CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 avril 2024, n° 22/04742
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lavage Auto Mobile (EURL)
Défendeur :
Renault Retail Group (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bodard-Hermant
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Dallery
Avocats :
Me Grandin, Me Ruggirello, Me Ingold, Me Varela
FAITS ET PROCEDURE
La société Lavage Auto-mobile a pour activité l'entretien et la réparation de véhicules automobiles.
La société Renault Retail Group a pour activité le négoce, la réparation, l'entretien et la location de véhicules automobiles, industriels, utilitaires et de tourisme.
Au cours du mois d'octobre 2018 et à la suite du placement en liquidation judiciaire de son précédant prestataire, la société Renault Retail Group a sollicité la société Lavage Auto-mobile pour lui confier des prestations de nettoyage et de préparation des véhicules neufs et d'occasion avant les livraisons aux clients finaux.
La société Lavage Auto-mobile a immédiatement débuté ses prestations le 29 octobre 2018.
En parallèle, les parties ont entamé, sans succès, des négociations pour régulariser un contrat de prestation de services.
A la suite d'un différend opposant les parties et par courrier en date du 3 juin 2019, la société Renault Retail Group a mis un terme à sa relation commerciale avec la société Lavage Auto-mobile.
Estimant avoir été victime d'une rupture brutale de la relation commerciale, la société Lavage Auto-mobile a, par acte du 13 janvier 2020, assigné la société Renault Retail Group devant le tribunal de commerce de Marseille en paiement de dommages-intérêts.
Par jugement du 4 janvier 2022, le tribunal de commerce de Marseille a :
- Déclaré recevable l'assignation délivrée par la société Lavage Auto-mobile-mobile par acte en date du 13 janvier 2020 ;
- Débouté la société Lavage Auto-mobile-mobile de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales ;
- Condamné la société Lavage Auto-mobile-mobile à payer à la société Renault Retail Group la somme de 1 000 euros (mille euros) au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente instance ;
- Laissé à la charge de la société Lavage Auto-mobile-mobile les dépens, toutes taxes comprises de la présente instance, tels qu'annoncés par l'article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçues par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 74,18 euros ;
- Ordonné l'exécution provisoire des dispositions du présent jugement, excepté en ce qui concerne la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens ;
- Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.
La société Lavage Auto-mobile a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 28 février 2022.
Vu les dernières conclusions de la société Lavage Auto-mobile, déposées et notifiées le 30 septembre 2022, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu les articles 1193,1212,1226 du code civil,
Vu l'article L. 442-1 II du code de commerce,
Vu l'article D. 442-3 du code de commerce, annexe 4-2-1,
Vu l'article 515 du code de procédure civile,
- Recevoir la SARL Lavage Auto-mobile en son appel ;
- Le dire régulier en la forme ;
Au fond,
- Reformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL Lavage Auto-mobile de l'intégralité de ses demandes ;
- Juger que la société Renault Retail Group pris en son établissement de [Localité 5] la valette, pris en la personne de son président directeur général avait communiqué à la SARL Lavage Auto-mobile un modèle de contrat laissant entendre qu'elle envisageait se lier à son contractant par des relations commerciales à durée déterminée pour une période de trois ans à compter du 29 octobre 2018 et devant se terminer le 29 octobre 2021.
- Juger que la société Renault Retail Group pris en son établissement de [Localité 5] la Valette, pris en la personne de son président directeur a rompu ces relations commerciales de manière brutale aggravé par l'état de dépendance économique ;
- Juger que la société Renault Retail Group ne justifie d'aucun grief de nature à justifier la brutalité de la rupture ;
- Juger que société Renault Retail Group pris en son établissement de [Localité 5] la Valette, pris en la personne de son président directeur général a causé en ce faisant un important préjudice dont elle lui doit réparation par l'octroi de dommages et intérêts destinés à compenser la perte de gain jusqu'à la fin du contrat et les importantes perturbations liées à la rupture.
- Condamner en conséquence la société Renault Retail Group pris en son établissement de [Localité 5] la valette, en la personne de son représentant légal à payer à la SARL Lavage Auto-mobile en la personne de son gérant monsieur [I] [S] :
* 137 902,50 euros à titre de dommages et intérêts,
* 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- La condamner aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions de la société Renault Retail Group, déposées et notifiées le 12 février 2024 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu l'article L. 442-1 II du code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
Ou tout autre fondement que votre juridiction peut appliquer d'office en vertu des dispositions de l'article 12 du code de procédure civile,
- Recevoir la société Renault Retail Group en ses conclusions et l'y déclarer bien recevables et fondée,
- Juger que la société Lavage Auto-mobile a limité son appel à sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales qui avait été rejetée par la décision de première instance et à sa condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Confirmer en tous points le jugement rendu le 4 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Marseille,
Y ajouter :
- Condamner la SARL lavage auto mobile à payer à la société Renault Retail Group la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la SARL lavage Auto-mobile aux entiers dépens de la présente instance.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 09 janvier 2024.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la rupture brutale,
L'article L. 442-1, II, du code de commerce tel qu'issu de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
* Sur le caractère établi de la relation
La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions de l'article L. 442-1, II, du code de commerce doit être suffisamment prolongée, significative et stable de sorte que la victime de la rupture brutale pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires.
En l'espèce, le caractère établi de la relation commerciale entretenue entre la société Lavage Auto-mobile et la société Renault Retail Group n'est pas contesté. La relation commerciale qui a débuté le 29 octobre 2018 s'est poursuivie pendant huit mois, jusqu'au 30 juin 2019 et leur flux d'affaires a été significatif compte tenu du chiffre d'affaires réalisé en 2019 par la société Lavage Auto-mobile avec la société Renault Retail Group qui s'est élevé à 128 858 euros pour un chiffre d'affaires total de 132 750,80 euros (pièce n° 23, société Lavage Auto-mobile), peu important qu'aucun contrat n'a été signé.
Dans ces conditions, le tribunal a justement retenu que la relation commerciale des parties présente le caractère établi nécessaire à l'application de l'article L. 442-1 du code de commerce.
* Sur le caractère brutal de la rupture
La société Lavage Auto-mobile soutient que la société Renault Retail Group a brutalement rompu leur relation commerciale. Elle fait valoir que le préavis d'un mois octroyé par la société Renault Retail Group était insuffisant eu égard à la teneur de leur relation commerciale en particulier compte tenu du fait que les parties projetaient une relation commerciale d'une durée de trois ans.
Elle allègue que la rupture a été brutale eu égard à la stabilité des relations envisagées, affirmant qu'elle était légitime à espérer que leur relation commerciale se poursuive pour une durée minimale de trois années, compte tenu du projet de contrat qui lui a été proposé par M. [W], responsable des achats de la société Renault Retail Group. Selon elle, seule la question du périmètre de ce contrat faisait l'objet de négociations, c'est-à-dire l'étendue des prestations et le volume d'affaires à convenir, sans qu'une modification de la durée des relations commerciales n'ait été envisagée par les parties.
Elle conteste, en outre, les motifs invoqués par la société Renault Retail Group en ce qu'ils ne sont ni démontrés ni suffisamment graves pour justifier la résiliation de leur partenariat, s'agissant tant du grief relatif au turn-over que du grief tiré de la mésentente entre les équipes ou du grief pris du non-respect des règles de sécurité.
Elle soutient, par ailleurs, avoir été placée en situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Renault Retail Group compte tenu de la part importante qu'a représenté leur relation commerciale dans son chiffre d'affaires total. Elle fait valoir que pour l'année 2019, sur 116 232,80 euros de crédit, 113 840 euros proviennent de la société Renault Retail Group.
En réplique, la société Renault Retail Group soutient que le délai de préavis d'un mois octroyé à la société Lavage Auto-mobile était suffisant eu égard à la durée de leur relation commerciale.
Elle relate avoir eu recours aux services de la société Lavage Auto-mobile dans l'urgence, à la suite de la liquidation judiciaire de son précédent prestataire. Elle soutient n'avoir formulé aucune offre de contracter à des conditions particulières et déterminées et ne pas s'être engagée à conclure un contrat d'une durée de trois ans. Selon la société Renault Retail Group, aucun contrat n'a été formalisé entre les parties et ces dernières n'avaient convenu ni de la durée de leur relation commerciale, ni de leurs modalités, notamment des tarifs pratiqués. S'agissant du modèle type de contrat transmis par M. [W], responsable des achats de la société Renault Retail Group, elle affirme qu'il ne s'agissait que d'une base de travail qui devait être adaptée notamment sur la durée des relations contractuelles envisagées.
Elle ajoute avoir notifié à la société Lavage Auto-mobile sa volonté de mettre un terme à leur partenariat, lors d'un entretien du 20 mai 2019, confirmé par un courrier du 3 juin 2019, pour une cessation définitive de la relation commerciale au 30 juin 2019. Elle fait valoir que la résiliation de leur partenariat était justifiée par les manquements graves commis par la société Lavage Auto-mobile à ses obligations, eu égard :
- Au turn-over trop fréquent au sein de l'équipe de la société Lavage Auto-mobile, occasionnant des défauts de qualité dans la préparation des véhicules ;
- Aux difficultés relationnelles entre les équipes des deux sociétés ;
- Au non-respect des ports des équipements de protection individuelle par les collaborateurs et le gérant lui-même de la société Lavage Auto-mobile.
Elle affirme que ces griefs ont été portés à la connaissance du gérant de la société Lavage Auto-mobile dès le 20 mai 2019 et qu'ils ont été repris dans la lettre lui notifiant la fin des relations commerciales.
Enfin, elle conteste l'état de dépendance économique dont se prévaut la société Lavage Auto-mobile, faisant valoir que la société Lavage Auto-mobile n'a pas été créée à sa demande puisqu'elle existe depuis le 2 janvier 2019 et non depuis le mois d'octobre 2018 et que celle-ci existe encore à ce jour alors qu'elle n'effectue aucune prestation pour elle depuis le 30 juin 2019 et que les déclarations de TVA versées aux débats par la société appelante démontrent une constante hausse de ses recettes, passant de 2 500 euros au premier trimestre 2020 à 9 000 euros au quatrième trimestre de la même année. La société Renault Retail Group ajoute que la société Lavage Auto-mobile est implantée dans une vaste zone commerciale où se trouvent plusieurs concessionnaires automobiles, qu'elle n'est tenue par aucune clause d'exclusivité et qu'elle propose des prestations de préparation et de nettoyage de véhicules qui peuvent être effectuées auprès de n'importe quelle enseigne, sans qu'aucune spécificité n'ait été requise par elle.
Réponse de la Cour :
La rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à indemnisation au sens de l'article L. 442-1 II du code de commerce, doit être brutale, c'est-à-dire effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels.
Les principaux critères à prendre en compte pour déterminer le délai de préavis sont l'ancienneté des relations, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité, la spécificité des produits et services en cause et l'état de dépendance économique, cet état se définissant comme l'impossibilité de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations nouées avec une autre entreprise.
Cet article prévoit, toutefois, la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution suffisamment grave par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
En l'espèce, à compter du 29 octobre 2018, la société Lavage Auto-mobile a commencé à exécuter des prestations pour la société Renault Retail Group. En parallèle les parties ont entamé des négociations pour régulariser un contrat, sans jamais parvenir à un accord définitif (pièces n° 2, 3 et 4, société Lavage Auto-mobile).
Le 3 juin 2019, la société Renault Retail Group a finalement notifié à la société Lavage Auto-mobile son intention de résilier leur relation commerciale à compter du 30 juin 2019 (pièce n° 6, société Lavage Auto-mobile).
La société Renault Retail Group a ainsi accordé à la société Lavage Auto-mobile un délai de préavis d'un mois alors que leur relation commerciale existait depuis sept mois.
La société Lavage Auto-mobile estime ce délai de préavis insuffisant eu égard au fait que les parties se projetaient sur une relation commerciale d'une durée de trois ans, à l'absence d'inexécution de ses obligations et à sa situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Renault Retail Group.
Il ressort néanmoins des pièces versées aux débats que les parties avaient simplement échangé sur la base d'un modèle de contrat ayant vocation à faire l'objet d'adaptations et qu'ainsi aucun accord n'avait été trouvé quant à la durée et aux modalités de leur relation commerciale (pièces n° 2, 3 et 4, société Lavage Auto-mobile). Ainsi, la société Lavage Auto-mobile ne démontre pas que les parties s'étaient engagées dans une relation commerciale d'au moins trois ans.
En outre, la circonstance que le chiffre d'affaires réalisé avec la société Renault Retail Group a représenté une part significative du chiffre d'affaires total de la société Lavage Auto-mobile sur l'année 2019, est insuffisante à établir l'état de dépendance économique invoqué.
Comme l'a justement soulevé la société Renault Retail Group, la société Lavage Auto-mobile ne démontre pas une quelconque spécificité de son activité ou une exclusivité à l'égard de la société Renault Retail Group l'empêchant de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations nouées avec une autre entreprise.
Dès lors, le délai de préavis d'un mois accordé par la société Renault Retail Group à la société Lavage Auto-mobile pour une relation commerciale de sept mois est suffisant, sans qu'il soit nécessaire d'étudier l'existence et la gravité des manquements invoqués par la société Renault Retail Group à l'encontre de la société Lavage Auto-mobile pour justifier la résiliation de leur relation commerciale.
Au regard de ces éléments, le tribunal a, par des motifs pertinents, non utilement contredits par chacune des parties, retenu que la société Renault Retail Group était en droit de mettre fin aux relations commerciales établies entre les parties et qu'un préavis suffisant a été laissé compte tenu de la durée des relations commerciales.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Lavage Auto-mobile de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement sera de même confirmé en ce qu'il a condamné la société Lavage Auto-mobile à payer à la société Renault Retail Group la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Lavage Auto-mobile, partie perdante, sera condamnée aux dépens.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Lavage Auto-mobile sera déboutée de sa demande sur ce fondement et condamnée à verser à la société Renault Retail Group la somme de 4 000 euros, en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,
Y ajoutant,
Condamne la société Lavage Auto-mobile aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Lavage Auto-mobile à payer à la société Renault Retail Group la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,
Rejette toute autre demande.