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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 2 mai 2024, n° 20/04775

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Selarl (Sté)

Défendeur :

Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Jullien, Mme Le Gall

Avocats :

Me Aguiraud, Me Planès, Me Baufume, Me Semoun, Me Dumontes

T. com. Saint-Etienne, du 29 juill. 2020…

29 juillet 2020

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Distribution Casino France exploite un réseau alimentaire de proximité, supermarchés et hypermarchés sous différentes enseignes.

Le 28 octobre 2014, la société Distribution Casino France (ou société Casino) a conclu un contrat de franchise portant sur l'enseigne « Spar » avec M. [J] [D]. Deux avenants ont été signés. Le 30 octobre 2014, les parties ont conclu un contrat de location-gérance sous l'enseigne « Spar ».

M. [D] a rencontré des difficultés financières dans le cadre de son exploitation et par courrier du 15 juin 2016, il a sollicité la résolution des contrats de franchise et de location-gérance auprès de la société Distribution Casino France au motif qu'il aurait été victime d'un défaut de conseil et d'information. Par courrier du 26 septembre 2016, la société Distribution Casino France lui a indiqué avoir toujours tenté de le soutenir au mieux et que ses difficultés étaient uniquement dues à des problèmes de gestion qui lui étaient imputables.

M. [D] a été placé en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Auxerre du 17 octobre 2016.

Par courrier recommandé du 18 octobre 2016, Me [T] [I], ès-qualités de liquidateur judiciaire de M. [D], a indiqué à la société Distribution Casino France qu'il sollicitait la résiliation du contrat de location-gérance.

Le 16 décembre 2016, la société Distribution Casino France a déclaré sa créance d'un montant de 96.435,96 euros auprès de Me [I], ès-qualités.

Par acte du 1er avril 2019, la Selarl [T] [I], ès-qualités de liquidateur judiciaire de M. [D], a assigné la société Distribution Casino France devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne aux fins principales de nullité du contrat et indemnisation de préjudices.

Par jugement contradictoire du 29 juillet 2020, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :

- constaté que la société Distribution Casino France n'a commis aucun manquement au titre de ses obligations précontractuelles d'information envers M. [D],

- constaté que le prévisionnel a été loyalement dressé par la société Distribution Casino France et que la Selarl [T] [I], ès-qualités de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de M. [D], ne rapporte pas la preuve de manœuvres dolosives susceptibles d'avoir vicié son consentement,

- rejeté la demande de nullité du contrat de franchise et du contrat de location gérance,

- constaté que la société Distribution Casino France n'a pas abusivement soutenu M. [D],

- débouté la Selarl [T] [I], ès-qualités, de ses demandes de remboursement, d'indemnisation et de toutes ses demandes,

- fixé la créance de la société Distribution Casino France au passif de la procédure collective de M. [D], à titre chirographaire, à la somme de 96.435,96 euros,

- condamné la Selarl [T] [I], ès-qualités, à payer à la société Distribution Casino France une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens sont à la charge de la Selarl [T] [I], ès-qualités,

- rejeté la demande d'exécution provisoire du jugement.

La Selarl [T] [I], ès-qualités de liquidateur judiciaire de M. [D], a interjeté appel par acte du 3 septembre 2020.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 21 juin 2021 fondées sur les articles 1110 et 1116 et suivants du code civil et les articles L. 330-3, R. 330-3 et L. 650-1 du code de commerce, la Selarl [T] [I], ès-qualités de liquidateur de M. [D], demande à la cour de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

- faire sommation à la société Distribution Casino France de lui communiquer les bilans financiers des prédécesseurs immédiats de M. [D],

- constater en l'état que la société Distribution Casino France a établi en connaissance de cause un prévisionnel manifestement erroné,

- constater que la société Distribution Casino France a abusivement soutenu M. [D] en créant une situation économique artificiellement viable, matérialisée par le report du paiement des factures,

- juger que la société Distribution Casino France s'est donc soustraite à son devoir d'information précontractuelle de son franchisé,

- constater que la société Distribution Casino France avait connaissance, dès le printemps 2014, de l'implantation à proximité du Spar d'un concurrent direct et qu'elle n'en a pas fait mention sciemment à M. [D],

- juger que la société Distribution Casino France a donc effectué des man'uvres dolosives dans le but de tromper M. [D], lequel n'aurait jamais contracté avec la société Distribution Casino France s'il avait été en possession de l'intégralité des informations sus-évoquées,

- juger que ces man'uvres ont causé un préjudice important à M. [D] qui mérite d'être indemnisé,

- prononcer à titre subsidiaire la nullité du contrat de franchise et location-gérance souscrits entre les parties les 28 octobre 2014 et 30 octobre 2014,

- juger en conséquence que toutes les factures et déclaration de créance effectuées par la société Distribution Casino France seront annulées,

- condamner la société Distribution Casino France à rembourser, à titre de dommages-intérêts, le montant des prêts souscrits par M. [D], soit la somme de 75.000 euros, outre intérêts échus et à échoir,

- condamner la société Distribution Casino France à rembourser le leasing de vidéo surveillance souscrit par M. [D], soit la somme de 14.981,16 euros,

- condamner la société Distribution Casino France à verser la somme de 28.434,08 euros correspondant au manque à gagner subi entre octobre 2014 et octobre 2016, du fait de l'absence de perception d'un salaire,

- condamner la société Distribution Casino France à lui verser la somme de 16.140,74 euros correspondant aux économies de M. [D] saisies par le mandataire judiciaire,

- condamner la société Distribution Casino France à verser la somme de 100.000 euros au titre du préjudice moral,

- débouter la société Distribution Casino France de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société Distribution Casino France à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Distribution Casino France aux entiers dépens.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 23 février 2021 fondées sur les articles 1116 et suivants du code civil et les articles L. 330-3, R. 330-3 et L. 650-1 du code de commerce, la société Distribution Casino France demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré dans l'ensemble de ses dispositions, et plus précisément de :

1/ à titre principal :

- constater qu'elle s'est dûment acquittée de ses obligations précontractuelles d'information envers M. [D],

- constater que Me [I], ès-qualités, ne rapporte pas la preuve de man'uvres dolosives susceptibles d'avoir viciées son consentement, en aucune manière,

- constater que le prévisionnel a été loyalement dressé par elle et n'a pu être atteint qu'en raison de la gestion de M. [D],

- en déduire qu'il n'y a pas lieu à nullité ni du contrat de franchise, ni du contrat de location-gérance,

- constater que l'aide qu'elle a apporté ne saurait être constitutive d'un quelconque soutien abusif,

- constater que les demandes de Me [I], ès-qualités, sont ainsi infondées,

en conséquence :

- rejeter la demande de sommation de communiquer les bilans financiers des prédécesseurs immédiats de M. [D] formulée par Me [I], ès-qualités,

- confirmer le jugement déféré, en ce qu'il a débouté Me [I], ès-qualités, de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

2/ et, tout état de cause :

- confirmer le jugement déféré, en ce qu'il a ordonné la fixation de ses créances au passif de la procédure collective de M. [D], soit la somme de 96.435,96 euros à titre chirographaire,

- condamner Me [I], ès-qualités, au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Me [I], ès-qualités, aux entiers dépens de l'instance.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 octobre 2021, les débats étant fixés au 21 février 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il est précisé que le litige n'est pas soumis au nouveau droit des contrats issu de l'ordonnance du 10 février 2016 puisque le contrat litigieux est antérieur au 1er octobre 2016.

Sur les vices du consentement

La Selarl [T] [I] ès-qualités fait valoir que :

- en ne fournissant pas des informations contractuelles et précontractuelles valides, l'intimée a commis un dol à son égard,

- la différence entre le chiffre d'affaires annoncé dans le prévisionnel et le chiffre réalisé est de 40% à la baisse ; c'est a minima une erreur grossière qui selon la doctrine peut fonder la nullité pour erreur substantielle sur la rentabilité,

- l'intimée qui connaissait les difficultés financières de son précédent franchisé ne pouvait établir sans déloyauté un prévisionnel sans rapport avec les chiffres réalisés ; le franchiseur n'a pas d'obligation légale de fournir un prévisionnel, mais les informations portées dans ce document doivent être sincères et établies sérieusement,

- sa qualité de salarié d'une grande surface, et non d'exploitant, ne lui a pas permis de préjuger des capacités du magasin ; croyant en la bonne foi de l'intimée, le défaut d'information précontractuelle a été déterminant pour son consentement,

- le contrat de franchise conclu n'a pas été librement négocié ; il s'agit d'un contrat d'adhésion ; dès lors, il ne pouvait viser expressément le fait qu'il aurait été parfaitement informé de ses obligation de vérification, notamment de l'état du marché,

- le prévisionnel a été adressé à sa banque ; il n'aurait pas obtenu son financement si les chiffres réels avaient été communiqués,

- l'intimée ne peut lui attribuer la situation financière réelle du magasin, car il n'a commis aucune faute de gestion ; elle ne lui a pas trouvé de successeur mais a cessé l'exploitation du magasin depuis,

- l'intention dolosive de l'intimée est caractérisée la non communication des bilans des prédécesseurs alors qu'elle est la seule a être en leur possession ; il s'agit bien de l'aveu de sa tromperie,

- l'intimée avait connaissance avant la conclusion du contrat de franchise de l'ouverture d'un magasin concurrent à proximité mais n'a pas communiqué l'information ni répercutée celle-ci dans le prévisionnel ; or, cet élément était déterminant pour son consentement et caractérise une réticence dolosive et peu importe l'absence de conséquences financières à court terme puisque la finalité des contrats interdépendants était l'acquisition du fonds de commerce au bout de 3 ans ; à titre subsidiaire, le défaut d'information sur l'ouverture d'un concurrent caractérise un dol justifiant la nullité du contrat de franchise.

La société Distribution Casino France réplique que :

- les demandes en nullité des contrats de franchise et de location-gérance de l'intimé sont opportunistes ; elles n'ont été formées que dans les dernières écritures de l'appelant en première instance,

- elle a respecté ses obligations d'information précontractuelle en fournissant à l'appelant un document conforme à l'article L.330-3 du code de commerce et complet ; les chiffres annoncés correspondent à ceux présentés dans l'annonce de mise en location-gérance du fonds et l'écart entre le prévisionnel et les chiffres réels ne peut fonder une nullité du contrat de franchise sur une prétendue erreur sur la rentabilité,

- il est de la responsabilité du futur franchisé de se renseigner sur le potentiel économique de la future exploitation ; les documents précontractuels transmis le rappellent expressément ; la loi n'impose pas du franchiseur une étude de marché ou la transmission d'un prévisionnel d'exploitation ; l'appelant ne démontre pas avoir demandé la communication des documents comptables des précédents exploitants dans le cadre des échanges pré-contractuels,

- l'appelant ne démontre pas que le précédent exploitant aurait rencontré des difficultés financières le contraignant à céder son activité,

- le dol ne peut être fondé sur la seule non-réalisation d'une prévision ; le prévisionnel fourni a été réalisé de manière sérieuse, fondé sur les chiffres d'affaires historiques et tenant compte de l'évolution de la future clientèle du franchisé ; le franchiseur doit lui-même apprécier le caractère sérieux des prévisions ou se faire assister d'un tiers ; l'appelant bénéficiait d'une expérience importante dans la gestion de ce type de magasin et a disposé d'un délai d'un mois suffisant pour cette étude ; il est responsable de son manque de diligence,

- il n'est pas certain que l'ouverture d'un supermarché concurrent aurait remis en cause le projet, et il n'a ouvert que postérieurement à la liquidation, de sorte qu'il n'a pas eu de conséquence sur son chiffre d'affaires ; l'appelant devait se renseigner sur ses concurrents actuels ou futurs ; il reconnaît lui-même que l'ouverture d'un concurrent n'était pas un secret, de sorte qu'il ne peut reprocher à la concluante l'absence de communication de cette information.

Sur ce,

Selon l'article L. 330-3 du code de commerce, 'Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause.

Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.

Lorsque le versement d'une somme est exigé préalablement à la signature du contrat mentionné ci-dessus, notamment pour obtenir la réservation d'une zone, les prestations assurées en contrepartie de cette somme sont précisées par écrit, ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de dédit.

Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat, ou, le cas échéant, avant le versement de la somme mentionnée à l'alinéa précédent'.

Aux termes de l'article 1110 ancien du code civil, 'L'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet....'

Aux termes de l'article 1116 ancien du code civil, 'Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

Il ne se présume pas et doit être prouvé'.

L'appelante se réfère à ces dispositions pour établir les manquements du franchiseur et elle invoque essentiellement des manœuvres dolosives, outre l'erreur sur la rentabilité.

Il appartient en conséquence à l'appelante qui a la charge de la preuve de démontrer que le consentement de M. [D] a été vicié au moment de son engagement par de telles manœuvres.

Concernant l'information précontractuelle donnée, l'annonce mentionnait un chiffre d'affaires de 1.200.000 euros pour l'activité économique de vente de marchandises et 600.000 euros par an pour l'activité de vente de carburant.

Il est constant que M. [D] a répondu à cette annonce diffusée le 6 janvier 2014 par la société casino, que des prévisionnels ont été fourni, qu'il a été remis à M. [D] un document le 30 septembre 2014 un document d'information précontractuel (pièce 6 intimée) comportant :

- la présentation de l'entreprise du franchiseur,

- la présentation du réseau d'exploitation du franchiseur,

- les résultats du franchiseur,

- la présentation du marché (état, autres établissements dans le lieu d'implantation, les perspectives de développement),

- le contrat et ses charges, notamment financières.

Le contrat a été signé ensuite le 28 octobre 2014 de sorte que le délai légal de 20 jours entre l'information et le contrat a bien été respecté et ce contrat stipulait que 'le franchisé précise en outre qu'il connaît, du fait notamment des investigations qu'il a menées dans le cadre de son projet, l'activité, la zone de chalandise, la clientèle et les concurrents situés sur la zone de chalandise du magasin, objet des présentes'.

Les données du document remis à M. [D] le 30 septembre 2014 répondent aux obligations précontractuelles rappelées dans le texte susvisé.

La cour rappelle également que le franchiseur n'a pas d'obligation légale de fournir une étude de marché ou un compte prévisionnel d'exploitation et que l'évaluation du potentiel de rentabilité du projet et l'analyse de son implantation relèvent de la responsabilité du franchisé, commerçant indépendant, que cependant, les informations portées dans les documents remis le cas échéant par le franchiseur doivent néanmoins être sérieuses et sincères.

Il est relevé que M. [D] jouissait d'une expérience non négligeable dans le secteur de la gestion des magasins de la grande distribution en raison de ses emplois précédents, ce qu'il indique lui-même dans ses conclusions, et le tribunal de commerce a relevé de manière pertinente qu'il était apte à apprécier le caractère réaliste des documents provisionnels fournis par le franchiseur et à rechercher par lui-même des informations supplémentaires ou tout au moins les réclamer, qu'il pouvait solliciter l'intervention d'un tiers conseil pour obtenir plus d'informations, qu'il a disposé du laps de temps nécessaire pour y procéder. Or, il n'est justifié par l'appelante d'aucune demande de précisions ou de pièces adressée au franchiseur en ce sens.

Il ne peut non plus faire valoir que s'agissant d'un contrat d'adhésion, il ne pouvait viser expressément le fait qu'il aurait été parfaitement informé de ses propres obligations de vérification, alors qu'il s'agit là des obligations habituelles à charge du franchisé.

S'agissant de l'établissement d'un prévisionnel manifestement erroné, il est rappelé de manière liminaire que le franchiseur n'a pas l'obligation de préciser si le précédent exploitant a connu ou non des difficultés financières et a été contraint de ce fait de cesser son activité ; il appartient ainsi au franchisé de demander toutes informations préalables qu'il estimerait utiles sur ce point et de tirer toutes conséquences d'un refus de communication. C'est donc vainement que l'appelante demande, très tardivement, la production des bilans financiers des prédécesseurs immédiats de M. [D], et cette demande de production, tardive et inopportune, sera rejetée. De même, l'appelante, qui a la charge de la preuve ainsi que déjà rappelé, ne produit aucun document probant établissant les difficultés financières alléguées du prédécesseur de M. [D], ne procédant que par allégations.

Il est par ailleurs rappelé que le franchiseur n'est pas tenu à une obligation de résultat envers le franchisé. Ainsi, un écart entre les chiffres indiqués par le franchiseur et les résultats réels de l'activité ne peuvent établir par eux-mêmes le manque de réalisme et de crédibilité de ces chiffres, ni l'existence de manœuvres émanant du franchiseur pour tromper le consentement de son cocontractant, même en cas d'écart pouvant être significatif, le succès d'une entreprise découlant également fortement des qualités professionnelles du franchisé.

Ensuite, si la jurisprudence peut sanctionner l'absence de méthodologie sérieuse du franchiseur dans la diffusion de données chiffrées, la prise en compte dans le prévisionnel du chiffre d'affaires dit 'historique' de 2012-2013 ne constitue pas une telle absence fautive de méthodologie ni la preuve de la volonté de tromper le franchisé.

S'agissant de l'erreur substantielle sur la rentabilité, elle n'est pas plus établie par les simples affirmations de l'appelante sur l'existence du différentiel.

S'agissant de l'implantation future d'un magasin concurrent et plus grand à proximité de l'établissement, le jugement a justement retenu que le magasin en cause n'a ouvert ses portes qu'en avril 2018 de sorte que cette ouverture programmée postérieurement à la liquidation judiciaire n'a pu avoir aucun impact négatif sur l'activité de M. [D] et que l'absence de précisions à ce sujet ne peut être retenu comme une omission ayant eu une incidence nécessaire sur le chiffre d'affaires. Mais il ne peut non plus de manière théorique être retenu que cette implantation, à la supposer avérée au jour du contrat et cachée au franchisé qui affirme seulement que 'le bruit courait depuis novembre 2014", et dont la date de création était inconnue, aurait nécessairement vicié son consentement au moment de la signature du contrat, l'appelante ne procédant que par affirmations sur son caractère substantiel.

En conséquence de tout ce qui précède, les faits de dol ne sont pas caractérisés par l'appelant et le jugement est confirmé en ce qu'il a écarté l'existence de vices du consentement et rejeté la demande de nullité' des contrats interdépendants.

Sur le soutien abusif

La Selarl [T] [I] ès-qualités fait valoir que :

- l'intimée a commis une immixtion fautive engageant sa responsabilité en accordant des escomptes fictifs à M. [D], en lui imposant de tels délais, en lui faisant signer de nombreux avenants et en prenant seule des décisions relatives au changement d'enseigne ; elle a décalé le paiement des 8 premiers mois de location gérance, créant une situation économique artificiellement viable ; les délais de paiement ont été répétés ; l'absence de contrepartie pour l'intimée est indifférente,

- les encours ont été retardés sur les conseils de l'intimée, et non à la demande de M. [D],

- la stratégie de maintien au maximum du magasin s'est faite dans le seul intérêt du groupe Casino,

- il a suivi la politique de hausse tarifaire de l'intimée qui s'est avérée contre productive et il ne pouvait fixer librement ses prix ou choisir ses fournisseurs,

- les ventes de carburant sont indifférentes car l'activité principale du magasin doit se suffire à elle-même,

- l'intimée n'a pas proposé d'autres solutions qui auraient pu régler les difficultés, comme un changement d'enseigne.

La société Distribution Casino France réplique que :

- son prétendu soutien abusif n'est pas démontré, le seul soutien financier accordé ne suffit pas à le caractériser car elle n'a pas agi dans son seul intérêt,

- l'appelant était parfaitement au courant de ses difficultés de trésorerie, sollicitant lui-même des délais de paiement ; cette connaissance fait obstacle à la caractérisation d'un soutien abusif,

- elle n'a obtenu aucune contrepartie ou garantie complémentaire de l'appelant pour les délais de paiement, alors qu'une garantie 'disproportionnée' est une condition du soutien abusif,

- elle n'a pas commis d'immixtion caractérisée dans la gestion de l'exploitation de l'appelant ; les délais de paiement n'étaient pas imposés par elle et d'autres solutions ont été proposées,

- elle n'a pas commis de fraude en accordant ces délais de paiement,

- l'appelant n'avait pas obligation de suivre ses politiques tarifaires mais pouvait librement fixer ses prix et avait la faculté de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs,

- le changement d'enseigne n'aurait pas été une solution miracle ; après étude interne, ce projet n'apparaissait pas viable.

Sur ce,

L'article L. 650-1 du code de commerce visé par l'appelante dispose que 'Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.'

Il est donc nécessaire pour l'appelante de caractériser soit la fraude, soit l'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur, soit le caractère disproportionné des garanties prises en contrepartie du soutien.

Il est constant que :

- dès mars 2015, M. [D] a fait état de difficultés financières ne lui permettant pas d'acquitter les factures de livraison de marchandises,

- le 21 mars 2015, la société casino lui a consenti un report d'échéance de certaines factures, par un courriel indiquant 'accord pour repousser au 31 juillet 2015 la traite de 30.462 euros du 28 avril 2015, une autre étant déjà partie en banque', ce courriel par ses termes suppose une demande en ce sens du débiteur,

- le 11 juin 2015, la société Casino a accordé à M. [D] un échéancier de paiement pour une facture de 64.524,47 euros à payer en quatre mensualités,

- le 22 septembre 2015, la société Casino a indiqué à M. [D] qu'elle bloquait deux traites pour un total de 16.560 euros et en parallèle finalisait un dossier financier pour mieux appréhender la future situation, ce dossier était adressé à M. [D] le 13 octobre 2015,

- le 14 novembre 2015, les parties concluaient des avenants au contrat de franchise et au contrat de location-gérance prévoyant la suppression de la redevance sur les murs (location gérance), la diminution du dépôt de garantie mensuel, la mise en œuvre de tarifs préférentiels, et d'une ristourne de fidélité,

- le 16 février 2016, M. [D] a averti la société Casino de l'impossibilité de payer les factures, la société Casino lui rappelant les mesures prises et la nécessaire reprise de la vente du carburant.

- le 30 septembre 2016, la société Casino a mis fin aux délais de paiement et demandé un virement avant commandes compte tenu des arriérés et il a alors été mis fin à l'activité le 4 octobre 2016.

Il résulte de ces différentes données que la société Casino a ainsi accordé des délais de paiement à son franchisé en raison de difficultés de trésorerie apparues rapidement ainsi que des conditions d'exploitation plus favorables avec la diminution des charges.

Il ressort des courriels échangés par les parties que la société Casino a manifestement pris des mesures sur demande du franchisé qui l'alertait lui-même de ses difficultés. Il est donc établi sans ambiguïté que M. [D] avait parfaitement conscience de ses propres difficultés, qu'il a révélées au franchiseur.

Il n'est pas non plus établi que M. [D] n'avait pas la liberté de fixer ses prix ni de faire appel à d'autres fournisseurs, l'appelante n'en rapportant aucune preuve.

Ne sont donc pas établis par ces éléments la fraude ou l'immixtion fautive du franchiseur et il ne peut non plus être reproché à ce dernier, auquel le choix appartenait, d'avoir estimé que la solution du recours à l'enseigne 'leader price express' n'était pas viable, compte tenu de la situation dégradée de M. [D].

Quant au caractère disproportionné des garanties prises en contrepartie du soutien, l'octroi de tels délais, accordés manifestement sur demande du franchisé, et sans prévision de contreparties ou garanties supplémentaires à sa charge, pour soutenir la trésorerie au moment du démarrage d'une telle activité ne revêt pas les caractères susvisés.

C'est donc à juste titre que le tribunal de commerce a retenu que la société Casino n'avait aucun intérêt personnel à accorder ces délais et a rejeté l'existence d'un soutien abusif du franchiseur.

Sur les préjudices subis par M. [D]

La Selarl [T] [I] ès-qualités fait valoir que :

- s'agissant de contrats à exécution successive, une remise en état semble difficile suite à la nullité des contrats du fait du dol,

- M. [D] il a souscrit deux prêts bancaires en pure perte, a investi dans un leasing de vidéo-surveillance qui doit être remboursé, et exploité cette activité en sus de son activité salariée sans être rémunéré ; le manque à gagner causé par le dol de l'intimée doit être indemnisé sur la base du SMIC,

- il a subi un préjudice moral dans la mesure où il s'est démené pour une activité sans issue, n'aura plus accès à des crédits à titre privé ou professionnel avant au moins 5 ans, doit rembourser à la banque des emprunts et sa maison hypothéquée.

La société Distribution Casino France réplique que l'absence de nullité et de faute au titre de l'obligation d'information précontractuelle de sa part fait obstacle à l'allocation d'un préjudice à l'appelant, qu'en tout état de cause, le manquement à l'obligation précontractuelle d'information ne peut être qu'une perte de chance et que les préjudices réclamés ne sont pas indemnisables au titre d'un tel manquement.

Sur ce,

Dans la mesure où il n'est pas fait droit aux prétentions de l'appelante sur l'existence d'un vice du consentement ou d'un soutien abusif du franchiseur, le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté les diverses demandes en paiement de M. [D], faute de préjudice indemnisable.

Sur la créance de la société Distribution Casino France

La société Distribution Casino France fait valoir qu'elle a procédé aux livraisons de marchandises commandées par l'appelant, qui ont systématiquement fait l'objet de factures, qu'il n'est pas contesté que des factures restent dues, qu'elle a régulièrement déclaré ses créances pour un montant de 96.435,96 euros, qui n'a pas fait l'objet d'une contestation et que ses créances doivent être fixées au passif de la procédure.

La Selarl [T] [I] ès-qualités réplique que le dol emporte annulation des factures et de la déclaration de créance, que s'il est fait droit à cette demande, il doit être tenu compte du dernier encours en possession du concluant au 19 décembre 2016 d'un montant de 96.435,96 euros.

Sur ce,

Il n'est pas contesté par l'appelante que des factures, lesquelles n'ont pas fait l'objet de contestations à réception, n'ont pas été payées par M. [D], ce, pour le montant indiqué par la société Casino, alors que les marchandises facturées ont bien été livrées.

La société Casino a régulièrement procédé à la déclaration de ses créances au mandataire liquidateur. En conséquence, au regard de la procédure collective en cours, ces créances doivent être fixées à hauteur d'un montant total de 96.435,96 euros à titre chirographaire.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a fixé ces créances incontestables à hauteur de ce montant.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens de première instance et la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile qui n'a pas été prononcée à l'encontre du mandataire à titre personnel sont confirmés.

Les dépens d'appel sont à la charge de la procédure collective de M. [D].

Il est équitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant dans les limites de l'appel,

Rejette la demande de production de pièces.

Confirme le jugement déféré dans son intégralité.

Y ajoutant,

Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que les dépens d'appel sont employés en frais privilégiés de la procédure collective.