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Décisions

Cass. com., 2 mai 2024, n° 21-25.720

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Coricon

Avocat :

SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Douai, ch. 2 sect. 2, 21 oct. 2021

21 octobre 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 21 octobre 2021), courant 2016, la société Networks-Telecom.com a pris en crédit-bail quatre véhicules auprès de la société Volkswagen Bank. Par un jugement du 10 avril 2018, la société Networks[1]Telecom.com a été mise en redressement judiciaire et les contrats de crédit-bail ont été poursuivis. Le 22 mai 2018, la société Volkswagen Bank a déclaré sa créance et a adressé à sa locataire une lettre rappelant son droit de propriété et l'existence de loyers impayés.

2. Le 24 septembre 2019, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire. Par une requête du 16 janvier 2020, M. [Y], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Networks-Telecom.com, a saisi le juge-commissaire afin d'être autorisé à vendre aux enchères publiques les quatre véhicules pris en crédit-bail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société [Y] & Associés, désormais dénommée société Perspectives, ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'autorisation de vendre aux enchères publiques les biens litigieux et sa demande de versement du prix de ces biens à la liquidation et d'ordonner l'attribution définitive du produit de la vente des quatre véhicules à la société Volkswagen Bank, alors :

« 1°/ que le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, dans son courrier du 22 mai 2018 adressé au crédit-preneur bénéficiant d'une procédure de redressement judiciaire, intitulé "requête en revendication de propriété", le crédit-bailleur indiquait qu'il était créancier au titre des loyers impayés et à courir, qu'il avait effectué les "mesures de publicité obligatoire", qu'il entendait "donc faire valoir (son) droit de propriété sur les véhicules objets des contrats de

Crédit-Bail et revendiquer lesdits biens" en sorte que, si le courrier visait incidemment à ce que soit "autoris(ée) la restitution des véhicules", la demande consistait bien en une revendication, ce que confirmait encore l'affirmation selon laquelle "nous (i.e. le crédit-bailleur) vous précisons que cette revendication est faite pour préserver nos droits sur ces véhicules" ; qu'en jugeant néanmoins que la demande s'analysait en une demande de restitution et que l'emploi du terme revendiquer, pourtant mentionné à trois reprises, constituait une "pure maladresse rédactionnelle", la cour d'appel a dénaturé le courrier du 22 mai 2018, en violation du principe précité.

2°/ que à tout le moins, le débiteur, après accord du mandataire judiciaire, peut acquiescer à la demande en restitution et qu'en l'absence d'accord dans le délai d'un mois à compter de la demande ou en cas de contestation, le juge[1]commissaire peut être saisi à la diligence du propriétaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel avait constaté que ni le débiteur, ni la mandataire, n'avaient donné leur accord dans le délai d'un mois à la restitution des quatre voitures faisant l'objet du crédit-bail, ce qui imposait au crédit-bailleur de saisir le juge-commissaire s'il entendait récupérer les biens considérés et, corrélativement, lui interdisait de les appréhender par ses propres moyens, nul ne pouvant se faire justice à soi-même ; qu'en faisant droit à la demande d'attribution du prix de vente des quatre voitures à la société Volkswagen Pourvoi N°21-25.720-Chambre commerciale financière et économique 2 mai 2024 Bank, quand il résultait de ses propres constatations que les conditions prévues pour la restitution n'étaient pas remplies puisque, en l'absence d'accord, les biens considérés avaient été vendus par la société Volkswagen Bank qui avait ainsi, repris d'autorité les biens litigieux sans avoir obtenu l'autorisation préalable du juge, la cour d'appel a violé les articles L. 624-10 et R. 624-14 du code de commerce.

3°/ le juge doit, en toutes circonstances, faire respecter et respecter lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen selon lequel la prétention du liquidateur visant à se voir attribuer la contre-valeur des véhicules repris serait contraire aux dispositions de l'article R. 641-32 du code de commerce, sans inviter au préalable les parties, qui n'avaient jamais invoqué ce texte, à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.

4° / l'article R. 641-32 du code de commerce n'est applicable que lorsque les biens n'ont pas fait l'objet d'une demande de restitution ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même relevé que les quatre véhicules litigieux avaient fait l'objet d'une demande de restitution par la société Volkswagen Bank ; qu'en jugeant pourtant que l'article R. 641-32 du code de commerce était applicable et faisait obstacle à la demande du liquidateur visant à se voir attribuer la contre-valeur des véhicules repris, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte précité. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, c'est par une interprétation souveraine exclusive de dénaturation, rendue nécessaire par les termes ambigus de la lettre du 22 mai 2018, que la cour d'appel a retenu qu'elle s'analysait en une demande de restitution.

5. En second lieu, après avoir constaté que les contrats de crédit-bail en litige avaient été publiés régulièrement avant l'ouverture de la procédure collective, l'arrêt énonce d'abord que le crédit-bailleur était dispensé de la procédure de revendication et soumis à la procédure de restitution, prévue aux articles L. 624-10 et R. 624-14 du code de commerce.

Relevant ensuite qu'une demande de restitution avait été formalisée le 4 mai 2018 par la société Volkswagen Bank auprès de la débitrice et qu'aucune réponse n'avait été apportée à cette demande dans le délai d'un mois, il retient que l'absence de réponse du débiteur ne vaut pas refus de restitution. Il ajoute que, bien que le crédit-bailleur n'ait pas saisi le juge-commissaire d'une requête en restitution, laquelle n'est qu'une simple faculté ouverte au propriétaire dispensé de faire reconnaître son droit de propriété, les véhicules n'étant pas entrés dans le gage commun des créanciers, ils ne pouvaient être vendus aux enchères publiques avec versement du prix entre les mains du liquidateur judiciaire sur le fondement des dispositions de l'article L. 642-19 du code de commerce.

6. De ces énonciations, constatations et appréciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisièmes et quatrième branche, la cour d'appel a exactement déduit que les demandes du liquidateur, tendant à être autorisé à vendre aux enchères publiques les biens litigieux et à appréhender le prix de vente au profit de la liquidation judiciaire, devaient être rejetées.

7. Le moyen, inopérant en ses troisième et quatrième branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.