Livv
Décisions

CA Lyon, retentions, 28 avril 2024, n° 24/03596

LYON

Ordonnance

Autre

CA Lyon n° 24/03596

28 avril 2024

N° RG 24/03596 - N° Portalis DBVX-V-B7I-PUJQ

Nom du ressortissant :

[P] [Y] [S]

[S]

C/PREFETE DU RHÔNE

COUR D'APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 28 AVRIL 2024

statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers

Nous, Julien SEITZ, conseiller à la cour d'appel de Lyon, déléguée par ordonnance de madame la première présidente de ladite Cour en date du 22 avril 2024 pour statuer sur les procédures ouvertes en application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d'entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d'asile,

Assisté de O.HAMANI, greffier,

En l'absence du ministère public,

En audience publique du 28 Avril 2024 dans la procédure suivie entre :

APPELANT :

M. [P] [Y] [S]

né le 14 Août 2000 à [Localité 5] ( TUNISIE)

de nationalité Tunisienne

Actuellement retenu au Centre de rétention administrative de [4] 1

comparant, assisté de Maître Virginie MOREL, avocat au barreau de Lyon, commis d'office et avec le concours de M.[H] [T], interprète en langue arabe, inscrit sur liste CESEDA, ayant prêté serment à l'audience,

ET

INTIMEE :

M. Mme PREFETE DU RHÔNE

[Adresse 1]

[Localité 2]

non comparant, régulièrement avisé, représenté par Maître Stanislas FRANCOIS substituant Maître Jean-Paul TOMASI, avocat au barreau de Lyon,

Avons mis l'affaire en délibéré au 28 Avril 2024 à 18 h00 et à cette date et heure prononcé l'ordonnance dont la teneur suit :

FAITS ET PROCÉDURE

Une obligation de quitter le territoire français sans délai du 11 novembre 2022 a été notifiée le même jour à [P] [Y] [S] par M. le préfet du Rhône.

Par décision en date du 24 avril 2024, l'autorité administrative a ordonné le placement de [P] [Y] [S] en rétention dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire à compter du 24 avril 2024.

Suivant requête du 25 avril 2024, réceptionnée par le greffe du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon le même jour à 16 heures 51, [P] [Y] [S] a contesté la décision de placement en rétention administrative prise par le préfet du Rhône.

Suivant requête du 25 avril 2024, reçue le même jour à 14heures 39, le préfet du Rhône a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir ordonner la prolongation de la rétention pour une durée de vingt-huit jours.

Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon, dans son ordonnance du 26 avril 2024 à 15 heures 36 a :

' ordonné la jonction des deux procédures,

' déclaré recevable en la forme la requête de [P] [Y] [S],

' l'a rejetée au fond,

' déclaré régulière la décision de placement en rétention prononcée à l'encontre de [P] [Y] [S],

' déclaré recevable la requête en prolongation de la rétention administrative,

' déclaré régulière la procédure diligentée à l'encontre de [P] [Y] [S],

' ordonné la prolongation de la rétention de [P] [Y] [S] dans les locaux du centre de rétention administrative de [Localité 3] pour une durée de vingt-huit jours.

[P] [Y] [S] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration au greffe le 27 avril 2024 à 12 heures 38 en faisant valoir que la décision de placement en rétention avait été prise par une autorité incompétente, qu'elle était insuffisamment motivée en droit et en fait, qu'elle manquait de base légale au regard du principe de non-rétroactivité de la loi, qu'elle était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses garanties de représentation et qu'il n'y avait pas de nécessité de prononcer un placement en rétention.

[P] [Y] [S] a demandé l'infirmation de l'ordonnance déférée et sa remise en liberté.

Par conclusions déposées au greffe le 27 avril 2024, il a conclu à l'irrégularité de la décision de placement en rétention, au regard du caractère prétendument illicite du contrôle d'identité ayant conduit à sa garde-à-vue.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 28 avril 2024 à 10 heures 30.

[P] [Y] [S] a comparu et a été assisté d'un interprète et de son avocat.

Le conseil de [P] [Y] [S] a été entendu en sa plaidoirie pour soutenir les termes de la requête d'appel et des conclusions déposées à son bénéfice.

Mme la préfète du Rhône, représentée par son conseil, a demandé la confirmation de l'ordonnance déférée.

[P] [Y] [S] a eu la parole en dernier.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de l'appel

Attendu que l'appel de [P] [Y] [S] relevé dans les formes et délais légaux prévus par les dispositions des articles L. 743-21, R. 743-10 et R. 743-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) doit être déclaré recevable ;

Sur le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision de placement en rétention :

Attendu que M. [P] [Y] [S] s'est désisté de ce moyen à l'audience ; qu'il n'y a donc lieu de statuer à cet égard ;

Sur le moyen pris de l'insuffisance de la motivation de la décision de placement en rétention administrative et du défaut d'examen de la situation individuelle de [P] [Y] [S]

Attendu qu'il résulte de l'article L. 741-6 du CESEDA que la décision de placement en rétention est écrite et motivée ;

Attendu que l'exigence de motivation oblige l'autorité préfectorale à énoncer les motifs positifs de fait et de droit qui ont déterminé sa décision, mais ne lui impose point de reprendre de manière exhaustive l'ensemble des éléments afférents à la situation de l'étranger, ni de discuter chacun d'eux ;

Qu'il n'en demeure pas moins que l'arrêté et les éléments au dossier doivent permettre de vérifier que l'autorité administrative a procédé à un examen sérieux de la situation de l'étranger, au regard notamment d'éléments aussi importants que ses situations personnelle, familiale et administrative ;

Attendu que le conseil de [P] [Y] [S] prétend que l'arrêté de placement en rétention de Mme la préfète du Rhône est insuffisamment motivé en droit et en fait, en ce que l'autorité administrative n'aurait pas tenu compte de ses garanties de représentation, qu'elle n'aurait pas convenablement caractérisé la menace qu'il ferait peser sur l'ordre public et qu'elle n'aurait pas opéré un examen sérieux de sa situation personnelle et familiale, en omettant de tenir compte de sa situation de concubinage, de l'ancrage de sa vie sur le territoire français, de ses activités professionnelles ;

Qu'il soutient également que l'autorité préfectorale aurait omis de procéder à un examen actualisé de sa situation pour tenir compte de l'évolution de celle-ci entre la décision portant obligation de quitter le territoire français et celle de placement en rétention ;

Mais attendu que c'est par de justes motifs, qui répondent aux moyens des parties et que le conseiller délégué par Mme la première présidente adopte, que le premier juge a retenu :

- que la décision de placement en centre de rétention rappelait l'identité connue et l'identité déclarée de M. [S], l'existence de deux décisions portant obligation de quitter le territoire français prises à son encontre les 25 octobre 2022 et 11 novembre 2022, l'absence de départ volontaire de l'intéressé, l'absence de document de voyage nécessitant des démarches en vue de la délivrance d'un laissez-passer consulaire, le comportement délictueux de l'intéressé en référence aux affaires pour lesquelles il était connu des services de police, l'absence de moyens d'existence effectifs au vu de ses déclarations relatives à son adresse et son travail, l'évaluation de son état de vulnérabilité et le fait qu'il se déclarait asthmatique, l'absence d'incompatibilité de cet état avec la mesure rétention et la possibilité de consulter un médecin au centre de rétention, ainsi que l'absence de moyens de transport immédiat permettant son départ;

- qu'en outre, M. [S] avait bien été entendu sur sa situation administrative et personnelle par les services de police, de sorte que l'autorité administrative avait pu procéder à un examen actualisé de sa situation ;

- que la situation familiale décrite par M. [S] lors de son audition par les services de police différait de celle dont il avait fait état dans sa requête, dans la mesure où il avait omis de mentionner son état de concubinage allégué ;

- qu'ainsi la décision était motivée au regard la situation personnelle de l'intéressé, de ses garanties de représentation et de la menace qu'il faisait porter sur l'ordre public, étant observé que les contestations portant sur l'appréciation de ces éléments constituant moyen de contestation de la légalité interne de la décision ;

Qu'il convient en conséquence de retenir que le préfet du Rhône a pris en considération les éléments de la situation personnelle de [P] [Y] [S] pour motiver son arrêté de manière suffisante et circonstanciée ;

Que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut donc être accueilli ;

Sur le moyen pris de l'erreur d'appréciation des garanties de représentation et de l'absence de nécessité et de proportionnalité de la mesure de placement en rétention :

Attendu que l'article L. 741-1 du CESEDA dispose que «L'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.

Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3 ou au regard de la menace pour l'ordre public que l'étranger représente.» ;

Attendu que la régularité de la décision administrative s'apprécie au jour de son édiction, au regard des éléments de fait connus de l'administration à cette date ;

Attendu que l'état de concubinage allégué de M. [P] [Y] [S], invoqué pour la première fois dans la requête soumise au premier juge, et la grossesse de sa compagne, invoquée à l'occasion du débat contradictoire conduit en première instance, n'étaient pas connus de l'autorité préfectorale à la date de la décision querellée, l'intéressé ayant omis d'en faire état durant son audition devant les services de police;

Attendu que le préfet du Rhône n'avait donc pas à en tenir compte dans l'appréciation de sa situation personnelle ;

Attendu qu'il ressort du dossier que M. [S] s'est vue notifier deux décisions portant obligation de quitter le territoire français sans entreprendre la moindre démarche pour les exécuter spontanément ; qu'il ne dispose d'aucun document de voyage ni d'identité à l'exception d'un acte de naissance ; qu'il a déclaré devant les services de police vivre chez un ami dont il n'a pu donner le nom et travailler un peu partout, sans faire état d'un emploi en qualité de boulanger ;

Qu'au regard des éléments à la disposition de l'autorité préfectorale à la date de sa décision, celle-ci n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation des garanties de représentation de M. [S] ;

Et attendu que M. [S] a été interpellé dans des circonstances laissant supposer qu'il s'était rendu auteur d'un vol en réunion ou d'un recel de vol, pour avoir essayé de faire usage d'une carte de crédit qui ne lui appartenait pas dans différents commerces;

Que l'autorité préfectorale n'a donc pas commis d'erreur manifeste d'appréciation de la menace à l'ordre public liée à son comportement ;

Que le moyen tiré de l'absence de proportionnalité et de l'erreur manifeste d'appréciation quant à la situation de l'étranger et la menace à l'ordre public ne peut donc être accueilli ;

Sur le moyen pris de l'absence de base légale de la décision de placement en rétention administrative

Attendu que l'article L. 741-1 du CESEDA dispose que « l'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de 48 heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentations effectives propres à prévenir un vice de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement exécution effective de cette décision. Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3 ou au regard de la menace pour leur public que l'étranger représente » ;

Attendu que les cas prévus à l'article L. 731-1 du CESEDA s'entendent des cas suivants :

1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ;

2° L'étranger doit être éloigné en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français prise en application des articles L. 612-6, L. 612-7 et L. 612-8 ;

3° L'étranger doit être éloigné pour la mise en 'uvre d'une décision prise par un autre État, en application de l'article L. 615-1 ;

4° L'étranger doit être remis aux autorités d'un autre Etat en application de l'article L. 621-1 ;

5° L'étranger doit être éloigné en exécution d'une interdiction de circulation sur le territoire français prise en application de l'article L. 622-1 ;

6° L'étranger fait l'objet d'une décision d'expulsion ;

7° L'étranger doit être éloigné en exécution d'une peine d'interdiction judiciaire du territoire prononcée en application du deuxième alinéa de l'article 131-30 du code pénal ;

8° L'étranger doit être éloigné en exécution d'une interdiction administrative du territoire français ;

Attendu qu'en amont de l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024, le cas prévu au 1° de l'article L. 731-1 du CESEDA se limitait aux hypothèse dans lesquelles L'étranger avait fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant ;

Qu'en l'absence de disposition spécifiques de la loi nouvelle quant à son application dans le temps, M. [S] soutient que les décisions portant obligation de quitter le territoire français antérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 ne peuvent donner lieu à exécution forcée plus d'un an après leur adoption, sous peine de remettre en cause une situation juridique définitivement acquise sous l'empire de la loi ancienne ;

Qu'il estime en conséquence qu'en le plaçant en rétention sur la foi d'une décision portant obligation de quitter le territoire français antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024, prononcée plus d'un an avant la décision de rétention, l'autorité préfectorale a violé le principe de la non-rétroactivité de la loi ;

Mais attendu que le principe de non-rétroactivité de la loi interdit seulement d'appliquer les dispositions de la loi du 26 janvier 2024 aux décisions de placement en rétention administrative antérieure à son entrée en vigueur, sans faire obstacle à ce que ces mêmes dispositions soient appliquées aux décisions de placement en rétention administrative postérieures à cette échéance, quand même la décision portant obligation de quitter le territoire français visée à l'article L. 731-1 du CESEDA aurait-elle été adoptée avant cette entrée en vigueur et plus d'un an avant la décision de placement rétention ;

Attendu en effet que les dispositions de l'article L. 731-1 ancien du CESEDA n'emportaient pas péremption de la décision portante obligation de quitter le territoire français passé le délai d'un an à compter de son adoption et ne consacraient aucune situation juridique acquise à l'expiration de ce délai, mais empêchaient simplement l'administration de mettre en 'uvre une mesure de rétention administrative, par l'effet d'une restriction dont les rigueurs ont été levées dès l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, à effet immédiat ;

Que le moyen n'est donc pas fondé ;

Sur le moyen tiré de l'irrégularité du contrôle d'identité ayant conduit à la mesure de garde-à-vue puis au placement en rétention administrative

Attendu qu'en application de l'article 78-2 du code de procédure pénale, les officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceci, les agents de police judiciaire et agents police judiciaires adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1° du même code, peuvent inviter à justifier, par tous moyens, de son identité toute personne à l'égard de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, ou qu'elles se préparent à commettre un crime ou un délit ;

Attendu que c'est par de justes motifs, qui répondent aux moyens soulevés par les parties en cause d'appel et que le magistrat délégué par Mme la première présidente adopte, que le premier juge a retenu qu'il résultait du procès-verbal de saisine que l'attention des policiers avait été attirée par deux individus roulant à trottinette électrique à vive allure sans se soucier du flux de circulation, que les policiers les avaient vus se rendre successivement trois magasins, qu'ils avaient pris contact avec les gérants de ces magasins qui avaient déclaré, pour le premier, que l'un de ces deux individus lui avait demandé une aiguille pour extraire carte SIM d'un téléphone, et pour les deuxième et troisième magasins que les individus avaient tenté de payer des achats par paiement sans contact avec une carte bleue qui avait été refusée, pour en déduire que ce comportement, et notamment la réitération de tentatives de paiement par carte bleue non suivies d'une composition du code bancaire après l'échec de la fonction sans contact, constituaient des indices faisant présumer que les individus avaient commis ou tenté de commettre une infraction d'usage frauduleux d'un moyen de paiement, justifiant le contrôle d'identité;

Que le moyen tiré de l'irrégularité du contrôle d'identité ayant conduit à la mesure de rétention administrative n'est pas fondé ;

Qu'il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance entreprise ;

PAR CES MOTIFS

Déclarons recevable l'appel formé par [P] [Y] [S],

Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée.

Le greffier, Le conseiller délégué,

O.HAMANI Julien SEITZ