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Décisions

CA Lyon, retentions, 25 avril 2024, n° 24/03466

LYON

Ordonnance

Autre

CA Lyon n° 24/03466

25 avril 2024

N° RG 24/03466 - N° Portalis DBVX-V-B7I-PT7L

Nom du ressortissant :

[M] [P]

PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

C/

[P]

COUR D'APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE SUR APPEL AU FOND

EN DATE DU 25 AVRIL 2024

statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers

Nous, Marianne LA MESTA, conseiller à la cour d'appel de Lyon, déléguée par ordonnance de madame la première présidente de ladite Cour en date du 22 avril 2024 pour statuer sur les procédures ouvertes en application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d'entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d'asile,

Assistée de Manon CHINCHOLE, greffier,

En l'absence du ministère public,

En audience publique du 25 Avril 2024 dans la procédure suivie entre :

APPELANT :

Monsieur le Procureur de la République près le tribunal de judiciaire de Lyon

Non comparant, régulièrement avisé, non représenté

ET

INTIMES :

M. [M] [P]

né le 13 Décembre 2004 à [Localité 3] (TUNISIE)

de nationalité Tunisienne

Actuellement retenu au centre de rétention administrative de [5]

Comparant assisté de Maître Marie HOUPPE, avocat au barreau de LYON commis d'office

M. LE PRÉFET DE LA SAVOIE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Non comparant, régulièrement avisé, représenté par Maître Cherryne RENAUD AKNI, avocat au barreau de LYON substituant Maître Jean-Paul TOMASI, avocat au barreau de LYON,

Avons mis l'affaire en délibéré au 25 Avril 2024 à 15 heures 30 et à cette date et heure prononcé l'ordonnance dont la teneur suit :

FAITS ET PROCÉDURE

Le 26 février 2023, le préfet police de [Localité 6] a édicté à l'encontre d'[M] [P] un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours à compter de sa notification, cette décision ayant été portée à la connaissance de l'intéressé le jour-même.

Le 8 septembre 2023, le préfet de la Savoie a pris et notifié à [M] [P] une décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par décision en date du 8 février 2024, prise le jour de la levée d'écrou d'[M] [P] du centre pénitentiaire d'[2] à l'issue de l'exécution d'une peine de 8 mois d'emprisonnement prononcée le 11 septembre 2023 par le tribunal correctionnel de Chambéry, l'autorité administrative a ordonné son placement en rétention dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour l'exécution de la mesure d'éloignement précitée.

Par ordonnances des 10 février 2024, 9 mars 2024 et 8 avril 2024, dont la première a été confirmée en appel le 13 février 2024, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon a prolongé la rétention administrative d'[M] [P] pour des durées successives de vingt-huit, trente et quinze jours.

Suivant requête du 22 avril 2024, enregistrée au greffe le jour-même à 14 heures 33, le préfet de la Savoie a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir ordonner une dernière prolongation exceptionnelle de la rétention d'[M] [P] pour une durée de quinze jours.

Dans la perspective de cette audience, le conseil d'[M] [P] a déposé des conclusions aux fins de remise en liberté.

Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon, dans son ordonnance du 23 avril 2024 à 14 heures 51, a déclaré recevable la requête de la préfecture de la Savoie et régulière la procédure diligentée à l'encontre d'[M] [P], mais dit n'y avoir lieu à prolongation exceptionnelle du maintien en rétention de l'intéressé.

Par déclaration reçue le 23 avril 2024 à 17 heures 45, le ministère public a formé appel avec demande d'effet suspensif, en faisant valoir que contrairement à ce qui a été retenu par le juge des libertés et de la détention, il n'est pas exigé par l'article L. 742-5 du CESEDA que la menace pour l'ordre public intervienne au cours des 15 jours ayant précédé la 4ème demande prolongation pour justifier celle-ci. Or, [M] [P] constitue une menace pour l'ordre public, en ce qu'il a été condamné le 11 septembre 2023 par le tribunal correctionnel de Chambéry à 8 mois d'emprisonnement avec mandat de dépôt et interdiction de détenir ou porter une arme pendant 5 ans pour vol avec violence ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas 8 jours aggravé par une autre circonstance et vol en réunion, mais également en ce qu'il a été signalisé le 11 décembre 2022 pour menaces de mort réitérées, le 14 décembre 2022 pour vol aggravé par deux circonstances et le 7 septembre 2023 pour extorsion avec violence ayant entraîné une incapacité totale de travail, recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans d'emprisonnement et arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de plusieurs personnes suivi de libération avant le 7ème jour.

Le ministère public observe par ailleurs qu'[M] [P] ne dispose d'aucune garantie de représentation puisqu'il est dépourvu de tout document de voyage et qu'il ne justifie ni d'une résidence stable, ni d'une source de revenus.

Par ordonnance du 24 avril 2024 à 10 heures 20, le délégataire du premier président a déclaré l'appel recevable et suspensif.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 25 avril 2024 à 10 heures.

[M] [P] a comparu, assisté par son avocat.

M. l'avocat général a transmis des réquisitions écrites le 24 avril 2024 à 10 heures 51 au terme desquelles il réitère les termes de la requête d'appel, en précisant que la menace pour l'ordre public a d'ores et déjà été considérée comme établie par le juge des libertés et de la détention dans l'ordonnance du 8 avril 2024.

Le préfet de la Savoie, représenté par son conseil, s'associe aux réquisitions du Parquet Général et sollicite l'infirmation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention.

Le conseil d'[M] [P], entendu en sa plaidoirie, reprend les moyens articulés dans ses conclusions de première instance dans sa requête et soutient la confirmation de l'ordonnance déférée.

[M] [P], qui a eu la parole en dernier, indique qu'il a fait une première connerie et qu'il ne pensait pas que les choses allaient se passer de cette manière. Il ajoute qu'il a toujours donné sa vraie identité et a eu un bon comportement en détention. Il n'estime donc pas être une menace pour l'ordre public. Il déclare encore ne pas pouvoir avancer dans ses démarches pour régler sa situation tant qu'il est bloqué au centre de rétention.

MOTIVATION

L'article L. 741-3 du CESEDA prévoit qu'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que le temps strictement nécessaire à son départ et que l'administration doit exercer toute diligence à cet effet.

L'article L. 742-5 du même code dispose que : "A titre exceptionnel, le juge des libertés et de la détention peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au delà de la durée maximale de rétention prévue à l'article L. 742 4, lorsqu'une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :

1 L'étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la décision d'éloignement ;

2 L'étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d'éloignement :

a) une demande de protection contre l'éloignement au titre du 5 de l'article L. 631 3 ;

b) ou une demande d'asile dans les conditions prévues aux articles L. 754 1 et L. 754 3 ;

3 La décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé et qu'il est établi par l'autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d'urgence absolue ou de menace pour l'ordre public.

L'étranger est maintenu en rétention jusqu'à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle ci court à compter de l'expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d'une durée maximale de quinze jours.

Si l'une des circonstances mentionnées aux 1 , 2 ou 3 ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l'avant dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n'excède alors pas quatre vingt dix jours." ;

En l'espèce, le premier juge a fait droit aux conclusions développées par le conseil d'[M] [P] en retenant que les conditions du texte rappelé ci-dessus ne sont pas réunies, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'[M] [P] ait fait obstruction à son éloignement durant les 15 derniers jours, ni qu'il ait, au cours de ce même délai, déposé une demande de protection ou d'asile dans le seul but de faire échec à celui-ci, que le caractère infructueux des diligences de l'autorité administrative auprès des autorités tunisiennes qui n'ont pas reconnu l'intéressé comme l'un de leurs ressortissants, puis des autorités algériennes depuis le 5 avril 2024 ne permet pas non plus de tenir pour établie la délivrance à bref délai d'un document de voyage et que le dernier alinéa de l'article L.742-5 susvisé énonce désormais que la menace pour l'ordre public doit résulter d'un comportement intervenu dans les 15 derniers jours de la rétention, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence, les éléments de la procédure ne permettant pas de caractériser la survenance de cette menace au cours de la 3ème période de prolongation.

Il doit toutefois être observé que l'interprétation de l'article L. 742-5 précité faite par le premier juge comme devant s'entendre de la recherche d'une menace pour l'ordre public uniquement intervenue dans les 15 derniers jours de la rétention, conduit à dénaturer ce texte dont la mise en oeuvre ne saurait exiger, sauf à le vider de sa substance en lui faisant perdre quasiment toute effectivité, que la circonstance prévue par son septième alinéa corresponde nécessairement à des faits commis ou révélés au cours de la précédente période de la rétention administrative, la concrétisation de la menace pour l'ordre public pouvant en effet résulter d'éléments antérieurs à la 3ème prolongation mis en exergue par l'autorité administrative lorsqu'elle soutient l'existence d'une telle menace à l'appui de sa dernière demande de prolongation.

A cet égard, il convient de rappeler que dans son ordonnance du 8 avril 2024 ayant autorisé la troisième prolongation de la rétention, dont [M] [P] n'a pas interjeté appel, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon a d'ores et déjà souverainement considéré que la menace pour l'ordre public était suffisamment caractérisée par l'autorité administrative.

La décision non contestée relève ainsi que l'intéressé a été condamné le 11 septembre 2023 par le tribunal correctionnel de Chambéry à 8 mois d'emprisonnement pour des faits de vols aggravés, notamment avec violence, et qu'il a en outre été signalisé à plusieurs reprises pour des faits de menaces de mort ou de vols aggravés.

Aucun élément nouveau n'étant invoqué par [M] [P] depuis le prononcé de cette décision, dont la survenance serait de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le magistrat relativement au critère de la menace pour l'ordre public dans une ordonnance désormais revêtue de l'autorité de la chose jugée, il y a lieu de considérer que cette menace est toujours d'actualité, de sorte que les conditions d'une dernière prolongation exceptionnelle au sens des dispositions de l'article L. 742-5 du CESEDA sont réunies.

L'ordonnance déférée est par conséquent infirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à prolongation exceptionnelle de la rétention d'[M] [P], sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, dès lors qu'il suffit que le retenu réponde à l'un des critères posés par l'article L. 742-5 précité pour justifier son maintien en rétention.

PAR CES MOTIFS

Infirmons l'ordonnance déférée, en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à prolongation exceptionnelle du maintien en rétention administrative d'[M] [P], et statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Ordonnons la prolongation exceptionnelle de la rétention administrative d'[M] [P] pour une durée supplémentaire de 15 jours.

Le greffier, Le conseiller délégué,

Manon CHINCHOLE Marianne LA MESTA