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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 7, 2 mai 2024, n° 21/03718

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

L'immobilière du Moulin de l'Essonne (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salord

Vice-président :

Mme Humbourg

Conseiller :

M. Roulaud

Avocats :

Me Kabore, Me Liger

Cons. prud'h. Longjumeau, du 12 mars 202…

12 mars 2021

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société L'immobilière du moulin de l'Essonne exerce une activité d'agence immobilière de gestion locative, syndic de copropriété et marchand de biens. Elle emploie moins de 11 salariés et applique la convention collective nationale de l'immobilier.

Elle a embauché M. [S] [E] suivant contrat à durée indéterminée du 2 mai 2016, en qualité de responsable transaction et location.

Par lettre du 8 décembre 2016, M. [E] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 23 décembre 2016. Cette convocation était assortie d'une dispense d'activité avec maintien de la rémunération.

L'employeur a adressé une mise à pied conservatoire au salarié par lettre du 15 décembre 2016 en raison d'une agression physique commise par le salarié sur M. [I] [G], gérant de l'agence.

Le 23 décembre 2016, l'entretien préalable n'a pas eu lieu selon l'employeur en raison du départ précipité du salarié, 'sous la houlette' du conseiller de celui-ci, et selon l'attestation du conseiller du salarié en raison de l'attitude hostile de l'employeur qui voulait photocopier sa carte de conseiller.

Par courrier du 23 décembre 2016, M. [E] a été convoqué à un nouvel entretien préalable fixé au 3 janvier 2017.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 6 janvier 2017, la société L'immobilière du moulin de l'Essonne a notifié à M. [E] son licenciement pour faute lourde.

Contestant la mesure de licenciement, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Longjumeau le 3 décembre 2019.

Par jugement contradictoire du 12 mars 2021, notifié le 30 mars 2021, le conseil de prud'hommes, dans sa formation paritaire, a :

- dit que le licenciement de M. [E] est bien fondé sur une faute lourde et débouté M. [E] de toutes les demandes liées à ce chef,

- condamné la société L'immobilière du moulin de l'Essonne à verser à M. [E] les sommes suivantes :

* 2.061,67 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er octobre au 15 décembre 2016,

* 206,16 euros à titre de congés payés afférents,

* 156,23 euros à titre de rappel de 13ème mois,

- débouté M. [E] du surplus de ses demandes,

- dit que la procédure initiée par M. [E] pour contester son licenciement présente un caractère abusif,

- condamné M. [E] à payer à la société L'immobilière du moulin de l'Essonne 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- débouté la société L'immobilière du moulin de l'Essonne de ses autres demandes reconventionnelles,

- dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.

Par déclaration notifiée par le RPVA le 16 avril 2021, M. [E] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 05 février 2024, M. [E] demande à la cour de :

Infirmer le jugement attaqué en ce qu'il :

- a dit que son licenciement est bien fondé sur une faute lourde et l'a débouté de toutes les demandes liées à ce chef,

- l'a débouté du surplus de ses demandes,

- a dit que la procédure initiée pour contester son licenciement présente un caractère abusif,

- l'a condamné à payer à la société L'immobilière du moulin de l'Essonne 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Statuant à nouveau :

- ordonner que son licenciement n'est pas fondé sur une faute lourde,

- ordonner que son licenciement est abusif,

- condamner la société L'immobilière du moulin de l'Essonne à lui payer :

6.369 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 636,90 euros à titre de congés payés,

3.500 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure,

15.000 euros à titre de dommages et intérêt pour rupture abusive,

4.875,15 euros à titre de commission,

1.754 euros, à titre prime exceptionnelle déduite, outre 175,40 euros de congés,

489,92 euros, à titre de rappel de salaire du mois de janvier 2017, outre 48,99 euros de congés payés,

4.100,96 euros, à titre de rappel de salaire du mois d'octobre 2016 à janvier 2017, outre 410 euros de congés payés,

276,59 euros à titre de rappel de prime de treizième mois portant sur les mois d'octobre 2016 à janvier 2017,

2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Subsidiairement ordonner à la société L'immobilière du moulin de l'Essonne de lui remettre, dans un délai d'un mois suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard :

- la date de réalisation des ventes RENAULT [Y], [KZ]-[M]-[B], [WZ], [ET], [J], [H] ET [P],

- la copie originale du relevé des comptes bancaires comportant le versement des honoraires d'agences perçus dans les ventes RENAULT [Y], [KZ]-[M]-[B], [WZ], [ET], [J], [H] ET [P],

- l'original du registre des mandats portant sur la période allant de mai 2016 à décembre 2016,

- l'original du registre des ventes portant sur la période allant de mai 2016 à décembre 2016,

- la comptabilité des ventes portant sur la période allant de mai 2016 à décembre 2016,

- ordonner que la juridiction se réserve le droit de liquider les éventuelles astreintes,

- ordonner un renvoi de l'affaire à la date qui plaira pour qu'il soit statué uniquement sur la demande relative à la commission,

- condamner la société L'immobilière du moulin de l'Essonne aux dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 11 janvier 2024, la société L'immobilière du moulin de l'Essonne demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de M. [E] est bien fondé sur une faute lourde et débouté M. [E] de toutes les demandes liées à ce chef,

- débouté M. [E] du surplus de ses demandes,

- dit que la procédure initiée par M. [E] à son encontre pour contester son licenciement présente un caractère abusif,

- condamné M. [E] à lui payer 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

- l'a condamnée à verser à M. [E] les sommes suivantes :

2.061,67 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er octobre au 15 décembre 2016,

206,16 euros à titre de congés payés afférents,

156,23 euros à titre de rappel de 13ème mois,

l'a déboutée de ses autres demandes reconventionnelles,

dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens,

statuant à nouveau et y ajoutant,

- écarter des débats les pièces numérotées 24, 25 et 26 au bordereau de pièces communiquées de M. [E],

- débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [E] à lui verser la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'image et de désorganisation de l'entreprise,

- condamner M. [E] à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure devant le conseil de prud'hommes,

- condamner M. [E] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure devant la cour d'appel,

- condamner M. [E] aux entiers dépens.

Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

La clôture a été prononcée le 21 février 2024.

MOTIFS :

Sur la demande de rejet de pièces,

La société L'immobilière du moulin de l'Essonne soutient que l'appelant ne lui a pas communiqué ses pièces 24 à 26 en dépit d'une sommation de communiquer.

Il résulte du message RPVA du 6 février 2024 que l'avocat de M. [E] justifie avoir communiqué à son contradicteur les pièces 25 et 26 par we transfert, compte tenu de leur poids, ce qu'a confirmé le conseil de l'employeur à l'audience et a été noté sur le plumitif.

Suite à cette communication de pièces, la société L'immobilière du moulin de l'Essonne n'a pas conclu, ni sollicité de report de l'ordonnance de clôture. Il s'ensuit que ces pièces ont été régulièrement communiquées.

Concernant la pièce 24, celle-ci est mentionnée sur le bordereau de pièces de l'appelant comme "néant" et une pièce inexistante ne peut être écartée des débats.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur le bienfondé du licenciement pour faute lourde.

La faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.

Il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la faute lourde et de l'intention de nuire qui la caractérise.

La responsabilité du salarié n'est engagée envers son employeur qu'en cas de faute lourde.

En matière de licenciement disciplinaire, la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture. Il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.

La lettre de licenciement est ainsi rédigée :

En application de l'article L.1232-2 du Code du travail, je vous ai convoqué par courrier recommandé du 8 décembre 2016 à un entretien préalable le 19 décembre 2016, avec dispense de travail et maintien de salaire.

Or, vous vous êtes présenté à votre poste de travail les 12 et 13 décembre 2016, et avez refusé de quitter votre bureau jusqu'à 13h30 le 13 décembre, avant de partir brutalement.

Eu égard à votre dispense de travail, je vous ai demandé de me remettre votre planning de la semaine, ainsi que les documents et clefs afférents à la vente de l'indivision RENAULT qui devait être signée le lendemain.

Vous avez refusé catégoriquement de me remettre ces éléments.

Après recherche dans l'agence, nous n'avons rien trouvé. Il s'avère que vous aviez conservé ce dossier par devers vous.

J'ai été contraint de diligenter un huissier de justice pour qu'il passe à votre domicile le 13 décembre et vous demande de restituer ce dossier, ce que vous avez fini par accepter.

De plus, nous nous sommes aperçus que vous ne renseignez pas sur les dossiers et dans la base informatique, les coordonnées des clients que vous suivez, rendant impossible tout contact avec ces derniers en votre absence.

Vos courriers sur le papier à entête de l'agence sont signés de votre adresse mail personnelle, ce qui ne permet pas non plus de suivre les échanges avec les clients au sein de l'agence.

Il était donc impératif que vous me remettiez les dossiers papier, c'est pourquoi je vous ai mis en demeure de vous exécuter par courrier recommandé et mail du 13 décembre 2016.

Je vous ai également demandé de cesser l'envoi de mails mensongers, ayant pour seul but de préparer un dossier monté de toutes pièces visant à vous faire passer pour une victime, alors que le 1er décembre, vous m'avez menacé à voix haute et forte devant vos collègues en indiquant : « les gens comme vous ont besoin d'une bonne leçon, et je vais vous en donner une ».

Le 14 décembre 2016 à 9h30, vous vous êtes présenté sur votre lieu de travail à l'agence, dans un état de grande agressivité.

Nous avons parcouru ensemble le dossier de la vente RENAULT, puis je vous ai invité à quitter l'agence.

J'ai à mon tour quitté l'agence pour me rendre au rendez-vous de signature avant de revenir lorsque je me suis aperçu avoir oublié les clefs pour le client.

En poussant la porte de l'agence, ma surprise a été grande de vous voir installé en train de boire un café dans l'espace commun.

Je vous ai demandé de partir mais vous avez refusé, et vous vous êtes dirigé vers le fond de l'agence.

J'ai réitéré ma demande de vous voir quitter les lieux, mais vous m'avez opposé un second refus, puis vous vous êtes tourné vers moi en m'invectivant et me menaçant, notamment en me disant de ne plus recommencer cela et que j'allais vous revoir !

Soudain, vous m'avez décoché un violent coup avec vos mains au niveau de la poitrine, me projetant au sol à l'intérieur du bureau.

Deux salariés, Madame [T] [N] et Monsieur [A] [U] sont intervenus pour tenter de vous maitriser et vous avez commencé à vous diriger vers la sortie avant de changer d'avis.

J'ai été contraint à nouveau de vous demander de partir, sans succès.

Au contraire, vous vous êtes de nouveau jeté sur moi en me frappant à la poitrine, et je me suis retrouvé projeté au sol une seconde fois où j'ai heurté du mobilier.

A la suite de l'intervention en renfort de trois salariés, Monsieur [W] [R], Madame [F] [X] et Monsieur [L] [O], vous avez finalement quitté l'agence.

A la suite de cette agression une incapacité totale de travail de 12 jours a été constatée par un médecin et un traitement médical rendu indispensable.

Dans ces conditions, je vous ai adressé le 15 décembre une mise à pied à titre conservatoire.

Le 23 décembre, vous vous êtes présenté à l'entretien très agité et accompagné d'un conseiller du salarié qui vous a incité à quitter les lieux avant même le début de l'entretien.

Votre départ précipité m'a contraint à vous convoquer une seconde fois à un entretien préalable, par courrier du 23 décembre 2016, pour un entretien le 3 janvier 2017.

Lors de cet entretien, vous étiez assisté d'un nouveau conseiller du salarié, Monsieur [Z] [ZY].

Comme suite à l'entretien que nous avons eu le 3 janvier 2017, en application de l'article L. 1232-2 du Code du Travail, je vous notifie par la présente votre licenciement sans préavis ni indemnité pour faute lourde et ceci pour les motifs exposés ci-dessus qui consistent d'une part en une insubordination grave et d'autre part en des violences physiques et verbales, ne faisant aucun doute sur votre volonté de nuire.

En effet, la violence est inacceptable dans notre entreprise.

Les désaccords entre personnes et la liberté d'expression, ni même le ressentiment de provocation ne permettent d'exercer la violence ou l'injure vis-à-vis d'autrui ; la situation personnelle et familiale de l'auteur ou le contexte difficile dans laquelle il se trouve, ne lui donne aucun passe-droit ni aucunes excuses pour exercer de la violence sur le lieu de travail.

En droit du travail, de tels propos sont jugés contraires à l'obligation de bonne foi et de loyauté (L. 1232-1 du code du travail). Ils rentrent dans le registre de ce qu'on appelle la « violence au travail » qui va du manque de respect à la manifestation de la volonté de nuire, de détruire, de l'incivilité à l'agression physique, et qui peut se traduire par des agressions verbales, comportementales ou physiques.

Aussi, les insultes ou injures ou la diffamation d'un salarié à l'égard de l'employeur, d'un responsable hiérarchique, d'un autre salarié, d'un client de l'entreprise, ou d'un tiers constituent aussi des infractions pénales. Je vous rappelle subsidiairement que le code pénal, par les articles 222-13 et suivants ou 222-19 et suivants, punit le fait de blesser volontairement ou involontairement autrui.

Je vous précise que notre entreprise doit assurer la santé et la sécurité des travailleurs et des travailleuses, et que nous devons donc lutter contre ce type de comportement que vous avez eu, qui n'ont pas leur place sur le lieu de travail.

Ces faits nous interdisent de pouvoir collaborer plus longtemps avec vous. Votre licenciement pour faute lourde prend effet aujourd'hui et votre mise à pied à titre conservatoire ne sera pas rémunérée'.

- Il est reproché en premier lieu au salarié de signer sur le papier à entête de l'agence avec son adresse mail personnelle, ce qui ne permet pas à l'employeur de suivre les échanges avec les clients.

Selon M. [E], son employeur n'a créé son adresse mail professionnelle qu'en octobre 2016, si bien qu'il a été contraint d'utiliser son adresse personnelle. Dans la lettre recommandée du 9 novembre 2016, il reproche à son employeur de ne lui avoir ouvert une adresse professionnelle qu'au bout de cinq mois.

Or, cette allégation est contredite par le courriel du salarié du 12 juillet 2016 (pièce 26 de l'employeur) qui démontre qu'il utilisait son adresse mail professionnelle [Courriel 6] à cette date. De plus, alors que M [E] reconnaît avoir eu une adresse professionnelle en octobre 2016, il adressait postérieurement des mails professionnels aux clients et partenaires de l'agence à partir de l'adresse [Courriel 5] (pièces de M. [E] numérotées 7).

Il s'ensuit que ce grief est établi.

Dans ses conclusions, l'employeur impute au salarié des actes de concurrence déloyale caractérisés par le fait que M. [E] signait ses mails avec le logo de la société Conceptimm, ce qui créait la confusion dans l'esprit des clients et constitue une violation de ses obligations d'exclusivité, de loyauté et de non-concurrence.

Comme le relève l'appelant, ce grief ne figure pas dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, et ne peut donc être retenu pour caractériser une faute lourde.

- La lettre de licenciement relève que les coordonnées des clients n'étaient pas renseignées dans la base informatique et dans les dossiers, rendant impossible tout contact avec eux en l'absence du salarié.

Le salarié conteste ce grief.

La société L'immobilière du moulin de l'Essonne ne produit aucune pièce de nature à justifier ce grief qui n'est ainsi pas établi.

- Il est reproché au salarié d'avoir, le 1er décembre 2016, menacé à voix haute et forte devant ses collègues M. [G] en lui disant « les gens comme vous ont besoin d'une bonne leçon et je vais vous en donner une ».

M. [E] affirme qu'il s'agit d'une allégation mensongère.

La seule production de la lettre recommandée du 13 décembre 2016 adressée par l'employeur au salarié lui demandant de lui remettre les dossiers papiers des clients et mentionnant cette menace est insuffisante à établir sa réalité.

- Selon la lettre de licenciement, le salarié s'est présenté à son poste de travail les 12 et 13 décembre 2016 et a refusé de quitter son bureau le 13 décembre avant de partir brutalement à 13 heures alors qu'il était dispensé de travail dans l'attente de son entretien préalable.

Le salarié affirme qu'il n'a eu connaissance de la lettre de licenciement que lors de son retrait à la poste, le 13 décembre après-midi.

La lettre de convocation à l'entretien préalable datée du 8 décembre 2016 indique 'nous vous dispensons de l'exécution de votre prestation de travail dans l'attente de la décision à intervenir à compter de la première présentation de la présente par la poste' et précise que le salarié sera payé.

M [E] produit l'enveloppe de ce courrier. Le cachet de la poste porte la date du 10 décembre 2016, un samedi, si bien que la lettre a été envoyée ce jour-là.

En l'absence de production par l'employeur de l'accusé de réception de la lettre convoquant le salarié à son entretien préalable et le dispensant d'activité professionnelle, la preuve n'est pas rapportée que le salarié en avait eu connaissance le 12 décembre au matin. Il ne peut donc lui être reproché de s'être rendu au travail ce jour-là. D'ailleurs, par courriel du 12 décembre 2016 à 9h50, M. [G] a indiqué au salarié qu'il confirmait que sa visite médicale aurait lieu à 14h45 et qu'il assurerait lui-même le rendez-vous que M. [E] avait pris.

Selon le courriel envoyé par M. [E] à son employeur le 13 décembre 2016 à 8h31, il a constaté qu'il n'avait toujours pas accès à sa boîte mail professionnelle et que ses dossiers de vente en cours avaient disparu. Il ajoute qu'il lui est demandé de quitter l'agence sans motif et que ce harcèlement est inadmissible, comme il l'a déjà signalé. Dans la lettre de licenciement, l'employeur fait référence à un mail qu'il a envoyé au salarié le 13 décembre 2016.

Il s'induit de ces éléments que dès le 12 décembre, le salarié n'avait pas accès à sa boîte mail professionnelle et que le 13 décembre à 8h15, il savait qu'il était dispensé de l'exécution de ses prestations. Or, le salarié ne conteste pas n'avoir quitté l'agence qu'en milieu de journée. Le grief est donc établi à compter du 13 décembre 2016.

- Il est reproché au salarié de ne pas avoir remis à son employeur son planning de la semaine, les dossiers papiers et les documents et clés afférents à la vente de l'indivision Renault prévue le 14 décembre 2016.

Le salarié indique qu'il a remis son planning dans le casier et l'employeur ne justifie pas qu'il n'était pas en sa possession à compter du 13 décembre.

Il résulte du courriel du 13 décembre 2016 à 8h31 ci-dessus mentionné qu'à ce moment, le salarié n'était plus en possession des dossiers papiers de vente.

Concernant les documents et clés relatifs à la vente de l'indivision Renault, M. [E] fait valoir qu'il les avait gardés car le lendemain, il devait faire un relevé de compteurs avec les clients.

Or, M. [E] a reconnu avoir reçu la lettre recommandée le 13 décembre après-midi et devait, à compter de cette notification, remettre ce dossier et les clés à son employeur en raison de la dispense de travail.

A la demande de l'employeur, un huissier de justice s'est présenté au domicile du salarié le 13 décembre 2016 et le salarié a refusé de lui remettre le dossier Renault et les clés du bien. Il ne les a déposés que le lendemain matin à l'agence.

M. [E] n'a donc pas respecté les directives de l'employeur et le grief est établi en ce qui concerne la remise du dossier Renault et les clés du bien.

- La lettre de licenciement fait état du fait que le salarié n'a pas cessé l'envoi de mails mensongers dans le but de préparer un dossier monté de toutes pièces visant à se faire passer pour une victime alors que l'employeur lui avait demandé par mail et courrier du 13 décembre de cesser.

Or, l'employeur ne démontre pas en quoi les affirmations de M. [E] dans ces mails, qu'il ne verse d'ailleurs pas aux débats, sont mensongères. Le grief n'est pas caractérisé.

- Il est reproché au salarié d'avoir, le 14 décembre 2016, commis des violences sur M. [G], gérant de la société.

L'intimée produit un procès-verbal de constat d'huissier de justice du 16 septembre 2021 portant sur la description du contenu de deux vidéos datées du 14 décembre 2016 issues de caméras figurant dans les bureaux de l'agence immobilière (pièce 34).

Le salarié soutient que cette preuve est illicite en l'absence d'information des représentants du personnel sur l'existence de la vidéo surveillance, de déclaration à la CNIL et du fait qu'il n'en avait pas connaissance. Il ajoute que la preuve n'est pas rapportée que ce dispositif était nécessaire et respecte le principe de proportionnalité.

La société L'immobilière du moulin de l'Essonne fait valoir que la preuve tirée de la captation d'images n'est pas déloyale et recevable car le dispositif n'avait pas été caché au salarié qui était informé de l'existence de caméras par un affichage au sein de l'établissement.

Or, l'employeur ne rapporte pas la preuve de cet affichage.

Les éléments de preuve tirés d'enregistrements vidéo, opérés à l'insu des personnes dont les paroles ou les images sont captées, constituent un moyen de preuve illicite.

Cependant, cette illicéité n'entraîne l'irrecevabilité que si l'atteinte portée à la vie personnelle du salarié est justifiée au regard du droit à la preuve de l'employeur qui suppose que la production de cette preuve était indispensable et que l'atteinte à la vie privée qui en résulte est proportionnée au but poursuivi.

Or, l'employeur ne soutient pas que l'irrecevabilité de cette pièce porterait atteinte au caractère équitable de la procédure. En conséquence, la pièce 34 de la société L'immobilière du moulin de l'Essonne sera déclarée irrecevable.

La lettre de licenciement indique que le salarié s'est présenté le 14 décembre 2016 à l'agence dans un état de grande agressivité et qu'après avoir parcouru avec M. [G] un dossier, celui-ci a invité le salarié à quitter les lieux. Lorsque M. [G] est revenu dans l'agence car il avait oublié ses clés, il a vu M. [E] installé en train de boire un café dans l'espèce commun et le salarié a refusé à deux reprises de quitter les lieux. Le salarié l'a invectivé en le menaçant et lui a porté un coup au niveau de la poitrine, le projetant au sol à l'intérieur d'un bureau. Deux salariés, Mme [T] [N] et M. [A] [U] sont intervenus pour tenter de le maîtriser. Le salarié s'est à nouveau jeté sur M. [G] en le frappant à la poitrine et M. [G] s'est retrouvé projeté au sol et a heurté du mobilier. Suite à l'intervention de M. [W] [R], Mme [F] [X] et M. [L] [O], le salarié a quitté l'agence.

M. [G] a déposé plainte le 16 décembre 2016 et reprend dans son audition les faits tels que développés dans la lettre de licenciement. La procédure pénale a fait l'objet d'un classement sans suite par le Procureur de la République du tribunal de grande instance d'Evry le 10 avril 2018 car les circonstances des faits n'ont pu être clairement établies par l'enquête et les preuves ne sont pas suffisantes pour que l'infraction soit constituée. Cette décision de classement sans suite n'a pas autorité de la chose jugée.

Entendu dans le cadre de l'enquête préliminaire, le salarié a affirmé qu'il n'avait pas commis de violences. Il a indiqué que M. [G], pour le faire sortir, avait pris son sac qu'il avait jeté dehors et avait voulu lui arracher son mug, l'avait suivi et s'était adossé à une porte de bureau que quelqu'un a ouvert, si bien qu'il est tombé à terre. M. [G] s'était relevé et l'avait tiré par la manche et menacé de s'en prendre à sa famille. M. [E] indique qu'il s'était rapproché de M. [G] en le pointant du doigt et lui interdisant de menacer sa famille, que M. [G] a reculé, s'est pris les pieds dans une chaise, et est tombé une seconde fois.

Entendu dans le cadre de l'enquête, M. [U] indique qu'il a entendu une altercation et que quand son collègue, M. [O], a ouvert la porte de son bureau, M. [G] est tombé à la renverse. Il affirme qu'il n'est pas intervenu pour maîtriser M. [E]. Selon ce salarié, le ton est monté assez haut mais les deux hommes ne sont pas venus aux mains.

Mme [F] [V], entendue également dans la procédure, affirme que M. [E] reprochait à son employeur d'avoir envoyé un huissier chez lui, qu'elle a vu M. [E] suivre M. [G] vers un bureau et les affaires du bureau voler, sans savoir qui en était à l'initiative. Elle a aussi vu M. [G] collé à un placard, comme bloqué et M [E] devant lui, presque collé. M. [C] et M. [O] ont séparé les deux hommes et elle indique que M. [E] était menaçant. Elle n'a pas vu de coups échangés et ne s'est pas interposée. Enfin, Mme [T] [N] a entendu des éclats de voix et constaté que M. [G] était hébété, mais n'a pas vu de violences.

Il est établi par ces témoignages que M. [G] a chuté au sol, suite à l'ouverture d'une porte. Il n'est pas fait pas mention de cette ouverture dans la lettre de licenciement, ni dans sa plainte, ce qui remet en cause ses déclarations.

Les constatations figurant dans le certificat médical du docteur [D] [K] qui a examiné M. [G] le 14 décembre 2016, et relevé notamment une ecchymose à droite du rachis cervical et un hématome à la racine du nez, ne peuvent être liées aux violences du salarié décrites par M. [G], à savoir deux coups sur la poitrine, mais sont compatibles avec la chute provoquée par l'ouverture de la porte.

Si les violences décrites par M. [G] ne sont pas établies, la déclaration de Mme [V] démontre que M. [E], qui ne devait plus être présent dans l'agence, a refusé de partir, suivi M. [G], l'a bloqué contre un placard et était menaçant.

Les griefs ainsi établis par la cour ne caractérisent pas l'intention de nuire à l'employeur, celle-ci ne résultant pas suffisamment de l'existence d'un préjudice consécutif aux agissements dénoncés par la société L'immobilière du moulin de l'Essonne et le jugement sera infirmé en ce qu'il a jugé le licenciement pour faute lourde justifié.

En l'absence de faute lourde, l'employeur doit être débouté de sa demande indemnitaire pour préjudice d'image et de désorganisation de l'entreprise et le jugement sera confirmé de ce chef.

En revanche, il se déduit de ce qui précède que le cumul des faits avérés démontrant une insubordination et une attitude agressive du salarié est d'une telle gravité qu'il rendait impossible le maintien de M. [E] au sein de l'entreprise et justifie son licenciement sans préavis, ni paiement de la mise à pied conservatoire, ni indemnité. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ces demandes.

Sur l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.

Selon M. [E], la décision de le licencier avait été prise avant sa convocation à l'entretien préalable de licenciement et la lettre de convocation à l'entretien préalable devait être anti-datée. Il en conclut que la procédure de licenciement est irrégulière.

L'employeur conclut au rejet de cette demande.

M. [E] ne produit aucune pièce au soutien de ses allégations dont il ne tire aucune conséquence juridique.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur la demande au titre des commissions.

M. [E] sollicite 4.875,15 euros au titre de ses commissions sur sept ventes effectuées.

L'employeur fait valoir que le salarié ne démontre pas qu'il est soumis à la disposition conventionnelle sur laquelle il fonde sa demande et affirme qu'il lui a été versé, conformément au contrat de travail, des commissions pour les trois ventes réalisées pendant son contrat de travail.

Le contrat de travail indique que les relations contractuelles sont soumises à la convention collective nationale de l'immobilier.

Il résulte de l'article 10 de l'avenant n° 31 du 15 juin 2006 à cette convention collective, étendu par arrêté du 5 juin 2007, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er juin 2010, et donc applicable aux relations de travail, que le négociateur immobilier bénéficie d'un droit de suite concernant les commissions qu'il aurait perçues dans le cas où le contrat de travail n'aurait pas expiré, sous les 2 conditions cumulatives suivantes :

- ces affaires devront être la suite et la conséquence du travail effectué par lui pendant l'exécution de son contrat de travail ;

- ces affaires devront avoir été réalisées dans la durée du droit de suite étant entendu que celui-ci ne saurait porter sur des affaires pour lesquelles l'employeur lui-même n'aurait pas effectivement perçu les honoraires correspondants.

Le montant des commissions dues au titre du droit de suite sera calculé en fonction des honoraires définitivement perçus par l'employeur.

Le droit de suite court à compter de l'expiration du contrat. Sa durée est déterminée au contrat et ne peut en tout état de cause être inférieure à 6 mois.

L'employeur remet un état détaillé des comptes au négociateur immobilier à la date de fin du contrat de travail. Cet état détaillé des comptes donne la liste des affaires en cours pour lesquelles le négociateur immobilier pourrait prétendre à commission en cas de réalisation. Le solde de tout compte se rapportant à la période travaillée est établi à l'expiration de ce droit de suite'.

Or, l'employeur n'a pas produit cet état détaillé des comptes et le reçu pour solde de tout compte date du 6 janvier 2016.

M. [E] est bien fondé à solliciter le montant des commissions des ventes réalisées dans un délai de six mois à compter de la rupture du contrat de travail dans les dossiers dont il avait la charge, soit 5 % du montant des honoraires. Il produit des mails se rapportant à ces ventes et leurs dates de réalisation prévue dans le délai, éléments non contestés par l'employeur. Dès lors, le salarié démontre que sa créance au titre des commissions s'élève à 4.875,15 euros.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande subsidiaire tendant à ordonner la communication des documents portant sur ces ventes.

Sur la prime exceptionnelle,

Le salarié demande le paiement d'une prime de 1.754 euros, outre les congés payés, qui a été déduite de son salaire en décembre 2016.

L'employeur indique que cette somme correspond à une avance versée en novembre qui devait être déduite par la suite.

Le bulletin de paye du mois de novembre 2017 indique 'avance prime exceptionnelle.

Cette prime ne figure pas dans le contrat de travail. Faute pour l'employeur de justifier à quoi correspond cette prime et pourquoi cette prime devait par la suite être déduite du salaire de M. [E], sa déduction du salaire de décembre n'est pas justifiée et il sera condamné à verser 1.754 euros au salarié, outre les congés payés afférents à cette prime.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de cette demande.

Sur le rappel de salaire et de prime pour le 13ème mois.

M. [E] sollicite une rémunération au titre des objectifs prévus dans le contrat de travail qui prévoit une augmentation de son salaire à compter d'octobre 2016, si les objectifs sont atteints. Il indique que l'employeur reconnaît qu'il ne lui a pas fixé d'objectifs et qu'en conséquence, cette augmentation lui est due.

L'employeur répond que le salarié n'a pas atteint ses objectifs et produit un tableau comprenant les différents objectifs (pièce 2 bis), qui n'est pas contesté par le salarié.

Or, le versement de la prime exceptionnelle de novembre s'explique par l'absence d'atteinte des objectifs de M. [E] et vise à compenser l'absence d'augmentation du salaire. Dès lors, la demande de rappel de salaire n'est pas justifiée, pas plus que celle fondée sur la prime du 13ème mois.

Le jugement qui a fait droit en partie à ces demandes sera infirmé.

Sur la procédure abusive,

L'employeur sollicite des dommages et intérêts en reprenant la motivation du conseil de prud'hommes qui a caractérisé le caractère abusif de la procédure en ce que l'action en contestation du licenciement était abusive, M. [E] avait tenté de communiquer des pièces en violation du principe du contradictoire et l'affaire avait fait l'objet de deux radiations.

Le salarié conclut au débouté de cette demande.

L'abus du droit d'agir en justice n'est caractérisé qu'en cas de malice ou de mauvaise foi.

Or, il est partiellement fait droit aux demandes du salarié, si bien que sa saisine de la juridiction prud'homale ne peut constituer un abus.

Au surplus, aucun élément n'établit que M. [E] est responsable d'une tentative de violation du principe du contradictoire et de l'absence de diligences en première instance.

Le jugement qui a fait droit à cette demande sera infirmé.

Sur les autres demandes,

Partie perdante, la société L'immobilière du moulin de l'Essonne sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

La société devra indemniser M. [E] de ses frais irrépétibles engagés en première instance et en appel à hauteur de 1.500 euros.

Le jugement sera infirmé en conséquence.

L'intimée sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

REJETTE la demande de la société L'immobilière du moulin de l'Essonne visant à écarter des débats les pièces 24, 25 et 26 de M. [S] [E],

CONFIRME le jugement en ce :

- qu'il a débouté M. [E] de sa demande de paiement de l'indemnité de préavis et de salaire pendant la période de la mise à pied conservatoire, outre les congés payés y afférent,

- qu'il a débouté M. [S] [E] de ses demandes au titre de l'indemnité de licenciement, de la procédure irrégulière de licenciement,

- qu'il a débouté la société L'immobilière du moulin de l'Essonne de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice d'image et de désorganisation de l'entreprise,

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement de M. [S] [E] est fondé sur une faute grave,

CONDAMNE la société L'immobilière du moulin de l'Essonne à payer à M. [S] [E] :

- 4'875,15 euros brut à titre de commissions sur les ventes réalisées,

- 1.754 euros brut à titre de prime exceptionnelle,

- 175,40 euros brut au titre des congés payés y afférent,

- 1.500 euros au titre des frais irrépétibles,

DÉBOUTE M. [S] [E] de sa demande au titre du rappel de salaire et du 13ème mois,

DÉBOUTE la société L'immobilière du moulin de l'Essonne de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

CONDAMNE la société l'Immobilière du moulin de l'Essonne aux dépens de la procédure de première instance et d'appel,

DÉBOUTE la société l'Immobilière du moulin de l'Essonne de sa demande au titre des frais  irrépétibles.