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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 avril 2024, n° 22/06051

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Opel France (SAS)

Défendeur :

Meny Nancy (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bodard-Hermant

Vice-président :

Mme Brun-Lallemand

Conseiller :

Mme Depelley

Avocats :

Me Lallement, Me Pagnoux, Me Regnier, Me Bourgeon

T. com. Paris, 19e ch., du 2 mars 2022, …

2 mars 2022

FAITS ET PROCÉDURE

La société Opel France (précédemment General Motors France) est l'importateur en France des véhicules neufs de la marque Opel ainsi que des pièces de rechange.

En 2012, la société Groupe [F] [U], active dans le secteur de la distribution automobile, a racheté les titres de la société Meny Nancy, concessionnaire point de vente et réparateur agrée Opel à Nancy. L'activité a été transférée à [Localité 7] et [Localité 5], les sites, aménagés aux standards de la marque, étant partagés avec les marques du groupe Fiat.

En dernier lieu, la société Opel France et la société Meny Nancy étaient liées par deux contrats de concession de vente et de service concernant respectivement les véhicules particuliers et les véhicules utilitaires, ayant pris effet le 1er avril 2018 et conclus pour une durée indéterminée.

Y était notamment inséré un article 5.2 aux termes duquel : "(l)e concessionnaire VU ne pourra vendre, céder ou donner en garantie tout ou partie des droits et obligations découlant de ce contrat sans l'accord écrit préalable de GMF [devenu OPEL France]".

Suite au rachat par le groupe PSA des activités de la société Opel en 2017, la société Opel France a résilié, avec un préavis de 2 ans, l'ensemble des contrats de concession du réseau français, dont les contrats passés avec la société Meny Nancy, à effet du 30 avril 2020. Ces derniers ont été prolongé jusqu'au 30 juin 2020 en raison de la crise sanitaire Covid-19. 

Des pourparlers aux fins de rachat par le groupe Bailly (Car Avenue), seul repreneur agréé par Opel France, du fonds de commerce des concessions Opel détenues par la société Meny Nancy, ont eu lieu mais n'ont pas abouti.

La société Meny Nancy a alors souhaité que la société Opel France l'agrée en tant que réparateur Opel seulement, mais par lettre du 30 juin 2020, cette dernière a refusé en se prévalant de l'article 3.1.8 des contrats de concession résiliés, lequel stipule qu'une demande d'agrément en tant que réparateur seul ne peut être présentée qu'après une période de 12 mois suivant la fin du préavis de résiliation des contrats portant sur la vente et le service après-vente.

Meny Nancy a été informée que la représentation de la marque Opel sur Nancy serait désormais assurée par le groupe Hess.

Groupe [F] [U], qui était également concessionnaire Opel via des sociétés distinctes à [Localité 6], [Localité 4] et [Localité 8] a vu ses concessions résiliées sans renouvellement dans des conditions analogues à celles de Nancy, mais les fonds de commerce correspondants ont été vendus à des repreneurs qui ont été agréés par Opel France dans des conditions qui n'ont pas suscité de litige.

Par acte du 27 novembre 2020, la société Meny Nancy a assigné la société Opel France devant le tribunal de commerce de Paris pour solliciter, à titre principal, des dommages et intérêts au titre de la responsabilité contractuelle de la société Opel France en réparation du préjudice causé par l'impossibilité de vendre son fonds de commerce en raison du refus de la société Opel France d'agréer d'autres repreneurs.

Par jugement du 2 mars 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

- Dit que la SAS Opel France n'a pas exercé de bonne foi les prérogatives d'agrément que lui donnait l'article 5.2 des contrats de concession conclus avec la SAS Meny Nancy, et a commis une faute contractuelle à l'égard de la SAS Meny Nancy ;

- Condamné la SAS Opel France à verser à la SAS Meny Nancy la somme de 605 600 € à titre de dommages intérêts pour la perte de valeur du fonds de commerce ;

- Condamné la SAS Opel France à verser à la SAS Meny Nancy la somme de 125 961 € à titre de dommages intérêts pour la perte de valeur du stock de pièces détachées ;

- Condamné la SAS Opel France à verser à la SAS Meny Nancy la somme de 151 332 € à titre de dommages et intérêts pour le site de [Localité 7] ;

- Condamné la SAS Opel France à verser à la SAS Meny Nancy la somme de 79 488 € à titre de dommages intérêts pour le site de [Localité 5] ;

- Débouté la SAS Meny Nancy de ses demandes au titre des véhicules neufs en stock au 30 juin 2020 ;

- Débouté la SAS Meny Nancy de ses demandes au titre des salariés non repris par le groupe Hess ;

- Débouté la SAS Meny Nancy de sa demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'il se réserve de préciser ultérieurement son préjudice au titre des moins-values éventuelles sur les véhicules vendus par ses soins avec engagement de reprise, si le groupe Hess n'honorait pas ces engagements en intégralité vis-à-vis des clients ;

- Condamné la SAS Opel France à verser la somme de 15 000 € à la SAS Meny Nancy au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- Condamne la SAS Opel France aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 104,31 € dont 17,17 € de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 22 mars 2022 la société Opel France a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 décembre 2022, la société Opel France, demande à la Cour de :

Vu l'article 1112 du code civil,

Déclarer la SAS Opel France recevable et bien fondée en son appel ;

Infirmer le jugement RG n° 2020055265 rendus le 2 mars 2022 par la 19ème chambre du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

- Dit que la SAS Opel France n'a pas exercé de bonne foi les prérogatives d'agrément que lui donnait l'article 5.2 des contrats de concession conclus avec la SAS Meny Nancy et a commis une faute contractuelle à l'égard de la SAS Meny Nancy,

- Condamné la SAS Opel France à verser à la SAS Meny Nancy la somme de 605.600 € à titre de dommages et intérêts pour la perte de valeur du fonds de commerce,

- Condamné la SAS Opel France à verser à la SAS Meny Nancy la somme de 125 961 € à titre de dommages intérêts pour la perte de valeur du stock de pièces détachées,

- Condamné la SAS Opel France à verser à la SAS Meny Nancy la somme de 151 332 € à titre de dommages et intérêts pour le site de [Localité 7],

- Condamné la SAS Opel France à verser à la SAS Meny Nancy la somme de 79 488 € à titre de dommages intérêts pour le site de [Localité 5],

- Condamné la SAS Opel France à verser la somme de 15 000 € à la SAS Meny Nancy au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté la SAS Opel France de ses demandes autres, plus amples ou contraires,

- Dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire,

- Condamné la SAS Opel France aux dépens ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- Débouté la SAS Meny Nancy de ses demandes au titre des véhicules neufs en stock au 30 juin 2020,

- Débouté la SAS Meny Nancy de sa demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'il se réserve de préciser ultérieurement son préjudice au titre des moins-values éventuelles sur les véhicules vendus par ses soins avec engagement de reprise, si le groupe Hess n'honorait pas ces engagements en intégralité vis-à-vis des clients,

- Débouté la SAS Meny Nancy de ses demandes autres, plus amples ou contraires ;

Statuant à nouveau

- Ordonner la restitution des sommes versées par la société Opel France au titre de l'exécution provisoire du jugement du 2 mars 2022 augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date du paiement,

- Débouter la société Meny Nancy de toutes ses demandes,

- Débouter la société Meny Nancy de son appel incident,

- Condamner la société Meny Nancy à payer à la société Opel France la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Meny Nancy aux dépens dont distractions au profit de la SELARL BDL avocats conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 25 septembre 2023, la société Meny Nancy, demande à la Cour de :

A titre principal,

- Dire la société Opel France mal fondée en son appel principal,

- Dire la société Meny Nancy bien fondée en son appel incident,

Vu l'article 1104 nouveau du code civil,

- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

* Dit que la société Opel France n'a pas exercé de bonne foi les prérogatives d'agrément que lui conférait l'article 5.2 des contrats de concession de vente et de service qu'elle avait conclus avec la société Meny Nancy à effet du 1er avril 2018,

* Condamné la société Opel France à payer à la société Meny Nancy, en réparation des préjudices qu'elle lui a causés en la privant de la chance de vendre son fonds de commerce de vente et de services après-vente Opel, à titre de dommages et intérêts, les sommes de :

° 125.961 € en compensation de la valeur du stock de pièces de rechange qu'elle n'a pu céder,

° 79.488 € en contrepartie des charges locatives et foncières qu'elle a continué d'acquitter jusqu'à ce qu'une solution de reconversion de son site de [Localité 5] puisse être trouvée,

- Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a limité les montants des condamnations prononcées à l'encontre de la société Opel France aux sommes de :

* 605.600 € à titre de dommages et intérêts pour la perte de valeur du fonds de commerce,

* 151.332 € à titre de dommages et intérêts pour le site de [Localité 7] ;

Statuant à nouveau sur ces deux chefs,

* Condamner la société Opel France à payer à la société Meny Nancy à titre de dommages et intérêts la somme de 757.000 € en compensation de la valeur des éléments incorporels de son fonds de commerce,

* Condamner la société Opel France à payer à la société Meny Nancy à titre de dommages et intérêts la somme de 269.036 € en compensation des charges locatives et foncières qu'elle a continué d'acquitter jusqu'à ce qu'une solution de cession de son site de [Localité 7] puisse être trouvée,

Subsidiairement,

Dans l'hypothèse où la Cour infirmerait le jugement dont appel sur le principal,

Vu l'article 101.1 TFUE et l'article L.420-1 du code de commerce,

- Prononcer la nullité de l'article 3.18 des contrats de vente et de service Opel conclus à effet du 1er avril 2018 par la société Opel France avec l'ensemble de son réseau ;

- Condamner la société Opel France à payer à la société Meny Nancy en réparation des préjudices qu'elle lui a causés par son refus illicite de l'agréer en tant que réparateur Opel "seul" à compter du 1er juillet 2020 :

* 403.069 € contre reprise de son stock de pièces de rechange Opel, à charge pour la société Opel France d'enlever les pièces correspondantes à ses frais dans les locaux où ils sont/seront entreposés par la société Meny Nancy ;

* 109.724 € en réparation des résultats que la société Meny Nancy aurait pu retirer de la poursuite de ses activités de réparation et d'entretien des véhicules Opel sur la période du 1er juillet 2020 au 1er juillet 2022 ;

En tout état de cause,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Opel France à payer à la société Meny Nancy la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; y ajoutant, condamner la société Opel France au paiement d'une somme supplémentaire de 15.000 € sur ce même fondement ;

- Condamner la société Opel France en tous les dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2023.

MOTIVATION

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

1. Sur la liberté contractuelle et la bonne foi dans l'application de la clause d'agrément

Moyens des parties

La société Opel France soutient qu'en vertu du principe de liberté contractuelle, elle est libre d'agréer le repreneur de son choix comme le stipule l'article 5.2 du contrat de concession. Il n'existe pas de droit à l'agrément d'un ancien membre du réseau de distribution. Elle ajoute que la preuve de sa mauvaise foi et de son abus dans l'exercice de son droit d'agrément n'est pas rapportée par la société Meny Nancy qui n'établit pas qu'Opel France a refusé des concessionnaires qu'elle lui proposait. Au visa de l'article 1112 du code civil, elle fait valoir à cet égard :

- que la société Meny Nancy ne rapporte pas la preuve d'une proposition de candidature effective.

Elle observe que les mails versés aux débats émanent de M. [U] du groupe détenteur de la société Meny Nancy, ce qui contrevient au principe selon lequel nul ne peut se constituer preuve à soi-même. Elle ajoute que les mails du 1er mars 2019 (pièce Meny n° 20) et du 10 octobre 2019 (pièce Meny 21) dans lesquels la société Meny Nancy prétend que le groupe PWA et le groupe Hess sont intéressés ne peuvent être retenu comme des propositions de reprise puisque Meny Nancy ne démontre aucune démarche concrétisant sa volonté de rechercher un accord avec eux, et qu'aucune offre de reprise n'a été adressée à la société Opel France. Elle estime que M. [U] n'a visiblement jamais été en contact sérieux avec ces derniers.

- que la société Meny Nancy savait ne pas avoir besoin de l'autorisation d'Opel France pour entrer en pourparlers avec de potentiels repreneurs, puisqu'elle l'a fait pour la cession d'autres sites ([Localité 4]/[Localité 8]).

Opel France ajoute n'avoir jamais empêché la société Meny Nancy d'entrer en pourparlers avec des candidats ni de solliciter un agrément pour ces derniers.

- que le concédant était ouvert à des propositions de repreneurs émanant de la société Meny Nancy (cf mail du 1er août 2019 dans lequel elle indique : "pouvez-vous nous indiquer les candidats auxquels vous faites allusion soit par mail, soit en m'appelant" (pièce Meny Nancy n° 15).

- que l'échec de la négociation avec le groupe Car Avenue n'est pas de son fait et que la clause d'agrément ne prévoyait aucune obligation à sa charge d'aider la société Meny Nancy à trouver repreneur.

Elle soutient que M. [U] a cherché à se constituer plusieurs preuves de la mauvaise foi du groupe Car Avenue, notamment en inventant un accord qui aurait eu lieu entre eux lors d'une réunion du 6 novembre 2019, ce qui atteste de l'absence de volonté de Meny Nancy de négocier sérieusement avec la société Car Avenue. Elle ajoute que les prétendues concessions qu'excipe la société Meny Nancy pour prouver sa volonté de négocier n'en sont pas ; lui proposant par exemple de lui laisser la jouissance du site excentré de Pulnoy ou encore une reprise des stocks à laquelle la société Car Avenue n'opposait pourtant pas de difficultés.

- que la société Meny Nancy n'a jamais voulu présenter de candidats de reprise sérieux ni aboutir à un contrat avec le groupe Car Avenue, cherchant avant tout à faire pression pour que la société Opel France accepte de renouveler ses contrats de concession.

Elle soutient que dans un courrier du 30 mai 2018, M. [U] chercher à l'intimider en faisant référence à un avocat à l'origine de condamnations de concédants automobiles dont Opel. Elle ajoute que dès l'échec de la négociation avec le groupe Car Avenue, Meny Nancy a demandé à la société Opel France de renouveler ses contrats de concession dans une lettre du 15 juin 2020.

En réponse, la société Meny Nancy précise qu'elle ne reproche pas à la société Opel France une faute précontractuelle mais une faute de nature contractuelle tenant à l'exercice de mauvaise foi des prérogatives que lui conférait l'article 5.2 des contrats de concession de vente et de service, à savoir un droit d'agrément. Son action en responsabilité contractuelle se fonde non pas sur l'article 1112 du code civil mais sur les articles 1104, 1217, 1231, 1231-1 et 1231-2 de ce code.

Elle fait en premier lieu valoir qu'elle a fait preuve de bonne foi tout au long de la procédure de cession du fonds de commerce. Elle indique que la lettre du 30 mai 2018, envoyée juste après la réception des lettres de résiliation, visait à réserver ses droits et a été inspirée par un conseil manquant de pondération. Elle justifie de l'accord donné par M. [U] pour céder ses trois concessions Opel dès le 16 novembre 2018, à l'occasion d'une réunion au siège d'Opel France et soutient que les négociations se sont traduites par la cession effective des deux concessions de [Localité 6] et de [Localité 4]/[Localité 8] fin 2019, l'échec de la troisième cession à Nancy n'étant pas de son fait.

Elle considère en deuxième lieu que l'exercice de bonne foi du droit d'agrément conféré à la société Opel France ne l'autorisait pas à réserver agrément au seul groupe Car Avenue qui n'a formulé que tardivement une offre de reprise le 3 février 2020 aux conditions défavorables pour la société Meny Nancy et s'est par la suite retiré soudainement. Elle relève que dans son offre, le groupe Car Avenue ne valorisait l'incorporel du fonds de commerce Opel qu'à 429.000 euros au lieu de 757.000 euros, alors que cette dernière valorisation avait été acceptée par le groupe Car Avenue lors de la réunion du 6 novembre 2019. Elle précise que sa valorisation reposant sur une valeur de 1.000 euros par véhicule neuf était déjà une concession de la part de la société Meny Nancy puisque les fonds de commerce Opel de la société Agora Automobiles (concession de [Localité 6]) ont quant à eux été vendus sur la base d'un prix unitaire médian de 1.400 euros.

Elle soutient, en outre, qu'elle avait fait d'importantes concessions au groupe Car Avenue :

- Conserver le site de [Localité 5] car le groupe Car Avenue ne voulait pas le reprendre,

- Laisser la jouissance complète du site de Pulnoy au groupe Car Avenue à sa demande (étant observé que la qualité de ce site pour le commerce automobile étant avérée par la présence de Tesla),

- S'occuper de l'écoulement des stocks de véhicules d'occasion et des engagements de reprise des véhicules Opel commercialisés dans le cadre de contrats de location longue durée, ce qui constituait une véritable concession, acceptée pour éviter de soulever des désaccords avec le groupe Car Avenue qui proposait des conditions de reprise imprécises.

Elle ajoute que l'échec de la cession est dû au peu d'intérêt que porte le groupe Car Avenue pour la marque Opel, démontré par la rapidité et les conditions avantageuses que la société Meny Automobile, du groupe [F] [U], a obtenu pour la cession des titres et du fonds de commerce des marques de l'ex-groupe Fiat Chrysler Automobiles en 2021.

La société Meny Nancy fait valoir, en troisième lieu, que la société Opel France l'a privé d'une chance de vendre son fonds de commerce en refusant d'agréer les groupes Hess et PWA, ainsi qu'en refusant de lui indiquer d'autres candidats ayant son agrément. Elle soutient que :

- Tout d'abord, la société Opel France a fait obstruction à ses négociations avec les groupes PWA et Hess. Le concédant a selon elle d'abord refusé d'agréer le groupe PWA en 2018 (alors que le dirigeant de ce dernier s'était déplacé dans les locaux d'Opel France pour se présenter à elle), puis a refusé la demande de M. [U] d'entrer en négociations avec les groupes PWA et Hess en 2019 ;

- Ensuite, il ne peut lui être reproché de ne pas être entré en négociation avec ces groupes en passant outre le refus d'Opel France car cela aurait été une perte de temps, la conclusion des contrats de concession étant soumise à l'accord de la société Opel France (les premiers juges ayant estimé au demeurant que cela n'avait "pas de sens") ;

- Enfin, en s'obstinant à vouloir contracter avec le groupe Car Avenue, la société Opel France a entrainé l'absence de reprise du fonds de commerce, alors même que la société Meny Nancy lui avait proposé des repreneurs représentant la marque Opel France sur des zones géographiques cohérentes avec l'organisation du réseau sur Nancy.

Elle en déduit qu'Opel France a sciemment entravé sa reconversion en usant déloyalement de son droit d'agrément, ce qui a eu pour effet d'attribuer gratuitement au groupe Hess un fonds de commerce pour le rachat duquel Opel France savait pourtant qu'il avait été initialement intéressé, ce qui lui a, selon toute vraisemblance, permis de faire l'économie du "plan d'accompagnement" promis en son temps au groupe Car Avenue.

Réponse de la Cour,

Il n'est pas contesté en l'espèce que :

- Opel France était fondé à résilier les contrats de concession après exécution du préavis, soit au 30 juin 2020 (en raison des conséquences de la crise sanitaire du Covid 19) ;

- le concédant n'avait aucune obligation d'assistance de son concessionnaire Meny Nancy en vue de faciliter sa reconversion.

Le litige porte sur la bonne foi dont a fait preuve le concédant Opel France dans application de la clause d'agrément contenue dans l'article 5.2 des contrats de concession relatif à la cession par le concessionnaire des droits et obligations découlant du contrat.

La Cour retient, en premier lieu, que le tribunal a fait une juste appréciation des circonstances de fait, en observant, à titre préliminaire, que le groupe [F] [U] avait certes, dans un premier temps, contesté la résiliation notifiée le 18 avril 2018, qualifiée d' "abusive, injustifiée et discriminatoire", mais avait ultérieurement cherché à trouver une solution amiable.

Il sera ajouté à titre complémentaire que le courrier litigieux, en date du 30 mai 2018 (pièce Opel n° 3), vise les deux sites d'exploitation de la région de Nancy, mais aussi celui de [Localité 6] et celui de [Localité 4], qui ne sont pas concernés par le présent litige. Est par ailleurs versé aux débats un message du 16 novembre 2018 du directeur des ventes d'Opel France (pièce Meny Nancy n° 13) évoquant une réunion au siège de cette société qui a donné lieu, selon ses propres termes, à un "échange ouvert et pragmatique" et actant le souhait de M. [U] "d'avancer rapidement sur la reprise des fonds de commerce de (ses) affaires".

La Cour considère, en deuxième lieu, que c'est à raison que le tribunal s'est fondé sur les échanges de mails entre les parties (pièces Meny Nancy n° 8, 9, 21 et 22) datés du 1er mars 1019 (objet : "courrier recommandé adressé à [F] [U]"), des 31 juillet 2019 et 10 octobre 2019 (objet "Re : Cession Opel - échanges courriers officiels") et des 16 au 20 décembre 2019 (objet "Re : suite cession"), dont la teneur est :

[Meny Nancy le 1er mars 2019 à 11 h 28, plusieurs points totalement distincts étant abordés] :

"(') Concernant Meny Nancy, vous avez désigné le groupe Bailly [Car Avenue] et refusé le groupe [H] [W] qui m'avait contacté et qui était vivement intéressé pour reprendre le fonds de commerce de Meny Nancy jusqu'à votre refus de l'agréer. Les discussions avec le groupe Bailly s'annoncent très lentes (')"

[R. Opel France le 1er mars 2019 à 14 h 42]

"(') Nous vous confirmons notre attachement à ce que la cession puisse se faire dans de bonnes conditions et si possible dans les meilleurs délais, dans l'intérêt de tous.

Le cas échéant, les équipes du Développement Réseau reviendront vers vous".

[Meny Nancy le 31 juillet 2019 à 21 h 14]

"(') En ce qui concerne Nancy, je n'ai aucune nouvelle de votre candidat pressenti et j'ai par ailleurs des candidats complètement légitimes. Il me semble donc important que le groupe Car Avenue se positionne ou qu'à défaut je puisse entreprendre ou reprendre les discussions avec les autres candidats. Dans l'attente de vous lire. Bien cordialement [F]"

[R. Opel France le 1er aout 2019 à 19 h 22]

"(') Concernant Nancy, nous allons nous rapprocher du groupe Bailly [Car Avenue] et vous tenons informé.

Cependant, afin de gagner du temps, pouvez-vous nous indiquer les candidats auxquels vous faites allusion soit par mail, soit en m'appelant".

[Meny Nancy, le 10 octobre 2019 à 15 h 33] : "Bonjour [K],

Plusieurs groupes de distribution automobiles dont le groupe Hess et le groupe [H] [W] sont intéressés par les affaires Opel de Nancy. Du fait de l'immobilisme de Car Avenue, je souhaite avoir l'autorisation de discuter avec eux. Cordialement. [F]"

[R. Opel France à 17 h 17] : "Bonjour [F],

Nous souhaitons aller jusqu'au bout avec la candidature du groupe Car Avenue qui a eu notre agrément pour la reprise de l'activité Opel sur le secteur de Nancy.

[E] [O], nouveau DG de Car Avenue, m'a indiqué hier que les négociations ont marqué des progrès, en particulier concernant les implantations qui étaient à l'origine un point de blocage. Il s'est aussi engagé à poursuivre ses discussions avec vous afin de tout mettre en œuvre pour parvenir à un accord sur le mois d'octobre.

Nous vous remercions de nous tenir informés des avancées.

Cordialement" (souligné par la Cour).

[R. Meny Nancy à 17 h 32] : "Je prends note de votre position, mais je tiens cependant à vous informer que [E] [O] a priori peu ou pas de temps à consacrer à cette reprise, ce qui me fait légitimement penser que ce sera difficile de s'accorder avec lui. Aussi, sans avancée significative avant la fin du mois, sachant que nous devrions pouvoir boucler le dossier en un seul rendez-vous, je souhaiterais pouvoir discuter et négocier avec les opérateurs cités précédemment dans mon mail".

[Meny Nancy le 16 décembre 2019 à 18 h 02] : "Bonjour messieurs

Pour information, je n'ai pas de nouvelle précise de monsieur [E] [O], DG du groupe Car Avenue, qui est votre candidat unique à la reprise du fonds de commerce de Nancy et ce bien que nous nous soyons réunis en date du 6 novembre et que nous semblions d'accord sur la valorisation du Good Will et sur les méthodologies de reprise des actifs circulants. Aussi, je vous remercierai de bien vouloir faire le point avec lui et suivant sa réponse me laisser l'opportunité de conclure avec un autre candidat. Dans l'attente de pouvoir vous lire rapidement. Cordialement [F]" (souligné par la Cour)

[R. Opel France le 17 décembre 2019 à 8 h] : "Bonjour M. [U],

Je me suis entretenu sur le sujet de Nancy avec M. [O] hier matin. Il doit reprendre contact avec vous sur la semaine en cours pour avancer.

Merci de nous tenir informé si tel n'est pas le cas. Cordialement"

[R. Meny Nancy le 18 décembre à 9 h 13] : "Bonjour [K],

[E] [O], hier m'a envoyé un SMS me disant avoir reçu hier la proposition du plan d'accompagnement que vous lui faites dans le cadre de la reprise objet de la présente. Il me dit dans son message l'étudier pour ensuite revenir vers moi rapidement, pour reprendre son terme. Je souhaite pouvoir avancer dans ce projet de cession et vous propose que sans avancée, avant jeudi 19 en fin d'après-midi, qui soit concrète et correspondante à ce que nous avions convenu [E] [O] et moi-même sur les valorisations, vous me désigniez avant la fin de la semaine d'autres candidats qui seraient agréés."

[R. Opel France le 20 décembre 2019 à 12 h 21] : "Bonjour [F],

Les informations que nous donnent les deux parties indiquent que les négociations sont à un stade avancé.

Le candidat ayant l'agrément pour la reprise de l'activité Opel est le groupe Car Avenue.

Suite à votre mail, nous avons demandé à M. [O] de finaliser vos discussions sur le tout début de l'année 2020. Cordialement" (souligné par la Cour),

La Cour retient que le tribunal, faisant une juste appréciation des échanges intervenus entre les parties, en a déduit qu'Opel France avait connaitre par écrit, sans ambiguïté et de façon réitérée, que le seul candidat ayant son agrément était Car Avenue. Les contrats de concession ne prévoient aucun formalisme pour une demande d'agrément et les courriers de Meny Nancy, notamment celui du 10 octobre 2019, qui demandent l'autorisation d'ouvrir des discussions avec les groupes Hess et [H] [W] doivent être interprétés comme des demandes d'agrément, auxquelles il a été répondu que le concédant "souhaitait aller jusqu'au bout avec la candidature du groupe Car Avenue", le seul à avoir obtenu son agrément pour la reprise de l'activité Opel sur le secteur de Nancy. Opel France a donc opposé de façon implicite mais persistante un refus à tout autre alternative, conférant à Car Avenue la position de repreneur unique agréé.

C'est à raison, en troisième lieu, que le tribunal a considéré que les échanges entre les parties de janvier 2019, dont il a fait la liste, ainsi que ceux qui ont suivis, montrent une inquiétude croissante de Meny Nancy devant l'approche du terme des concessions, et l'absence de progrès des discussions avec Car Avenue. Il en a justement déduit qu'il ressortait des pièces versées aux débats qu'Opel France était informé très étroitement des discussions entre Meny Nancy et Car Avenue, voire les pilotait.

Y ajoutant, la Cour relève qu'il ressort des échanges de mails intervenus sur toute la période que lorsque Meny Nancy fait part de ses doutes de façon appuyée, Opel France s'entremet en appelant le dirigeant de Car Avenue et annonce en réponse au dirigeant de groupe [F] [U] qu'il va être recontacté par Car Avenue (pièces Meny Nancy n° 21, 22, 24). Les pièces font par ailleurs état d'un rendez-vous Opel France/Car Avenue le 14 janvier 2020 (pièce Meny Nancy n° 25) ce qui permet à Opel France d'envoyer un message rassurant à Meny Nancy le 16 janvier 2020 ("Bonsoir [F], il semble que les négociations avec le groupe Car Avenue se poursuivent et progressent. (') Nous souhaitons qu'une issue favorable soit trouvée avec une cession").

Il se déduit de l'ensemble que c'est à raison que le tribunal a considéré que le concédant a maintenu l'exclusivité d'agrément donné à Car Avenue alors même qu'il devenait de plus en plus probable que Meny Nancy ne trouve pas d'accord avec cette société, étant par ailleurs observé que s'agissant des négociations du même type menées simultanément s'agissant des concessions de Périgueux, [Localité 4] et Tulle, où Opel France a su faire preuve de flexibilité, la cession du fonds de commerce s'est faite sans difficultés.

C'est de façon pertinente, en quatrième lieu, que le tribunal a constaté, enfin, qu'en refusant à Meny Nancy toute flexibilité sur la date de fin des concessions (30 juin 2020), qui lui aurait permis de conclure une cession avec un autre partenaire (le groupe Hess) retenu in fine comme concessionnaire, l'absence de reprise a fait perdre toute valeur au fonds de commerce du concessionnaire.

Y ajoutant, la Cour constate qu'il ressort de la chronologie des faits que ce n'est que le 9 juin 2020, soit 21 jours seulement avant la date annoncée de fin des concessions, que le groupe Car Avenue a fait savoir qu'il renonçait définitivement à la reprise du fonds de commerce de la société Meny Nancy et à la représentation locale de la marque Opel et que l' "accusé réception" que fait Opel France au courrier que le groupe [F] [U] lui a adressé l'en informant se clôture par : "nous vous confirmons par la présente que vos contrats de vente et de Service Opel sur Nancy se termineront le 30 juin 2020 conformément au courrier du 28 avril 2020 signé par les parties".

Il se déduit de l'ensemble que les contrats de concessions Opel litigieux n'ont pas été exécutés de bonne foi, engageant la responsabilité contractuelle d'Opel France. Le jugement est confirmé.

2. Sur la réparation des préjudices subis par Meny Nancy

- Sur la perte de valeur de fonds de commerce,

Moyens des parties

La société Opel France fait valoir que le tribunal de commerce, qui a pris en compte les résultats des négociations de cession d'autres fonds de commerce du groupe Davide [U], s'est fondé sur des éléments extérieurs au fonds de commerce de la société Meny Nancy pour évaluer le préjudice résultant de la perte de valeur de son fonds de commerce.

Elle conteste en outre la demande incidente de la société Meny Nancy qui sollicitant la somme de 757.000 euros de dommages et intérêts en compensation de la perte de chance de céder son fonds de commerce pour deux raisons :

- calculer le montant de son indemnisation sur les objectifs de vente figurant au contrat de distribution équivaudrait selon elle à fournir à l'intimée la compensation des avantages attendus du contrat non conclu ou de la perte de chance d'obtenir ces avantages, sous prétexte d'une faute commise dans le cadre de négociations, ce qui est exclu par la loi ;

- il lui parait contestable de vouloir faire chiffrer la valeur d'un fonds de commerce en perte de vitesse par rapport à ses objectifs théoriques de vente et non sur le fondement de ses performances réelles, étant relevé par ailleurs que le groupe [F] [U] a fait le choix de refuser une offre basée sur les résultats réels de la concession.

En réponse, la société Meny Nancy demande l'indemnisation de la valeur d'incorporel de son fonds de commerce Opel en compensation de la perte de chance de le céder. Elle se fonde s'agissant du montant sollicité sur le prix de l'accord auquel elle était parvenue avec le groupe Car Avenue qui avait accepté un prix de 1.000 euros par véhicule neuf sur la base de l'objectif de vente fixé par la société Meny Nancy à la société Opel France en 2019.

Elle demande à titre incident la réformation du jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation qui lui a été allouée en fonction d'une perte de chance estimée à 80 %. En effet, elle soutient qu'elle aurait pu conclure une cession à des conditions plus avantageuses avec les groupes PWA et Hess si la société Opel France ne s'y était pas opposée.

Réponse de la Cour

C'est à raison que, s'agissant de la valeur des gains manqués par Meny Nancy du fait de l'absence de survenance de l'évènement favorable empêché par le fait générateur, le tribunal a dans la décision attaquée retenu que :

- l'évaluation du fonds de commerce en fonction des ventes effectivement réalisées en 2019, dans un contexte de déstabilisation des réseaux suite à la résiliation de l'ensemble des contrats de concession du réseau français est excessivement défavorable ;

- l'évaluation en fonction de l'objectif de vente de 2019 est conforme aux résultats des négociations intervenues à [Localité 6], [Localité 4] et [Localité 8] ;

- la valeur de 1 000 euros par véhicule à l'objectif est plus bas que celles sur lesquelles les cessions sont intervenues, mais qu'il doit également être tenu compte que la région de Nancy est plus denses et plus riche en opportunités commerciales que les secteurs de comparaison retenus.

C'est également de manière justifiée que, pour évaluer la chance perdue à 80 %, le tribunal a pris en compte :

- le succès du groupe [F] [U] dans la vente de ses fonds de commerce de [Localité 6], [Localité 4] et [Localité 8] ;

- l'identification en temps utile par Meny Nancy de deux repreneurs potentiels, dont le concessionnaire finalement retenu par Opel France ;

- le caractère prudent de l'évaluation retenue.

Le tribunal a ensuite, de façon pertinente, multiplié la valeur du gain manqué par la probabilité de son occurrence et retenu que le résultat correspondait au préjudice indemnisable sur le fondement de la perte de chance. Le jugement est confirmé.

- Sur la perte de valeur du stock de pièces de rechange

Moyens des parties

La société Opel France fait valoir que le tribunal de commerce s'est fondé sur des éléments extérieurs au fonds de commerce de la société Meny Nancy pour évaluer le préjudice résultant de la perte de valeur du stock de pièces de rechange. Elle remet en cause la véracité des chiffres allégués par l'attestation du commissaire aux comptes de la société Meny Nancy. De plus, elle soutient que la société Meny Nancy est responsable de l'écoulement de son stock et qu'elle aurait pu continuer à travailler comme "spécialiste Opel" pour assurer la réparation des véhicules de la marque et de ce fait utiliser son stock.

En réponse, la société Meny Nancy demande l'indemnisation de la valeur de son stock de pièces de rechange acquis auprès d'Opel France qu'elle n'a pu ni céder ni écouler car la perte de son contrat de concession de vente Opel l'a contrainte à cesser toute activité en 2020. Elle fonde le calcul de sa demande de 125.961 euros sur le prix d'achat moyen pondéré de 405.669 euros auquel elle applique des dépréciations selon la durée que les pièces ont passé en stock.

Elle soutient que si elle n'a pas écoulé son stock plus tôt, c'est tout à la fois pour être capable d'assurer la qualité de service après-vente des clients Opel jusqu'à la fin de son contrat et d'autre part, parce que la société Opel France l'a maintenu dans la conviction qu'elle pourrait céder ses stocks avec le fonds de commerce jusqu'en juin 2020.

Elle affirme le caractère probant de ses pièces, à savoir les états détaillés de ses stocks et une attestation de son commissaire aux comptes sur la conformité des états produits avec ses états financiers.

Réponse de la Cour,

C'est à raison que le tribunal retient, dans la décision attaquée, qu'Opel France a par LRAR du 30 juin 2020 refusé à Meny Nancy le statut de réparateur agréé, ce qui d'une part, a contraint cette entreprise, à compter du 1er juillet 2020, à ne plus pouvoir se procurer les pièces détachées directement auprès d'Opel France et, d'autre part, ne lui permettait plus de faire des interventions en garantie ou en extension de garantie. Dans ces circonstances, l'activité réparation Opel de Meny Nancy n'était plus soutenable économiquement, en présence de réparateurs agréés implantés dans le voisinage. Il s'ensuit que le stock de pièces détachées a perdu toute valeur.

Les critiques formulées par Opel France quant au calcul du préjudice subi à ce titre manquent de fondement. Le jugement est confirmé.

- Sur la perte de loyers des sites de Pulnoy et de [Localité 5]

Moyens des parties

La société Opel France fait valoir que rien ne justifie qu'elle doive supporter 9 mois de loyers supplémentaires du site de Pulnoy alors que le groupe [U] aurait pu continuer à exploiter ce site avec l'activité Fiat et qu'elle n'est pas responsable du choix de la conclusion d'un bail commercial atypique de 10 ans. Elle ajoute que ce bail a aussi été conclu avec la société Meny Automobile, non partie au litige, or aucune vérification n'a été faite pour s'assurer que le loyer utilisé pour le calcul des préjudices ne correspond qu'à la société Meny Nancy et non à la société Meny Automobile. Elle considère enfin que la société Meny Nancy n'apporte aucune pièce émanant d'un tiers de confiance au soutien de sa demande indemnitaire.

Concernant le site de Laxou, la société Opel France prétend que le tribunal n'a pas caractérisé de lien de causalité entre la faute alléguée et la demande indemnitaire. Elle ajoute que la société Meny Nancy n'apporte pas de pièces au soutien de sa demande, la facture versée étant au nom de la société Meny Automobile et l'appel de loyer désignant l'adresse de Pulnoy et non celle de [Localité 5].

En réponse, la société Meny Nancy demande l'indemnisation des loyers du site Pulnoy acquittés du 1er juillet 2020 au 31 octobre 2021 (248.444 euros), outre la taxe foncière pour la même période (20.592 euros), soit au total 269.036 euros. Elle soutient qu'elle a établi la réalité de ces loyers acquittés par l'extrait de ses Grands livres et par une attestation de son commissaire aux comptes ; que ces loyers ne correspondent qu'aux loyers qui incombait à la société Meny Nancy et non à la société Meny Automobile ; et qu'elle n'aurait pas pu continuer à exploiter ce site qu'avec la société Meny Automobile dont l'activité Fiat n'occupait qu'un tiers du site.

Elle demande la réformation du jugement en ce qu'il n'a retenu son indemnisation que pour 9 mois de loyers alors qu'elle n'a pu négocier plus rapidement une résiliation amiable anticipée du bail de ce site avant 15 mois.

Concernant le site de [Localité 5], la société Meny Nancy demande la confirmation du jugement, soit l'indemnisation des loyers acquittés du 1er juillet 2020 au 31 mars 2021 (66.790,0 euros), période précédant la réaffectation du site (activité de distribution de compaing-cars), outre la taxe foncière pour la même période (12.698 euros), soit au total 79.488 euros. Elle soutient d'une part, qu'elle a établi la réalité de ces loyers acquittés par l'extrait de ses Grands livres et par une attestation de son commissaire aux comptes et, d'autre part, qu'il est normal que la taxe foncière, à la charge du locataire en vertu du bail du site de [Localité 5], ait été refacturé par le bailleur, la société Meny Immobilier, à la société Meny Nancy.

Réponse de la Cour,

Le principe de la réparation intégrale du préjudice impose de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage, et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit.

La Cour retient en conséquence que la résiliation amiable anticipée du bail du site de [Localité 7] que Meny Nancy est parvenue à négocier avec son bailleur, la société Cristal Rente, est intervenue à effet du 31 octobre 2021, soit 15 mois après (pièce Meny Nancy n°48).

Elle constate par ailleurs qu'ainsi qu'il ressort de l'article 7 du bail notarié de ce site en date du 13 octobre 2016 (pièce Meny Nancy n°61), les loyers au titre desquels une indemnisation est réclamée correspondent à la seule quote-part du loyer qui incombait à Meny Nancy au titre du bail qu'elle a souscrit conjointement avec la société Meny Automobiles.

Il s'ensuit, au vu des éléments soumis aux débats, que le jugement est confirmé, sauf en ce qu'il a considéré que l'indemnisation au titre du loyer de [Localité 7] devait se limiter à 9 mois de loyers et de taxe foncière et non à 15 mois.

La Opel France est condamnée à verser à la SAS Meny Nancy la somme de 269 036 € à titre de dommages et intérêts en compensation des charges locatives et foncières acquittées pour le site de [Localité 7].

3. Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Meny Nancy, intimée au principal, les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits en appel.

La société Opel France sera condamnée à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Opel France, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a condamné la SAS Opel France à verser à la SAS Meny Nancy la somme de 151 332 € à titre de dommages et intérêts pour le site de [Localité 7] ;

Statuant de nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la SAS Opel France à verser à la SAS Meny Nancy la somme de 269 036 € à titre de dommages et intérêts en compensation des charges locatives et foncières acquittées au titre du site de [Localité 7] ;

Condamne la SAS Meny Nancy payer la somme de 10 000 € à la SAS Opel France par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Opel France aux dépens d'appel.