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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 30 avril 2024, n° 21/01933

CHAMBÉRY

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CA Chambéry n° 21/01933

30 avril 2024

MR/SL

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 30 Avril 2024

N° RG 21/01933 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GZ5Q

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON-LES-BAINS en date du 26 Août 2021

Appelante

S.C.P. JACQUES PISSARD, [R] [I], LUDOVIC BARTHELET ET LAURE BELLERAUD, dont le siège social est situé [Adresse 2]

Représentée par la SELARL VAILLY BECKER & ASSOCIES, avocats au barreau d'ANNECY

Intimée

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAV OIE, dont le siège social est situé [Adresse 1]

Représentée par Me Hélène ROTHERA, avocat au barreau d'ANNECY

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Date de l'ordonnance de clôture : 11 Décembre 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 23 janvier 2024

Date de mise à disposition : 30 avril 2024

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Composition de la cour :

Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Mme Myriam REAIDY, Conseillère, avec l'assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

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Faits et procédure

Suivant offre du 7 mai 2008 acceptée le 20 mai 2008, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie a consenti à M. [J] [G] et Mme [P] [B] un prêt d'un montant de 495 398,42 francs suisses, soit 304 000 euros, aux fins de financer l'acquisition d'une maison sise [Adresse 3]. Ces fonds ont été transférés au notaire, Me [E] [Y], par l'établissement bancaire.

La signature de l'acte de vente du bien, prévue le 22 décembre 2009, n'est pas intervenue en l'absence d'accord de certains des vendeurs indivis.

Courant juin 2014, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie a été informée de l'absence de conclusion de la vente immobilière.

Le 18 août 2014, Me [E] [Y] a restitué à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie la somme de 304 000 euros.

La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie a procédé à la résolution du contrat de prêt et a restitué à M. [G] et Mme [B] des sommes versées au titre des mensualités du prêt et de l'assurance emprunteur.

Par acte d'huissier du 9 juillet 2019, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie a assigné la SCP Jacques Pissard David Borey Ludovic Barthelet et [L] [U] devant le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains notamment aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 163 014,25 euros au titre d'un préjudice non compensé par la seule restitution de 304 000 euros.

Par jugement du 26 août 2021, le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, devenu le tribunal judiciaire, a :

- Déclaré recevable l'action de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie ;

- Condamné la SCP Jacques Pissard David Borey Ludovic Barthelet et [L] [U] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie la somme de 118 836,50 euros avec intérêts au taux légal à compter à compter de la mise en demeure du 28 octobre 2016 ;

- Condamné la SCP Jacques Pissard David Borey Ludovic Barthelet et [L] [U] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la SCP Jacques Pissard David Borey Ludovic Barthelet et Laure Belleraud aux entiers dépens de l'instance ;

- Accordé le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile à Me Hélène Rothera ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- Débouté les parties de toutes leurs autres demandes, comprenant les demandes plus amples et contraires.

Au visa principalement des motifs suivants :

Me [Y] a manqué à son obligation d'information en ayant omis d'informer l'établissement bancaire de l'absence de conclusion du contrat de vente.

Par déclaration au greffe du 24 septembre 2021, la SCP Jacques Pissard David Borey Ludovic Barthelet et Laure Belleraud a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions hormis en ce qu'elle a :

- Accordé le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile à Me Hélène Rothera ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures du 21 avril 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la SCP Jacques Pissard David Borey Ludovic Barthelet et Laure Belleraud sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- Juger irrecevables les demandes formulées par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie ;

- Débouter la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie de l'intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

- Juger qu'elle n'a commis aucune faute ;

- Débouter la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie de l'intégralité de ses demandes ;

A titre infiniment subsidiaire,

- Juger que la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie a commis une faute ayant engendré la réalisation de son préjudice ;

- Juger en conséquence qu'elle sera exonérée de toute responsabilité ;

- Débouter la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie de l'intégralité de ses demandes ;

A titre très infiniment subsidiaire,

- Juger que le préjudice de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie ne saurait être supérieur aux intérêts légaux ayant couru sur la somme de 304 000 euros pendant la durée d'immobilisation ;

- Débouter la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie de l'intégralité de ses demandes ;

En tout état de cause,

- Débouter la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie de l'ensemble de ses demandes ;

- Débouter la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie de ses demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens ;

- Condamner la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie à lui payer une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la SCP Jacques Pissard David Borey Ludovic Barthelet et [L] [U] fait valoir notamment que :

Aucun acte de prêt parfait n'a été régularisé, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie n'est donc pas recevable à formuler une demande indemnitaire sur le fondement d'un contrat qui n'existe donc pas ;

Le notaire n'a pas manqué à ses obligations en ce qu'il a dans un premier temps assuré la sécurité des fonds puis leur restitution ;

La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie a commis une faute en ce qu'elle a perçu des mensualités de prêt et des intérêts jusqu'en août 2014 sans avoir vérifié si la vente avait bien eu lieu ;

L'absence de conclusion de l'acte authentique de vente ne peut être imputée au notaire.

Par dernières écritures du 4 mars 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie sollicite de la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Rejeté sa demande au titre des intérêts courus depuis le départ du crédit et restitués aux clients 32 381,35 euros,

- Primes d'assurance décès invalidité : 11 796,40 euros ;

Statuant à nouveau de ce chef,

- Voir condamner en sus la SCP Jacques Pissard David Borey Ludovic Barthelet et [L] [U] à lui verser la somme complémentaire de 44 177,75 euros se décomposant comme suit :

- de 32 381,35 euros au titre des intérêts courus depuis le départ du crédit et restitués aux clients,

- de 11 796,40 euros au titre des primes d'assurance décès invalidité ;

- En tout état de cause et en appel voir condamner la même à lui verser la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Mme Hélène Rothera, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- Rejeter toutes autres demandes.

Au soutien de ses prétentions, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie fait valoir notamment que :

Il appartenait à la SCP Jacques Pissard David Borey Ludovic Barthelet et [L] [U] de l'informer de l'absence de régularisation du contrat de vente constitutif d'un manquement au devoir de conseil et d'information ;

La somme dont le remboursement est sollicité au titre des intérêts tient compte des seuls intérêts échus et non pas des intérêts à échoir.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 11 décembre 2023 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 23 janvier 2024.

MOTIFS ET DECISION :

I- Sur la recevabilité de la demande indemnitaire

L'article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir 'tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, le délai préfix, la chose jugée.'

C'est à l'issue d'une analyse pertinente, exhaustive et exempte d'insuffisance que les premiers juges ont retenu :

- que l'absence de lien contractuel soulevée par l'étude notariale entre la caisse de crédit agricole et M. [G] et Mme [B] ne constituait pas une fin de non-recevoir, mais une défense au fond ;

- que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie a signé une délégation de pouvoirs le 21 mai 2008 au bénéfice de l'étude de Me [E] [Y] aux fins de régulariser l'acte authentique de prêt accordé à M. [G] et Mme [B], sans qu'une acceptation ne soit nécessaire de la part de l'étude pour valider le pouvoir ;

- que M. [E] [Y] a réalisé une demande de fonds le 15 décembre 2009, indiquant 'la régularisation de l'acte est prévue le 22 décembre 2009. Si le prêt n'était pas signé à cette date, nous vous restituerons les sommes versées immédiatement' ;

- que par courrier d'accompagnement du chèque de 304 000 euros, adressé à M. [E] [Y], le Crédit agricole des Savoie rappelait : 'veuillez noter les dates d'échéance le 18 mars 2010, dernière échéance le 18 décembre 2038 le prêt 105040. En cas de report de signature, merci de nous informer dans un délai de 48h.' ;

- qu'en l'absence de production de la copie de l'acte authentique du 22 décembre 2009 par Me [E] [Y], il est impossible de vérifier quelles signatures ont été apposées ;

- qu'en tout état de cause, si la formalisation du prêt n'a pas été régularisée, celle-ci relève de la responsabilité de Me [E] [Y] qui n'a pas avisé l'établissement bancaire de l'absence de signature de toutes les parties le 22 décembre 2009 et qui ne peut en tout état de cause, pas se prévaloir de sa propre carence.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré la demande d'indemnisation recevable.

II- Sur le fond

L'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, dispose 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.'

C'est à l'issue d'une analyse pertinente, exhaustive et exempte d'insuffisance que les premiers juges ont retenu :

- qu'en qualité d'officier ministériel chargé d'assurer l'efficacité des actes qu'il établit, Me [Y], qui a reçu les fonds nécessaires pour assurer la vente qui n'a pas été signée à la date convenue et n'en a pas avisé l'établissement bancaire, a commis une faute à l'origine du préjudice subi par la caisse régionale de crédit agricole ;

- que le délit dont a été victime Me [E] [Y] de la part d'un des vendeurs indivis qui a refusé de signer la vente n'est pas de nature à excuser la faute commise, aucun lien n'existant entre des menaces subies et l'information que devait assurer le notaire à l'établissement prêteur de deniers dans le cadre d'une vente avortée, étant observé de surcroît que l'étude a conservé de façon totalement illégale une somme de 304 000 euros sans fondement ;

- que le délai entre l'échec de la vente et la restitution des fonds, plus de 4 années, est à l'origine directe du préjudice relatif à la perte financière liée au taux de change entre le franc suisse et l'euro, de sorte que la somme de 118 836,50 euros représentant la dévalorisation du capital suite à l'évolution du taux de change doit être payée par la société notariale ;

- qu'il convient d'ajouter au préjudice subi les intérêts restitués, cotisations d'assurance, et frais de dossier éventuels perçus et remboursés par le crédit agricole des Savoie à M. [G] et Mme [B], dans la mesure où l'établissement bancaire a, du fait de la faute commise, perdu la possibilité de prêter les fonds immobilisés à d'autres emprunteurs dont les échéances et cotisations auraient été perçus et conservés.

III- Sur les demandes accessoires

La société [Y]-[I]-[D]-[U] succombant en son appel supportera les dépens de l'instance, ainsi qu'une indemnité procédurale de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société [E] [Y], [R] [I], [C] [D] et [L] [U] à payer à la caisse de crédit agricole des Savoie la somme de 44 177,75 euros d'intérêts restitués et de cotisations d'assurance,

Condamne la société [E] [Y], [R] [I], [C] [D] et [L] [U] aux dépens de l'instance d'appel,

Condamne la société [E] [Y], [R] [I], [C] [D] et [L] [U] à payer à la caisse de crédit agricole des Savoie la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 30 avril 2024

à

la SELARL VAILLY BECKER & ASSOCIES

Me Hélène ROTHERA

Copie exécutoire délivrée le 30 avril 2024

à

Me Hélène ROTHERA