Décisions
CA Versailles, ch. soc. 4-4, 24 avril 2024, n° 22/01374
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80F
Chambre sociale 4-4
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 24 AVRIL 2024
N° RG 22/01374
N° Portalis DBV3-V-B7G-VFFF
AFFAIRE :
[J] [L]
C/
SELARL MARS représentée par Me [S] [W] en qualité de mandataire liquidateur de la société SPMS
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 6 avril 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
Section : E
N° RG : F 20/00318
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Olivier FONTIBUS
Me Pascal VANNIER
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [J] [L]
né le 8 octobre 1964 à [Localité 8]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Olivier FONTIBUS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 108
APPELANT
****************
SELARL MARS représentée par Me [S] [W] en qualité de mandataire liquidateur de la société SPMS
N° SIRET : 808 497 309
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Pascal VANNIER de la SELARL LYVEAS AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 283 substitué à l'audeince par Me Elise PRESCHEZ-HUE, avocat au barreau de Versailles
UNEDIC délégation AGS CGEA D'[Localité 11]
[Adresse 1]
[Localité 11]
Non représentée
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [L] a été engagé en qualité de directeur commercial, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er mai 2010, par la société SMMA, dont il est alors l'un des cinq actionnaires, M. [N] étant le gérant, et qui a été créée en 2007 suite à la cession d'activité de la société des Procédés des Machines Spéciales (SPMS).
Par un avenant au contrat de travail du 6 janvier 2017, signé par M. [L] et M. [N], les parties sont convenues que (sic) « en cas de licenciement qui interviendrait quel que soit le motif, à l'exception de la sauf faute grave ou lourde, la société MMA versement à M. [L] une indemnité nette de charges sociales et CSG/CRDS égale à 1 an de rémunération, sur la base de la rémunération moyenne des douze derniers mois. »
Par acte du 6 janvier 2017, une cessation partielle de parts sociales de la société SMMA est intervenue au profit de la société de droit indien Grind Master Machine Private Ltd, à hauteur de 108 parts représentants 54 % du capital social de la société SMMA SPMS. MM [L] et [N], et deux autres de leurs associés conservant, pour chacun d'entre eux, 11,5 % du capital social.
Suite à cette cession, la société SMMA a alors été dénommée société des Procédés des Machines Spéciales (SPMS), nom de la société lui ayant cédé en février 2008 de gré à gré l'intégralité de ses brevets et plans, avant sa liquidation judiciaire en date du 5 novembre 2007, clôturée pour insuffisance d'actifs le 22 octobre 2009.
Cette société SMMA, devenue SPMS, est spécialisée dans l'étude, la fabrication et la vente de machines spéciales. Son effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés, et elle applique la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
En dernier lieu, M. [L] percevait une rémunération moyenne brute mensuelle de 8 666 euros, outre une rémunération variable.
M. [L] a été placé en arrêt pour maladie à compter du 7 février 2020 jusqu'au 24 mars 2020.
Par lettre du 18 mars 2020, M. [L] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 27 mars 2020.
Le 27 mars 2020, M. [L] a reçu une lettre valant entretien préalable, du fait de la crise sanitaire.
M. [L] a été licencié par lettre du 14 avril 2020 pour faute grave dans les termes suivants:
« (') Vous êtes directeur commercial et à ce titre vos fonctions sont de prospecter afin d'accroître les ventes de l'entreprise et d'augmenter son chiffre d'affaires.
Or, vous n'accomplissez pas les tâches pour lesquelles vous êtes employé, et nous constatons que depuis plus de quatre mois, vous n'avez effectué aucune démarche commerciale.
Aucun nouveau marché n'a été exploré par vous, malgré le développement et la synergie qui auraient dû être trouvés grâce à la reprise par GRINDMASTER. Vous venez à peine au bureau d'[Localité 7]. Et vous ne vous êtes jamais rendu au nouveau bureau de [Localité 12], où l'activité a lieu maintenant. Ainsi, vous n'exercez pas vos fonctions de directeur commercial, qui doit superviser l'activité de logistique et surveiller les coûts.
Par mail du 4 février, nous vous avons demandé de nous faire un rapport sur vos démarches commerciales ; en cours, sans la moindre réponse de votre part.
Le 6 février nous vous avons demandé d'apporter votre assistance à Krishna, sans la moindre réaction de votre part.
Vous vous étiez engagé à faire venir des prospects au salon EMO Show. Aucun n'est venu, et nous n'avons aucun justificatif de la réalité de vos démarches pour les faire venir.
Votre présence aux réunions commerciales est très épisodique, alors que vous devriez être organisateur et animateur de ces réunions en votre qualité de directeur commercial.
A titre d'exemple, vous avez demandé le report de la réunion du 3 janvier dernier, alors qu'aucune raison professionnelle ne justifiait cette demande de report.
Vous refusez même d'effectuer les déplacements commerciaux que nous vous demandons d'effectuer. Ex : [Localité 10], [Localité 9], [Localité 6].
De plus, vous accompagnez votre totale inaction et votre insubordination par des propos agressifs et irrespectueux, tant en réunion commerciale que dans vos écrits.
Enfin, vous avez apporté votre contribution à une activité concurrente de SPMS, en autorisant même la diffusion de nos produits sur le site internet concurrent www.am2s.fr.
Les faits qui précèdent révèlent une totale inaction de votre part malgré nos demandes expresses, un comportement agressif et irrespectueux, et un manquement à votre obligation de loyauté par vos relations avec AM2S.
Les explications que vous nous avez fournies par votre courrier du 30 mars 2020 ne pouvant pas nous satisfaire, nous sommes conduits à mettre fin à votre contrat de travail pour faute grave. En effet, la gravité des faits qui vous sont reprochés rend impossible la poursuite de ce contrat pendant le préavis et emporte privation de toute indemnité compensatrice de préavis, et de licenciement. »
Le 8 juin 2020, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles aux fins de requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 14 janvier 2021, le tribunal de commerce de Versailles a prononcé la liquidation judiciaire de la société SMPS, la Selarl Mars, prise en la personne de Maître [W], étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Par jugement du 6 avril 2022, le conseil de prud'hommes de Versailles (section encadrement) a:
. dit et jugé que M. [L] était bien salarié
. dit et jugé le licenciement de M. [L] pour faute grave justifié
. débouté M. [L] de l'ensemble de ses demandes
. débouté les parties défenderesses en leurs demandes reconventionnelles au titre de l'article 700 du code de procédure civile
. rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties
. laissé les dépens éventuels exposés par elles à la charge des parties
Par déclaration adressée au greffe le 26 avril 2022, M. [L] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 16 janvier 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [L] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'existence d'un contrat de travail.
- Infirmer pour le surplus le jugement du Conseil des Prud'hommes.
- Le réformant,
- Dire Monsieur [J] [L] recevable et bien fondé en ses demandes,
- Dire et juger le licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse,
- Fixer au passif de la société SPMS les sommes suivantes :
- Indemnité de préavis 51 996,00 euros (6 mois - + 55ans)
- Congés payés sur préavis 5 199,00 euros
- Indemnité conventionnelle 51 996,00 euros
7 X 1 733,20 + 2 X 5199,60 + 2 383,15 = 24 914,75,00 euros
Avec majoration + de 55 ans
+30% soit 30 700 euros
Minimum de 6 mois = 51 996,00 euros
- Indemnité « contractuelle » de licenciement : 104 000,00 euros
- Indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse :104 000,00 euros (L 1235-3 du Code du Travail)
- Article 700 du CPC 5 000,00 euros
- De fixer à la charge du Mandataire Liquidateur la remise des documents légaux rectifiés :
- Certificat de travail
- Bulletins de paie
- Attestation Assedic
- Intérêts légaux
- Fixera les éventuels dépens au passif de la société SPMS SAS.
- Dira que l'arrêt à intervenir sera opposable à l'AGS dans la limite de la garantie légale.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la Selarl Mars en qualité mandataire liquidateur de la société SMPS demande à la cour de :
A titre principal,
. Infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Versailles du 6 avril 2022,
. Constater le caractère fictif du contrat de travail,
En conséquence, déclarer le Conseil de Prud'hommes incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Versailles,
A titre subsidiaire,
. Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Versailles du 6 avril 2022,
. Dire et juger que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
. Dire que les faits reprochés sont constitutifs d'une faute grave,
. Débouter en conséquence M. [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre infiniment subsidiaire,
. Réduire à de justes proportions le montant des sommes allouées à M. [L], faute de démonstration d'un préjudice quelconque,
. Condamner, à titre reconventionnel, M. [L] à payer à la liquidation judiciaire de la société SPMS la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
L'Unedic Délégation AGS CGEA d'[Localité 11] ne s'est pas constituée et n'a pas fait parvenir de conclusions à la cour.
MOTIFS
Sur l'existence d'un contrat de travail
M. [L] expose qu'il a exercé ses fonctions de directeur commercial, statut cadre dirigeant, sous couvert d'un contrat de travail à durée indéterminée du 1er mai 2010, ce sous l'autorité de M. [N], gérant de la société, jusqu'en 2017 puis des nouveaux actionnaires indiens, qu'en sa qualité de salarié-cadre dirigeant, il disposait, par nature, d'une grande autonomie dans l'exercice de ses fonctions, qu'il disposait d'une large délégation de pouvoir, cependant très encadrée. (Pièce 7), que la lettre de licenciement, par lequel la société a pris en 'uvre son pouvoir de sanction, relève elle-même qu'il recevait bien des instructions très précises de ses employeurs, auxquelles il ne donnait aucune suite, selon l'employeur.
Le liquidateur objecte que suite à la vente de la société SPMS, alors encore dénommée SMMA, à la société indienne, la volonté des nouveaux actionnaires est que M. [L] continue d'en être le seul animateur, comme en témoigne sa très large délégation de pouvoirs (Pièce adverse n° 7), qu'il ne s'est comporté à aucun moment comme un membre du personnel de SPMS mais comme s'il en était encore le dirigeant, que les quelques demandes reçues par lui des actionnaires indiens restent en effet lettre morte, l'intéressé estimant visiblement n'avoir de comptes à rendre à personne, qu'il ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'il aurait reçu des ordres et directives, que son prétendu travail aurait été contrôlé ou sanctionné, ou qu'il aurait rendu compte de son activité à quiconque, qu'au contraire, dans un message du 7 décembre 2018, M. [L] estime que ce sont les actionnaires indiens qui doivent suivre ses instructions et non l'inverse, lorsqu'il écrit « Développez d'autres pays mais ne touchez pas au mien ou alors travaillez avec moi et [O] conformément à nos instructions ».
**
L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (en ce sens, Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-20.079, publié).
Il appartient à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence (Soc., 10 novembre 2009, pourvoi n° 08-42.483).
Toutefois, en présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque le caractère fictif du contrat d'en rapporter la preuve.
Lorsque celui qui prétend avoir été salarié d'une société exerçait un mandat social, la production de bulletins de salaire et la notification d'une lettre de licenciement sont à elles seules insuffisantes à créer l'apparence d'un contrat de travail (Soc., 10 juin 2008, pourvoi n° 07-42.165, Bull. 2008, V, n° 127 et Soc., 14 juin 2017, pourvoi n°15-26.675).
Au cas présent, il n'est pas contesté que M. [L] a été engagé par la société SMMA devenue SMPS selon contrat de travail du 1er mai 2010 en qualité de directeur commercial, qu'il n'exerçait pas de mandat social mais était seulement actionnaire à 11,5 % de la société SMPS, qui l'a licencié par une lettre du 14 avril 2020 pour faute grave, exerçant ainsi son pouvoir disciplinaire.
En présence d'un contrat de travail apparent, il appartient donc au liquidateur, qui en invoque le caractère fictif, d'en rapporter la preuve.
Or, il ressort de la lecture même de cette lettre l'existence de directives données par la société à M. [L] auquel il est ainsi rappelé que « Par mail du 4 février, nous vous avons demandé de nous faire un rapport sur vos démarches commerciales ; en cours, sans la moindre réponse de votre part. », et d'avoir « refusé d'effectuer les déplacements commerciaux que nous vous demandons d'effectuer. Ex : [Localité 10], [Localité 9], [Localité 6]. », dont il ressort également l'existence d'un contrôle par l'employeur de l'exécution de ses ordres et directives.
D'ailleurs, dans ses conclusions le liquidateur indique lui-même « Monsieur [L] se considère visiblement comme dégagé de toute obligation de respecter quelque directive que ce soit émanant des actionnaires indiens. »
Le fait que dans un courriel du 7 décembre 2018, M. [L] ait estimé que les actionnaires indiens devaient suivre ses instructions ne suffit pas à établir qu'il n'a exercé aucun travail pour la société SPMS dans un lien de subordination à l'égard de celle-ci.
Enfin, le fait que, selon le liquidateur, M. [L] « se contente d'affirmer avoir eu une activité commerciale depuis la vente de la société aux actionnaires indiens, mais n'en apporte nullement la preuve » a trait aux griefs qui lui sont reprochés à l'appui du licenciement notifié pour faute grave par la société, dans le cadre de son pouvoir de sanction, et non à l'existence d'un lien de subordination à l'égard de cette société.
Il résulte de l'ensemble de ces constatations que l'existence d'un lien de subordination caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné est en conséquence établi, le liquidateur échouant à établir le caractère fictif du contrat de travail.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'un contrat de travail.
Sur le licenciement
M. [L] expose que l'ensemble des avenants contractuels signés entre le 1er mai 2010 et le 6 janvier 2017, portant à la fois sur sa rémunération fixe et variable, prouve la réalité de ses compétences professionnelles, reconnues par son employeur, que le 1er avril 2019, il a reçu de M. [T] une confirmation de sa délégation de pouvoir en sa qualité de directeur financier, mais que depuis la vente de l'entreprise en janvier 2017, aucune de ses propositions et stratégies commerciales n'ont été prises en compte par la direction de l'entreprise, le management de M. [H], consultant commercial international - non salarié de l'entreprise - étant géré directement par le président ou son épouse ainsi que la société commerciale GMC en Chine.
Il ajoute qu'il adressait à son employeur, en exécution de ses délégations, différentes données économiques et financières, qu'il a toujours travaillé depuis plus de 10 ans la plupart du temps en « home office », comme beaucoup des salariés de l'entreprise, qu'il effectuait à ce titre de nombreux déplacements à l'étranger, que les nouveaux locaux de [Localité 12], ils n'ont été disponibles qu'à partir du 1er avril 2020, soit postérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement, M. [L] ayant été de toute façon en arrêt maladie depuis le 4 février 2020, et enfin que son activité au sein d'une autre structure, la société AM2S a fait l'objet d'une information transparente entre associés à l'occasion de la signature du pacte d'actionnaires le 6 janvier 2017, qu'il a été actionnaire de la société AM2S jusqu'en décembre 2019, mais n'a pour autant jamais travaillé pour cette société et n'a donc jamais perçu aucun salaire.
Le liquidateur objecte qu'il appartient à M. [L], non pas de démontrer ses compétences professionnelles, qui sont hors débat, mais d'apporter la preuve de la réalité de ses actions effectuées en qualité de directeur commercial de la société SPMS, ainsi il n'apporte pas la preuve qu'il a identifié les évolutions du marché ou le positionnement de l'entreprise sur ce marché, mis en relief des pistes de développement spécifiques à ce marché, déterminé des produits ou services à lancer, à maintenir ou à abandonner, ni fixé leur politique tarifaire, défini les moyens de développer l'offre de l'entreprise, soumis un budget de fonctionnement à la direction générale, ni identifié les cibles commerciales adéquates, ou défini les objectifs de développement du chiffre d'affaires.
**
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d'une importance telle qu'ils rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l'employeur et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d'une gravité suffisante pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.
En l'espèce, la lettre de licenciement pour faute grave reproche à M. [L] « une totale inaction de votre part malgré nos demandes expresses, un comportement agressif et irrespectueux, et un manquement à votre obligation de loyauté par vos relations avec AM2S » et plus précisément de ne pas accomplir les tâches pour lesquelles il est employé, de n'effectuer aucune démarche commerciale depuis quatre mois, de n'avoir exploré aucun nouveau marché, de ne s'être jamais rendu au nouveau bureau de [Localité 12], de ne pas avoir adressé de rapport sur ses démarches commerciales, de ne pas avoir apporté son assistance à [X], de n'avoir fait venir aucun prospect au salon EMO Show, une présence aux réunions commerciales épisodique, une demande de report de la réunion du 3 janvier, sans aucune raison professionnelle, le refus d'effectuer les déplacements commerciaux demandés, son insubordination par des propos agressifs et irrespectueux, tant en réunion commerciale que dans ses écrits, le fait d'avoir apporté sa contribution à une activité concurrente de SPMS.
Il ressort des différents courriels adressés par M. [L] à son employeur, en la personne, le plus souvent, de M. [X] [M], produits par le liquidateur, et dont la valeur probante n'est pas critiquée par l'appelant, que :
- M. [L] a, dès décembre 2018, contesté la stratégie commerciale mise en 'uvre par l'actionnaire, expliquant à ce dernier qu'il devait apprendre davantage et obtenir plus d'expérience sur la façon de faire du business en Europe (cf courriel du 6 décembre 2018).
- à compter de mai 2019, il n'a pas répondu aux demandes de l'employeur concernant des actions à effectuer sur le site internet de la société (cf courriels des 9 mai 2019 et 20 juin 2019 de l'employeur lui demandant de lui dire s'il a effectué ces actions et de lui dire quels changements il souhaite pour ce nouveau site, auxquels M. [L] répond qu'il n'a pas les compétences pour cela)
- aucun des prospects qu'il avait invités à un salon en septembre 2019 n'est venu, l'employeur lui indiquant alors que, la situation de la société n'étant pas bonne, il souhaite lui apporter assistance pour obtenir plus de commandes,
- alors que l'employeur lui a demandé par un courriel du 6 février 2020 d'accompagner M. [X] [M] lors de sa venue en Europe pour visiter des clients, afin de faciliter ses échanges en français, M. [L] a été placé en arrêt maladie le lendemain. Sur ce point, la cour relève que l'intervention du 4 février 2020 aux fins d'exérèse d'un probable carcinome de 10/9 mm n'a pas donné lieu à un arrêt de travail établi par le médecin dermatologue, le docteur [U], l'arrêt de travail produit étant établi à compter du 7 février 2020 par le docteur [P].
Par ailleurs, il ressort des copies-écran du site internet de la société AM2S que cette dernière, dont M. [L] détient 66 % du capital, proposent à la vente des « machines spéciales », et qu'elle travaille « en étroite collaboration avec des intégrateurs et des fabricants d'abrasifs afin de trouver avec ses clients les solutions les plus adéquates. Au cours de six derniers années (elle a) pu développer des process avec des grands noms de l'industrie française. Renault, Peugeot, (')etc », de sorte que, contrairement à ce qu'indique l'annexe à l'acte de cession de parts sociales du 6 janvier 2017, cette société AM2S n'est pas un simple fournisseur de la société SMPS mais produit également des « machines spéciales » pour les mêmes clients que ceux de la société SMPS, de sorte qu'elle développe en réalité une activité concurrente.
Il ressort de ces différents éléments une volonté délibérée de M. [L] de faire obstruction aux différentes demandes de son employeur, de ne pas assurer les fonctions de directeur commercial sous les ordres et directives du nouvel actionnaire, tout en développant par le biais d'une société dont il est détenteur de plus de la moitié du capital, une activité concurrente à celle-ci, l'ensemble de ces faits constituant une exécution déloyale du contrat de travail, rendant impossible son maintien dans l'entreprise.
Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement qui, par des motifs pertinents que la cour adopte pour le surplus, a retenu que le licenciement pour faute grave de M. [L] est justifié.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Les dépens d'appel sont à la charge de M. [L], partie succombante, qu'il convient en outre de condamner à payer à la Selarl Mars, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société SPMS, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
CONDAMNE M. [L] à verser à la Selarl Mars en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société SPMS la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [L] aux dépens d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Dorothée Marcinek, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
DE
VERSAILLES
Code nac : 80F
Chambre sociale 4-4
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 24 AVRIL 2024
N° RG 22/01374
N° Portalis DBV3-V-B7G-VFFF
AFFAIRE :
[J] [L]
C/
SELARL MARS représentée par Me [S] [W] en qualité de mandataire liquidateur de la société SPMS
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 6 avril 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
Section : E
N° RG : F 20/00318
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Olivier FONTIBUS
Me Pascal VANNIER
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [J] [L]
né le 8 octobre 1964 à [Localité 8]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Olivier FONTIBUS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 108
APPELANT
****************
SELARL MARS représentée par Me [S] [W] en qualité de mandataire liquidateur de la société SPMS
N° SIRET : 808 497 309
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Pascal VANNIER de la SELARL LYVEAS AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 283 substitué à l'audeince par Me Elise PRESCHEZ-HUE, avocat au barreau de Versailles
UNEDIC délégation AGS CGEA D'[Localité 11]
[Adresse 1]
[Localité 11]
Non représentée
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [L] a été engagé en qualité de directeur commercial, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er mai 2010, par la société SMMA, dont il est alors l'un des cinq actionnaires, M. [N] étant le gérant, et qui a été créée en 2007 suite à la cession d'activité de la société des Procédés des Machines Spéciales (SPMS).
Par un avenant au contrat de travail du 6 janvier 2017, signé par M. [L] et M. [N], les parties sont convenues que (sic) « en cas de licenciement qui interviendrait quel que soit le motif, à l'exception de la sauf faute grave ou lourde, la société MMA versement à M. [L] une indemnité nette de charges sociales et CSG/CRDS égale à 1 an de rémunération, sur la base de la rémunération moyenne des douze derniers mois. »
Par acte du 6 janvier 2017, une cessation partielle de parts sociales de la société SMMA est intervenue au profit de la société de droit indien Grind Master Machine Private Ltd, à hauteur de 108 parts représentants 54 % du capital social de la société SMMA SPMS. MM [L] et [N], et deux autres de leurs associés conservant, pour chacun d'entre eux, 11,5 % du capital social.
Suite à cette cession, la société SMMA a alors été dénommée société des Procédés des Machines Spéciales (SPMS), nom de la société lui ayant cédé en février 2008 de gré à gré l'intégralité de ses brevets et plans, avant sa liquidation judiciaire en date du 5 novembre 2007, clôturée pour insuffisance d'actifs le 22 octobre 2009.
Cette société SMMA, devenue SPMS, est spécialisée dans l'étude, la fabrication et la vente de machines spéciales. Son effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés, et elle applique la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
En dernier lieu, M. [L] percevait une rémunération moyenne brute mensuelle de 8 666 euros, outre une rémunération variable.
M. [L] a été placé en arrêt pour maladie à compter du 7 février 2020 jusqu'au 24 mars 2020.
Par lettre du 18 mars 2020, M. [L] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 27 mars 2020.
Le 27 mars 2020, M. [L] a reçu une lettre valant entretien préalable, du fait de la crise sanitaire.
M. [L] a été licencié par lettre du 14 avril 2020 pour faute grave dans les termes suivants:
« (') Vous êtes directeur commercial et à ce titre vos fonctions sont de prospecter afin d'accroître les ventes de l'entreprise et d'augmenter son chiffre d'affaires.
Or, vous n'accomplissez pas les tâches pour lesquelles vous êtes employé, et nous constatons que depuis plus de quatre mois, vous n'avez effectué aucune démarche commerciale.
Aucun nouveau marché n'a été exploré par vous, malgré le développement et la synergie qui auraient dû être trouvés grâce à la reprise par GRINDMASTER. Vous venez à peine au bureau d'[Localité 7]. Et vous ne vous êtes jamais rendu au nouveau bureau de [Localité 12], où l'activité a lieu maintenant. Ainsi, vous n'exercez pas vos fonctions de directeur commercial, qui doit superviser l'activité de logistique et surveiller les coûts.
Par mail du 4 février, nous vous avons demandé de nous faire un rapport sur vos démarches commerciales ; en cours, sans la moindre réponse de votre part.
Le 6 février nous vous avons demandé d'apporter votre assistance à Krishna, sans la moindre réaction de votre part.
Vous vous étiez engagé à faire venir des prospects au salon EMO Show. Aucun n'est venu, et nous n'avons aucun justificatif de la réalité de vos démarches pour les faire venir.
Votre présence aux réunions commerciales est très épisodique, alors que vous devriez être organisateur et animateur de ces réunions en votre qualité de directeur commercial.
A titre d'exemple, vous avez demandé le report de la réunion du 3 janvier dernier, alors qu'aucune raison professionnelle ne justifiait cette demande de report.
Vous refusez même d'effectuer les déplacements commerciaux que nous vous demandons d'effectuer. Ex : [Localité 10], [Localité 9], [Localité 6].
De plus, vous accompagnez votre totale inaction et votre insubordination par des propos agressifs et irrespectueux, tant en réunion commerciale que dans vos écrits.
Enfin, vous avez apporté votre contribution à une activité concurrente de SPMS, en autorisant même la diffusion de nos produits sur le site internet concurrent www.am2s.fr.
Les faits qui précèdent révèlent une totale inaction de votre part malgré nos demandes expresses, un comportement agressif et irrespectueux, et un manquement à votre obligation de loyauté par vos relations avec AM2S.
Les explications que vous nous avez fournies par votre courrier du 30 mars 2020 ne pouvant pas nous satisfaire, nous sommes conduits à mettre fin à votre contrat de travail pour faute grave. En effet, la gravité des faits qui vous sont reprochés rend impossible la poursuite de ce contrat pendant le préavis et emporte privation de toute indemnité compensatrice de préavis, et de licenciement. »
Le 8 juin 2020, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles aux fins de requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 14 janvier 2021, le tribunal de commerce de Versailles a prononcé la liquidation judiciaire de la société SMPS, la Selarl Mars, prise en la personne de Maître [W], étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Par jugement du 6 avril 2022, le conseil de prud'hommes de Versailles (section encadrement) a:
. dit et jugé que M. [L] était bien salarié
. dit et jugé le licenciement de M. [L] pour faute grave justifié
. débouté M. [L] de l'ensemble de ses demandes
. débouté les parties défenderesses en leurs demandes reconventionnelles au titre de l'article 700 du code de procédure civile
. rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties
. laissé les dépens éventuels exposés par elles à la charge des parties
Par déclaration adressée au greffe le 26 avril 2022, M. [L] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 16 janvier 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [L] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'existence d'un contrat de travail.
- Infirmer pour le surplus le jugement du Conseil des Prud'hommes.
- Le réformant,
- Dire Monsieur [J] [L] recevable et bien fondé en ses demandes,
- Dire et juger le licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse,
- Fixer au passif de la société SPMS les sommes suivantes :
- Indemnité de préavis 51 996,00 euros (6 mois - + 55ans)
- Congés payés sur préavis 5 199,00 euros
- Indemnité conventionnelle 51 996,00 euros
7 X 1 733,20 + 2 X 5199,60 + 2 383,15 = 24 914,75,00 euros
Avec majoration + de 55 ans
+30% soit 30 700 euros
Minimum de 6 mois = 51 996,00 euros
- Indemnité « contractuelle » de licenciement : 104 000,00 euros
- Indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse :104 000,00 euros (L 1235-3 du Code du Travail)
- Article 700 du CPC 5 000,00 euros
- De fixer à la charge du Mandataire Liquidateur la remise des documents légaux rectifiés :
- Certificat de travail
- Bulletins de paie
- Attestation Assedic
- Intérêts légaux
- Fixera les éventuels dépens au passif de la société SPMS SAS.
- Dira que l'arrêt à intervenir sera opposable à l'AGS dans la limite de la garantie légale.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la Selarl Mars en qualité mandataire liquidateur de la société SMPS demande à la cour de :
A titre principal,
. Infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Versailles du 6 avril 2022,
. Constater le caractère fictif du contrat de travail,
En conséquence, déclarer le Conseil de Prud'hommes incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Versailles,
A titre subsidiaire,
. Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Versailles du 6 avril 2022,
. Dire et juger que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
. Dire que les faits reprochés sont constitutifs d'une faute grave,
. Débouter en conséquence M. [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre infiniment subsidiaire,
. Réduire à de justes proportions le montant des sommes allouées à M. [L], faute de démonstration d'un préjudice quelconque,
. Condamner, à titre reconventionnel, M. [L] à payer à la liquidation judiciaire de la société SPMS la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
L'Unedic Délégation AGS CGEA d'[Localité 11] ne s'est pas constituée et n'a pas fait parvenir de conclusions à la cour.
MOTIFS
Sur l'existence d'un contrat de travail
M. [L] expose qu'il a exercé ses fonctions de directeur commercial, statut cadre dirigeant, sous couvert d'un contrat de travail à durée indéterminée du 1er mai 2010, ce sous l'autorité de M. [N], gérant de la société, jusqu'en 2017 puis des nouveaux actionnaires indiens, qu'en sa qualité de salarié-cadre dirigeant, il disposait, par nature, d'une grande autonomie dans l'exercice de ses fonctions, qu'il disposait d'une large délégation de pouvoir, cependant très encadrée. (Pièce 7), que la lettre de licenciement, par lequel la société a pris en 'uvre son pouvoir de sanction, relève elle-même qu'il recevait bien des instructions très précises de ses employeurs, auxquelles il ne donnait aucune suite, selon l'employeur.
Le liquidateur objecte que suite à la vente de la société SPMS, alors encore dénommée SMMA, à la société indienne, la volonté des nouveaux actionnaires est que M. [L] continue d'en être le seul animateur, comme en témoigne sa très large délégation de pouvoirs (Pièce adverse n° 7), qu'il ne s'est comporté à aucun moment comme un membre du personnel de SPMS mais comme s'il en était encore le dirigeant, que les quelques demandes reçues par lui des actionnaires indiens restent en effet lettre morte, l'intéressé estimant visiblement n'avoir de comptes à rendre à personne, qu'il ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'il aurait reçu des ordres et directives, que son prétendu travail aurait été contrôlé ou sanctionné, ou qu'il aurait rendu compte de son activité à quiconque, qu'au contraire, dans un message du 7 décembre 2018, M. [L] estime que ce sont les actionnaires indiens qui doivent suivre ses instructions et non l'inverse, lorsqu'il écrit « Développez d'autres pays mais ne touchez pas au mien ou alors travaillez avec moi et [O] conformément à nos instructions ».
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L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (en ce sens, Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-20.079, publié).
Il appartient à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence (Soc., 10 novembre 2009, pourvoi n° 08-42.483).
Toutefois, en présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque le caractère fictif du contrat d'en rapporter la preuve.
Lorsque celui qui prétend avoir été salarié d'une société exerçait un mandat social, la production de bulletins de salaire et la notification d'une lettre de licenciement sont à elles seules insuffisantes à créer l'apparence d'un contrat de travail (Soc., 10 juin 2008, pourvoi n° 07-42.165, Bull. 2008, V, n° 127 et Soc., 14 juin 2017, pourvoi n°15-26.675).
Au cas présent, il n'est pas contesté que M. [L] a été engagé par la société SMMA devenue SMPS selon contrat de travail du 1er mai 2010 en qualité de directeur commercial, qu'il n'exerçait pas de mandat social mais était seulement actionnaire à 11,5 % de la société SMPS, qui l'a licencié par une lettre du 14 avril 2020 pour faute grave, exerçant ainsi son pouvoir disciplinaire.
En présence d'un contrat de travail apparent, il appartient donc au liquidateur, qui en invoque le caractère fictif, d'en rapporter la preuve.
Or, il ressort de la lecture même de cette lettre l'existence de directives données par la société à M. [L] auquel il est ainsi rappelé que « Par mail du 4 février, nous vous avons demandé de nous faire un rapport sur vos démarches commerciales ; en cours, sans la moindre réponse de votre part. », et d'avoir « refusé d'effectuer les déplacements commerciaux que nous vous demandons d'effectuer. Ex : [Localité 10], [Localité 9], [Localité 6]. », dont il ressort également l'existence d'un contrôle par l'employeur de l'exécution de ses ordres et directives.
D'ailleurs, dans ses conclusions le liquidateur indique lui-même « Monsieur [L] se considère visiblement comme dégagé de toute obligation de respecter quelque directive que ce soit émanant des actionnaires indiens. »
Le fait que dans un courriel du 7 décembre 2018, M. [L] ait estimé que les actionnaires indiens devaient suivre ses instructions ne suffit pas à établir qu'il n'a exercé aucun travail pour la société SPMS dans un lien de subordination à l'égard de celle-ci.
Enfin, le fait que, selon le liquidateur, M. [L] « se contente d'affirmer avoir eu une activité commerciale depuis la vente de la société aux actionnaires indiens, mais n'en apporte nullement la preuve » a trait aux griefs qui lui sont reprochés à l'appui du licenciement notifié pour faute grave par la société, dans le cadre de son pouvoir de sanction, et non à l'existence d'un lien de subordination à l'égard de cette société.
Il résulte de l'ensemble de ces constatations que l'existence d'un lien de subordination caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné est en conséquence établi, le liquidateur échouant à établir le caractère fictif du contrat de travail.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'un contrat de travail.
Sur le licenciement
M. [L] expose que l'ensemble des avenants contractuels signés entre le 1er mai 2010 et le 6 janvier 2017, portant à la fois sur sa rémunération fixe et variable, prouve la réalité de ses compétences professionnelles, reconnues par son employeur, que le 1er avril 2019, il a reçu de M. [T] une confirmation de sa délégation de pouvoir en sa qualité de directeur financier, mais que depuis la vente de l'entreprise en janvier 2017, aucune de ses propositions et stratégies commerciales n'ont été prises en compte par la direction de l'entreprise, le management de M. [H], consultant commercial international - non salarié de l'entreprise - étant géré directement par le président ou son épouse ainsi que la société commerciale GMC en Chine.
Il ajoute qu'il adressait à son employeur, en exécution de ses délégations, différentes données économiques et financières, qu'il a toujours travaillé depuis plus de 10 ans la plupart du temps en « home office », comme beaucoup des salariés de l'entreprise, qu'il effectuait à ce titre de nombreux déplacements à l'étranger, que les nouveaux locaux de [Localité 12], ils n'ont été disponibles qu'à partir du 1er avril 2020, soit postérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement, M. [L] ayant été de toute façon en arrêt maladie depuis le 4 février 2020, et enfin que son activité au sein d'une autre structure, la société AM2S a fait l'objet d'une information transparente entre associés à l'occasion de la signature du pacte d'actionnaires le 6 janvier 2017, qu'il a été actionnaire de la société AM2S jusqu'en décembre 2019, mais n'a pour autant jamais travaillé pour cette société et n'a donc jamais perçu aucun salaire.
Le liquidateur objecte qu'il appartient à M. [L], non pas de démontrer ses compétences professionnelles, qui sont hors débat, mais d'apporter la preuve de la réalité de ses actions effectuées en qualité de directeur commercial de la société SPMS, ainsi il n'apporte pas la preuve qu'il a identifié les évolutions du marché ou le positionnement de l'entreprise sur ce marché, mis en relief des pistes de développement spécifiques à ce marché, déterminé des produits ou services à lancer, à maintenir ou à abandonner, ni fixé leur politique tarifaire, défini les moyens de développer l'offre de l'entreprise, soumis un budget de fonctionnement à la direction générale, ni identifié les cibles commerciales adéquates, ou défini les objectifs de développement du chiffre d'affaires.
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La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d'une importance telle qu'ils rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l'employeur et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d'une gravité suffisante pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.
En l'espèce, la lettre de licenciement pour faute grave reproche à M. [L] « une totale inaction de votre part malgré nos demandes expresses, un comportement agressif et irrespectueux, et un manquement à votre obligation de loyauté par vos relations avec AM2S » et plus précisément de ne pas accomplir les tâches pour lesquelles il est employé, de n'effectuer aucune démarche commerciale depuis quatre mois, de n'avoir exploré aucun nouveau marché, de ne s'être jamais rendu au nouveau bureau de [Localité 12], de ne pas avoir adressé de rapport sur ses démarches commerciales, de ne pas avoir apporté son assistance à [X], de n'avoir fait venir aucun prospect au salon EMO Show, une présence aux réunions commerciales épisodique, une demande de report de la réunion du 3 janvier, sans aucune raison professionnelle, le refus d'effectuer les déplacements commerciaux demandés, son insubordination par des propos agressifs et irrespectueux, tant en réunion commerciale que dans ses écrits, le fait d'avoir apporté sa contribution à une activité concurrente de SPMS.
Il ressort des différents courriels adressés par M. [L] à son employeur, en la personne, le plus souvent, de M. [X] [M], produits par le liquidateur, et dont la valeur probante n'est pas critiquée par l'appelant, que :
- M. [L] a, dès décembre 2018, contesté la stratégie commerciale mise en 'uvre par l'actionnaire, expliquant à ce dernier qu'il devait apprendre davantage et obtenir plus d'expérience sur la façon de faire du business en Europe (cf courriel du 6 décembre 2018).
- à compter de mai 2019, il n'a pas répondu aux demandes de l'employeur concernant des actions à effectuer sur le site internet de la société (cf courriels des 9 mai 2019 et 20 juin 2019 de l'employeur lui demandant de lui dire s'il a effectué ces actions et de lui dire quels changements il souhaite pour ce nouveau site, auxquels M. [L] répond qu'il n'a pas les compétences pour cela)
- aucun des prospects qu'il avait invités à un salon en septembre 2019 n'est venu, l'employeur lui indiquant alors que, la situation de la société n'étant pas bonne, il souhaite lui apporter assistance pour obtenir plus de commandes,
- alors que l'employeur lui a demandé par un courriel du 6 février 2020 d'accompagner M. [X] [M] lors de sa venue en Europe pour visiter des clients, afin de faciliter ses échanges en français, M. [L] a été placé en arrêt maladie le lendemain. Sur ce point, la cour relève que l'intervention du 4 février 2020 aux fins d'exérèse d'un probable carcinome de 10/9 mm n'a pas donné lieu à un arrêt de travail établi par le médecin dermatologue, le docteur [U], l'arrêt de travail produit étant établi à compter du 7 février 2020 par le docteur [P].
Par ailleurs, il ressort des copies-écran du site internet de la société AM2S que cette dernière, dont M. [L] détient 66 % du capital, proposent à la vente des « machines spéciales », et qu'elle travaille « en étroite collaboration avec des intégrateurs et des fabricants d'abrasifs afin de trouver avec ses clients les solutions les plus adéquates. Au cours de six derniers années (elle a) pu développer des process avec des grands noms de l'industrie française. Renault, Peugeot, (')etc », de sorte que, contrairement à ce qu'indique l'annexe à l'acte de cession de parts sociales du 6 janvier 2017, cette société AM2S n'est pas un simple fournisseur de la société SMPS mais produit également des « machines spéciales » pour les mêmes clients que ceux de la société SMPS, de sorte qu'elle développe en réalité une activité concurrente.
Il ressort de ces différents éléments une volonté délibérée de M. [L] de faire obstruction aux différentes demandes de son employeur, de ne pas assurer les fonctions de directeur commercial sous les ordres et directives du nouvel actionnaire, tout en développant par le biais d'une société dont il est détenteur de plus de la moitié du capital, une activité concurrente à celle-ci, l'ensemble de ces faits constituant une exécution déloyale du contrat de travail, rendant impossible son maintien dans l'entreprise.
Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement qui, par des motifs pertinents que la cour adopte pour le surplus, a retenu que le licenciement pour faute grave de M. [L] est justifié.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Les dépens d'appel sont à la charge de M. [L], partie succombante, qu'il convient en outre de condamner à payer à la Selarl Mars, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société SPMS, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
CONDAMNE M. [L] à verser à la Selarl Mars en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société SPMS la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [L] aux dépens d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Dorothée Marcinek, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président