CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 26 avril 2024, n° 22/08544
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Micr'eau (SAS)
Défendeur :
Groupe Eau Pure International (SAS), Epi EauPure International (Sasu), Micr'Eau (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Lehmann, Mme Marcade
Avocats :
Me Grappotte-Benetreau, Me Leynon, Me Boccon-Gibod, Me Gomes
Vu le jugement contradictoire rendu le 17 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Paris,
Vu l'appel interjeté le 27 avril 2022 par M. [T] [S],
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 20 juillet 2023 par M. [S], appelant à titre principal et intimé à titre incident, et la société Micr'eau, intimée à titre principal et appelante incidente,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 21 juin 2023 par la société EPI Eaupure International et M. [Y] [M] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société EPI Eaupure International, Mme [V] [R] [H], et la société Groupe Eau Pure International, intimés à titre principal et appelants à titre incident,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 28 septembre 2023.
SUR CE, LA COUR
Il est expressément renvoyé pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
M. [S] indique intervenir dans le domaine du traitement de l'eau depuis plus de 25 ans aussi bien en France qu'à l'étranger et notamment au Chili et expose avoir créé plusieurs sociétés ayant ce domaine d'activité.
La société Micr'eau est l'une de ces sociétés et M. [S] en est toujours le président. Cette société est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris depuis le 14 avril 1999 sous le n° 422 599 779 avec pour activité mentionnée « Conception, réalisation, mise en route et maintenance de traitement d'eau et de biogaz ».
M. [S] a également créé une société dénommée L'eau Pure Internationale, dont il était le gérant, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Lille depuis le 28 juillet 2005 sous le n° 483 449 625. Suivant jugement du 19 décembre 2013 une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'encontre de cette société.
La société EPI Eau Pure Internationale (ci-après EPI) constituée au mois de décembre 2013 afin de reprendre les actifs de la société L'eau Pure Internationale est immatriculée au registre du commerce sous le n° 799 361621 avec pour gérante Mme [H] [V] [R]. Suivant jugement du 19 février 2018 une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au bénéfice de cette entité convertie en liquidation judiciaire par jugement du 16 janvier 2019. La Selurl [M] [Y] prise en la personne de Maître [M] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
La société Groupe Eau Pure International (ci-après GEPI) est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Pontoise depuis le 5 août 2015 sous le n° 812 798 585. Elle a pour présidente Mme [H] [V] [R].
Par acte de cession du 1er décembre 2015 la société GEPI a racheté l'intégralité des actions de la société EPI qui étaient détenues à cette date par les sociétés Redwood Holding et Solareo. La société GEPI devenait alors seule actionnaire de la société EPI.
Dans le cadre de ces reprises, M. [S] a été engagé d'abord avec une mission d'assistance, sans que le contrat ne soit produit au débat, puis par contrat de travail en qualité de directeur commercial export conclu avec la société GEPI. Il a été salarié de la société GEPI du 1er novembre 2015 au 31 mars 2016 puis ensuite salarié de la société EPI du 1er avril 2016 au 28 avril 2017.
Courant 2017, les relations se sont détériorées entre M. [S] et Mme [H] qui s'inquiétait de ses contacts et voyages au Chili sans résultat pour la société GEPI. Il a été mis fin au contrat de travail de M. [S] le 28 avril 2017 par une rupture qui a été qualifiée par la cour d'appel de Douai par arrêt du 29 avril 2022, confirmant sur ce point un jugement du conseil des prud'hommes de Lille, de démission donnée par le salarié.
Par acte d'huissier de justice du 4 janvier 2018, la société EPI, la société GEPI et Mme [H] reprochant à M. [S] d'avoir créé ou financé au Chili des sociétés concurrentes d'EPI, les sociétés Acuatierra et Arsepur, et de détourner massivement les clients de la société EPI en les contactant depuis son adresse mail personnelle et en les orientant vers sa société Micr'eau, ont fait assigner M. [S] et la société Micr'eau devant le tribunal judiciaire de Paris en concurrence déloyale.
Maître [Y] [M], ès-qualités, est intervenu à la procédure et représente aujourd'hui la société en qualité de liquidateur judiciaire.
Par une première ordonnance du 19 décembre 2019, le juge de la mise en état a écarté une exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce et par une seconde ordonnance du 8 avril 2021 a rejeté une demande d'irrecevabilité de pièces, ainsi qu'une demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale engagée par M. [S] et la société Micr'eau par une plainte déposée avec constitution de partie civile près le tribunal judiciaire de Paris le 16 novembre 2020.
C'est ainsi que le jugement dont appel rendu le 17 mars 2022 a :
- débouté M. [S] de sa demande de rejet des pièces adverses n° 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 25, 26, 33, 34 et 35,
- dit que M. [S] a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société EPI Eaupure International en détournant, en qualité de salarié ou d'ancien salarié de cette société, sa clientèle au profit de sociétés tierces, dans lesquelles il a des intérêts,
- dit que M. [S] a commis des actes de concurrence déloyale en soumissionnant à un même appel d'offres (Sembcorp) pour le compte de la société Arsepur dont il est associé et pour le compte de la société EPI Eaupure International en qualité de salarié,
- dit que M. [S] a commis une faute à l'encontre de Mme [V] [R] [H] en se présentant comme le dirigeant de la société EPI Eaupure International,
- dit que la société Micr'eau a commis des actes de concurrence déloyale en détournant la clientèle de la société EPI Eaupure International, en se présentant comme étant liée à cette dernière,
- rejeté la demande d’expertise judiciaire formée par Mme [V] [R] [H], la société EPI Eaupure International et la société Groupe Eau Pure International (GEPI),
- condamné M. [T] [S] à payer à la société EPI Eaupure International, représentée par Me [Y] [M], ès qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 20 000 euros en réparation de la perte de chance de remporter le marché Sembcorp,
- condamné M. [T] [S] à payer à Mme [V] [R] [H] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- débouté Mme [V] [R] [H], la société EPI Eaupure International et la société Groupe Eau Pure International (GEPI) de leurs demandes formées à l'encontre de la société Micr'eau,
- débouté Mme [V] [R] [H], la société EPI Eaupure International et la société Groupe Eau Pure International (GEPI) de leurs autres demandes indemnitaires formées à l'encontre de M. [T] [S],
- débouté Mme [V] [R] [H], la société Eau Pure Internationale (EPI) et la société Groupe Eau Pure International (GEPI) de leur demande de publication de la présente décision,
- condamné Mme [V] [R] [H] à payer à M. [T] [S] et à la société Micr'eau la somme de 1 000 euros chacun, en réparation du préjudice résultant d'actes de dénigrement commis à leur encontre,
- débouté M. [T] [S] et la société Micr'eau de leurs demandes de condamnation des sociétés EPI Eaupure International et Groupe Eau Pure International (GEPI) fondées sur le dénigrement,
- débouté M. [T] [S] et la société Micr'eau de leur demande en abus de droit d'agir en justice,
- condamné M. [T] [S] à payer à Mme [V] [R] [H], la société EPI Eaupure International, représentée par Me [Y] [M], ès qualités de liquidateur judiciaire, et la société Groupe Eau Pure International (GEPI) la somme totale de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [T] [S] aux dépens de l’instance,
- admis Me du Granrut au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
M. [S], appelant à titre principal et intimé à titre incident et la société Micr'eau, intimée à titre principal par M. [S], demandent à la cour de :
- infirmer le jugement et statuant à nouveau :
- rejeter les pièces communiquées par la société GEPI, Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI, et Mme [H] numéros 10, 11, 25 et 26, non traduites donc incompréhensibles, et numéros 12, 13, 14, 15, 16, 32, 33, 34 et 35 pour lesquelles les sociétés EPI, GEPI et Mme [H] n'ont fourni aucune explication malgré la sommation notifiée le 30 octobre 2020,
- voir constater l'absence de preuve :
- de toute faute imputable à M. [S] et à la société Micr'eau,
- du préjudice allégué par la société GEPI, Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI, et Mme [H],
- d'un quelconque lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués par la société GEPI, Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI, et Mme [V], [R] [H],
En conséquence,
- voir constater l'absence de tout acte de concurrence déloyale imputable à M. [T] [S], et/ou à la société Micr'eau,
En conséquence,
- débouter la société GEPI, Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI, et Mme [H] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- déclarer les sociétés EPI, GEPI et Mme [H] irrecevables en leurs prétentions avant dire-droit aux fins d'expertise et de condamnation provisionnelle au paiement de :
640 000 euros à la société EPI Eaupure International au titre d'un détournement de clientèle sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil,
100 000 euros à Mme [H] au titre de la perte de rémunération,
25 000 euros à Mme [H] au titre du préjudice moral subi,
- débouter les sociétés EPI, GEPI et Mme [H] de leur demande d'expertise, indéterminée en sa spécialité et en sa mission, sur le fondement des articles 143 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
- débouté les société EPI, GEPI et Mme [H] de leurs demandes d'expertise et de provision,
- débouté les sociétés EPI, GEPI et Mme [H] de leurs demandes de publication,
- débouté les intimés de leurs demandes contre la société Micr'eau,
A titre reconventionnel,
- juger l'action abusivement initiée au sens de l'article 32-1 du code de procédure civile,
- constater les pratiques déloyales et de dénigrement commis par les sociétés EPI, GEPI et Mme [H],
En conséquence,
- condamner in solidum la société GEPI, Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI, et Mme [H] à verser à M. [S] et à la société Micr'eau, la somme à chacun de 5 000 euros pour procédure abusive,
- condamner in solidum la société GEPI, Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI, et Mme [H] à verser à la société Micr'eau, la somme de 170 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice moral subi du fait du dénigrement et des différentes enquêtes dont elle a fait l'objet et de la perte de chance d'obtenir les marchés Aguas Andinas, Sembcorp, Aeroport [Localité 12] ( [10]), Antural Response, Siaap Gazometre,
- condamner in solidum la société GEPI, Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI, et Mme [H] à verser à M. [S] et à la société Micr'eau la somme de 50 000 euros à chacun à titre d'indemnisation de leur préjudice moral subi du fait du dénigrement et des différentes enquêtes dont ils ont fait l'objet,
En conséquence,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 17 mars 2022,
- condamner in solidum la société GEPI, Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI, et Mme [H] à verser à la société Micr'eau d'une part, et M. [S] d'autre part, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum la société GEPI, Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI, et Mme [H] en tous les dépens et autoriser la SCP Grappotte-Benetreau à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.
Mme [H], la société EPI et Me [M], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société EPI, intimés à titre principal et appelants à titre incident demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
- débouté M. [S] de sa demande de rejet des pièces adverses n° 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 25, 26, 33, 34 et 35,
- dit que M. [S] a commis des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la société EPI en détournant, en qualité de salarié ou d`ancien salarié de cette société, sa clientèle au profit de sociétés tierces, dans lesquelles il a des intérêts,
- dit que M. [S] a commis des actes de concurrence déloyale en soumissionnant à un même appel d'offres (Sembcorp) pour le compte de la société Arsepur dont il est associé et pour le compte de la société EPI en qualité de salarié,
- dit que M. [S] a commis une faute à l'encontre de Mme [H] en se présentant comme le dirigeant de la société EPI Eaupure International,
- dit que la société Micr'eau a commis des actes de concurrence déloyale en détournant la clientèle de la société EPI, en se présentant comme étant liée à cette dernière,
- rejeté la demande d’expertise judiciaire formée par Mme [H], la société EPI et la société GEPI,
- débouté M. [S] et la société Micr'eau de leurs demandes de condamnation des sociétés EPI et GEPI fondées sur le dénigrement,
- débouté M. [S] et la société Micr'eau de leur demande en abus de droit d'agir en justice,
- condamné M. [S] à payer à Mme [H], la société EPI, représentée par Me [M], ès qualités de liquidateur judiciaire, et la société GEPI la somme totale de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [S] aux dépens de l`instance,
- admis Me du Granrut au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- condamné M. [S] à payer à la société EPI, représentée par Me [Y] [M], ès qualités de liquidateur judiciaire, la seule somme de 20 000 euros en réparation du préjudice de concurrence déloyale,
- condamné M. [S] à payer à Mme la seule somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- débouté Mme [H], la société EPI et la société GEPI de leurs demandes formées à l'encontre de la société Micr'eau ;
- débouté Mme [H], la société EPI et la société GEPI de leurs autres demandes indemnitaires formées à l'encontre de M. [S],
- condamné Mme [H] à payer à M. [S] et à la société Micr'eau la somme de 1 000 euros chacun, en réparation du préjudice résultant d'actes de dénigrement commis à leur encontre,
Et statuant à nouveau,
- condamner M. [S] à verser à la société EPI la somme de 325 475 euros in solidum avec la société Micr'eau à hauteur de 65 580 euros au titre du manque à gagner issu des détournements de marchés,
- condamner la société Micr'eau et M. [S] in solidum à verser à Mme [H] les sommes suivantes :
- 182 000 euros au titre de la perte de rémunération et absence de remboursement des comptes courants d'associés,
- 25 000 euros au titre du préjudice moral subi,
- condamner la société Micr'eau et M. [S] in solidum à verser au Groupe EPI la somme de 61 000 euros dans le rachat des parts de la société EPI qu'il lui sera impossible de récupérer compte tenu de la procédure collective ouverte à l'encontre de la société EPI,
En tout état de cause,
- débouter les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner in solidum M. [S] et la société Micr'eau à payer à la société EPI la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner in solidum M. [S] et la société Micr'eau aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris Versailles, représentée par Me Matthieu Boccon-Gibod, avocat aux offres de droit en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.
La cour observe que les intimés ne demandent plus en cause d'appel qu'une expertise judiciaire soit ordonnée, ni de condamnations provisionnelles dans l'attente de cette expertise. Il n'est pas formé non plus de demande de publication. Ainsi sont irrévocables les chefs du jugement qui n'ont pas fait droit à ces demandes.
Sur les demandes tendant à voir rejeter des débats certaines pièces
Sur les pièces en espagnol
Les appelants demandent le rejet des pièces numéros 10, 11, 25 et 26 des intimés qui seraient non traduites et donc incompréhensibles.
Pour autant les pièces 25 et 26 ont fait l'objet d'une traduction libre, dont la teneur n'est pas contestée par les appelants, communiquées en pièces 25 bis et 26 bis et n'ont dès lors pas à être écartées du débat.
Les pièces 10 et 11 sont des tableaux constitués de noms de projets, de clients et de chiffres et de pourcentages compréhensibles sans traduction et de quelques passages traduits pour la pièce 10.
Il n'y a dès lors pas lieu de faire droit à la demande des appelants de rejet de ces pièces et la cour appréciera la force probante de ces pièces au regard notamment, s'agissant des pièces 10 et 11, de la compréhension que l'on peut en avoir en l'absence de traduction complète.
Sur les pièces pouvant être protégées par le secret des correspondances privées et le secret des affaires
Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions les appelants demandent également le rejet des pièces des intimés numéros 12, 13, 14, 15, 16, 32, 33, 34 et 35 « pour lesquelles les sociétés EPI, GEPI et Mme [H] n'ont fourni aucune explication malgré la sommation notifiée le 30 octobre 2020 ».
Dans la motivation de leurs écritures, les intimés précisent que ces pièces auraient été transférées frauduleusement à une société IntelligencEco et à M. [P] [G] par Mme [H] et que certaines d'entre elles seraient couvertes par la protection du secret des affaires prévue à l'article L. 151-1 du code du commerce.
Pour autant, la cour constate qu'aucune sommation de communiquer du 30 octobre 2020 n'est produite au débat et surtout qu'en tout état de cause le défaut de réponse à la sommation ne peut valoir motif à rejeter des pièces.
La charge de la preuve des violations invoquées incombe aux appelants qui demandent le rejet de pièces régulièrement communiquées.
Or les premiers juges ont effectué une analyse exacte et pertinente des pièces litigieuses, que la cour adopte, et ont conclu qu'il s'agissait de pièces régulièrement obtenues par Mme [H] qui en avait été destinataire, ce que ne contestent pas les appelants, et que le fait que ces pièces aient été ensuite transférées par celle-ci à la société IntelligencEco ou à M. [G] était sans incidence sur leurs recevabilités au débat.
Par ailleurs, les appelants n'explicitent pas en quoi, au jour de leur production en justice, les pièces numérotées 34 et 35 violents le secret des affaires tel que prévu à l'article L. 151-1 du code du commerce. Le seul fait que la pièce 34 mentionne en haut des pages « document confidentiel » ne peut suffire à empêcher sa production régulière dans la présente procédure.
Dès lors, le jugement qui a débouté M. [S] de sa demande de rejet des pièces adverses n° 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 25, 26, 33, 34 et 35 est confirmé de ce chef sauf à ajouter que la société Micr'eau est également déboutée de cette demande.
Sur la concurrence déloyale et autres fautes reprochées à M. [S] et à la société Micr'eau.
La cour rappelle que fondée sur les dispositions des article 1240 et 1241 du code civil, la responsabilité née d'une concurrence déloyale suppose la réunion de trois éléments : une faute commise par la personne dont la responsabilité est recherchée, un dommage et un lien de causalité entre le dommage et le comportement fautif. La charge de la preuve incombe en l'espèce aux intimés.
Sur les actes de concurrence déloyale commis par M. [S] à l'encontre de la société EPI.
Les premiers juges ont retenu que M. [S] a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société EPI Eaupure International d'une part, en détournant en qualité de salarié ou d`ancien salarié de cette société, sa clientèle au profit de sociétés tierces, dans lesquelles il a des intérêts et d'autre part, en soumissionnant à un même appel d'offres (Sembcorp) pour le compte de la société Arsepur dont il est associé et pour le compte de la société EPI en qualité de salarié.
Les intimés demandent la confirmation du jugement de ces chefs, ne reprenant pas devant la cour les autres griefs qu'ils avaient formulés en première instance et qui n'ont pas été retenus par le jugement.
Les appelants, à titre principal, opposent le classement sans suite des plaintes pénales, portant selon eux sur les mêmes faits, déposées d'une part en France le 18 mai 2017 et d'autre part au Chili le 18 octobre 2017, respectivement classées sans suite le 7 juin 2022 et le 14 juin 2021.
Pour autant, même si la matérialité de certains faits reprochés dans le cadre de la présente procédure sont communs à ceux des plaintes pénales déposées en France pour le délit d'escroquerie et au Chili pour les délits d'escroquerie et de faux, une décision de classement sans suite par le parquet ne peut avoir aucune incidence sur la décision à venir de la présente juridiction civile saisie. Les procès-verbaux des services de police qui tendent à démontrer l'insuffisance de preuves pour caractériser une infraction pénale produits au débat ne justifient pas plus d'une absence de faute civile.
Il ressort des éléments versés au débat, non contestés, et comme retenu par les premiers juges que :
- la société de droit chilien Acuatierra, enregistrée au registre du commerce de Santiago le 28 novembre 2006 et spécialisée dans le traitement de l'eau et des déchets de tous types a été créée par une société appartenant à M. [S] et deux autres associés.
- la société de droit chilien Arsepur, enregistrée au registre du commerce de Santiago le 28 avril 2016 et spécialisée dans la fourniture de services de maintenance et de remplacement des médias filtrants de station de potabilisation, a été créée par M. [T] [S] et deux autres associés,
M. [S] entend démontrer qu'il n'avait à compter du mois de juin 2011 plus aucun intérêt dans la société Acuatierra. Cependant les deux pièces qu'il produit à cette fin, une simple promesse de vente de cession des parts sociales et un document de « transfert » non traduit et non daté, ne peuvent suffire à apporter cette preuve.
Or, la simple participation en qualité d'associé à des sociétés chiliennes même concurrentes à la société EPI ne suffit pas à caractériser la concurrence déloyale, il appartient à la société EPI qui l'allègue de démontrer que ces sociétés ont bénéficié d'un détournement de clientèle commis par M. [S] alors salarié de la société EPI.
Les intimés prétendent sans le démontrer utilement que les clients ou prospects de la société EPI ont été détournés petit à petit au profit des sociétés Acuatierra et Arsepur présentées comme des partenaires locaux sans dévoiler leurs liens avec M. [S].
Pour autant, aucune des pièces communiquées numérotées 14 à 21 supposées venir justifier ce détournement ne permet à la cour de confirmer la réalité de détournements de clientèle alors même que la teneur exacte de ces détournements n'est pas précisée par les écritures des intimés.
En revanche, il ressort des éléments produits au débat que la société Arsepur et la société EPI, sous l'impulsion de M. [S], ont répondu simultanément en décembre 2016 à deux appels d'offres émis par la société Sembcorp. Le projet présenté par la société Arsepur concernait la « planta de remocion de arsenico de [Localité 13] », tandis que celui de la société EPI concernait la « planta dc remocion de arsenico de [Localité 8] ».
Il est également justifié du fait que quelques mois plus tard, en mai 2017, alors qu'il venait d'être mis un terme au contrat de travail de M. [S], la société Arsepur a modifié son dossier de candidature, dès lors intitulé « plantas de remocion de arsenico de [Localité 13] y [Localité 8] » et que le marché a effectivement été remporté par la société Arsepur.
Ces agissements déloyaux de M. [S] ont dès lors entraîné une perte de chance de remporter le marché pour la société EPI alors qu'il n'est pas démontré par M. [S] que celle-ci se serait volontairement détournée de tout marché au Chili.
Le jugement qui a justement estimé à la somme de 20 000 euros le préjudice subi par la société EPI au titre de la perte de chance et condamné M. [S] au paiement de cette somme doit être confirmé de ce chef.
Les premiers juges doivent également être approuvés en ce qu'ils ont jugé que la société Micr'eau était étrangère à ces faits et ne devait pas être condamnée et constaté que n'étaient pas suffisamment établis le détournement du marché de la société Aguas Andinas et les autres faits de détournement allégués.
Enfin n'est pas non plus justifié le détournement du marché dénommé MBBR Ethipia qui n'avait pas été soumis aux premiers juges et pour lequel aucun élément probant n'est fourni.
Sur la faute commise par M. [S] à l'encontre de Mme [H].
Le tribunal a retenu que M. [S] a commis une faute à l'encontre de Mme [H] en se présentant comme le dirigeant de la société EPI Eaupure International. Il a condamné M. [S] à payer à Mme [H] la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral ainsi subi.
M. [S] sollicite l'infirmation du jugement de ce chef.
Les conclusions d'appel de Mme [H] ne contiennent aucune démonstration d'une telle faute, ni d'allégation d'un préjudice moral subi de ce chef, qui n'étaient pas non plus précisées dans la motivation du jugement dont appel.
La demande contenue dans les écritures des intimés de voir augmenter la condamnation au titre du préjudice moral de Mme [H] à 25 000 euros au lieu de 10 000 euros n'est justifiée que par les efforts qu'elle aurait vainement dû déployer pour redresser la situation de la société EPI et la perte de son investissement saboté par M. [S] qui ne lui aurait laissé aucune chance de redresser la société.
Ainsi si la confirmation du jugement est demandée au dispositif des conclusions quant à la faute commise à l'encontre de Mme [H] par M. [S] en se présentant comme le dirigeant de la société EPI Eaupure International, aucun élément n'est apporté à l'appui de cette demande ni dans le jugement attaqué, ni dans les écritures des intimés.
Par ailleurs, le jugement a, par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, rejeté la demande tant au regard d'un préjudice moral que d'un préjudice financier de Mme [H] fondée sur l'existence de créances de Mme [H] envers la société EPI à hauteur de 70 666 euros au titre de son compte courant et de 102 000 euros relatifs à des cautions personnelles données pour des contrats de la société EPI.
Il n'est en effet pas justifié que le dépôt de bilan de la société EPI est le fait d'agissements de M. [S].
Dès lors les demandes indemnitaires au profit de Mme [H] sont intégralement rejetées et le jugement infirmé en ce qu'il a condamné M. [S] à lui payer une somme de 10 000 euros.
Sur la demande de condamnation de M. [S] et de la société Micr'eau formée par la société GEPI
La société GEPI demande la condamnation in solidum de M. [S] et de la société Micr'eau à lui verser la somme de 61 000 euros correspondant au montant versé pour le rachat des parts de la société EPI qu'elle ne pourra récupérer du fait de la procédure collective.
Pour autant ni la réalité de ce préjudice, ni la faute de M. [S] ou de la société Micr'eau ne sont justifiées.
Le jugement qui a débouté la société GEPI de cette demande est confirmé de ce chef.
Sur les demandes de M. [S] et de la société Micr'eau à l'encontre de la société GEPI, de Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI et de Mme [H] au titre d'actes de dénigrement
M. [S] et la société Micr'eau demandent la condamnation in solidum de la société GEPI, Me [M] ès qualités et Mme [H] pour des faits de dénigrements.
Les premiers juges ont retenu ces faits au vu d'un courriel adressé par Mme [H] le 25 octobre 2018 à un client de la société Micr'eau par lequel elle expose que différents litiges en cours l'opposent à M. [S] « dont un concernant justement une concurrence déloyale par usurpation d'identité auprès de nos clients ».
La cour rappelle que le dénigrement qui peut être poursuivi sur le fondement de l'article 1240 du code civil concerne les produits ou services d'une entreprise industrielle ou commerciale, qui n'entrent pas dans la définition de la diffamation ou de l'injure.
La diffamation est quant à elle définie comme toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé, et l'injure, comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait. Ces faits sont prévus et réprimés par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 et doit suivre les exigences de ladite loi pour être poursuivis.
La cour constate qu'aucun dénigrement des produits ou services commercialisés par la société Micr'eau ou par M. [S] n'est allégué ou justifié par ces derniers, seul des faits qui doivent être qualifiés de diffamation à l'encontre de M. [S] sont énoncés.
Dès lors, le jugement qui a condamné Mme [H] à payer à M. [T] [S] et à la société Micr'eau la somme de 1 000 euros chacun, en réparation du préjudice résultant d'actes de dénigrement commis à leur encontre doit être infirmé de ce chef.
Il doit en revanche être confirmé en ce qu'il n'a pas prononcé pour ce motif de condamnation à l'encontre de la société GEPI et de Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI.
Sur les demandes de la société Micr'eau à l'encontre de la société GEPI, de Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI et de Mme [H] au titre de perte de chance d'obtenir des marchés
La société Micr'eau prétend avoir perdu des marchés en raison de man'uvres de Mme [H] et de deux plaintes pénales déposées à tort.
Pour autant, la cour qui a pris connaissance de l'ensemble des pièces versées par les appelants, constate que la preuve de marchés perdus par la société Micr'eau en raison de fautes commises par Mme [H] ou les société EPI ou GEPI n'est pas rapportée.
La société Micr'eau sera dès lors déboutée de ce chef. Cette demande n'ayant pas été jugée par le tribunal, il sera ajouté au jugement de ce chef.
Sur les demandes de M. [S] et de la société Micr'eau à l'encontre de la société GEPI, de Me [M] ès qualités de liquidateur de la société EPI et de Mme [H] au titre des plaintes pénales déposées et de la procédure abusive
La cour ne dispose d'aucun élément pour dire que le dépôt des plaintes pénales en France et au Chili ont été abusifs et le simple fait qu'elles ont fait l'objet d'un classement sans suite ne peut suffire à justifier d'une faute susceptible d'entraîner une condamnation sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Par ailleurs, le fait d'exercer une action en justice ne constitue pas une faute, sauf s'il dégénère en abus.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. [S] et la société Micr'eau de leurs demandes de ces chefs d'autant que la condamnation de M. [S] au titre de la perte de chance liée au marché Sembcorp est confirmée par le présent arrêt.
Sur les frais et dépens,
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer les condamnations prononcées à l'encontre de M. [S] par le tribunal aux dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel seront également mis à la charge de M. [S] et chacune des parties conservera à sa charges les frais engagés par chacune au titre de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel et de l'appel incident,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné M. [T] [S] à payer à Mme [V] [R] [H] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et condamné Mme [V] [R] [H] à payer à M. [T] [S] et à la société Micr'eau la somme de 1 000 euros chacun, en réparation du préjudice résultant d'actes de dénigrement commis à leur encontre,
Y substituant et y ajoutant,
Déboute Mme [V] [R] [H] de l'ensemble de ses demandes,
Déboute M. [T] [S] et à la société Micr'eau de leurs demandes fondées sur le dénigrement et sur les plaintes pénales déposées,
Déboute la société Micr'eau de ses demandes fondées sur des pertes de marchés,
Dit que chacune des parties conservera à sa charges les frais engagés par elles au titre de la procédure d'appel et n'y avoir lieu à condamnation complémentaire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [S] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.