Décisions
CA Paris, Pôle 6 - ch. 4, 24 avril 2024, n° 21/04566
PARIS
Arrêt
Autre
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRET DU 24 AVRIL 2024
(n° /2024, 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04566 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDXLB
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/06843
APPELANT
Monsieur [Y] [T]
Chez Madame [M] au [Adresse 8]
[Localité 7]
Représenté par Me Annie GULMEZ, avocat au barreau de MEAUX
INTIMEES
S.A.S. JJW LUXURY HOTELS prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Fabienne HAAS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438
S.E.L.A.R.L. ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES agissant en la personne de Maître [R]-[N] [S], es qualités de mandataire judiciaire de la SAS JJW LUXURY HOTELS
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Justine CAUSSAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0203
SCP THEVENOT PARTNERS Es qualité de « Administrateur judiciaire » de la « JJW LUXURY HOTELS » prise en la personne de Maître Christophe THEVENOT.
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Fabienne HAAS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438
Association AGS CGEA ILE DE FRANCE OUEST
[Adresse 2]
[Localité 9]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme. Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, chargée du rapport et Mme. Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre rédactrice
M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre
Mme. Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL
ARRET :
- réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente et par Clara MICHEL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE
La société JJW Luxury hotels est spécialisée dans le secteur d'activité des hôtels et hébergement similaire.
M. [Y] [T] a été engagé par la société JJW Luxury Hotels en qualité d'attaché de direction suivant contrat à durée indéterminée en date du 1er août 2018, moyennant une rémunération moyenne mensuelle de 3625, 99 euros.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des hôtels, cafés, restaurants.
Au dernier état de la relation de travail, la rémunération mensuelle brute de M. [T] s'établissait à la somme de 3 625,99 euros.
Le 3 février 2019, M. [T] a sollicité l'autorisation de son employeur pour séjourner à l'hôtel de [Localité 11] (95), dans lequel il travaillait, le soir même, dans la mesure où il devait se rendre tôt le lendemain matin à l'aéroport [10] pour un déplacement personnel.
L'autorisation lui a été donnée et la nuit ne lui était pas facturée à la condition qu'il fasse le lendemain matin, avant son départ, un entretien avec les salariés travaillant de nuit dans l'hôtel.
A l'occasion d'une réunion du comité d'entreprise le 7 février 2019, des représentants du personnels ont alerté la société du fait que M. [T] avait passé la nuit dans sa chambre, avec un autre salarié de l'hôtel.
Par courier du 7 février 2019, M. [T] a été convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 15 puis reporté au 22 février suivant.
Par courier en date du 28 février 2019, M. [T] a été licencié pour faute simple avec dispense de préavis.
Par acte du 25 juillet 2019, M. [T] a assigné la société JJW Luxury hotels devant le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir, notamment, dire et juger son licenciement nul à titre principal et dépourvu de cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, et ainsi condamner la société JJW Luxury hotels à divers dommages-intérêts afférents, outre des dommages-intérêts pour préjudice moral en raison de la discrimination subie et en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement.
Par jugement du 26 juin 2020, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société JJW Luxury hotels.
Suivant jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 25 juin 2021, la liquidation de la société a été prononcée, la Selarl Actis étant désignée en qualité de liquidateur.
Par jugement du 2 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Paris a:
- débouté M. [T] [Y] de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamné au paiement des entiers dépens;
- débouté la S.A.S. JJW Luxury hotels, la Selarl Actis prise en la personne de Me Martin, mandataire judiciaire de la S.A.S. JJW Luxury hotels et la SCP Thevenot partners, prise en la personne de Me Thevenot, administrateur judiciaire de la S.A.S. JJW Luxury hotels, de la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration déposée par la voie électronique le 12 mai 2021, M. [T] a interjeté appel de cette décision.
Par jugement du 25 juin 2021, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société JJW Luxury hotels et désigné la Selarl Actis pour la représenter en qualité de liquidateur judiciaire.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 17 janvier 2022, M. [T] demande à la cour de :
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné au paiement des entiers dépens;
En conséquence,
Et statuant à nouveau,
- juger recevables et bien fondées les demandes de M. [T];
A titre principal :
- juger que son licenciement est nul;
En conséquence,
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels la somme de 43 511,88 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul;
A titre subsidiaire :
- juger que son licenciement est dénué de toute cause réelle et sérieuse;
En conséquence,
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels la somme de 43 511,88 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Le cas échéant,
- juger que doit être écarté le plafonnement prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable;
En tout état de cause,
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels la somme de 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral en raison de la discrimination qu'il a subi;
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels la somme de 5 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement;
- ordonner à la Selarl Actis ès qualité de mandataire judiciaire de la société JJW Luxury Hotels la remise des documents de fin de contrat (bulletin de salaire, attestation Pôle emploi et certificat de travail) conformes aux dispositions du jugement à intervenir, sous astreinte journalière de 100 euros par document, courant à compter de la notification du jugement à intervenir;
- se réserver le droit de liquider cette astreinte;
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- juger que le jugement à intervenir sera opposable à l'AGS (CGEA) Ile-de-France Ouest, qui sera tenue d'en garantir les créances et le paiement dans les termes et conditions résultant des articles L3253-15, L3253-19 à 21 et L3253-17 du code du travail;
- juger que l'ensemble des condamnations portera intérêts au taux légal à compter de la convocation de la société à comparaître devant le bureau de conciliation et d'orientation, à titre de réparation complémentaire, en application de l'article 1231-7 du code civil;
- ordonner la capitalisation des intérêts;
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels les éventuels dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 octobre 2021, la société JJW Luxury hotels, représentée par la Selarl Actis es qualités, demande à la cour de :
A titre principal :
- juger bien fondé le licenciement pour faute simple à l'encontre de M. [T];
- confirmer en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de
Paris le 2 avril 2021;
En conséquence,
- débouter M. [T] de l'intégralité de ses demandes;
- condamner M. [T] à verser à la Selarl Actis, mandataires judiciaires es qualités, la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens;
A titre subsidiaire,
- ramener les prétentions formulées par M. [T] au titre de la requalification de la rupture de son contrat de travail en un licenciement nul, à de bien plus justes proportions;
- ramener les prétentions formulées par M. [T], à titre subsidiaire, au titre de la requalification de la rupture de son contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse conformément aux barèmes Macron de l'article L.1235-3 du Code du travail;
- débouter M. [T] du surplus de ses demandes ou, à titre infiniment subsidiaire, les ramener à de bien plus justes proportions.
La déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées par l'appelant à l'AGS par voie d'huissier le 12 août 2021. L'AGS n'a pas constitué avocat.
La cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2023.
MOTIFS
Sur le licenciement
M. [T] expose que le véritable motif de son licenciement n'est pas celui invoqué textuellement dans la lettre de licenciement mais est lié à son orientation sexuelle que son employeur n'a pas assumée à l'égard des membres du comité d'entreprise.
Le liquidateur expose au contraire que les motifs du licenciement sont bien réels et caractérisent une faute justifiant le licenciement.
En l'espèce, la lettre de licenciement est libellée de la façon suivante:
' Pour mémoire vous occupez depuis le 1er août 2018 les fonctions d'attaché de direction au sein de la société JJW Luxury Hotels.
A la suite de votre demande verbale et par email du 3 février 2019, vous avez sollicité mon autorisation pour dormir à l'hôtel de [Localité 11] le soir même car vous deviez partir très tôt le lendemain matin pour être à l'aéroport [10] dans le cadre d'un déplacement personnel.
Vous m'avez également demandé à bénéficier du tarif spécial réservé aux salariés des autres hôtels du groupe.
Je vous ai informé que ce tarif n'était pas applicable dans les hôtels où le salarié travaille et qu'en tout état de cause, dans la mesure où je vous avais demandé de faire un entretien avec les employés de nuit le lendemain matin, la nuit ne vous serait pas facturée.
Vous avez donc séjourné dans la chambre 301 de l'hôtel de [Localité 11] dans la nuit du 3 février 2019 en code de facturation ' interne'.
Le 7 février 2019, des membres du comité d'entreprise m'ont informé que M. [X] [K], embauché à l'hôtel de [Localité 11] en qualité de Gouvernant et dont vous étiez le supérieur hiérarchique , avait passé la nuit du 3 février dans la chambre que vous occupiez. Cette pratique étant prohibée, les membres du comité d'entreprise se sont inquiétés et ce d'autant plus qu'il était à la fois dans une relation de subordonné mais aussi en période d'essai.
Lors de l'entretien préalable, vous avez reconnu avoir passé la nuit du 3 février 2019 avec M. [K] dans la chambre 301 mise à votre disposition.
Comme exposé lors de l'entretien, il est fait interdiction aux salariés qui ne sont pas en poste de pénétrer dans l'enceinte de l'hôtel.
Nous vous rappelons en effet qu'aux termes de l'article 4 du règlement intérieur:' les salariés n'ont accès aux locaux de l'établissement que pour l'exécution de leur contrat de travail. Ils n'ont aucun droit d'entrer ou de se maintenir sur les lieux de leur travail pour une autre cause sauf s'ils peuvent se prévaloir:
- d'une disposition légale (disposition relative aux droits de la représentation du personnel ou des syndicats);
- d'une autorisation délivrée par le Directeur de l'établissement.
(..)
Sous réserve des droits reconnus par la loi aux représentants du personnel et aux délégués syndicaux et afin de maintenir le bon ordre, il est interdit aux salariés:
- d'entrer ou de sortir des lieux de travail en dehors des horaires fixés par la direction;
- d'introduire ou de laisser introduire, sauf cas grave et urgent, toute personne étrangère à l'entreprise ou d'y recevoir des visites personnelles. Tout salarié doit respecter les dates de congés payés décidées par la Direction. Il est interdit de modifier ces dates sans son accord préalable'.
Lors de l'entretien préalable, vous avez indiqué que vous aviez connaissance de l'interdiction faite aux salariés de pénétrer dans l'enceinte de l'hôtel en dehors de leurs horaires de travail mais que vous pensiez avoir une réservation pour la nuit du 3 février 2019.
Comme exposé lors de l'entretien préalable, à aucun moment lors de notre conversation et échange d'email vous ne m'avez prévenu que vous feriez venir M. [K] pour passer la nuit du 3 février 2019 avec vous. Lors de l'entretien vous avez indiqué que vous ne pensiez pas que cela était important.
En tant que supérieur hiérarchique de M. [K], il est indadmissible que vous lui ayez demandé de venir, en dehors de ses heures de travail, séjourner en votre compagnie dans une chambre de l'hôtel.
A aucun moment vous ne m'avez prévenu qu'un employé subalterne vous rejoindrait en dehors de ses heures de travail, dans la chambre mise à votre disposition la nuit du 3 février 2019.
S'il est interdit par le réglement intérieur à un salarié de rentrer et de se maintenir dans l'établissement en dehors de ses heures de travail, a fortiori un supérieur hiérarchique n'a pas à demander à l'un de ses employés subalternes de venir en dehors de ses heures de travail sur son lieu de travail.
Votre attitude caractérise une violation manifeste des dispositions du règlement intérieur que nous ne pouvons tolérer d'aucun salarié et à plus forte raison de la part d'un membre de la direction.
Eu égard à vos fonctions d'adjoint de direction et des responsabilités qui sont les vôtres, vous vous devez d'avoir, à l'égard du personnel et en toutes circonstances, un comportement exemplaire.
Au demeurant les faits qui vous sont reprochés se sont déroulés alors que M. [K] était en période d'essai. Une telle circonstance aurait pu être assimilée à une pression à l'encontre d'un employé subalterne, voir même un chantage à l'embauche. Nous ne pouvons pas tolérer ce genre de pratique qui fait peser un risque à notre société.
Votre comportement est constitutif d'un manquement grave à vos obligations contractuelles les plus élémentaires.(..).
C'est pourquoi nous vous notifions votre licenciement pour faute. La première présentation de cette lettre marquera le point de départ de votre préavis d'une durée de trois mois, que compte tenu du contexte de ce dossier, nous vous dispensons d'effectuer. Il vous sera rémunéré aux échéances normales... (..)'.
En vertu de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, en raison de ses origines, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son nom de famille, de son état de santé ou de son handicap.
Aux termes de l'article L. 1132-4, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.
En application de l'article L. 1134-1, en cas de litige relatif à la méconnaissance de ces textes, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ; au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
M. [T] estime que c'est son orientation sexuelle qui est à l'origine de son éviction pour des motifs fallacieux.
La société conteste toute discrimination et objecte que le salarié se limite à formuler des allégations sans démontrer aucun fait susceptible de faire prospérer sa demande en nullité du licenciement.
A l'appui de ses prétentions au titre de la discrimination, M. [T] ne produit aucun élément laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de son orientation sexuelle. Il se réfère aux seuls motifs du licenciement et au fait que l'employeur a cédé à la pression des membres du comité d'entreprise qui ne toléraient pas que deux personnes du même sexe passent une nuit ensemble.
De son côté, la société fait valoir que ses griefs étaient réels ; il convient donc de les examiner.
Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché à M. [T] d'avoir manqué à ses obligations contractuelles non pas pour avoir séjourné dans l'hôtel mais pour avoir enfreint le règlement intérieur en demandant à M. [K], salarié en période d'essai et dont il était le supérieur hiérarchique, de venir en dehors de ses heures de travail séjourner avec lui dans la chambre mise à disposition.
Pour justifier les griefs, le liquidateur es qualité se réfère essentiellement au règlement intérieur, lequel prévoit en son article 4 que ' les salariés n'ont accès aux locaux que pour l'exécution de leur contrat de travail, ils n'ont aucun droit d'entrer ou de se maintenir sur les lieux de leur travail pour une autre cause sauf s'ils peuvent se prévaloir:
- d'une autorisation délivrée par le directeur de l'établissement...
Sous réserve des droits reconnus par la loi aux représentants du personnel et aux délégués syndicaux et afin de maintenir le bon ordre, il est sauf autorisation expresse interdit aux salariés:
- d'entrer ou de sortir des lieux de travail en dehors des horaires fixés par la Direction;
- d'introduire ou de laisser introduire sauf cas grave et urgent toute personne étrangère à l'entreprise ou d'y recevoir des visites personnelles'.
Il s'évince de l'examen de ce règlement que s'il n'est pas contesté que M. [T] disposait d'une autorisation pour séjourner à titre personnel en dehors de ses horaires de travail sur son lieu de travail, tel n'était pas le cas de M. [K], qui tout en étant le conjoint de M. [T] n'en étant pas moins salarié et soumis au même règlement intérieur lui interdisant l'accès en dehors des heures de travail sans autorisation. Si M. [T] a pu se méprendre compte tenu de sa qualité d'époux sur les limites entre vie personnelle et vie professionnelle alors qu'il se trouvait à titre privé dans l'hôtel et en dehors de ses heures de travail, ce même règlement intérieur ne lui permettait pas de demander à un salarié, qu'il soit ou non son conjoint, placé de surcroît sous sa subordination, de se rendre sur son lieu de travail en dehors des horaires de travail en violation du règlement intérieur et de s'affranchir des règles applicables à tous sans autorisation.
Par ailleurs, il est de jurisprudence constante qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, par principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail ou se rattache à la vie professionnelle. Tel est le cas en l'espèce.
La matérialité du grief est établie.
Ces éléments qui attestent du manquement au respect du règlement intérieur ne font pas supposer que l'engagement de la procédure disciplinaire le concernant présente un caractère discriminatoire en raison de son orientation sexuelle, ce dont il indique ne pas s'être caché dès lors que son mari était salarié dans l'entreprise et leur statut connu de la direction. En tout état de cause, le liquidateur es qualités apporte des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Ces éléments ne caractérisent pas plus une atteinte à la vie privée ou à la liberté individuelle du salarié dès lors que le manquement retenu à ses obligations découle de son contrat de travail et se rattache en raison du statut de salarié de son époux à la vie professionnelle.
Toutefois, au regard de la tolérance qui avait pu être manifestée précédemment selon l'attestation de Mme [D], chef de réception, de la connaissance du statut marital des deux salariés par les autres salariés et le directeur même de l'entreprise, le licenciement apparaît être une mesure disproportionnée à la faute commise.
Au vu de ces éléments, le licenciement sera requalifé en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis, ou, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans des tableaux figurant dans le même article.
En premier lieu, l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version modifiée par la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 dispose que lorsque le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis, et que si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau reproduit dans l'article, soit pour un salarié ayant moins d'une année d'ancienneté une indemnité maximale équivalente à un mois de salaire.
Les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l'encontre d'autres particuliers et qui, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale de la convention, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire, sont d'effet direct en droit interne. Les dispositions de l'article L. 1235-3 dans sa version précitée, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT). Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.
Les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige.
Il se déduit de ce qui précède que le barème d'indemnisation établi par les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable à la cause ne peut être écarté au motif qu'il serait contraire aux normes internationales susmentionnées et ne porte pas atteinte au droit du salarié à un procès équitable.
Compte tenu de son ancienneté (moins d'un an), de son âge à la date du licenciement (39 ans), de sa capacité à retrouver un emploi et des justificatifs de son indemnisation par Pôle Emploi, la créance de M. [T] à titre de dommages et intérêts en raison de la rupture du contrat de travail sera fixé à la somme de 3619,59 euros conformément à l'article L. 1235-3 sus mentionné.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la discrimination
La discrimination n'étant pas démontrée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement
M. [T] sollicite la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts au motif qu'il a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire qui n'était ni nécessaire ni utile alors qu'il n'a pas été licencié pour faute grave.
Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats que M. [T] n'apporte pas d'éléments de preuve suffisants pour établir que son licenciement a été mené de manière brutale et vexatoire. La mise à pied conservatoire décidée par l'employeur alors qu'un licenciement pour faute grave était envisagé a été en effet abandonnée à la faveur d'une modification de la nature du licenciement .
Le jugement sera confimé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur la garantie de l'AGS
L'AGS doit garantie dans la limite du plafond légal tel que fixé aux articles L. 3253-8 à L. 3253-13, L. 3253-17, R. 3253-5 et L. 3253-19 à L. 3253-23 du code du travail.
Sur les autres demandes
Il sera enjoint au liquidateur es qualités de remettre à M. [Y] [T] les documents de fin de contrat rectifiés conformément au présent arrêt sans qu'il y ait lieu à astreinte.
Il sera par ailleurs rappelé que la procédure collective interrompt le cours des intérêts.
L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux dépens et frais irrépétibles et de fixer au passif de la procédure collective de la société JJW Luxury Hotels la somme de 1.800 euros au titre des frais irrépétibles dus à M. [T].
L'employeur qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance et d'appel lesquels seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [Y] [T] de sa demande au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse;
L'INFIRME de ce chef,
REQUALIFIE le licenciement de M. [Y] [T] en licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Y ajoutant,
FIXE à la procédure collective de la société JJW Hotels & Resorts les créances de M. [Y] [T] à hauteur des sommes suivantes :
- 3619,59 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 1800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
ENJOINT à la Selarl Actis es qualités de remettre à M. [Y] [T] un bulletin de salaire, l' attestation Pôle Emploi (France Travail), et un certificat de travail conformes au présent arrêt;
DIT n'y avoir lieu à astreinte;
RAPPELLE que le jugement d'ouverture de la procédure collective a opéré la suspension du cours des intérêts légaux et conventionnels;
DIT la présente décision opposable à l'AGS;
DIT que l'AGS devra procéder à l'avance des créances visées à l'article L 3253-8 et suivants du code du travail se fera dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et L 3253-17 du Code du Travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L 3253-17 et D 3253-5 du Code du Travail;
DIT que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective;
REJETTE toute autre demande.
Le greffier La présidente de chambre
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRET DU 24 AVRIL 2024
(n° /2024, 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04566 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDXLB
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/06843
APPELANT
Monsieur [Y] [T]
Chez Madame [M] au [Adresse 8]
[Localité 7]
Représenté par Me Annie GULMEZ, avocat au barreau de MEAUX
INTIMEES
S.A.S. JJW LUXURY HOTELS prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Fabienne HAAS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438
S.E.L.A.R.L. ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES agissant en la personne de Maître [R]-[N] [S], es qualités de mandataire judiciaire de la SAS JJW LUXURY HOTELS
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Justine CAUSSAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0203
SCP THEVENOT PARTNERS Es qualité de « Administrateur judiciaire » de la « JJW LUXURY HOTELS » prise en la personne de Maître Christophe THEVENOT.
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Fabienne HAAS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438
Association AGS CGEA ILE DE FRANCE OUEST
[Adresse 2]
[Localité 9]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme. Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, chargée du rapport et Mme. Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre rédactrice
M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre
Mme. Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL
ARRET :
- réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente et par Clara MICHEL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE
La société JJW Luxury hotels est spécialisée dans le secteur d'activité des hôtels et hébergement similaire.
M. [Y] [T] a été engagé par la société JJW Luxury Hotels en qualité d'attaché de direction suivant contrat à durée indéterminée en date du 1er août 2018, moyennant une rémunération moyenne mensuelle de 3625, 99 euros.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des hôtels, cafés, restaurants.
Au dernier état de la relation de travail, la rémunération mensuelle brute de M. [T] s'établissait à la somme de 3 625,99 euros.
Le 3 février 2019, M. [T] a sollicité l'autorisation de son employeur pour séjourner à l'hôtel de [Localité 11] (95), dans lequel il travaillait, le soir même, dans la mesure où il devait se rendre tôt le lendemain matin à l'aéroport [10] pour un déplacement personnel.
L'autorisation lui a été donnée et la nuit ne lui était pas facturée à la condition qu'il fasse le lendemain matin, avant son départ, un entretien avec les salariés travaillant de nuit dans l'hôtel.
A l'occasion d'une réunion du comité d'entreprise le 7 février 2019, des représentants du personnels ont alerté la société du fait que M. [T] avait passé la nuit dans sa chambre, avec un autre salarié de l'hôtel.
Par courier du 7 février 2019, M. [T] a été convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 15 puis reporté au 22 février suivant.
Par courier en date du 28 février 2019, M. [T] a été licencié pour faute simple avec dispense de préavis.
Par acte du 25 juillet 2019, M. [T] a assigné la société JJW Luxury hotels devant le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir, notamment, dire et juger son licenciement nul à titre principal et dépourvu de cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, et ainsi condamner la société JJW Luxury hotels à divers dommages-intérêts afférents, outre des dommages-intérêts pour préjudice moral en raison de la discrimination subie et en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement.
Par jugement du 26 juin 2020, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société JJW Luxury hotels.
Suivant jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 25 juin 2021, la liquidation de la société a été prononcée, la Selarl Actis étant désignée en qualité de liquidateur.
Par jugement du 2 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Paris a:
- débouté M. [T] [Y] de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamné au paiement des entiers dépens;
- débouté la S.A.S. JJW Luxury hotels, la Selarl Actis prise en la personne de Me Martin, mandataire judiciaire de la S.A.S. JJW Luxury hotels et la SCP Thevenot partners, prise en la personne de Me Thevenot, administrateur judiciaire de la S.A.S. JJW Luxury hotels, de la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration déposée par la voie électronique le 12 mai 2021, M. [T] a interjeté appel de cette décision.
Par jugement du 25 juin 2021, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société JJW Luxury hotels et désigné la Selarl Actis pour la représenter en qualité de liquidateur judiciaire.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 17 janvier 2022, M. [T] demande à la cour de :
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné au paiement des entiers dépens;
En conséquence,
Et statuant à nouveau,
- juger recevables et bien fondées les demandes de M. [T];
A titre principal :
- juger que son licenciement est nul;
En conséquence,
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels la somme de 43 511,88 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul;
A titre subsidiaire :
- juger que son licenciement est dénué de toute cause réelle et sérieuse;
En conséquence,
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels la somme de 43 511,88 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Le cas échéant,
- juger que doit être écarté le plafonnement prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable;
En tout état de cause,
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels la somme de 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral en raison de la discrimination qu'il a subi;
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels la somme de 5 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement;
- ordonner à la Selarl Actis ès qualité de mandataire judiciaire de la société JJW Luxury Hotels la remise des documents de fin de contrat (bulletin de salaire, attestation Pôle emploi et certificat de travail) conformes aux dispositions du jugement à intervenir, sous astreinte journalière de 100 euros par document, courant à compter de la notification du jugement à intervenir;
- se réserver le droit de liquider cette astreinte;
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- juger que le jugement à intervenir sera opposable à l'AGS (CGEA) Ile-de-France Ouest, qui sera tenue d'en garantir les créances et le paiement dans les termes et conditions résultant des articles L3253-15, L3253-19 à 21 et L3253-17 du code du travail;
- juger que l'ensemble des condamnations portera intérêts au taux légal à compter de la convocation de la société à comparaître devant le bureau de conciliation et d'orientation, à titre de réparation complémentaire, en application de l'article 1231-7 du code civil;
- ordonner la capitalisation des intérêts;
- fixer au passif de la société JJW Luxury hotels les éventuels dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 octobre 2021, la société JJW Luxury hotels, représentée par la Selarl Actis es qualités, demande à la cour de :
A titre principal :
- juger bien fondé le licenciement pour faute simple à l'encontre de M. [T];
- confirmer en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de
Paris le 2 avril 2021;
En conséquence,
- débouter M. [T] de l'intégralité de ses demandes;
- condamner M. [T] à verser à la Selarl Actis, mandataires judiciaires es qualités, la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens;
A titre subsidiaire,
- ramener les prétentions formulées par M. [T] au titre de la requalification de la rupture de son contrat de travail en un licenciement nul, à de bien plus justes proportions;
- ramener les prétentions formulées par M. [T], à titre subsidiaire, au titre de la requalification de la rupture de son contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse conformément aux barèmes Macron de l'article L.1235-3 du Code du travail;
- débouter M. [T] du surplus de ses demandes ou, à titre infiniment subsidiaire, les ramener à de bien plus justes proportions.
La déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées par l'appelant à l'AGS par voie d'huissier le 12 août 2021. L'AGS n'a pas constitué avocat.
La cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2023.
MOTIFS
Sur le licenciement
M. [T] expose que le véritable motif de son licenciement n'est pas celui invoqué textuellement dans la lettre de licenciement mais est lié à son orientation sexuelle que son employeur n'a pas assumée à l'égard des membres du comité d'entreprise.
Le liquidateur expose au contraire que les motifs du licenciement sont bien réels et caractérisent une faute justifiant le licenciement.
En l'espèce, la lettre de licenciement est libellée de la façon suivante:
' Pour mémoire vous occupez depuis le 1er août 2018 les fonctions d'attaché de direction au sein de la société JJW Luxury Hotels.
A la suite de votre demande verbale et par email du 3 février 2019, vous avez sollicité mon autorisation pour dormir à l'hôtel de [Localité 11] le soir même car vous deviez partir très tôt le lendemain matin pour être à l'aéroport [10] dans le cadre d'un déplacement personnel.
Vous m'avez également demandé à bénéficier du tarif spécial réservé aux salariés des autres hôtels du groupe.
Je vous ai informé que ce tarif n'était pas applicable dans les hôtels où le salarié travaille et qu'en tout état de cause, dans la mesure où je vous avais demandé de faire un entretien avec les employés de nuit le lendemain matin, la nuit ne vous serait pas facturée.
Vous avez donc séjourné dans la chambre 301 de l'hôtel de [Localité 11] dans la nuit du 3 février 2019 en code de facturation ' interne'.
Le 7 février 2019, des membres du comité d'entreprise m'ont informé que M. [X] [K], embauché à l'hôtel de [Localité 11] en qualité de Gouvernant et dont vous étiez le supérieur hiérarchique , avait passé la nuit du 3 février dans la chambre que vous occupiez. Cette pratique étant prohibée, les membres du comité d'entreprise se sont inquiétés et ce d'autant plus qu'il était à la fois dans une relation de subordonné mais aussi en période d'essai.
Lors de l'entretien préalable, vous avez reconnu avoir passé la nuit du 3 février 2019 avec M. [K] dans la chambre 301 mise à votre disposition.
Comme exposé lors de l'entretien, il est fait interdiction aux salariés qui ne sont pas en poste de pénétrer dans l'enceinte de l'hôtel.
Nous vous rappelons en effet qu'aux termes de l'article 4 du règlement intérieur:' les salariés n'ont accès aux locaux de l'établissement que pour l'exécution de leur contrat de travail. Ils n'ont aucun droit d'entrer ou de se maintenir sur les lieux de leur travail pour une autre cause sauf s'ils peuvent se prévaloir:
- d'une disposition légale (disposition relative aux droits de la représentation du personnel ou des syndicats);
- d'une autorisation délivrée par le Directeur de l'établissement.
(..)
Sous réserve des droits reconnus par la loi aux représentants du personnel et aux délégués syndicaux et afin de maintenir le bon ordre, il est interdit aux salariés:
- d'entrer ou de sortir des lieux de travail en dehors des horaires fixés par la direction;
- d'introduire ou de laisser introduire, sauf cas grave et urgent, toute personne étrangère à l'entreprise ou d'y recevoir des visites personnelles. Tout salarié doit respecter les dates de congés payés décidées par la Direction. Il est interdit de modifier ces dates sans son accord préalable'.
Lors de l'entretien préalable, vous avez indiqué que vous aviez connaissance de l'interdiction faite aux salariés de pénétrer dans l'enceinte de l'hôtel en dehors de leurs horaires de travail mais que vous pensiez avoir une réservation pour la nuit du 3 février 2019.
Comme exposé lors de l'entretien préalable, à aucun moment lors de notre conversation et échange d'email vous ne m'avez prévenu que vous feriez venir M. [K] pour passer la nuit du 3 février 2019 avec vous. Lors de l'entretien vous avez indiqué que vous ne pensiez pas que cela était important.
En tant que supérieur hiérarchique de M. [K], il est indadmissible que vous lui ayez demandé de venir, en dehors de ses heures de travail, séjourner en votre compagnie dans une chambre de l'hôtel.
A aucun moment vous ne m'avez prévenu qu'un employé subalterne vous rejoindrait en dehors de ses heures de travail, dans la chambre mise à votre disposition la nuit du 3 février 2019.
S'il est interdit par le réglement intérieur à un salarié de rentrer et de se maintenir dans l'établissement en dehors de ses heures de travail, a fortiori un supérieur hiérarchique n'a pas à demander à l'un de ses employés subalternes de venir en dehors de ses heures de travail sur son lieu de travail.
Votre attitude caractérise une violation manifeste des dispositions du règlement intérieur que nous ne pouvons tolérer d'aucun salarié et à plus forte raison de la part d'un membre de la direction.
Eu égard à vos fonctions d'adjoint de direction et des responsabilités qui sont les vôtres, vous vous devez d'avoir, à l'égard du personnel et en toutes circonstances, un comportement exemplaire.
Au demeurant les faits qui vous sont reprochés se sont déroulés alors que M. [K] était en période d'essai. Une telle circonstance aurait pu être assimilée à une pression à l'encontre d'un employé subalterne, voir même un chantage à l'embauche. Nous ne pouvons pas tolérer ce genre de pratique qui fait peser un risque à notre société.
Votre comportement est constitutif d'un manquement grave à vos obligations contractuelles les plus élémentaires.(..).
C'est pourquoi nous vous notifions votre licenciement pour faute. La première présentation de cette lettre marquera le point de départ de votre préavis d'une durée de trois mois, que compte tenu du contexte de ce dossier, nous vous dispensons d'effectuer. Il vous sera rémunéré aux échéances normales... (..)'.
En vertu de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, en raison de ses origines, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son nom de famille, de son état de santé ou de son handicap.
Aux termes de l'article L. 1132-4, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.
En application de l'article L. 1134-1, en cas de litige relatif à la méconnaissance de ces textes, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ; au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
M. [T] estime que c'est son orientation sexuelle qui est à l'origine de son éviction pour des motifs fallacieux.
La société conteste toute discrimination et objecte que le salarié se limite à formuler des allégations sans démontrer aucun fait susceptible de faire prospérer sa demande en nullité du licenciement.
A l'appui de ses prétentions au titre de la discrimination, M. [T] ne produit aucun élément laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de son orientation sexuelle. Il se réfère aux seuls motifs du licenciement et au fait que l'employeur a cédé à la pression des membres du comité d'entreprise qui ne toléraient pas que deux personnes du même sexe passent une nuit ensemble.
De son côté, la société fait valoir que ses griefs étaient réels ; il convient donc de les examiner.
Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché à M. [T] d'avoir manqué à ses obligations contractuelles non pas pour avoir séjourné dans l'hôtel mais pour avoir enfreint le règlement intérieur en demandant à M. [K], salarié en période d'essai et dont il était le supérieur hiérarchique, de venir en dehors de ses heures de travail séjourner avec lui dans la chambre mise à disposition.
Pour justifier les griefs, le liquidateur es qualité se réfère essentiellement au règlement intérieur, lequel prévoit en son article 4 que ' les salariés n'ont accès aux locaux que pour l'exécution de leur contrat de travail, ils n'ont aucun droit d'entrer ou de se maintenir sur les lieux de leur travail pour une autre cause sauf s'ils peuvent se prévaloir:
- d'une autorisation délivrée par le directeur de l'établissement...
Sous réserve des droits reconnus par la loi aux représentants du personnel et aux délégués syndicaux et afin de maintenir le bon ordre, il est sauf autorisation expresse interdit aux salariés:
- d'entrer ou de sortir des lieux de travail en dehors des horaires fixés par la Direction;
- d'introduire ou de laisser introduire sauf cas grave et urgent toute personne étrangère à l'entreprise ou d'y recevoir des visites personnelles'.
Il s'évince de l'examen de ce règlement que s'il n'est pas contesté que M. [T] disposait d'une autorisation pour séjourner à titre personnel en dehors de ses horaires de travail sur son lieu de travail, tel n'était pas le cas de M. [K], qui tout en étant le conjoint de M. [T] n'en étant pas moins salarié et soumis au même règlement intérieur lui interdisant l'accès en dehors des heures de travail sans autorisation. Si M. [T] a pu se méprendre compte tenu de sa qualité d'époux sur les limites entre vie personnelle et vie professionnelle alors qu'il se trouvait à titre privé dans l'hôtel et en dehors de ses heures de travail, ce même règlement intérieur ne lui permettait pas de demander à un salarié, qu'il soit ou non son conjoint, placé de surcroît sous sa subordination, de se rendre sur son lieu de travail en dehors des horaires de travail en violation du règlement intérieur et de s'affranchir des règles applicables à tous sans autorisation.
Par ailleurs, il est de jurisprudence constante qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, par principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail ou se rattache à la vie professionnelle. Tel est le cas en l'espèce.
La matérialité du grief est établie.
Ces éléments qui attestent du manquement au respect du règlement intérieur ne font pas supposer que l'engagement de la procédure disciplinaire le concernant présente un caractère discriminatoire en raison de son orientation sexuelle, ce dont il indique ne pas s'être caché dès lors que son mari était salarié dans l'entreprise et leur statut connu de la direction. En tout état de cause, le liquidateur es qualités apporte des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Ces éléments ne caractérisent pas plus une atteinte à la vie privée ou à la liberté individuelle du salarié dès lors que le manquement retenu à ses obligations découle de son contrat de travail et se rattache en raison du statut de salarié de son époux à la vie professionnelle.
Toutefois, au regard de la tolérance qui avait pu être manifestée précédemment selon l'attestation de Mme [D], chef de réception, de la connaissance du statut marital des deux salariés par les autres salariés et le directeur même de l'entreprise, le licenciement apparaît être une mesure disproportionnée à la faute commise.
Au vu de ces éléments, le licenciement sera requalifé en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis, ou, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans des tableaux figurant dans le même article.
En premier lieu, l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version modifiée par la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 dispose que lorsque le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis, et que si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau reproduit dans l'article, soit pour un salarié ayant moins d'une année d'ancienneté une indemnité maximale équivalente à un mois de salaire.
Les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l'encontre d'autres particuliers et qui, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale de la convention, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire, sont d'effet direct en droit interne. Les dispositions de l'article L. 1235-3 dans sa version précitée, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT). Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.
Les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige.
Il se déduit de ce qui précède que le barème d'indemnisation établi par les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable à la cause ne peut être écarté au motif qu'il serait contraire aux normes internationales susmentionnées et ne porte pas atteinte au droit du salarié à un procès équitable.
Compte tenu de son ancienneté (moins d'un an), de son âge à la date du licenciement (39 ans), de sa capacité à retrouver un emploi et des justificatifs de son indemnisation par Pôle Emploi, la créance de M. [T] à titre de dommages et intérêts en raison de la rupture du contrat de travail sera fixé à la somme de 3619,59 euros conformément à l'article L. 1235-3 sus mentionné.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la discrimination
La discrimination n'étant pas démontrée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement
M. [T] sollicite la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts au motif qu'il a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire qui n'était ni nécessaire ni utile alors qu'il n'a pas été licencié pour faute grave.
Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats que M. [T] n'apporte pas d'éléments de preuve suffisants pour établir que son licenciement a été mené de manière brutale et vexatoire. La mise à pied conservatoire décidée par l'employeur alors qu'un licenciement pour faute grave était envisagé a été en effet abandonnée à la faveur d'une modification de la nature du licenciement .
Le jugement sera confimé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur la garantie de l'AGS
L'AGS doit garantie dans la limite du plafond légal tel que fixé aux articles L. 3253-8 à L. 3253-13, L. 3253-17, R. 3253-5 et L. 3253-19 à L. 3253-23 du code du travail.
Sur les autres demandes
Il sera enjoint au liquidateur es qualités de remettre à M. [Y] [T] les documents de fin de contrat rectifiés conformément au présent arrêt sans qu'il y ait lieu à astreinte.
Il sera par ailleurs rappelé que la procédure collective interrompt le cours des intérêts.
L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux dépens et frais irrépétibles et de fixer au passif de la procédure collective de la société JJW Luxury Hotels la somme de 1.800 euros au titre des frais irrépétibles dus à M. [T].
L'employeur qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance et d'appel lesquels seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [Y] [T] de sa demande au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse;
L'INFIRME de ce chef,
REQUALIFIE le licenciement de M. [Y] [T] en licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Y ajoutant,
FIXE à la procédure collective de la société JJW Hotels & Resorts les créances de M. [Y] [T] à hauteur des sommes suivantes :
- 3619,59 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 1800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
ENJOINT à la Selarl Actis es qualités de remettre à M. [Y] [T] un bulletin de salaire, l' attestation Pôle Emploi (France Travail), et un certificat de travail conformes au présent arrêt;
DIT n'y avoir lieu à astreinte;
RAPPELLE que le jugement d'ouverture de la procédure collective a opéré la suspension du cours des intérêts légaux et conventionnels;
DIT la présente décision opposable à l'AGS;
DIT que l'AGS devra procéder à l'avance des créances visées à l'article L 3253-8 et suivants du code du travail se fera dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et L 3253-17 du Code du Travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L 3253-17 et D 3253-5 du Code du Travail;
DIT que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective;
REJETTE toute autre demande.
Le greffier La présidente de chambre