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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 25 janvier 2024, n° 23/00521

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Maxeli (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Mihajlovic, Me Menetrier

T. com. Grenoble, du 16 janv. 2023, n° R…

16 janvier 2023

EXPOSE DU LITIGE

Selon facture du 23 juillet 2015, la société Maxeli, qui exploite le magasin Intermarché situé au Touvet a fait l'acquisition auprès du Garage [X] d'un véhicule frigorifique de marque Renault Kangoo immatriculé [Immatriculation 2] pour un prix de 14.400 euros TTC.

La société Maxeli ne s'est jamais vu remettre la carte grise du véhicule par le Garage [X], de sorte qu'elle n'a jamais pu l'utiliser.

Après plusieurs relances amiables la société Maxeli a adressé un courrier recommandé à la société Garage [X] le 5 septembre 2019 aux fins d'obtenir cette carte grise.

Un nouveau courrier recommandé a été adressé au Garage [X] par le biais du conseil de la société Maxeli le 19 décembre 2019.

Aucune réponse n'ayant été apportée à sa demande, la société Maxeli a engagé une procédure en référé devant le tribunal de commerce de Grenoble suivant exploit en date du 12 février 2020.

Par ordonnance du 7 avril 2020, le Président du tribunal de commerce de Grenoble a enjoint à la société Garage [X] d'avoir à remettre à la société Maxeli la carte grise du véhicule sous astreinte et l'a condamnée à lui payer la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Cette décision a été signifiée à la société Garage [X] le 19 mai 2020.

Le 1er septembre 2020, une sommation interpellative a été signifiée à la société Garage [X]. Il ressort de l'acte de signification que M. [R] [X] a déclaré à l'huissier de justice ainsi qu'il suit :« j'ai donné la feuille de cession à notre avocat pour que l'acquéreur puisse faire les documents ainsi que je l'avais fait à la livraison. Je vous le renvoie sous 48 heures ». Selon courrier du 15 octobre 2020, l'huissier instrumentaire a confirmé qu'aucune carte grise ne lui a été remise par la société Garage [X].

Par acte d'huissier du 27 octobre 2020, la société Maxeli a fait délivrer assignation à la société Garage [X] devant le juge des référés de Grenoble aux fins de liquidation de l'astreinte provisoire et de lui faire injonction de remettre la carte grise sous astreinte définitive de 100 euros par jour de retard.

Par ordonnance du 29 janvier 2021, le juge des référés de Grenoble a débouté la société Maxeli de ses demandes, laissé à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles et condamné la société Maxeli aux dépens.

Suivant exploit du 14 septembre 2021, la société Maxeli a fait délivrer assignation à la société Garage [X] devant le tribunal de commerce de Grenoble aux fins de solliciter la résolution de la vente du véhicule Renault Kangoo immatriculé [Immatriculation 2] avec toutes conséquences de droit.

Suivant jugement en date du 16 janvier 2023, le tribunal de commerce de Grenoble a :

- déclaré prescrite l'action en résolution engagée par la société Maxeli,

- condamné la société Maxeli à payer à la société Garage [X] la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Maxeli aux entiers dépens de l'instance,

- liquidé les dépens à la somme indiquée au bas de la première page du jugement.

Par déclaration du 31 janvier 2023 visant expressément l'ensemble des chefs du jugement, la société Maxeli a interjeté appel de celui-ci

Prétentions et moyens de la société Maxeli :

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 27 avril 2013, la société Maxeli demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondé en son appel,

Y faisant droit,

- réformer le jugement en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

- juger recevable son action,

-prononcer la résolution de la vente du véhicule Renault Kangoo immatriculé [Immatriculation 2] avec toutes conséquences de droit,

En conséquence,

- condamner la société Garage [X] à lui rembourser la somme de 14.400 euros au titre du prix de vente,

- condamner la société Garage [X] à lui payer les sommes supplémentaires suivantes :

*2.838,22 euros au titre des cotisations d'assurance,

*5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance,

*3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Garage [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront notamment le coût du constat d'huissier en date du 16 juillet 2021.

Pour contester toute prescription de son action, elle fait valoir que :

- en application des dispositions de l'article 1228 du code civil (ancien article 1184), l'action en résolution fondée sur la non-conformité de la marchandise livrée à celle commandée n'est soumise à aucune condition de délai, et les juges du fond qui déclarent cette action irrecevable en raison de sa tardiveté méconnaissent l'article 1184 ancien,

- elle a engagé une procédure de référé devant le tribunal de commerce de Grenoble suivant exploit en date du 12 février 2020, laquelle a donné lieu à une ordonnance du 07 avril 2020, au terme de laquelle le Président du tribunal de commerce de Grenoble a enjoint à la société Garage [X] d'avoir à lui remettre la carte grise du véhicule sous astreinte.

Au soutien de sa demande en résolution du contrat, elle expose que :

- selon l'article 1615 du code civil l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel,

- or, la carte grise d'un véhicule constitue l'accessoire indispensable de la chose vendue,

- lors de l'acquisition du véhicule, la société Garage [X], lui a indiqué que la carte grise du véhicule lui serait fournie très rapidement,

- malgré plusieurs relances par courriers adressés à la société Garage [X] en septembre et décembre 2019 et une procédure en référé, cette dernière ne lui a jamais été transmise,

- à l'issue d'une nouvelle sommation interpellative par l'intermédiaire d'un huissier, M. [X] a indiqué avoir remis la feuille de cession (dont la véracité est totalement contestée) à son avocat, pour qu'elle puisse refaire faire une carte grise, reconnaissant ainsi ne l'avoir jamais transmise,

Au soutien de ses demandes indemnitaires, elle fait valoir que :

- le véhicule est aujourd'hui inutilisable,

- il est stationné sur le parking de la société Garage [X] depuis maintenant plusieurs années, ce qui a été constaté par l'expert, qui ajoute dans son constat que «la carrosserie de ce véhicule est poussiéreuse et il est inséré entre plusieurs véhicules qui n'ont manifestement pas plus bougés que lui depuis quelques temps (il y a même des toiles d'araignées qui les relient) ».

La société garage [X] n'ayant pas constitué avocat dans le délai légal, la déclaration d'appel lui a été signifiée par acte d'huissier du 5 avril 2023, délivré à personne morale. Les premières conclusions de l'appelant lui ont été signifiées par acte d'huissier du 23 mai 2023, délivré à personne morale.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 novembre 2023, l'affaire a été appelée à l'audience du 8 décembre 2023 et la décision mise en délibéré a été prononcée le 25 janvier 2024.

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l'action en résolution de la vente

En application de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Selon l'article 2241 alinéa 1er, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Le délai de prescription de l'action en résolution de la vente court à compter du jour ou l'acquéreur a connu les faits permettant de l'exercer.

En l'espèce, la société Maxeli fait grief à la société Garage [X] d'avoir omis de lui remettre la carte grise du véhicule acquis selon facture du 23 juillet 2015.

Or, à la date de l'assignation délivrée contre la société Garage [X] le 14 septembre 2021 devant le tribunal de commerce de Grenoble, le délai de prescription de 5 ans de l'action en résolution de la vente, qui a commencé à courir le 23 juillet 2015, puis, qui a été interrompu le 12 février 2020 par l'assignation délivrée contre elle par la société Maxeli devant le juge des référés, et qui se terminait donc le 12 février 2025, n'était pas expiré. L'action de la société Maxeli est donc recevable et le jugement déférée qui a dénié à tort tout effet interruptif à l'assignation en référé du 12 février 2020 au motif inopérant au regard des prescriptions de l'article 2241 précité, que la demande tendait seulement à voir enjoindre à la société Garage [X] de remettre la carte grise, doit être réformé sur ce point en ce qu'il a ajouté une condition au texte.

Sur le bien fondé de l'action en résolution de la vente

En application de l'article 1604 du code civil la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur.

Selon l'article 1615 du même code, l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel.

Concernant la vente de véhicules, la carte grise est l'accessoire indispensable du véhicule ( Cass. com., 22 janv. 2008, n° 06-19.249), cette exigence étant d'ailleurs prévue par l'article R. 322-4 du code de la route.

En revanche, dans la mesure où ce dernier texte ne prévoit pas de délai pour la délivrance de cette carte grise et plus généralement des autres documents administratifs, seule l'expiration d'un délai raisonnable permet d'agir contre le vendeur en méconnaissance de son obligation de délivrance. Entre professionnels, il existe un usage selon lequel la carte grise et le certificat de non-gage doivent être remis dans le délai de 15 jours à l'acheteur, faute de quoi l'obligation de délivrance du vendeur n'est pas remplie (Cass. com., 24 avr. 2007, n° 05-17.778).

En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que la société Garage [X] n'a jamais remis à la société Maxeli, la carte grise du véhicule frigorifique de marque Renault Kangoo cédé le 23 juillet 2015 et ce malgré une demande formulée le 5 septembre 2019, une seconde demande le 19 décembre 2019, puis une sommation interpellative signifiée le 1er septembre 2020.

Il ressort également du constat d'huissier dressé le 16 juillet 2021, que le véhicule litigieux se trouve garé sur le parking du garage [X], qu'il présente un aspect poussiéreux et que la vignette d'assurance correspond à celle du certificat de cession. M. [R] [X] a indiqué être en attente de l'attestation d'assurance du propriétaire de nature à faire avancer le dossier administratif et a ajouté ainsi qu'il suit: « être dans l'impasse administrative pour l'établissement de ce certificat ». L'huissier relève ainsi qu'il suit « je précise à sa demande, pour une bonne compréhension, que les difficultés du dossier administratif évoquées concernent le site ANTS et l'absence de personnel et de service adapté pour les problématiques que ce site n'envisage pas ».

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments, que la société Maxeli, qui souligne justement que la transmission de l'ancienne carte grise barrée et signée par le vendeur portant la mention de la vente et de la date de cette cession, lui était indispensable pour constituer un dossier de demande de nouvelle carte grise, n'a jamais été mise en possession de ce document depuis 8 ans et ce, nonobstant les nombreuses demandes formulées en ce sens auprès du vendeur.

Elle est donc bien fondée à solliciter la résolution de la vente du véhicule Kangoo intervenue le 23 juillet 2015 pour défaut de délivrance. Il convient d'infirmer le jugement sur ce point et d'ordonner la restitution de la somme de 14.400 euros au titre du prix de vente.

La société Maxeli qui justifie également avoir assuré ce véhicule en produisant les quittances d'assurance payées auprès de la société Generali au titre des années 2018 à 2020 pour un montant total de 2.838,22 euros est bien fondée à demander condamnation de la société Garage [X] à lui verser cette somme. Sa demande en paiement de la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance doit également être accueillie, alors que depuis 8 ans elle est privée de l'usage du véhicule acquis en 2015 pour les besoins de son activité professionnelle.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens

La société Garage [X] doit supporter les dépens de première instance et d'appel, qui ne comprendront pas les frais du constat d'huissier lesquels relèvent de l'article 700 du code de procédure civile et non des dépens, ainsi que la totalité des frais irrépétibles exposés et verser à la société Maxeli une indemnité de procédure de 3.000 euros ce qui conduit à l'infirmation des condamnations prononcées à ces titres par le tribunal de commerce.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

la cour statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Déclare recevable l'action en résolution de la vente engagée par la société Maxeli,

Prononce la résolution du contrat de vente du véhicule frigorifique de marque Renault Kangoo immatriculé [Immatriculation 2] en date du 23 juillet 2015 régularisée entre la société Garage [X] et la société Maxeli,

Condamne la société Garage [X] à payer à la société Maxeli la somme de 14.400 euros en remboursement du prix de vente,

Condamne la société Garage [X] à payer à la société Maxeli la somme de 2.838,22 euros en remboursement des cotisations d'assurance,

Condamne la société Garage [X] à payer à la société Maxeli la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance,

Condamne la société Garage [X] à payer à la société Maxeli la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel,

Condamne la société Garage [X] aux dépens de première instance et d'appel qui ne comprendront pas les frais du constat d'huissier lesquels relèvent de l'article 700 du code de procédure civile.