CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 2 mai 2024, n° 20/12887
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Boussif Trading (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Leroy, Mme Lebée
Avocats :
Me Lallement, Me Forgar
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 1er avril 2006, Mme [Z] [K] veuve [V], aux droits de laquelle est venue Mme [B] [V] épouse [W] (ci-après Mme [W]), a donné à bail à la société Boussif trading des locaux à usage d'«'entrepôt et de vente d'appareils électroménagers, tissus, articles et produits alimentaires orientaux'» situés [Adresse 1] à [Localité 9] (92), pour 9 ans à compter du 1er avril 2006 et moyennant un loyer annuel en principal de 19.800 euros.
Par ordonnance du 5 mars 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre a, notamment, constaté la résolution du bail liant les parties au 25 décembre 2014, par suite de la délivrance d'un commandement de payer visant la clause résolutoire, et ordonné l'expulsion de la société Boussif trading, condamnée en outre à payer à Mme [W] la somme de 20.834,75 euros au titre des loyers et charges arrêtés au 31 janvier 2015.
La société Boussif trading a été expulsée selon procès-verbal de Me [P], huissier de justice, le 6 janvier 2016.
Par arrêt du 7 avril 2016, la cour d'appel de Versailles a infirmé l'ordonnance du 5 mars 2015, dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de Mme [W] du chef de l'acquisition de la clause résolutoire, relevant que des comptes étaient à faire entre les parties, et condamné la société Boussif trading à payer à Mme [W] par provision la somme de 40.654,45 euros représentant l'arriéré locatif au 6 janvier 2016.
La société Boussif trading a réintégré les locaux loués le 19 avril 2016.
Par acte extrajudiciaire du 20 février 2017, Mme [W] a délivré à la société Boussif trading un commandement, visant la clause résolutoire du bail, de lui payer la somme de 40.618,13 euros.
Par acte du 20 mars 2017, la société Boussif trading a fait assigner Mme [W] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins essentielles de voir prononcer la nullité de ce commandement.
Par jugement du 14 novembre 2017, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a condamné Mme [W] à payer au preneur la somme de 2.000 € à titre de dommages-intérêts au regard du caractère abusif de saisies conservatoires pratiquées.
Par jugement du 20 juin 2019, le tribunal de grande instance de Versailles a condamné Mme [W] à payer à la société Boussif trading la somme de 26.000 € au titre de l'indemnisation du préjudice subi par cette dernière consécutivement à l'exécution forcée de la mesure d'expulsion ordonnée par le juge des référés et infirmé par la cour d'appel.
Par un jugement du 10 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Paris a':
- déclaré irrecevables et écarté des débats les conclusions et pièces signifiées par la société Boussif trading le 28 février 2020 et par Mme [B] [V] épouse [W] les 20 février 2020 et 9 mars 2020';
- dit que le tribunal n'est régulièrement saisi que des demandes figurant dans les conclusions de la société Boussif trading signifiées le 23 janvier 2020 et dans celles de Mme [B] [V] épouse [W] signifiées le 6 décembre 2019, ainsi que des pièces visées dans ces conclusions';
- déclaré nul et de nul effet le commandement de payer délivré le 20 février 2017 par Mme [B] [V] épouse [W] à la société Boussif trading';
- rejeté les demandes de Mme [B] [V] épouse [W] en constat de l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 1er avril 2006, d'expulsion de la société Boussif trading, séquestration des meubles et objets mobiliers, paiement d'une indemnité d'occupation et conservation du dépôt de garantie à titre d'indemnité';
- condamné la société Boussif trading à payer à Mme [B] [V] épouse [W] la somme de 29.811,11 euros, au titre des loyers, charges et clauses pénales dus et arrêtés au 5 décembre 2019, après compensation avec les condamnations mises à la charge de Mme [B] [V] épouse [W] par les jugements du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris du 14 novembre 2017 et du tribunal de grande instance de Versailles du 20 juin 2019';
- dit que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la présente décision';
- rejeté la demande de Mme [B] [V] épouse [W] en paiement de dommages et intérêts';
- dit que les parties conserveront à leur charge les entiers dépens exposés dans la présente instance';
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile';
- ordonné l'exécution provisoire';
- rejeté toutes autres demandes.
Par déclaration du 11 septembre 2020, Mme [V] épouse [W] a interjeté appel du jugement.
Par conclusions signifiées par RPVA le 29 juin 2023, la société Foncière du Château capital est intervenue volontairement instance en cours.
Par ordonnance du 5 juillet 2023, le conseiller de la mise en état a constaté l'interruption de l'instance.
Le 11 octobre 2023, la société Foncière du château capital, venant aux droits de Mme [W], a assigné la société Mandataires judiciaires associés en intervention forcée.
L'intimée n'a pas constitué avocat.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses conclusions signifiées le 10 décembre 2020, Mme [V] épouse [W] demande à la cour de':
- constater qu'un mois s'est écoulé depuis la signification du commandement de payer du 20 février 2017 sans que la société Boussif trading, preneur, n'en ait régularisé les causes';
En conséquence,
- déclarer acquise la clause résolutoire à compter du 20 mars 2017 avec tous ses effets et conséquences de droit et, notamment, la résiliation de plein droit du bail commercial et l'expulsion de la société Boussif trading et de tout occupant de son chef, du local situé à [Adresse 1], à l'angle de la [Adresse 12], comprenant un local couvert et clos de murs, avec façade vitrée sur la [Adresse 11] et deux portes vitrées, water-Closets intérieurs avec lavabo, courette non close au-devant en façade sur la [Adresse 11], avec, si besoin est, assistance de la force publique et d'un serrurier';
- constater que par le jeu de la clause résolutoire, la société Boussif trading est occupante sans droit ni titre depuis le 20 mars 2017';
- ordonner la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux loués dans un local au choix du bailleur et aux frais, risques et périls du preneur';
- condamner la société Boussif trading à payer à Mme [B] [W] la somme de 100.132,19 € en principal correspondant au solde des loyers et accessoires impayés arrêtés au 10 décembre 2020';
- dire que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la date du commandement de payer';
- condamner la société Boussif trading à payer à Mme [B] [W] une indemnité d'occupation de 69,89 € par jour, cette indemnité étant due jusqu'à complète libération des locaux se caractérisant par la bonne et valable remise des clés';
- dire que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la date du jugement à intervenir';
- condamner la société Boussif trading à payer à Mme [B] [W] la somme de 10.013,19 € au titre de la clause pénale, soit 10 % de la dette locative';
- autoriser Mme [B] [W] à conserver le montant du dépôt de garantie à titre indemnitaire, soit la somme de 13.580 €';
- à défaut de départ volontaire à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ou de la date de libération ordonnée par le tribunal';
- condamner par provision la société Boussif trading au paiement de la somme de 500 € par jour de retard à titre d'astreinte provisoire, votre juridiction se réservant le droit de la liquider';
- condamner la société Boussif trading à payer à Mme [B] [W] la somme de 40.000 € en réparation de son préjudice';
- condamner la société Boussif trading au paiement de la somme 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
- condamner la société Boussif trading à supporter dans le cadre du recouvrement forcé, le droit proportionnel dégressif mis à la charge du créancier de l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 modifié par le décret du 8 mars 2001 ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Frédéric Lallement, avocat constitué, qui comprendront notamment le coût des commandements et des frais de mise à exécution.
Au soutien de ses prétentions, Mme. [W] fait valoir que':
A titre liminaire,
- sur le rejet des conclusions de la bailleresse, le tribunal a rejeté les conclusions de la bailleresse du 20 février 2020, soit une semaine avant la clôture au motif qu'elle aurait dû conclure au plus tard le 15 février 2020, alors que cette date n'était pas mentionnée sur le bulletin de mise en état'; que la preneuse intentionnellement, conclut systématiquement tardivement pour empêcher la bailleresse de répondre';
- sur le commandement de payer et l'acquisition de la clause résolutoire, aucun paiement n'a été régularisé dans le délai d'un mois du commandement'; que la clause résolutoire est donc acquise';
- sur les décomptes locataires,
- sur la communication du décompte locataire que la preneuse est au fait de la demande du bailleur et de « l'étendue de ses obligations »'; qu'un décompte locataire clair a été communiqué au locataire dès la procédure engagée devant le tribunal de commerce'; que ces décomptent démontrent que la preneuse est débitrice à cette date d'une somme de 100.132,19 €'; qu'il convient de se référer aux décomptes actualisés communiqués par la bailleresse pour fixer le montant de la dette, l'arrêtant au 10 décembre 2020 à la somme de 100.132,19 €';
- sur la clause pénale qu'il convient de retrancher les sommes mentionnées dans le décompte au titres des stipulations de l'article «'LOYER'» du bail, à savoir une somme totale de 4.249,11 €'; qu'il n'y a pas lieu de réduire le montant de la clause pénale stipulée au bail, notamment au regard de la mauvaise foi de la preneuse'; qu'elle doit donc être égale à 10 % de la dette locative';
- sur les frais d'exécution que l'appelante est en droit de demander le remboursement de ces sommes au regard des stipulations du bail'; que le décompte locatif ne saurait ainsi être diminué de ces sommes';
sur les taxes foncières qu'il est communiqué les avis d'imposition au titre des années 2013 à 2019 de sorte qu'il n'y a plus lieu de réduire le montant de la dette à ce titre tel que l'a fait le jugement';
- sur le loyer/l'indemnité d'occupation pendant la période d'expulsion que la preneuse a été expulsée le 6 janvier 2016 mais a occupé les lieux jusqu'au 18 février 2016'; que le montant dû par la preneuse sur cette période demeure donc inchangé'; qu'il n'y a pas lieu de réduire le montant de la dette à ce titre'; que la preneuse ne conteste ni l'arriéré locatif tel qu'il apparaît dans l'arrêt de la cour d'appel de Versailles de 2016, ni les nouveaux appels de loyers établis depuis le 12 février 2016'; qu'il convient de condamner la preneuse à la somme de 100.132,19 €';
- sur les rendez-vous proposés par le bailleur à la preneuse que les parties ne se sont pas rencontrées, cela résulte de la seule faute de la preneuse';
sur le refus de délai et de compensation que l'appelante s'oppose à l'accord d'un délai de paiement'; que la demande de compensation est irrecevable en application des articles 1347-1 du code civil, 502 et 503 du code de procédure civile, la somme de 28.000 € n'étant pas exigible, le jugement n'ayant jamais été signifié par la preneuse'; qu'a déjà été réglée une somme de 12.000 € à titre provisionnel à la preneuse, seule une somme de 16.000 € pouvant ainsi être compensée avec la dette locative';
- sur la clause pénale et les dommages-intérêts que la preneuse a fait preuve de mauvaise foi et de déloyauté préjudiciables pour le bailleur, notamment du fait de la production de quittances de loyer n'étant en réalité que des projets qui ne lui étaient pas destinés'; que la seule résiliation anticipée du bail cause un préjudice au bailleur'; que la preneuse n'a utilisé qu'une seule fois le mode de règlement par virement, de sorte qu'il convient au regard des stipulations du bail de majorer la dette locative de 10 %, soit une somme à parfaire de 10.013,22 €'; que le dépôt de garantie doit rester acquis au bailleur à titre de premiers dommages et intérêts, sans diminuer la dette locative, ni l'obligation de restitution du local en parfait état de réparation, à savoir la somme de 13 580 €';
- sur l'astreinte qu'à défaut de départ volontaire quinze jours après la signification du jugement (sic) à venir, il convient de fixer le montant de l'astreinte provisoire à la somme de 500 € par jour de retard';
- sur la mauvaise foi de la preneuse que la preneuse doit encore une somme au titre des loyers et accessoires impayés à la bailleresse'; qu'elle a multiplié les procédures de façon dilatoire ou pour minimiser sa dette sans justes motifs'; que la preneuse a commis une fraude au jugement qui a eu pour conséquence la totalité des procédures engagées subséquemment'; qu'elle a soutenu devant la cour d'appel de Versailles en parfaite connaissance de cause, avoir réglé ces termes, ce qui était faux, et a ainsi trompé la vigilance de ladite juridiction faisant échec à la clause résolutoire acquise et à l'expulsion parfaitement justifiée'; que l'expulsion de la preneuse était justifiée et n'a été annulée que par la fraude de cette dernière'; qu'il convient de condamner la preneuse à la somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts.
Aux termes de ses conclusions signifiées le 29 juin 2023, la société Foncière du château capital, intervenante volontaire, demande à la cour de':
- réformer le jugement du 10 janvier 2020 ;
Statuant à nouveau,
- fixer la créance de :
- 120.314,86 € au titre de l'arriéré locatif correspondant à la période du 1er octobre 2013 au 6 janvier 2021, ainsi qu'aux taxes foncières des années 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020 et contribution sur les revenus locatifs ;
- 12.031,48 € au titre de la clause pénale contractuelle';
- condamner la société Boussif trading au paiement de la somme de 69.902,56 € ;
- condamner la société Boussif trading aux entiers dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société Foncière du château capital expose, en substance qu'en sa qualité de nouveau propriétaire de l'immeuble litigieux et nouveau bailleur de la preneuse, la société Foncière du château capital a intérêt à intervenir à la présente procédure pour demander la fixation de sa créance et la condamnation de la preneuse au paiement de son arriéré locatif postérieur au jugement d'ouverture'; qu'il convient de déclarer recevable son intervention volontaire en application des articles 328 et 329 du code de procédure civile'; qu'il convient de fixer sa créance à un montant de 120.314,86 € au titre de l'arriéré locatif correspondant à la période du 1er octobre 2013 au 6 janvier 2021, ainsi qu'aux taxes foncières des années 2016 à 2020 et contribution sur les revenus locatifs et 12.031,48 € au titre de la clause pénale contractuelle'; que l'arriéré locatif de la preneuse s'élève à la somme de 177.499 €, qu'il convient d'augmenter de 10 % au titre de la clause pénale contractuelle, soit la somme totale de 195.248,90 €'; que l'arriéré locatif échu depuis le mois de janvier 2021 est une créance postérieure au jugement de redressement judiciaire et doit être payée à échéance conformément à l'article L. 622-17 du code de commerce'; qu'elle n'est donc pas atteinte par l'interdiction des poursuites individuelles édictée par l'article L. 622-21 du code de commerce'; que le créancier conserve la possibilité d'intenter une action en justice aux fins d'obtenir un titre exécutoire'; qu'il convient de condamner la preneuse au paiement d'une somme de 69.902,56 €.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelant.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 décembre 2023.
Par conclusions signifiées le 8 février 2024, Mme [W] épouse [V] sollicite sa mise hors de cause compte tenu de la vente du bien litigieux à la société foncière du château capital intervenue le 16 juillet 2021.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire
Il ressort de la lecture combinée des articles 328 et 329 du code de procédure civile que l'intervenant volontaire est recevable à élever une prétention à son profit dès lors qu'il dispose du droit d'agir relativement à cette prétention.
L'article 554 du même code dispose que peuvent intervenir en cour d'appel dès lors qu'elle y ont un intérêt les personnes qui n'ont notamment été ni parties, ni représentées en première instance.
En l'espèce, la société Foncière du château capital verse aux débats l'acte authentique, reçu le 16 juillet 2021 par Maître [T] [S], notaire associé de la société civile professionnelle « [A] [S], [T] [S] et Vincent Laborde-Dupère'», notaires à [Localité 13], dont il ressort que cette dernière a acquis auprès de l'appelante l'immeuble abritant les locaux donnés à bail à la société Boussif trading. Dans sa partie relative au « contrat de location », le vendeur déclare avoir un litige en cours avec son locataire, placé au jour de la vente en procédure de liquidation judiciaire, relatif à une procédure pour impayés de loyer et les parties conviennent que l'acquéreur est subrogé dans tous les droits et obligations du vendeur, qui se désiste en faveur de l'acquéreur de toutes sommes qui pourraient lui être allouées et, en contrepartie, l'acquéreur fera son affaire personnelle de la procédure et de ses conséquences, il devra donc assumer toutes sommes pouvant être dues à ce titre et se verra attribuer toutes les sommes qui pourraient être dues par le locataire.
Il s'infère de ces dispositions que la société Foncière du château capital, venue aux droits de Mme [W] et subrogés dans ceux-ci, dispose de la qualité et d'un intérêt à agir dans le cadre de la présente instance.
Son intervention volontaire sera déclarée recevable.
Sur la demande de mise hors de cause de Mme [W] épouse [V]
L'article 802 du code de procédure civile, dispose que «'Après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
Sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et autres accessoires échus et aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l'objet d'aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture.
Sont également recevables les conclusions qui tendent à la reprise de l'instance en l'état où celle-ci se trouvait au moment de son interruption.'»
L'article 803 du même code dispose par ailleurs que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.
En l'espèce, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 6 décembre 2023, Mme [V] n'est pas recevable à solliciter par conclusions signifiées le 8 février 2024 sa mise hors de cause en ce que, d'une part, elle ne justifie pas de leur signification aux intimés, d'autre part, le fait invoqué à savoir la vente du bien litigieux à la société Foncière du château capital intervenue le 16 juillet 2021 est antérieur au prononcé de l'ordonnance de clôture.
La demande de mise hors de cause sera donc rejetée.
Sur la saisine de la cour
Aux termes de l'article 562 du code de procédure civile, «'L'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs du dispositif du jugement qu'il critique expressément ou implicitement et de ceux qui en dépendent...»
L'article 954 alinéa 3 dispose que «'La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.'»
En l'espèce, les dernières conclusions de Mme [W] ne comportent dans leur dispositif aucune demande d'infirmation du jugement dont appel de sorte que l'effet dévolutif n'a pu jouer et ne seront examinées que les prétentions de la société Foncière du château capital.
Sur l'acquisition de la clause résolutoire
En application des dispositions de l'article L. 145-41 code de commerce, «'Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.'»
Le bailleur, au titre d'un bail commercial, demandant la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire comprise dans le bail doit rapporter la preuve de sa créance.
Pour constater la résiliation de plein droit du bail au titre d'une clause contenue à l'acte à cet effet, il convient que le défaut de paiement de la somme réclamée dans le commandement de payer visant la clause résolutoire soit manifestement fautif, que le bailleur soit, de toute évidence, en situation d'invoquer de bonne foi la mise en jeu de cette clause, que la clause résolutoire soit dénuée d'ambiguïté et ne nécessite pas interprétation en ce que la clause résolutoire d'un bail doit s'interpréter strictement.
C'est par motifs détaillés auxquels la cour renvoie que le premier juge a rappelé le montant du loyer et des charges que le preneur est tenu de payer aux termes du bail litigieux, ainsi que le détail de l'extrait de compte joint au commandement de payer, signifié par Mme [W] à sa locataire le 20 février 2017, d'un montant de 40.618,13 € au titre d'un arriéré locatif arrêté en janvier 2017.
C'est par motifs pertinents auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte que le premier juge a relevé que ce décompte comportait un solde débiteur au 1er septembre 2016 à hauteur de 32.316,08 euros, outre le montant des loyers du 3ème et 4ème trimestres 2016 et ne détaille pas les causes du solde débiteur au 1er septembre 2016, qui constitue pourtant l'essentiel de la dette.
Or, il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation d'en rapporter la preuve et, en matière d'obligation de paiement, le créancier doit justifier du caractère certain, liquide et exigible de la dette.
En annexant au commandement de payer un décompte comportant comme première référence un solde débiteur au 1er septembre 2016 à hauteur de 32.316,08 euros, le créancier ne permet ni au débiteur, ni au juge de vérifier le caractère certain et exigible de la dette dont la nature et l'origine ne sont pas justifiées.
Peu importe que les décomptes produits ultérieurement permettent de clarifier la situation financière du compte locatif dès lors qu'au regard de la gravité de la sanction attachée à l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut de régularisation de la situation dans le délai d'un mois à compter de sa délivrance, il échet au bailleur de joindre au commandement de payer un décompte précis et justifié
En outre, si le commandement de payer litigieux n'est pas versé aux débats devant la cour, la société Foncière du château capital produit le compte locataire de la société Boussif trading annexé à sa déclaration de créance, qui ne comporte étonnamment pas de report à la date du 1er septembre 2016 mais dont il ressort qu'au 1er juillet 2016 le solde locatif est débiteur à hauteur de 27.289,69 euros et au 1er octobre 2016 à hauteur de 35.279,94 €, ce qui ne permet pas s'assurer de l'exigibilité de la dette objet du commandement de payer d'un montant de 40.618,13 euros au 1er septembre 2016.
Aussi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré nul le commandement de payer délivré, considéré que la clause résolutoire n'avait pu jouer son effet, rejeté la demande de résiliation du bail et les demandes subséquentes d'expulsion et de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation.
Sur le montant de la dette locative et d'occupation
Antérieur au redressement judiciaire
Il ressort des dispositions des articles 1728 et 1315 devenus 1353 civils qu'il appartient au débiteur d'une somme d'argent de prouver qu'il s'est libéré de sa dette, dont le créancier doit avoir préalablement justifié du montant.
Suite à l'infirmation, par arrêt rendu le 6 juillet 2021 par la cour d'appel de Paris, du jugement prononcé par le tribunal de commerce de Paris le 13 janvier 2021 ayant placé la société Boussif Trading en procédure de liquidation judiciaire, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte.
La société Foncière du château capital a déclaré sa créance auprès des organes procédure, le 2 août 2021, pour un montant de 132.346,34 € arrêté au 6 juillet 2021.
En l'espèce, la société Foncière du château capital, venue aux droits de Mme [V], verse aux débats le compte locataire actualisé de la société Boussif trading qui reprend, depuis le 1er octobre 2013, les appels de fonds détaillés comprenant les loyers bimensuels échus et indemnités d'occupation, les impôts fonciers 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020, la CRL ainsi que les règlements effectués par le locataire avec leur date et leurs modalités de paiement.
Ces comptes locataire actualisés ne comportent aucune majoration forfaitaire, ni somme au titre des frais d'exécution, lesquels en toute hypothèse relèvent des dépens, et sont accompagnés des justificatifs des montants des taxes foncières.
Il est constant que la société Boussif trading a été expulsée le 6 janvier 2016, qu'elle n'a pas complètement vidé les lieux du mobilier y ayant été laissé jusqu'au 18 février 2016, puis les a réintégrés le 19 avril 2016. De ce fait, comme relevé par le tribunal, elle est redevable d'une indemnité d'occupation équivalente au montant du loyer sur la période considérée. Cependant, la somme de 3.462,08 € portée au crédit du compte locataire pour cette période est ainsi libellée « loyer échu'» couvrant la période du 1er janvier au 18 février 2016 et CRL or, comme pertinemment relevé par le premier juge, la société occupante ne pouvait être redevable que d'une indemnité d'occupation, laquelle n'est pas sollicitée. C'est donc à bon droit que le premier juge a considéré qu'elle devait être déduite du montant global du décompte locatif.
L'arriéré locatif de la société Boussif trading se monte, selon les décomptes joints au 31 décembre 2020, non contestés en cause d'appel, à la somme de 100.132,19 € et au 6 janvier 2021 à celle de 106.579,44 € dont il convient de déduire la somme de 3.462,08 € susmentionnée, soit la somme de 103.117,36 €.
L'article « LOYER » du bail stipule que « A défaut de règlement à son échéance d'un seul terme de loyer ou de ses accessoires, le preneur sera tenu de plein droit et sans formalité, au paiement d'une pénalité correspondant à 10 % du montant du loyer et des accessoires, à compter de ladite échéance, et sous réserve de l'application par le bailleur de la clause résolutoire ». Il en résulte que le montant de la clause pénale doit être fixée à la somme de 10.311,73 €.
Ainsi, la créance de la société foncière du château capital à fixer au passif de la société Boussif trading est de':
- 103.117,36 € au titre de l'arriéré locatif correspondant la période du 1er octobre 2013 au 6 janvier 2021 ainsi qu'aux taxes foncières des années 2016 à 2020 et contributions sur les revenus locatifs';
- 10.311,73 € au titre de la clause pénale.
Postérieur au redressement judiciaire
Il ressort de la lecture combinée des articles L. 622-17 et L. 622-21 du code de commerce les créances locatives nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure sont payées à leur échéance.
La société Boussif trading a été placé en redressement judiciaire le 13 janvier 2021 puis en liquidation judiciaire le 28 décembre 2021 et il n'est pas établi que les locaux aient été libérés.
En l'espèce, il ressort du compte locataire versé aux débats par la bailleresse que l'intimée est redevable des loyers échus à compter du 1er avril 2021, pour la période courant du 1er janvier au 31 mars 2021, jusqu'au 30 juin 2023, date à laquelle le décompte locatif versé aux débats est arrêté, soit la somme de 64.472,50 euros (6.447,25 euros de loyers et CRL x 10 échéances).
Cependant, la société Foncière château capitale, étant subrogée dans tous les droits et obligations de Mme [W] et cette dernière ne justifiant pas en cause d'appel s'être acquittée du montant des condamnations à sa charge par les jugements du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris du 14 novembre 2017 et du tribunal de grande instance de Versailles du 20 juin 2019, la compensation entre les dettes connexes à hauteur des sommes de 28.000 € à titre de dommages-intérêts et 5.200 € au titre des frais irrépétibles doit être opérée.
Il sera donc fait partiellement droit à la demande de condamnation de la société Boussif trading à hauteur de la somme de 31.272,50 € et le jugement infirmé de ce chef.
Sur la demande de conservation du dépôt de garantie et la demande indemnitaire
En absence d'effet dévolutif, la cour n'est pas saisi des prétentions de Mme [W] relatives à la conservation du dépôt de garantie et l'indemnisation de son préjudice de sorte que le jugement sera confirmé de ces chefs.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
L'appelant succombant partiellement ses prétentions, elle conservera la charge de ses propres dépens et, au regard de la situation du débiteur, les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS'
LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire rendu en dernier ressort ;
Déclare recevable l'intervention volontaire de la société Foncière du château capital ;
Rejette la demande de mise hors de cause de Mme [B] [W] née [V]';
Constate que Mme. [W] n'a pas formulé de demande d'infirmation du jugement dont appel';
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 10 juillet 2020, sous le numéro RG 19/5989, sauf en ce qu'il a déclaré condamné la société Boussif trading à payer à Mme [B] [V] épouse [W] la somme de 29.811,11 euros, au titre des loyers, charges et clauses pénalesdus et arrêtés au 5 décembre 2019 et l'infirme de ce seul chef';
Statuant de nouveau,
Fixe la créance de la société Foncière du château capital aux sommes de':
- 103.117,36 € au titre de l'arriéré locatif correspondant la période du 1er octobre 2013 au 6 janvier 2021 ainsi qu'aux taxes foncières des années 2016 à 2020 et contributions sur les revenus locatifs';
- 10.311,73 € au titre de la clause pénale';
Condamne la société Boussif trading à payer la somme de 31.272,50 € au titre des arriérés locatifs arrêtés au 30 juin 2023 après compensation avec les condamnations mises à la charge de Mme [B] [W] née [V] par jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris du 14 novembre 2017 tribunal de grande instance de Versailles du 20 juin 2019';
Y ajoutant,
Rejette la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
Condamne la société Boussif trading à supporter la charge des dépens d'appel.