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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 26 avril 2024, n° 22/01886

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Athesi (SARL)

Défendeur :

M3 Mobile Co. Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme L'Eleu de la Simone, Mme Guillemain

Avocats :

Me Guyonnet, Me Grandmaire, Me Kim, Me Le Pevenn

T. com. Paris, du 25 oct. 2021, n° 20200…

25 octobre 2021

FAITS ET PROCEDURE

La société de droit coréen M3 Mobile Co. Ltd (la société M3 Mobile) fabrique des terminaux mobiles portables.

La SARL Athesi a pour activité l'importation et la distribution de produits informatiques.

Par lettre du 9 novembre 2005, la société M3 Mobile a désigné la société Athesi comme le distributeur exclusif de ses produits sur le territoire français. Aucun contrat écrit n'a, toutefois, été régularisé.

Dans un courriel du 21 septembre 2015, la société M3 Mobile a informé la société Athesi qu'elle avait signé un contrat de partenariat avec la société Scansource, basée en Belgique, pour développer le marché européen, incluant la France, ce qui a mis un terme à l'exclusivité dont elle bénéficiait jusqu'à cette date.

Puis, par courriel du 22 février 2019, la société M3 Mobile a indiqué à la société Athesi qu'elle mettait un terme à leur relation commerciale avec effet au 1er mars 2019, soit à l'issue d'un préavis de sept jours.

Suivant exploit du 16 janvier 2020, la société Athesi a fait assigner la société M3 Mobile devant le tribunal de commerce de Paris, afin d'obtenir réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de la rupture brutale d'une relation commerciale établie.

Par jugement en date du 25 octobre 2021, le tribunal a :

- Condamné la société M3 Mobile Co. Ltd à payer à la SARL Athesi la somme de 22.915 € au titre de la perte de marge brute subie en raison de la rupture brutale de la relation commerciale établie,

- Débouté la société M3 Mobile Co. Ltd de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

- Condamné la société M3 Mobile Co. Ltd à payer la SARL Athesi la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples et contraires,

- Condamné la société M3 Mobile Co. Ltd aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,01 € dont 12,12 € de TVA.

La société Athesi a formé appel du jugement, par déclaration du 21 janvier 2022.

Par conclusions communiquées par le réseau privé virtuel des avocats, le 31 mai 2022, la société M3 Mobile Co. Ltd a interjeté un appel incident.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 5 décembre 2023, la SARL Athesi demande à la cour, au visa des articles 696 et 700 du code de procédure civile, 1226 et 1240 du code civil et L. 442-6, I, 5°, ancien du code de commerce de :

" - CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

jugé que la société M3 MOBILE Co. LTD a rompu brutalement la relation commerciale établie entre les parties ;

débouté la société M3 MOBILE Co. LTD de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

condamné la société M3 MOBILE Co. LTD à payer à la société ATHESI la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société M3 MOBILE Co. LTD aux dépens,

ordonné l'exécution provisoire de la décision rendue ;

- INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

condamné la société M3 MOBILE Co. LTD à payer à la société ATHESI la somme de 22.915 euros au titre de la perte de marge brute subie en raison de la rupture brutale de la relation commerciale établie,

débouté la société ATHESI de sa demande indemnitaire complémentaire de 10.000 euros,

débouté la société ATHESI de sa demande de dommages et intérêts pour détournement du client,

- STATUANT À NOUVEAU :

débouter la société M3 MOBILE Co. LTD de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,

condamner la société M3 MOBILE Co. LTD à payer à la société ATHESI la somme de 570.000 euros (à parfaire) au titre de la rupture brutale totale de la relation commerciale entre les parties intervenue en 2019,

condamner la société M3 MOBILE Co. LTD à payer à la société ATHESI la somme de 456.000 euros (à parfaire) au titre du détournement du client CIBLEX,

condamner la société M3 MOBILE Co. LTD à payer à la société ATHESI la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance. "

Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 9 janvier 2024, la société de droit coréen M3 Mobile Co. Ltd demande à la cour, au visa de l'ancien article L. 442-6, 5°, du code de commerce et de l'article 1104 du code civil, de :

" CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

- Débouté la société ATHESI de sa demande de dommages et intérêts pour détournement du client Ciblex étant donné que la commande officielle n'a pas eu lieu ;

- En conséquence, débouté la société ATHESI de sa demande indemnitaire complémentaire pour préjudice d'image.

INFIRMER le jugement pour le surplus et statuant à nouveau :

o Sur la prétendue rupture brutale des relations commerciales établies,

A titre principal,

Juger que la rupture de la relation commerciale établie entre les parties est causée par une faute commise par la société ATHESI,

Juger qu'un préavis de 7 jours octroyé est suffisant.

En conséquence,

Débouter la société ATHESI de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

Si tel n'était pas le cas,

A titre subsidiaire,

Juger que la société ATHESI n'a subi aucun préjudice,

En conséquence,

Débouter la société ATHESI de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

o Sur les demandes reconventionnelles de M3 MOBILE à ATHESI

Condamner la société ATHESI à payer à la société M3 MOBILE :

- 2.113.024 euros au titre du préjudice relatif au manque à gagner du fait du remplacement par les produits ATHESI entre 2015 à 2018 ;

- 1.171.696 euros ou à titre subsidiaire 417.096 euros au titre du préjudice relatif au manque à gagner du fait de l'octroi d'un tarif préférentiel exceptionnel à ATHESI de 2015 à 2018 ;

- 40.000 euros au titre du préjudice moral et d'image du fait de l'exécution déloyale du contrat de distribution.

o En tout état de cause,

Débouter la société ATHESI de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Condamner la société ATHESI au remboursement de toutes sommes versées par la société M3 MOBILE au titre de l'exécution provisoire du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris,

Condamner la société ATHESI aux entiers dépens de l'instance conformément à l'article 696 et suivants du Code de procédure civile, y compris les frais de traduction engagés du fait de la barrière de la langue,

Condamner la société ATHESI à la somme de 30.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, notamment en tenant en compte les difficultés d'une société coréenne à faire valoir ses droits devant la juridiction et par la loi françaises qu'elle ne maîtrise pas. "

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il est rappelé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes tendant à voir " constater " ou " dire et juger " qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

Sur la rupture d'une relation commerciale établie

Enoncé des moyens

La société Athesi se prévaut d'une relation commerciale établie avec la société M3 Mobile, non contestée par l'intimée, d'une durée de près de quatorze années, ayant débuté au mois de juillet 2005. Elle considère qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis minimum de quatorze mois, alors que, dans les faits, le préavis de sept jours n'a pas été exécuté, la société M3 Mobile ayant annoncé la rupture de leur relation à ses clients dès le 25 février 2019. Selon elle, celle-ci n'a jamais démontré la réalité des fautes évoquées dans son courrier de résiliation et tente désormais de justifier la rupture par d'autres motifs, qui sont dénués de sérieux. Elle prétend ainsi que la société M3 Mobile n'est pas fondée à se prévaloir d'une faute de son partenaire a posteriori, sans l'avoir caractérisée et notifiée avant et au moment de l'annonce de la rupture. Elle réfute, en tout état de cause, avoir commis une faute grave. Elle fait valoir, à cet égard, que l'existence d'un taux élevé d'insatisfaction des clients n'est pas avérée, qu'elle était parfaitement libre de vendre d'autres produits que ceux de la société M3 Mobile, ce dont celle-ci avait connaissance, et qu'elle n'a jamais exercé une activité de fabrication. Elle souligne, enfin, que la société M3 Mobile ne lui a adressé aucune mise en demeure préalable de respecter ses obligations.

La société M3 Mobile reconnaît, pour sa part, que la relation commerciale établie entre les parties a duré treize ans et trois mois. Elle explique que la rupture de cette relation, sans mise en demeure préalable, a été rendue nécessaire, dans les plus brefs délais, face aux agissements déloyaux de la société Athesi, constitutifs d'une faute grave. Elle reproche ainsi à la société Athesi d'avoir distribué des produits concurrents à son insu et d'avoir omis de l'informer de son changement de statut, alors qu'elle fabriquait désormais ses produits, devenant ainsi son premier concurrent. Elle rappelle que, dans la lettre de rupture du 22 février 2019, elle se prévalait des plaintes de consommateurs, tout en indiquant souhaiter se prémunir des dégâts de vente futurs, et que les motifs de la rupture relatifs notamment à son statut de fabricant ont été explicités dans deux courriels des 27 et 28 février 2019. Elle fait valoir que la société Athesi a été son distributeur exclusif pendant dix années, bien qu'aucun contrat écrit n'ait été conclu, et qu'elle n'a jamais accepté ni toléré que son partenaire commercialise des produits concurrents. Elle ajoute que la société Athesi ne lui a pas donné accès aux informations permettant de vérifier la satisfaction de la clientèle, et que l'appelante a admis qu'elle fabriquait ses propres produits à la date de la rupture de la relation commerciale, ce qui menaçait le secret commercial et technique de ses produits. Subsidiairement, elle fait valoir que la société Athesi ne peut se prévaloir d'un gain manqué.

Réponse de la cour

Selon l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, applicable aux faits de la cause, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

- Sur l'existence d'une relation commerciale établie

Une relation commerciale établie présente un caractère suivi, stable et habituel et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

Dans le cas présent, les parties s'accordent à reconnaître que, malgré l'absence de contrat écrit, il existait une relation commerciale établie, pour le moins depuis le 9 novembre 2005, date du courrier de la société M3 Mobile ayant désigné la société Athesi comme le distributeur exclusif de ses produits sur le territoire français.

L'appelante justifie qu'elle avait préalablement passé une commande, au mois de juillet 2015, à la société M3 Mobile.

Il y a donc lieu d'estimer que la relation commerciale était établie, non pas depuis treize années et trois ou quatre mois, comme l'a retenu le tribunal de commerce, mais depuis treize années et sept mois, au jour où la société M3 Mobile a, par courriel du 22 février 2019, informé la société Athesi qu'elle entendait y mettre fin.

- Sur l'imputabilité de la rupture de la relation commerciale établie

Il résulte des dispositions du texte susvisé que le principe de la responsabilité de l'auteur de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de cette relation, ne souffre d'exception qu'en cas de force majeure ou d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, suffisamment grave pour justifier la rupture unilatérale immédiate de la relation (Com., 14 octobre 2020, n° 18-22.119, inédit).

Dans la lettre du 22 février 2019, la société M3 Mobile précisait les motifs de la rupture de la relation en ces termes :

" M3 Mobile annonce que tous les produits de M3 Mobile ne seront plus fournis à compter du 1er mars 2019 en raison non seulement du nombre de plaintes que M3 Mobile a reçues depuis qu'Athesi a offert les produits de M3 Mobile sur le marché français, mais également parce que de pires dégâts de vente sont attendus dans le futur.

En cas de réparation, Athesi était un centre de réparation officiel de M3 Mobile pour les seuls produits qu'Athesi a vendus. Pour la même raison que M3 Mobile a reçu de nombreuses plaintes des utilisateurs finaux, M3 Mobile n'autorisera plus Athesi à être un centre de réparation officiel ni offrira des composants des produits M3 Mobile à Athesi. M3 Mobile pourra fournir des composants pour la réparation uniquement pour les produits précédemment vendus par Athesi à condition qu'Athesi soit obligée de rapporter le détail des enregistrements de réparation chaque mois. "

L'intimée se prévalait ainsi de plaintes de la clientèle, de " dégâts de vente " futurs et, plus précisément encore, de l'insatisfaction des consommateurs concernant les réparations effectuées par la société Athesi sur les produits vendus.

Elle devait préciser les raisons de sa décision, par courriels des 27 et 28 février 2019, tenant à la fois au statut de fabricant de la société Athesi, devenue son concurrent direct, et à la commercialisation des produits de sociétés tierces ; elle faisait état, en outre, du manque de professionnalisme du service de réparation de la société Athesi, ayant donné lieu, selon elle, à un nombre important de réclamations d'utilisateurs et à un taux élevé de RMA (autorisation de retour de marchandises).

Contrairement à ce que prétend la société Athesi, les motifs dont se prévaut la société M3 Mobile n'ont pas été invoqués postérieurement à la lettre de rupture de la relation commerciale, mais explicités quelques jours plus tard, en réponse au courrier de son cocontractant du 26 février précédent.

La pertinence de ces griefs n'est, cependant, pas établie. La société M3 Mobile, sur laquelle repose la charge de la preuve, ne produit, tout d'abord, aucun élément démontrant un taux élevé de RMA et de plaintes des utilisateurs mécontents du service de réparation des produits ; et elle ne peut légitimement prétendre qu'il appartenait à la société Athesi, en tant que centre de réparation officiel, de lui communiquer des informations relatives au suivi des produits, dès lors que, comme elle l'explique elle-même, le projet de contrat de distribution élaboré au cours de l'année 2014, qui prévoyait de formaliser une obligation en ce sens, n'a jamais été finalisé.

Il est constant, ensuite, que les parties n'étaient liées par aucun engagement d'exclusivité réciproque. Comme l'a relevé le tribunal, s'il est vrai qu'une relation d'exclusivité prévalait entre les parties jusqu'en 2014, la société M3 Mobile a informé la société Athesi, pour courriel du 21 septembre 2015, qu'elle y mettait un terme, suite à la signature d'un contrat de partenariat avec la société Scansource. Par ailleurs, le projet de contrat, élaboré en 2014, dans lequel la société M3 Mobile avait ajouté une clause faisant interdiction à la société Athesi de distribuer des produits similaires aux siens, n'a pas abouti, cependant que la société Athesi n'était liée par aucune clause de non-concurrence ni tenue d'un quelconque engagement de volume. L'intimée n'apparaît donc pas fondée à lui reprocher d'avoir commercialisé des produits concurrents ni même vendu ses propres produits. Elle ne saurait non plus lui faire grief d'une quelconque dissimulation, puisqu'il résulte des échanges de mails entre les parties, au cours de l'année 2017, que la société M3 Mobile n'ignorait pas que la société Athesi commercialisait des produits concurrents, et que celle-ci a publié l'annonce officielle de la transformation de ses activités. En tout état de cause, la société M3 Mobile ne justifie pas l'avoir mise en demeure de cesser de vendre des produits concurrents.

Enfin, la société M3 Mobile ne fait état d'aucun élément propre à démontrer que la société Athesi avait cessé de faire la promotion de ses produits ou que le fait d'assurer leur service après-vente engendrait un risque d'atteinte à leur secret de fabrication.

Contrairement aux allégations de la société M3 Mobile, aucune faute ne saurait ainsi être reprochée à la société Athési justifiant qu'il ait été mis un terme, de façon urgente, à la relation commerciale. L'imputabilité de la rupture incombe, en conséquence, exclusivement à la société M3 Mobile.

- Sur le caractère brutal de la rupture au regard de la durée du préavis

Il résulte de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce que le préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances notamment de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée (Com., 20 mai 2014, n° 13-16.398, publié au Bulletin).

Le préavis vise à permettre au partenaire évincé de préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Outre l'ancienneté des relations, les principaux critères à prendre en considération, pour apprécier la durée suffisante du préavis, sont la dépendance économique, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Comme il a été dit, la durée de la relation commerciale établie était, en l'espèce, de treize années et sept mois, au jour où de la rupture. Il doit ainsi être tenu compte de l'ancienneté importante de cette relation.

Ainsi que l'a relevé le tribunal de commerce, la société Athesi n'était, cependant, liée par aucune obligation d'exclusivité, durant la relation commerciale, et n'était pas soumise à une clause de non-concurrence, ce qui lui offrait la faculté d'orienter son activité auprès d'autres fournisseurs, quand bien même la société M3 Mobile était son " fabricant historique ".

La société Athesi reconnaît, d'ailleurs, qu'elle avait noué des partenariats avec des fournisseurs concurrents, bien avant la rupture de la relation commerciale notifiée par la société M3 Mobile.

A cela s'ajoute que l'appelante, même si elle conteste sa qualité de fabricant, a développé à tout le moins une activité de revendeur de produits sur lesquels elle a apposé sa propre marque, l'avènement de ce statut ayant été préparé durant trois ans avant d'être officialisé le mois précédent la rupture.

Or, si la société Athesi n'a commis aucune faute en développant une activité avec d'autres fabricants ou en vendant ses propres produits, il n'en demeure pas moins que ce changement d'orientation avait vocation à lui permettre de devenir indépendante de la société M3 Mobile.

A la date de la rupture, le chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec la société M3 Mobile était, d'ailleurs, en forte baisse depuis deux ans. Il n'est pas contesté, comme l'a souligné le tribunal, que la moyenne annuelle des six années précédentes était ainsi de l'ordre de 2 millions d'euros, alors que le chiffre d'affaires était de 662.232 €, en 2017, et de 795.277 €, en 2018, en l'absence de garanties de volume d'affaires.

Au regard de ces éléments, la durée suffisante du préavis sera estimée, non pas à un mois, comme l'a retenu le tribunal, mais à sept mois.

En concédant un préavis d'une durée d'une semaine, inférieure à ce délai, la société M3 Mobile s'est ainsi rendue responsable d'une rupture brutale de la relation commerciale établie ouvrant droit à indemnisation.

Il apparaît, de surcroît, que ce préavis d'une semaine n'a pas été exécuté, la société M3 Mobile ayant annoncé à ses clients la rupture de la relation avec la société Athesi pour le moins dès le 25 février 2019, ainsi qu'il résulte d'un courriel du même jour de la société Ciblex.

- Sur la réparation du préjudice résultant de la brutalité de la rupture

Lorsque le préavis accordé est insuffisant, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugé nécessaire (Com., 9 juillet 2013 n° 12-20.468, publié au Bulletin).

Sont seuls indemnisables, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, les préjudices découlant de la rupture et non la rupture elle-même (Com., 10 février 2015, n° 13-26.414, publié au Bulletin).

Pour évaluer le préjudice correspondant au gain manqué, il convient de prendre en compte la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance du préavis.

Compte tenu de la durée importante de la relation commerciale de plus de treize années, pour calculer ce taux, il y a lieu de se référer non pas au montant du chiffre d'affaires réalisé sur les deux dernières années, comme l'a retenu le tribunal, mais sur les trois dernières années précédant la rupture.

La société Athesi produit une attestation d'expert-comptable, dont il résulte que :

- la moyenne du chiffre d'affaires, sur les années 2016, 2017 et 2018, réalisée grâce aux ventes de produits, est de 1.145.196 € et que, sur ces trois exercices, la marge brute s'élève à 29,41 % ;

- la moyenne de la marge brute sur les contrats de maintenance, au cours des trois dernières années, est de 142.581 €.

Le préjudice doit donc être évalué selon le calcul suivant :

((1.145.196 /12) X 29,41%) + (142.581 /12)) X 7 mois = 279.640,13 €

La société M3 Mobile sera, en conséquence, condamnée à payer à la société Athesi la somme de 279.640,13 € en réparation de son gain manqué, le jugement devant être corrélativement infirmé de ce chef.

Pour le reste, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la société Athesi ne rapportait pas la preuve d'un préjudice distinct, de sorte qu'il convient d'approuver le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande complémentaire de dommages et intérêts.

Sur les agissements de concurrence déloyale

Enoncé des moyens

La société Athesi prétend que la société M3 Mobile s'est livrée à des man'uvres constitutives de concurrence déloyale, en détournant plusieurs de ses clients, dont la société Ciblex. Elle soutient, plus précisément, que la société M3 Mobile a proposé à cette dernière de commander directement ses produits et l'a découragée de terminer le déploiement de son parc de terminaux, par son intermédiaire.

La société M3 Mobile fait valoir inversement qu'il était dans son intérêt de finaliser le projet avec la société Ciblex, qui n'a pu aboutir en raison de la négligence de la société Athesi. Elle explique que celle-ci ne lui a adressé aucun bon de commande, malgré de multiples relances, alors que les appareils, qui n'étaient pas revendables, étaient en attente d'expédition depuis la mi-novembre 2028.

Réponse de la cour

Selon l'article 1240 du code civil, " Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. "

Il résulte des échanges de courriels versés aux débats que des pourparlers ont été engagés, à compter du mois d'avril 2017, entre la société Athesi et la société Ciblex pour répondre à une commande importante, portant sur 2300 terminaux, mais que ce projet a finalement échoué en partie.

C'est en vain que la société Athesi prétend que la société M3 Mobile aurait tenté de procéder à un détournement de clientèle, par l'intermédiaire de son directeur des ventes, M. [Y]. Le seul fait que celui-ci ait pris attache directement avec la société Ciblex, ainsi qu'avec d'autres clients, tels que les sociétés Ubi Solutions ou Techniprints, dans le cadre de " visites marketing ", ne suffit pas à caractériser des man'uvres déloyales, dès lors qu'il n'est pas justifié que son intervention aurait incité les clients de la société Athesi à ne plus lui passer de commande, la société M3 Mobile expliquant que ces visites étaient destinées à promouvoir les produits dans l'intérêt commun du fabricant et du fournisseur.

Il résulte, par ailleurs, d'un courriel du 5 décembre 2018, que la société Ciblex avait indiqué à la société Athesi avoir reçu une offre à des tarifs plus intéressants, sans pour autant désigner nommément le fournisseur concurrent. La société Athesi se contente, à ce sujet, d'alléguer, sans le démontrer, que la société M3 Mobile aurait proposé à la société Ciblex de commander des produits sans son intermédiaire et l'aurait découragée de poursuivre le projet.

La société M3 Mobile justifie inversement, au vu des mails adressés à la société Athesi, durant la période des mois d'octobre 2018 à janvier 2019, l'avoir sollicitée à de multiples reprises afin d'obtenir les bons de commande des produits, alors que 1530 appareils, personnalisés avec le sigle du client, étaient en attente d'expédition depuis la mi-novembre 2018. Si rien ne laisse à penser que la société Athesi, qui était encore dans l'attente de l'accord de la société Ciblex pour finaliser le projet, s'est montrée négligente, la société M3 Mobile établit, pour autant, qu'elle avait elle-même accompli les diligences nécessaires afin que celui-ci puisse aboutir.

En tout état de cause, il ne saurait être reproché à la société M3 Mobile d'avoir finalement découragé la société Ciblex de passer commande auprès de la société Athesi, celle-ci ayant renoncé au projet, avant que les parties ne soient parvenues à trouver un accord, le 6 mars 2019, immédiatement après la rupture de la relation commerciale avec la société M3 Mobile, notifiée le 22 février précédent, au motif que la société Athesi n'était plus autorisée à revendre le matériel.

Dans ces conditions, la société Athesi, qui échoue à rapporter la preuve de faits de concurrence déloyale, ne pourra être que déboutée de ses demandes d'indemnisation.

Sur la demandes reconventionnelles d'indemnisation

Enoncé des moyens

La société M3 Mobile estime avoir subi, en raison de l'exécution déloyale du contrat de distribution par la société Athesi, un manque à gagner " du fait du remplacement par les produits Athesi entre 2015 à 2018 ", un manque à gagner en lien avec l'octroi d'un tarif préférentiel exceptionnel, durant la même période, ainsi qu'un préjudice moral et d'image.

L'appelante réplique qu'elle n'a commis aucune faute. Subsidiairement, elle fait valoir que la société M3 Mobile ne rapporte pas la preuve des préjudices allégués ni d'un quelconque lien de causalité.

Réponse de la cour

Selon l'article 1134, dans sa version antérieure au 1er octobre 2016, remplacé par l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être exécutés de bonne foi.

Comme il a été dit, la société Athesi, qui n'était liée par aucune clause d'exclusivité d'approvisionnement ou obligation de non-concurrence, restait libre de nouer des partenariats avec des réseaux de distribution concurrents ou de vendre ses propres produits. Par ailleurs, les parties n'avaient pris aucun engagement de volume annuel d'affaires. Il n'est pas établi non plus que la société Athesi dissimulait l'offre concurrente des produits qu'elle commercialisait. Il s'ensuit que la société M3 Mobile n'est pas fondée à lui reprocher une inexécution fautive de ses obligations contractuelles, qu'elle prétend être liée à une baisse concomitante de son chiffre d'affaires au lancement de la fabrication de ses propres produits.

C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a, par ailleurs, retenu que les parties étaient convenues de tarifs négociés sans condition particulière, et que cet engagement ayant été librement consenti, la société M3 Mobile n'était pas fondée à se plaindre d'un manque à gagner.

Enfin, la société M3 Mobile ne fait état d'aucun élément de preuve de nature à démontrer que la société Athesi aurait tenté de détourner sa clientèle, en proposant à ses clients de lui vendre en remplacement ses propres produits, tout en dénigrant les siens.

Le jugement sera ainsi confirmé, en ce qu'il a débouté la société M3 Mobile de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles de dommages et intérêts.

Sur la restitution des sommes versées en exécution du jugement

Compte tenu du sens de la présente décision, la demande de la société M3 Mobile portant sur la restitution des sommes versées en exécution du jugement est sans objet.

Il sera rappelé qu'en tout état de cause, un arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution éventuelle des sommes versées en exécution du jugement, de sorte que la cour n'a pas à statuer sur une telle demande.

Sur les autres demandes

La société M3 Mobile succombant au recours, le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Statuant de ces chefs en cause d'appel, la cour la condamnera aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Athesi une indemnité de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné la société M3 Mobile Co. Ltd à payer à la SARL Athesi la somme de 22.915 € au titre de la perte de marge brute subie en raison de la rupture brutale de la relation commerciale établie,

STATUANT A NOUVEAU,

CONDAMNE la société M3 Mobile Co. Ltd à payer à la SARL Athesi la somme de 279.640,13 € en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la société M3 Mobile Co. Ltd aux dépens de l'appel,

CONDAMNE la société M3 Mobile Co. Ltd à payer à la SARL Athesi la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.