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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 2 mai 2024, n° 23/03038

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Époux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Grimaud, Me Robert, Me Dumoulin, Me Jars

TJ Vienne, du 6 juill. 2023, n° 23/00116

6 juillet 2023

Faits et procédure :

1. [C] [W] et [Z] [G] sont infirmiers libéraux à [Localité 3]. [Z] [G] a créé un site internet dans le cadre de l'exercice de sa profession, sous la dénomination « [05].fr ».

2. [V] et [D] [E] exercent également cette profession, et ont également créé des sites internet dans ce cadre.

3. Le 12 mai 2023, [C] [W] et [Z] [G] ont assigné [V] et [D] [E] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Vienne afin notamment de les voir condamnés à modifier le nom de domaine de leur site internet, afin qu'il soit conforme à la norme prévue par l'ordre des infirmiers libéraux, et qu'il prenne ainsi les dénominations « [012]» et « [06] ».

4. Par ordonnance du 6 juillet 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Vienne a :

- rejeté l'exception d'incompétence, la fin de non-recevoir et le moyen tiré du défaut d'intérêt à agir ;

- déclaré recevable l'action ;

- dit n'y avoir lieu à référé ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné [C] [W] et [Z] [G] à payer la somme de 3.000 euros à [V] et [D] [E] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné [C] [W] et [Z] [G] aux dépens ;

- rappelé que l'ordonnance bénéficie de l'exécution provisoire de droit.

5. [C] [W] et [Z] [G] ont interjeté appel de cette décision le 8 août 2023, en ce qu'elle a :

- déclaré recevable l'action ;

- dit n'y avoir lieu à référé ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné [C] [W] et [Z] [G] à payer la somme de 3.000 euros à [V] et [D] [E] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné [C] [W] et [Z] [G] aux dépens ;

- rappelé que l'ordonnance bénéficie de l'exécution provisoire de droit.

L'instruction de cette procédure a été clôturée le 2 février 2024.

Prétentions et moyens de [C] [W] et [Z] [G] :

6. Selon leurs conclusions remises le 5 décembre 2023, ils demandent à la cour, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, des articles R. 4212-50, R. 4312-68-1, R. 4312-69 et R .4312-76 du code de la santé publique ; des recommandations aux infirmiers en matière d'information et de publicité de janvier 2022 ; de la charte relative à la création de site internet par les infirmiers du Conseil national de l'Ordre des Infirmiers :

- de dire leur appel recevable, bien fondé et justifié ;

- de réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et en ce qu'elle a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- statuant à nouveau sur ces points, de condamner [V] [E] à modifier le nom de domaine de son site internet en adoptant la règle ordinale soit «[012] », ce sous astreinte de 100 euros pour jour de retard, dans les 8 jours qui suivront l'ordonnance à intervenir ;

- de condamner [D] [E] à modifier le nom de domaine de son site internet en adoptant la règle ordinale soit « [06] », ce sous astreinte de 100 euros pour jour de retard, dans les 8 jours qui suivront l'ordonnance à intervenir ;

- de condamner [V] [E] à payer aux concluants la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner [D] [E] à payer aux concluants la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner in solidum [V] [E] et [D] [E] à payer aux concluants les entiers dépens, comprenant les frais des commissaires de justice pour le constat, l'assignation, la signification de l'ordonnance du 6 juillet 2023, la signification de la déclaration d'appel et la signification de la décision à intervenir.

Les appelants exposent :

7. - que depuis leur arrivée sur [Localité 3] en 2014 et 2016, les intimés ont eu recours à des procédés de publicité illicites sur internet, de sorte que lors d'une recherche par mots clefs « infirmier [Localité 3]», les deux sites des intimés apparaissent en majorité; que le constat de l'huissier commis par les concluants réalisé le 10 janvier 2023 indique que les intimés utilisent d'abord les mots clefs « infirmier [Localité 3] » et « infirmière [Localité 3] », et que les recherches ont confirmé que les sites des intimés apparaissent plus que majoritairement ;

8. - concernant la demande de rectification de l'ordonnance entreprise des intimés en ce que le juge des référés aurait commis une erreur matérielle qu'il conviendrait de rectifier, concernant la somme mise au débit des concluants au titre de l'article 700 du code de procédure civile, que cette décision a condamné les concluants au paiement de la somme de 3.000 euros au profit des intimés conjointement ; que la demande de rectification de ces derniers reviendrait à aboutir à la condamnation des concluants à payer la somme de 3.000 euros à chacun des intimés, ce qui ne peut qu'être rejeté ;

9. - concernant la compétence du juge des référés, que la méconnaissance de règles déontologiques constitue un acte de concurrence déloyale ; que les instances ordinales ont une fonction déontologique et disciplinaire, qui n'empiète pas sur les compétences de droit commun du juge civil ; que le juge des référés est ainsi compétent pour juger des actes de concurrence déloyale qui constituent un trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, les appelants ne demandent pas de prononcer une sanction disciplinaire ; que le juge des référés est ainsi compétent ;

10. - concernant la fin de non-recevoir tirée de l'absence de tentative amiable de résolution du litige, que l'article R. 4312-25 du code de la santé publique n'impose pas la conciliation comme cause de recevabilité de l'action, une telle procédure de conciliation ne pouvant résulter que d'une stipulation contractuelle ; que le respect de cette obligation déontologique n'est pas assortie d'une sanction, et relève de la juridiction ordinale ; que le premier juge a justement retenu ces points ;

11. - en outre, qu'il ne peut être fait grief aux concluants de ne pas avoir rechercher une solution par le biais d'une conciliation, puisque les parties sont en conflit depuis plusieurs années, avec plusieurs interventions de l'ordre, concernant des mesures de publicité illicites; que les intimés ont également fait face aux actions d'autres infirmiers en raison de leur pratique ; que toute possibilité de conciliation est ainsi illusoire ;

12. - concernant l'intérêt à agir de [C] [W], que s'il ne dispose pas d'un site internet propre, il dispose d'une fiche de référencement Google, et est référencé sur d'autres sites comme Ameli, Pages Jaunes, [H], de sorte que sa présence sur internet ne peut qu'être dominée par des sites qui ne respectent pas les règles de la profession ; qu'il souhaite à l'avenir créer son propre site ; qu'il justifie ainsi d'un intérêt à agir ;

13. - concernant le trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser, que l'article R. 4312-76 du code de la santé publique interdit de pratiquer la profession d'infirmier comme un commerce, et notamment en recourant à la publicité ; que l'article R. 4312-50 interdit l'usage d'un pseudonyme et d'arguer de sa qualité de professionnel sans dévoiler son identité ; que si l'article R. 4312-68-1 permet à l'infirmier de communiquer librement, y compris sur un site internet, cette communication doit respecter les obligations déontologiques, être loyale et honnête et en tenant compte des recommandations émises par le conseil national de l'ordre ; que l'article L. 4312-69 précise ainsi les informations que l'infirmier est autorisé à faire figurer dans les annuaires à usage du public quel qu'en soit le support et en tenant compte des recommandations du conseil national ; que la décision du mois de janvier 2022 du conseil national a imposé de se référer à la charge déontologique qu'il a établi concernant la création de sites internet, imposant l'utilisation des nom et prénoms de l'infirmier, suivis ou précédés du terme « infirmier », à l'exclusion de toute autre dénomination ;

14. - qu'en l'espèce, les intimés ont utilisé le nom de domaine « [07] » et « [010] », en violation des recommandations du conseil national de l'ordre, puisqu'il n'est pas mentionné leur identité ; qu'en outre, la copie de pages du site de [V] [E] résulte d'un montage entre la première et la troisième page de ce site ; que ce dernier fait état de sa qualité d'infirmière, usant ainsi du fait que 85 % des postes sont occupés par des femmes ;

15. - qu'il s'agit d'une pratique déloyale, puisque le nom de domaine d'un site internet est essentiel, permettant à l'internaute de trouver le service qu'il recherche ; que le choix des mots clefs a un impact significatif sur la manière dont le moteur de recherche classe le site ; que l'utilisation de mots génériques obligatoirement entrés par l'internaute fait apparaître les sites utilisant des noms de domaine comportant ces termes, ce qui augmente leur visibilité et que confirme le constat d'huissier; que le juge des référés n'a pu faire prévaloir les pièces produites par les intimés sur ce constat qui est un acte authentique.

Prétentions et moyens de [V] et [D] [E] :

16. Selon leurs conclusions remises le 10 novembre 2023, ils demandent à la cour, au visa des articles 122, 835 alinéa 1, 32-1, 559 et 462 du code de procédure civile, des articles L. 4312-1 et suivants, R. 4312-25, R. 4312-50, R. 4312-76 et R. 4312-69 du code de la santé publique :

- de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a jugé qu'aucun trouble manifestement illicite n'est caractérisé ; en ce qu'elle a condamné [C] [W] et [Z] [G] au paiement d'une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- en conséquence, de rectifier cette ordonnance comme suit : « Condamnons [Z] [G] et [C] [W] chacun à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile chacun à [D] [E] et [V] [K] » ;

- de réformer cette ordonnance en ce qu'elle a déclaré recevable l'action des appelants ; en ce qu'elle a débouté les concluants de leurs demandes au titre d'une procédure abusive ;

- statuant à nouveau, in limine litis, de déclarer le tribunal judiciaire de Vienne incompétent au profit du Conseil de l'Ordre des infirmiers Auvergne Rhône-Alpes ;

- de juger que la présente action se heurte à une fin de non-recevoir au regard de la conciliation préalable auprès du conseil départemental de l'Ordre des infirmiers Auvergne Rhône-Alpes ;

- en conséquence, de déclarer irrecevable la présente action ;

- de juger que l'action de [C] [W] est irrecevable car il n'a pas de droit à agir à l'encontre des concluants ;

- à titre incident, de constater que la présente action est abusive ;

- en conséquence, de condamner les appelants chacun à payer la somme de 10.000 euros à titre d'amende civile pour procédure abusive en première instance chacun aux concluants ;

- de condamner les appelants chacun à payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive en première instance chacun aux concluants ;

- de condamner les appelants chacun à payer la somme de 10.000 euros à titre d'amende civile pour procédure abusive en appel chacun aux concluants ;

- en tout état de cause, de condamner les appelants chacun à payer aux concluants chacun la somme de 15.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

[V] et [D] [E] indiquent :

17. - concernant la rectification de l'ordonnance déférée, qu'elle ne précise pas si la somme allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile l'est à chacun des concluants, de sorte qu'il convient de la rectifier en précisant que les appelants sont condamnés à la payer à chacun des intimés ;

18. - concernant la compétence du juge des référés, que le litige porte sur une prétendue méconnaissance des règles professionnelles en matière de communication avec le public, et sur l'application de la charte relative à la création d'un site internet par un infirmier dépendant du conseil national de l'ordre des infirmiers ; que l'affaire relève ainsi d'abord de la compétence du conseil de l'ordre Auvergne Rhône-Alpes, qui a pour mission d'établir et de diffuser les règles de bonne pratique et d'assurer une mission de conciliation en cas de litige entre professionnels ; que peu importe que les appelants ne sollicitent pas de sanction disciplinaire ;

19. - s'agissant de la fin de non-recevoir tirée de l'absence de tentative préalable de conciliation, qu'il résulte de l'article R. 4312-25 du code de la santé publique qu'un infirmier en conflit avec son confère doit rechercher la conciliation, au besoin par l'intermédiaire du conseil départemental de l'ordre ; qu'il s'agit d'une obligation, alors que les appelants ont saisi directement le juge des référés ;

20. - que si les appelants indiquent que cette obligation peut éventuellement être une faute déontologique, mais qu'elle ne constitue pas une fin de non-recevoir, l'absence de conciliation constituant une faute déontologique constitue nécessairement une fin de non-recevoir ; qu'il s'agit en outre d'une obligation imposée par le code de la santé publique ;

21. - concernant l'absence d'intérêt à agir de [C] [W], que ce dernier ne dispose pas d'un site internet ; que le seul fait qu'il exerce également la profession d'infirmier ne lui confère pas le droit d'agir, ne pouvant représenter cette profession, alors qu'il agit à titre individuel ;

22. - concernant le bien fondé de la demande des appelants, que la charte relative à la création de sites internet par les infirmiers a été modifiée par décret publié le 22 décembre 2020 ; que ce décret ne recommande plus que l'appellation d'un site internet corresponde à l'identité de l'infirmier, la seule prohibition étant l'utilisation d'un pseudonyme ; qu'il ne contient aucune recommandation concernant la rédaction du nom de domaine ; que les sites des concluants ne contreviennent pas aux règles et recommandations précitées ;

23. - s'agissant de [D] [E], que son nom apparaît dans l'adresse URL de son site, et son identité en première page ; que lorsque le mot clef « infirmier [Localité 3] » est recherché sur un moteur de recherche, son identité complète apparaît ;

24. - s'agissant de [V] [E], que le terme « SBC » fait effectivement référence au nom de la maison de santé de [Localité 11] centre, dont il dépend ; qu'il s'agit d'un acronyme et non d'un pseudonyme, ce qui n'est ni interdit ni déloyal ; que l'objectif est de faire référence à ce quartier et non à la société dont il est associé et qui a un autre intitulé; que son identité apparaît sur la première page du site ; que l'utilisation du terme « infirmière » est sans effet, alors que deux infirmières pratiquent au sein du cabinet ;

25. - que si les appelants indiquent que l'ordre n'admet qu'un nom de domaine constitué des nom et prénoms de l'infirmier, suivi ou précédé de cette qualité, cette règle n'existe pas ;

26. - qu'il n'existe ainsi aucun trouble manifestement illicite ; que si les appelants invoquent une concurrence déloyale, une recherche avec les mots clefs permet d'obtenir tous les sites des infirmiers de la ville, qui ne sont que quatre ; que les appelants ont ainsi 50 % de chance d'être référencés en premier ; que les concluants n'apparaissent pas systématiquement en premier alors qu'une recherche a permis de constaté que [Z] [G] est apparue en tête; que le résultat des recherches varie chaque jour ; qu'il n'existe aucune rupture d'égalité ;

27. - que les appelants confondent site internet et référencement par le moteur de recherche, lequel tient compte de la construction du site et des mots clefs ; que si les cabinets des concluants apparaissent parfois en premier, c'est en raison d'une probable meilleure construction de leur site ;

28. - que le constat produit par les appelants n'est pas probant en raison des mots clefs utilisés, concernant « maison de santé [Localité 3] », « cabinet médical [Localité 3] », puisque cela ne correspond pas à une recherche concernant un infirmier ; que les mots « soins infirmiers [Localité 3] » sont génériques et naturellement utilisés ; qu'il n'en résulte pas une captation de clientèle ; que les attestations produites par les appelants affirmant qu'il n'est pas possible de trouver les coordonnées de [Z] [G] sont contredites par une recherche effectuée sur un moteur de recherche ;

29. - que la présente procédure s'inscrit dans un cadre conflictuel perdurant depuis plusieurs années avec [Z] [G], faisant suite à un partage de clientèle avec [D] [E] avec laquelle elle était associée ; que les appelants ont fait l'objet de sanctions disciplinaires qu'ils n'ont pas exécutées ; que cette action ne vise qu'à déstabiliser les concluants et a des répercussions sur la santé de madame [E] ; que ces faits justifient une condamnation au paiement d'une amende civile ainsi qu'à des dommages et intérêts.

*****

30. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

1) Sur la demande de rectification d'erreur matérielle formée par les intimés :

31. Il résulte du dispositif de l'ordonnance entreprise que le juge des référés a condamné les appelants à payer à [V] et [D] [E] la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code civil. Aucun élément ne permet de constater que le juge aurait commis une erreur matérielle, cette disposition étant conforme à la motivation de sa décision sur ce point. Il s'agit d'une condamnation globale au profit des deux intimés, et non d'une somme accordée à chacun d'entre eux. Cette demande ne peut qu'être rejetée.

2) Sur la compétence du juge des référés au regard de la nature du litige et l'absence de tentative de conciliation préalable :

32. Selon l'ordonnance déférée, si les défendeurs soutiennent que le juge des référés serait incompétent au motif que la présente procédure relèverait de la compétence du conseil de l'ordre des infirmiers d'Auvergne Rhône-Alpes, cet argument est parfaitement inopérant dans la mesure où l'action portée devant le juge des référés est fondée sur l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile et donc sur le trouble manifestement illicite en raison d'une violation d'une règle de droit et d'une concurrence déloyale pour laquelle seul le juge des référés est compétent.

33. Quant à l'obligation de tentative de conciliation prévue par l'article R4312-25 du code de la santé publique, le premier juge a dit qu'elle n'impose pas à peine d'irrecevabilité de l'action en justice le respect préalable de cette simple obligation déontologique dont la sanction relève des instances compétentes de l'ordre et ne saurait priver les demandeurs du droit de saisir les juridictions judiciaires compétentes.

34. La cour indique, sur le premier point, qu'aucune disposition du code de la santé publique ne déroge aux principes régissant la compétence du juge des référés, notamment en matière de trouble manifestement illicite. Il n'y a pas lieu en compétence de déclarer la juridiction des référés incompétente et de renvoyer les parties devant le Conseil de l'Ordre des infirmiers.

35. Concernant ensuite l'absence d'une tentative préalable de conciliation, il résulte des articles R. 4123-18 et suivants du code de la santé publique qu'aucune saisine préalable de la commission de conciliation n'est imposée. Ces articles sont applicables aux infirmiers par renvoi de l'article R. 4311-83. Les articles R. 4312-1 et suivants valant code de déontologie ne prévoient aucun recours à une conciliation préalable. Si l'article R. 4312-25 du code de la santé publique dispose qu'un infirmier en conflit avec un confrère doit rechercher la conciliation, au besoin par l'intermédiaire du conseil départemental de l'ordre, le premier juge a exactement retenu qu'il n'impose pas à peine d'irrecevabilité de l'action en justice le respect préalable de cette simple obligation déontologique dont la sanction relève des instances compétentes de l'ordre et ne saurait priver les demandeurs du droit de saisir les juridictions judiciaires compétentes.

36. En outre, comme justifié par les appelants, les parties sont en conflit depuis plusieurs années, et une tentative de conciliation serait vouée manifestement à l'échec. Du reste, une tentative de conciliation est intervenue antérieurement dans un litige opposant [Z] [G] à [D] [E], et un procès-verbal du conseil de l'ordre du 26 février 2018 a constaté une absence de conciliation. Cette fin de non-recevoir ne peut pas plus prospérer.

3) Sur l'intérêt à agir de monsieur [W] :

37. Selon le premier juge, le fait que [C] [W] ne dispose pas d'un site Internet ne le prive pas d'un intérêt à agir, l'action sur le fondement d'un trouble manifestement illicite et donc d'une violation d'une règle de droit entraînant une concurrence déloyale le concernant également puisqu'il exerce la profession d'infirmier tout comme [Z] [G] et les défendeurs. Dès lors, il justifie d'un intérêt à agir.

38. La cour ne peut qu'approuver ces motifs, d'autant qu'il est justifié par les appelants, par une consultation du moteur de recherche Google concernant [C] [W], qu'il est bien référencé sur plusieurs sites (linkedin, Ameli, [H] etc). Il en résulte que la cour ne peut que confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré recevable l'action des appelants.

4) Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite :

39. Pour le juge des référés, le trouble manifestement illicite est défini comme toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.

40. En l'espèce, le premier juge a indiqué que l'article R. 4212-50 du code de la santé publique prévoit que « l'infirmier ne peut utiliser ni un logo, ni un nom de fantaisie dans la présentation de son activité sur son site internet. Ainsi, l'appellation du site Internet doit correspondre à l'identité de l'infirmier ». Il a énoncé que l'article R. 4312-69 du code de la santé publique dispose que « les seules indications que l'infirmier est autorisé à diffuser par voie d'annuaire ou de tout autre support accessible au public, notamment sur un site Internet, sont ses nom, prénoms, adresse professionnelle, numéros de téléphone, de télécopie, adresse électronique professionnelle, titre de formation, lui permettant d'exercer sa profession, horaires de permanence, à l'exclusion des coordonnées personnelles ». Il a ajouté que selon l'article R 4312-76 du code de la santé publique, la profession d'infirmier ne doit pas être pratiquée comme un commerce et que sont interdits tous procédés directs ou indirects de réclame ou de publicité et notamment une signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale, alors que l'article R. 4312-50 du code de la santé publique dispose qu'il est interdit d'exercer la profession d'infirmier sous un pseudonyme, et quel que soit le moyen de communication utilisé, d'arguer de sa qualité de professionnel sans dévoiler son identité.

41. Pour le juge des référés, il n'est pas contesté que les défendeurs utilisent un nom de domaine pour accéder à leur site Internet intitulés comme suit: « www.[07].fr » pour [D] [E] et « i[010].fr » pour [V] [E]. Il résulte des pièces versées aux débats que les sites Internet de [V] et [D] [E] font apparaître sur la première page de leur site leur identité complète conformément aux prescriptions des articles R. 4312-50, R. 4312-69 et R. 4212-50 du code de la santé publique et en aucun cas des pseudonymes. En effet, les demandeurs font une confusion entre l'adresse URL du site Internet et le site Internet lui-même, les articles du code de la santé publique précités ne faisant référence qu'au second. Dès lors, il n'est pas démontré une violation manifeste de la règle de droit. Surabondamment, les termes utilisés par [V] et [D] [E] dans l'adresse URL de leur site Internet ne sont pas des pseudonymes puisqu'ils correspondent au prénom de [D] [E] et à la maison de santé de [Localité 11] centre dont dépend [V] [E]. Enfin, la recommandation faite par la charte de déontologie à destination des infirmiers sur les appellations à

Utiliser ne peut être considérée comme une règle de droit ni d'ailleurs comme une règle déontologique, qui pour cette dernière ne relèverait d'ailleurs pas de la compétence du juge des référés mais du conseil de l'ordre.

42. Selon l'ordonnance entreprise, sur la concurrence déloyale et la violation de l'article R. 4312-76 du code de la santé publique, le nom des domaines utilisés par les défendeurs ne sont pas génériques et le constat du 10 janvier 2023 et les captures d'écran produites aux débats sont contredites par les captures d'écran produites par les défendeurs et ne permettent donc pas de démontrer que les époux [E] capteraient ainsi indûment des contacts qui retrouveraient systématiquement les sites des défendeurs en usant les mots-clés « infirmière » et «[Localité 3] » et donc l'existence d'une concurrence déloyale.

43. Le premier juge en a retiré que [C] [W] et [Z] [G] ne rapportent donc pas la preuve d'un trouble manifestement illicite.

44. La cour relève que la charte du conseil de l'ordre des infirmiers relative à la création de sites internet, mise à jour le 18 octobre 2017, a prévu que les obligations ne concernent que le contenu du site créé lui-même, mais que l'appellation du site doit correspondre à l'identité de l'infirmier. Il a ainsi été suggéré de prendre une appellation mentionnant les nom et prénoms, suivis ou précédés de la mention « infirmier ». Pour les sociétés, il a été recommandé d'utiliser la dénomination sociale suivie du même terme. Les recommandations établies par le conseil de l'ordre, suite au décret du 22 décembre 2020, concernant les recommandations aux infirmiers en matière d'information et de publicité, prévoient désormais que seul le référencement payant sur un site de recherche est interdit. Il n'est formulé d'obligations que concernant le site lui-même et non son intitulé, à la différence de la charte de 2017.

45. La cour en retire pour conséquence que comme justement indiqué par le premier juge, les intimés font une confusion entre l'adresse URL du site Internet et le site Internet lui-même, les articles du code de la santé publique précités et les recommandations du Conseil de l'Ordre de 2020 ne faisant référence qu'au second. Dès lors, il n'est pas démontré une violation manifeste de la règle de droit concernant les noms de domaine utilisés par les intimés, même si la cour constate, à la différence du premier juge, que des règles déontologiques obligent les personnes relevant de leur périmètre.

46. En outre, si les appelants produisent des attestations concernant l'impossibilité de trouver le site de [Z] [G], et un constat du 10 janvier 2023 selon lequel l'huissier a procédé à des recherches en utilisant comme mots clef « infirmière, [Localité 3], cabinet infirmier [Localité 3], maison de santé [Localité 3], centre médical [Localité 3], soins infirmiers [Localité 3] », et que ces recherches ont abouti à chaque fois sur les sites internet des intimés, ils produisent également le résultat d'une recherche Google faisant apparaître madame [G], bien qu'en seconde page. En outre, les intimés produisent le résultat de recherches effectuées sur Google le 17 mai 2023, à partir des mots « infirmière [Localité 3] », lesquelles font apparaître que [Z] [G] apparaît en tête de la liste. D'autres recherches effectuées à partir du même moteur, sur les mots « [Z] [G] », sont positives, et indiquent ses coordonnées sur divers autres sites. La cour en retire que l'utilisation des noms de domaine contestés n'a pas pour effet de faire disparaître cette appelante de tout résultat de recherche.

47. Il en résulte, sans qu'il soit nécessaire de plus amplement statuer, que la preuve d'un trouble manifestement illicite résultant d'une pratique sinon interdite, du moins déloyale, n'est pas rapportée par les appelants au sens de l'article 835 du code de procédure civile. L'ordonnance déférée sera ainsi confirmée en ce que le juge a dit n'y avoir lieu à référé.

5) Sur la demande reconventionnelle des intimés :

48. Le juge des référés a débouté [V] et [D] [E] de leur demande d'amende civile et de dommages et intérêts pour procédure abusive, au motif que l'intention de nuire n'est pas démontrée et que la présente procédure n'apparaît pas manifestement vouée à l'échec. La cour ne peut qu'approuver cette motivation. En conséquence, l'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté cette prétention.

49. Succombant en leur appel, madame [G] et monsieur [W] seront condamnés in solidum à payer à [D] et [V] [E], ensemble, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles 32-1, 122, 834 et 835, 954 du code de procédure civile, les articles L. 4312-1 et suivants, R. 4123-18 et suivants, R. 4311-83, R. 4312-1 et suivants valant code de déontologie, R. 4312-25, R. 4312-50, R. 4312-69 et R. 4312-76 du code de la santé publique ;

Déboute [V] et [D] [E] de leur demande de rectification de l'ordonnance entreprise pour erreur matérielle ;

Confirme l'ordonnance déférée en ses dispositions soumises à la cour ;

y ajoutant ;

Condamne in solidum [Z] [G] et [C] [W] à payer à [D] et [V] [E], ensemble, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum [Z] [G] et [C] [W] aux dépens exposés en cause d'appel ;