CA Versailles, ch. com. 3-1, 2 mai 2024, n° 22/05089
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Les Hommes en Cuisine (SARL)
Défendeur :
Isore et Associés (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Meurant
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, M. Dusausoy
Avocats :
Me Pedroletti, Me Denizot, Me Regrettier-Germain, Me Heral
EXPOSÉ DES FAITS
Par acte sous seing privé du 16 novembre 2009, la société Isore & Associés a donné à bail commercial (le Bail) à la société Les Hommes en Cuisine, pour une durée de neuf ans à compter du 1er décembre 2009, des locaux dépendant d'un immeuble sis [Adresse 7] à [Localité 5], composés au rez-de-chaussée d'une surface de 240 m² et au sous-sol d'une surface de 200 m², outre deux emplacements de stationnement.
L'article 2 'DESTINATION DES LIEUX' du Bail prévoit que les lieux sont loués à usage exclusif de bureaux.
Suivant avenant en date du 12 janvier 2016, les parties ont modifié les articles 4-20 alinéa 3, ainsi que 4-21 alinéas 24 et 25 du bail.
Par acte extrajudiciaire du 31 mai 2018, la société Isore & Associés a fait signifier un congé à la société Les Hommes en Cuisine à effet du 30 novembre 2018, en vue de la réalisation de travaux de restructuration de l'immeuble, offrant le règlement d'une indemnité d'éviction.
Par exploit d'huissier du 12 juillet 2019, la société Les Hommes en Cuisine a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre afin de voir désigner un expert judiciaire chargé de donner son avis sur le montant de l'indemnité d'éviction devant lui revenir.
Alors que les opérations de M. [M], désigné en qualité d'expert par ordonnance de référé du 5 novembre 2019, étaient en cours, les parties se sont accordées sur la libération des locaux par la société Les Hommes en Cuisine au 22 juillet 2020, date à laquelle la société Isore & Associés lui a remis un chèque de 170.000 €.
Aux termes de son rapport en date du 21 octobre 2020, l'expert judiciaire a conclu que l'indemnité principale d'éviction pouvait être chiffrée à la somme de :
- 3.620 € en cas de transfert,
- 267.000 € en cas de perte du fonds de commerce.
C'est dans ce contexte que la société Les Hommes en Cuisine a fait assigner la société Isore & Associés devant le tribunal judiciaire de Nanterre le 11 septembre 2020 aux fins, notamment, de la voir condamner à lui verser une indemnité d'éviction fixée à la somme de 515.000 €.
Par jugement du 20 juin 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- Fixé l'indemnité principale d'éviction due par la société Isore & Associés à la société Les Hommes en Cuisine à la somme de 3.620 € ;
- Condamné la société Isore & Associés à payer à la société Les Hommes en Cuisine cette indemnité d'éviction ;
- Condamné la société Isore & Associés aux dépens de l'instance, en ce compris les honoraires d'expertise et dit qu'ils pourront être recouvrés, dans les conditions fixées par l'article 699 du code de procédure civile ;
- Dit que chacune des parties conservera la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés pour faire valoir ses droits en application de l'article 700 du code procédure civile ;
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration du 29 juillet 2022, la société Les Hommes en Cuisine exerçant sous l'enseigne 'Kitchen Studio' a interjeté appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières déclarations notifiées par RPVA le 24 mars 2023, la société Les Hommes en Cuisine demande à la cour de :
- Déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par la société les Hommes en Cuisine à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Versailles du 20 juin 2022 ;
- Infirmer le jugement précité en ce qu'il a :
- Fixé l'indemnité principale d'éviction due par la société Isore & Associés à la société Les Hommes en Cuisine à la somme de 3.620 € ;
- Condamné la société Isore & Associés à payer à la société Les Hommes en Cuisine cette indemnité d'éviction ;
- Débouté la société Les Hommes en Cuisine du surplus de ses demandes ;
Et statuer à nouveau,
À titre principal,
- Fixer le montant de l'indemnité d'éviction principale à la somme de 515.000 €, concernant l'éviction de la société Les Hommes en Cuisine des locaux situés [Adresse 7] ;
- Condamner la société Isore & Associés à régler à la société Les Hommes en Cuisine la somme de 515.000 € à titre d'indemnité d'éviction ;
- Condamner la société Isore & Associés à rembourser à la société Les Hommes en Cuisine la taxe sur les bureaux de 2020 à 2016 (sic) ;
À titre subsidiaire,
- Fixer le montant de l'indemnité d'éviction principale à la somme de 80.000 € concernant l'éviction de la société Les Hommes en Cuisine des locaux situés [Adresse 7] ;
- Condamner la société Isore & Associés à régler à la société Les Hommes en Cuisine la somme de 80.000 € à titre d'indemnité d'éviction ;
En toute hypothèse,
- Débouter la société Isore & Associés de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamner la société Isore & Associés au paiement d'une somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens que l'avocat soussigné pourra recouvrer dans les termes de l'article 699 du même code.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 janvier 2023, la société Isore & Associés demande à la cour de :
- Juger la société Les Hommes en Cuisine recevable mais mal fondée en son appel ;
- L'en débouter purement et simplement ;
- Accueillir la société Isore & Associés en son appel incident ;
- Infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une somme de 3.620 € et aux dépens de l'instance ;
- Condamner la société Les Hommes en Cuisine à payer à la société Isore & Associés une somme de 10.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens et autoriser la SCP Hadengue à les recouvrer directement en application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2023.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'indemnité d'éviction
La société Les Hommes en Cuisine fait valoir que, contrairement à ce que soutient le bailleur qui considère que les locaux loués étaient à usage exclusif de bureaux, elle était autorisée à exploiter une activité commerciale dans les locaux loués avec réception du public consistant à tenir des séminaires culinaires, des cours de cuisine et proposer de la restauration sur réservation avec nécessité d'installer un conduit d'extraction d'air rendu nécessaire lors de la cuisson de plats, que cette autorisation résulte des échanges préalables à la signature du Bail, du Bail lui-même et de ses annexes ainsi que des échanges postérieurs à sa signature, sans que la clause de destination prévue au Bail constitue un obstacle à cette autorisation. Elle s'approprie la motivation du jugement entrepris qui a considéré qu'il résultait de l'ensemble des stipulations contractuelles que, malgré les termes restrictifs de l'article 2 du Bail, le bailleur avait autorisé le preneur à exploiter une activité commerciale dans les lieux loués. Elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a dit qu'elle exploitait un fonds de commerce ouvrant droit à une indemnité d'éviction.
Elle critique néanmoins les premiers juges sur le quantum de cette indemnité (3.620 €) accordée en fonction du transfert et non de la disparition du fonds de commerce. Elle sollicite une indemnisation sur la base de la perte de son fonds de commerce, faisant valoir le caractère atypique des lieux loués et l'attachement de la clientèle à ceux-ci. Elle s'appuie sur une expertise amiable. Elle soutient que les premiers juges ont inversé la charge de la preuve car il n'appartient pas au preneur mais au bailleur de justifier du caractère transférable du fonds de commerce. Elle valorise cette indemnité à 515.000 € sur la base de 5 fois l'EBE de 2019 et subsidiairement à 80.000 € correspondant au droit au bail selon l'expertise amiable.
La société Isore & Associés soutient que la société Les Hommes en Cuisine n'a pas vocation à percevoir une indemnité d'éviction car les lieux loués sont à usage exclusif de bureaux ainsi que cela résulte des termes du Bail et du paiement régulier par le preneur de la taxe sur les bureaux, que l'autorisation donnée à l'installation d'un extracteur de fumée ne peut justifier cette commercialité - un local à usage de bureaux pouvant disposer d'une cuisine pour ses propres salariés - , que l'utilisation du terme inapproprié d'exploitation commerciale appliquée au seul sous-sol ne peut conduire à remettre en cause la destination de bureaux des lieux loués, l'expert judiciaire ayant constaté que le sous-sol était affecté à un usage 'de cave-réserve, stockage, vestiaires, chaufferie, ballon d'eau chaude, 'etc'. Elle sollicite ainsi l'infirmation du jugement qui l'a condamnée à une indemnité d'éviction, fixée en l'espèce à 3.620 €.
Elle fait valoir subsidiairement que le preneur ne peut prétendre que son activité ne pouvait s'exercer ailleurs que dans les locaux loués alors que les opérations d'expertise judiciaire ont révélé que la clientèle n'était pas de proximité immédiate mais relevait de la commune de [Localité 5] voire de l'ouest parisien et que des locaux présentant des caractéristiques identiques à ceux loués étaient disponibles ailleurs permettant la poursuite de l'activité du preneur de sorte que seule une indemnité d'éviction valorisée sur la base d'un transfert du fonds de commerce est justifiée. Elle expose, plus subsidiairement encore, que si la cour devait accorder une indemnité d'éviction sur la base de la disparition du fonds de commerce, le montant de 515.000 € ne pourrait être accordé, l'expert judiciaire ayant retenu un EBE de 89.000 € avec application d'un coefficient de 3 soit une évaluation de 267.000 €.
* L'article L.145-14 du code de commerce prévoit que : 'Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L.145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.'
* Ainsi que les premiers juges l'ont rappelé, cet article emporte présomption de ce que le refus de renouvellement entraîne la disparition du fonds ce dont il résulte que le preneur évincé est fondé à solliciter une indemnité d'éviction principale de remplacement qui doit être égale à la valeur marchande du fonds de commerce disparu incluant la valeur du droit au bail afin de permettre au locataire évincé d'acquérir un fonds présentant une valeur identique, l'indemnité principale devant alors être égale à la somme la plus élevée des deux valeurs (fonds et droit au bail).
La présomption de l'article L.145-14 peut être combattue par le bailleur, à qui incombe alors la charge de prouver que l'éviction n'entraîne pas la disparition du fonds de commerce permettant au locataire de se réinstaller sans avoir à acheter ou créer un nouveau fonds, en transférant le fonds exploité dans de nouveaux locaux aux caractéristiques comparables et sans perte significative de clientèle. Dans ce cas, le bailleur n'est tenu qu'au paiement des sommes nécessaires au déplacement du fonds existant, étant rappelé que l'indemnité d'éviction qui est une compensation financière du préjudice causé par le défaut de renouvellement, doit être fixée en tenant compte de la valeur du droit au bail des locaux dont le preneur a été évincé, s'agissant d'un élément d'actif du fonds de commerce que le preneur ne peut plus céder du fait de son éviction.
Si le fonds n'est pas transférable, l'indemnité principale est dite de 'remplacement', alors qu'elle est dite de 'déplacement' ou de 'transfert' lorsque le fonds peut être réinstallé. La valeur marchande du fonds est déterminée selon les usages de la profession, le fonds devant être évalué dans sa consistance à la date d'effet du congé et le préjudice résultant de sa perte devant l'être à la date Ia plus proche possible du départ du locataire.
Il appartient à celui qui réclame le paiement de l'indemnité d'éviction de justifier du montant des sommes réclamées à ce titre.
En l'espèce, le congé avec refus de renouvellement a été notifié le 31 mai 2018 avec effet au 30 novembre 2018. La cour relève que le rapport d'expertise amiable ([P] - pièce 6 société Isore & Associés) a été établi le 20 septembre 2018.
Le preneur a quitté les locaux le 22 juillet 2020. La cour observe que le rapport d'expertise judiciaire ([M] - pièce 1 société Isore & Associés) porte la date du 21 octobre 2020.
La cour exploitera ces deux rapports à la condition que les éléments tirés du premier ([P]), soumis au contradictoire, soient corroborés par le second ([M]) ou par d'autres données qui lui sont extérieures.
* La société Isore & Associés ne peut soutenir, sans contrevenir aux dispositions d'ordre public de l'article L.145-14 du code de commerce précité, qu'elle serait dispensée de verser une indemnité d'éviction principale au seul motif que les locaux, objet de l'éviction, seraient à usage exclusif de bureaux, à supposer exacte cette affirmation. En effet, elle a notifié un congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction le 31 mai 2018 (pièce 3 - Les Hommes en Cuisine). La notion d'usage exclusif de bureaux n'a d'intérêt que lors de l'évaluation de l'indemnité d'éviction en ce que le bail applicable au locaux à usage exclusif de bureaux ne fait pas l'objet d'un plafonnement. Elle n'affecte pas le principe d'exigibilité de l'indemnité d'éviction.
La société Isore & Associés doit donc une indemnité d'éviction principale à la société Les Hommes en Cuisine, les indemnités accessoires n'étant plus en débat à hauteur de cour.
Aux termes des rapports à l'appui desquels sont versés des plans et des photographies, les locaux, objet de l'éviction, situés à l'angle de la [Adresse 7] et de la [Adresse 8] à [Localité 5], bénéficient d'un emplacement et d'une situation locale favorables, car situés à moins de 300 m à pied de la station de métro [Localité 5], dans un secteur d'activité tertiaire (médias et agences de publicité) et d'habitat collectif dans une commune recherchée.
Les locaux dépendent d'un ensemble immobilier autrefois à usage industriel transformé en loft, constitué d'un bâtiment principal en R+1, édifié à l'angle des rues de [Localité 5] et [Adresse 6], offrant un long linéaire sur ses deux façades avec de nombreuses baies barreaudées sur châssis métallique ou bois. Les façades sont en briques et présentent quelques éléments décoratifs et soubassements en pierres. L'accès principal s'effectue en angle de rue (pan coupé) avec passage sous immeuble donnant accès à une cour.
La partie rez-de-chaussée située sur la droite est occupée par la société Les Hommes en Cuisine. L'ensemble immobilier est uniquement à vocation tertiaire. Il est occupé notamment par les bureaux de la société 'Michel et Augustin' réputée dans le domaine alimentaire. L'expert judiciaire décrit des locaux conformes aux plans annexés au bail avec un rez-de-chaussée en très bon état sous une belle hauteur et un éclairage naturel avec parquet au sol ouvrant sur un espace d'accueil avec sanitaires et bureaux, un coin détente avec comptoir-bar puis un vaste espace avec une petite estrade et un système de projection. Côté cour, l'expert judiciaire relève la présence d'ateliers séparés par des cloisons et des portes vitrées, puis un espace cuisine équipé de matériel professionnel avec hotte d'extraction donnant sur cour et, tout au fond, une zone annexe regroupant la 'plonge', la réserve et des sanitaires. Il relève un accès à la cour ouvrant sur les deux emplacements de stationnement en ligne et à l'escalier en béton menant au sous-sol. Ce sous-sol est utilisé en espace de réserve, stockage et vestiaire (rapport [P] du 20 septembre 2018) ce que confirme l'expert judiciaire dans son rapport du 21 octobre 2020, postérieur au départ du preneur en juillet de la même année, constatant que le sous-sol est à usage de cave-réserve, stockage, vestiaire, chaufferie, ballon d'eau chaude, etc.
Les surfaces relevées par l'expert judiciaire, non contestées, sont de 240 m² en rez-de-chaussée et de 200 m² en sous-sol. L'expert judiciaire, appliquant les préconisations de la charte de l'expertise en évaluation immobilière (version 2020) relative aux locaux commerciaux contractuellement destinés à usage de bureaux, retient les surfaces pondérées de 240 m² pour le rez-de-chaussée (coefficient 1) et de 50 m² pour le sous-sol (coefficient 0,25), soit une surface totale pondérée de 290 m².
L'expert judiciaire relate que la société Les Hommes en Cuisine fournissait des prestations d'organisation d'événements professionnels sur le thème de la cuisine sous l'enseigne 'Kitchen Studio', test culinaire, cours de cuisine pour entreprise, séminaires, formation, coaching, tournage audiovisuel, photographie, presse, le tout assuré par des professionnels extérieurs et des vacataires.
L'expert judiciaire indique que selon les informations communiquées par la gérante de la société Les Hommes en Cuisine la clientèle est principalement répartie dans la commune de [Localité 5] et dans l'ouest parisien.
L'analyse des données comptables sur les exercices 2016 à 2019, conduit l'expert judiciaire aux observations suivantes : le chiffre d'affaires a progressé de 26,39 %, passant de 398.759 € en 2016 à 485.734 € en 2019 ; le revenu brut d'exploitation (RBE) sur les exercices 2018 /2019 a représenté 20,82 % du chiffre d'affaires alors qu'il n'était que de 9,45 % sur l'exercice précédent ; le poste 'prestations aux entreprises + prestations professionnelles' a représenté 86 % du chiffre d'affaires global de sorte que cette activité de prestations apparaît majoritaire ; la masse salariale au cours de l'exercice clos le 30 septembre 2019 s'est élevée à 74.944 € dont 57.970 € de rémunération pour la gérante, charges sociales comprises.
Comme il a été dit, à moins que le bailleur ne rapporte la preuve que le fonds pouvait faire l'objet d'un transfert, l'indemnité d'éviction doit être appréciée selon la valeur du fonds disparu ou selon la valeur du droit au bail s'il est plus élevé.
Dans l'hypothèse d'une disparition du fonds, l'expert judiciaire fait valoir qu'à sa connaissance il n'existe pas d'usage ni de barème professionnel utilisant un pourcentage du chiffre d'affaires concernant l'activité particulière d'organisation d'événements sur le thème culinaire ou ayant trait à l'organisation événementielle en général. Il considère que cette absence tient au fait que cette activité relève d'une mode assez récente étroitement liée au savoir-faire et au concept initié par la société Les Hommes en Cuisine sans être particulièrement attachée à une localisation géographique. Cette appréciation est partagée par l'expert amiable. L'expert judiciaire relève que la société Les Hommes en Cuisine a connu des difficultés financières et a bénéficié d'une procédure de sauvegarde le 16 juillet 2015 permettant le remboursement anticipé des dettes au 17 décembre 2019. Il observe que la société Les Hommes en Cuisine ne dispose pas de contrats à moyen ou long terme, ni d'une clientèle récurrente ou captive. Il en déduit que la valeur marchande du fonds doit être estimée en fonction de la rentabilité dégagée et attendue par un potentiel acquéreur. Il propose ainsi une indemnité d'éviction principale à hauteur de 267.000 €, sur la base d'un EBE moyen sur les 3 dernières années de 89.000 € avec application d'un coefficient de 3. L'expert amiable retient une valeur de 472.000 € sur la base d'un EBE retraité de 118.000 € avec application d'un coefficient de 4. Les chiffres proposés présentent ainsi une certaine cohérence.
En cas de transfert du fonds, l'expert judiciaire retient une valeur locative annuelle de marché arrondie à 95.000 € (l'expert amiable retient 103.000 €), en reprenant la désignation et la destination du bail et en s'appuyant sur l'état actuel du marché locatif de bureaux en rez-de-chaussée à [Localité 5] pour des surfaces comparables (l'expert joint des références de loyers et des annonces descriptives). Cette valorisation repose sur un prix unitaire de 320 €/m² HT et HC appliqué à la surface pondérée de 290 m² soit 92.800 € majorée de la valeur de deux emplacements de stationnement conduisant à la somme de 94.600 € lissée à 95.000€. Il constate que le loyer annuel contractuel s'élève à 91.379,48 € (l'expert amiable retient 87.087€ /an) proche de la valeur de marché. Il en déduit que le surcoût généré par le transfert sera faible : 3.620 € (95.000 € - 91.380 €). Il retient une indemnité d'éviction principale de ce montant (3.620 €) dans l'hypothèse d'un transfert de l'activité vers des locaux de 'contenance superficielle' comparables et dans l'environnement géographique indiqué sur l'hypothèse que les charges seront similaires à celle de l'ancien bail sans engendrer de surcoûts, ni d'avantages.
Il résulte de l'ensemble des éléments rappelés ci-dessus que le transfert du fonds de commerce était envisageable sans perte de clientèle, ainsi que le soutient et le démontre le bailleur, notamment au regard des offres (5) relevées par l'expert judiciaire, comparables aux locaux loués et situées dans le même environnement géographique ([Localité 5]), du constat effectué par ce dernier selon lequel la clientèle n'était pas attachée à l'emplacement géographique mais plutôt au concept développé par la société Les Hommes en Cuisine, de l'absence de clientèle récurrente, de l'emploi de prestataires extérieurs et de vacataires pour la tenue d'événements culinaires organisés par la société Les Hommes en Cuisine, intervenants susceptibles d'exercer leur activité en d'autres lieux, du rapport de l'expert amiable relevant que la clientèle était 'majoritairement située à Boulogne et dans l'Ouest parisien'. L'originalité de l'immeuble de style loft industriel abritant les locaux loués et la notoriété de la société 'Michel et Augustin', présente dans l'immeuble, ne suffisent pas à établir l'attachement de la clientèle de la société Les Hommes en Cuisine aux lieux loués au point que l'éviction a conduit inéluctablement à la perte du fonds de commerce.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que l'indemnité d'éviction principale devait être évaluée dans le cadre d'un transfert du fonds et non de sa disparition.
En retenant l'indemnité de 3.620 € proposée par l'expert, calculée par différence entre le loyer du marché locatif et le loyer contractuel des locaux objet de l'éviction, correspondant ainsi au droit au bail, les premiers juges ont justement évalué le préjudice financier subi par la société Les Hommes en Cuisine consécutif à son éviction des locaux loués.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur le remboursement de la taxe sur les bureaux
La société Les Hommes en Cuisine sollicite dans son dispositif la condamnation de la société Isore & Associés à lui rembourser la taxe sur les bureaux de '2020 à 2016" sans autrement soutenir sa prétention dont elle a été déboutée par les premiers juges.
La société Isore & Associés s'oppose à ce remboursement faisant valoir que les lieux loués sont à destination de bureaux justifiant le paiement de cette taxe. À titre subsidiaire,elle s'approprie la motivation des premiers juges ayant débouté la société Les Hommes en Cuisine motifs en ce qu'ils ont retenu que cette dernière ne développait aucun argument de droit ni de fait à l'appui de sa prétention.
Les premiers juges ont relevé à juste titre que la demande est indéterminée, de sorte qu'elle ne peut aboutir.
En outre, contrairement à l'interprétation du tribunal qui a dénié aux locaux loués l'usage exclusif de bureaux, la cour relève que les parties sont convenues sans ambiguïté de ce que les lieux loués étaient à usage exclusif de bureaux (article 2 du Bail) sans que cette destination puisse être remise en cause par l'emploi de la locution 'exploitation commerciale' dans l'avenant au Bail à propos de l'utilisation hypothétique à cette fin du seul sous-sol, ce dernier ayant été utilisé jusqu'au départ du preneur comme réserve ainsi que les experts l'ont constaté.
Il s'en déduit que la taxe sur les bureaux dont s'est acquittée la société Les Hommes en Cuisine était exigible et devait être supportée par celle-ci selon l'accord des parties.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Les Hommes en Cuisine de sa demande de remboursement de la taxe sur les bureaux.
Sur les dépens et l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Les Hommes en Cuisine , succombante, sera condamnée aux dépens d'appel.
Il n'y a lieu à faire droit aux demande d'indemnités de procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement,
Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 20 juin 2022,
y ajoutant,
Condamne la société Les Hommes en Cuisine aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.