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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 avril 2024, n° 21/15488

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nemeco (SAS)

Défendeur :

Orangina Schweppes France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bodard-Hermant

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Coulon, Me Vignes, Me Charmet-Ingold

T. com. Paris, 13e ch., du 5 juill. 2021…

5 juillet 2021

FAITS ET PROCEDURE

Le 18 février 2018, la société Nemeco, spécialisée dans la distribution de boissons réalisées à partir de produits naturels, a signé un contrat cadre d'approvisionnement avec la société l'Européenne d'Embouteillage.

Aux termes de l'article 2 de ce contrat, la société Nemeco a confié à la société l'Européenne d'Embouteillage la fabrication, l'embouteillage et l'emballage de ses produits Tree Top dans son usine de [Localité 6], il était précisé :

- à l'article 3, que la première production industrielle des produits interviendrait en semaine 51 de l'année 2007,

- à l'article 5, que la société l'Européenne d'Embouteillage procéderait à l'achat des matières nécessaires à la fabrication, à l'exception des ingrédients spécifiques qui seraient mis à disposition par la société Nemeco.

Le 5 janvier 2015, la société l'Européenne d'Embouteillage a avisé la société Nemeco de la cession de son fonds de commerce à la société Orangina Schweppes France à compter du 1er avril 2015, les contrats attachés au fonds de commerce étant transférés à cette même date.

Par lettre du 27 septembre 2018, la société Orangina Schweppes France, faisant état de retard de paiement, a informé la société Nemeco qu'elle mettait un terme à leur relation commerciale.

La société Orangina Schweppes France a ensuite assuré des productions de Tree Top en octobre et décembre 2018 ; puis par lettre du 26 février 2019, la société Orangina Schweppes a annoncé à la société Nemeco que la production S50 qui avait été organisée sur son site de [Localité 5] était la dernière qui lui était possible de réaliser techniquement.

Autorisée par ordonnance sur requête du 8 mars 2019, la société Nemeco a fait assigner à jour fixe la société Orangina Schweppes France en référé devant le président du tribunal de commerce de Paris pour demander la poursuite de la relation commerciale.

Statuant par ordonnance du 26 mars 2019, le président du tribunal de commerce de Paris a dit n'y avoir lieu à référé.

Les parties se sont rapprochées pour organiser une dernière production de produits Tree Top par la société Orangina Schweppes France sur son site de [Localité 5] dans le Vaucluse le 24 avril 2019

C'est en cet état que le 13 septembre 2019, la société Nemeco a fait assigner la société Orangina Schweppes France devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir réparation de son préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 5 juillet 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la SAS à associé unique Orange Schweppes France à payer à la SAS à associé unique Nemeco une indemnité de 50.000 € à titre de dommages-intérêts, en compensation du préjudice résultant des conditions de réalisation de son préavis,

- débouté la SAS à associé unique Nemeco de ses demandes de remboursement du surcoût de 28.665 € résultant pour la SAS à asocié unique Nemeco de la production de Zarracina, du prix du transport et de stockage,

- débouté la SAS à associé unique Nemeco des demandes concernant son préjudice moral à hauteur de 40.000 € et son préjudice d'image à hauteur de 40.000 €,

- condamné la SAS à associé unique Nemeco à payer à la SAS à associé unique Orangina Schweppes France la somme de 151.869 € au titre de ses factures impayées,

- débouté la SAS à associé unique Orangina Schweppes de sa demande de paiement de frais relatifs à la destruction des cans embouteillés et non retirés par la SAS à associé unique Nemeco ainsi que de sa demande de condamnation au titre du préjudice moral,

- prononcé la compensation entre les créances réciproques telles que visées ci-dessus et condamné en conséquence la SAS à associé unique Nemeco à payer à la SAS à associé unique Orangina Schweppes France la somme de 101.869 €,

- condamné la SAS à associé unique Nemeco à payer à la SAS à associé unique Orangina Schweppes France la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné la SAS à associé unique Nemeco aux dépens.

La société Nemeco a relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 11 août 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 6 décembre 2023, la société Nemeco demande à la Cour, au visa des articles L. 442-6 ancien l’article L. 442-1 nouveau du code de commerce) et D. 442-3 du code de commerce ainsi que des articles 1240 et suivants du code civil :

Infirmer partiellement le jugement et, en conséquence :

Condamner la société Orangina Schweppes France à lui verser la somme totale de 1.362.003 €, au titre de l'indemnisation de la rupture brutale de la relation commerciale établie par la société Orangina Schweppes France subie par la société Nemeco, décomposée comme suit :

- 1.215.000 € au titre de la perte de marge brute sur la période de préavis de 18 mois qui aurait dû lui être accordé,

- 28.665 € au titre du surcoût généré par la production de 320.000 boîtes effectuée avec un autre embouteilleur, Zarracina, pour pallier la défaillance d'Orangina, auxquels se rejoutent le prix du transport des produits de l'Espagne jusqu'à l'entrepôt Nemeco situé en région parisienne et le prix du stockage,

- 40.000 € au titre du surcoût lié aux frais de transport de livraison des produits aux clients de Nemeco, engendrés par le changement de site de production des produits,

- 40.000 € au titre du préjudice moral subi en raison de l'impact de la rupture de la relation commerciale établie avec Orangina sur le fonctionnement de l'entreprise et le moral des salariés de Nemeco, confontés aux problèmes de paiement de salaire et à la question de la survie de l'entreprise,

- 40.000 € au titre du préjudice d'image, résultant de l'atteinte à l'image et à la réputation de Nemeco, en raison de l'impossibilité pour Nemeco d'honorer les commandes de ses clients,

Rejeter les demandes reconventionnelles de la société Orangina Schweppes France ;

En tout état de cause, de condamner la société Orangina Schweppes France aux entiers dépens et à verser à la société Nemeco la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 23 décembre 2023, la société Orangina Schweppes France demande à la Cour, au visa des articles L. 442-6- 1 5° et suivants du code de commerce ainsi que des articles 4 et 464 du code de procédure civile, de débouter la société Nemeco de son appel et de toutes ses demandes, fins et conclusions, et de :

Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné Nemeco à payer à Orangina le solde des factures impayées représentant un montant total de 151.869 €, "augmentées des intérêts de retard équivalent à trois fois le taux de l'intérêt légal à compter du 16 septembre 2019, date de l'assignation",

- débouté Nemeco de ses autres demandes,

- condamné Nemeco à payer à Orangina la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- statué extra petita en condamnant Orangina à verser une indemnité de 50.000 €, à titre de dommages-intérêts, en compensation du préjudice résultant des conditions de réalisation du préavis,

- débouté Orangina de sa demande de condamnation au titre du préjudice moral subi,

- débouté Orangina de sa demande de paiement des frais relatifs à la destruction des cans embouteillées et non retirées par Nemeco,

Faisant droit à son appel incident et, statuant à nouveau :

- débouter Nemeco de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- condamner Nemeco à payer à Orangina la somme de 379 € HT au titre de la destruction des cans embouteillées et non retirées par Nemeco,

- condamner Nemeco à payer à Orangina la somme de 20.000 € en indemnisation des préjudices subis,

En tout état de cause :

- débouter Nemeco de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Nemeco aux entiers dépens et au paiement de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 9 janvier 2024.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

I- Sur les demandes de la société Nemeco pour rupture brutale de la relation commerciale établie :

1- Sur la date de la rupture des relations commerciales :

Exposé des moyens,

La société Nemeco, ci-après Nemeco, reproche à la société Orangina Schweppes France, ci-après Orangina, d'avoir rompu sans préavis la relation commerciale établie par lettre du 26 février 2019, elle fait valoir en ce sens :

- que depuis 2007, le courant d'affaires entre les parties était stable, régulier et significatif : les volumes de vente de produits Tree Top représentant plus de 60 % du chiffre d'affaires de Nemeco en 2018,

- que par lettre du 27 septembre 2018, Orangina lui avait indiqué que son compte était bloqué, mais que les relations se sont ensuite poursuivies, Orangina confirmant par courriels des 27 et 28 septembre 2018 que les commandes pouvaient reprendre et que les consignes étaient données pour prévoir les productions,

- qu'en février 2019, des discussions étaient en cours entre les parties sur une nouvelle production mais que par lettre du 26 février 2019, Orangina a procédé à la résiliation unilatérale de la relation commerciale sans délai de préavis, alors qu'elle-même l'avait alertée qu'elle était son unique prestataire et qu'elle ne disposerait d'une solution alternative que fin juin 2019,

- qu'aucun manquement ne lui était imputable et que la décision d'Orangina de rompre les relations résultait uniquement de sa volonté de réorienter l'activité de son site de [Localité 6] sur lequel elle produisait les produits de Nemeco vers une production de ses seuls produits.

Orangina, qui ne conteste pas le caractère établi de la relation commerciale, fait état de difficultés l'ayant émaillée en raison : des retards de paiement systématiques de Nemeco malgré des conditions tarifaires très avantageuses, de la diminution progressive des volumes commandés en baisse de 24 % en 2017 et de 7 % en 2018, et des reproches récurrents de Nemeco, par exemple sur les dates limites d'utilisation (DLUO) de 9 mois mentionnées sur les produits par Orangina et que Nemeco souhaitait voir porter à 12 mois ou encore sur le packaging.

Orangina soutient avoir notifié la rupture des relations commerciales le 27 septembre 2018, tout en laissant à Nemeco un délai pour réorganiser sa production en trouvant un autre co-packer, elle souligne :

- que dans son assignation en référé, Nemeco a reconnu que la résiliation de la relation commerciale résultait de la lettre du 27 septembre 2018 et que, sauf à faire preuve de mauvaise foi et à manquer au principe selon lequel "nul ne peut se contredire au détriment d'autrui", Nemeco ne peut désormais prétendre que la rupture ne lui aurait été notifiée que le 26 février 2019,

- que par courriels des 22 octobre et 12 novembre 2018, elle a rappelé à Nemeco la fin de leur relation commerciale,

- qu'elle n'a pas cessé du jour au lendemain de produire et livrer Nemeco en produits Tree Top, mais a réalisé deux productions supplémentaires l'une en octobre 2018 dans son usine de la Courneuve, l'autre en décembre 2018 dans son usine de Gadagne,

- que lors d'une réunion du 5 février 2019, Nemeco lui a confirmé qu'elle avait trouvé un nouveau co-paker, la société Konings qui pourrait produire ses produits Tree Top à compter d'avril 2019,

- que Nemeco lui a demandé une dernière production en février 2019 à des conditions différentes de celles habituellement pratiquées s'agissant de la DLUO et que c'est dans ces circonstances qu'elle l'a informée, par lettre du 26 février 2019, que la production réalisée en décembre 2018 était la dernière possible.

Réponse de la Cour,

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

La Cour constate que Orangina ne prétend pas avoir usé de la faculté de résiliation de la relation commerciale pour inexécution par Nemeco de ses obligations, ce qui aurait eu pour conséquence de l'exonérer de tout préavis.Elle soutient seulement avoir accordé et respecté un préavis suffisant de 7 mois.

La lettre adressée le 27 septembre 2018 par Orangina à Nemeco, après rappel de retard de paiement, se termine ainsi :

"De ce fait, comme il vous l'a été présenté, votre compte est actuellement bloqué en attente de régularisation.

En tout état de cause, ces incidents récurrents malgré nos nombreuses alertes et relances ne sont plus acceptables et nous conduisent à mettre un terme à notre relation commerciale. Nous reviendrons vers vous pour définir les conditions de réalisation des dernières productions qui devront nécessairement nous apporter des garanties suffisantes pour obtenir le paiement de nos prestations."

Il en ressort sans aucune ambiguïté que par ce courrier Orangina a notifié à son partenaire son intention de rompre la relation commerciale.

Ensuite, par courriels échangés entre les parties les 27 et 28 septembre 2018, Orangina a débloqué le compte de Nemeco et prévu la reprise des commandes en contrepartie du versement de la somme de 10.000 €, en ces termes :

- par courriel du 22 octobre 2018, Orangina a écrit à Nemeco : "Compte tenu de la résiliation du contrat entre nos sociétés .... nous ne ferons pas ensemble cette modification de décor que nous vous laisserons mettre en place avec votre nouvel embouteilleur",

- par courriel du 12 novembre 2018, Orangina a encore écrit à Nemeco : "Le contrat entre nos deux sociétés est rompu (appel téléphonique, mail et recommandé avec AR).

J'ai à nouveau encouragé M. [I] à rechercher au plus vite un autre co-packer qui lui donnerait meilleure satisfaction que nous sur le plan financier, durée de vie du produit et aspect commercial du produit."

Il résulte de l'ensemble de ces courriers et échanges, que la société Orangina a manifesté son intention de rompre la relation commerciale le 27 septembre 2018, a organisé une période de préavis pour permettre à son partenaire de se réorganiser mais sans notifier par écrit la durée de ce préavis comme exigé par l'article L. 442-6-1 5° du code de commerce.

2- Sur la durée du préavis :

Exposé des moyens,

Nemeco prétend que c'est un préavis de 18 mois qui aurait dû lui être accordé, courant à compter du 26 février 2019 pour se terminer le 26 août 2020 ; elle fait valoir en ce sens :

- que Orangina était son unique prestataire et assurait la logistique de ses produits, ce qui fait qu'elle ne pouvait recourir à un autre embouteilleur,

- que malgré ses démarches auprès de plusieurs embouteilleurs tels que San Benedetto ou Refresco qui lui a répondu négativement par courriel du 31 janvier 2019, elle n'a pu trouver de solution alternative dans l'urgence,

- que par courriel du 27 février 2019, la société Konings l'a informée qu'elle ne serait pas en mesure de produire avant le mois de juin 2019,

- que la société Konings a accepté d'appliquer sur les canettes une DLUO de 12 mois et de l'étendre plus tard à 15 mois, les DLUO courtes en vigueur à la date du 1er janvier 2015 ayant été ensuite revues et allongées,

- que sa demande faite à Orangina en février 2019 d'augmenter la DLUO était légitime et n'avait aucune conséquence pour Orangina,

- que l'arrêt de la production par Orangina a engendré un préjudice significatif pour elle, à savoir des difficultés financières pour payer ses fournisseurs et l'impossibilité de livrer ses clients,

- que c'est à tort que le tribunal a fixé un délai de préavis de 7 mois insuffisant, alors qu'il retenait une durée de relation de plus de 10 ans, une offre d'embouteillage limitée à quelques intervenants en Europe et une part des ventes de produits embouteillés par Orangina dans le chiffre d'affaires de Nemeco ayant évolué pour passer d'environ 50 % dans les dernières années à 60 % en 2018.

Nemeco ajoute qu'elle n'a pas bénéficié d'un préavis serein qui se serait déroulé dans des conditions normales, ayant dû en permanence insister auprès d'Orangina pour obtenir une production supplémentaire et s'étant trouvée à plusieurs reprises en rupture de produits.

Orangina demande la confirmation de la décision du tribunal qui a jugé que Nemeco avait disposé d'un délai suffisant de 7 mois pour retrouver un nouveau co-packer suite à sa décision de mettre un terme à leur relation commerciale, elle souligne :

- que les produits Tree Top 33 cl embouteillés par elle et seuls concernés par le présent litige, représentaient 30 % de la marge nette de Nemeco sur 2018 et non 60 % qui correspondent aux produits Tree Top 33 cl et 1 L, ces derniers n'étant pas embouteillés par Orangina,

- que le contrat cadre ne stipulant aucune exclusivité, Nemeco pouvait faire produire ses produits auprès d'autres co-packer, ce qu'elle a fait pour ses produits Tree Top 1 L et ses produits NU,

- que Nemeco ne rapporte pas la preuve d'une dépendance économique,

- qu'il ressort des courriels échangés entre Nemeco et Konings les 8, 19 et 27 février 2019, que Konings pouvait produire dès le mois d'avril 2019, mais que les productions n'ont pu être lancées par la faute de Nemeco qui n'a pas transmis, dans les délais requis, ses volumes de commande.

Par ailleurs, Orangina soutient qu'elle a respecté le préavis de 7 mois en l'état des productions réalisées en octobre 2018, décembre 2018 et avril 2019 qui ont permis à Nemeco de s'approvisionner en produits Tree Top 33 cl dans des proportions similaires, voire plus importantes, que celles de l'année précédente pour la même période d'octobre 2017 à mai 2018. Elle précise que si la production demandée par Nemeco en février 2019 n'a pas été réalisée, c'est à cause de Nemeco qui voulait modifier les conditions habituelles de production en appliquant une DLUO différente de celle habituelle de 9 mois conforme à la réglementation en vigueur.

Réponse de la Cour,

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

En l'espèce, les relations ont duré 10 ans et 9 mois pour avoir débuté l'avant dernière semaine de décembre 2007 et avoir été rompues le 27 septembre 2018.

Nemeco ne justifie par aucune pièce qu'elle réalisait 60 % de son chiffre d'affaires avec Orangina concernant l'embouteillage de ses produits Tree Top 33cl alors que Orangina Schweppes France fait état de seulement 30 %. Nemeco, qui n'était tenue par aucune clause d'exclusivité, avait la possibilité de s'adresser à une autre entreprise en France ou en Europe exerçant la même activité pour faire embouteiller ses produits et gérer sa logistique. Elle ne rapporte donc pas la preuve qu'elle se trouvait en état de dépendance économique.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, un préavis de 7 mois était suffisant pour lui permettre de retrouver un autre partenaire et une solution de remplacement. Ce préavis devait courir à compter du 27 septembre 2018, date de notification de la rupture, pour expirer le 27 avril 2018.

Or, il ressort des pièces versées aux débats et des explications des parties :

- qu'en février 2019, Orangina a refusé de réaliser une production demandée par Nemeco alors que la modification des DLUO sur les canettes demandée par Nemeco, rendue possible suite à une modification de la législation, n'était pas de nature à justifier un tel refus,

- que Nemeco, en réponse à des demandes de ses clients, leur a indiqué en février 2019, ne pouvoir les livrer,

- que ce n'est qu'en avril 2019 que Orangina a accepté de réaliser une dernière production,

Il en résulte qu'entre février et avril 2019, le préavis ne s'est pas déroulé dans des conditions normales par la faute d'Orangina.

3- Sur les préjudices invoqués par Nemeco :

* Sur la demande au titre de la perte de marge :

Exposé des moyens,

Pour réclamer la somme de 1.215.000 € à ce titre calculée sur un préavis manquant de 18 mois, Nemeco déclare qu'elle a réalisé, au cours des années 2016 à 2018, une marge de 2.432.390,29 € sur les produits Tree Top, soit en moyenne annuelle de 810.796 € et une moyenne mensuelle de 67.566,40 €.

Orangina réplique :

- que Nemeco ne produit pas de pièces comptables justifiant la perte de marge alléguée, mais de simples analyses statistiques,

- que leur examen montre que la marge sur coûts variable sur l'ensemble des ventes de produits Tree Top 33 cl serait plutôt de l'ordre de 28 % que de 33 %,

- que la marge de 67.566,40 € annoncée par Nemeco n'est pas cohérente avec celles annoncées pour les années précédentes, soit 62.702 € en 2017 et 55.124 € en 2018 et qu'elle n'aurait pu être réalisée de façon linéaire pendant 18 mois eu égard à la dégradation constante des ventes au cours des 3 dernières années.

Réponse de la Cour,

Pour l'évaluation de son préjudice, Nemeco se borne à verser aux débats :

- pièce 31 : ses comptes annuels et balances générales pour les exercices 2016, 2017, 2018 et les six premiers mois de 2019 qui ne détaillent pas les chiffres d'affaires réalisés avec Orangina et ne permettent pas de déterminer la marge en résultant,

- pièce 30 : un document établi par elle, intitulé "Analyse statistiques articles", qui mentionne pour les produits Tree Top 33 cl et les années 2016, 2017, 2018 et les 3 années 2016, 2017 et 2018, un chiffre d'affaires global de 7.489.069,19 € et une marge de 2.432.390,29 €.

Ce document, qui n'est pas certifié par un expert-comptable, est critiqué par Orangina sur la base d'un avis technique BMA, signé par un expert-comptable, lequel relève, notamment :

- que l'extrait statistique de Nemeco n'identifie pas les charges variables et que les coûts entrant dans les analyses statistiques d'outils de gestion commerciale sont généralement des estimations dont les montants différents de ceux enregistrés en comptabilité,

- qu'entre octobre 2018 et début juin 2019, Nemeco a pris possession de 3.470.000 canettes de Tree Top, dont 410.000 étaient en stock avant la notification de la rupture des relations et 3.060.000 avaient ensuite été produites en octobre 2018, décembre 2018 et avril 2019,

- que les approvisionnements de Nemeco postérieurs à la date de résiliation portent sur des volumes comparables à ceux de l'année précédente au titre de la même période, voire légèrement supérieurs.

Orangina affirme dans ses conclusions, sans être contredite par Nemeco, qu'entre octobre 2017 et mai 2018, Nemeco s'était approvisionnée auprès d'elle en produits Tree Top pour un montant total de 1.15.389 € et qu'entre octobre 2018 et mai 2019, Nemeco s'est approvisionnée auprès d'elle pour un montant total de 1.138.468 €.

En l'état des pièces versées aux débats, Nemeco ne démontre donc pas avoir subi pendant la durée du préavis de 7 mois octroyé, une perte de chiffre d'affaires ayant entraîné une perte de marge susceptible d'être indemnisée. La demande à ce titre de Nemeco doit être rejetée et le jugement sera confirmé de ce chef de préjudice.

* Sur la demande au titre d'un préjudice lié aux conditions du préavis

Exposé des moyens,

Nemeco demande réparation en invoquant des conditions abusives dans lesquelles la rupture aurait été mise en œuvre.

Pour prétendre à une créance de 68.665 €, Nemeco soutient au fil de ses conclusions qu'elle a dû faire embouteiller 320.000 canettes 33 cl par un autre embouteilleur Zarracina pour un surcoût de 0,0488 € par canettes, soit au total 28.665 €, auxquels s'ajoutent les frais de transport des produits de l'Espagne jusqu'à son entrepôt situé en région parisienne pour 10.601,15 € et le prix du stockage pour 2.448 €. Elle ajoute la somme de 40.000 € pour "surcoût lié aux frais de transport de livraison des reliquats des produits aux clients de Nemeco, engendrés par les interruptions de production et ruptures récurrentes d'Orangina".

Elle verse aux débats (pièces 26, 34, 35, 36 et 29) :

- des échanges de courriels avec Zarracina au cours du mois de février 2019 qui ont trait à des conditions tarifaires envisagées,

- une facture de Zarracina du 12 avril 2019 d'un montant de 4.847,04 €,

- un extrait de son grand livre de comptes pour la période du 01/012019 au 31/12/2019 mentionnant des frais de transport exposés le 30 avril 2019,

- un document intitulé facturation de stockage portant la référence janvier 2019 et un montant total de 2.612,05 €.

Orangina réplique que ces éléments ne sont pas probants, Nemeco ne communiquant aucune pièce justifiant des bons de commande de 320.000 canettes à Zarracina, des bons de livraison et des factures afférentes, ni des frais de transport et de stockage qui en seraient résultés.

Réponse de la Cour,

Orangina, qui a notifié son intention de rompre le 27 septembre 2018 sans préciser par écrit la durée du préavis, a cessé ses prestations entre février et avril 2019, sans aucune raison valable de sa part. L'activité de Nemeco s'en est trouvée désorganisée puisqu'elle ne pouvait plus faire face dans l'immédiat aux commandes de ses clients ni bénéficier de leurs paiements, et s'est trouvée contrainte de s'adresser à une autre entreprise.

En réparation du préjudice subi, résultant des mauvaises conditions d'exécution du préavis, Orangina devra payer à Nemeco la somme de 50.000 €, à titre de dommages-intérêts et le jugement sera confirmé de ce chef de préjudice.

* Sur la demande au titre d'un préjudice moral et d'image

Exposé des moyens,

Pour réclamer la somme de 40.000 € au titre du préjudice moral, Nemeco expose qu'il a été subi en raison de l'impact de la rupture de la relation commerciale établie avec Orangina sur le fonctionnement de l'entreprise et le moral de ses salariés, confrontés aux problèmes de paiement des salaires et à la question de la survie de l'entreprise.

Pour réclamer la somme de 40.000 € au titre du préjudice d'image, Nemeco allègue que ce préjudice résulte de l'atteinte à son image et à sa réputation en raison de son impossibilité d'honorer les commandes de ses clients.

Orangina réplique que Nemeco a pu bénéficier pendant toute la durée de la relation commerciale de conditions de facturation et de paiement très avantageuses ainsi que d'un stockage gratuit et illimité de ses produits. Elle ajoute que Nemeco est seule responsable de ses problèmes de trésorerie. Orangina ajoute que Nemeco ne verse aux débats aucune pièce pour justifier de plaintes de ses clients.

Réponse de la Cour,

La Cour constate que Nemeco ne produit aucune pièce de nature à démontrer l'existence même d'un préjudice moral et d'un préjudice d'image. Ses demandes doivent donc être rejetées et le jugement sera confirmé de ces chefs de préjudice.

II- Sur les demandes de la société Orangina Shweppes France :

* Sur la demande en paiement de la somme de 151.869 € :

Exposé des moyens,

Orangina produit les factures relatives à ses dernières productions dont le total s'élève à 151.490 € ainsi que sa facture de 379 € pour frais de destruction des stocks non repris par Nemeco.

Nemeco observe d'abord que le tribunal, dans sa motivation, a écarté la somme demandée au titre des frais de destruction mais l'a incluse, par erreur, dans sa condamnation au paiement de la somme de 151.869. Elle conteste devoir la moindre somme en faisant valoir :

- qu'elle ne peut procéder au paiement temporairement en raison de l'existence du litige, des manquements d'Orangina et des problèmes de trésorerie que la rupture brutale lui a causé,

- qu'il est de principe que le débiteur défaillant ne peut voir sa responsabilité engagée lorsque sa défaillance est due exclusivement à la faute de la prétendue victime,

- qu'Orangina, dont la rupture brutale a causé sa défaillance dans le règlement des factures, ne peut escompter la réparation du dommage que son comportement a causé.

Réponse de la Cour,

Aucune contestation n'est élevée sur le montant des factures réclamées qui correspondent à des productions réalisées par Orangina et Nemeco doit supporter les frais exposés pour la destruction de canettes non reprises par elle.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Nemeco à payer la somme de 151.869 €, incluant celle de 379 €, mais infirmé en ce qu'il a dans le même temps débouté Orangina de sa demande sur cette somme de 379 €.

En outre Orangina ne peut obtenir confirmation du jugement sur des intérêts qui n'y ont pas été prévus.

* Sur la demande en paiement de la somme de 20.000 € pour préjudice moral :

Exposé des moyens,

Afin d'étayer sa demande, Orangina reproche à Nemeco :

- d'avoir mobilisé ses équipes entre février et avril 2019 pour lui demander une nouvelle production alors que la société Konings aurait été en mesure de produire plus de 1.000.000 de canettes par an dès avril 2019 si Nemeco avait été diligente dans l'envoi des informations demandées,

- de n'avoir eu de cesse de discuter les conditions de la dernière production qui pouvait intervenir les 18 et 19 avril 2019 et qu'elle a accepté de décaler au 29 et 30 avril, Nemeco étant dans l'impossibilité de livrer, dans les délais, ses camions citernes de jus,

- de lui avoir laissé en stock des produits jusqu'à la fin de 2019, pour lesquels Orangina ne lui a facturé aucun frais de stockage,

- de lui réclamer plus d'un million d'euros, alors qu'elle n'a pas payé les dernières factures et ne prend pas la peine de justifier ses demandes par des éléments comptables.

Nemeco réplique qu'Orangina ne produit aucune pièce au soutien de sa demande et qu'elle ne peut ériger l'exercice de son droit d'agir au rang de ses préjudices.

Réponse de la Cour,

La Cour constate qu'Orangina ne justifie en rien du préjudice moral qu'elle aurait subi. De plus Nemeco n'a pas fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice pour obtenir des dommages-intérêts en réparation de préjudices résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Orangina sera donc déboutée de ce chef de demande.

III- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Nemeco qui succombe en son appel doit supporter les dépens de première instance d'appel.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer à Orangina la somme supplémentaire de 10.000 € et de rejeter la demande de ce chef de Nemeco.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a débouté la société Orangina Schweppes France de sa demande en paiement de la somme de 379 € des frais relatifs à la destruction des cans embouteillées et non retirées par la société Nemeco, qu'il a dans le même temps incluse dans sa condamnation confirmée de la société Nemeco à payer la somme de 151.869 € ;

Y ajoutant,

Condamne la société Nemeco aux entiers dépens, 

Condamne la société Nemeco à payer à la société Orangina Schweppes France la somme de 10.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.