Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 6, 2 mai 2024, n° 21/07534

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/07534

2 mai 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 02 MAI 2024

(n° 2024/ , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07534 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEIF5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CRETEIL - RG n° 18/01797

APPELANT

Monsieur [U] [R] [S]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par M. [I] [W] (Délégué syndical ouvrier)

INTIMEE

S.A.S. MAIN SECURITE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Leslie KOUHANA KALFA, avocat au barreau de PARIS, toque : E1131

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Didier LE CORRE, Président de chambre et de la formation

M. Christophe BACONNIER, Président de chambre

M. Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par M. Didier LE CORRE, Président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Didier LE CORRE, Président de chambre, et par Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Selon contrat de travail à durée indéterminée, M. [S] a été engagé en qualité d'agent des services de sécurité incendie le 1er mai 2008 par la société Main sécurité.

Par lettre du 29 juin 2018, M. [S] a été convoqué, avec mise à pied à titre conservatoire, à un entretien préalable fixé au 10 juillet suivant.

Il a été licencié pour faute grave par lettre du 16 juillet 2018.

M. [S] a saisi le 27 novembre 2018 le conseil de prud'hommes de Créteil d'une contestation de son licenciement et en demandant que la société Main sécurité soit condamnée à lui payer différentes sommes à titre d'indemnités de rupture.

Par jugement du 8 juillet 2021, auquel il est renvoyé pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Créteil, en sa formation présidée par le juge départiteur, a rendu la décision suivante:

« DEBOUTE [U] [S] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SAS MAIN SECURITE,

DEBOUTE la SAS MAIN SECURITE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,

Condamne [U] [S] aux dépens. »

M. [S] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe le 5 août 2021, adressée par son défenseur syndical.

La constitution d'intimée de la société Main sécurité a été transmise par voie électronique le 15 septembre 2021.

Dans ses dernières conclusions parvenues au greffe le 4 novembre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [S] demande à la cour de:

« Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

Débouté Monsieur [S] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société MAIN SECURITE ;

Condamné M. [S] aux dépens.

Le confirmer en ce qu'il a débouté la S.A.S MAIN SECURITE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant à nouveau,

Dire et juger dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement de Monsieur [S] en date du 16 juillet 2018 ;

Subséquemment,

- Annuler la mise à pied à titre conservatoire prise le 29 juin 2018 à l'encontre de Monsieur [S] ;

- Condamner la société MAIN SECURITE à payer à Monsieur [S] les sommes suivantes :

- Mise à pied à titre conservatoire du 29 juin 2018 au 16 juillet 2018 soit 81,99 heures = 836,37 euros bruts.

- Congés payés y afférents : 83,63 euros bruts.

- Indemnité compensatrice de deux mois de préavis : 3.734,86 euros bruts

- Congés payés y afférents : 373,48 euros bruts

- Indemnité légale de licenciement (10 ans et 2 mois) : 5446.50 euros nets.

- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 18.674,30 euros nets (10 mois de salaires, cf. article L. 1235-3 du code du travail.)

- Article 700 du code de procédure civile : 2.000€

- Dépens.

- Intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes.

- Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil. »

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 18 janvier 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Main sécurité demande à la cour de:

« CONFIRMER en toutes ses dispositions, le jugement rendu par la formation départage du Conseil des Prud'hommes de CRETEIL, en date du 8 juillet 2021,

Et statuant à nouveau :

CONSTATER la régularité de la procédure de licenciement,

CONSTATER que le licenciement pour faute grave de Monsieur [U] [S] par la société MAIN SECURITE est fondé et justifié,

DEBOUTER Monsieur [U] [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

CONDAMNER Monsieur [U] [S] au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens. »

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le licenciement pour faute grave

Il est de jurisprudence constante que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. C'est à l'employeur qu'incombe la charge de rapporter la preuve de la faute grave, étant ajouté que la lettre de licenciement fixe les limites du litige.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 16 juillet 2018 mentionne que:

« Nous vous avons convoqué par courrier en date du 29 juin 2018, à un entretien préalable pouvant aller au licenciement devant se tenir le 10 juillet 2018. Vous êtes venu accompagné de Monsieur [C] [F], Représentant du personnel et nous avons pu échanger sur les faits qui vous sont reprochés.

Vous êtes habituellement affecté en qualité d'Agent des services de sécurité incendie sur le site de la Direction de l'Information Légale et Administrative, dépendant des Services du Premier Ministre.

Lors de votre vacation ayant débuté le 21 juin 2018 à 19h, et devant s'achever le 22 juin 2018 à 7h, votre comportement a gravement été remis en cause.

En effet, aux alentours de 06h50, une salariée du site s'est présentée à l'accueil pour rentrer, car qu'elle avait oublié son badge.

Lors de vos échanges, vous l'avez alors insultée et menacée de mort en tenant les propos suivants: « ta gueule; salope; pute; connasse; tu n'es même pas française; tu es moche; ma femme est plus belle que toi ; si tu rentres je vais te crever; si je te revoie, je vais te crever; je vais te crever dehors».

La personne vous a alors informé qu'elle allait rapporter cet événement au responsable de la sécurité du site. Ce à quoi vous avez répondu : « Je m'en fou, je vous emmerde tous ».

La salariée a été profondément heurtée par cet échange. Elle a été retrouvée par ses collègues apeurée, tremblante et en pleurs.

En outre, vous avez fini par autoriser l'accès à la salariée dépourvue de badge, sans pour autant noter dans la main courante cet accès, ni demander l'autorisation préalable au Client.

Le Client, mis au courant de ces faits, a d'ailleurs notifié votre interdiction de site afin de préserver la sécurité du site et de ses occupants.

Vos propos injurieux et menaçant l'intégrité physique de la salariée sont totalement incompatibles avec vos missions d'Agent des services de sécurité incendie.

Nous vous rappelons que l'article 5 du Code de déontologie, qui vous est applicable, impose aux acteurs de la sécurité privée de s'interdire « tout acte, manoeuvre ou comportement de nature à déconsidérer celle-ci».

L'article 7 ajoute que « en toute circonstance, les acteurs de la sécurité privée s'interdisent d'agir contrairement à la probité, à l'honneur et à la dignité. Ils font preuve de discernement et d'humanité». Enfin, l'article 8 dispose que « les acteurs de la sécurité privée font preuve entre eux de respect et de loyauté. Dans cet esprit, ils recherchent le règlement amiable de tout litige».

De plus l'article 14.3 du Règlement intérieur de notre société précise que peut être considérée comme une faute grave les « injures, grossièretés, répétées ou proférées avec violence ou agressivité ».

Par ailleurs vous avez également violé votre obligation, conformément à l'article 4 de votre contrat de travail, de rendre compte de tout incident se produisant lors de votre service.

Votre comportement nuit considérablement à notre image de marque de professionnel de la sécurité envers notre client.

Vos agissements sont d'autant plus graves que votre comportement avait déjà été remis en cause pour des faits similaires, nous ayant contraints à vous notifier une mise à pied disciplinaire le 24 août 2015.

De plus, le 12 octobre 2017 nous vous avions également notifié une mise à pied disciplinaire pour non-respect de vos obligations contractuelles. En effet, vous dormiez et n'effectuiez pas toutes vos rondes obligatoires.

Nous estimons avoir fait preuve de suffisamment de patience à votre encontre, force est de constater que vous n'avez pas pris la pleine mesure des sanctions précédemment notifiées.

L'ensemble de ces faits constitue des manquements graves à vos obligations professionnelles et contractuelles que nous ne pouvons tolérer plus longtemps sans entraver la bonne marche de notre entreprise.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible. Cette attitude nous contraint donc à rompre nos relations contractuelles et à vous licencier pour faute grave. »

M. [S] conteste d'abord son licenciement en soutenant l'absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement. Il expose que M. [X] [K], qui l'a signée, est salarié d'une entreprise « dénommée RSO qui a pour activité la gestion, l'administration et le conseil du groupe Onet et qui applique la convention collective du nettoyage et non celle de la prévention et de la sécurité ».

Toutefois, il ressort des éléments versés aux débats que la société Main sécurité, employeur de M. [S], appartient au groupe Onet dont la société mère est la société RSO (Réseau services Onet), la société RSO assumant la présidence de la société Main sécurité, étant précisé en outre que ces deux sociétés ont la forme juridique de SAS. L'intimée produit une délégation de pouvoirs signée par laquelle le président de la société RSO donne délégation à M. [K], directeur régional Ile-de-France de la société RSO, pour un certain nombre d'actes parmi lesquels la gestion du personnel des établissements de la région IDF de la société Main sécurité relativement au recrutement, pouvoir de sanction et de licenciement du personnel (article 4). Cet article confère notamment au délégataire, M. [K], « le pouvoir de procéder à des sanctions pouvant aller jusqu'au licenciement du personnel ouvrier et des ETAM des établissements et services dont il a la responsabilité et de prononcer des sanctions à leur égard ».

Il en résulte que M. [K] était titulaire d'une délégation de pouvoirs lui permettant de signer la lettre de licenciement de M. [S], peu important que la société RSO et la société Main sécurité ne soient pas soumises à la même convention collective.

S'agissant des faits reprochés à M. [S], il convient d'indiquer que celui-ci était à l'époque affecté sur le site de la Direction de l'information légale et administrative qui dépend des services du Premier ministre. La société Main sécurité produit un compte-rendu d'incident rédigé le 22 juin 2018 à 11h28 par M. [E] [Z], chef d'équipe de sécurité incendie et de sûreté. Celui-ci écrit que Mme V. du pôle atelier expédition finition lui a déclaré que l'agent de faction au PC sécurité, M. [S], après qu'elle avait signalé à 6h50 à cet agent avoir oublié son badge d'accès et qu'elle souhaitait néanmoins rentrer afin de prendre son service, lui avait tenu des propos insultants (« ta gueule », « salope », « pute », « connasse », tu n'es même pas française », « tu es moche », « ma femme est plus belle que toi ») et lui avait proféré des menaces de mort (« si tu rentres je vais te crever », « si je te revoie, je vais te crever », « je vais te crever dehors »), et que lorsqu'elle avait dit à M. [S] qu'elle allait en parler à son supérieur à son arrivée sur site, l'appelant lui avait répondu « je m'en fous, je vous emmerde tous ». Mme V. a ajouté à M. [Z] avoir appelé son cadre à 6h53 afin qu'il descende au PC de sécurité, MM. [L] et [P], cadres de l'atelier, étant alors descendus afin de demander à l'agent de laisser Mme V. entrer. M. [Z] écrit avoir parlé à ces deux derniers qui lui ont déclaré que M. [S] « n'avait pas l'air très serein lors de leur arrivée au PC » et leur avait dit « Ce n'est pas mon boulot d'ouvrir les portes aux gens qui n'ont pas de badge d'accès ». M. [Z] ajoute que Mme V. lui a déclaré « ne pas vouloir déposer plainte au commissariat de police, ni faire de main courante, car elle a très peur des représailles et des menaces de mort de » M. [S]. M. [Z] atteste également que « Plusieurs témoins de l'atelier expédition finition m'ont confirmé que Mme V. était apeurée, tremblante et en pleurs lors de sa prise de service ».

Contrairement à ce que soutient M. [S], la circonstance que M. [Z] écrive en fin de son compte-rendu « Si les faits de l'incident de ce matin s'avèrent réels, il est intolérable et inadmissible qu'une personne représentant la sécurité et la sûreté du site DILA se comporte de la sorte » ne signifie pas qu'il émet des doutes sur la réalité des faits tels qu'ils lui ont été énoncés par Mme V. mais seulement qu'il ne considère pas son compte-rendu comme le point final de l'enquête, sa précaution de langage démontrant en outre l'absence de parti-pris de M. [Z] contre M. [S].

Or, effectivement, la société Main sécurité verse aux débats un courriel adressé le 22 juin à 16h47 à la société Main sécurité par M. [Y], adjoint au responsable du département des moyens généraux de la Direction de l'Information Légale et Administrative, qui lui transmet un « compte-rendu d'incident entre un agent de la DILA et l'agent ONET en poste au PC sécurité cette nuit » et ajoute « Compte tenu de la gravité des faits, je vous demande de bien vouloir retirer définitivement l'agent du site de la DILA et de prendre les mesures que vous jugerez nécessaires ». La société Main sécurité communique aussi une lettre recommandée qui lui a été envoyée le 27 juin 2008 par M. [D], directeur de la DILA, ayant pour objet « suite de l'agression verbale » et qui relate les faits dénoncés par Mme V. dans des termes qui concordent avec la version des faits détaillée par M. [Z] dans son compte-rendu initial. M. [D] indique aussi avoir pris la décision d'interdire à M. [S] l'accès au site de la DILA.

Compte tenu de tous ces éléments, l'absence de rédaction par Mme V. d'une déclaration sur l'honneur ou attestation, qui s'explique par sa crainte de représailles, est indifférente.

M. [S] fait valoir qu'il a déposé une plainte pénale contre X pour dénonciation calomnieuse le 26 octobre 2021. Outre que ce dépôt de plainte est postérieur de plus de trois ans aux faits reprochés, M. [S] ne communique aucun élément sur le sort donné à cette plainte par l'autorité compétente.

Il résulte de tous les éléments qui précèdent que la société Main sécurité rapporte la preuve des faits constituant l'agression verbale de Mme V. le 22 juin 2018. Ce comportement fautif de M. [S] rendait impossible son maintien dans l'entreprise. Par conséquent, le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu que le licenciement était fondé sur une faute grave et a débouté M. [S] de ses demandes financières au titre de la mise à pied conservatoire et de la rupture.

Sur les autres demandes

M. [S] succombant, il est condamné aux dépens de la procédure d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Il paraît équitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Laisse à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et les déboute de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [S] aux dépens de la procédure d'appel.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT