Décisions
CA Versailles, ch. soc. 4-6, 2 mai 2024, n° 22/00823
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-6
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 02 MAI 2024
N° RG 22/00823 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VCAP
AFFAIRE :
[T] [J] [K] [Z]
C/
SASU FRANCE BOISSONS ILE DE FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Février 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : C
N° RG : 19/01334
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Julien AUTIN
Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [T] [J] [K] [Z]
né le 08 Décembre 1962 à [Localité 6] / ALLEMAGNE
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Julien AUTIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1186
APPELANT
****************
SASU FRANCE BOISSONS ILE DE FRANCE
N° SIRET : 572 079 069
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0480 -
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Janvier 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie COURTOIS, Président,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
FAITS ET PROCÉDURE
A compter du 5 mars 1985, M. [T] [Z] a été engagé par contrat de travail verbal à durée indéterminée, en qualité de chauffeur-livreur, statut ouvrier, par la SASU France Boissons Ile-de-France, qui a pour activité le commerce de gros de boissons (distribution de boissons hors domicile à destination des professionnels), emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des distributeurs conseils hors domicile.
Convoqué le 28 juin 2018, à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 9 juillet suivant, et mis à pied à titre conservatoire, M.[T] [Z] a été licencié par courrier du 12 juillet 2018, énonçant une faute grave.
La lettre de licenciement est ainsi rédigée :
« Monsieur,
Nous faisons suite à l'entretien préalable du lundi 9 juillet 2018 à 8h45, en présence de Monsieur [T] [A], Directeur de filiale, et de Monsieur [W] [R], Directeur de plateforme et au cours duquel vous étiez assisté de Monsieur [X] [P], délégué syndical CFDT.
Lors de cet entretien, nous avons évoqué avec vous des manquements caractérisés à vos obligations contractuelles.
Le 27 juin 2018, alors que Monsieur [E] [I], gestionnaire flux et stock, effectue des inventaires sur les fûts, celui-ci constate un écart de 6 fûts de Stella Artois 30L sur votre tournée, ainsi que des écarts sur le café LAVAZZA, et le champagne Nicolas FEUILLATE.
Monsieur [O] [G], Responsable Logistique et distribution, et Monsieur [E] [I] sont alors venus vérifier la travée que vous aviez chargée dans votre camion. Ces derniers ont constaté que les 6 fûts étaient présents, dissimulés volontairement sous la commande de notre client l'hôtel IBIS [Localité 7].
Ainsi afin de vérifier comment cette situation état arrivée, Monsieur [O] [G], accompagné de Monsieur [E] [I] ont visionné la vidéo-surveillance de l'entrepôt, dont vous aviez été averti de sa présence par courrier en date du 8 septembre 2016.
La vidéo-surveillance met en avant que d'autres salariés de la société France Boissons Ile-de-France sont impliqués à vos côtés dans ce vol en réunion. Un agent logistique polyvalent ayant déposé la palette de 6 fûts de Stella ARTOIS, la palette comprenant 4 cartons de café LAVAZZA, et un carton de champagne Nicolas FEUILLATE dissimulé sur la palette d'un client sur votre travée ainsi qu'un cariste contrôleur n'ayant pas porté attention à cette palette de fûts lors du contrôle, ni même les cartons de café LAVAZZA alors même que ces derniers étaient très visibles.
De plus, le 13 juin 2018, le même écart de fûts a été constaté sur votre commande. Ce jour-là cette commande a été livrée au même client à savoir l'hôtel IBIS [Localité 7], sous la même forme de conditionnement dans votre camion, et aucune explication n'a été fournie de votre part, quant à la disparition de cette même quantité de fûts.
Ce même jour, il a été expressément demandé aux chauffeurs livreurs de [Localité 5], lors d'une plénière organisée à la prise de poste des chauffeurs livreurs, de ne plus charger les camions lors du retour de leur tournée et conformément aux règles applicables dans l'entreprise. Or pourtant prévenu, vous avez poursuivi cette organisation de travail permettant de profiter de l'accalmie de la plate-forme pour charger de la marchandise non prévue dans votre camion.
Ce vol a occasionné pour la société France Boissons le de France, une perte financière d'environ 330 euros pour les écarts de fûts de Stella ARTOIS, 294 euros pour le café LAVAZZA, et 83 euros pour le champagne Nicolas FEUILLAGE.
Compte tenu de ce qui précède, il convient de vous rappeler que l'article 3.1 du règlement intérieur Ile de France « L'ensemble du personnel est soumis de façon générale, aux directives, et instructions émanant de la direction de l'entreprise, et devra se conformer aux ordres donnés par les responsables hiérarchiques directs, ainsi qu'aux prescriptions et consignes portées à sa connaissance, notamment par voie d'affichage et de service », il dispose que « Tout acte de nature à troubler le bon ordre et la discipline est interdit à savoir d'emporter sans autorisation expresse des objets et des documents appartenant à l'entreprise ».
La cour de cassation juge à cet égard dans un arrêt du 20 février 1986 que « le vol commis par un salarié au préjudice de son employeur constitue une faute grave ».
Enfin l'article L311-3 du code pénal dispose que « le vol est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende »
Lors de l'entretien préalable, vous avez nié les faits.
Malgré vos explications et eu égard à la gravité et à la persistance de votre comportement, nous sommes en regrets de vous notifier par la présente, votre licenciement pour faute grave.
Par ailleurs, nous vous informons que vous avez la possibilité de demander des précisions sur les motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans un délai de quinze jours courant à compter de la première présentation de celle-ci. Même si nous avons déjà motivé les motifs dans la présente lettre, nous avons la faculté de donner suite à votre demande dans un délai de quinze jours courant à compter de la réception de votre demande. Nous pouvons également, le cas échéant, prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de 15 jours après la notification du licenciement.
Votre maintien dans l'entreprise étant impossible, votre licenciement prend effet immédiatement à la date de la présentation de la présente, sans indemnités, ni préavis.
A réception de ce courrier, nous vous invitons à convenir d'un rendez-vous avec le service des Ressources humaines, afin de recevoir votre solde de tout compte et vos documents de fin de contrat.
Nous vous demandons de bien vouloir restituer, le cas échéant, auprès des services concernés l'ensemble du matériel et document qui vous ont été confiés depuis votre intégration.
['] »
Le 24 mai 2019, M.[T] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en vue de solliciter la requalification de son licenciement pour faute grave en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation de la société au paiement de diverses sommes, de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi la société s'est opposée.
Par jugement rendu le 3 février 2022, notifié le 18 février 2022, le conseil a statué comme suit :
dit et juge que le licenciement de M.[T] [Z] pour faute grave est fondé
déboute M.[T] [Z] de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de congés payés et du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, et de remise des documents sociaux
condamne la société France Boissons Ile-de-France à lui verser la somme de 1 500 euros pour défaut de proposition de formation
dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire
condamne la société France Boissons Ile-de-France à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
déboute la société France Boissons Ile-de-France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
condamne les parties à parts égales aux dépens.
Le 14 mars 2022, M.[T] [Z] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par conclusions, notifiées par RPVA le 29 septembre 2023, M.[T] [Z] demande à la cour de :
infirmer le jugement querellé sauf en ce qu'il a constaté que l'intimée avait, durant 33 ans, manqué à son obligation de formation envers M.[T] [Z],
Statuer à nouveau des chefs infirmés et y ajouter :
déclarer sans cause réelle et sérieuse, le licenciement pour faute grave dont a fait l'objet M.[T] [Z] de la part de la société France Boissons Ile-de-France
en conséquence, condamner la société France Boissons Ile-de-France à devoir verser à M.[T] [Z] les sommes de :
o 61 211, 83 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
o 33 879, 58 euros à titre d'indemnité légale de licenciement
o 5 376, 62 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
o 537, 66 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
o 1 200, 44 euros à titre de rappel de salaire retenu durant la période de mise à pied à titre conservatoire
condamner la société France Boissons Ile-de-France à devoir verser à M.[T] [Z] la somme de 33.000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de la violation par cette dernière de son obligation de formation
condamner la société France Boissons Ile-de-France à devoir remettre à M.[T] [Z] un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation pôle emploi et des bulletins de paie conformes à la décision à intervenir et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 15 ème jour de la notification de ladite décision
condamner la société France Boissons Ile-de-France à devoir verser à M.[T] [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens déboursés en première et deuxième instances
ordonner à la société France Boissons Ile-de-France de rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à M.[T] [Z] du jour du licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois d'indemnité de chômage.
Par conclusions n°1, notifiées par RPVA le 26 août 2022, la société France Boissons Ile-de-France demande à la cour de :
recevoir la Société France Boissons Ile-de-France en ses écritures et l'y déclarer bien fondée
au fond, confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en date du 3 février 2022
dire et juger que le licenciement de M.[T] [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse
débouter M.[T] [Z] de l'intégralité de ses demandes, fin et conclusions
en tout état de cause, condamner M.[T] [Z] à payer à la Société France Boissons Ile-de-France, la somme de 3.000 euros hors taxes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SELARL BDL AVOCATS conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 18 octobre 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 30 janvier 2024.
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements infra.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
Sur la matérialité des faits
Selon l'article L1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du code du travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. L'employeur doit rapporter la preuve de l'existence d'une telle faute, et le doute profite au salarié.
M.[T] [Z] conteste les faits qui lui sont reprochés et soutient que la SASU France Boissons Ile-de-France est déficiente dans l'administration de la preuve de la faute invoquée.
Il évoque les éléments suivants :
- le fait que son collègue [N], licencié pour les mêmes motifs, n'a pas reconnu les faits contrairement à ce que soutient la SASU France Boissons Ile-de-France,
- la société n'a toujours pas déposé plainte pour vol en réunion,
- la société n'a jamais produit les vidéos sur lesquelles elle se fonde dans sa lettre de licenciement pour l'accuser de vol en réunion,
- la société ne rapporte pas la preuve de son postulat de départ, ses 'prétendues' constatations d'un vol en réunion, ajoutant que la seule attestation produite par l'intimée n'est pas conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et ne porte aucune accusation le concernant, que le nombre de fûts prétendument volés serait de 5 selon les documents produits par la société (pièces 3 et 7) alors que la société continue d'évoquer 6 fûts.
- à supposer que de telles constatations aient bien eu lieu, les faits tels que décrits ne suffisent pas à caractériser un vol qui nécessite une intention alors qu'il pourrait s'agir en l'espèce d'une simple erreur et/ou négligence de la part de l'agent logistique polyvalent et/ou du cariste contrôleur.
- deux attestations faisant mention d'erreurs régulièrement commises dans les livraisons.
- Il rappelle qu'il était chauffeur livreur et ne s'occupait ni de la préparation ni du contrôle consécutif des produits déposés dans sa travée, n'ayant pour seule mission de charger les marchandises et de les livrer et produit à cet effet des attestations de ses anciens collègues, tous chauffeurs livreurs.
- une attestation qui contredit l'affirmation de la société selon laquelle il était interdit de procéder au chargement lors du retour de tournée.
- le déficit de preuve de la part de la société.
La SASU France Boissons Ile-de-France conteste l'intégralité des arguments développés par M.[T] [Z].
En préambule et comme relevé par la SASU France Boissons Ile-de-France, l'engagement d'une procédure de licenciement pour faute grave n'est pas conditionnée à un dépôt de plainte de l'employeur.
Par ailleurs, s'agissant des deux autres salariés mis en cause et sanctionnés, la SASU France Boissons Ile-de-France n'a pas soutenu qu'ils reconnaissaient les faits mais a écrit qu'ils avaient assumé la responsabilité de leurs actes, ce d'autant que la société produit elle-même les lettres de licenciement de ces deux salariés qui font apparaître, s'agissant de M.[N], que celui-ci niait les faits. En tout état de cause, M.[T] [Z] n'indique pas que ses collègues ont contesté leurs sanctions, ce qui peut être le sens de l'observation de la société.
Si M.[T] [Z] reproche à la société de ne pas produire la vidéo issue de la caméra de vidéo-surveillance, pour autant, outre le fait que la durée de conservation d'une vidéo est limitée dans le temps comme le rappelle la société, il convient de relever que M.[T] [Z] ne conteste pas figurer sur les captures d'écran ni les scènes y figurant et notamment le fait que d'une part, les 6 fûts de Stella litigieux se trouvaient bien sur la palette qu'il devait charger, placés par son collègue [N] (agent logistique) sous une commande de 5 fûts de 1664 destinée à un client (l'hôtel Ibis [Localité 7]) qui n'avait pas commandé les 6 fûts litigieux, d'autre part, qu'étaient déposés par M.[N] un carton de champagne Nicolas Feuillage et trois cartons de café Lavazza sur une seconde palette qu'il devait charger, destinée au client Chic Cuisine qui n'avait pas commandé ces rajouts (pièce 8). Les écarts d'inventaire pour la journée du 27 juin 2018 confirment la sortie des stocks de ces produits (pièce 7).
Il ne conteste pas plus que :
- les deux palettes litigieuses ont été emballées dans un film plastique avec un autre ensemble avant son chargement dans son camion.
- M. [D], cariste contrôleur chargé du contrôle du contenu des palettes, figurant sur la vidéo, ne contrôle pas la palette contenant les 6 fûts et ne demande aucune explication sur le rajout de produits pour l'autre palette.
- le précédent, qui certes n'a pas donné lieu à procédure à l'encontre de salarié, mais qui est identique au cas présent à savoir un écart de fûts de Stella Artois constaté lors de la livraison du 13 juin 2018 pour le même client, l'hôtel Ibis [Localité 7]. C'est à partir de cet incident que la société a demandé aux chauffeurs livreurs de ne plus charger leur camion lors du retour de leur tournée, ce que ne conteste pas M.[T] [Z] qui affirme que le 27 juin, il avait été autorisé à charger son camion pour la livraison du 28 juin. Pour ce faire, il produit une attestation d'un chauffeur livreur (pièce 33) qui atteste que M. [T] [Z] a demandé l'autorisation à son supérieur, M. [S], de charger son camion le 27 pour la livraison du 28, précisant qu'il faisait régulièrement cette demande. Néanmoins, s'agissant de cette 'demande régulière', il n'y a aucune indication de la période concernée outre le fait que, comme souligné par la SASU France Boissons Ile-de-France, cette interdiction de charger la veille n'avait été imposée qu'après l'incident du 13 juin, ce qui tend à remettre en cause l'exactitude de cette attestation. Par ailleurs, les captures d'écran font apparaître que la consigne était respectée par les autres chauffeurs, leur chargement se trouvant à quai.
- les palettes litigieuses ont été chargées en premier, ce qui correspond selon la société à celles livrées en dernier ('first in first out').
L'erreur relevée par M. [T] [Z] s'agissant du nombre de fûts litigieux ne saurait entacher à elle seule la procédure, ce d'autant que c'est la société qui produit les pièces 3 et 7 où il est question de 5 fûts, le chiffre 6 concernant le précédent incident du 13 juin.
C'est à juste titre que la SASU France Boissons Ile-de-France fait remarquer que M.[T] [Z] est responsable en sa qualité de chauffeur livreur dès lors qu'il a chargé une marchandise non commandée par les clients qu'il n'a donc pas livré à ces derniers et dont il ne démontre pas qu'elle aurait été restituée comme soutenu par lui. En effet, la pièce 36 invoquée par M.[T] [Z] porte sur la reprise de 6 fûts sans précision de la marque, pour une livraison qui a eu lieu le 5 juillet 2018 (référence 4566340407) et non le 28 juin 2018 (référence 4566324770).
Enfin, à supposer comme le soutient M.[T] [Z] que des erreurs peuvent être commises, pour autant soit les marchandises livrées par erreur sont restituées, soit le client réclame la marchandise commandée non livrée, ce qui n'a pas été le cas pour cette livraison ni de la part de l'hôtel Ibis [Localité 7] ni de celle de Chic Cuisine.
Au vu des éléments ci-dessus développés, les faits reprochés à M.[T] [Z] sont établis.
Sur la gravité des faits
Contrairement à ce que soutient M.[T] [Z], celui-ci n'a pas été exempt de tout reproche au cours de sa carrière, ayant fait l'objet de plusieurs sanctions disciplinaires ou avertissement dont la mise à pied disciplinaire de 5 jours prononcée le 31 janvier 2014 à son encontre pour avoir rempli des jerricanes d'essence pour son usage personnel en utilisant la carte de la société (pièce 12).
Par ailleurs, la modicité du préjudice subi par la société (707 euros) et son ancienneté dans l'entreprise (33 ans) ne saurait suffire à requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse comme demandé à titre infiniment subsidiaire par M.[T] [Z].
Comme relevé par la SASU France Boissons Ile-de-France, M.[T] [Z], avec la complicité de deux autres salariés, a déjoué les mécanismes de contrôle mis en place par l'entreprise et suite à une première alerte du 13 juin 2018, alors que de la marchandise avait disparu sans que la société ne dispose de preuves suffisantes à son encontre. Le licenciement pour faute grave est donc proportionné aux faits qui lui sont reprochés et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et les demandes afférentes.
Sur les autres demandes de M.[T] [Z]
Sur la demande liée à l'absence de formation pendant plus de 33 ans
M.[T] [Z] soutient que durant ses 33 ans d'activité au sein de la SASU France Boissons Ile-de-France, celle-ci ne lui a jamais proposé de formation susceptible de le faire progresser dans l'évolution de son parcours professionnel, ce que conteste la SASU France Boissons Ile-de-France.
Selon l'article L6321-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'L'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu'à la lutte contre l'illettrisme, notamment des actions d'évaluation et de formation permettant l'accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.
Les actions de formation mises en oeuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de formation mentionné au 1° de l'article L. 6312-1. Elles peuvent permettre d'obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l'acquisition d'un bloc de compétences'.
La SASU France Boissons Ile-de-France justifie du suivi par M. [T] [Z] de formations continues: stage de 35 heures sur la formation transport de marchandises suivie en mars 2010 (pièce 25), formation sur la gestuelle sécurisée au poste de travail en octobre 2011 (pièce 27), formation sur la consommation responsable en novembre 2017 (pièce 28) outre la formation obligatoire FIMO/FCO dont la dernière validation datait du 14 mars 2015 pour une durée de 5 ans et une sensibilisation 'culture d'entreprise' (cool at work module) dont la dernière validation datait du 27 novembre 2017 pour une durée de 5 ans (pièce 28). L'employeur a donc rempli son obligation d'assurer l'adaptation de M.[T] [Z] à son poste de travail et de veiller au maintien de sa capacité à occuper son emploi.
M.[T] [Z] n'invoque ni ne justifie de demande de participation à des formations permettant d'accéder à un niveau supérieur ni en conséquence un quelconque refus de la part de son employeur de lui permettre de suivre une telle formation. Il ne justifie pas plus avoir informé son employeur de son souhait d'occuper d'autres fonctions que celles de chauffeur livreur.
L'article L6321-1 précité dispose que l'employeur 'peut' proposer des formations qui participent au développement des compétences. Ce n'est donc pas une obligation sauf dans l'hypothèse où le salarié aurait sollicité des formations pour acquérir de nouvelles compétences, pour progresser (Cour de cassation, ch.soc.du 5 juillet 2018 n°16-19895).
En conséquence, la SASU France Boissons Ile-de-France justifie avoir respecté son obligation de formation et M.[T] [Z] sera débouté de sa demande par infirmation du jugement.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Les demandes formées de ce chef seront donc rejetées.
Sur les dépens
M.[T] [Z] sera condamné aux dépens qui seront recouvrés par Me Yann Espuga conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du conseil des prud'hommes de Nanterre du 3 février 2022 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la SASU France Boissons Ile-de-France à payer à M. [T] [Z] la somme de 1500 euros pour défaut de proposition de formation et en ce qu'il a condamné la SASU France Boissons Ile-de-France aux dépens;
Statuant à nouveau et y ajoutant;
Déboute M.[T] [Z] de sa demande au titre du défaut de proposition de formation ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M.[T] [Z] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par Me Yann Espuga conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-6
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 02 MAI 2024
N° RG 22/00823 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VCAP
AFFAIRE :
[T] [J] [K] [Z]
C/
SASU FRANCE BOISSONS ILE DE FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Février 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : C
N° RG : 19/01334
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Julien AUTIN
Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [T] [J] [K] [Z]
né le 08 Décembre 1962 à [Localité 6] / ALLEMAGNE
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Julien AUTIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1186
APPELANT
****************
SASU FRANCE BOISSONS ILE DE FRANCE
N° SIRET : 572 079 069
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0480 -
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Janvier 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie COURTOIS, Président,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
FAITS ET PROCÉDURE
A compter du 5 mars 1985, M. [T] [Z] a été engagé par contrat de travail verbal à durée indéterminée, en qualité de chauffeur-livreur, statut ouvrier, par la SASU France Boissons Ile-de-France, qui a pour activité le commerce de gros de boissons (distribution de boissons hors domicile à destination des professionnels), emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des distributeurs conseils hors domicile.
Convoqué le 28 juin 2018, à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 9 juillet suivant, et mis à pied à titre conservatoire, M.[T] [Z] a été licencié par courrier du 12 juillet 2018, énonçant une faute grave.
La lettre de licenciement est ainsi rédigée :
« Monsieur,
Nous faisons suite à l'entretien préalable du lundi 9 juillet 2018 à 8h45, en présence de Monsieur [T] [A], Directeur de filiale, et de Monsieur [W] [R], Directeur de plateforme et au cours duquel vous étiez assisté de Monsieur [X] [P], délégué syndical CFDT.
Lors de cet entretien, nous avons évoqué avec vous des manquements caractérisés à vos obligations contractuelles.
Le 27 juin 2018, alors que Monsieur [E] [I], gestionnaire flux et stock, effectue des inventaires sur les fûts, celui-ci constate un écart de 6 fûts de Stella Artois 30L sur votre tournée, ainsi que des écarts sur le café LAVAZZA, et le champagne Nicolas FEUILLATE.
Monsieur [O] [G], Responsable Logistique et distribution, et Monsieur [E] [I] sont alors venus vérifier la travée que vous aviez chargée dans votre camion. Ces derniers ont constaté que les 6 fûts étaient présents, dissimulés volontairement sous la commande de notre client l'hôtel IBIS [Localité 7].
Ainsi afin de vérifier comment cette situation état arrivée, Monsieur [O] [G], accompagné de Monsieur [E] [I] ont visionné la vidéo-surveillance de l'entrepôt, dont vous aviez été averti de sa présence par courrier en date du 8 septembre 2016.
La vidéo-surveillance met en avant que d'autres salariés de la société France Boissons Ile-de-France sont impliqués à vos côtés dans ce vol en réunion. Un agent logistique polyvalent ayant déposé la palette de 6 fûts de Stella ARTOIS, la palette comprenant 4 cartons de café LAVAZZA, et un carton de champagne Nicolas FEUILLATE dissimulé sur la palette d'un client sur votre travée ainsi qu'un cariste contrôleur n'ayant pas porté attention à cette palette de fûts lors du contrôle, ni même les cartons de café LAVAZZA alors même que ces derniers étaient très visibles.
De plus, le 13 juin 2018, le même écart de fûts a été constaté sur votre commande. Ce jour-là cette commande a été livrée au même client à savoir l'hôtel IBIS [Localité 7], sous la même forme de conditionnement dans votre camion, et aucune explication n'a été fournie de votre part, quant à la disparition de cette même quantité de fûts.
Ce même jour, il a été expressément demandé aux chauffeurs livreurs de [Localité 5], lors d'une plénière organisée à la prise de poste des chauffeurs livreurs, de ne plus charger les camions lors du retour de leur tournée et conformément aux règles applicables dans l'entreprise. Or pourtant prévenu, vous avez poursuivi cette organisation de travail permettant de profiter de l'accalmie de la plate-forme pour charger de la marchandise non prévue dans votre camion.
Ce vol a occasionné pour la société France Boissons le de France, une perte financière d'environ 330 euros pour les écarts de fûts de Stella ARTOIS, 294 euros pour le café LAVAZZA, et 83 euros pour le champagne Nicolas FEUILLAGE.
Compte tenu de ce qui précède, il convient de vous rappeler que l'article 3.1 du règlement intérieur Ile de France « L'ensemble du personnel est soumis de façon générale, aux directives, et instructions émanant de la direction de l'entreprise, et devra se conformer aux ordres donnés par les responsables hiérarchiques directs, ainsi qu'aux prescriptions et consignes portées à sa connaissance, notamment par voie d'affichage et de service », il dispose que « Tout acte de nature à troubler le bon ordre et la discipline est interdit à savoir d'emporter sans autorisation expresse des objets et des documents appartenant à l'entreprise ».
La cour de cassation juge à cet égard dans un arrêt du 20 février 1986 que « le vol commis par un salarié au préjudice de son employeur constitue une faute grave ».
Enfin l'article L311-3 du code pénal dispose que « le vol est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende »
Lors de l'entretien préalable, vous avez nié les faits.
Malgré vos explications et eu égard à la gravité et à la persistance de votre comportement, nous sommes en regrets de vous notifier par la présente, votre licenciement pour faute grave.
Par ailleurs, nous vous informons que vous avez la possibilité de demander des précisions sur les motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans un délai de quinze jours courant à compter de la première présentation de celle-ci. Même si nous avons déjà motivé les motifs dans la présente lettre, nous avons la faculté de donner suite à votre demande dans un délai de quinze jours courant à compter de la réception de votre demande. Nous pouvons également, le cas échéant, prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de 15 jours après la notification du licenciement.
Votre maintien dans l'entreprise étant impossible, votre licenciement prend effet immédiatement à la date de la présentation de la présente, sans indemnités, ni préavis.
A réception de ce courrier, nous vous invitons à convenir d'un rendez-vous avec le service des Ressources humaines, afin de recevoir votre solde de tout compte et vos documents de fin de contrat.
Nous vous demandons de bien vouloir restituer, le cas échéant, auprès des services concernés l'ensemble du matériel et document qui vous ont été confiés depuis votre intégration.
['] »
Le 24 mai 2019, M.[T] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en vue de solliciter la requalification de son licenciement pour faute grave en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation de la société au paiement de diverses sommes, de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi la société s'est opposée.
Par jugement rendu le 3 février 2022, notifié le 18 février 2022, le conseil a statué comme suit :
dit et juge que le licenciement de M.[T] [Z] pour faute grave est fondé
déboute M.[T] [Z] de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de congés payés et du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, et de remise des documents sociaux
condamne la société France Boissons Ile-de-France à lui verser la somme de 1 500 euros pour défaut de proposition de formation
dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire
condamne la société France Boissons Ile-de-France à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
déboute la société France Boissons Ile-de-France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
condamne les parties à parts égales aux dépens.
Le 14 mars 2022, M.[T] [Z] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par conclusions, notifiées par RPVA le 29 septembre 2023, M.[T] [Z] demande à la cour de :
infirmer le jugement querellé sauf en ce qu'il a constaté que l'intimée avait, durant 33 ans, manqué à son obligation de formation envers M.[T] [Z],
Statuer à nouveau des chefs infirmés et y ajouter :
déclarer sans cause réelle et sérieuse, le licenciement pour faute grave dont a fait l'objet M.[T] [Z] de la part de la société France Boissons Ile-de-France
en conséquence, condamner la société France Boissons Ile-de-France à devoir verser à M.[T] [Z] les sommes de :
o 61 211, 83 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
o 33 879, 58 euros à titre d'indemnité légale de licenciement
o 5 376, 62 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
o 537, 66 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
o 1 200, 44 euros à titre de rappel de salaire retenu durant la période de mise à pied à titre conservatoire
condamner la société France Boissons Ile-de-France à devoir verser à M.[T] [Z] la somme de 33.000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de la violation par cette dernière de son obligation de formation
condamner la société France Boissons Ile-de-France à devoir remettre à M.[T] [Z] un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation pôle emploi et des bulletins de paie conformes à la décision à intervenir et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 15 ème jour de la notification de ladite décision
condamner la société France Boissons Ile-de-France à devoir verser à M.[T] [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens déboursés en première et deuxième instances
ordonner à la société France Boissons Ile-de-France de rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à M.[T] [Z] du jour du licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois d'indemnité de chômage.
Par conclusions n°1, notifiées par RPVA le 26 août 2022, la société France Boissons Ile-de-France demande à la cour de :
recevoir la Société France Boissons Ile-de-France en ses écritures et l'y déclarer bien fondée
au fond, confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en date du 3 février 2022
dire et juger que le licenciement de M.[T] [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse
débouter M.[T] [Z] de l'intégralité de ses demandes, fin et conclusions
en tout état de cause, condamner M.[T] [Z] à payer à la Société France Boissons Ile-de-France, la somme de 3.000 euros hors taxes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SELARL BDL AVOCATS conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 18 octobre 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 30 janvier 2024.
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements infra.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
Sur la matérialité des faits
Selon l'article L1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du code du travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. L'employeur doit rapporter la preuve de l'existence d'une telle faute, et le doute profite au salarié.
M.[T] [Z] conteste les faits qui lui sont reprochés et soutient que la SASU France Boissons Ile-de-France est déficiente dans l'administration de la preuve de la faute invoquée.
Il évoque les éléments suivants :
- le fait que son collègue [N], licencié pour les mêmes motifs, n'a pas reconnu les faits contrairement à ce que soutient la SASU France Boissons Ile-de-France,
- la société n'a toujours pas déposé plainte pour vol en réunion,
- la société n'a jamais produit les vidéos sur lesquelles elle se fonde dans sa lettre de licenciement pour l'accuser de vol en réunion,
- la société ne rapporte pas la preuve de son postulat de départ, ses 'prétendues' constatations d'un vol en réunion, ajoutant que la seule attestation produite par l'intimée n'est pas conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et ne porte aucune accusation le concernant, que le nombre de fûts prétendument volés serait de 5 selon les documents produits par la société (pièces 3 et 7) alors que la société continue d'évoquer 6 fûts.
- à supposer que de telles constatations aient bien eu lieu, les faits tels que décrits ne suffisent pas à caractériser un vol qui nécessite une intention alors qu'il pourrait s'agir en l'espèce d'une simple erreur et/ou négligence de la part de l'agent logistique polyvalent et/ou du cariste contrôleur.
- deux attestations faisant mention d'erreurs régulièrement commises dans les livraisons.
- Il rappelle qu'il était chauffeur livreur et ne s'occupait ni de la préparation ni du contrôle consécutif des produits déposés dans sa travée, n'ayant pour seule mission de charger les marchandises et de les livrer et produit à cet effet des attestations de ses anciens collègues, tous chauffeurs livreurs.
- une attestation qui contredit l'affirmation de la société selon laquelle il était interdit de procéder au chargement lors du retour de tournée.
- le déficit de preuve de la part de la société.
La SASU France Boissons Ile-de-France conteste l'intégralité des arguments développés par M.[T] [Z].
En préambule et comme relevé par la SASU France Boissons Ile-de-France, l'engagement d'une procédure de licenciement pour faute grave n'est pas conditionnée à un dépôt de plainte de l'employeur.
Par ailleurs, s'agissant des deux autres salariés mis en cause et sanctionnés, la SASU France Boissons Ile-de-France n'a pas soutenu qu'ils reconnaissaient les faits mais a écrit qu'ils avaient assumé la responsabilité de leurs actes, ce d'autant que la société produit elle-même les lettres de licenciement de ces deux salariés qui font apparaître, s'agissant de M.[N], que celui-ci niait les faits. En tout état de cause, M.[T] [Z] n'indique pas que ses collègues ont contesté leurs sanctions, ce qui peut être le sens de l'observation de la société.
Si M.[T] [Z] reproche à la société de ne pas produire la vidéo issue de la caméra de vidéo-surveillance, pour autant, outre le fait que la durée de conservation d'une vidéo est limitée dans le temps comme le rappelle la société, il convient de relever que M.[T] [Z] ne conteste pas figurer sur les captures d'écran ni les scènes y figurant et notamment le fait que d'une part, les 6 fûts de Stella litigieux se trouvaient bien sur la palette qu'il devait charger, placés par son collègue [N] (agent logistique) sous une commande de 5 fûts de 1664 destinée à un client (l'hôtel Ibis [Localité 7]) qui n'avait pas commandé les 6 fûts litigieux, d'autre part, qu'étaient déposés par M.[N] un carton de champagne Nicolas Feuillage et trois cartons de café Lavazza sur une seconde palette qu'il devait charger, destinée au client Chic Cuisine qui n'avait pas commandé ces rajouts (pièce 8). Les écarts d'inventaire pour la journée du 27 juin 2018 confirment la sortie des stocks de ces produits (pièce 7).
Il ne conteste pas plus que :
- les deux palettes litigieuses ont été emballées dans un film plastique avec un autre ensemble avant son chargement dans son camion.
- M. [D], cariste contrôleur chargé du contrôle du contenu des palettes, figurant sur la vidéo, ne contrôle pas la palette contenant les 6 fûts et ne demande aucune explication sur le rajout de produits pour l'autre palette.
- le précédent, qui certes n'a pas donné lieu à procédure à l'encontre de salarié, mais qui est identique au cas présent à savoir un écart de fûts de Stella Artois constaté lors de la livraison du 13 juin 2018 pour le même client, l'hôtel Ibis [Localité 7]. C'est à partir de cet incident que la société a demandé aux chauffeurs livreurs de ne plus charger leur camion lors du retour de leur tournée, ce que ne conteste pas M.[T] [Z] qui affirme que le 27 juin, il avait été autorisé à charger son camion pour la livraison du 28 juin. Pour ce faire, il produit une attestation d'un chauffeur livreur (pièce 33) qui atteste que M. [T] [Z] a demandé l'autorisation à son supérieur, M. [S], de charger son camion le 27 pour la livraison du 28, précisant qu'il faisait régulièrement cette demande. Néanmoins, s'agissant de cette 'demande régulière', il n'y a aucune indication de la période concernée outre le fait que, comme souligné par la SASU France Boissons Ile-de-France, cette interdiction de charger la veille n'avait été imposée qu'après l'incident du 13 juin, ce qui tend à remettre en cause l'exactitude de cette attestation. Par ailleurs, les captures d'écran font apparaître que la consigne était respectée par les autres chauffeurs, leur chargement se trouvant à quai.
- les palettes litigieuses ont été chargées en premier, ce qui correspond selon la société à celles livrées en dernier ('first in first out').
L'erreur relevée par M. [T] [Z] s'agissant du nombre de fûts litigieux ne saurait entacher à elle seule la procédure, ce d'autant que c'est la société qui produit les pièces 3 et 7 où il est question de 5 fûts, le chiffre 6 concernant le précédent incident du 13 juin.
C'est à juste titre que la SASU France Boissons Ile-de-France fait remarquer que M.[T] [Z] est responsable en sa qualité de chauffeur livreur dès lors qu'il a chargé une marchandise non commandée par les clients qu'il n'a donc pas livré à ces derniers et dont il ne démontre pas qu'elle aurait été restituée comme soutenu par lui. En effet, la pièce 36 invoquée par M.[T] [Z] porte sur la reprise de 6 fûts sans précision de la marque, pour une livraison qui a eu lieu le 5 juillet 2018 (référence 4566340407) et non le 28 juin 2018 (référence 4566324770).
Enfin, à supposer comme le soutient M.[T] [Z] que des erreurs peuvent être commises, pour autant soit les marchandises livrées par erreur sont restituées, soit le client réclame la marchandise commandée non livrée, ce qui n'a pas été le cas pour cette livraison ni de la part de l'hôtel Ibis [Localité 7] ni de celle de Chic Cuisine.
Au vu des éléments ci-dessus développés, les faits reprochés à M.[T] [Z] sont établis.
Sur la gravité des faits
Contrairement à ce que soutient M.[T] [Z], celui-ci n'a pas été exempt de tout reproche au cours de sa carrière, ayant fait l'objet de plusieurs sanctions disciplinaires ou avertissement dont la mise à pied disciplinaire de 5 jours prononcée le 31 janvier 2014 à son encontre pour avoir rempli des jerricanes d'essence pour son usage personnel en utilisant la carte de la société (pièce 12).
Par ailleurs, la modicité du préjudice subi par la société (707 euros) et son ancienneté dans l'entreprise (33 ans) ne saurait suffire à requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse comme demandé à titre infiniment subsidiaire par M.[T] [Z].
Comme relevé par la SASU France Boissons Ile-de-France, M.[T] [Z], avec la complicité de deux autres salariés, a déjoué les mécanismes de contrôle mis en place par l'entreprise et suite à une première alerte du 13 juin 2018, alors que de la marchandise avait disparu sans que la société ne dispose de preuves suffisantes à son encontre. Le licenciement pour faute grave est donc proportionné aux faits qui lui sont reprochés et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et les demandes afférentes.
Sur les autres demandes de M.[T] [Z]
Sur la demande liée à l'absence de formation pendant plus de 33 ans
M.[T] [Z] soutient que durant ses 33 ans d'activité au sein de la SASU France Boissons Ile-de-France, celle-ci ne lui a jamais proposé de formation susceptible de le faire progresser dans l'évolution de son parcours professionnel, ce que conteste la SASU France Boissons Ile-de-France.
Selon l'article L6321-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'L'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu'à la lutte contre l'illettrisme, notamment des actions d'évaluation et de formation permettant l'accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.
Les actions de formation mises en oeuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de formation mentionné au 1° de l'article L. 6312-1. Elles peuvent permettre d'obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l'acquisition d'un bloc de compétences'.
La SASU France Boissons Ile-de-France justifie du suivi par M. [T] [Z] de formations continues: stage de 35 heures sur la formation transport de marchandises suivie en mars 2010 (pièce 25), formation sur la gestuelle sécurisée au poste de travail en octobre 2011 (pièce 27), formation sur la consommation responsable en novembre 2017 (pièce 28) outre la formation obligatoire FIMO/FCO dont la dernière validation datait du 14 mars 2015 pour une durée de 5 ans et une sensibilisation 'culture d'entreprise' (cool at work module) dont la dernière validation datait du 27 novembre 2017 pour une durée de 5 ans (pièce 28). L'employeur a donc rempli son obligation d'assurer l'adaptation de M.[T] [Z] à son poste de travail et de veiller au maintien de sa capacité à occuper son emploi.
M.[T] [Z] n'invoque ni ne justifie de demande de participation à des formations permettant d'accéder à un niveau supérieur ni en conséquence un quelconque refus de la part de son employeur de lui permettre de suivre une telle formation. Il ne justifie pas plus avoir informé son employeur de son souhait d'occuper d'autres fonctions que celles de chauffeur livreur.
L'article L6321-1 précité dispose que l'employeur 'peut' proposer des formations qui participent au développement des compétences. Ce n'est donc pas une obligation sauf dans l'hypothèse où le salarié aurait sollicité des formations pour acquérir de nouvelles compétences, pour progresser (Cour de cassation, ch.soc.du 5 juillet 2018 n°16-19895).
En conséquence, la SASU France Boissons Ile-de-France justifie avoir respecté son obligation de formation et M.[T] [Z] sera débouté de sa demande par infirmation du jugement.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Les demandes formées de ce chef seront donc rejetées.
Sur les dépens
M.[T] [Z] sera condamné aux dépens qui seront recouvrés par Me Yann Espuga conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du conseil des prud'hommes de Nanterre du 3 février 2022 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la SASU France Boissons Ile-de-France à payer à M. [T] [Z] la somme de 1500 euros pour défaut de proposition de formation et en ce qu'il a condamné la SASU France Boissons Ile-de-France aux dépens;
Statuant à nouveau et y ajoutant;
Déboute M.[T] [Z] de sa demande au titre du défaut de proposition de formation ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M.[T] [Z] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par Me Yann Espuga conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,