. 22), un renouvellement du bail le « 17 février 2020 », tandis que la SCI se prévaut de la tacite reconduction de ce contrat à compter du « 1er octobre 2022 » (v. ses conclusions d'appel, p. 3).
Outre que la date avancée par la locataire est surprenante en considération du fait que le bail s'est renouvelé en 2013 pour une durée de neuf années, la cour relève, en tout état de cause, que Mme [O] ne justifie aucunement, au moyen des pièces versées aux débats, de ce qu'elle aurait formé une nouvelle demande de renouvellement, en dehors de celle de 2013 ci-dessus évoquée.
Il résulte de tout ce qui précède que le bail a été renouvelé à compter du 1er octobre 2013 pour une durée de neuf années, soit jusqu'au le 1er octobre 2022. Depuis cette date, ce nouveau bail, dont les parties ne contestent pas qu'il s'est renouvelé aux conditions antérieures, a été reconduit tacitement, en l'absence de congé ou de demande de renouvellement.
b) Sur l'exception d'inexécution et la demande de consignation des loyers formées par la locataire :
En l'espèce, la SCI demande la résiliation du bail soit par le jeu de la clause résolutoire insérée au bail, soit en raison « des manquements postérieurs aux causes de la sommation du 3 juillet 2015 et non-paiement des loyers commerciaux et charges » (v. ses conclusions, p. 19), ce à quoi Mme [O] s'oppose en soulevant l'exception d'inexécution.
Il est constant que Mme [O] exerce, dans les lieux loués, un commerce de vente de chaussures, conformément à l'article 3 du bail, relatif à la destination des lieux loués, qui stipule que ces derniers sont à l'usage exclusif de « tous commerces. »
Il résulte uniquement du constat d'huissier de justice établi à la demande de la SCI le 28 mai 2015 des traces d'infiltrations :
- sur le plafond d'une pièce appelée « dégagement arrière », où sont stockées des boîtes à chaussures ;
- et sur le plafond de la réserve du premier étage.
La pièce correspondant au magasin ouvert au public n'est pas concernée par ces infiltrations.
En outre, selon le procès-verbal de constat le plus récent du 25 août 2023, établi à la demande de la SCI et en présence de Mme [O], cette dernière a indiqué au commissaire de justice que seule la réserve subissait des infiltrations. Ce constat révèle des marques d'infiltrations seulement au niveau des murs et du plafond de cette pièce. Mme [O] ne démontre pas que, tel qu'elle l'a également déclaré à cet officier ministériel, ces infiltrations se révéleraient « réellement » en cas de pluie survenant plusieurs jours d'affilée, ni que, comme elle le soutient dans ses écritures d'appel (pp. 17 et 27), elle aurait rencontré des difficultés à exploiter son commerce, ni qu'un « expert judiciaire » aurait constaté la présence de « flaques d'eau significatives » sur le sol des réserves.
Il résulte de tout ce qui précède qu'au vu des pièces versées aux débats, Mme [O] ne démontre nullement que les infiltrations constatées dans les locaux loués rendraient ceux-ci impropres à l'usage auquel ils sont destinés.
Par conséquent, c'est à tort que Mme [O] se prévaut de l'exception d'inexécution pour justifier le non-paiement des loyers ou charges locatives et s'oppose aux demandes de résiliation du bail formées par le bailleur notamment pour ce motif.
Pour le même motif, doit également être rejetée, dès ce stade, la demande de Mme [O] tendant à être autorisée à consigner les loyers.
Le jugement entrepris qui, en rejetant les demandes reconventionnelles formées par Mme [O], rejette notamment cette demande de consignation, doit dès lors être confirmé de ce chef.
c) Sur les demandes de résiliation du bail formées par la bailleresse :
S'agissant , en premier lieu, de la demande principale de constat de la résiliation de plein droit du bail, il convient de rappeler qu'il résulte de l'article 7, 2), du bail que le loyer dû par Mme [O] est payable d'avance, en douze termes égaux.
En outre, l'article 9 du bail stipule une clause résolutoire ainsi libellée :
« A défaut par le preneur d'exécuter une seule des charges et conditions du présent bail (...) ou à défaut de paiement d'un seul terme du prêt, loyer, accessoires et charges à leur échéance, des arriérés de loyers et intérêts de retard et frais des actes extrajudiciaires, le présent bail sera résilié de plein droit si bon semble au bailleur et sans aucune formalité judiciaire, un mois après un simple commandement ou une simple sommation rappelant expressément la présente clause résolutoire restée sans effet durant ce délai. »
La validité de cette clause et son applicabilité aux divers manquements invoqués par la bailleresse ne sont nullement discutées.
Cela étant, se pose la difficulté de savoir sur la base de quel commandement la SCI entend voir constater le jeu de la clause résolutoire - étant observé que sont versés aux débats onze commandements de payer, certains antérieurs à la date de renouvellement du bail (1er octobre 2013), d'autres postérieurs.
Cette difficulté naît de la rédaction des conclusions d'appel de la SCI. En effet :
- dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la SCI demande, à titre principal, le constat de la résiliation du bail « et de son avenant », sans toutefois préciser à quelle date ce constat devrait intervenir. De plus, dans le paragraphe 1 de ce dispositif, relatif à cette demande principale de constatation de la résiliation du bail, la SCI demande notamment de « constater, dire et juger que Mme [O] (...) n'a pas déféré à la sommation du 3 juillet 2015 ». Si cela pourrait laisser entendre que la bailleresse fonde sa demande de résiliation de plein droit sur cet acte extrajudiciaire, il s'observe toutefois que cette sommation de faire (cf. la pièce n° 15 de la SCI) ne vise pas la clause résolutoire de plein droit stipulée au bail, ni ne rappelle le délai d'un mois imparti par l'article L. 145-41 du code de commerce au locataire pour obtempérer. Cette sommation ne peut donc manifestement pas constituer le fondement de la demande de résiliation de plein droit du bail ;
- dans les motifs de ses conclusions, la SCI admet que la locataire « a fini par être à jour du règlement des loyers et charges suite au jugement du 6 septembre 2016 »(p. 9, pénultième §). L'exposé des faits de cette décision renvoyant pour sa part à un commandement du 15 mai 2015 (cf. la pièce n° 13-2 de la SCI), la cour déduit que la bailleresse n'entend pas se fonder sur ce commandement pour asseoir sa demande de constatation de la résiliation du bail de plein droit ;
- et, dans la suite des motifs de ses conclusions relatifs aux divers manquements invoqués par la SCI - à savoir le non-paiement des loyers et charges, des modifications faites dans les lieux loués sans son accord et le défaut d'entretien des lieux -, la cour relève que :
' concernant le premier de ces manquements (le non-paiement des loyers et charges), la bailleresse ne se prévaut d'aucun commandement en particulier pour fonder sa demande de constatation de la résiliation de plein droit : elle se borne à renvoyer à des commandements signifiés en 2017, sans indiquer expressément lequel, ou lesquels d'entre eux, seraient demeurés infructueux au-delà du délai d'un mois et auraient ainsi entraîné automatiquement le jeu de la clause résolutoire.
La cour, tenue de se conformer à l'objet du litige tel qu'il résulte des conclusions des parties, sous peine de méconnaître les dispositions de l'article 4 du code de procédure civile, ne saurait se livrer à une interprétation des conclusions imprécises de la SCI ni, partant, choisir lequel des commandements versés aux débats aurait pu entraîner la résiliation de plein droit du bail. Cela est si vrai qu'opérer un tel choix pourrait créer, au détriment de la locataire, un « effet de surprise » caractérisant un manquement au principe de la contradiction, en privant la locataire de la faculté de développer, le cas échéant, une défense orientée sur le commandement de payer finalement choisi par la cour ;
' concernant le deuxième manquement (les modifications apportées dans les lieux), la cour déduit des écritures de la SCI que celle-ci fait incidemment allusion, par un simple renvoi à une pièce communiquée, à la sommation du 3 juillet 2015 (v. p. 16 de ses conclusions), dont il a déjà été exposé, ci-dessus, qu'elle n'a pu faire jouer la clause résolutoire ;
' et concernant le troisième (le défaut d'entretien), le même constat s'impose : il est, là encore, simplement renvoyé, via la référence à des pièces communiquées, à une sommation du 7 octobre 2016 (v. p. 17 des conclusions) qui ne peut pas davantage avoir fait jouer la clause résolutoire pour les mêmes motifs : cet acte ne vise pas la clause résolutoire ni ne rappelle le délai d'un mois dont la locataire disposait pour s'y conformer.
Pour l'ensemble de ces motifs, la cour estime que la demande principale de constatation de la résiliation de plein droit du bail formée par la SCI ne peut qu'être rejetée.
En second lieu, s'agissant de la demande de prononcé de la résiliation judiciaire du bail, la SCI la fonde en particulier sur le non-paiement des loyers et charges à bonne date, autrement dit sur le paiement irrégulier de ceux-ci (v. ses conclusions, p. 10).
Il ressort des pièces versées aux débats, et en particulier des mises en demeure produites par la SCI, que depuis 2007, celle-ci fait grief à Mme [O] de payer les loyers avec retard, bien qu'il soit constant que le bail stipule que le loyer est payable en douze termes égaux et d'avance, c'est-à-dire le 1er de chaque mois, comme le rappelait d'ailleurs la mise en demeure du 1er juin 2007 (cf. pièce n° 20-4 de la SCP).
La SCI a continué à exprimer ce grief à l'égard de la locataire depuis le renouvellement du bail intervenu le 1er octobre 2013, et ce alors même que le jugement irrévocable du 5 décembre 2018, rejetant la demande d'augmentation du loyer formée par la SCI, a dit que le loyer annuel s'élevait à 25 216,07 euros, hors taxes et hors charges, à compter du 1er octobre 2013.
Ainsi, abstraction faite du commandement de payer du 15 mai 2015, qui incluait des charges estimées non fondées par le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer le 6 septembre 2016, d'où la condamnation de la SCI à payer à la locataire la somme de 3 339 euros au titre de charges indues (cf. pièce n° 11 de la locataire), la SCI a délivré à la locataire des commandements de payer ou mise en demeure aux dates suivantes :
- le 19 avril 2017, pour obtenir, notamment, le paiement des loyers de janvier à avril 2017 inclus ;
- le 12 avril 2018, pour obtenir, notamment, le paiement des loyers de janvier à avril 2018 inclus ;
- le 26 juin 2020, pour obtenir, notamment, le paiement des loyers d'avril et mai 2020 ;
- le 20 décembre 2020, en réclamant notamment les loyers de novembre et décembre 2020 ;
- le 3 mars 2021, pour obtenir le paiement de la somme principale de 10 755,54 euros, dont la locataire a reconnu le bien-fondé dans un courriel du 27 mars 2021 en proposant, l'apurement de cette dette en plusieurs versements (cf. pièce n° 24-2 de la SCI), effectués les 6 et 15 avril 2021 (cf. pièce n° 51 de la SCI) ;
- le 16 août 2023 (à la suite de l'arrêt de cassation), pour obtenir le paiement de la somme de 45 373,48 euros ;
- et le 11 octobre 2023, pour obtenir le paiement, notamment d' « indemnités d'occupation » - comprendre de loyers, le bail n'étant pas résilié à cette date - au titre des mois de septembre et octobre 2023.
Mme [O], sur laquelle repose le fardeau de la preuve d'un paiement à bonne date, conformément aux stipulations contractuelles, ne démontre pas que ces commandements et mise en demeure seraient infondés ni, dès lors, qu'elle aurait payé les loyers à bonne date - elle a d'ailleurs, reconnu l'inverse à la suite du commandement du 3 mars 2021, tel qu'indiqué ci-dessus.
Les retards dans le paiement des loyers sont donc établis et sont d'ailleurs corroborés par :
- le décompte des loyers et charges de l'année 2019 établi par la SCI, qui révèle le non-paiement à l'échéance des loyers septembre, octobre et novembre, portant ainsi le solde locatif à la somme de 8 162,39 euros au 28 novembre 2019 (cf. sa pièce n° 22) ;
- et le dernier décompte dressé le 1er janvier 2024 (cf. pièce n° 52 de la SCI), qui montre que, alors que l'arrêt de cassation du 6 juillet 2023 ne lui permettait plus de consigner les loyers et que la SCI lui a délivré un commandement de payer le 16 août 2023, Mme [O] n'a procédé à aucun paiement en octobre et novembre 2023, ni en janvier 2024, aboutissant à un nouvel arriéré locatif de 9 911,71 euros au 1er janvier 2024, charges incluses.
La cour estime que les retards dans le paiement des loyers et charges, multiples, récurrents et persistant encore à l'heure actuelle, constituent, à eux seuls, un manquement suffisamment grave de la locataire à l'une de ses obligations essentielles, ce qui justifie le prononcé de la résiliation du bail à compter du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres manquements invoqués par la bailleresse.
De ce fait, il convient d'accueillir la demande d'expulsion formée par la SCI.
S'agissant de la demande d'indemnité d'occupation formée par la SCI, elle est également fondée en son principe, mais, s'agissant de son montant, le dispositif des conclusions de la SCI n'est pas des plus clairs, cette dernière demandant à la fois que cette indemnité soit fixée « sur la base de 150 % du loyer mensuel » et que ce montant soit de 2 495,16 euros « correspondant au montant du loyer mensuel, charges comprises ».
Au vu de cette contradiction apparente, et dès lors que, selon le décompte produit en pièce n° 52, la somme de 2 495,16 euros correspond au montant du loyer mensuel, la cour estime que le montant de l' indemnité d'occupation doit être fixé à cette somme-là.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la SCI tendant à la résiliation du bail, à l'expulsion de Mme [O] et au paiement d'une indemnité d'occupation.
2°- Sur les demandes de dommages et intérêts formées par les parties
La SCI demande 10 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive, en arguant de l'attitude préjudiciable de la locataire, manifestée par son opposition persistante à la réalisation des travaux demandés et par l'inexécution de ses obligations contractuelles.
Mme [O] (pp. 27 et s.) forme deux demandes indemnitaires :
- l'une en réparation d'un préjudice commercial (5 000 euros), aux motifs qu'elle a dû procéder à des aménagements pour lutter contre les infiltrations d'eau dans le local, ce qui a représenté un coût financier important. L'exploitation de son commerce a été « fermement impactée » ;
- l'autre en indemnisation d'un abus de procédure (5 000 euros), en réparation du préjudice lié aux multiples procédures judiciaires, commandements de payer et mises en demeure survenus depuis le début de la location, et des courriers agressifs reçus de la bailleresse. L'impact de la multiplicité de ces procédures n'est pas des moindres pour elle, locataire. Les constats d'huissier à répétition ne sont pas plaisants pour la clientèle. Alors qu'elle n'a jamais eu gain de cause, la SCI continue à s'acharner sur elle, locataire. L'intention de nuire est démontrée. En outre, Mme [O] a subi une intrusion le 14 janvier 2019.
Par ailleurs, elle demande le rejet de la demande de dommages et intérêts formée par la bailleresse, l'estimant non fondée (p. 29).
Réponse de la cour :
La SCI ne démontre ni que Mme [O] aurait abusivement résisté à ses demandes, ni avoir subi un préjudice particulier en lien avec cette prétendue résistance abusive.
Sa demande indemnitaire sera donc rejetée, par voie d'ajout au jugement entrepris, le premier juge n'ayant, en effet, pas été saisi de cette demande.
De son côté, Mme [O] ne démontre aucunement que les infiltrations constatées dans les lieux loués, d'ampleur très modérée, lui auraient occasionné le moindre préjudice commercial, que ce soit au titre de prétendus aménagements - non démontrés - ou d'un impact - pas davantage prouvé - dans l'exploitation de son commerce.
Cette demande indemnitaire doit donc être rejetée. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Mme [O] n'établit pas non plus que les procédures judiciaires intentées contre elle par la SCI constitueraient un abus du droit d'ester en justice ou révélatrices d'une intention de nuire, et ce d'autant moins qu'à l'occasion de la présente instance, la SCI triomphe en sa demande de résiliation du bail. Mme [O] ne prouve pas non plus que la réalisation, par la SCI, de constats d'huissier de justice dans les lieux loués aurait généré un préjudice particulier.
Sa demande indemnitaire pour procédure abusive doit, dès lors, être rejetée. Il sera, sur ce point, ajouté au jugement entrepris, dans la mesure où cette prétention n'avait pas été formée dès la première instance.
3°- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Succombant pour l'essentiel, Mme [O] sera condamnée aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- infirme le jugement entrepris, sauf en ce que, déboutant Mme [O] de ses prétentions reconventionnelles, il rejette sa demande de consignation des loyers et de dommages et intérêts pour trouble commercial ;
Statuant de nouveau des chefs infirmés,
- Rejette la demande principale de constat de la résiliation du bail de plein droit, par l'effet de la clause résolutoire, formée par la SCI du Pavillon de Flore ;
- Prononce, à compter du présent arrêt, la résiliation du bail conclu entre Mme [O] et la SCI du Pavillon de Flore le 17 février 2002, renouvelé à compter du 1er octobre 2013, et portant sur des locaux situés [Adresse 2]) ;
- Ordonne l'expulsion de Mme [O] des lieux loués, ainsi que de tout occupant de son chef, au besoin avec le concours de la force publique ;
- Condamne Mme [O] à payer à la SCI du Pavillon de FLore une indemnité d'occupation égale à 2 495,16 euros par mois, à compter du présent arrêt et jusqu'à la libération effective des lieux ;
Y ajoutant,
- Rejette la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive formée par la SCI du Pavillon de Flore ;
- Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par Mme [O] ;
- Condamne Mme [O] aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les dépens afférents à l'instance ayant donné lieu à l'arrêt cassé rendu par la cour d'appel de Douai le 10 mars 2022 ;
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [O] et la condamne à payer à la SCI du Pavillon de Flore la somme de 5 000 euros.