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Décisions

Cass. 3e civ., 25 avril 2024, n° 22-23.291

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Adolphe Kirsch (SARL)

Défendeur :

Popken (SCS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

Mme Aldigé

Avocats :

Me Isabelle Galy, Me Soltner

Cass. 3e civ. n° 22-23.291

24 avril 2024

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 25 octobre 2022) et les productions, le 23 décembre 1997, la société Adolphe Kirsch, propriétaire d'un local commercial situé au [Adresse 4] et locataire d'un local commercial situé au 152 de la même rue, a donné à bail en 1997 les deux locaux à une société, aux droits de laquelle est venue, le 31 juillet 2007, la société Popken.

2. Un arrêt du 9 janvier 2017 a rejeté l'action en nullité du bail pour dol intentée en 2012 par la société Popken à l'encontre de la société Adolphe Kirsch.

3. Le 18 juillet 2019, la société Adolphe Kirsch a acquis la propriété du local situé au [Adresse 1].

4. Le 12 avril 2021, la société Adolphe Kirsch a assigné la société Popken en paiement d'arriérés de loyer depuis 2013 pour l'ensemble des locaux.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Adolphe Kirsch fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande en paiement des loyers pour le local situé au [Adresse 1], pour la période antérieure à son acquisition, alors « que si une sous-location irrégulièrement consentie est inopposable au propriétaire, elle produit tous ses effets dans les rapports entre locataire principal et sous locataire tant que celui-ci a la jouissance paisible des lieux ; qu'elle n'établit de rapport de droit qu'entre le locataire principal et le sous-locataire, de sorte que seul le locataire principal a qualité pour réclamer le paiement des sous-loyers ; qu'en retenant, pour considérer que la société Adolphe Kirsch n'avait pas qualité à agir en paiement des loyers contre la société Popken, qu'elle n'était que locataire des locaux du n° [Adresse 1] jusqu'au 2 août 2019 et que les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils appartenant par accession au propriétaire, quand seule la société Adolphe Kirsch avait qualité en tant que locataire principal pour agir en paiement des sous-loyers contre la société Popken, la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 145-31 du code de commerce et les articles 1134 et 1165 du code civil en leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable en l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 31 du code de procédure civile et 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

6. Aux termes du premier de ces textes, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

7. Selon le second, les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne nuisent point aux tiers.

8. Il est jugé que, si une sous-location irrégulièrement consentie est inopposable au propriétaire, elle produit tous ses effets dans les rapports entre locataire principal et sous-locataire tant que celui-ci a la jouissance paisible des lieux (3e Civ., 7 décembre 2011, pourvoi n° 10-30.695, Bull. 2011, III, n° 207).

9. Pour déclarer irrecevable l'action en paiement d'arriérés de loyer intentée par la société Adolphe Kirsch à l'encontre de la société Popken pour la période antérieure à l'acquisition du local situé au [Adresse 1], l'arrêt constate que la société Adolphe Kirsch lui a donné à bail ces locaux, alors qu'elle en était locataire et non propriétaire.

10. Puis, il retient que les actions nées d'un contrat de bail sont purement personnelles et mobilières, que les créances nées de faits dommageables antérieurs à l'aliénation restent dans le patrimoine du vendeur sans passer dans celui de l'acquéreur, que la société Adolphe Kirsch ne justifie ni d'une subrogation dans les droits dont bénéficiaient les précédents propriétaires ni d'une cession de créance dans l'acte de cession et que les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire.

11. Il en déduit que, faute de qualité à agir, la société Adolphe Kirsch est irrecevable en sa demande en paiement des loyers dus au titre de l'occupation des locaux situés au [Adresse 1] avant le 2 août 2019.

12. En statuant ainsi, alors que la société Adolphe Kirsch qui, avant d'en devenir propriétaire, avait sous-loué ces locaux à la société Popken, avait qualité à agir en paiement des sous-loyers, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

13. La société Popken fait grief à l'arrêt de déclarer non prescrite et recevable la demande de la société Adolphe Kirsch en paiement des loyers dus au titre de l'occupation du local situé au [Adresse 4], alors « que l'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s'étend pas à une seconde demande différente de la première par son objet ; que l'action en nullité du bail commercial engagée par le sous-locataire est différente en son objet de l'action en recouvrement du loyer du locataire principal ; qu'en constatant que les « procédures antérieures n'ont jamais eu pour objet spécifique le paiement des loyers » mais en jugeant pourtant que la prescription de l'action de la société Adolphe Kirsch en paiement des loyers n'avait pu commencer à courir qu'à compter de l'arrêt qui a débouté la société Popken de sa demande de nullité du contrat de bail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations en violation de l'article L. 110-4 du code de commerce, ensemble l'article 2241 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2241 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

14. Selon le second de ces textes, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

15. Selon le premier, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.

16. Il en résulte que le bailleur ne peut pas obtenir le recouvrement des arriérés de loyer échus plus de cinq ans avant la date de sa demande en justice, sauf interruption de la prescription.

17. L'interruption de la prescription, qui ne profite qu'à celui qui a réalisé l'acte interruptif, ne peut s'étendre d'une action à une autre. Il n'en est autrement que lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première (2e Civ., 14 janvier 2021, pourvoi n° 19-20.316, publié).

18. Pour écarter la prescription de l'action en paiement des loyers échus, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la prescription quinquennale n'atteint les créances que si elles sont déterminées dans leur nature et dans leur montant et qu'elle ne peut courir s'agissant du loyer du bail commercial qui a fait l'objet d'un litige, et, par motifs propres, que, même si les procédures antérieures n'ont jamais eu pour objet spécifique le paiement des loyers, le litige portant sur la validité du bail avait un impact direct sur les loyers puisqu'arguant de la nullité du bail, la société Popken en demandait le remboursement depuis le 31 juillet 2007.

19. En statuant ainsi, par des motifs inopérants à caractériser une cause d'interruption de la prescription ou de report de son point de départ, alors que l'action en nullité du bail intentée par la locataire était sans incidence sur la prescription de l'action en paiement des loyers, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de la société Adolphe Kirsch au titre des loyers dus pour l'occupation des locaux situés au [Adresse 1] avant le 2 août 2019 et la déclare recevable en ses demandes au titre des loyers dus au titre de l'occupation des locaux situés au [Adresse 4] et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 25 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.