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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 2 mai 2024, n° 22/09924

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/09924

2 mai 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 02 MAI 2024

(n° , 7 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09924 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF3NV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Mars 2022 - tribunal judiciaire de Paris - 3ème chambre 1ère section - RG n° 18/09854

APPELANTE

Madame [E] [F]

née le [Date naissance 4] 1989 à [Localité 13]

Chez Npns - [Adresse 9]

[Localité 10]

Représentée par Me Romuald FELDMANN, avocat au barreau de Paris, toque : E0218, substitué à l'audience par Me Paul BARTHELEMY, avocat au barreau de Paris, toque : B0290

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/009223 du 13/05/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Paris)

INTIMÉS

Monsieur [B] [F]

né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 12] (Pologne)

[Adresse 3]

[Localité 6]

S.A.R.L. ASE FILTRES

[Adresse 2]

[Localité 8]

N° SIRET : 503 957 292

agissantpoursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentés par Me Marie-Caroline ARDOIN SAINT AMAND, avocat au barreau de Paris

[11]

[Adresse 7]

[Localité 5]

N° SIRET : 333 020 246

agissantpoursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Samuel ROTHOUX de la SELARL SELARL LHJ AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : A1005

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

M. Vincent BRAUD, président

MME Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par MME Pascale SAPPEY-GUESDON dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 19 mai 2022, Mme [E] [F] a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Paris rendu le 8 mars 2022 dans l'instance l'opposant au [11], celui-ci ayant appelé en la cause M. [B] [F] et la société ASE Filtres, jugement dont le dispositif est ainsi rédigé :

'Déboute Mme [E] [F] de toutes ses demandes ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande du [11] à l'encontre de M. [B] [F] et de la société ASE FILTRES ;

Déboute Mme [E] [F], M. [B] [F], la société ASE FILTRES et [11] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [E] [F] aux dépens exposés par [11] ;

Déboute M. [B] [F] et la société ASE FILTRES de leur demande de condamnation à la prise en charge de leurs dépens par [11].'

***

À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 30 janvier 2024 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.

Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 10 août 2022 l'appelante

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Il est demandé à la Cour d'Appel de céans de :

Vu les articles 1240 et suivants et 1103 et suivants du code civil,

Vu les articles L. 511-33, L. 571-4 et suivants du code monétaire et financier,

Réformer le jugement et jugeant à nouveau,

CONDAMNER [11] à payer à Madame [E] [F] la somme de 9.000 € au titre des virements effectués sans autorisation de sa cliente avec intérêt au taux légal depuis la date de leur passation,

CONDAMNER [11] à payer à Madame [E] [F] la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts,

CONDAMNER [11] à payer à Madame [E] [F] la somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 37 de la Loi n°91-647 du 10 juillet 1991.'

Au dispositif de ses dernières conclusions d'intimé, communiquées par voie électronique le 9 novembre 2022, [11]

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Vu les articles 1240 et 1231-1 du code civil,

Vu les dispositions du Code Pénal,

Il est demandé à la Cour d'Appel de PARIS de :

CONFIRMER le jugement du 8 mars 2022 du Tribunal Judiciaire de PARIS en toutes ses

dispositions

Subsidiairement, EN CAS DE REFORMATION de la décision de première instance,

CONDAMNER IN SOLIDUM Monsieur [B] [F] et la société ASE FILTRES à garantir [11] de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre du chef des virements réalisés au débit du compte de Madame [E] [F]

REDUIRE la demande de dommages-intérêts de Madame [F] à de plus justes

proportions

CONDAMNER IN SOLIDUM Madame [E] [F] et Monsieur [B]

[F] et la société ASE FILTRES à verser à [11] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, de première instance et d'appel.'

Au dispositif de leurs dernières conclusions d'intimé, communiquées par voie électronique le 10 novembre 2022, M. [B] [F] et la société ASE Filtres

présentent, en ces termes, leurs demandes à la cour :

'Vu les articles 1302, 2224, 1231-1 du Code civil

Il est demandé à la Cour d'appel de PARIS de :

- CONFIRMER la décision du 8 mars 2022 en ce qu'elle dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande du [11] à l'encontre de Monsieur [F] et de la Société ASE FILTRES

- CONDAMNER [11] à payer à Monsieur [B] [F] et la Société ASE FILTRES la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 de Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens.'

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

Le 17 septembre 2008, Mme [E] [F] a ouvert un compte en l'agence de [Localité 13] de la banque [11].

M. [B] [F], son père, et la société ASE Filtres, dont il est le dirigeant, ont procédé à trois virements à leur bénéfice et au débit du compte de Mme [E] [F] : le 13 octobre 2013, pour une somme de 8 000 euros ; le 2 décembre 2014, pour une somme de 500 euros ; le 21 août 2015, pour une somme de 500 euros.

Soutenant que la responsabilité de la banque serait engagée pour avoir permis à M. [B] [F] d'effectuer des virements au débit du compte de sa fille titulaire du compte sans l'autorisation de cette dernière, et pour avoir violé le secret bancaire en communiquant à M. [B] [F] des informations protégées, Mme [E] [F], par acte d'huissier de justice en date du 21 août 2018, a fait assigner [11] sur le fondement des articles 1382 (1240 nouveau) et suivants, 1134 (1103 nouveau) et suivants, du code civil, et L. 511-33, L. 571-4 et suivants du code monétaire et financier, notamment en vue d'obtenir le remboursement d'une somme de 9 000 euros au titre des virements effectués sans autorisation, et le paiement d'une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts.

[11] a fait assigner M. [B] [F] en intervention forcée et a pour l'essentiel conclu au rejet de l'intégralité des demandes de Mme [E] [F] ; subsidiairement, il était demandé au tribunal de condamner solidairement M. [B] [F] et la société ASE Filtres à garantir [11] de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre du chef des virements réalisés au débit du compte de Mme [E] [F].

Mme [E] [F], déboutée en première instance de l'ensemble de ses prétentions, en cause d'appel maintient ses demandes telles que formulées devant le premier juge, ainsi que ses moyens à l'appui.

*****

Comme relevé liminairement par le tribunal, il ressort des pièces versées aux débats que M. [B] [F] et sa fille Mme [E] [F], née le [Date naissance 4] 1989, ont entretenu des relations complexes, Mme [E] [F], étudiante, sans autre revenu régulier que les sommes versées mensuellement par son père, voulant vivre de manière indépendante, alors que M. [B] [F] souhaitait se rapprocher de sa fille.

A) Mme [E] [F] soutient que trois virements effectués au débit de son compte au profit de M. [B] [F] et de la société ASE Filtres, dont il est le dirigeant, ont eu lieu sans son accord : le 13 octobre 2013, pour une somme de 8 000 euros, le 2 décembre 2014, pour une somme de 500 euros, et le 21 août 2015, pour une somme de 500 euros.

Il est établi que si le compte a été ouvert par Mme [E] [F], en septembre 2008, il a été dès le 5 janvier 2009, et jusqu'au 13 décembre 2016, crédité à de multiples reprises par M. [B] [F]. Il s'avère également que dès le 6 octobre 2010 de nombreux reversements vers le compte de M. [B] [F] ont été effectués, le dernier d'entre eux étant de 54 euros et en date du 30 janvier 2016, sans qu'aucun de ces reversements n'ait fait l'objet de contestation de la part de Mme [E] [F], ni auprès de son père, ni auprès de la banque.

Le premier juge s'est livré à un examen attentif des pièces produites, notamment des relevés bancaires, qui lui a permis de constater les fais suivants, s'agissant des trois virements présentement litigieux.

1) Quant au virement de la somme de 8 000 euros intitulé 'retour-caution' effectué le 13 octobre 2013 au profit de M. [B] [F] : ce dernier avait crédité le compte le 28 août 2013 de cette même somme de 8 000 euros, qui était destinée, selon un e-mail en date du 25 septembre 2013 adressé par M. [B] [F] à sa fille, au paiement de sa location ; par un autre e-mail, en date du 14 octobre 2013, M. [B] [F] expliquait à sa fille pour quelles raisons il se reversait cette somme de 8 000 euros. Il ne résulte pas des pièces produites que Mme [E] [F] aurait alors manifesté son désaccord.

2) S'agissant du reversement de la somme de 500 euros, le 2 décembre 2014 : à la même période M. [B] [F] a recrédité le compte bancaire de sa fille de 200 euros, le 5 décembre 2014, et ce alors qu'il l'avait également abondé peu auparavant, de 400 euros le 31 octobre 2014, et de 400 euros le 29 octobre 2014.

3) En ce qui concerne le reversement, le 21 août 2015, de la somme de 500 euros : le compte de Mme [E] [F] avait été crédité le 4 juillet 2015 d'une somme de 500 euros, le 13 juillet 2015 d'une somme de 4 000 euros, le 6 août 2015 d'une somme de 400 euros, puis postérieurement au reversement litigieux, le compte a à nouveau été abondé le 5 octobre 2015 pour une somme de 200 euros, et le 8 octobre 2015 pour une somme de 400 euros.

Le tribunal a estimé qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, Mme [E] [F] ne démontre pas que les reversements effectués au profit de M. [B] [F], et dont elle demande à présent le remboursement, ont été effectués sans son accord.

Pourtant, il est constant que la banque a exécuté les ordres de virement de M. [B] [F] alors qu'il ne disposait d'aucune procuration sur le compte de sa fille, ce qui constitue une faute qui a causé à celle-ci un préjudice à hauteur des sommes indûment débitées du compte, soit la somme totale de 9 000 euros.

B) Par ailleurs, Mme [E] [F] reproche à la banque d'avoir communiqué à M. [B] [F] des informations confidentielles, en violation du secret bancaire.

L'article L. 511-33 du code monétaire et financier, en vigueur au moment des faits, dispose que 'I.-Tout membre d'un conseil d'administration et, selon le cas, d'un conseil de surveillance et toute personne qui à un titre quelconque participe à la direction ou à la gestion d'un établissement de crédit, d'une société de financement ou d'un organisme mentionné au 5 de l'article L. 511-6 ou qui est employée par l'un de ceux-ci est tenu au secret professionnel (...).'

Au motif qu'il désirait pouvoir effectuer les virements nécessaires pour éviter que le compte bancaire de sa fille soit déficitaire, par un e-mail en date du 28 janvier 2010 M. [B] [F] a sollicité [11] un accès au dit compte, demande à laquelle la banque a répondu que pour cela l'accord de la titulaire du compte, qui est majeure était nécessaire.

M.[B] [F] justifiait avoir adressé telle demande à sa fille, par e-mail du 30 janvier 2010 ; aucune réponse écrite de Mme [E] [F] n'a été versée aux débats, toutefois il ressortait des e-mails des 1er décembre 2013 et 6 janvier 2015 adressés par M. [B] [F] à sa fille, qu'il avait accès à ses comptes, et qu'elle était au courant de la situation ; il ressort également de leurs échanges, qu'au début de l'année 2017, Mme [E] [F] a écrit au [11] pour s'opposer à la communication à son père des informations concernant son compte bancaire.

Le tribunal a donc estimé qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, aucune violation du secret professionnel commise par [11] n'est caractérisée, compte tenu de l'existence d'un accord passé entre Mme [E] [F] et son père afin que ce dernier puisse obtenir des informations de manière à effectuer des virements sur le compte de sa fille pour parer une situation potentiellement débitrice.

Pourtant, il est constant que la banque a permis à M. [B] [F] d'accèder au compte de sa fille sans que la banque ne justifie que celle-ci y avait expressément consenti, ce qui constitue une faute qui a causé à celle-ci un préjudice moral, qui cependant est minime compte tenu du motif exposé par le requérant, et cet accès ayant permis nombre d'opérations au profit du titulaire du compte. Ce préjudice sera justement indemnisé par l'octroi d'un euro, et Mme [E] [F] étant déboutée du surplus de sa demande indemnitaire.

C) M. [B] [F], à l'initiative et au profit duquel les faits fautifs à présent reprochés à la banque ont été commis, doit être condamné à relever et garantir la banque à hauteur des condamnations prononcées contre elle au titre des virements improprement exécutés le 13 octobre 2013, pour une somme de 8 000 euros, le 2 décembre 2014, pour une somme de 500 euros, et le 21 août 2015, pour une somme de 500 euros.

Le jugement déféré est donc infirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Compte tenu du sens de la présente décision, les parties intimées partageront par moité la charge des dépens de l'instance. Il y a lieu de les débouter de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande formulée au dispositif des conclusions de l'appelante dans les conditions de la Loi n°91-647 du 10 juillet 1991, à hauteur de la somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions :

Et statuant à nouveau

CONDAMNE [11] à payer à Mme [E] [F] la somme totale de 9 000 euros au titre des virements effectués au débit de son compte les 13 octobre 2013, pour une somme de 8 000 euros, 2 décembre 2014 pour une somme de 500 euros, et 21 août 2015, pour une somme de 500 euros,

et CONDAMNE M. [B] [F] à relever et garantir [11] de la condamnation prononcée à son encontre à ce titre ;

CONDAMNE [11] à payer à Mme [E] [F] la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

CONDAMNE [11] à payer à Me Romual Felmann avocat de Mme [E] [F] bénéficiaire de l'aide juridique, la somme de 2 000 euros, dans les conditions de l'article 37 de la Loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

CONDAMNE M. [B] [F] d'une part, et [11] d'autre part, aux entiers dépens de l'instance.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT