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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 10 mai 2024, n° 21/03649

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

La Pergola (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Darracq

Conseillers :

Mme Guiroy, Mme Baylaucq

Avocats :

Me Khaddam, Me Gensse, Me Dubois-Merle

TJ Dax, du 22 sept. 2021, n° 21/513

22 septembre 2021

Par deux actes notariés de 1981, les époux [Y]-[L] ont donné à bail à la société La Pergola divers locaux commerciaux à usage d'hôtel restaurant sis [Adresse 8].

Par un acte notarié de 2000, Mme [G] [L], nue-propriétaire et Mme [B] [Y], usufruitière, (ci-après le bailleur) ont renouvelé un seul bail les baux tacitement reconduits.

Par acte notarié du 8 avril 2001, à effet au 1er janvier 2001, la société La Pergola a sous-loué, en vertu d'un bail commercial, avec l'agrément du bailleur, une partie des locaux à la société Plx immobilier destinés à l'exploitation d'un fonds de commerce d'agence immobilière.

Par acte notarié du 7 janvier 2004, la société Plx immobilier a cédé son fonds de commerce et le droit au sous-bail à la société RDT.

Par acte notarié du 7 avril 2010, à effet au 1er juin 2009, Mme [L] et Mme [Y] ont régularisé un nouveau bail au profit de la société La Pergola (sarl), pour une durée de neuf ans, les locaux à usage d'hôtel-restaurant et, pour la partie sous-louée, à usage d'agence immobilière.

Par ce même acte, le bailleur a confirmé son accord sur la sous-location consentie à la société RDT.

A leur échéance respective, soit les 31 décembre 2009 (sous-bail) et 31 mai 2018 (bail principal), les deux baux ont été tacitement reconduits.

Par acte d'huissier du 29 juin 2018, la société RDT a demandé le renouvellement de la sous-location.

La société La Pergola n'a pas répondu à cette demande.

Par acte d'huissier du 4 juillet 2019, la société La Pergola a sollicité le renouvellement du bail commercial à compter du 1er octobre 2019.

Par acte d'huissier du 18 septembre 2019, le bailleur lui a notifié un commandement de payer deux loyers impayés échus en 2016 et 2015 et « mise en demeure de cesser l'inexécution du bail ».

Par acte d'huissier du 1er octobre 2019, le bailleur a mis en demeure son locataire de maintenir les peintures extérieures des locaux loués en « parfait état de fraîcheur ».

Par un second acte d'huissier du 1er octobre 2019, le bailleur lui a notifié son refus de renouvellement du bail sans offre d'indemnité d'éviction, au motif « d'un non-respect de l'obligation de payer les loyers et d'entretien des peintures des devantures et huisseries figurant dans le bail ».

Par acte notarié du 27 décembre 2019, la société RDT a cédé son fonds de commerce et le droit au sous-bail à la société JCD (sas), en présence du bailleur et du locataire principal.

* Suivant exploit du 27 avril 2021, la société La Pergola a fait assigner Mme [L] et Mme [Y] par devant le tribunal judiciaire de Dax aux fins de voir annuler le refus de renouvellement du bail, sinon de fixer une indemnité d'éviction, outre condamner le bailleur à exécuter certains travaux de réparation.

Mme [L] et Mme [Y] n'ont pas constitué avocat.

Par jugement réputé contradictoire du 22 septembre 2021, le tribunal a :

- débouté la société La Pergola de ses demandes formées à titre principal,

- constaté la fin du bail conclu le 7 avril 2010,

- débouté la société La Pergola de sa demande de condamnation du bailleur à procéder aux travaux de remplacement des gouttières vétustes,

- condamné Mme [L] et Mme [Y] à procéder aux travaux de reprise des fissures structurelles infiltrantes dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision et, au-delà, sous astreinte de 100 euros par jour de retard sur une période de deux mois,

- condamné le bailleur à verser à la société La Pergola une indemnité d'éviction,

- avant dire droit, ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [O] sur le montant de l'indemnité d'éviction [en fixant les modalités d'exécution de l'expertise judiciaire],

- réservé les dépens et les frais irrépétibles,

- dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de la présente décision,

- renvoyé l'affaire à une audience de mise en état.

* Par déclaration faite au greffe de la cour le 14 novembre 2021, Mme [L] et Mme [Y] ont relevé appel de ce jugement.

Le 31 janvier 2022, la société JCD (sas) est intervenue volontairement à l'instance.

Le 30 décembre 2022, Mme [L] est décédée, l'instance étant poursuivie par Mme [Y] devenue pleine propriétaire.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 février 2024.

***

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 13 février 2022 par les appelantes qui ont demandé à la cour de réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, et statuant à nouveau de :

- juger établie la preuve des motifs graves et légitimes visés dans le refus de renouvellement et de paiement d'une indemnité d'éviction signifié le 1er octobre 2019,

- juger que la société La Pergola n'a pas procédé à la régularisation de ses manquements à l'exécution de ses obligations dans le délai légal imparti,

- juger qu'elles ne peuvent être condamnées au paiement d'une indemnité d'éviction,

- en tout état de cause, condamner la société La Pergola à leur payer la somme de 2.000 euros au titre de leur préjudice moral, ainsi que celle de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

* Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 31 juillet 2023 par la société La Pergola qui a demandé à la cour de :

- déclarer irrecevables les nouvelles demandes de condamnation à dommages et intérêts formulées par Mme [Y] et en tout cas mal fondées,

- débouter Mme [Y] de ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris,

- en tout état de cause, débouter la société JCD de ses demandes,

- condamner Mme [Y] à verser à la société La Pergola la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

* Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 16 février 2022 par la société JCD qui a demandé à la cour de :

- la recevoir en son intervention volontaire.

Pour le cas où la cour invaliderait le refus de renouvellement du bailleur principal :

- juger, en application de l'article 145-32 alinéa 1 du code de commerce qu'elle bénéficie du statut des baux commerciaux et confirmer le droit au renouvellement de son bail de sous-location.

Pour le cas où la cour validerait le refus de renouvellement du bail principal et confirmerait l'extinction du bail principal :

- juger que le sous-bail visé dans l'acte du 27 décembre 2019 doit être requalifié en un second bail principal directement consenti par le propriétaire bailleur à la société JCD,

- subsidiairement, juger qu'en application de l'article 145-32 alinéa 2 du code de commerce, elle bénéficie du droit au renouvellement de son bail de sous-location nonobstant l'expiration du bail principal.

En tout état de cause, condamner la société La Pergola et mesdames [Y] et [L] à lui payer :

- en réparation du préjudice subi du fait des dissimulations et déclarations mensongères, la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

sur le congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction

L'appelante fait grief au jugement d'avoir retenu que le congé avait été délivré sans motif grave et légitime alors que la société La Pergola n'a pas réglé les loyers impayés ni remis en peinture les devantures et huisseries extérieures dans le mois du commandement du 18 septembre 2019, les explications fournies par la locataire pour justifier l'exécution différée des travaux étant inopérantes sur les effets du congé.

Mais, il résulte de l'article L. 145-17 du code de commerce que l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée comme motif grave et légitime que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après la mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser.

Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par voie extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes du premier alinéa du présent article.

Et, en application de ces dispositions, les griefs invoqués par le bailleur doivent être appréciés à la date de délivrance du congé.

En l'espèce, le congé avec refus de renouvellement sans indemnité est motivé ainsi « non-respect de l'obligation de paiement des loyers et d'entretien des peintures des devantures et huisseries figurant dans le bail, tel qu'il appert d'un commandement de payer les loyers et mise en demeure d'avoir à cesser l'inexécution du bail délivré par [acte d'huissier] du 18 septembre 2019 et d'une nouvelle mise en demeure d'avoir à cesser l'infraction du défaut d'entretien signifiée ce jour ».

Concernant les deux loyers impayés, le jugement a exactement relevé que la société La Pergola rapportait la preuve de leur paiement intégral par virement bancaire du 14 octobre 2019, ce que la locataire s'est bornée à rappeler dans son courrier du 14 décembre 2019.

Concernant la mise en peinture des devantures et huisseries, le commandement du 18 septembre 2019 ne comporte aucune mise en demeure concernant l'exécution de ces travaux d'entretien, la mise en demeure d'exécuter ayant été délivrée le 1er octobre 2019 en même temps que le congé avec refus de renouvellement du bail.

Par conséquent, d'une part, le bailleur ne pouvait valablement refuser le renouvellement du bail en invoquant un manquement avant l'expiration du délai imparti au locataire pour s'exécuter.

Ces seuls motifs suffisent à invalider le bien fondé du congé.

D'autre part, délivré après plusieurs décennies de jouissance des lieux sans incident, ni mise en demeure sur l'entretien des lieux, ni menace démontrée sur la conservation des lieux loués, le congé est également vicié par la mauvaise foi du bailleur rendant matériellement impossible la réalisation des travaux dans le mois compte tenu des délais de consultation et de disponibilité des entreprises, et de la période hivernale, et alors que la société La Pergola a pu obtenir un devis de 32.932,78 euros dès le 21 novembre 2019, la période hivernale d'abord, puis la pandémie de la covid-19 ayant contraint le bailleur à différer les travaux qui ont été réalisés en mars 2021, dans des conditions exclusives de toute caractérisation d'un manquement grave imputable au locataire.

C'est donc à bon droit que le jugement a retenu que le bailleur n'invoquait pas un motif grave et légitime au soutien de son congé sans offre de renouvellement ni indemnité d'éviction.

Mme [Y] n'ayant pas renoncé à son refus de renouvellement, et la société La Pergola ayant demandé la confirmation du jugement, celui-ci a exactement constaté que le congé avait mis fin au bail à charge pour le bailleur de verser une indemnité d'éviction à la locataire évincée.

Le jugement sera donc confirmé sur le congé et le droit à indemnité d'éviction.

sur les travaux de reprises des infiltrations dans les locaux

L'appelante fait valoir que la demande d'exécution de ces travaux est irrecevable sur le fondement des articles 54 et 56 du code de procédure civile dès lors que la société La Pergola ne justifie pas avoir effectué une démarche amiable auprès du bailleur en ce sens.

Mais, d'une part le moyen est inopérant alors que les articles 54 et 56 du code de procédure civile régissent les formes, à peine de nullité, de la demande en justice introduite par voie d'assignation.

D'autre part, il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen dès lors que le dispositif des conclusions de l'appelante, lequel seul saisit la cour des prétentions des parties, ne contient aucune prétention sur la recevabilité de la demande de travaux sous astreinte.

Sur le fond, il est de jurisprudence constante que pendant la période du maintien dans les lieux du locataire évincé, les parties sont tenues d'exécuter les charges et obligations du bail, nonobstant les effets du congé.

Et, en l'espèce, les désordres d'infiltrations sont établis par les constats d'huissier des 21 octobre 2019 et 8 mars 2021 et, l'assignation en justice valant mise en demeure d'exécuter les travaux.

Par ces motifs, le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné le bailleur à procéder aux travaux de reprise des fissures structurelles infiltrantes dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision et, au-delà, sous astreinte de 100 euros par jour de retard sur une période de deux mois.

sur la demande de dommages et intérêts formée par Mme [Y]

Mme [Y] sollicite une somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral du fait de la procédure engagée à son encontre.

La fin de non-recevoir tirée de la prohibition des demandes nouvelles en appel sera rejetée, s'agissant, en la cause, d'une demande reconventionnelle présentant un lien suffisant avec les demandes originaires de la locataire, et, comme telle, recevable en application de l'article 567 du code de procédure civile.

Sur le fond, Mme [Y] sera déboutée de sa demande, les demandes de la société La Pergola ayant été accueillies tant en appel qu'en première instance.

sur les demandes de la société JCD

La recevabilité de l'intervention volontaire et des demandes de la société JCD ne sont pas contestées par Mme [Y] ou la société La Pergola.

La société JCD fonde ses demandes sur l'article L. 145-32 du code de commerce, alternativement sur le premier alinéa ou le second alinéa.

Mme [Y] n'a pas conclu sur le bien-fondé des demandes formées à son encontre par le sous-locataire.

Pour sa part, la société La Pergola fait valoir que, en raison du refus de renouvellement du bail principal, elle n'est pas tenue de verser une indemnité d'éviction à son sous-locataire, et que les demandes indemnitaires formées à son encontre sont infondées.

Mais, l'article L. 145-32 alinéa 1er du code de commerce dispose que le sous-locataire peut demander le renouvellement de son bail au locataire principal dans la mesure des droits que ce dernier tient lui-même du propriétaire.

En l'espèce, la cessation du bail principal, intervenue le 31 mars 2020, en l'état du congé du 1er octobre 2019, la société JCD, dont, au demeurant, la sous-location a été renouvelée le 29 juin 2018, ne peut agir en paiement d'une indemnité d'éviction contre la société La Pergola évincée par le bailleur.

Le second alinéa de l'article L. 145-32 dispose que, à l'expiration du bail principal, le propriétaire n'est tenu au renouvellement que s'il a, expressément ou tacitement, autorisé ou agréé la sous-location et si, en cas de sous-location partielle, les lieux faisant l'objet du bail principal ne forment pas un tout indivisible matériellement ou dans la commune intention des parties.

Ce texte s'applique quelles que soient les causes de la cessation du bail principal.

Et, en l'espèce, la société La Pergola est fondée à revendiquer le bénéfice direct du statut des baux commerciaux à l'égard du bailleur.

En effet, il n'est pas contesté, ni contestable, que les locaux sous-loués à usage d'agence commerciale sont matériellement divisibles des locaux loués à usage d'hôtel-restaurant par la société La Pergola, et qu'il n'existe aucune clause d'indivisibilité conventionnelle, le bail notarié du 7 avril 2010 reconnaissant, au demeurant, la double destination des locaux loués et sous-loués.

Ensuite, les consorts [L]-[Y] ont systématiquement agréé la sous-location consentie aux exploitants successifs du fonds de commerce d'agence immobilière, et, lors de la cession intervenue le 27 décembre 2019 au profit de la société JCD, le bailleur et le locataire principal, intervenus à l'acte, ont déclaré qu'«aucune sommation d'exécuter quelconque des charges et conditions du bail, ni aucun congé ou dénonciation du droit à la location n'a été délivré par le bailleur, avec lequel il n'existe aucun différend et qu'aucune contravention aux clauses du bail n'a été commise », dissimulant ainsi au cessionnaire la délivrance du congé avec refus de renouvellement ainsi que le litige sur l'exécution du bail principal.

En outre, il est constant que la société JCD est ayant cause du précédent sous-locataire agréé qui, le 29 juin 2018, a régulièrement demandé le renouvellement du sous-bail commercial à la société La Pergola, ce que cette dernière a tacitement accepté en ne répondant pas à sa demande.

Par conséquent, la société JCD est fondée à revendiquer le bénéfice du statut des baux commerciaux directement à l'égard du bailleur, et, en l'état de la cessation du bail principal, à demander le versement d'une indemnité d'éviction, sous réserve de l'exercice du droit de repentir du bailleur qui replacerait la société JCD et la société La Pergola dans leur situation juridique antérieure au congé.

sur la demande de dommages et intérêts de la société JCD

La société JCD fait valoir que les dissimulations et déclarations mensongères du bailleur et du locataire principal faites lors de la cession du droit au sous-bail du 27 décembre 2019 l'ont privé de la possibilité d'intervenir volontairement en première instance pour préserver ses droits, sollicitant une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts de ce chef.

Mais, aucun fondement juridique n'ayant été invoqué au soutien de cette demande, celle-ci sera rejetée.

sur les dépens et frais irrépétibles

Le jugement a réservé les dépens et frais irrépétibles de première instance.

Mme [Y], seule partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens d'appel.

Mme [Y] sera condamnée à payer à la société La Pergola et à la société JCD une somme de 2.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

y ajoutant,

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté en appel de la demande de dommages et intérêts formée par Mme [Y],

DEBOUTE Mme [Y] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

PREND acte de l'intervention volontaire de la société JCD, en sa qualité de sous-locataire de la société La Pergola,

DIT que, en l'état de la cessation du bail principal par l'effet du congé délivré à la société La Pergola, la société JCD est fondée à revendiquer le bénéfice du statut des baux commerciaux directement à l'égard du bailleur,

DEBOUTE la société JCD de sa demande de dommages et intérêts formée contre Mme [Y] et la société La Pergola,

CONDAMNE Mme [Y] aux dépens d'appel,

CONDAMNE Mme [Y] à payer à la société La Pergola et à la société JCD une somme de 2.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Philippe DARRACQ, conseiller, faisant fonction de Président, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.