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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 7 mai 2024, n° 23/15300

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Green Family (SAS)

Défendeur :

Noo Corp (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chazalette

Conseillers :

Mme Blanc, Mme Georget

Avocats :

Me Ravion, Me Lesenechal, Me Ringeisen

TJ [Localité 5], du 17 août 2023, n° 202…

17 août 2023

Les sociétés Noo Corp et Green Family commercialisent toutes deux des couches pour bébé à usage unique, sous la marque Joone [Localité 5], pour la première et Love & Green pour la seconde. La société Noo Corp commercialise ses produits sur internet.

Par acte extrajudiciaire du 7 février 2023, la société Green Family a fait assigner la société Noo Corp devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris en lui demandant notamment de :

ordonner à la société Noo Corp, sous astreinte, de :

a) supprimer de son blog dénommé Joornal et plus généralement sur tous supports ou page internet qu'elle administre, l'article daté du 28 septembre 2022 intitulé « EXCLUSIF : La DGCCRF passe au crible 32 marques de couches pour bébé » ;

b) supprimer de son blog dénommé Joornal et plus généralement sur tous supports ou page internet qu'elle administre, l'article daté du 28 septembre 2022 intitulé « La couche JOONE classée numéro 1 en France par 60 Millions de consommateurs », ainsi que tout contenu qui serait publié en reprenant cette allégation, sans précision de l'année de cette étude ;

c) supprimer, dans tous messages et publications et sur tous supports, les allégations suivantes (i) « sans aucun produit nocif», (ii) « 0 % de produit nocif» et « 100 % clean», sauf circonstance nouvelle qui autoriserait Noo Corp à se prévaloir valablement de telles allégations ;

d) supprimer, dans tous messages et publications et sur tous supports, les allégations suivantes en relation avec sa gamme de couches Origine (i) « innovation mondiale », (ii) « fabriquée en France », sauf circonstance nouvelle qui autoriserait Noo Corp à se prévaloir valablement de telles allégations ;

e) supprimer, dans tous messages et publications et sur tous supports, l'allégation «créateur de transparence », sauf circonstance nouvelle qui autoriserait Noo Corp à se prévaloir valablement d'une telle allégation ;

cesser toute communication de quelque nature que ce soit reprenant les allégations mentionnées ci-dessus aux paragraphes (c), (d) et (e) ;

s'abstenir à l'avenir toute diffusion des articles datés du 28 septembre 2022 identifiés au (a) et (b), ainsi que des allégations visées au (c), (d) et (e) et toutes allégations similaires, sur tous réseaux sociaux, médias et supports, sauf circonstance nouvelle qui autoriserait Noo Corp à se prévaloir valablement de l'une ou l'autre de ces allégations ;

ordonner à la société Noo Corp, sous astreinte, de publier sur son site internet et sur les pages Joone Paris des réseaux sociaux Facebook et Instagram, pendant une période qui ne pourra être inférieure à 90 jours, un encart judiciaire stipulant : « Suivant ordonnance du ' le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a ordonné la cessation des pratiques commerciales déloyales et trompeuses de Noo Corp, commercialisant la marque Joone, en exigeant notamment la suppression des allégations commerciales suivantes : « innovation mondiale » et « fabriquée en France », en relation avec sa gamme Origine d'une part, et « 0 % de produit nocif», « sans produit nocif», « 100 % clean», « créateur de transparence » d'autre part, sauf circonstance nouvelle qui lui ouvrirait droit, dans l'avenir, à se prévaloir de l'une ou l'autre de ces allégations. » ;

condamner la société Noo Corp à lui payer la somme de 150 000 euros à titre provisionnel, en réparation des préjudices causés par ses actes de concurrence déloyale.

Par ordonnance du 5 juillet 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

ordonné à la société Noo Corp, sous peine d'une astreinte de 500 euros pour chacune des allégations ci-après, par infraction constatée, par jour de retard et pendant un délai de 90 jours au terme duquel il sera à nouveau fait droit, de :

- supprimer, dans tous messages et publications et sur tous supports, les allégations suivantes en relation avec sa gamme de couches Origine (i) « innovation mondiale », (ii) « fabriquée en France », sauf circonstance nouvelle qui autoriserait Noo Corp à se prévaloir valablement de telles allégations ;

- supprimer, dans tous messages et publications et sur tous supports, l'allégation « créateur de transparence », sauf circonstance nouvelle qui autoriserait Noo Corp à se prévaloir valablement d'une telle allégation ;

- cesser toute communication de quelque nature que ce soit reprenant les allégations mentionnées ;

ordonné à la société Noo Corp de cesser toute communication de quelque nature que ce soit reprenant les allégations précitées sauf circonstances nouvelles autorisant le défendeur à se prévaloir valablement de telles allégations ;

ordonné à la société Noo Corp de supprimer toute référence à des labels de certification dont elle ne dispose pas (par exemple, hypoallergénique, respectueux de la peau, faible impact carbone, etc.) ;

fait droit à la demande de publication dans les termes de la demande ;

dit n'y avoir lieu à statuer en référé sur la demande en réparation des préjudices subis par cette dernière à raison des actes de concurrence déloyale ;

dit n'y avoir lieu à référé sur les autres demandes plus amples ou contraires formulées par les parties à l'instance.

condamné la société Noo Corp à payer à la société Green Family la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamnons en outre la société Noo Corp aux dépens de l'instance.

La société Noo Corp a interjeté appel de cette décision devant cette cour par déclaration du 9 août 2023.

Affirmant que la société Noo Corp avait pris le parti d'accompagner la publication du communiqué judiciaire imposée par l'ordonnance du 5 juillet 2023 d'une communication faisant une présentation mensongère de la décision de justice dans le but de se victimiser, amplifiée sur les réseaux sociaux par des robots pour augmenter artificiellement sa portée, accompagnée de commentaires infamants et injurieux à son encontre, la société Green Family a fait assigner la société Noo Corp devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris par acte extrajudiciaire du 11 août 2023, en lui demandant notamment de :

ordonner à la société Noo Corp, sous astreinte, de supprimer sa publication du 7 août 2023 intitulée « Joone condamnée à la demande de Love & Green » et les slides qui accompagnaient cette publication en relation avec l'ordonnance du 5 juillet 2023, ainsi que l'ensemble des commentaires et réactions associés ;

ordonner à la défenderesse de publier pendant 90 jours l'extrait judiciaire suivant : « Suivant ordonnance du ', le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a ordonné la suppression par Noo Corp, commercialisant la marque Joone [Localité 5], de sa publication du 7 août 2023, publiée sur Instagram et Facebook et intitulée « Joone condamnée à la demande de Love & Green », de la présentation associée composée de 10 pages, ainsi que de l'intégralité des commentaires dénigrants pour Green Family associés à une telle publication, dans la mesure où la publication de Noo Corp est délibérément trompeuse quant aux termes du débat judiciaire ayant donné lieu à l'ordonnance du 5 juillet 2023, qui condamnait déjà Noo Corp pour pratiques commerciales trompeuses » ;

ordonner à la défenderesse de s'abstenir à l'avenir toute diffusion de cette publication sur tous réseaux sociaux, médias et supports ;

condamner la société Noo Corp à lui payer la somme de 50 000 euros à titre provisionnel, en réparation des préjudices causés par ses actes de concurrence déloyale.

Par ordonnance du 17 août 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, a :

dit n'y avoir lieu à référé, ni application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Green Family aux entiers dépens.

Par déclaration du 13 septembre 2023, la société Green Family a interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 16 novembre 2023 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, elle demande à la cour de :

infirmer l'ordonnance entreprise ;

ordonner à la société Noo Corp, au visa de l'article 873 alinéa 1 du code de commerce, sous un délai de sept (7) jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous peine d'une astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard, à compter du 7e jour :

a) de supprimer sa publication du 7 août 2023 intitulée « Joone condamnée à la demande de Love & Green » et les « slides » qui accompagnaient ladite publication en relation avec l'ordonnance du 5 juillet 2023, ainsi que l'ensemble des commentaires et réactions associés,

b) de publier l'extrait judiciaire suivant : « suivant ordonnance du XX, la cour d'appel de Paris a ordonné la suppression par Noo Corp, commercialisant la marque Joone Paris, (i) de sa publication du 07 août 2023, publiée sur Instagram et Facebook et intitulée « Joone condamnée à la demande de Love & Green », (ii) de la présentation associée composée de 10 pages, ainsi que (iii) de l'intégralité des commentaires dénigrants pour Green Family associés à une telle publication, dans la mesure où la publication de Noo Corp est délibérément trompeuse quant aux termes du débat judiciaire ayant donné lieu à l'ordonnance du 5 juillet 2023, qui condamnait déjà Noo Corp pour pratiques commerciales trompeuses. » , et ce, pendant 90 jours, épinglé sur chacune de ses pages du réseau social Facebook et Instagram, afin d'en assurer la parfaite visibilité pendant toute cette période et ce, pour tenir compte du nombre important de publications de Noo Corp, en rouge sur fond noir, dans une taille de police conforme à celle qu'elle utilise pour permettre la visibilité de ses publications promotionnelles, au sein d'un bandeau en-tête de la première page (landing page) de son site internet : www.joone.fr, en rouge sur fond noir et dans une taille de police garantissant la parfaite visibilité de cette publication.

c) de s'abstenir à l'avenir toute diffusion de cette publication sur tous réseaux sociaux, médias et supports ;

infirmer l'ordonnance entreprise et condamner la société Noo Corp à lui payer la somme de 50 000 euros à titre provisionnel, en réparation des préjudices subis par cette dernière à raison des actes de concurrence déloyale, en application de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, sous peine d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à compter du septième jour après la signification de la décision à intervenir ;

infirmer l'ordonnance entreprise et condamner la société Noo Corp à lui payer la somme de 31 587,20 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, ainsi qu'aux entiers dépens de cette instance ;

condamner la société Noo Corp à lui payer la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

La société Noo Corp, aux termes de ses dernières conclusions en date du 15 février 2024 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour de :

Atitre principal,

confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes formées par la société Green Family en principal et au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens et l'infirmer pour le surplus, notamment en ce qu'elle a rejeté ses demandes reconventionnelles en vertu desquelles cette dernière demandait :

- (a) qu'il soit ordonné à la société Green Family de supprimer les commentaires d'internautes qui sont clairement dénigrants à son égard et / ou de sa présidente (notamment ceux listés en page 34 à 36 des conclusions de 1 ère instance), sous un délai de 7 jours après la signification de la décision à intervenir, sous peine d'une astreinte de 500 euros par infraction constatée, par jour de retard ;

- (b) que la société Green Family soit condamnée à lui verser la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts provisionnels en raison de l'abus de droit et d'ester en justice ;

- (c) que la société Green Family soit condamnée à lui verser la somme de 55 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire,

dire qu'il n'y a pas lieu à référé sur les demandes formées par la société Green Family, notamment compte tenu de la complexité de cette affaire et de son absence d'évidence ;

débouter la société Green Family de l'intégralité de ses demandes ;

constater qu'il n'existe aucun trouble manifestement illicite de nature à justifier les mesures sollicitées par la société Green Family ;

débouter la société Green Family de sa demande de suppression de la publication du 7 août 2023, des slides / diapositives qui l'accompagnent, et/ou des commentaires des internautes ;

débouter la société Green Family de sa demande de publication d'un nouvel extrait judiciaire ;

rejeter toute mesure de publication, en particulier sur ses pages des réseaux sociaux et son site web ;

débouter la société Green Family de sa demande de condamnation à des dommages et intérêts provisionnels ;

débouter la société Green Family de sa demande de condamnation à la somme de 31 587,20 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;

débouter la société Green Family de sa demande de condamnation à la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Très subsidiairement, dans l'hypothèse où la société Green Family serait déclarée recevable et bien fondée en une ou plusieurs de ses demandes formées en référé :

ramener les modalités de la mesure de publication du nouvel extrait judiciaire à des modalités nettement plus raisonnables (par exemple une unique publication, non épinglée, sur les comptes de réseaux sociaux, et sur une page spécifique dédiée intitulée « Publications judiciaires » sur son site web) ;

ramener le quantum des dommages et intérêts provisionnels à un montant purement symbolique ;

faire droit à la demande reconventionnelle de condamnation de la société Green Family pour trouble manifestement illicite et dénigrement à raison de la publication de la société Green Family et des commentaires en résultant, en lui imposant les mêmes modalités (a) de suppression des publications et commentaires, et (b) de mesures de publication judiciaire que celles ordonnées à son encontre ;

en conséquence, ordonner à la société Green Family (a) de supprimer ses publications et les commentaires d'internautes, et (b) les mesures de publication judiciaire, selon les mêmes modalités que celles ordonnées à on encontre, en utilisant l'extrait judiciaire suivant :

« Suivant ordonnance du XX, la cour d'appel de Paris a ordonné la suppression par Green Family, commercialisant la marque Love & Green, de sa publication composée de 3 slides / diapositives du 9 août 2023, publiée sur Instagram et Facebook, ainsi que des commentaires associés, et de l'intégralité des commentaires dénigrants pour elle associés à une telle publication, dans la mesure où la publication de Green Family comporte des éléments inexacts et dénigrants. »

En tout état de cause :

ordonner à la société Green Family de supprimer les commentaires d'internautes qui sont clairement dénigrants à son égard et / ou de sa présidente (notamment ceux listés en page 34 à 36 des présentes conclusions), sous un délai de 7 jours après la signification de la décision à intervenir, sous peine d'une astreinte de 500 euros par infraction constatée, par jour de retard ;

condamner la société Green Family à lui verser la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts provisionnels en raison de l'abus de droit et d'ester en justice ;

condamner la société Green Family à lui verser la somme de 55 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Green Family aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Sur ce,

En vertu du 1er alinéa de l'article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Sur la suppression de la publication du 7 août 2023

Il convient de relever que la demande de suppression de la société Green Family, telle qu'elle est formulée dans le dispositif de ses dernières conclusions, est exclusivement fondée sur les dispositions précitées de l'article 873.

La société Green Family expose que le 7 août 2023, la société Noo Corp a pris prétexte de la condamnation à publier un communiqué judiciaire extrait de l'ordonnance du 5 juillet 2023 pour publier sur les réseaux sociaux de Meta (Facebook et Instagram) une présentation de plusieurs slides portant une critique de ladite ordonnance insincère et mensongère, puisque taisant pour l'essentiel ce qui a justifié sa condamnation et reposant pour le surplus sur des arguments qui n'étaient pas en débat devant le juge des référés ou étrangers aux faits ayant justifié sa condamnation et ce, dans le but de susciter la sympathie des internautes sur une décision prétendument injuste à son encontre et la fronde de ces derniers contre Love & Green. Elle affirme que le stratagème a parfaitement fonctionné puisque le post litigieux a immédiatement suscité l'ire des internautes contre Love & Green et un détournement de clientèle au profit de la société Noo Corp. La société Green Family affirme que le trouble manifestement illicite découle d'actes de concurrence déloyale, consistant dans le fait pour la société Noo Corp de relayer et de susciter les injures, propos haineux et infamants publiés par les membres de sa communauté sur la page publique qu'il administre. Elle soutient que le fait que la société Noo Corp ait eu recours à une telle pratique démontre donc que la campagne a été pensée et orchestrée, anticipée et préméditée avec le souci de ne pas subir les potentiels effets délétères liée à une publication judiciaire et avec l'intention de nuire. Elle prétend que le modérateur de la page de Joone [Localité 5] administrée par la société Noo Corp, loin de faire cesser ce déchainement haineux contre Love & Green a systématiquement relayé et soutenu ces messages et le détournement de clientèle en résultant.

Cependant, il convient de rappeler que la publication de l'extrait judiciaire a été imposée à la société Noo Corp par la décision du 5 juillet 2023, spécifiquement sur les réseaux Facebook et Instagram. Or en choisissant de réclamer une publication sur les pages de ces réseaux ' auxquelles s'abonnent les clients et soutiens de la société Noo Corp, la société Green Family ne pouvait sérieusement s'attendre à éviter les commentaires critiques. Au demeurant, l'absence de modération des commentaires ne ressort pas avec l'évidence requise en référé, dès lors que la société Noo Corp démontre avoir supprimé certains commentaires particulièrement virulents (pièce 11) et n'était pas tenue de supprimer des commentaires, certes exprimés dans un langage parfois peu soutenu (« c'est de la merde » « leurs couches sont dégueulasses », etc.), mais qui ne reflétaient ni attitude haineuse ni opinion illégale, et qui relèvent de la liberté d'expression et non de la concurrence déloyale.

L'allégation de la société Green Family au sujet de l'utilisation par son concurrent de « robots réputationnels » repose sur des spéculations, à commencer par celle concernant l'existence même de tels « robots ». Par ailleurs, la notion de campagne de dénigrement préparée de longue main est sans portée, puisque les effets de la publication judiciaire que la société Green Family juge illicites sont la conséquence indirecte de sa demande de publication sur Facebook et Instagram, à laquelle il a été fait droit. Il y a lieu de noter que la société Green Family n'avait pas demandé la désactivation de la possibilité de commenter la publication.

Enfin la société Green Family reproche encore à la société Noo Corp d'avoir commis une faute en commentant une décision de justice au travers d'une présentation parcellaire et biaisée et sans porter à la connaissance du lecteur l'intégralité de la décision commentée pour permettre à ce dernier de se faire sa propre idée. Cependant, l'ordonnance du 5 juillet 2023 n'ordonnait pas la publication intégrale de la décision. Par ailleurs, la possibilité, qui a été employée par la société Noo Corp, de publier l'extrait judiciaire dans un carrousel, ou album, de différentes images qui commentaient cet extrait, est inhérente aux modes de publication de ces deux réseaux. Il y a lieu de noter que la société Green Family n'avait pas demandé la désactivation de cette fonctionnalité technique. Les commentaires de la société Noo Corp expriment un désaccord avec le résultat de l'ordonnance du 5 juillet 2023 sans jeter le discrédit sur la décision contestée, ni comporter aucune remarque injurieuse ou outrancière. Dans les différentes images de l'album, un texte de quelques lignes revient sur les mentions considérées par le juge des référés comme étant de nature à caractériser une pratique déloyale et trompeuse, et fournit un argumentaire critique exprimé avec modération et sans jamais évoquer la société Green Family. Le texte de la dernière image précise « nous appliquons avec respect cette décision de justice en attendant de pouvoir nous pourvoir en appel et de faire entendre notre voix ».

La société Green Family ne caractérise pas l'existence d'un trouble manifestement illicite.

En outre, il n'est pas contesté que l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Paris du 5 juillet 2023 a été signifiée à la société Noo Corp le 31 juillet 2023, date à compter de laquelle commençait à courir le délai de 7 jours pour publier l'extrait judiciaire litigieux sur les réseaux Facebook et Instagram pendant 90 jours, sous peine d'une astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et par jour de retard.

Il résulte des pièces produites que la société Green Family a saisi le juge de l'exécution qui a constaté, dans un jugement du 21 décembre 2023, que l'injonction de publication avait été satisfaite à la date du 7 août 2023. Les parties ne contestent pas que la publication critiquée, accompagnée de ses slides et de ses commentaires, n'est plus en ligne depuis l'expiration du délai de 90 jours, soit au 8 novembre 2023, ainsi qu'il est relevé par le juge de l'exécution, qui observe qu'il « ne ressort pas de l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce que la publication devait perdurer au-delà de 90 jours ».

Il y a donc lieu de constater, vu l'évolution du litige, que la mesure de suppression qui est réclamée n'est plus matériellement possible.

Il n'y a lieu à référé sur la demande d'injonction sous astreinte de suppression de la publication du 7 août 2023 intitulée « Joone condamnée à la demande de Love & Green », avec ses slides et l'ensemble des commentaires et réactions associés. Ce motif se substituant à celui retenu par le premier juge, l'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur la publication d'un communiqué judiciaire

Il convient de relever que la demande de publication d'un communiqué judiciaire de la société Green Family, telles qu'elle est formulée dans le dispositif de ses dernières conclusions, est exclusivement fondée sur les dispositions du 1er alinéa de l'article 873 précité.

Dès lors qu'il n'existe, au jour où la cour statue, aucun trouble manifestement illicite ou dommage imminent, la demande publication d'un extrait judiciaire ne peut avoir la nature d'une mesure conservatoire ou de remise en état. Au demeurant, le texte dont il est demandé publication fait état d'une décision de la présente cour ordonnant la suppression de la publication du 7 août 2023 intitulée « Joone condamnée à la demande de Love & Green », avec ses slides et l'ensemble des commentaires et réactions associés. Or il n'a pas été fait droit à cette demande. Ce motif se substituant à celui retenu par le premier juge, l'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur la demande d'abstention de publication pour l'avenir

Il convient de relever que la demande de la société Green Family tendant à interdire à la société Noo Corp de publier à l'avenir l'extrait judiciaire ordonné le 5 juillet 2023, telle qu'elle est formulée dans le dispositif de ses dernières conclusions, est exclusivement fondée sur les dispositions du 1er alinéa de l'article 873 précité.

Dès lors qu'il n'existe, au jour où la cour statue, aucun trouble manifestement illicite ou dommage imminent, cette demande ne peut avoir la nature d'une mesure conservatoire ou de remise en état. Ce motif se substituant à celui retenu par le premier juge, l'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur la demande de provision

En vertu du 2e alinéa de l'article 873 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, peut accorder une provision au créancier.

En l'espèce, la société Green Family demande la réparation provisionnelle de son préjudice résultant d'actes de concurrence déloyale, consistant dans le fait pour la société Noo Corp de relayer et de susciter les injures, propos haineux et infamants publiés par les membres de sa communauté sur la page publique qu'il administre. Elle soutient que le fait que la société Noo Corp ait eu recours à une telle pratique démontre donc que la campagne a été pensée et orchestrée, anticipée et préméditée avec le souci de ne pas subir les potentiels effets délétères liée à une publication judiciaire et avec l'intention de nuire.

Les développements qui précèdent sur l'existence d'un trouble manifestement illicite demeurent pertinents pour vérifier l'existence d'une obligation non sérieusement contestable à la charge de la société Green Family. En effet, l'existence d'une faute tenant soit à l'absence de modération des commentaires des internautes, soit à la faculté d'exposer un argumentaire à la suite de la publication d'un extrait judiciaire, se heurte à la liberté d'expression tant des internautes que la société Noo Corp (Ass. plén., 12 juillet 2000, 99-19.004, P), dont il n'apparaît pas manifeste que son usage était abusif. Dans ces conditions, ce moyen de défense opposé aux prétentions de la société Green Family n'apparait pas immédiatement vain, et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond, qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point, si les parties entendaient saisir le juge du fond.

En présence d'une contestation sérieuse, ce motif se substituant à celui retenu par le premier juge, l'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur les autres demandes

Les demandes de la société Noo Corp visant à la suppression par la société Green Family de publications et commentaires dénigrants et à la publication d'un communiqué judiciaire, outre qu'elles sont irrecevables comme nouvelles en cause d'appel, n'ont été formulées que « très subsidiairement » dans le dispositif de ses conclusions. L'intimée ayant obtenu gain de cause, il ne sera pas statué de ce chef.

L'ordonnance entreprise sera confirmée dans ses dispositions concernant les dépens et l'indemnisation des frais irrépétibles. La société Green Family sera tenue aux dépens d'appel et au paiement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société Green Family à payer à la société Noo Corp une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exposés en cause d'appel ;

Condamne la société Green Family aux dépens d'appel et dit que Me Lesenechal, avocat au barreau de Paris, pourra recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.