Cass. com., 15 mai 2024, n° 22-23.616
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
EDF (SA)
Défendeur :
ANODE (Association), Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Le Masne de Chermont
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SARL Delvolvé et Trichet
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 novembre 2022), par une lettre du 24 septembre 2021, l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (l'ANODE) a saisi l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) de pratiques qui auraient été mises en œuvre par la société Electricité de France (la société EDF) sur le marché de la fourniture d'électricité aux petits clients non résidentiels. Sa saisine était assortie d'une demande de mesures conservatoires.
2. Par décision n° 22-D-03 du 18 janvier 2022 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la fourniture d'électricité aux petits clients non résidentiels, estimant que les faits invoqués n'étaient pas appuyés d'éléments suffisamment probants, l'Autorité a, sur le fondement de l'article L. 462-8, alinéa 2, du code de commerce, rejeté cette saisine ainsi que, par voie de conséquence, la demande de mesures conservatoires.
3. Cette décision a été notifiée à la société EDF.
4. Par déclaration du 9 mars 2022, l'ANODE a formé un recours contre ladite décision devant la cour d'appel de Paris.
5. La société EDF est intervenue volontairement à l'instance et a formulé une demande aux fins de protection du secret des affaires.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. La société EDF fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son intervention volontaire à l'instance de recours formé par l'ANODE contre la décision de l'Autorité et de dire, en conséquence, n'y avoir lieu à statuer sur la demande de cette société aux fins de protection du secret des affaires, devenue sans objet, alors :
« 1°/ qu'une personne mise en cause devant l'Autorité justifie d'un intérêt certain à ce que le recours formé par l'auteur de la saisine contre le rejet de sa saisine prononcé sur le fondement de l'article L. 462-8 du code de commerce, ne prospère pas ; qu'un renvoi devant l'Autorité lui ferait en lui-même grief et affecterait ses droits et charges ; que, la cour d'appel, en relevant que la décision attaquée n'était pas une décision sur le fond, l'Autorité ne s'étant pas prononcée sur l'existence des pratiques reprochées à la société EDF dans la saisine mais s'étant bornée à retenir, pour rejeter celle-ci, que les faits invoqués à son soutien n'étaient pas appuyés par des éléments suffisamment probants et qu'un renvoi devant l'Autorité, à supposer qu'il soit ordonné, ne présumait pas de la qualification des faits invoqués, d'une notification de griefs et d'une décision sur le fond disant établies les pratiques anticoncurrentielles reprochées, ou encore qu'il ne préjudiciait pas au droit de la société EDF de contester les arguments nouveaux, qui n'auraient pas été développés par l'ANODE dans sa saisine initiale, dans le cadre de la phase contradictoire qui pourrait être ouverte dans l'hypothèse où des griefs lui seraient notifiés aussi bien qu'à l'occasion d'un recours contre la décision éventuellement adoptée sur le fond, s'est fondée sur des circonstances impropres à écarter l'affectation des droits et charges de la société EDF par le recours de l'ANODE et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article R. 464-17 du code de commerce ;
2°/ que l'article R. 464-17 du code de commerce subordonne notamment la recevabilité de l'intervention à la condition que "le recours risque d'affecter les droits ou les charges" de la personne intervenante, ces deux critères étant alternatifs ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les charges de la société EDF étaient susceptibles d'être affectées par le recours de l'ANODE, la cour d'appel de Paris a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article R. 464-17 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir relevé que, par son recours contre la décision rejetant la saisine faute d'éléments suffisamment probants, l'ANODE ne formule aucune autre demande qu'un renvoi à l'Autorité pour instruction, l'arrêt retient que, à supposer le recours accueilli, un tel renvoi ne préjugera ni de la qualification des faits invoqués, ni d'une notification de griefs, ni d'une décision sur le fond disant établies les pratiques anticoncurrentielles reprochées à la société EDF.
8. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui, procédant à la recherche prétendument omise visée à la seconde branche, a exactement retenu que le recours de l'ANODE n'était pas de nature à affecter les droits et les charges de la société EDF, a légalement justifié sa décision.
Sur le premier moyen
Énoncé du moyen
9. La société EDF fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que toute personne visée par une saisine de l'Autorité, a fortiori lorsqu'elle a été entendue par cette dernière dans le cadre de l'instruction et qu'elle a eu accès à l'ensemble des pièces du dossier, doit être regardée comme une "partie en cause" au sens des dispositions de l'article R. 464-17 du code de commerce ; qu'en relevant que la personne mise en cause dans la saisine ne figurait pas parmi les destinataires d'une décision de rejet de la saisine pour défaut d'éléments suffisamment probants énumérés par l'article R. 464-8, I, 2° du code de commerce pour en déduire que la société EDF ne saurait être regardée comme ayant la qualité de partie en cause au sens de l'article R. 464-17 et était donc irrecevable à intervenir, la cour d'appel de Paris a réservé l'intervention volontaire aux seules personnes auxquelles l'Autorité doit notifier sa décision ; qu'en ajoutant ainsi aux textes légaux et réglementaires une condition de recevabilité de l'intervention qu'ils ne prévoient pas, la cour d'appel de Paris a violé les articles L. 464-8, R. 464-8 et R. 464-17 du code de commerce, ensemble les principes généraux tenant aux droits de la défense et aux exigences du contradictoire et d'un procès équitable, tels qu'ils sont constitutionnellement et conventionnellement garantis par les articles 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que toute personne visée par une saisine de l'Autorité, a fortiori lorsqu'elle a été entendue par cette dernière dans le cadre de l'instruction et qu'elle a eu accès à l'ensemble des pièces du dossier, doit être regardée comme une "partie en cause" au sens des dispositions de l'article R. 464-17 du code de commerce ; que cette qualité ne saurait dépendre des suites que l'Autorité entend donner à la saisine ; qu'en considérant, en l'occurrence, que la qualité de partie en cause de la société EDF ne saurait résulter de sa convocation devant le collège, de son accès au dossier et de la possibilité qui lui avait été offerte de présenter des observations, dans la mesure où le collège avait postérieurement considéré que la saisine n'était pas étayée d'éléments suffisamment probants, et l'avait rejetée sur le fondement de l'article L. 462-8 du code de commerce, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 464-8, R. 464-8 et R. 464-17 du code de commerce, ensemble les principes généraux tenant aux droits de la défense et aux exigences du contradictoire et d'un procès équitable, tels qu'ils sont constitutionnellement et conventionnellement garantis par les articles 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ que toutes les décisions de l'Autorité concernant une demande de mesures conservatoires – et non uniquement celles les prononçant – doivent être notifiées à l'auteur de la demande, aux personnes contre lesquelles la demande est dirigée et au commissaire du Gouvernement ; qu'en jugeant cependant que la décision de l'Autorité n'avait pas à être notifiée à la société EDF, dans la mesure où elle rejetait la saisine de l'ANODE sur le fondement de l'article L. 462-8 du code de commerce et rejetait par voie de conséquence sa demande accessoire de mesures conservatoires, la cour d'appel de Paris a violé les dispositions des articles L. 464-1, R. 464-8 et R. 464-17 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
10. Le rejet du second moyen rend inopérant le premier moyen qui critique un motif surabondant.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi