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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 30 avril 2024, n° 23/02686

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Entrepôt Eurocentre (SASU)

Défendeur :

Entrepot Eurocentre (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ferreira

Conseillers :

M. Vet, M. Balista

Avocats :

Me Dunac, Me Goldblum, Me Rives, Me De Cesseau

TGI Toulouse, du 11 juill. 2023, n° 23/0…

11 juillet 2023

FAITS

Par acte du 31 octobre 2018, la SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] a donné à bail commercial pour une durée de 12 ans à compter du 1er septembre 2019 à la SARL Pioneer Génétique, le bâtiment E d'un ensemble immobilier à usage d'entrepôt logistique situé Zac Eurocentre [Localité 6] II à [Localité 5] et [Localité 7], moyennant un loyer annuel hors taxes, hors charges et hors indexation de 1'709'696 €.

Par courriel du 18 mars 2021, la locataire alertait la bailleresse de pannes affectant les groupes froids de l'immeuble.

La SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] a proposé un accord à la SARL Pioneer Génétique qui l'a refusé le 15 février 2022.

Par ordonnance de référé du 30 mai 2022, le président du tribunal judiciaire de Toulouse a ordonné une expertise de l'installation.

PROCEDURE

Par acte du 26 mai 2023, la SARL Pioneer Génétique a fait assigner la SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] II devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse afin de voir :

- autoriser la SARL Pioneer Génétique à consigner 15% du loyer trimestriel en compte séquestre jusqu'à la fin de la procédure de référé de manière amiable, soit à défaut, d'une décision judiciaire définitive en lecture de rapport,

- condamner la SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] II au règlement de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Par ordonnance contradictoire en date du 11 juillet 2023, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, le juge a :

- rejeté la demande de sursis à statuer,

- autorisé la SARL Pioneer Génétique à consigner 15% du loyer trimestriel actuel (453.134 HT) en compte sequestre soit 67.970 € HT jusqu'à la fin de la procédure de référé de manière amiable, soit à défaut, d'une décision judiciaire définitive en lecture de rapport,

- condamné la SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] II à payer à la SARL Pioneer Génétique la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] II aux dépens.

Par déclaration du 24 juillet 2023, la SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] II a relevé appel de la décision en en critiquant l'ensemble des dispositions.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] II, dans ses dernières conclusions du 19 septembre 2023, demande à la cour, au visa de l'article 835 du Code de procédure civile, de :

- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 11 juillet 2023 en toutes ses dispositions et principalement en ce qu'elle a autorisé la SARL Pioneer Génétique à « consigner 15% du loyer trimestriel actuel (453.134 € HT) en compte séquestre soit 67.970 € HT jusqu'à la fin de la procédure de référé de manière amiable, soit à défaut, d'une décision judiciaire définitive en lecture de rapport »,

Statuant à nouveau,

- condamner la SARL Pioneer Génétique à payer à la SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] II la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SARL Pioneer Génétique à régler les entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Pierre Dunac, avocat au barreau de Toulouse, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par ordonnance du 5 décembre 2023, les conclusions déposée le 16 novembre 2023 par la SARL Pioneer Génétique ont été déclarées irrecevables.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 mars 2024.

La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence au jugement entrepris ainsi qu'aux dernières conclusions déposées.

MOTIFS

En application des dispositions de l'article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge ne fait droit à la demande que lorsque qu'elle est régulière, recevable et bien fondée.

Lorsqu'une partie ne comparaît pas en appel, elle est réputée s'approprier les motifs des premiers juges en tant qu'ils ont fait droit à sa demande.

En l'espèce, pour ordonner la consignation à hauteur de 15 % du loyer trimestriel à la charge de la locataire, le premier juge a retenu l'existence d'un dommage imminent nécessitant de changer la totalité des blocs frigorifiques.

La SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] fait valoir que l'article 7 du bail la liant à la SARL Pioneer Génétique prévoyait que la bailleresse supportait uniquement les grosses réparations limitativement énumérées à l'article 606 du Code civil, le preneur assurant toutes les réparations et travaux d'entretien et toute réfection même dues à la vétusté; elle-même s'étant engagée à effectuer un certain nombre de travaux visés à l'article 20.2 du bail dont la locataire a acté l'achèvement le 3 juin 2019.

Elle conteste l'existence d'un dommage imminent alors qu'il résulte du rapport définitif de l'expert du 30 juin 2023 que l'installation frigorifique est à 100 % opérationnelle.

Elle souligne que depuis l'ordonnance de référé du 30 mai 2022 la locataire n'a fait état d'aucun dommage sur les semences qu'elle stocke dans les locaux ce qui confirme l'absence d'impropriété de l'installation à son usage.

Elle conclut que le dommage imminent allégué doit être licite et qu'en l'espèce l'expert a retenu que les pannes résultaient exclusivement de la vétusté mise à la charge de la locataire.

SUR CE

Suivant l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Selon bail soumis aux dispositions des articles L145-1 et suivants du code de commerce, la SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] a donné à bail des immeubles à la SARL Pioneer Génétique.

L'article 20.1.2 du bail précise que l'immeuble est un entrepôt frigorifique positif et l'article suivant précise les travaux mis à la charge de la bailleresse et destinés à adapter les caractéristiques des locaux à l'exploitation du preneur conformément à son cahier des charges figurant en annexe 14.

Par ailleurs, l'article 7.4.1 du bail prévoit : « Le preneur sera tenu d'effectuer, à ses frais, dans les locaux loués, toutes les réparations et les travaux d'entretien, le nettoyage et en général toute réfection ou tout remplacement, dès qu'ils s'avéreront nécessaires, pour quelque cause que ce soit en ce compris même s'ils sont dus à la vétusté ou à la force majeure par dérogation aux dispositions de l'article 1755 du Code civil (à l'exception des gros travaux limitativement énumérés à l'article 606 du Code civil) de manière à tenir les locaux loués en très bon état d'entretien et de réparation de toutes sortes, sous réserve des précisions des articles 7.4.2 et 7.4.3 ci-après qui prévalent. ».

Il convient de préciser que l'article 606 du code civil définit les grosses réparations comme celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières, celui des digues, des murs de soutènement ainsi que de clôture en entier.

Enfin, par avenant au bail du 31 octobre 2018, la SARL Pioneer Génétique a reconnu que les travaux initiaux effectués par la bailleresse ont été réalisés conformément à son cahier des charges dont copie figurant en annexe 14 du bail, ainsi qu'en atteste un procès-verbal signé par la SCP [N], huissiers de justice le 27 juin 2019.

Le rapport définitif de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse est versé par l'appelante.

Il en résulte que l'expert a :

' reconnu l'existence de pannes circonscrites aux trois groupes de production frigorifique ayant pour conséquence de mettre à l'arrêt total ou partiel les groupes qui n'assurent plus le maintien en température des boucles et donc les conditions climatiques souhaitées,

' retenu que la cause des nombreuses pannes constatées relevait exclusivement de l'obsolescence naturelle des composants frigorifiques des groupes liée à leur âge,

' conclu que l'état dégradé des circuits frigorifiques peut mettre en péril la sécurité des biens et des personnes et avoir un impact négatif sur l'environnement ce qui justifie leur remplacement dans les prochains mois.

Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation existante doit se perpétuer .

Cependant, il doit être rappelé qu'un dommage n'est subi que par la méconnaissance d'un droit. Et il n'est susceptible d'être prévenu en référé que s'il est légitime. Ainsi, le dommage imminent suppose une caractérisation matérielle et une illicéité, ou à tout au moins, qu'il apparaisse comme potentiellement illicite.

Or, il résulte des dispositions contractuelles claires de la convention liant les parties qu'il n'appartient pas au juge de l'évidence d'interpréter que la locataire doit prendre en charge la reprise des équipements résultant de leur vétusté dont il résulte de l'expertise qu'elle est la cause des désordres affectant les équipements.

En conséquence, la licéité du dommage n'est pas démontrée et il ne peut être fait droit à la demande de la SARL Pioneer Génétique de consignation de ses loyers à hauteur de 15 %, par infirmation de la décision déférée.

L'équité commande d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle a condamné la SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6] à verser la somme de de 1000 € à la SARL Pioneer Génétique et de rejeter les demandes présentées à ce titre en première instance et en cause d'appel.

La SARL Pioneer Génétique qui succombe gardera la charge des dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant dans les limites de sa saisine :

Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes présentées par la SARL Pioneer Génétique et par la SASU Entrepôts Eurocentre [Localité 6],

Condamne la SARL Pioneer Génétique aux dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de Maître Dunac en application de l'article 699 du code de procédure civile.