Cass. com., 13 décembre 2023, n° 22-17.464
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Riffaud
Avocat général :
Mme Guinamant
Avocats :
SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Gury & Maitre
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 24 mai 2022), par un jugement du 24 juin 2015, la société Montres ambre a été mise en sauvegarde, les sociétés AJ Partenaires et Pascal Leclerc étant respectivement désignées en qualité d'administrateur et de mandataire judiciaire.
2. Le 27 octobre 2015, la société de droit italien Alviero Martini, a déclaré une créance au passif de la procédure collective. Le 18 mai 2016, le mandataire judiciaire l'a informée de ce que cette créance était contestée pour l'intégralité de son montant en raison de l'existence d'un litige pendant entre les deux sociétés devant le tribunal ordinaire de Milan (Italie). Le juge-commissaire a constaté qu'une instance était en cours.
3. Par un jugement du 22 juin 2016, le plan de sauvegarde de la société Montres ambre a été arrêté, la société Pascal Leclerc, ensuite placée sous administration provisoire, puis remplacée par la société MJ JuraLP, étant désignée en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
4. Le 22 novembre 2018, le tribunal ordinaire de Milan, après avoir refusé à la société Alviero Martini la faculté d'attraire la société Pascal Leclerc, ès qualités, à la procédure, a condamné la société Montres ambre à payer à son adversaire la somme de 441 844,50 euros outre intérêts. Le 6 février 2020, le greffier du tribunal de la procédure collective, qui avait été rendu destinataire de cette décision et d'un certificat de non-appel, a inscrit cette créance sur l'état du passif de la société Montres ambre.
5. Après avoir vainement tenté de contester cette inscription devant le juge-commissaire, la société Montres ambre a assigné la société Alviero Martini et la société Pascal Leclerc, ès qualités, devant le tribunal de la procédure collective pour qu'il constate que la décision de la juridiction italienne était réputé non avenue et inopposable à la procédure collective pour avoir été prononcée hors la présence de ses organes et qu'il en était de même des actes subséquents.
Sur le moyen du pourvoi principal et le moyen du pourvoi incident, rédigés en des termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
6. La société Montres ambre et le commissaire à l'exécution de son plan de sauvegarde font grief à l'arrêt de rejeter la demande de la société Montres ambre tendant à voir juger que « l'arrêt » de condamnation rendu au bénéfice de la société Alviero Martini par le tribunal ordinaire de Milan et les actes subséquents sont réputés non avenus, alors :
« 1°/ que l'interruption de l'instance par l'effet du jugement qui prononce la sauvegarde du débiteur poursuivi en paiement peut être invoquée en tout état de cause ; qu'en décidant au contraire, sur le fondement d'un arrêt de la Chambre commerciale du 27 février 2007 qui ne correspond plus à l'état actuel du droit positif, que faute de s'être elle-même prévalue, dès l'instance devant la juridiction italienne, de l'interruption de l'instance et de l'absence de mise en cause de son mandataire judiciaire, la société Montres Ambre ne pouvait plus invoquer le caractère non-avenu de la décision de condamnation prononcée par le juge italien, la cour d'appel a violé les articles 369 et 372 du code de procédure civile, ensemble les principes d'ordre public interne et international de l'arrêt des poursuites individuelles et de l'interruption de l'instance en cas de procédure collective ;
2°/ que c'est au créancier poursuivant, et non au débiteur placé sous sauvegarde, qu'il incombe de reprendre l'instance interrompue par le jugement ouvrant la procédure collective, après avoir déclaré sa créance et mis en cause le mandataire judiciaire ; que dès lors, aucune conséquence juridique ne saurait être déduite de ce que le débiteur ne s'est pas lui-même prévalu, devant le juge initialement saisi aux fins de condamnation, de l'interruption de l'instance et de l'absence de reprise d'instance régulière par le créancier poursuivant ; qu'en considérant au contraire que faute pour la société Montres ambre de s'être plainte, dès l'instance conduite devant le juge italien, de l'absence de mise en cause de son mandataire judiciaire, celle-ci ne pouvait être admise à se prévaloir de l'inopposabilité à la procédure collective de la condamnation prononcée, la cour d'appel a de nouveau violé les articles 369 et 372 du code de procédure civile, ensemble les principes d'ordre public interne et international de l'arrêt des poursuites individuelles et d'interruption de l'instance en cas de procédure collective ;
3°/ que lors même que le débiteur serait irrecevable à se prévaloir lui-même de l'absence de reprise régulière de l'instance interrompue par son placement sous sauvegarde, il appartient de toute façon au juge de constater, au besoin d'office, que la décision de condamnation prononcée dans ces conditions est réputée non avenue et d'en tirer toutes les conséquences de droit ; qu'en refusant néanmoins de constater que le jugement de condamnation prononcé par le tribunal milanais en dépit de la procédure de sauvegarde et de l'interruption de l'instance était réputé non-avenu, ainsi que les actes subséquents, la cour d'appel a de nouveau violé les articles 369 et 372 du code de procédure civile, ensemble les principes d'ordre public interne et international de l'arrêt des poursuites individuelles et d'interruption de l'instance en cas de procédure collective. »
7. Si, selon l'article 4, 2, f) du règlement CE n° 1346/2000, modifié par le règlement n° 694/2006 du Conseil du 27 avril 2006, applicable à la procédure de sauvegarde de la société Montres ambre, la loi de l'Etat d'ouverture détermine les conditions d'ouverture, le déroulement et la clôture de la procédure d'insolvabilité et, notamment, les effets de la procédure d'insolvabilité sur les poursuites individuelles, à l'exception des instances en cours, l'article 15 du même règlement dispose que les effets de la procédure d'insolvabilité sur une instance en cours concernant un bien ou un droit dont le débiteur est dessaisi, sont régis exclusivement par la loi de l'Etat membre dans lequel cette instance est en cours.
8. Dans un arrêt du 6 juin 2018 (n° C-250/17, Tarrago Da Silveira), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que cet article 15 doit être interprété en ce sens qu'il s'applique à une instance en cours devant un Etat membre ayant pour objet la condamnation d'un débiteur au paiement d'une somme d'argent dans le cas où ce débiteur a été déclaré insolvable dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre Etat membre.
9. Le moyen, qui postule au contraire qu'en application de la loi française, la juridiction italienne ne pouvait statuer en l'absence de mise en cause du mandataire judiciaire de la société Montres ambre et que, faute de l'avoir fait, sa décision est non avenue par application de l'article 372 du code de procédure civile français, n'est donc pas fondé.
REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi incident.