CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 25 avril 2024, n° 21/18388
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Ocean Brun (SARL)
Défendeur :
Immona (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseiller :
Mme Leroy
Avocats :
Me Ingold, Me Jougla, Me Crequat
FAITS ET PROCÉDURE
Aux termes d'un acte sous seing privé des 13 et 15 avril 2010, la société Immona a donné à bail commercial à la société Océan brun divers locaux situés à [Localité 4], [Adresse 3] pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2010, moyennant un loyer annuel de 345.000 euros hors taxes et hors charges payable par trimestre d'avance et à destination de « restaurant haut de gamme avec licence IV, salon de thé/chocolat », « vente de chocolats fins » et « bureaux ».
Par jugement du tribunal de commerce de Paris du 28 août 2012, la société Océan brun a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire.
Par jugement en date du 21 mars 2013, le tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de continuation de la société Océan brun.
Par un arrêt du 22 novembre 2017 rectifié le 2 mai 2018 et devenu définitif, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 avril 2012 en ce qu'il avait jugé qu'en autorisant à poser une enseigne dans le cadre métallique situé à l'entrée du porche de la cour du commerce Saint-André, la société Immona avait commis une faute, engageant sa responsabilité envers la société Océan brun, condamné Maître [K] à garantir la société Immona de toute condamnation prononcée à son encontre, infirmé pour le surplus et fixé le préjudice global subi par la société Océan brun à la somme de 300.000 euros dont à déduire la somme déjà versée de 45.000 euros et condamné la société Immona à verser à la société Océan brun la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par acte d'huissier du 15 mars 2018, la société Immona a fait délivrer à la société Océan brun un commandement de payer visant la clause résolutoire de la somme en principal de 53.203,91 euros TTC au titre du remboursement des impôts, taxes et assurances des années 2012 à 2017, outre les intérêts de retard selon la clause d'intérêt prévu à l'article 13 du bail.
Par acte d'huissier du 3 avril 2018, la société Immona a délivré à la société Océan brun un deuxième commandement de payer visant la clause résolutoire d'avoir à régler la somme de 349.195,46 euros au titre du solde des loyers principaux, outre la TVA, et le complément de dépôt de garantie pour la période du 29 août 2012 au 31 mars 2018, outre les intérêts de retard selon la clause d'intérêt prévue à l'article 13 du bail.
Par acte d'huissier du 18 avril 2018, la société Immona a délivré à la société Océan brun un troisième commandement de payer visant la clause résolutoire portant sur la somme en principal de 111.528,49 euros pour la période du 1er avril 2018 au 30 juin 2018.
Par acte d'huissier du 3 mai 2018, la société Océan brun a assigné la société Immona devant le tribunal aux fins de juger nuls les commandements de payer signifiés les 15 mars et 3 avril 2018, au motif que la clause résolutoire devait s'interpréter strictement et qu'en absence de stipulation expresse, elle ne pourrait être invoquée pour défaut de paiement, de rappel de loyer et de charges.
Par ordonnance du 12 septembre 2019, le juge de la mise en état a :
- condamné la société Océan brun à payer à la société Immona la somme de 223.134,73 euros à titre de provision à valoir sur l'arriéré de loyers, charges et accessoires ;
- autorisé la société Océan brun à s'acquitter de la sommes susvisée en 8 mensualités de 27.000 euros, le 30 de chaque mois et pour la première fois, le 30 du mois suivant la signification de la présente ordonnance, la dernière mensualité étant majorée du solde de la dette ;
- dit qu'à défaut de paiement d'une mensualité à l'échéance, l'intégralité de la somme restant sera due ;
- dit qu'il n'entre pas dans les attributions du juge de la mise en état de statuer sur l'application des clauses contractuelles relatives aux intérêts ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- dit n'y avoir lieu à prononcer une condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- réservé les dépens.
Par acte extrajudiciaire du 25 juillet 2018, la société Immona a délivré à la société Océan brun un commandement de remettre une nouvelle caution bancaire solidaire après mise en jeu de la précédente caution bancaire.
Par acte extrajudiciaire du 17 octobre 2018, la société Immona a délivré à la société Océan brun un commandement de payer visant la clause résolutoire d'avoir à régler la somme de 228.013,34 euros au titre du solde des loyers principaux sur la période du 1er juillet 2018 au 31 décembre 2018.
Par acte extrajudiciaire du 13 décembre 2018, la société Immona a délivré à la société Océan brun un commandement de payer visant la clause résolutoire d'un montant de 16.258,81 euros correspondant au remboursement des taxes et assurances de l'année 2018.
Par ordonnance du 7 janvier 2019, le juge des référés, saisi par assignation du 15 octobre 2018, a, notamment, dit n'y avoir lieu à référé sur la demande provisionnelle en paiement des loyers des 3ème et 4ème trimestre 2018 présentée par la société Immona et ordonné à la société Océan brun de délivrer à la société Immona un nouveau cautionnement bancaire, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par acte extrajudiciaire du 20 novembre 2019, la société Immona a délivré à la société Océan brun un commandement de payer visant la clause résolutoire d'un montant de 233.604,62 euros TTC correspondant aux loyers principaux pour la période du 1er juillet 2019 au 31 décembre 2019.
Par acte extrajudiciaire du 14 janvier 2020, la société Immona a délivré à la société Océan brun un commandement de payer visant la clause résolutoire d'un montant 116.802,31 euros TTC pour la période du 1er janvier 2020 au 31 mars 2020.
Par jugement du 24 septembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a approuvé le report de la 7ème échéance du plan de redressement judiciaire de 2 ans et a arrêté un nouvel échéancier jusqu'au mois de juin 2025.
Par jugement du 14 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
- dit que le commandement de payer du 15 mars 2018 est dépourvu d'effet ;
- rejeté les demandes visant à prononcer la nullité des autres commandements de payer délivrés ;
- constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial, portant sur le local situé à [Localité 4], [Adresse 3], étaient réunies à la date du 3 avril 2019 minuit ;
- rejeté la demande visant à dire que les loyers et charges pour la période du 15 mars 2020 jusqu'à la fin de l'année 2020 seront fixés proportionnellement à l'activité réelle ;
- condamné la société Océan brun à payer à la société Immona la somme de 710.809,50 euros TTC à titre d'arriéré locatif, loyer du 3e trimestre 2020 échu le 1er juillet 2020 inclus, avec intérêts au taux légal à compter de la décision ;
- rejeté la demande de la société Océan brun visant dire qu'elle est exonérée du paiement de ses loyers, charges et taxes pendant la période de fermeture administrative du 15 mars 2020 au 15 juin 2020 ;
- condamné la société Immona à payer à la société Océan brun la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des sinistres d'inondation subi ;
- ordonné la compensation des créances réciproques des parties ;
- autorisé la société Océan brun à s'acquitter de la somme de 685.809,50 euros en 24 mensualités, 23 égales et successives de 25.000 euros et la dernière soldant la dette en principal, frais et intérêts, la première payable avant le 25 du mois suivant la signification de la décision et les suivantes avant le 25 de chaque mois, en plus du loyer courant ;
- suspendu les effets de la clause résolutoire pendant cette période ;
- dit que si l'échéancier fixé ci-dessus est respecté, et les loyers courants régulièrement payés pendant ces délais, elle sera réputée ne jamais avoir joué ;
À défaut,
- dit qu'en l'absence d'un seul versement à son échéance en plus du paiement du loyer courant, la clause résolutoire retrouvera de plein droit ses effets, le bail sera résilié et l'intégralité de la dette sera due ;
- dit qu'il pourra être procédé à l'expulsion de la société Océan brun et de tous occupants de son chef du local situé à [Localité 4], [Adresse 3], en cas de non restitution volontaire des lieux deux mois après un commandement de quitter les lieux avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;
- dit que le sort des meubles sera alors réglé selon les dispositions des articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
- condamné la société Océan brun au paiement, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, d'une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer contractuel mensualisé qui aurait été dû en cas de poursuite du bail, outre les taxes, charges et accessoires ;
- dit que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal ;
- rejeté la demande d'astreinte ;
- rejeté la demande d'expertise judiciaire ;
- rejeté les demandes de délivrance des demandes de règlement de loyer par anticipation et les quittances de loyers de la société Océan brun ;
- rejeté la demande de la société Immona de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- dit n' y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Océan brun aux dépens, qui comprendront le coût des états des créanciers et de leurs notifications ;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 21 octobre 2021, la société Océan brun a interjeté appel total du jugement sauf en ce qu'il a dit que le commandement de payer du 15 mars 2018 était dépourvu d'effet.
Par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Océan brun et désigné la société Mandataires judiciaires associés, en qualité de liquidateur judiciaire. Cette dernière est intervenue à l'instance par conclusions déposées le 13 janvier 2022.
Par conclusions déposées le 20 avril 2022, la société Immona a interjeté appel incident partiel du jugement en ce qu'il a condamné la société Immona à payer à la société Océan Brun la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des sinistres d'inondations subis.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 décembre 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses conclusions signifiées le 13 juillet 2022, la société Mandataires judiciaires associés, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Océan brun, appelante à titre principal et intimée à titre incident, demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu en ce qu'il dit que le commandement de payer du 15 mars 2018 est dépourvu d'effet ;
- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a :
rejeté les demandes visant à prononcer la nullité des autres commandements de payer délivrés ;
constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial, portant sur le local situé à [Localité 4], [Adresse 3], sont réunies à la date du 3 avril 2019 minuit ;
rejeté la demande visant à dire que les loyers et charges pour la période du 15 mars 2020 jusqu'à la fin de l'année 2020 seront fixés proportionnellement à l'activité réelle ;
condamné la société Océan brun à payer à la société Immona la somme de 710.809,50 euros TTC à titre d'arriéré locatif, loyer du 3e trimestre 2020 échu le 1er juillet 2020 inclus, avec intérêts au taux légal à compter de la décision ;
rejeté la demande de la société Océan brun visant dire qu'elle est exonérée du paiement de ses loyers, charges et taxes pendant la période de fermeture administrative du 15 mars 2020 au 15 juin 2020 ;
condamné la société Immona à payer à la société Océan brun la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des sinistres d'inondation subi ;
ordonné la compensation des créances réciproques des parties ;
autorisé la société Océan brun à s'acquitter de la somme de 685.809,50 euros en 24 mensualités, 23 égales et successives de 25.000 euros et la dernière soldant la dette en principal, frais et intérêts, la première payable avant le 25 du mois suivant la signification de la décision et les suivantes avant le 25 de chaque mois, en plus du loyer courant ;
suspendu les effets de la clause résolutoire pendant cette période ;
dit que si l'échéancier fixé ci-dessus est respecté, et les loyers courants régulièrement payés pendant ces délais, elle sera réputée ne jamais avoir joué ;
à défaut, dit qu'en l'absence d'un seul versement à son échéance en plus du paiement du loyer courant, la clause résolutoire retrouvera de plein droit ses effets, le bail sera résilié et l'intégralité de la dette sera due ;
dit qu'il pourra être procédé à l'expulsion de la société Océan brun et de tous occupants de son chef du local situé à [Localité 4], [Adresse 3], en cas de non restitution volontaire des lieux deux mois après un commandement de quitter les lieux avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;
dit que le sort des meubles sera alors réglé selon les dispositions des articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
condamné la société Océan brun au paiement, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, d'une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer contractuel mensualisé qui aurait été dû en cas de poursuite du bail, outre les taxes, charges et accessoires ;
dit que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal ;
rejeté la demande d'expertise judiciaire ;
rejeté les demandes de délivrance des demandes de règlement de loyer par anticipation et les quittances de loyers de la société Océan brun ;
débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
dit n'avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Océan brun aux dépens, qui comprendront le coût des états des créanciers et de leurs notifications ;
ordonné l'exécution provisoire de la décision ;
Et statuant à nouveau :
À titre principal,
- débouter la société Immona de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- déclarer irrecevable la demande de résiliation judiciaire du bail des 13 et 15 avril 2010 ;
- juger qu'eu égard à l'état de liquidation judiciaire de la société Océan brun les demandes de la société Immona ne peuvent tendre qu'à la constatation de sa créance et la fixation de son montant ;
- débouter la société Immona de sa demande de constatation de la résiliation du bail, d'expulsion de la locataire et de fixation d'une indemnité d'occupation ;
- déclarer irrecevables l'ensemble des demandes nouvelles de la société Immona ou à tout le moins mal fondées ;
- juger que la société Océan brun est redevable au bénéfice de la société Immona de la somme de 660.809,50 euros HT ;
- condamner la société Immona à payer la somme de 306.468,75 euros HT à la société Océan brun au titre des préjudices subis pour la suppression de l'enseigne ;
- condamner la société Immona à payer la somme de 198.370,97 euros HT à la société Océan brun au titre des préjudices financiers subis pour les dégâts des eaux ;
- ordonner la compensation entre les créances réciproques des sociétés Océan brun et Immona ;
- condamner la société Immona à payer à la société Océan brun au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 10.000 euros ;
à titre subsidiaire,
- débouter la société Immona de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- déclarer irrecevable la demande de résiliation judiciaire du bail des 13 et 15 avril 2010 ;
- juger qu'eu égard à l'état de liquidation judiciaire de la société Océan brun les demandes de la société Immona ne peuvent tendre qu'à la constatation de sa créance et la fixation de son montant ;
- débouter la société Immona de sa demande de constatation de la résiliation du bail, d'expulsion de la locataire et de fixation d'une indemnité d'occupation ;
- déclarer irrecevables l'ensemble des demandes nouvelles de la société Immona ou à tout le moins mal fondées ;
- juger que la société Océan brun est redevable au bénéfice de la société Immona de la somme de 831.218,66 euros HT ;
- condamner la société Immona à payer la somme de 306.468,75 euros HT à la société Océan brun au titre des préjudices subis pour la suppression de l'enseigne ;
- condamner la société Immona à payer la somme de 198.370,97 euros HT à la société Océan brun au titre des préjudices financiers subis pour les dégâts des eaux ;
- ordonner la compensation entre les créances réciproques des sociétés Océan brun et Immona ;
- condamner la société Immona à payer à la société Océan brun au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 10.000 euros ;
à titre infiniment subsidiaire,
- débouter la société Immona de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- déclarer irrecevable la demande de résiliation judiciaire du bail des 13 et 15 avril 2010 ;
- juger qu'eu égard à l'état de liquidation judiciaire de la société Océan brun les demandes de la société Immona ne peuvent tendre qu'à la constatation de sa créance et la fixation de son montant ;
- débouter la société Immona de sa demande de constatation de la résiliation du bail, d'expulsion de la locataire et de fixation d'une indemnité d'occupation ;
- déclarer irrecevables l'ensemble des demandes nouvelles de la société Immona ou à tout le moins mal fondées ;
- juger que la société Océan brun est redevable au bénéfice de la société Immona de la somme de 831.218,66 euros HT ;
- condamner la société Immona à payer la somme de 94.286,60 euros HT à la société Océan brun, somme équivalente sur une période de près de 27 mois à une réduction du loyer de 10%, au titre de la poursuite des préjudices subis pour la suppression de l'enseigne ;
- condamner la société Immona à payer la somme de 198.370,97 euros HT à la société Océan brun au titre des préjudices financiers subis pour les dégâts des eaux ;
- ordonner la compensation entre les créances réciproques des sociétés Océan brun et Immona ;
- condamner la société Immona à payer à la société Océan brun au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 10.000 euros.
Au soutien de ses prétentions, la société Mandataires judiciaires associés, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Océan brun expose que :
- sur l'irrecevabilité de la demande de résiliation judiciaire du bail, elle est irrecevable dès lors que la concluante n'est plus titulaire du bail commercial par l'effet de la cession du fonds de commerce au bénéfice de la société Brasserie depuis le 22 mars 2022 ;
- sur la résiliation du bail et ses conséquences, l'action introduite par la société Immona, avant la mise en liquidation judiciaire de la société Océan brun, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure ne peut être poursuivie après ce jugement, conformément à l'article L. 622-21 du code de commerce, dès lors qu'elle n'a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée ;
- sur le montant de l'arriéré locatif,
* à titre principal, l'appelante considère que plusieurs demandes sont nouvelles en cause d'appel et doivent, à ce titre, être déclarées irrecevables, ainsi les demandes de paiement des sommes de 467.238,55 euros au titre des loyers courants à compter du 4ème trimestre 2020 (échu le 1er octobre 2020) et jusqu'au loyer du 3ème trimestre 2021 (échu le 1er octobre 2021), 21.175,07 euros au titre des impôts, taxes et assurances du bailleur dus en vertu des articles 8 et 4.41 du bail, la demande d'admission de la créance déclarée par la société Immona dans sa déclaration de créance du 7 janvier 2022 à hauteur de 3.125.491,63 euros, la liquidation de l'astreinte prononcée dans l'ordonnance de référé du 7 janvier 2019, le paiement des dépens des procédures en cours à hauteur de 1.867,43 euros et 1.770.000 euros, la créance de dommages et intérêts au titre de remise en état des locaux loués à hauteur de 100.000 euros, la demande de reconstitution du dépôt de garantie ;
* à titre subsidiaire, elle reconnaît être débitrice de la somme de 831.218,66 euros HT incluant depuis le 29 août 2012 les charges et loyers ;
- sur le préjudice lié à l'absence d'enseigne, elle a perdu son enseigne, déposée à la demande du syndic du [Adresse 7], depuis le 23 mai 2011 ; que la société Immona n'a pas répondu aux demandes répétées concernant ce sujet pendant plus de 7 mois, ce qui est une faute ; que cette faute est passée en force de chose jugée dès lors qu'elle a été constatée par la cour d'appel de Paris, par arrêt du 22 novembre 2017 rectifié le 2 mai 2018 et devenu définitif ; que l'expert judiciaire a évalué le préjudice lié à l'absence d'enseigne à la somme de 10 % du loyer HT/AN, calculée sur la période de 9 ans du bail ; qu'aucune décision judiciaire ne s'est prononcée sur le préjudice postérieur au cours de la période de renouvellement ; qu'aux termes des trois rapports d'expertise, elle a subi un préjudice total de 306.468,75 euros, pour la durée de 27 mois, allant du 1er juillet 2019 à la date du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire soit le 23 novembre 2021 ;
- sur le préjudice lié aux dégâts des eaux, elle subit des sinistres réguliers, depuis avril 2013, qui impactent notablement son activité puisqu'ils nécessitent l'arrêt des services de la restauration et donc la fermeture de l'établissement ; qu'il est impossible d'assurer l'exploitation avec une cuisine inondée, ou lors de l'intervention d'un camion pompe ; que la société bailleresse n'est jamais intervenue, ce qui caractérise un manquement volontaire, continu et récurrent à son obligation de délivrance ; que le chiffre d'affaires perdu s'élève à la somme de 176.000 euros, à laquelle doit être ajoutée la somme de 22.370,97 euros au titre des diverses interventions.
Aux termes de ses conclusions signifiées le 24 novembre 2023, la société Immona, intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la cour de :
- déclarer irrecevables et subsidiairement mal fondées les appelantes, en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient remplies et en ce qu'il a rejeté les demandes visant à prononcer la nullité des autres commandements de payer que celui du 15 mars 2018 ;
- recevoir la société Immona en son appel incident,
Vu les commandements délivrés visant la clause résolutoire à la requête de la société Immona, bailleur, par exploit de la société Emery Luciani Alliel & Dymant, huissiers de justice associés en date des 15 mars 2018, 3 avril 2018 et 18 avril 2018, 17 octobre 2018, 13 décembre 2018, 20 novembre 2019 et 14 janvier 2020, à la société Océan brun,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société Immona à payer à la société Océan brun la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des sinistres d'inondations subis, et l'infirmer sur ce point ;
Et statuant à nouveau,
- dire n'y avoir lieu à aucune condamnation de la société Immona à payer à la société Océan brun la moindre somme au titre de réparations de sinistres d'inondations subis ;
- déclarer irrecevables la société Océan brun et la société MJA, appelantes, en toutes leurs demandes, fins et conclusions, et subsidiairement les déclarer mal fondées ;
- dire et juger que le jugement du 14 septembre 2021 est suspendu à compter du 23 novembre 2021, date de l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Océan brun ;
- eu égard à la liquidation judiciaire de la société Océan brun prononcée le 23 novembre 2021, fixer la créance de la société Immona à l'égard de la société Océan brun comme demandé dans sa déclaration de créances en date du 7 janvier 2022 à la somme de 3.125.491,63 euros dont dettes locatives arrêtées en principal et intérêts au 23 novembre 2021 à la somme TTC de 1.178.312,63 euros ;
- déclarer irrecevables la société Océan brun et la société MJA, appelantes, en leur demande de voir condamner Immona à leur payer 306.468,75 euros au titre d'un soi-disant préjudice subi pour suppression de l'enseigne, une telle demande se heurtant à l'autorité de la chose jugée par l'arrêt du 22 novembre 2017 rendu par la cour d'appel de Paris ;
- subsidiairement, déclarer les appelantes mal fondées en leurs demandes ;
- déclarer irrecevables comme prescrites toutes demandes de la société Océan brun et la société MJA au titre de soi-disant préjudice financier subi pour les dégâts des eaux et la débouter de sa demande de condamnation de la société Immona à lui voir payer 198.370,97 euros à ce sujet ;
- déclarer prescrites toutes demandes concernant de tels dégâts des eaux se heurtant à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil pour toute demande concernant de soi-disant dégâts de 2013 ;
- déclarer irrecevables et subsidiairement mal fondées les sociétés société MJA et Océan brun en l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions, en ce y compris au titre de soi-disant dégât des eaux ;
- déclarer irrecevables et subsidiairement mal fondées les appelantes, la société Océan brun et la société MJA, en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Océan brun et la société MJA à payer à la société Immona une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter les appelantes, la société Océan brun et la société MJA de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- condamner les appelantes en tous les dépens au profit de Maître Sarra Jougla, avocat aux offres de droit.
Au soutien de ses prétentions, la société Immona oppose :
- sur la résiliation du bail, que le jugement rendu le 14 septembre 2021 ne sera pas infirmé mais suspendu compte-tenu du jugement de liquidation judiciaire de la société Océan brun intervenu le 23 novembre 2021 ;
- sur la dette locative, in limine litis, que les conclusions et demandes des appelantes seront déclarées irrecevables au visa des articles 954 et 910-4 du code de procédure civile ;
sur les sommes attribuées en vertu du jugement du 14 septembre 2021, que la société Océan brun restait devoir un arriéré locatif au 23 novembre 2021, intérêts et charges inclus d'un montant TTC de 1.153.312,63 euros, valablement déclaré dans sa déclaration de créances du 7 janvier 2022 ; qu'elle doit payer la somme de 685.809,50 euros TTC correspondant au solde de l'arriéré locatif ; que les intérêts de retard s'élèvent à la somme de 2.169 euros du 14 septembre 2021 au 21 octobre 2021 ; que sera déduite la somme de 25.000 euros payée par la société Océan brun par virement au compte de la société Immona au Crédit du nord en date du 21 octobre 2021 ; que les intérêts de retard s'élèvent à la somme de 1.920,51 euros au titre du 21 octobre 2021 au 23 novembre 2021;
sur les loyers courants à compter du 4ème trimestre 2020, qu'une somme TTC de 456.336,37 euros reste due au titre du solde des loyers principaux pour la période du 1er octobre 2020 au 30 septembre 2021, payables par trimestre d'avance, échus et impayés, pour la location des locaux situés [Adresse 3], ayant fait l'objet d'un commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 29 septembre 2021 ; qu'elle était débitrice de la somme de 475.432,26 euros TTC, avant de payer la somme de 19.095,89 euros par virement du 18 janvier 2021 ; que les intérêts de retard dus sur les loyers impayés à compter du 4ème trimestre 2020 jusqu'au 3ème trimestre 2021 s'élèvent à la somme de 10.902,18 euros ;
sur les impôts, taxes et assurances, qu'elle est débitrice de la somme de 21.175,07 euros correspondant au remboursement des impôts, taxes et assurances des années 2020 et 2021, et aux intérêts de retard d'une somme de 411,21 euros.
- sur la clause d'enseigne, que la société Océan brun sera déclarée irrecevable, s'agissant d'une demande nouvelle non formulée en première instance, irrecevable d'office au visa de l'article 564 du code de procédure civile ; que la contestation de la société Océan brun relative à l'enseigne, a été définitivement et totalement jugée par l'arrêt du 22 novembre 2017, de sorte qu'elle se heurte à « l'autorité de la chose jugée » dudit arrêt, aux termes des articles 122, 125 et 480 du code de procédure civile ; que le même arrêt a statué sur le bail et le loyer conventionnel, de sorte que ses demandes se heurtent également à l'autorité de la chose jugée ; que la société Océan brun, locataire, a eu un comportement contraire à l'intégralité de ses obligations, notamment quant au paiement des loyers et charges, à la fourniture et au maintien d'une caution bancaire pendant toute la durée du bail ; que toutes ces infractions aux clauses du bail sont de nature à justifier la demande de la société Immona de voir résilié judiciairement le bail, demande à laquelle il sera fait droit ;
- sur le préjudice lié aux dégâts des eaux, que l'action fondée sur un dégât des eaux intervenu en 2013 est prescrite aux termes de l'article 122 du code de procédure civile et de l'article 2224 du code civil ; que le bailleur a satisfait à son obligation de délivrance, étant précisé que la société Océan brun, n'a pas respecté ses obligations en qualité de locataire, en ne payant pas son loyer et ne fournissant pas de caution bancaire, alors qu'elle y était tenue en vertu des clauses du bail ; qu'aux termes de l'article 9.4.2. du bail, le preneur s'est engagé à s'assurer pour couvrir les dégâts et eaux et a renoncé à tout recours en cas de sinistre contre le bailleur et ses assureurs ; que la demande de résiliation du bail pour défaut de fourniture de la caution bancaire par la société Océan brun est devenue sans objet ; que compte tenu de l'absence chronique du règlement des loyers par la société Océan brun, la société Immona a exécuté la caution bancaire que lui avait donnée le Crédit du Nord, conformément aux clauses du bail ; que la société Océan brun n'a pas reconstitué la caution bancaire, en infraction avec les dispositions de l'article 7.2 du bail et l'ordonnance de référé du 7 janvier 2019, jusqu'à la mise en liquidation judiciaire de la société Océan brun.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelante.
SUR CE,
Sur les fins de non-recevoir
L'article 122 du code de procédure civile énonce que « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »
Aux termes de l'article 910-4 du code de procédure civile, « à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. »
L'article 566 du code de procédure civile dispose que « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. ».
L'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile prévoit que « La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif [des dernières conclusions] et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion ».
Sur la demande de résiliation judiciaire du bail et les demandes subséquentes
Comme relevé par la société Océan brun, la demande de résiliation judiciaire du bail consenti le 13 et 15 avril 2010 par la société Immona, recevable en première instance, est devenue sans objet en cause d'appel en ce que le fonds de commerce a fait l'objet d'une cession dans le cadre de la liquidation judiciaire, au bénéfice de la société Brasserie des prés le 22 mars 2022, de sorte que la société Océan Brun n'est plus titulaire du bail.
La cour relève que la société Immona ne conteste pas le défaut de qualité de la société Océan brun et reconnaît que cette prétention est devenue sans objet au jour où la cour statue, tout comme le sont les demandes subséquentes d'expulsion et de fixation d'une indemnité d'occupation.
Sur les demandes nouvelles de la société Immona aux termes de ses dernières conclusions en date du 24 novembre 2023
à titre liminaire la cour relève que, contrairement à ce que soutiennent les appelants dans leurs écritures, la société Immona ne saisit la cour d'aucune prétention indemnitaire aux termes du dispositif de ses dernières conclusions au titre de la remise en état des locaux.
au titre de l'arriéré locatif
Contrairement à ce que soutient la société Océan Brun et, conformément aux dispositions de l'article 566 du code de procédure civile précité, la demande formée par la société Immona en fixation de la créance au titre de l'arriéré locatif actualisé à la date du 23 novembre 2021 à la somme de 1.178.312,63 euros telle que déclarée le 7 janvier 2022 est recevable en ce qu'elle constitue le complément nécessaire de la demande formée à ce titre devant le premier juge, permettant de ce fait à la cour de l'évoquer d'autant qu'aucun moyen sérieux n'est soutenu devant la cour concernant l'exigibilité de la dette.
La fin de non-recevoir soulevée à ce titre sera donc rejetée.
au titre de la liquidation de l'astreinte
L'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution prévoit que « L'astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l'exécution, sauf si le juge qui l'a ordonné ['] s'en est expressément réservé le pouvoir ».
Par ordonnance en date du 7 janvier 2019 (RG 18/59652), le président du tribunal judiciaire de Paris, statuant en matière de référé a, notamment, ordonné à la société Océan brun de « délivrer à la société Immona un nouveau cautionnement bancaire conforme aux dispositions de l'article 7.2 du bail litigieux, ce sous astreinte de 100 € par jour de retard courant à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la signification de » l'ordonnance et s'est réservé la liquidation de l'astreinte.
Aux termes de ses dernières conclusion devant le premier juge en date du 1er octobre 2020, la société Immona a, notamment, sollicité le débouté de la société Océan brun de ses demandes, la condamnation de la société Océan Brun à lui payer les sommes de 475.054,40 euros TTC à titre d'arriéré de loyers jusqu'au 16 janvier 2020, et charges jusqu'à celles dues au titre de l'année 2019, celle de 116.802,31 euros TTC au titre du loyer du 2e trimestre 2020 échu le 1er avril 2020 et impayé, celle de 118.952,79 euros TTC au titre du loyer du 3ème trimestre 2020, constater l'acquisition de la clause résolutoire contenue au bail en date des 13 et 15 avril 2010, à titre subsidiaire, prononcer la résiliation du bail en raison des manquements du locataire avec toutes conséquences de droit, condamné la société Océan brun au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du dernier loyer en cours.
Il s'infère de ces éléments que la demande de liquidation d'astreinte est nouvelle en cause d'appel et de ce fait irrecevable, outre que la cour d'appel est incompétente pour en connaître conformément aux dispositions de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution et que le juge des référés s'est réservé compétence pour connaître de la liquidation.
Sur les demandes de la société Océan Brun au titre du préjudice résultant de l'absence d'enseigne
Conformément aux dispositions de l'article 1355 code civil, « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »
L'autorité de la chose jugée est attachée au dispositif de la décision et à lui seul.
La cour d'appel de céans a, par arrêt en date du 22 novembre 2017 rectifié par arrêt en date du 2 mai 2018, « dit qu'en l'autorisant à apposer une enseigne dans le cadre métallique situé à l'entrée du porche de la cour du commerce Saint André, la société Immona avait commis une faute engageant sa responsabilité envers la société Océan brun » et fixé « le préjudice global subi par la société Océan brun à la somme de 300.000 euros, dont à déduire 45.000 euros déjà versé ».
Contrairement à ce que soutient la société Océan brun, le dispositif de la décision ne comporte aucune mention de la période sur lequel porte l'évaluation du préjudice et, à l'inverse, invoque un préjudice « global », de sorte que, sauf à caractériser une aggravation de ce dernier ce que l'appelante ne soutient pas, relevant seulement qu'il a perduré au-delà du terme du bail du fait de son maintien dans les lieux sans autre élément comptable à l'appui et que l'indemnisation accordée par la cour est notoirement inférieure au préjudice évalué par chacun des experts consultés sur ce sujet. Surabondamment, la cour relève que cette demande, non formée devant le premier juge, est nouvelle en cause d'appel.
Il sera donc fait droit à la fin de non-recevoir soulevée.
Sur l'acquisition de la clause résolutoire
Il ressort de l'article L. 145-41 du code de commerce qu'une clause résolutoire insérée dans un bail commercial ne produit effet qu'un mois après un commandement mentionnant ce délai demeuré infructueux et que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'ancien article 1244-1 du code civil reprises au nouvel article 1343-5 imposant de tenir compte de la situation du débiteur et des besoins du créancier, peuvent, en accordant des délais suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire, cette clause ne jouant pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
La mise en jeu de la clause résolutoire implique que le défaut de paiement de la somme réclamée dans le commandement de payer visant la clause résolutoire soit manifestement fautif, que le bailleur soit, de toute évidence, en situation d'invoquer de bonne foi la mise en jeu de cette clause et que la clause résolutoire soit dénuée d'ambiguïté et ne nécessite pas interprétation, la clause résolutoire d'un bail devant s'interpréter strictement.
En l'espèce, l'article 12 du bail litigieux prévoit en son point 1 que « à défaut par le preneur de payer exactement à son échéance un seul terme de loyer et/ou des accessoires et/ou indemnité d'occupation, qu'ils résultent du présent contrat, de ses avenants ou d'actes postérieurs ou de décision judiciaire, le présent bail sera, si bon semble au bailleur, résilié de plein droit et sans aucune formalité judiciaire, un mois après une simple mise en demeure d'exécuter ou un simple commandement de payer contenant déclaration par ledit bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause, et demeuré sans effet pendant ce délai, et ce, même en cas de paiement ou d'exécution postérieure à l'expiration du délai d'un mois».
C'est par motifs pertinents auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte que le premier juge a rappelé que le bailleur avait délivré sept commandements de payer à la société Océan brun entre le 15 mars 2018 et le 14 janvier 2020, lesquels étaient demeurés infructueux, dont la validité ne pouvait être discutés, ces actes reproduisant précisément les mentions légales et ayant été délivré de bonne foi par le bailleur.
En revanche, c'est par motifs tout aussi pertinents auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte que le premier juge a considéré que le commandement délivré le 15 mars 2018 n'avait pu produire effet en ce qu'il vise des sommes non expressément prévues à l'article 12-1 du bail telle que rappelée ci-dessus, le commandement ayant été délivré à hauteur de la somme de 53.2203,91 euros au titre d'un remboursement d'impôts, taxes et assurance des années 2012 à 2017.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Sur les demandes indemnitaires au titre des dégâts des eaux
Aux termes des articles 1719 et 1720 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'i1 soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur les locaux loués en bon état de réparations de toute espèce, en mettant à la disposition de celui-ci, pendant la durée du bail, des locaux conformes à leur destination contractuelle, dans lesquels il est en mesure d'exercer l'activité autorisée par le bail, d'entretenir ces locaux en état de servir à l'usage pour lequel ils ont été loués, et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
Le bailleur est également tenu de faire dans les locaux loués et pendant la durée du bail, toutes les réparations, autres que locatives, qui peuvent devenir nécessaires pour maintenir les locaux en l'état de servir à l'usage convenu et de garantir le preneur de tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent 1'usage, quand bien même il ne les aurait pas connus lors du bail.
Les parties peuvent toutefois déroger à ces dispositions et convenir de façon expresse et non-équivoque de transférer au preneur les obligations du bailleur, à l'exclusion, toutefois, de l'obligation de délivrance, dont celui-ci ne peut contractuellement s'exonérer.
Par application de l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au litige, le bail tient lieu de loi aux parties qui l'ont conclu.
La perte subie peut consister dans la perte d'une chance pour la partie, qui, du fait du manquement de son cocontractant, voit disparaître une éventualité favorable, la réparation du dommage ainsi subi ne pouvant, cependant, être totale et devant être mesurée à la chance perdue sans pouvoir être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance à la partie, si elle s'était réalisée.
L'article 2224 du code civil prévoit que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »
C'est par motifs détaillés, auxquels la cour renvoie, que le premier juge a rappelé les obligations contractuelles des parties au titre des réparations locatives aux termes du bail les liant.
La société Immona soutient, pour la première fois en cause d'appel, que l'action en réparation du préjudice subi du fait des dégâts des eaux intervenus sur plusieurs mois durant l'année 2013 serait prescrite.
L'appelante ne conteste pas que la première demande d'indemnisation à ce titre a été formée aux termes de ses conclusions en date du 13 mai 2020 déposées devant le premier juge.
Il ressort, en outre, des pièces versées aux débats que les interventions de désengorgement des canalisations générales entreprises sur initiative de la société Océan brun courant 2013 ont permis de faire cesser les infiltrations litigieuses.
Par voie de conséquence, comme soutenu par la société Immona, les demandes indemnitaires à ce titre formée pour la première fois le 13 mai 2020 devant le premier juge sont prescrites.
En revanche, comme relevé par le premier juge, la société Océan brun a subi de nouvelles inondations courant juillet, août et septembre 2019, mars et septembre 2020 dont elle a informé à plusieurs reprises le bailleur par courriers recommandés avec accusé de réception et dont elle justifie par un bon d'intervention, des écritures comptables de paiement d'interventions à ce titre et un procès-verbal de constat en date du 9 juillet 2019.
Il ressort, notamment, de ce procès-verbal que l'huissier constate sur le carrelage de la cuisine une épaisse couche d'eau mêlée à des matières fécales et à du papier toilette, une obturation du siphon par des matières fécales.
C'est par motifs pertinents, auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte que le premier juge a relevé, d'une part, qu'il ressortait de ces éléments que les inondations récurrentes subies par le preneur provenaient des canalisations générales situées à l'extérieur du local litigieux et, d'autre part, que la clause de renonciation à recours contre le bailleur ne pouvait décharger ce dernier de son obligation de délivrance, lequel ne justifiait pas être intervenu pour faire cesser ces sinistres.
En outre, doit être soulignée la particulière gravité de ces sinistres, au regard des obligations strictes d'hygiène et de sécurité auxquelles sont soumis les espaces de cuisine, ayant empêchée leur usage normal. Enfin, le bailleur ne saurait utilement tenter d'échapper à sa propre responsabilité au motif que le locataire aurait dû faire intervenir son assurance alors qu'il est établi que le sinistre avait pour cause des canalisations générales, ce que l'assureur du preneur a relevé tel que rappelé dans le courrier de ce dernier au bailleur en date du 8 juillet 2019.
Ainsi c'est à bon droit que le premier juge a considéré que la responsabilité contractuelle du bailleur était engagée et qu'il était tenu d'indemniser le locataire du préjudice subi.
Au soutien de sa demande d'indemnisation, l'appelante verse un tableau récapitulatif des frais engagés au titre des dégâts des eaux subies en sous-sol des locaux du fait de l'engorgement canalisations communes, dont la cour retiendra les frais engagés au titre des années 2019 et 2020. S'il est certain que la cuisine, au regard de la pollution de l'espace par des matières fécales résultant des inondations, a dû être fermée le temps des opérations de pompage et de nettoyage, il n'en demeure pas moins que, sur la période non prescrite, cette immobilisation a été, au regard des dates rappelées dans le tableau ci-dessus, d'une quinzaine de jours. Aussi, c'est par motifs pertinents que le premier juge a considéré que l'indemnisation totale du préjudice subi par l'appelante devait être estimée à la somme de 25.000 euros.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Sur le montant de l'arriéré locatif
Aux termes de l'article L. 622-22 du code de commerce, « Sous réserve des dispositions de l'article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant[...]. »
Il ressort des dispositions de l'article L. 622-24 du même code qu'à partir de la publication du jugement d'ouverture, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement adressent la déclaration de leur créance au mandataire judiciaire, même en cas de créance non établie par un titre ou dont le montant n'est pas définitivement fixé mais déclaré sur la base d'une évaluation.
En l'espèce, le bail prévoit, notamment, en son article 5 que le loyer est payable par trimestre d'avance, en son article 6 que le loyer fera l'objet d'une indexation annuelle à la date anniversaire du bail suivant la variation de l'indice ILC publié par l'INSEE et fixe l'indice de référence initial, en son article 8 que le preneur devra s'acquitter notamment des taxes locatives, taxes professionnelles et tous impôts dont le bailleur est redevable, ainsi que sa quote-part de l'impôt foncier, de la axe de balayage et d'enlèvement des ordures ménagères et sa quote-part de l'impôt foncier, en son article 9.4.1.2 que le preneur remboursera au bailleur la qutoe-part des primes d'assurance relatives au contrat d'assurance propriétaire.
En cause d'appel, la société Océan brun reconnaît être redevable de la somme de 660.809,50 euros, correspondant au montant de la condamnation prononcée par le premier juge au titre de l'arriéré locatif arrêté au 3ème trimestre 2020 inclus, soit la somme de 685.809,50 euros, de laquelle doit être déduite la somme de 25.000 euros acquittés par la société Océan brun le 21 octobre 2021, ces éléments n'étant pas contestés par la société Immona, laquelle y ajoute le montant des intérêts au taux légal ayant couru sur la somme de 685.809,50 euros du 14 septembre 2021 au 21 octobre 2021, soit 2.169 euros, puis sur la somme de 660.809,50 euros du 21 octobre 2021 au 23 novembre 2021 soit 1.920,51 euros, soit une créance locative déclarée le 7 janvier 2022 à hauteur de 664.899,01 euros.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef et le montant de la créance locative de la société Immona arrêtée au 3ème trimestre 2020 inclus sera fixée à la somme de 664.899,01 euros.
En outre, la société Immona justifie, en cause d'appel, de l'exigibilité des loyers, payables trimestriellement et d'avance, ce pour la période du 4ème trimestre 2020 au 3ème trimestre 2021, soit la somme de 467.238,55 €, qui n'est pas sérieusement contestée par l'appelante, qui correspond à :
la somme de 475.432,26 € TTC due au titre du solde des loyers principaux selon décompte joint à la déclaration de créance en date du 7 janvier 2022 ;
dont est déduite la somme de 19.095,89 € correspondant au versement effectué par la société Océan Brun par virement du 18 janvier 2021, soit la somme de 456.336,37 € TTC ;
assortie des intérêts au taux légal dus sur les loyers impayés sur la période de référence, conformément aux dispositions de l'article 13 du bail des 13 et 15 avril 2010, soit au total la somme de 10.902,18 €.
De même, la société Immona justifie de l'exigibilité de la somme de 21.175,07 € au titre des taxes et assurances dues par le preneur, qui n'est pas sérieusement contestée par l'appelante, qui se décompose ainsi :
taxes foncière 2020 et 2021 respectivement de 2.965 € et 3.523 €
taxes de balayage 2020 et 2021 de 960,91 € pour chaque année ;
assurance de l'immeuble 2020 et 2021 respectivement de 4.433,11 € et 4.460,29 € ;
intérêts de retard sur les sommes dues à hauteur de 411,21 ;
La créance locative de la société Océan Brun sera ainsi fixée à la somme de 1.153.312,63 euros.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Au regard de la situation financière de la société océan brun, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;
Déclare irrecevables les demandes de résiliation judiciaire du bail en date du 13 et 15 avril 2010 liant la société Océan brun et la société Immona, d'expulsion et de fixation d'une indemnité d'occupation formées par la société Immona ;
Déclare irrecevable la demande de liquidation d'astreinte formées par la société Immona ;
Déclare irrecevable la demande au titre de l'absence d'enseigne formée par la SELAFA MAJ prise en la personne de Maître [D] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Océan brun ;
Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SELAFA MAJ prise en la personne de Maître [D] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Océan brun relative à la demande au titre de l'arriéré locatif actualisé à la date du 23 novembre 2021 ;
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire le 14 septembre 2021 (RG 18/05045) en ce qu'il a dit que le commandement de payer du 15 mars 2018 est dépourvu d'effet, condamné la société Immona à payer à la société Océan brun la somme de 25.000 euros en réparation des sinistres d'inondation subis, ordonné la compensation des créances réciproques, rejeté la demande de la société Immona de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, condamné la société Océan brun aux dépens et l'infirme pour le surplus ;
Statuant de nouveau,
Fixe à la somme de 1.153.312,63 euros la créance locative de la société Immona arrêtée au 23 novembre 2021 ;
Y ajoutant,
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens d'appel qu'elle a exposés.