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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 6 mai 2024, n° 21/06654

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Quartz Properties (SAS)

Défendeur :

Dehoux (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Goumilloux, Mme Masson

Avocats :

Me Leroy-Maubaret, Me Maubaret, Me Lief

TJ Bergerac, 1re ch. civ., du 16 nov. 20…

16 novembre 2021

EXPOSE DU LITIGE

Par sous seing privé du 12 mars 2009 et avenant du 27 juillet 2009, la société Quartz Properties a donné à bail commercial à la société Dehoux, qui exerce une activité de bijouterie, un local de 224 m² dépendant de la galerie marchande du centre commercial situé à [Localité 3] (24), pour une durée de 12 années à compter du 4 mai 2009 et un loyer annuel de 71 680 euros HT et HC.

Par acte d'huissier de justice du 30 mai 2018, la société Dehoux a sollicité sur le fondement des dispositions par l'article L145-38 du code de commerce la révision du loyer à une valeur locative revendiquée à une somme annuelle HT et HC de 49 000 euros, valeur inférieure au loyer réglé.

Par décision du 16 avril 2019, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bergerac a ordonné le 16 avril 2019 une expertise judiciaire. L'expert a déposé son rapport le 7 mai 2020.

Par décision 16 novembre 2021, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bergerac a :

- jugé n'y avoir lieu à faire droit à la demande de communication de pièces formulées par la société Dehoux,

- jugé que la modification matérielle des facteurs locaux de commercialité a entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative du local exploité par la société Dehoux,

- fixé le montant du loyer annuel révisé à la somme de 51 000 euros HT et HC,

- condamné la société Quartz Properties au paiement de la somme de 4000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise mais non le constat d'huissier du 17 août 2018 non produit aux débats,

- débouté la société Dehoux de sa demande d'exécution provisoire,

- débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.

Pour statuer comme il l'a fait, le premier juge a retenu une modification des facteurs locaux de commercialité résultant du changement d'enseigne du supermarché et du départ de nombreux locataires sur la période de référence.

La société Quartz Properties a formé appel par acte du 6 décembre 2021.

L'affaire a été clôturée par ordonnance du 19 octobre 2023 et fixée à l'audience collégiale du 4 mars 2024.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 mars 2022, la société Quartz Properties demande à la cour :

vu notamment l'article L145-38 du code de commerce,

- réformer en toutes ses dispositions la décision rendue le 16 novembre 2021 par le Juge des loyers commerciaux près le tribunal judiciaire de Bergerac,

- débouter la société Dehoux de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner la société Dehoux au paiement d'une indemnité de 4 000 euros sur le fondement des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile, outre entiers dépens qui comprendront notamment les frais d'expertise judiciaire.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 juin 2022, la société Dehoux demande à la cour :

- confirmer le chef du jugement ayant retenu une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative ;

subsidiairement, dans l'éventualité dans laquelle la Cour s'estimerait insuffisamment éclairée sur la modification matérielle des facteurs locaux de commercialité sur la période de référence,

- réformer la décision du Juge des loyers en ce que celui-ci a écarté la demande de communication de pièces formée par la SAS Dehoux et, sur le fondement de l'article 11 alinéa 2 du Code de procédure civile, ordonner à la SAS Quartz Properties d'une part, aux preneurs présents dans la galerie depuis l'origine d'autre part, de communiquer le prévisionnel d'exploitation de la galerie indiquant le taux d'occupation prévisionnel de celle-ci ;

- réformer le chef du jugement ayant fixé le montant du loyer annuel révisé à la somme de 51.000 euros HT et hors-charges ;

- réformer le chef du jugement ayant rejeté la demande de communication de pièces relatives à la détermination de la valeur locative ;

statuant à nouveau,

- ordonner au bailleur de communiquer au preneur les baux (conditions générales et particulières) et avenants aux baux de tous les commerces de la galerie marchande, en vigueur à la date de la demande de révision du loyer, ainsi que dernières factures de loyer à cette même date, et en sus pour les baux assortis d'une clause-recettes, les factures de loyer faisant ressortir d'une part le loyer de base, d'autre part le loyer variable ;

- fixer le montant du loyer révisé hors-taxes et hors-charges, à compter du 30 mai 2018, à la somme de :

- 40 000 euros à titre principal,

- 49 000 euros à titre subsidiaire,

- 51 000 euros à titre très subsidiaire ;

- en tout état de cause, condamner la société Quartz Properties à payer à la SAS Dehoux une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance d'appel.

Il conviendra de se reporter aux dernières écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et de leurs prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'appel principal

1- Aux termes de l'article L 145-38 du code de commerce dans sa version applicable à ce litige, la demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé.

De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable.

Par dérogation aux dispositions de l'article L. 145-33, et à moins que ne soit rapportée la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel du coût de la construction ou, s'il est applicable, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux mentionné au premier alinéa de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer.

En aucun cas il n'est tenu compte, pour le calcul de la valeur locative, des investissements du preneur ni des plus ou moins-values résultant de sa gestion pendant la durée du bail en cours.

2- Aux termes de l'article R 145-6 du code de commerce, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.

3- L'appelant ( le bailleur) soutient que les conditions de l'article L 145-38 du code de commerce ne sont pas réunies. En effet, il n'est pas démontré l'existence d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité car :

- le changement d'enseigne du supermarché est indifférent,

- l'installation d'une boulangerie sous l'enseigne Marie Blacherie en lieu et place d'une activité de bar qu'elle exploite pour partie ne s'analyse pas en une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité,

- il est soutenu à tort que le nombre de boutiques exploitées a diminué pendant la période de référence.

Par ailleurs, s'il devait être retenu l'existence d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, il n'est pas démontré que celle-ci a entrainé une variation de plus de 10% de la valeur locative.

4- L'intimé ( le preneur) soutient que le premier juge a, à juste titre , retenu une modification des facteurs locaux de commercialité caractérisée en l'espèce par le départ de nombreux locataires de la galerie marchande, laissant celle-ci en grande partie inoccupée, cette situation étant imputable notamment au changement d'enseigne de l'hypermarché dans la galerie commerçante. Le preneur rappelle qu'il s'est installé dans la galerie dès l'ouverture de celle-ci, et que la galerie avait vocation à être intégralement occupée. L'expert a par ailleurs constaté une baisse de la valeur locative de 30%.

Sur ce :

5- L'expert a conclu à une modification des facteurs locaux de commercialité résultant du remplacement de l'enseigne Carrefour par l'enseigne Intermarché, l'ancienne enseigne présentant une offre non alimentaire plus importante, et de l'installation d'une boulangerie, après modification des lieux, à la place d'un bar. Le locataire argue en outre du nombre important de commerces de la galerie commerçante qui aurait fermé pendant la période de référence.

6- Pour que l'évolution des facteurs locaux soit retenue, il faut qu'il y ait eu un changement concret des éléments qui constituent la commercialité de l'emplacement (installation ou suppression d'un arrêt d'autobus, réalisation d'une voie piétonne, constructions d'habitations'), et non une simple évolution naturelle des choses. Par exemple, la hausse ou la baisse de fréquentation d'un quartier déjà commerçant ne pourra être retenue si elle ne s'explique pas par un changement matériel dans le quartier ou la modification de l'environnement commercial du voisinage.

7- En l'espèce, l'hypermarché n'a pas subi de modification matérielle mais uniquement un changement d'enseigne sans modification de l'activité.

8- En tout état de cause, il n'est nullement démontré, par la seule production d'un article de presse, que cette modification de l'enseigne a eu une incidence défavorable sur l'activité de bijouterie du locataire et a entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative.

9- S'agissant du remplacement du bar par la boulangerie après la réalisation de travaux, même à considérer qu'il s'agisse effectivement d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, il n'est pas démontré que le remplacement d'un bar par une boulangerie disposant d'une terrasse et d'un espace restauration a eu un impact défavorable sur l'activité de bijouterie du locataire.

10- Le locataire soutient en revanche à raison que la fermeture de nombreux commerces au sein d'une galerie commerçante s'analyse en une modification matérielle des facteurs de commercialité au sens de l'article R 145-6 du code de commerce.

11- Cependant, s'il est démontré qu'un certain nombre de boutiques ont fermé pendant la période de référence, elles ont été remplacées par d'autres enseignes, le taux d'occupation des boutiques apparaissant stable sur la période ( 10 boutiques lors de la prise d'effet du bail à l'ouverture immédiate du centre commercial au 18 mai 2009, 16 à la fin de l'année 2009, et 18 à la date de révision du loyer par la locataire, étant relevé que le nombre maximal de boutiques louées a été sur la période de 21 sur 28 boutiques).

12- Il apparait ainsi que la galerie du centre commercial a toujours connu un taux anormalement important de vacances de ses boutiques, de sorte que celui-ci ne peut être considéré comme une modification matérielle des facteurs de commercialité au sens de l'article R 145-6 du code de commerce, au moins sur la période de référence.

13- Le fait que le locataire ait pu escompter lors de la prise à bail des locaux une occupation maximale du site ne peut fonder sa demande en révision du loyer à la baisse.

14- Il convient dès lors d'infirmer la décision de première instance et de débouter la société Dehoux de sa demande visant à voir fixer à la baisse le montant du loyer et de sa demande de production de pièces.

15- La société Dehoux qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et de première instance qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire.

16- Elle sera condamnée à verser la somme de 2000 euros à la société Quartz Properties.

PAR CES MOTIFS

La cour

statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,

Infirme la décision du tribunal judiciaire de Bergerac du 16 novembre 2021,

et statuant à nouveau

Déboute la société Dehoux de sa demande de révision du loyer,

Déboute la société Dehoux de sa demande de production de pièces,

y ajoutant,

Condamne la société Dehoux aux dépens d'appel et de première instance qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire.

Condamne la société Dehoux à verser la somme de 2000 euros à la société Quartz Properties.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.