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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 26 avril 2024, n° 22/12176

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Belle Étoile (SAS)

Défendeur :

Sun City (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Marcade

Avocats :

Me Etévenard, Me Iteanu, Me Boccon-Gibod, Me Bouchara, Me Guiot

TJ Paris, 3e ch. 1re sect., du 19 mai 20…

19 mai 2022

Vu le jugement contradictoire rendu le 19 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Paris.

Vu l'appel interjeté le 29 juin 2022 par la société Belle Etoile.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 31 octobre 2023 par la société Belle Etoile, appelante et incidemment intimée.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 31 octobre 2023 par la société Sun City, intimée et appelante incidente.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 5 septembre 2023 par la société Etablissement [G], intimée et appelante incidente.

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 21 décembre 2023.

SUR CE, LA COUR

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

La SAS Belle Etoile, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 26 décembre 2016, a pour activités déclarées, l'acquisition, le développement, l'exploitation de marques, brevets et tout élément de propriété intellectuelle, les prestations de services, l'achat et la vente de produits.

La SAS Sun City, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 1er février 2010, est notamment spécialisée dans l'achat, la vente, la fabrication de tous articles de chaussures, gadgets, linge de maison, maroquinerie, textile, réparation de chaussures, soldés en tous genres, import, export, achat/vente en gros, semi-gros, détail, import/export de tous produits pour hommes, femmes, enfants, la maison, le bureau, les produits alimentaires et les prestations de services.

La SAS Etablissement [G] a pour activités l'achat, la vente en gros, demi-gros et détail de confection, bonneterie, lingerie, prêt à porter hommes, femmes, enfants, chaussures, habillement et tous accessoires de mode, soldes en tous genres, foires et marchés, déballage.

La société Newman était, avant sa liquidation judiciaire, spécialisée dans le commerce d'articles d'habillement hommes, femmes et enfants.

Elle était titulaire des marques semi-figurative

- de l'Union européenne n° 001230135 déposée le 5 juillet 1999 et enregistrée pour désigner des produits des classes 3, 18 et 25, dont dans cette dernière classe, les vêtements, les chaussures et la chapellerie

- et française n° 95599540, déposée le 30 novembre 1995 et enregistrée pour désigner des produits des classes 3, 5, 9, 14, 16, 18, 20, 21, 23, 24, 25 et 28 dont les vêtements (habillement) en classe 25.

Trois contrats de licence ont été conclus entre la société Newman et la société Etablissement [G] :

Un premier contrat a été conclu le 3 mars 2015 conférant à la société Etablissement [G] le droit exclusif en Europe de fabriquer ou faire fabriquer, distribuer et vendre sous les marques NEW MAN les produits suivants : haut et bas de jogging homme, pyjamas et gants. Par avenant du 17 mars 2015, les parties ont convenu d'ajouter le produit 'parapluie' aux produits précédemment concédés sous licence. Ce contrat a été conclu pour une durée s'achevant au 30 juin 2018, avec tacite reconduction, sauf dénonciation anticipée.

Un autre contrat de licence a été conclu le 3 mars 2015 conférant à la société Etablissement [G] le droit exclusif en Europe de fabriquer ou faire fabriquer, distribuer et vendre sous les marques NEW MAN les produits suivants : chaussettes homme, sous-vêtements homme (boxer, caleçon court, slip, tricot et marcel, caleçon long chaud, tee-shirt chaud de nuit). Ce contrat a été conclu pour une durée s'achevant au 30 juin 2018, avec tacite reconduction, sauf dénonciation anticipée.

Un troisième contrat de licence a été conclu le 22 avril 2015 conférant à la société Etablissement [G] le droit exclusif en Europe de fabriquer ou faire fabriquer, distribuer et vendre sous les marques NEW MAN les produits suivants: maroquinerie homme, petite maroquinerie homme, sac ordinateur, sacoche bandoulière. Ce contrat a été conclu pour une durée s'achevant au 31 décembre 2018, avec tacite reconduction, sauf dénonciation anticipée.

- Procédure collective de la société Newman,

Par jugement du 3 juin 2016, le tribunal de commerce de Besançon a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société Newman, nommant comme mandataire judiciaire, Me [B] [I] et Me [J] [X], ès qualités d'administrateur au redressement judiciaire.

Par jugement du 7 décembre 2016, le tribunal de commerce de Besançon a arrêté le plan de cession de la société Newman au profit des sociétés Sun City et Etoiles SCR, avec faculté de substitution.

Le plan prévoyait la reprise du seul contrat de licence conclu avec la société Look Vision portant sur la distribution de lunettes.

Par lettres recommandées avec accusés de réception du 21 décembre 2016, Me [J] [X] a notifié à la société Etablissement [G] la résiliation des contrats de licence, au motif qu'elle n'avait pas respecté ses obligations contractuelles, lui faisant interdiction de fabriquer et vendre des marchandises de la marque NEW MAN à compter du 8 décembre 2016. La société Etablissement [G] a également été informée que le plan de cession des actifs de la société Newman ne prévoyait pas la reprise desdits contrats.

Par courrier du 25 janvier 2017, le conseil de la société Etablissement [G] avisait Me [X] de ce que sa cliente contestait les motifs de cette résiliation invoquant le principe de continuation des contrats en cours.

Selon jugement du 25 janvier 2017, le tribunal de commerce de Besançon a prononcé la liquidation judiciaire de la société Newman.

Par contrat du 30 janvier 2017 conclu entre la société Newman, représentée par son administrateur judiciaire, et les sociétés Sun City et Belle Etoile, la cession des actifs de la société Newman ordonnée a été régularisée. La société Belle Etoile, se substituant à la société Etoiles SCR, a notamment acquis les marques "NEW MAN".

La société Belle Etoile a consenti le 1er mars 2017 une licence de marques au profit de la société Sun City.

Le 30 janvier 2018, la société Etablissement [G] a saisi le juge-commissaire à la procédure collective de la société Newman d'une demande tendant à voir prononcer l'irrégularité de la procédure de résiliation des contrats conclus entre elle et la société Newman les 3 mars et 22 avril 2015, et voir dire qu'aucune résiliation des contrats de licence n'est intervenue et que ces contrats sont opposables à la société Belle Etoile intervenue volontairement à l'instance.

Par ordonnance rendue le 10 avril 2018, le juge-commissaire a notamment confirmé la recevabilité de la société Belle Etoile en son intervention volontaire et la résiliation des contrats de licence à compter de la notification de M. [X] par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au 21 décembre 2016 au vu de l'article L. 641-11-1 du code de commerce. La société Etablissement [G] a formé un recours à l'encontre de cette ordonnance devant le tribunal de commerce de Besançon.

Par jugement du 27 juin 2018, le tribunal de commerce de Besançon a notamment confirmé la résiliation des contrats de licence conclus entre les sociétés Etablissement [G] et Newman, mais dit que cette résiliation est intervenue de plein droit à la date du 25 janvier 2017 correspondant à celle du jugement prononçant la conversion en liquidation judiciaire de la société Newman.

La cour d'appel de Besançon saisie par la société Etablissement [G] qui a intimé la société AJ partenaires, administrateur judiciaire de la liquidation judiciaire de la société Newman, a par arrêt du 5 décembre 2018 :

- confirmé le jugement précité sauf en ce qu'il a constaté la résiliation des contrats de licence conclus entre les sociétés Etablissement Michet et Newman, et dit que cette résiliation est intervenue de plein droit à la date du 25 janvier 2017 correspondant à celle du jugement prononçant la conversion en liquidation judiciaire de la société Newman,

- dit que ni le juge-commissaire, ni le tribunal de commerce, ni la cour d'appel statuant sur l'opposition formée contre l'ordonnance, n'avaient le pouvoir juridictionnel pour connaître des demandes des parties, les parties étant ainsi irrecevables en toutes leurs prétentions.

Cette décision a été cassée et annulée en toutes ses dispositions par arrêt du 23 septembre 2020 de la Cour de cassation au motif que la cour d'appel de Besançon avait relevé d'office le moyen tiré de l'incompétence du juge-commissaire sans inviter les parties à présenter leurs observations.

Par arrêt du 20 mai 2021, la cour d'appel de Dijon saisie sur renvoi de la Cour de cassation, a notamment infirmé partiellement le jugement du 27 juin 2018, déclaré recevable la demande de la société Belle Etoile aux fins de constatation de la caducité des contrats de licence, dit que les contrats de licence de marques conclus entre la société Etablissement [G] et la société Newman les 3 mars et 23 avril 2015 étaient devenus caducs et privés d'effet depuis le 8 décembre 2016 du fait de l'entrée en vigueur du plan de cession à cette date et débouté la société Etablissement [G] de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la société Belle Etoile.

Le pourvoi formé par la société Etablissement [G] contre cette décision a été rejeté par arrêt du 18 janvier 2023 de la Cour de cassation.

- Procédure en contrefaçon de la marque « NEW MAN »,

Faisant valoir que la société Etablissement [G] a continué, postérieurement au 8 décembre 2016, à vendre des produits sous les marques NEW MAN, la société Belle Etoile lui a adressé par l'intermédiaire de son conseil une lettre de mise en demeure le 9 janvier 2017.

Elle a ensuite fait dresser un procès-verbal de constat Internet par huissier de justice le 9 mars 2017, établissant que des sacs, chaussettes, boxers, étaient toujours en vente sur le site internet 'les2sous.com', édité par la société Etablissement [G].

Selon un second procès-verbal de constat du 26 avril 2017, il était relevé que la société Etablissement [G] continuait à afficher la marque NEW MAN en devanture de ses locaux.

Par ordonnance de référé du 13 octobre 2017, le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris a débouté la société Belle Etoile de ses demandes formées contre la société Etablissement [G] en cessation des atteintes vraisemblables alléguées sur les marques NEW MAN.

Autorisée par ordonnance du 17 octobre 2017, la société Belle Etoile a fait assigner à jour fixe la société Etablissement [G] devant le tribunal de grande instance de Paris, selon acte du 19 octobre 2017.

Par jugement du 24 mai 2018, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné le sursis à statuer sur les demandes des parties dans l'attente du jugement à intervenir du tribunal de commerce de Besançon sur le recours formé par la société Etablissement [G] à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire du 10 avril 2018. L'affaire a ensuite été renvoyée devant le juge de la mise en état.

Par ordonnance du 11 juillet 2019, le juge de la mise en état saisi sur incident par la société Belle Etoile, a relevé que la question de la régularité de la résiliation des contrats de licence consentis à la société Etablissement [G] était actuellement pendante devant la Cour de cassation. Il a cependant constaté que les contrats de licence étaient arrivés à leur terme les 30 juin 2018 pour les contrats "sous-vêtements homme" et "pyjamas" et le 31 décembre 2018 pour le contrat "maroquinerie". Il a alors considéré qu'en raison notamment d'une retenue douanière effectuée en septembre 2018 portant sur des vêtements revêtus de la marque "NEW MAN" expédiés par la société Etablissement [G], la contrefaçon invoquée par la société Belle Etoile était vraisemblable. En revanche, le juge de la mise en état a décidé que la demande de consignation n'était pas justifiée, la société Belle Etoile ne justifiant pas que la situation de la société Etablissement [G] était en péril et ne quantifiant pas le préjudice invoqué.

La clôture de l'affaire pendante devant le tribunal judiciaire de Paris a été prononcée le 16 mars 2021 alors que le contentieux sur la procédure collective et la résiliation des contrats de licence n'était pas clos.

Par jugement du 15 juin 2021, le tribunal a révoqué l'ordonnance de clôture, les sociétés Belle Etoile et Etablissement [G] ayant conclu au fond à la suite de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Dijon.

C'est dans ce contexte qu'a été rendu le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 19 mai 2022, dont appel, qui, sans attendre l'issue du pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, a :

- déclaré la société Sun City recevable en son intervention volontaire,

- débouté la société Belle Etoile de ses demandes formées au titre de la contrefaçon des marques "NEW MAN" n° 001230135 et 95599540,

- débouté la société Sun City de ses demandes formées au titre de la contrefaçon desdites marques,

- condamné la société Belle Etoile à payer à la société Etablissement [G] 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de dénigrement,

- rejeté la demande indemnitaire de la société Etablissement [G] au titre de l'atteinte à l'exclusivité d'exploitation sur les marques 'NEW MAN' et des faits de nature à empêcher cette exploitation,

- débouté la société Etablissement [G] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- dit qu'il appartiendra à la société Etablissement [G] de solliciter la levée du blocage du site Internet "les2sous.com" sur présentation du présent jugement,

- condamné in solidum les sociétés Belle Etoile et Sun City aux dépens,

- condamné in solidum les sociétés Belle Etoile et Sun City à payer à la société Etablissement [G] 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

La société Belle Etoile a relevé appel de ce jugement et par ses dernières conclusions demande à la cour de :

- débouter la société Etablissement [G] de son appel incident, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, et concernant en particulier sa demande suivante : « confirmer le jugement de la 3ème Chambre, 1ère section, du tribunal judiciaire de Paris du 19 mai 2022 en ce qu'il :

Déboute la société Belle Étoile de ses demandes formées au titre de la contrefaçon des marques "NEW MAN" n° 001230135 et « 95599540 »

- à titre principal, la juger irrecevable, compte tenu de la fin de non-recevoir au titre de l'autorité de la chose jugée tirée de l'arrêt de la Cour de cassation en date du 18 janvier 2023 rendant définitif et irrévocable l'arrêt de la cour d'appel de Dijon en date du 20 mai 2021,

- à titre subsidiaire, la juger mal fondée,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 19 mai 2022 (RG N°17/14628) en ce qu'il a :

- débouté la société Belle Etoile de ses demandes formées au titre de la contrefaçon des marques NEW MAN n° 001230135 et 95599540,

- condamné la société Belle Etoile à payer à la société Etablissement [G] 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de dénigrement,

- dit qu'il appartiendra à la société Etablissement [G] de solliciter la levée du blocage du site Internet sur présentation du jugement,

- condamné in solidum les sociétés Belle Etoile et Sun City aux dépens,

- condamné in solidum les sociétés Belle Etoile et Sun City à payer à la société Etablissement [G] 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

Et statuant à nouveau :

- dire et juger qu'elle est recevable en son appel principal, ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence,

- faire interdiction à la Société Etablissement [G] de reproduire et faire usage du signe NEW MAN pour désigner des vêtements et plus généralement des produits désignés dans l'enregistrement des marques revendiquées, sur tout site internet, sur ses factures, sur la devanture de son établissement à [Localité 7] (93) et sur quelque support que ce soit, à destination du public situé sur le territoire communautaire, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à l'expiration d'un délai de 72 heures suivant la signification par Huissier de justice de la décision à intervenir,

- faire interdiction à la société Etablissement [G] de concevoir, fabriquer, importer, distribuer, offrir à la vente, commercialiser, sur le territoire communautaire, des vêtements sous la marque NEW MAN et plus généralement des produits désignés dans l'enregistrement des marques revendiquées, par quelque moyen que ce soit et notamment dans son établissement à [Localité 7] (93) et par l'intermédiaire de tout site internet sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à l'expiration d'un délai de 72 heures suivant la signification par Huissier de justice de la décision à intervenir,

- ordonner la communication par la Société Etablissement [G] à la Société Belle Etoile :

- de l'intégralité des factures d'achat et de vente de produits portant le signe NEW MAN,

- des bons de commande en cours de produits portant le signe NEW MAN,

- de l'état des stocks de produits portant le signe NEW MAN sur la période du 8 décembre 2016 jusqu'au jour du prononcé de la décision à intervenir,

- et des informations sur les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des marchandises, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants ; et des renseignements sur les quantités produites, fabriquées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que sur le prix obtenu pour les marchandises en question, sur la période du 8 décembre 2016 jusqu'au jour du prononcé de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par document non remis à l'huissier de justice à compter de l'expiration d'un délai de 72 heures suivant la signification par huissier de justice de la décision à intervenir,

- ordonner la destruction devant huissier de justice, aux frais avancés de la Société Etablissement [G], de l'intégralité des stocks de produits portant le signe NEW MAN détenus et en cours de fabrication par la Société Etablissement [G], sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard et par produit non détruit à compter de l'expiration d'un délai de 72 heures suivant la signification par Huissier de justice de la décision à intervenir,

- condamner la société Etablissement [G] au remboursement du paiement qu'elle a effectué en exécution du jugement de première instance assorti de l'exécution provisoire, à savoir la somme de 20.000 euros,

Sur les dommages et intérêts :

A titre principal,

- condamner la société Etablissement [G], compte tenu des actes de contrefaçon des marques de l'Union européenne et française « NEW MAN » respectivement enregistrées sous les numéros 1230135 et 95599540 qu'elle a commis, au paiement à son profit de la somme globale de 5 030 045 euros détaillée comme suit :

- la somme de 3 330 045 euros au titre des conséquences économiques négatives (1 830 045 euros au titre du manque à gagner et 1 500 000 euros au titre de la perte subie),

- la somme de 700 000 euros au titre de son préjudice moral,

- la somme de 1 000 000 euros au titre des bénéfices réalisés par la société Etablissement [G],

Subsidiairement,

- condamner la société Etablissement [G] à lui payer la somme forfaitaire globale de 4 800 000 euros par application de l'alinéa 2 de l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle,

Très subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour confirmerait la poursuite des contrats de licence au-delà de la date du 7 décembre 2016 et jusqu'à leur terme contractuel, entre elle et la société Etablissement [G],

- condamner la société Etablissement [G] au paiement à son profit des redevances dues en exécution desdits contrats de licence, soit à minima la somme de 237 904 euros, somme à parfaire,

En tout état de cause

- ordonner la publication de tout ou partie, selon son choix, de la décision à intervenir sur tout site internet édité par la société Etablissement [G] au jour du prononcé de la décision à intervenir pendant une durée de trois mois ainsi que dans trois publications de son choix et aux frais avancés de la société Etablissement [G],

- condamner la société Etablissement [G] au paiement de la somme de 60 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, de première instance et d'appel.

Par ses dernières conclusions, la société Sun City demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 19 mai 2022 (RG n°17/14628) en ce qu'il :

- a débouté la société Sun City de ses demandes formées au titre de la contrefaçon desdites marques,

- a condamné in solidum les sociétés Belle Etoile et Sun City aux dépens,

- a condamné in solidum les sociétés Belle Etoile et Sun City à payer à la société Etablissement [G] 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- a ordonné l'exécution provisoire dudit jugement.

Et statuant à nouveau :

- la dire et juger recevable en son appel à titre incident, ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence et statuant à nouveau,

- faire interdiction à la société Etablissement [G] de reproduire et faire usage du signe NEW MAN pour désigner des vêtements et plus généralement des produits désignés dans l'enregistrement de la marque française NEW MAN n° 95599540 du 30 novembre 1995, sur tout site internet, sur ses factures, sur la devanture de son établissement à [Localité 7] (93) et sur quelque support que ce soit, à destination du public situé sur le territoire français, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à l'expiration d'un délai de 72 heures suivant la signification par huissier de justice de la décision à intervenir,

- faire interdiction à la société Etablissement [G] de concevoir, fabriquer, importer, distribuer, offrir à la vente, commercialiser, sur le territoire français, des vêtements sous la marque NEW MAN et plus généralement des produits désignés dans l'enregistrement de la marque française NEW MAN n° 95599540 du 30 novembre 1995, par quelque moyen que ce soit et notamment dans son établissement à [Localité 7] (93) et par l'intermédiaire de tout site internet sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à l'expiration d'un délai de 72 heures suivant la signification par huissier de justice de la décision à intervenir,

- ordonner la communication par la société Etablissement [G] des documents et informations suivants :

- des bons de commande en cours de produits portant le signe NEW MAN,

- de l'état des stocks de produits portant le signe NEW MAN sur la période du 8 décembre 2016 jusqu'au jour du prononcé de la décision à intervenir,

- et des informations sur les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des marchandises, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants ; et des renseignements sur les quantités produites, fabriquées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que sur le prix obtenu pour les marchandises en question, sur la période du 1 er Janvier 2017 jusqu'au jour du prononcé de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par document non remis à l'huissier de justice à compter de l'expiration d'un délai de 72 heures suivant la signification par Huissier de justice de la décision à intervenir,

- ordonner la destruction devant huissier de justice, aux frais avancés de la société Etablissement [G], de l'intégralité des stocks de produits portant le signe NEW MAN détenus et en cours de fabrication par la société Etablissement [G], sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par produit non détruit à compter de l'expiration d'un délai de 72 heures suivant la signification par huissier de justice de la décision à intervenir,

- condamner la Société Etablissement [G] à lui payer la somme forfaitaire globale de 5 000 000 euros en réparation de son préjudice global, par application de l'alinéa 2 de l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, compte tenu des actes de contrefaçon de la marque française NEW MAN n° 95599540 du 30 novembre 1995 qu'elle a commis,

- ordonner la publication de tout ou partie, selon son choix, de la décision à intervenir sur tout site internet édité par la société Etablissement [G] au jour du prononcé de la décision à intervenir pendant une durée de trois mois, ainsi que dans trois publications de son choix et aux frais avancés de la société Etablissement [G],

- débouter la société Etablissement [G] de son appel à titre incident, le juger infondé, la débouter de l'ensemble de ses prétentions, moyens et conclusions,

- condamner la société Etablissement [G] au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, de première instance et d'appel.

Par ses dernières conclusions la société Etablissement [G] demande à la cour de :

A titre principal :

- déclarer la société Belle Étoile mal fondée en son appel et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- déclarer la société Sun City mal fondée en son appel incident et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- déclarer recevables et bien fondées ses demandes ; y faisant droit :

- confirmer le jugement de la 3ème chambre, 1 ère section, du tribunal judiciaire de Paris du 19 mai 2022 en ce qu'il :

- déboute la société Belle Étoile de ses demandes formées au titre de la contrefaçon des marques "NEW MAN" n° 001230135 et 95599540,

- déboute la société Sun City de ses demandes formées au titre de la contrefaçon desdites marques,

- condamne la société Belle Étoile à indemniser la société Établissement [G] en réparation des actes de dénigrement, mais pas sur le quantum de la condamnation à ce titre,

- dit qu'il appartiendra à la société Établissement [G] de solliciter la levée du blocage du site Internet "les2sous.com" sur présentation du présent jugement,

- condamne in solidum les sociétés Belle Étoile et Sun City aux dépens,

- condamne in solidum les sociétés Belle Étoile et Sun City à payer à la société Établissement [G] 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonne l'exécution provisoire du présent jugement.

A titre subsidiaire :

Si par extraordinaire la cour devait considérer que les contrats de licence conclus entre la société New Man et la société Établissement [G] ne seraient pas poursuivis jusqu'à leurs termes respectifs :

- débouter la société Belle Étoile de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, ou à tout le moins les ramener à de plus justes proportions,

- débouter la société Belle Étoile de ses demandes de communication des documents comptables,

- débouter la société Belle Étoile de l'ensemble de ses demandes d'interdiction,

- débouter la société Belle Étoile de ses demandes de destruction des stocks de produits portant le signe NEW MAN en présence d'un Huissier de justice,

- débouter la société Belle Étoile de sa demande de remboursement du paiement de 20 000 euros effectué en exécution du Jugement de première instance,

- débouter la société Belle Étoile de ses demandes de publication de l'arrêt à intervenir,

- débouter la société Belle Étoile de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

- débouter la société Sun City de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, ou à tout le moins les ramener à de plus justes proportions,

- débouter la société Sun City de ses demandes de communication des documents comptables,

- débouter la société Sun City de l'ensemble de ses demandes d'interdiction,

- débouter la société Sun City de ses demandes de destruction des stocks de produits portant le signe NEW MAN en présence d'un Huissier de justice,

- débouter la société Sun City de ses demandes de publication de l'arrêt à intervenir,

- débouter la société Sun City de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

En tout état de cause :

- déclarer recevables et bien fondées ses demandes ; y faisant droit :

- infirmer le jugement de la 3ème chambre, 1 ère section, du tribunal judiciaire de Paris du 19 mai 2022 en ce qu'il :

- condamne la société Belle Étoile à payer à la société Établissement [G] 10 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation des actes de dénigrement, mais uniquement en ce qui concerne le montant de la condamnation,

- rejette la demande indemnitaire de la société Établissement [G] au titre de l'atteinte à l'exclusivité d'exploitation sur les marques "NEW MAN" et des faits de nature à empêcher cette exploitation,

- déboute la société Établissement [G] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

Statuant à nouveau :

- constater que la société Belle Étoile a commis des actes de dénigrement à l'égard de la société Établissement [G],

- condamner la société Belle Étoile à lui verser la somme indemnitaire de 50 000 euros à ce titre,

- constater que la société Belle Étoile a mis en place une stratégie d'étouffement commercial fautive à son encontre et qu'elle a porté atteinte à l'exclusivité d'exploitation dont elle bénéficiait sur la marque NEW MAN,

- condamner la société Belle Étoile à lui verser la somme indemnitaire de 100 000 euros à ce titre,

- constater que la société Belle Étoile a engagé une procédure abusive à son encontre,

- condamner la société Belle Étoile à lui verser la somme indemnitaire de 50 000 euros à ce titre,

- débouter la société Belle Étoile de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à son encontre,

- débouter la société Sun City de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à son encontre,

- condamner in solidum la société Belle Étoile et la société Sun City à lui verser la somme de 60 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum la société Belle Étoile et la société Sun City aux entiers dépens de l'instance.

A titre liminaire, la cour constate que le jugement qui a déclaré recevable l'intervention volontaire de la société Sun City n'est pas critiqué par les parties et est en conséquence irrévocable.

- Sur la contrefaçon des marques de l'Union européenne et française NEW MAN n° 001230135 et n° 95599540

La société Belle Etoile reproche à la société Etablissement [G] d'avoir porté atteinte aux marques NEW MAN dont elle est titulaire par la commercialisation physique et en ligne de produits identiques à ceux désignés dans les enregistrements de marques et sur lesquels sont apposés des signes identiques à ces marques.

Il n'est pas discuté que la société Belle Etoile est, pour les avoir acquises le 7 décembre 2016 dans le cadre du plan de cession de l'activité de la société Newman alors en procédure collective, titulaire des marques semi-figuratives :

- de l'Union européenne n° 001230135 déposée le 5 juillet 1999 et enregistrée pour désigner des produits des classes 3, 18 et 25, dont, dans cette dernière classe, les vêtements, les chaussures et la chapellerie ; cet enregistrement a été régulièrement renouvelé ;

- française n° 95599540 déposée le 30 novembre 1995 et enregistrée pour désigner des produits des classes 3, 5, 9, 14, 16, 18, 20, 21, 23, 24, 25 et 28 dont les vêtements (habillement) en classe 25 ; cet enregistrement a été régulièrement renouvelé.

La société Etablissement [G] qui ne discute pas avoir utilisé ces marques, se prévaut pour échapper au grief de contrefaçon des trois contrats de concession de licence conclus avec la société Newman les 3 mars et 22 avril 2015 qui l'autorisaient à exploiter ces marques jusqu'au 20 juin 2018 pour les deux contrats du 3 mars et jusqu'au 31 décembre de la même année pour le contrat du 22 avril.

Dans le jugement entrepris, le tribunal a considéré que ces contrats de licence étaient restés en vigueur jusqu'à leur terme, ce malgré l'ouverture d'une procédure collective au bénéfice de la société Newman, l'adoption d'un plan de cession excluant les contrats en cause, et la conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire. Il a alors débouté la société Belle Etoile de l'ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon de marques, celle-ci ne démontrant pas l'existence d'actes de contrefaçon postérieurs à la cessation des contrats de licence.

La société Belle Etoile fait en premier lieu valoir devant la cour que la demande de la société Etablissement [G] tendant à confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 19 mai 2022 qui l'a déboutée de ses demandes au titre de la contrefaçon des marques « NEW MAN » n° 001230135 et n° 95599540 est irrecevable compte tenu de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la Cour de cassation en date du 18 janvier 2023 rendant définitif et irrévocable l'arrêt de la cour d'appel de Dijon en date du 20 mai 2021. Elle soutient que la société Etablissement [G] demande à la cour de trancher une nouvelle fois le sujet de la fin des contrats de licence irrévocablement jugé par la cour d'appel de Dijon.

Selon la société Sun City, la décision de la cour d'appel de Dijon est devenue définitive, la Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi formé par la société Etablissement [G] dans un arrêt rendu le 18 janvier 2023.

La société Etablissement [G] ne répond pas à la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée opposée par la société Belle Etoile. Elle ne conteste pas que l'arrêt de la cour d'appel de Dijon du 20 mai 2021 est devenu définitif en suite de l'arrêt de la Cour de cassation qui a rejeté son pourvoi et dit en prendre acte. Elle fait valoir que la Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur la question de la prétendue caducité des contrats litigieux et que l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, qu'elle estime critiquable, n'est pas de nature à remettre en cause le raisonnement du tribunal judiciaire de Paris dont appel. Elle ajoute qu'il ne pourra lui être sérieusement reproché de ne pas avoir rétroactivement tiré les conséquences de cette « caducité » des contrats de licence.

Selon les dispositions de l'article 1355 du code civil, « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en même qualité. »

Dans le cadre de la procédure collective de la société Newman, la société Etablissement [G] bénéficiaire des contrats de licence, a pris l'initiative de saisir le juge-commissaire pour contester la régularité de la procédure de résiliation des trois contrats de licence précités suivie par l'administrateur judiciaire, la société Belle Etoile, cessionnaire des marques et intervenante volontaire à la procédure, lui opposant devant la cour d'appel de Dijon, cour de renvoi après une première cassation, la caducité de ces contrats.

La cour de céans doit connaître de prétentions afférant à la contrefaçon de marques NEW MAN. Elle n'est donc pas saisie des mêmes demandes que la cour d'appel de Dijon saisie de la seule question de la continuation des contrats de licence conclus par la société Etablissement [G] en raison de la procédure collective de la société Newman et de la cession d'activités de cette société à la société Belle Etoile.

La fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée opposée par la société Belle Etoile aux demandes de la société Etablissement [G] tendant à la confirmation du jugement entrepris déboutant la société Belle Etoile de ses demandes au titre de la contrefaçon des marques NEW MAN est en conséquence rejetée.

Pour autant, la société Etablissement [G] invoque les contrats de licence conclus avec la société Newman pour justifier l'exploitation des marques en cause après le 7 décembre 2016 et s'opposer à l'action en contrefaçon de la société Belle Etoile qui soutient la caducité des contrats. La présente cour est donc saisie, comme la cour d'appel de Dijon, de la question de savoir si ces trois contrats de licence se sont poursuivis jusqu'à leur terme ou sont devenus caducs le 8 décembre 2016 en raison de l'adoption du plan de cession prévoyant la cession des marques NEW MAN à la société Belle Etoile et excluant la reprise des contrats de licence par cette dernière.

Or, par arrêt du 20 mai 2021, la cour d'appel de Dijon a notamment dit que les contrats de licence de marques conclus entre la société Etablissement [G] et la société Newman les 3 mars et 23 avril 2015 sont devenus caducs et privés d'effet depuis le 8 décembre 2016 du fait de l'entrée en vigueur du plan de cession à cette date.

Cette décision est devenue irrévocable, le pourvoi formé par la société Etablissement [G] ayant été rejeté par la Cour de cassation selon un arrêt du 18 janvier 2023. La société Etablissement [G] n'est donc pas fondée à remettre à nouveau en cause la caducité de ces contrats comme se heurtant à l'autorité de la chose précédemment jugée relativement à la même contestation entre les mêmes parties.

Les contrats de licence dont bénéficiait la société Etablissement [G] ayant été considérés caducs à compter du 8 décembre 2016, celle-ci n'était plus autorisée à compter de cette date à commercialiser des produits de la marque NEW MAN.

Il est démontré par les procès-verbaux de constat dressés par huissier de justice en date des 9 mars 2017, 26 avril 2017 et 12 décembre 2017, sur le site les2sous.com (pièce 10 appelante), à l'extérieur de l'établissement exploité par la société Etablissement [G] (pièce 14 appelante) et constat d'achat dans les locaux exploités à [Localité 7] par la société Etablissement [G] (pièce 35 appelante), par les factures établie par la société Etablissement [G] et les documents de cette entité (pièce 15 appelante) ainsi que d'un procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 18 mai 2017 dans les locaux de la société EG SAS à l'occasion d'une autre procédure initiée par la société Belle Etoile contre un revendeur de la société Etablissement [G] (pièce 19 appelante), que celle-ci a fait usage du signe semi-figuratif NEW MAN à l'identique pour désigner des chaussettes, slips, tee-shirt ou ceintures. Il est également établi (pièces 24 à 26 appelante) que 39 120 paires de chaussettes marquées NEW MAN provenant de la société Etablissement [G] étaient importées en Belgique par la société Smart Pegasus et saisies par les douanes belges le 18 juillet 2017. Enfin, aux mois de mars et septembre 2018, la société Belle Etoile était informée par la direction régionale des douanes et des droits indirects de [Localité 9] et de [Localité 8] de la retenue de marchandises NEW MAN présumées contrefaisantes (accessoires d'habillement), ces marchandises provenant de la société Etablissement [G] (pièces 35 bis et 44 appelante).

Il s'infère de ce qui précède que la société Etablissement [G] a, à compter du 8 décembre 2016, sans autorisation du titulaire de la marque, utilisé dans la vie des affaires un signe identique aux marques française et de l'Union européenne NEW MAN respectivement enregistrées sous les n° 95599540 et n° 001230135, ce pour des produits identiques désignés dans ces enregistrements de marque.

La contrefaçon par reproduction de marque est ainsi caractérisée.

La société Etablissement [G] ne soutient pas valablement qu'il ne peut lui être sérieusement reproché de ne pas avoir rétroactivement tiré les conséquences de la « caducité » des contrats de licence.

En effet, celle-ci a fait choix de continuer la commercialisation des produits critiqués malgré la lettre de résiliation des contrats par l'administrateur judiciaire de la société Newman en date du 21 décembre 2016 et les diverses lettres de mise en demeure adressées par la société Belle Etoile lui précisant qu'elle n'est plus autorisée à utiliser les marques NEW MAN depuis le 8 décembre 2016.

En outre, bien qu'estimant que les contrats se sont poursuivis, la société Etablissement [G] s'est abstenue d'exécuter ses obligations nées des contrats en ne réglant pas les minimum garantis ainsi que les redevances prévus aux contrats à la suite de la cession des actifs de la société Newman le 7 décembre 2016, ainsi qu'il ressort des divers courriers du mandataire judiciaire, Me [I] (pièces 40, 52 et 66 appelante). La lettre de Me [I] du 15 mars 2021 produite par la société Etablissement [G] (pièce 60) ne vient pas contredire le défaut de règlement des redevances, seules celles antérieures à la cession des actifs ayant été acquittées par la société Etablissement [G]. La société Etablissement [G] ne démontre pas plus qu'elle a sollicité la société Newman ou la société Belle Etoile pour faire valider ses collections et agréer les sociétés fabricantes auxquelles elle recourait alors qu'elle y était tenue par les articles 7 et 8 des contrats, ce manquement lui étant reproché dans les lettres de mise en demeure. Les affirmations de la société Etablissement [G] selon lesquelles elle ne faisait qu'écouler les stocks en sa possession sont à cet égard indifférentes.

- Sur les mesures réparatrices

S'agissant du préjudice subi au titre de la contrefaçon de marque, l'article L. 716-14 devenu L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle prévoit que :

« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte.

Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».

La société Belle Etoile réclame la somme globale de 5 030 045 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi en lien avec les actes de contrefaçon.

Elle n'est toutefois pas fondée au titre du gain manqué à réclamer le versement jusqu'au 8 juin 2023 des minimums garantis et redevances prévus aux contrats de licence exclusive conclus entre les sociétés Newman et Etablissement [G] dont elle a sollicité et obtenu la caducité à compter du 8 décembre 2016, ce d'autant qu'elle a par ailleurs concédé par convention du 1er mars 2017 une licence exclusive à la société Sun City qui a également exploité ces marques et payé un minimum garanti (150 000 euros en 2018) et des redevances à ce titre (10 % du chiffre d'affaires net).

Il doit néanmoins être considéré que jusqu'en fin d'année 2018, la société Sun City n'a pu exploiter les marques NEW MAN dans les conditions d'exclusivité prévues en raison de la présence sur le marché de produits marqués NEW MAN et provenant de la société Etablissement [G] ce qui a nécessairement fait perdre des parts de marché au nouveau licencié exclusif et ainsi engendré un manque à gagner pour la société Belle Etoile titulaire des marques exploitées.

La société Belle Etoile ne peut en revanche être suivie lorsqu'elle réclame en sus la somme de 1 500 000 euros au titre de la perte subie en soutenant avoir investi la somme de 2 313 619,50 euros dans le cadre de l'achat des actifs de la société Newman en procédure collective et que ces investissements ont été anéantis par les agissements de la société Etablissement [G], alors qu'elle connaissait l'existence de ce licencié exclusif lors du rachat des marques NEW MAN et les risques encourus en raison de la présence de ce licencié sur le marché lors des deux premières années du lancement de son activité, cette présence ne pouvant en outre être considérée comme la seule cause de l'échec de la relance de la marque NEW MAN.

Pour autant, l'appelante démontre avoir acquis la marque NEW MAN en vue d'en reconstituer l'image par le recours à une distribution plus sélective de produits de qualité supérieure. La poursuite des activités de la société Etablissement [G] dont les produits sont principalement vendus à bas prix dans des solderies porte ainsi atteinte à l'image des marques en cause. La circonstance que les produits de la société Belle Etoile peuvent également être trouvés à moindre coût sur des sites de ventes privées tel « Veepee » qui ne sont pas assimilables à des solderies est à cet égard indifférent. Le préjudice moral de la société Belle Etoile est caractérisé.

Enfin, la société Etablissement [G] a nécessairement bénéficié pour commercialiser ses produits, des investissements de la société Belle Etoile dédiés à la promotion de la marque NEW MAN.

Selon l'attestation de l'expert-comptable de la société Etablissement [G] en date du 7 juin 2021 (pièce 64 EM), le chiffre d'affaires réalisé par cette entité portant sur les produits NEW MAN sur la période comprise entre le 8 décembre 2016 et le 28 mars 2018 est de 461 599,55 euros, aucune facture portant sur ces produits n'ayant été relevée par ce professionnel après cette date. Cette attestation n'est pas utilement contestée par la société Belle Etoile qui ne peut pour ce faire se fonder sur des retenues en douane postérieures, les retenues portant sur des produits facturés antérieurement. De même, la société Belle Etoile ne peut arguer du montant global de chiffre d'affaires réalisé par la société Etablissement [G] dont l'activité n'est pas principalement consacrée à la distribution de produits NEW MAN.

Le calcul du montant des dommages-intérêts à verser au titulaire d'un droit de propriété intellectuelle doit viser à garantir à ce dernier la réparation intégrale du préjudice qu'il a « réellement subi » en y incluant également l'éventuel préjudice moral survenu. Il sera alloué, au vu des éléments qui précèdent, à la société Belle Etoile la somme de 75 000 euros en indemnisation de son entier préjudice né de la contrefaçon des marques NEW MAN n°001230135 et n°95599540.

La société Sun City, licenciée exclusive pour la période du 1er anvier 2017 au 31 décembre 2020 des marques NEW MAN dont la société Belle Etoile est titulaire, demande la réparation forfaitaire de son préjudice en application de l'article L. 716-4-10, deuxième alinéa, du code de la propriété intellectuelle. Elle démontre par les éléments qu'elle fournit au débat avoir procédé à des investissements financiers et humains pour relancer la marque NEW MAN, projet de relance qui a été obéré par la présence sur le marché des produits commercialisés par la société Etablissement [G].

Au vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, le préjudice de la société Sun City sera entièrement réparé par l'allocation de la somme de 95 000 euros (20 % du chiffre d'affaires réalisé par la société Etablissement [G]) en ce compris le préjudice moral causé à cette dernière en raison de l'atteinte à l'image de la marque NEW MAN.

Les demandes de communication de pièces comptables par la société Etablissement [G] sollicitées par la société Belle Etoile et la société Sun City n'apparaissent pas fondées et seront rejetées.

Les mesures d'interdiction sollicitées seront en revanche accueillies en tant que de besoin selon les modalités prévues au dispositif du présent arrêt.

Les demandes tendant à la destruction des stocks de produits NEW MAN de la société Etablissement [G] seront rejetées, aucun élément ne venant corroborer que des marchandises portant la marque NEW MAN sont encore stockées par la société Etablissement [G] celle-ci ayant par ailleurs fait procéder dans ses locaux à un procès-verbal de constat par huissier de justice le 31 juillet 2019 selon lequel il est constaté l'absence de produit griffé NEW MAN (pièce 54 EM).

Les préjudices des sociétés Belle Etoile et Sun City étant suffisamment réparés par l'allocation de dommages intérêts, les mesures de publication judiciaire sollicitées seront également rejetées.

Le jugement entrepris qui a rejeté les demandes des sociétés Belle Etoile et Sun City au titre de la contrefaçon de marque sera infirmé.

- Sur les demandes incidentes formées par la société Etablissement [G]

Sur la demande au titre du dénigrement

La société Etablissement [G] reproche à la société Belle Etoile d'avoir adressé à l'hébergeur du site les2sous.com qu'elle édite ainsi qu'à son partenaire commercial, la société Vente Privée, des courriers visant à jeter le discrédit sur ses produits.

La société Belle Etoile critique le jugement entrepris qui l'a condamnée pour actes de dénigrement envers la société Etablissement [G] faisant valoir que l'information qu'elle a adressée à l'hébergeur du site internet www.les2sous.com de la commercialisation sans son autorisation par la société Etablissement [G] de produits NEW MAN qui fait état de la procédure en cours constitue une notification prévue par l'article 6 de la loi n°2004-575 pour la confiance dans l'économie numérique du 21 Juin 2004.

Même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure.

Par lettre datée du 9 janvier 2017, le conseil des sociétés Belle Etoile et Sun City informait la société Vente Privée que ses « clientes ont relevé que des ventes de produits NEW MAN ont été réalisées le jeudi 5 janvier 2017, sur votre site de vente en ligne « venteprivee.com » en infraction avec leurs droits ».

Cette correspondance qui tend à solliciter des renseignements auprès de la société Vente Privée sur l'identité du fournisseur des produits présents sur son site, n'identifie certes pas expressément que les produits en cause sont ceux commercialisés par la société Etablissement [G] mais les précisions données permettent aisément au destinataire de cette correspondance d'identifier l'origine des produits critiqués, la société Vente Privée ayant d'ailleurs pu reconnaître la société Etablissement [G] et solliciter auprès d'elle des explications.

L'affirmation par la société Belle Etoile sans précaution ni mesure auprès d'un revendeur que les produits commercialisés par un concurrent identifiable, le sont en infraction avec ses droits de propriété industrielle est de nature à jeter le discrédit sur les produits commercialisés par la société Etablissement [G] et constitue un acte de dénigrement fautif.

La notification du 30 mai 2017 adressée à l'hébergeur du site les2sous.com édité par la société Etablissement [G] en application de l'article 6 de la loi sur l'économie numérique vise expressément les produits de cette dernière en informant l'hébergeur que les produits commercialisés sur ce site constituent des contrefaçons de la marque NEW MAN et divulgue la procédure initiée devant le juge des référés.

La divulgation à l'hébergeur d'un site internet d'une action en contrefaçon n'ayant pas donné lieu à une décision de justice et l'affirmation sans précaution ni mesure que les produits commercialisés par un concurrent sur ce site constituent une contrefaçon, sont également de nature à jeter le discrédit sur les produits commercialisés par la société Etablissement [G] et constituent un acte de dénigrement fautif ce quand bien même les faits se sont trouvés par la suite avérés et que ces informations ont été divulguées dans le cadre de la notification prévue à l'article 6 de la loi sur l'économie numérique auprès du seul hébergeur, ces divulgations ayant entraîné le fermeture du site.

Les actes de dénigrement de la société Belle Etoile sont ainsi caractérisés.

Il s'infère nécessairement, d'un acte de concurrence déloyale constaté, un trouble commercial constitutif de préjudice, fût-il seulement moral.

C'est à juste raison que le tribunal, au vu du peu d'éléments fournis au débat, a évalué le préjudice de la société Etablissement [G] dont le site internet a fait l'objet d'un blocage par l'hébergeur à la somme de 10 000 euros de dommages intérêts.

Le jugement entrepris mérite confirmation de ce chef et la demande de restitution de la société Belle Etoile de la somme versée à ce titre ne peut être que rejetée.

Sur la demande de condamnation de la société Belle Etoile pour « étouffement commercial » et atteinte à l'exclusivité d'Etablissement [G] sur la marque New Man

Il résulte des développements qui précèdent qu'aucun comportement fautif de la société Belle Etoile n'est caractérisé par la société Etablissement [G], cette société n'ayant fait que défendre ses droits dans le cadre des procédures judiciaires dont celle qui a abouti à l'arrêt de la Cour de cassation du 18 janvier 2023 qui a été initiée par la société Etablissement [G] qui avait en son temps saisi le juge commissaire à la procédure collective de la société Newman pour contester la résiliation des contrats de licence.

La demande de dommages et intérêts pour « étouffement commercial » de la société Etablissement [G] sera rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

Sur la demande de condamnation de la société Belle Etoile pour procédure abusive

Les demandes des sociétés Belle Etoile et Sun City au titre de la contrefaçon de marques ayant prospéré, la demande de dommages et intérêts de la société Etablissement [G] sur le fondement de la procédure abusive sera rejetée.

Le jugement entrepris sera confirmé à ce titre.

- Sur les autres demandes,

Le sens de l'arrêt conduit à infirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles.

La société Belle Etoile demande que soit ordonnée la restitution de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'elle a versées en vertu du jugement assorti de l'exécution provisoire.

Le présent arrêt, infirmatif sur ce point, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement.

Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Belle Etoile.

L'équité commande de condamner la société Etablissement [G] qui succombe à payer une indemnité de 20 000 euros à chacune des sociétés Belle Etoile et Sun city au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Succombant à la procédure, la société Etablissement [G] en supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, dans les limites de l'appel,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée de la société Belle Etoile de la demande suivante de la société Etablissement [G] : « confirmer le jugement de la 3ème Chambre, 1ère section, du tribunal judiciaire de Paris du 19 mai 2022 en ce qu'il :

Déboute la société Belle Étoile de ses demandes formées au titre de la contrefaçon des marques "NEWMAN" n° 001230135 et 95599540, »,

Infirme le jugement déféré sauf en ces dispositions ayant condamné la société Belle Etoile à payer à la société Etablissement [G] 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de dénigrement, rejeté la demande indemnitaire de la société Etablissement [G] au titre de l'atteinte à l'exclusivité d'exploitation sur les marques "NEW MAN" et des faits de nature à empêcher cette exploitation, débouté la société Etablissement [G] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, dit qu'il appartiendra à la société Etablissement [G] de solliciter la levée du blocage du site Internet 'les2sous.com' sur présentation du présent jugement,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit qu'en reproduisant, faisant usage des marques NEW MAN sur des produits vestimentaires et en fabriquant, offrant à la vente, distribuant, commercialisant et important des produits vestimentaires tels des sous-vêtements, tee-shirts et chaussettes comportant le signe NEW MAN, depuis le 8 décembre 2016, la société Etablissement [G] a commis des actes de contrefaçon des marques française et de l'Union européenne n° 95599540 et n° 001230135 dont la société Belle Etoile est titulaire et la société Sun City le licencié exclusif,

Fait interdiction à la société Etablissement [G] de poursuivre les agissements précités, sur le territoire français, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée, laquelle commencera à courir à l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt, et pour une durée de six mois,

Condamne la société Etablissement [G] à payer à la société Belle Etoile la somme de 75 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,

Condamne la société Etablissement [G] à payer à la société Sun City la somme de 95 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,

Rejette toute autre demande,

Condamne la société Etablissement [G] à payer à la société Belle Etoile une indemnité de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

Condamne la société Etablissement [G] à payer à la société Sun City une indemnité de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, 

Condamne la société Etablissement [G] aux dépens de première instance et d'appel.