CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 25 avril 2024, n° 23/07509
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Sarl Virage Sud (SARL)
Défendeur :
Fondation Omfoundation - Fondation d'Entreprise
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gerard
Conseillers :
Mme Combrie, Mme Vincent
Avocats :
Me Henry-Volfin, Me Charlent
EXPOSE DU LITIGE
Le 11 octobre 2022 la Fondation d'entreprise OMFondation, créée par la société Olympique de Marseille, souhaitant décliner une marque « Droit au c'ur » dans le cadre de ses activités, a déposé les marques figuratives « OM Fondation droit au c'ur » et « OM droit au c'ur ».
Le 27 octobre 2022, estimant que la société Virage Sud, elle-même titulaire de la marque verbale « Droit au c'ur » n'en faisait pas un usage sérieux, OMFondation a formé une demande de déchéance auprès de l'Institut national de la propriété industrielle de la marque verbale enregistrée le 27 novembre 2009 sous cet intitulé en classes 16, 24 et 25 par la société Virage Sud.
Par décision du 30 mai 2023 le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle a prononcé la déchéance de la marque « [6] au c'ur » déposée par la société Virage Sud, à compter du 27 octobre 2022, après avoir constaté qu'en l'absence de toute réponse du titulaire de la marque il n'existait aucune preuve de l'usage sérieux de cette marque.
Par déclaration enregistrée le 6 juin 2023 la société Virage Sud a formé un recours à l'encontre de la décision.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 12 décembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Virage Sud (SARL) demande à la cour de :
Vu les articles L.714-4, L.714-5, L.716-1-1, L.716-3-1 et suivants,
Vu les articles R.716-6 et suivants du Code de la propriété intellectuelle,
Vu la jurisprudence applicable, et notamment vu l'arrêt de la Cour de cassation en date
du 12 mai 2021,
Vu les pièces produites aux débats,
Dire n'y avoir lieu à prononcer la caducité du présent recours au vu de la régularisation intervenue par l'envoi en LRAR par l'appelant de ses écritures et pièces à l'INPI le 6 novembre 2023,
Infirmer la décision rendue par l'INPI le 30 mai 2023 en toutes ses dispositions,
En conséquence,
Constater que la SARL Virage Sud justifie parfaitement de l'usage sérieux de la marque DROIT AU COEUR dont elle est titulaire depuis le 21 juin 2009, sur la période ininterrompue de 5 ans précédant la demande en déchéance formée par l'intimée devant l'INPI, soit entre le 27 octobre 2017 et le 27 octobre 2022,
Rejeter la demande en déchéance formée par OM Fondation à l'encontre de la marque DROIT AU COEUR appartenant à la SARL Virage Sud, et enregistrée auprès de l'INPI à la date du 21 juin 2009 sous le numéro 3658786,
Débouter OM Fondation de sa demande de condamnation fondée sur l'article L.716-1-1 du Code de la Propriété intellectuelle,
A titre reconventionnel,
Prononcer la nullité des marques déposées par OM Fondation, ' OM Droit au Coeur ' (n°4903930) et ' OM Fondation Droit au Coeur ' (n°4903925), pour l'ensemble des produits visés dans l'enregistrement de la marque antérieure « DROIT AU COEUR » déposée par la SARL Virage Sud le 21 mai 2009, soit pour les produits des classes 16, 24 et 25.
Condamner OM Fondation à verser à la SARL Virage Sud une somme de 4.000€ par application de l'article 700 du CPC,
Condamner OM Fondation aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître [U] [I], sur ses affirmations de droit.
Au soutien de son appel, la société Virage Sud fait valoir en premier lieu, s'agissant de la caducité de son recours, qu'aux termes d'un arrêt rendu le 12 mai 2021 la Cour de cassation a jugé que les exigences de forme de l'article R.411-21 du code de la propriété intellectuelle pouvaient faire l'objet d'une régularisation ultérieure.
Ainsi, se référant à l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et aux particularités de la procédure, la société Virage Sud fait valoir que l'obligation imposée par l'article R.411-29 du code de la propriété intellectuelle doit pouvoir être régularisée conformément à l'article 126 du code de procédure civile.
Elle souligne que le principe de sécurité juridique et le principe du contradictoire sont parfaitement respectés, et qu'interdire une régularisation constituerait une atteinte disproportionnée à son droit d'accès à un tribunal et entraînerait un défaut d'équité flagrant.
La société Virage Sud fait ainsi valoir que la communication de ses conclusions par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à l'Institut national de la propriété industrielle le 6 novembre 2023 a permis la régularisation de la procédure.
En second lieu, s'agissant de l'usage sérieux de la marque « Droit au c'ur », la société Virage Sud soutient qu'elle démontre, au moyen des factures de ses fournisseurs, qu'elle a fait un usage sérieux de sa marque entre le 27 octobre 2017 et le 27 octobre 2022, et même au-delà.
Elle sollicite donc l'infirmation de la décision de l'Institut national de la propriété industrielle, et à titre reconventionnel, elle invoque la nullité des marques de OMFondation comprenant les termes « droit au c'ur » eu égard au dépôt effectué en classes 16, 24 et 25 pour des produits parfaitement identiques et des signes présentant des similitudes, entretenant dès lors une confusion.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 21 novembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, OMFondation, fondation d'entreprise, demande à la cour de :
A titre principal, in limine litis :
Après avoir constaté que la SARL Virage Sud n'a pas respecté les dispositions de l'article R.411-29 du code de propriété intellectuelle :
Déclarer caduc l'acte du 6 juin 2023 par lequel la SARL Virage Sud a formé recours contre la décision du Directeur Général de l'INPI n° du DC 22-0174/ GB en date 30 mai 2023,
Et en conséquence, rejeter le recours formé par la SARL Virage Sud avec toutes les conséquences de droit,
A défaut, si la cour d'appel rejetait la caducité du recours :
Après avoir constaté que la SARL Virage Sud n'apporte aucune preuve de l'usage réel, continu et sérieux de la marque « droit au c'ur » et méconnaît l'effet limité de l'appel et la compétence de la Cour :
Confirmer la décision du Directeur Général de l'INPI n° du DC 22-0174/ GB en date 30 mai 2023 décidant que la SARL Virage Sud est déclarée déchue de ses droits sur la marque n°3658786 à compter du 27 octobre 2022 pour l'ensemble des produits désignés dans l'enregistrement ;
Et ainsi prononcer la déchéance des droits de la SARL Virage Sud sur la marque « droit au c'ur » n°3658786 à compter du 27 octobre 2022 pour l'ensemble des produits désignés dans l'enregistrement ;
Rejeter les demandes reconventionnelles de la SARL Virage Sud,
Rejeter le recours formé par la SARL Virage Sud avec toutes les conséquences de droit,
Et, en tout état de cause,
Condamner la SARL Virage Sud à verser la somme de 4.500 euros à OMFondation - Fondation d'entreprise au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la SARL Virage Sud aux entiers dépens.
En réponse, OMFondation soutient que le recours est caduc à défaut de communication par la société Virage Sud de ses conclusions à l'Institut national de la propriété industrielle dans les délais impartis et elle ajoute que seule la force majeure permet d'échapper à la caducité.
Sur le fond, OMFondation maintient que la société Virage Sud n'apporte pas la preuve d'un usage réel, sérieux et continu de sa marque verbale au visa de l'article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle. Elle fait ainsi observer que bien que la marque soit enregistrée depuis 14 ans, la société Virage Sud ne produit que six factures de fournisseurs sans preuve d'une mise réelle sur le marché.
Enfin, OMFondation soulève l'irrecevabilité des demandes nouvelles de la société Virage Sud tendant à voir prononcer la nullité des marques « OM Fondation droit au c'ur » et « OM droit au c'ur » et ce, sur le fondement de l'article 562 du code de procédure civile.
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Par dernières observations du 9 janvier 2024 le directeur de l'Institut [7] relève que le recours formé par la société Virage Sud est caduc au visa de l'article R.411-29 du code de la propriété intellectuelle dès lors que celle-ci aurait dû lui transmettre ses conclusions dans les trois mois de l'acte de recours, soit avant le 6 septembre 2023, ce qu'elle n'a fait que postérieurement, soit le 6 novembre 2023.
Le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle soutient que cette transmission, postérieure au délai de trois mois imparti au requérant, n'est pas de nature à régulariser la procédure, alors même que la société Virage Sud ne justifie d'aucun cas de force majeure qui l'aurait empêchée de procéder à la formalité requise.
Le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle ajoute que l'arrêt cité par la société Virage Sud n'est pas transposable et qu'il a été jugé que la caducité prévue à l'article R.411-29 ne constituait pas une sanction disproportionnée au sens de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme.
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Le Ministère Public, selon un avis du 31 janvier 2024, sollicite la confirmation de la décision rendue par le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle en déchéance de la marque [6] au c'ur et fait observer que le recours est caduc.
MOTIFS
Sur la caducité du recours :
Aux termes de l'article R.411-29 du code de la propriété intellectuelle, applicable à compter du 1er avril 2020, à peine de caducité de l'acte de recours, relevée d'office, le demandeur dispose d'un délai de trois mois à compter de cet acte pour remettre ses conclusions au greffe.
Sous la même sanction et dans le même délai, il adresse ses conclusions par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle et en justifie auprès du greffe.
En l'espèce, la société Virage Sud, à l'origine du recours formé le 6 juin 2023 à l'encontre de la décision de l'Institut national de la propriété industrielle prononçant la déchéance de sa marque « droit au c'ur », ne conteste pas que ses conclusions ont été adressées le 6 novembre 2023 à l'Institut, soit au-delà du délai de trois mois imparti par l'article susvisé. Elle invoque la régularisation de la procédure résultant de ses conclusions du 6 novembre.
Pour autant, conformément aux dispositions de l'article R.411-36 du même code, la société Virage Sud ne justifie d'aucune circonstance de force majeure autorisant que la sanction prévue par l'article R.411-29 en cas de non-respect des modalités de notification soit écartée.
En outre, s'il a été jugé, sous l'empire de l'ancienne loi, que l'omission de certaines mentions devant figurer à peine de nullité à l'acte de recours contre les décisions de l'Institut national de la propriété industrielle pouvaient faire l'objet d'une régularisation dans les conditions de l'article 126 du code de procédure civile, il convient de relever que la caducité ne sanctionne pas une irrégularité de l'acte de recours mais l'inaccomplissement par l'une des parties d'une formalité impartie dans un délai de rigueur, et n'est dès lors pas susceptible de régularisation par nature.
Enfin, la société Virage Sud se prévaut des dispositions de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 aux termes desquelles « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial (..) ». Elle dénonce une atteinte à son droit d'accès à un tribunal en l'absence de régularisation et le caractère disproportionné de la sanction..
Néanmoins, après avoir relevé que les règles de procédure impartissant des délais et des modalités de notification entre parties au procès ont pour objectif d'assurer le principe du contradictoire et de favoriser l'examen des litiges dans des délais raisonnables, après avoir relevé également que la procédure relève de la représentation obligatoire par avocat, que la société Virage Sud n'a pas davantage usé de son droit de réponse dans le cadre de l'instruction préalable et contradictoire devant l'Institut national de la propriété industrielle et qu'enfin, les dispositions du code de la propriété intellectuelle aménagent d'ores et déjà la possibilité pour une partie de faire valoir un cas de force majeure pour échapper à la caducité, il y a lieu de juger que cette sanction ne peut être considérée en l'espèce comme disproportionnée au sens de l'interprétation qui a été faite de l'article 6-1 de la [4] européenne des droits de l'homme.
En conséquence, il y a lieu de déclarer caduc le recours formé par la société Virage Sud à l'encontre de la décision du directeur de l'Institut national de la propriété industrielle rendue le 30 mai 2023.
Sur les frais et dépens :
La société Virage Sud, partie succombante, conservera la charge des dépens et sera tenue de payer à OMFondation la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare caduc le recours formé par la société Virage Sud à l'encontre de la décision du directeur de l'Institut national de la propriété industrielle rendue le 30 mai 2023,
Condamne la société Virage Sud aux dépens,
Condamne la société Virage Sud à payer à OMFondation la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.