CA Versailles, ch. civ. 1-3, 2 mai 2024, n° 23/06523
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Macchione (SCEA)
Défendeur :
Filpack Protection (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perret
Conseillers :
M. Maumont, Mme Girault
Avocats :
Me Ferchaux-Lallement, Me Debray, Me Guillon
FAITS ET PROCEDURE
La société Le Macchione exploite diverses parcelles de clémentiniers sur le territoire des communes de [Localité 7] (Haute-Corse) et de [Localité 5] (Haute-Corse).
Elle a demandé à l'entreprise Filpack Protection (ci-après la société Filpack) de lui établir un devis pour l'installation d'une protection anti-grêle pour ses vergers de clémentiniers.
Selon devis établi en décembre 2015, l'entreprise Filpack a réalisé les prestations commandées, pour lesquelles la société Le Macchione a réglé un acompte de 30 000 euros le 26 février 2016 et le solde de 271 920 euros restant le 11 juillet 2016.
La société Le Macchione a fait établir un constat d'huissier le 19 octobre 2016 duquel il résulte que sur les parcelles désignées "blocks" 2, 3 et 5, la hauteur maximale sous faîtage est de 3,80 m et les poteaux utilisés d'une hauteur de 4,50 m alors que sur la parcelle block [Cadastre 2], la hauteur sous faîtage est de 4,20 m et les poteaux d'une hauteur de 5 m.
Par acte d'huissier du 4 juillet 2022, la société Le Macchione a assigné la société Filpack Protection devant le tribunal judiciaire de Pontoise aux fins d'obtenir réparation du préjudice causé par les manquements contractuels de cette dernière à son obligation de résultat au motif qu'elle n'a pas fourni des poteaux de 4,20 m sous faîtage sur les blocks 2, 3 et 5.
Par ordonnance du 28 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Pontoise a :
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action engagée par la société Le Macchione,
- condamné cette dernière aux dépens avec recouvrement direct et à payer à la société Filpack Protection la somme de 4 896 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par acte du 19 septembre 2023, la société Le Macchione a interjeté appel de l'ordonnance et prie la cour, par dernières écritures du 16 novembre 2023, de :
- la recevoir en son appel,
- la déclarer bien fondée,
- infirmer la décision entreprise,
Et statuant à nouveau,
- rejeter la fin de non recevoir opposée par la société Filpack,
- juger l'action engagée par la société Le Macchione non prescrite, cette prescription ayant été interrompue dans les termes de l'article 2240 du code civil,
- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Le Macchione à payer à la société Filpack la somme de 4 896 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens,
- condamner la société Filpack à payer à la société Le Macchione au titre des frais irrépétibles engagés tant devant le tribunal que devant la cour, la somme de 7 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la société Filpack de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, plus amples ou contraires aux présentes,
- condamner la société Filpack en tous les dépens,
- renvoyer la cause devant le tribunal judiciaire de Pontoise.
Par dernières écritures du 15 décembre 2023, la société Filpack Protection prie la cour de:
- rejeter toutes fins, moyens et conclusions contraires,
- déclaré l'appel mal fondé,
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- débouter la société Le Macchione de l'ensemble de ses demandes et la condamner à payer à la société Filpack Protection une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Le Macchione, qui succombe, aux entiers dépens de l'instance avec recouvrement direct.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 décembre 2023.
Motivation
SUR QUOI :
La SCEA Le Macchione ne dit pas sur quel texte elle se fonde pour solliciter une indemnisation au titre du contrat de vente qu'elle a souscrit avec la SAS Filpack Protection mais invoquant l'obligation de résultat qui pèserait sur cette dernière aux termes du devis établi le 31 décembre 2015, elle vise la violation de l'obligation de délivrance de l'article 1604 du code civil.
Préalablement à la question de savoir si la livraison de la chose a été conforme aux préconisations contractuelles se pose la question de la prescription éventuelle de l'action, retenue par les premiers juges, et plus exactement de l'effet interruptif ou non d'un courriel du 4 mai 2021 par lequel la SAS Filpack Protection aurait reconnu sa responsabilité.
En effet, quelle que soit la nature civile ou commerciale des actions personnelles et mobilières, le délai pour agir est de cinq ans et les parties s'accordent à fixer le point de départ du délai de prescription au 19 octobre 2016, date à laquelle la SCEA Le Macchione a fait établir un constat d'huissier sur le verger de Caselle à [Localité 7] pour mesurer la hauteur maximale sous faîtage des poteaux. L'assignation de l'intimée par la SCEA Le Macchione datant du 4 juillet 2022, elle a été délivrée au-delà du 19 octobre 2021.
Mais se fondant sur l'article 2240 du code civil , l'appelante invoque le fait que sa cocontractante aurait admis par la bouche de M. [I] , son correspondant au sein de la SAS Filpack et après différents pourparlers, les différentes non-conformités affectant le matériel livré, par mail du 4 mai 2021. Elle déplore que, malgré cette reconnaissance de responsabilité, la SAS Filpack Protection n'ait pas procédé à son indemnisation, l'obligeant à lui envoyer une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 novembre 2021 puis à l'assigner.
La SAS Filpack Protection donne une toute autre interprétation du courriel du 4 mai 2021 en le considérant comme une simple proposition commerciale de rehausse des poteaux émise à la demande orale du gérant de l'appelante et aucunement comme la reconnaissance d'une quelconque erreur de sa part ou d'une non-conformité du matériel livré. Elle accuse la SCEA Le Macchione d'une certaine manipulation à l'occasion de ces échanges écrits.
Leur déniant tout effet interruptif , l'intimée demande la confirmation de l'ordonnance déférée constatant la prescription de l'action de la SCEA Le Macchione engagée après le délai de 5 ans de l'article 2224 du code civil.
Sur ce,
L'article 2240 du code civil énonce que "la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription."
La pièce par laquelle le débiteur de l'obligation de délivrance aurait admis sa responsabilité est constituée d'un courriel émanant de M.[I] à l'intention de M. [W] ainsi rédigé :
" Objet : RE : Plan parcelle
Bonjour M. [W], je ne retrouve plus votre n° de téléphone aussi je vous envoie ce mail.
Concernant le dossier de Monsieur [Z] [gérant de la société Le Macchione], il serait je pense intéressant que je vienne sur place avec le monteur pour définir plus exactement le travail à faire pour modifier la hauteur de faîtage.
Peut-on garder le faîtage, le filet, retirer les poteaux, part prise par Monsieur [Z] pour le démontage' '
Je dois me rendre en Corse les 18 et 19 mai je pourrais à cette occasion voir Monsieur [Z].
Dans l'attente de votre confirmation.
Cordialement
[J] [I] "
Il ne peut que faire suite à une sollicitation de la société Le Macchione, non écrite, puisqu'aucune des parties ne la produit ni n'invoque une pareille forme et que l'expéditeur fait une allusion au téléphone, constituant donc un mode de communication entre eux.
Ce courriel évoque :
- un travail à définir en concertation avec le monteur,
- la question de la répartition des tâches et notamment la possibilité que M. [Z], gérant de la SCEA Le Macchione, prenne sa part de la transformation à accomplir en se chargeant éventuellement du retrait des poteaux actuels.
Il est donc plausible que, comme le soutiennent les deux parties, le sujet soit de rehausser par la pose de nouveaux poteaux la hauteur du faîtage mais rien ne vient indiquer que la SAS Filpack Protection se reconnaisse la moindre responsabilité dans un état imparfait de l'ensemble à cette époque, plusieurs années après la livraison reçue sans réserve.
Au contraire, le fait que soit envisagée une action de la part de M. [Z] démontre un souci d'atténuer le coût de l'opération en gardant au surplus le filet et le faîtage comme indiqué. Le caractère gracieux de l'opération est incompatible avec ces précisions.
Le fait que M. [W] qui a réceptionné ce message la transmette par la suite à M. [Z] en en changeant l'objet pour y ajouter "mode préparatoire Eugénie Filpack", en affirmant que M. [I] se propose de venir réparer les malfaçons et que ce document "a pour avantage d'engager la société Filpack" est une grossière déformation des termes qui y ont été tenus.
La SAS Filpack Protection étant une entreprise appelée à implanter et à modifier parfois les implantations de filets de protection pour des plantations diverses, ce qu'elle prouve, l'opération envisagée était banale et ne permet pas en elle-même de voir une reconnaissance de ce que la livraison de l'espèce était non conforme ce d'autant que la SAS Filpack Protection produit un mail du 18 février 2016 indiquant que les poteaux seront de 4,5à m et le faîtage de 3,80 m (pièce 1 de l'intimée).
La SCEA Le Macchione échoue à démontrer que le document qu'elle invoque constitue une reconnaissance explicite et non équivoque de responsabilité qui, seule, pourrait interrompre le délai de prescription courant à compter du 19 octobre 2016.
Eu égard à ces constatations, l'ordonnance déférée doit être confirmée en toutes ses dispositions, l'action ayant été engagée plus de cinq ans après que de façon indiscutable, la SCEA Le Macchione a eu connaissance exacte des mesures de toutes les installations livrées le 24 juin 2016.
Celle-ci sera déboutée de toutes ses demandes.
Les dispositions de l'ordonnance du juge de la mise en état statuant sur les dépens et l'indemnité de procédure sont donc également confirmées.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée,
Y ajoutant,
Déboute la SCEA Le Macchione de l'intégralité de ses demandes,
Condamne la SCEA Le Macchione aux dépens de l'instance d'appel avec recouvrement direct selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au bénéfice de Me [F] [G],
Condamne la SCEA Le Macchione à payer à la SAS Filpack Protection la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel.