CA Orléans, ch. com. économique et financière, 25 janvier 2024, n° 21/02433
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sica Axereal Bio (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chegaray
Conseillers :
Mme Chenot, M. Desforges
Avocats :
Me Woloch, Me Da Costa
Exposé du litige
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :
Dans le cadre de son activité d'agriculteur, M. [D] [F] a acheté 10 quintaux de semences de pois chiches à la société Axereal Bio au mois de février 2019, pour un montant de 1836 euros HT.
Constatant une mauvaise levée du semis, M. [D] [F] a actionné son assureur la société Groupama, laquelle a missionné M. [E] [J], expert foncier et agricole. Au cours de ses opérations réalisées le 6 juin 2019 en présence de M. [D] [F] et d'un technicien de la société Axereal Bio, l'expert a prélevé un échantillon d'un reste de semences de pois chiches et l'a adressé pour analyse au laboratoire Labosem. Sur deux essais réalisés, le laboratoire a constaté des germinations
de 17 et 48 %, inférieures au taux minimum garanti de 75 % prévu par la règlementation.
Compte tenu des conclusions de son expert imputant le défaut de germination à la société Axereal Bio et chiffrant le préjudice subi par M. [F] à la somme de 4.367,58 euros HT, la société Groupama a sollicité le paiement de cette somme auprès de la société Axereal Bio, ce que celle-ci a refusé, estimant que sa responsabilité n'était pas engagée et sollicitant en retour le règlement de sa facture restée en souffrance.
Par acte d'huissier de justice du 6 août 2020, M. [D] [F] a fait assigner la société Axereal Bio devant le tribunal de commerce d'Orléans en indemnisation de son préjudice.
Par jugement du 26 août 2021, le tribunal de commerce d'Orléans a :
- dit que les produits vendus par la SA Axereal Bio à M. [D] [F] n'étaient pas conformes,
- condamné la SA Axereal Bio à payer à M. [D] [F] la somme de 4.367,58 euros HT,
- débouté M. [D] [F] de sa demande de dommages et intérêts,
- débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,
- condamné la SA Axereal Bio à verser à M. [D] [F] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SA Axereal Bio aux entiers dépens, y compris les frais de greffe liquidés à la somme de 64,68 euros.
La société Axereal Bio a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 14 septembre 2021 en critiquant expressément tous les chefs du jugement lui faisant grief.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2022, la société Axereal Bio demande à la cour de :
Vu les articles 6 et 9 du code de procédure civile,
Vu les articles 1103 et 1315 du code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu le jugement du tribunal de commerce d'Orléans du 26 août 2021 (RG N°2020002963),
- déclarer la société Axereal Bio recevable et bien fondée en son appel,
Et y faisant droit,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
' dit que les produits vendus par la SA Axereal Bio à M. [D] [F] n'étaient pas conformes,
' condamné la SA Axereal Bio à payer à M. [D] [F] la somme de 4.367,58 euros HT,
' débouté la société Axereal Bio de ses demandes ou à tout le moins avoir omis de statuer sur celle-ci à savoir notamment :
« Déclarer irrecevables ou à tout le moins mal fondées les demandes fins et conclusions de M. [D] [F] et l'en débouter,
Condamner, à titre reconventionnel, M. [D] [F] à payer et porter à Axereal Bio une somme de 2.517,35 euros au titre des factures impayées outre intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2020,
Condamner M. [D] [F] à payer et porter à Axereal Bio une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance»,
' condamné la SA Axereal Bio à verser à M. [D] [F] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamné la SA Axereal Bio aux entiers dépens, y compris les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 64,68 euros,
Et statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées,
- déclarer irrecevables ou à tout le moins mal fondées les demandes, fins et conclusions de M. [D] [F] et l'en débouter,
Et ajoutant au jugement déféré,
- condamner à titre reconventionnel, M. [D] [F] à payer à la société Axereal Bio la somme de 2.517,35 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2020 jusqu'au jour du complet et parfait paiement,
- ordonner la capitalisation annuelle des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
- ordonner la compensation entre le montant de la condamnation de M. [D] [F] et celui de l'éventuelle condamnation qui serait prononcée à l'encontre de la société Axereal Bio,
- condamner M. [D] [F] à payer à la société Axereal Bio la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [D] [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [D] [F] demande à la cour par dernières conclusions notifiées le 22 mars 2022 de :
Vu le jugement du tribunal de commerce d'Orléans du 26 août 2021,
Vu les articles 1604 et suivants, 1625 et 1641 et suivants du code civil,
- déclarer l'appel principal de la SAS Axereal Bio recevable mais mal fondé et le rejeter,
En revanche,
- déclarer recevable et fondé l'appel incident formé par M. [F],
En conséquence,
- déclarer que les semences litigieuses vendues par la SAS Axereal Bio étaient affectées d'un vice caché,
- condamner en restitution du prix et réparation du préjudice subi, la SAS Axereal à payer à M. [F] la somme de 7.367,58 euros avec intérêts de retard à compter de l'assignation du 6 août 2020 sur la somme de 4.367,58 euros et à compter de l'arrêt à intervenir pour le surplus,
Statuant sur l'omission de statuer,
- fixer la créance de la SAS Axereal Bio sur M. [F] à la somme de 2.019,60 euros avec intérêts de retard à compter de l'arrêt à intervenir,
Vu les articles 1347 et suivants du code civil,
- ordonner la compensation entre les créances réciproques des parties,
- condamner la SAS Axereal Bio à régler le solde restant dû, soit la somme en principal de 5.347,98 euros à M. [F], outre les intérêts de retard,
- confirmer le jugement pour le surplus,
- condamner la SAS Axereal Bio à payer à M. [F] une somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Axereal Bio aux entiers dépens d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 2 novembre 2023. L'affaire a été plaidée le 23 novembre suivant et mise en délibéré à ce jour.
Motivation
MOTIFS :
Sur la demande principale au titre de la garantie des vices cachés :
Suivant l'article 1641 du code civil, « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ».
S'il résulte de l'article 16 du code de procédure civile que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, au cas présent M. [D] [F] se prévaut d'une part du constat d'une mauvaise levée du semi opéré contradictoirement sur site lors de l'expertise diligentée par son assureur, et d'autre part de l'analyse de l'échantillon de semences effectuée par un laboratoire spécialisé. Sa demande ne s'appuie donc pas sur les seuls travaux de l'expert de son assureur.
De son côté, la société Axereal Bio ne nie pas avoir été convoquée à la réunion d'expertise fixée au 6 juin 2019 par courrier recommandé du 15 mai 2019 et y avoir envoyé son technicien M. [Y], lequel a donc pu librement exposer son point de vue. L'affirmation de l'expert suivant laquelle les parties se sont accordées pour constater un défaut de germination n'a pas été démentie par l'appelante, que ce soit au jour de la réunion, par la voix de son technicien, ou ultérieurement par la chef de service de celui-ci, interlocutrice de M. [D] [F] au cours des mois précédents et à qui l'expert indique avoir vainement écrit avant la remise de son rapport.
M. [Y] n'a pas formulé davantage de critiques sur les modalités de prélèvement de l'échantillon envoyé au laboratoire ni sur les conditions de stockage des semences, l'expert ayant précisé dans son rapport que ce prélèvement avait été fait contradictoirement et clos devant chacune des parties.
Les termes du courrier de la société Axereal Bio en date du 1er avril 2020 confirment que celle-ci a bien eu connaissance à la fois des constats de l'expert et des résultats du laboratoire, lesquels ont été adressés dès le 24 juin 2019 à l'ensemble des parties.
Pour autant l'appelante n'a formulé aucune objection pendant 11 mois, ne remettant en cause l'ensemble des opérations qu'en réponse à une demande de paiement de la société Groupama.
Si la société Axereal Bio questionne aujourd'hui les conditions de stockage de l'échantillon avant comme après le semi, outre que son technicien n'a fait aucun commentaire sur la qualité de celui-ci ni sur les modalités de son prélèvement par l'expert ou encore sur les conditions de stockage des semences, à savoir suivant l'expert dans un sac rangé dans un bâtiment, les pièces montrent que ledit prélèvement, clos
devant les parties, a été expédié le jour même et réceptionné dès le lendemain par le laboratoire Labosem, lequel n'a émis aucun commentaire quant à la qualité extérieure de cet échantillon.
L'appelante prétend encore que la méthode utilisée par le laboratoire d'analyse ne respecte pas les procédures de l'ISTA (International Seed Testing Association), et fait par ailleurs valoir qu'une analyse effectuée par le SOC (Service Officiel de Contrôle et de certification) sur les semences à l'ensachage démontrerait que le taux de germinations desdites semences était conforme à la réglementation.
Force est d'observer sur ces deux derniers points :
- que la présentation par la société Labosem de ses méthodes d'analyse confirme que celle-ci travaille bien suivant les procédures établies par l'ISTA (pièce 8 M. [D] [F]),
- que nulle analyse du SOC ne figure parmi les pièces versées aux débats par la société Axereal Bio.
Les conclusions du laboratoire Labosem constituent dans ces conditions un élément suffisamment probant. Or elles sont sans appel quant à la mauvaise qualité des semences vendues par la société Axereal Bio à M. [D] [F], en ce que l'analyse en susbtrat terreau et en substrat sable révèle des facultés de germination respectives de 48 % et 17 %, bien inférieures au seuil de 75 % prévu par la réglementation selon les indications de l'expert reprises par les parties.
En définitive, au regard d'une part du constat effectué sur site par l'expert privé en présence des deux parties, d'autre part des conclusions du laboratoire d'analyse soumises à la discussion de ces dernières, il apparaît suffisamment et contradictoirement démontré que les semences litigieuses sont affectées d'un défaut de germination, lequel défaut est constitutif du vice caché défini par l'article 1641 précité. La venderesse se trouve par conséquent tenue de le garantir.
L'article 1645 du code civil dispose que « si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ».
En sa qualité de vendeur professionnel, la société Axereal Bio était tenue de connaître le vice affectant les semences livrées et doit donc, outre la restitution du prix de vente, répondre des préjudices subis par M. [D] [F] en lien avec ce défaut.
Toutefois, ce dernier se borne à se référer au montant évalué par l'expert de son assureur qui retient, outre le coût des semences de pois chiches, des frais d'analyse du laboratoire, des frais supplémentaires pour la mise en place de sarrasin ainsi qu'une perte de marge entre le pois chiche et le sarrasin pour un montant total de 4367 euros HT. Alors qu'aucune annexe n'accompagne le rapport versé au débat, l'appelant ne produit de son côté aucun document de nature à permettre à la cour d'apprécier la réalité et le quantum du préjudice ainsi chiffré.
Si M. [D] [F] alourdit par ailleurs le chiffrage de l'expert de 3000 euros, montant selon lui justifié par la « résistance abusive et disproportionnée par rapport à l'enjeu financier du différend », il ne caractérise pas de faute de la société Axereal Bio ayant fait dégénérer en abus le droit de celle-ci de se défendre.
En définitive, la société Axereal Bio sera donc condamnée, au titre de la garantie des vices cachés, à payer à M. [D] [F] la seule somme de 2020 euros correspondant à la restitution du prix de vente des semences de pois chiches (1836 euros HT, TVA de 10 %, soit 2020 euros TTC - facture pièce 6 Axereal Bio), avec intérêts au taux légal à compter du 6 août 2020, date de la demande en justice valant sommation.
Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.
Sur la demande reconventionnelle en paiement de factures :
Il est constant que M. [D] [F] n'a payé que partiellement les trois factures émises par la société Axereal Bio pour un montant total de 5349,49 euros, en réglant par chèque du 15 octobre 2019 une somme de 3329,89 euros (cf pièces 5 et 6 Axereal Bio).
L'intimé reste ainsi débiteur d'une somme de 2020 euros (5349 - 3329) au titre du reliquat de ces trois factures. Le surplus réclamé par l'appelante correspond à des agios dont celle-ci ne justifie pas du bien-fondé à défaut de produire des conditions générales de vente ou autre document contractuel. M. [D] [F] sera donc condamné au paiement de cette seule somme, avec intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2020, date de la mise en demeure de la société Axereal Bio.
La compensation entre les créances réciproque des parties, invoquée par chacune d'entre elles conformément à l'article 1347 du code civil, sera constatée.
Sur les demandes accessoires :
Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge.
La société Axereal Bio, qui succombe au principal, supportera la charge des dépens d'appel et sera condamnée à verser à M. [D] [F] la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
Infirme les dispositions critiquées de la décision entreprise, à l'exception de celles relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société Axereal Bio à payer à M. [D] [F] la somme de 2020 euros en restitution du prix de vente des semences de pois chiches au titre de la garantie des vices cachés, avec intérêts au taux légal à compter du 6 août 2020,
Déboute M. [D] [F] de ses prétentions indemnitaires,
Condamne M. [D] [F] à payer à la société Axereal Bio la somme de 2020 euros au titre du solde des factures impayées, avec intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2020,
Constate la compensation entre les créances réciproques des parties,
Condamne la société Axereal Bio à payer à M. [D] [F] une indemnité de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel,
Condamne la société Axereal Bio aux dépens d'appel.