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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 14 mai 2024, n° 21/05939

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pyragric Industrie (SAS)

Défendeur :

CPAM de la Gironde (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Poirel

Conseillers :

M. Breard, M. Potée

Avocats :

Me de Lacoste Lareymondie, Me Orhan-Lelièvre, Me Brouillou-Laporte, Me Laplagne, Me de Boussac Di Pace

CA Bordeaux n° 21/05939

13 mai 2024

Exposé du litige

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Le 14 août 2014, M. [C] [E] a acquis auprès de la Société Ludendo Commerce France, exerçant sous l'enseigne la Grande Recree, des fusées d'artifices de marque Rocket Selectio fabriquées par la société Pyragric Industrie.

Les fusées ont été allumées le 15 août 2014 et l'une d'entre elle a explosé dans son lanceur. M. [C] [E] a été atteint au niveau de l'oeil gauche et conduit au CHU de [Localité 5] où il est resté hospitalisé jusqu'au 19 août 2014.

Il a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux qui, par ordonnance du 19 février 2018, a ordonné une expertise médicale et désigné le Docteur [U] [J] pour y procéder. L'expert a déposé son rapport le 29 mai 2018.

Par actes délivrés les 19 et 25 juin 2018, M. [C] [E] a fait assigner la société Pyragric Industrie, la société Ludendo Commerce France et la CPAM de la Gironde devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins d'indemnisation son préjudice.

Par jugement en date du 2 décembre 2015, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde financière accélérée en faveur de la société Ludendo Commerce France. Par jugement du 1er février 2016, le même tribunal a arrêté le plan de sauvegarde de la société Ludendo Commerce France. Par jugement du 13 mars 2018, le même tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire. Par jugement du 2 octobre 2018, le tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de redressement.

Me [Y] et Me [G], ès qualités de mandataires judiciaires de la société Ludendo Commerce France et Me [X] et Me [Z] ès qualités de commissaires à l'exécution du plan de redressement de la société Ludendo Commerce France sont intervenus volontairement à l'instance le 7 novembre 2018.

Par exploit d'huissier délivré le 8 mars 2019, M. [E] a fait assigner la SA Allianz Iard en qualité d'assureur de la société Ludendo Commerce France au moment de l'accident.

Puis, par exploit d'huissier délivré le 12 mars 2020, M. [E] a fait assigner la compagnie Xl Insurance Company SE en qualité de nouvel assureur de la société Ludendo Commerce France à compter du 1er janvier 2015, assureur amené à couvrir les sinistres déclarés à la société Ludendo Commerce France postérieurement à cette date.

Toutes ces procédures ont été jointes.

Par jugement rendu le 8 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- accueilli l'intervention volontaire de Me [Y] et Me [G] en qualité de mandataires judiciaires de la société Ludendo Commerce France et celle de Me [X] et Me [Z] en qualité de commissaires à l'exécution plan de redressement de la société Ludendo Commerce France,

- déclaré recevables les demandes de M. [E] ainsi que les demandes formées à titre subrogatoire par la CPAM sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux,

- déclaré la SAS Pyragric Industrie seule responsable du préjudice de M. [E] consécutif à l'accident du 15 août 2014 dont il a été victime au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux,

- constaté l'absence de demande à l'encontre de la société Ludendo Commerce France au titre de sa responsabilité civile,

- dit n'y avoir lieu à mettre hors de cause la société Ludendo Commerce France, dont la responsabilité était recherchée par M. [E], ainsi que ses deux assureurs qui se sont succédés, la SA Allianz Iard et la compagnie XL Insurance Company SE,

- fixé le préjudice de M. [E] à la somme totale de 207 491,91€ suivant le détail suivant :

- condamné la SAS Pyragric Industrie à payer à M. [C] [E] la somme de 196 595 € au titre de l'indemnisation de son préjudice corporel, après déduction de la créance des tiers payeurs,

- condamné la SAS Pyragric Industrie à payer à la CPAM de la Gironde la somme de 10896,91€ au titre des prestations versées pour le compte de son assuré social, M. [C] [E],

- condamné la SAS Pyragric Industrie à payer à la CPAM de la Gironde la somme de

1 091 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles 9 et 10 de l'ordonnance numéro 96-51 du 24 janvier 1996,

- condamné la SAS Pyragric Industrie à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

* 2000 € à M. [C] [E]

* 500 € à la CPAM de la Gironde ;

- dit que les sommes allouées ci dessus porteront intérêts au taux légal à compter du jugement avec application des dispositions de l'article 1343-2 du Code civil au profit de la CPAM de la Gironde,

- condamné la SAS Pyragric Industrie aux dépens, qui comprendront ceux de l'instance ayant donné lieu à l'ordonnance de référé du 19 février 2018 et ses frais d'exécution ainsi que le coût de l'expertise judiciaire et dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- rejeté les autres demandes des parties.

Par déclarations électroniques en date des 3 et 4 novembre 2021, jointes sous la procédure n°21/5939, la Sas Pyragric Industrie a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- déclaré recevable les demandes de M. [E] ainsi que les demandes formées à titre subrogatoire par la CPAM sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ;

- déclaré la SAS Pyragric Industrie seule responsable du préjudice de M. [E] consécutif à l'accident du 15 août 2014 dont il a été victime au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux ;

- fixé le préjudice de M. [E] à la somme totale de 207 491,91€ suivant le détail suivant :

Préjudices patrimoniaux temporaires :

DSA dépenses de santé actuelles 10 266,91€ - créance CPAM 10 266,91€

Permanents :

DSF dépenses de santé futures 630,00€ - créance CPAM 630€

IP incidence professionnelle 80 000,00€

Préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

DFTP déficit fonctionnel temporaire 4 955,00€

SE souffrances endurées 20 000,00€

PET préjudice esthétique temporaire 2 000,00€

Permanents :

DFP déficit fonctionnel permanent 87 640,00€

PE Préjudice esthétique permanent 2 000,00€

TOTAL 207 491,91€ - créance victime 196 595,00€ - créance CPAM 10 896,91€

- condamné la SAS Pyragric Industrie à payer à M. [C] [E] la somme de 196 595 € au titre de l'indemnisation de son préjudice corporel, après déduction de la créance des tiers payeurs ;

- condamné la SAS Pyragric Industrie à payer à la CPAM de la Gironde la somme de

10 896,91€ au titre des prestations versées pour le compte de son assuré social, M. [C] [E] ;

- condamné la SAS Pyragric Industrie à payer à la CPAM de la Gironde la somme de

1 091 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles 9 et 10 de l'ordonnance numéro 96-51 du 24 janvier 1996 ;

- condamné la SAS Pyragric Industrie à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

* 2000 € à M. [C] [E]

* 500 € à la CPAM de la Gironde ;

- dit que les sommes allouées ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter du jugement avec application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil au profit de la CPAM de la Gironde ;

- condamné la SAS Pyragric Industrie aux dépens, qui comprendront ceux de l'instance ayant donné lieu à l'ordonnance de référé du 19 février 2018 et ses frais d'exécution ainsi que le coût de l'expertise judiciaire et dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;

- rejeté les autres demandes des parties.

La société Pyragric Industrie, dans ses dernières conclusions déposées le 2 février 2022, demande à la cour de :

- déclarer l'appel interjeté par la Société Pyragric Industrie recevable et bien fondé,

Réformer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 08 septembre 2021 des chefs déférés et, en qu'il a :

- déclaré la SAS Pyragric Industrie seule responsable du préjudice de M. [E] consécutif à l'accident du 15 août 2014 dont il a été victime au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux ;

- fixé le préjudice de M. [E] à la somme totale de 207 491,91€ suivant le détail suivant :

* condamné la SAS Pyragric Industrie à payer à M. [C] [E] la somme de 196 595 au titre de l'indemnisation de son préjudice corporel après déduction de la créance du tiers payeur.

* condamné la SAS Pyragric Industrie à payer à la CPAM de Gironde la somme de 10896.91 € au titre des prestations versées pour le compte de l'assuré social, M. [C] [E].

* condamné la SAS Pyragric Industrie à payer à la CPAM de Gironde la somme de 1 091€ au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles 9 et 10 de l'Ordonnance numéro 96-51 du 24 janvier 1996.

* condamné la SAS Pyragric Industrie au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- 2 000 € à M. [C] [E]

- 500 € à la CPAM de la Gironde

* dit que les sommes allouées porteront intérêt au taux légal à compter du jugement avec application de l'article 1343-2 du code civil au profit de la CPAM de la Gironde.

* condamné la Société Pyragric Industrie aux dépens,

* ordonné l'exécution provisoire,

* rejeté les autres demandes des parties.

Statuant à nouveau,

Confirmer le jugement en ce qu'il a fait application d'office des dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux,

1/ A titre principal,

Réformer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M. [E] sur le fondement de la responsabilité de fait des produits défectueux,

Statuant de nouveau

- déclarer l'action de M. [C] [E] et le recours de la CPAM de Gironde prescrits car engagés postérieurement au délai de 3 ans,

- les débouter en conséquence de toutes leurs demandes.

2/ A titre subsidiaire

Réformer le jugement en ce qu'il a déclaré la Société Pyragric Industrie seule responsable du préjudice de M. [E] consécutif à l'accident du 15 août 2014 dont il a été victime au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Statuant de nouveau :

- déclarer que les attestations produites par M. [C] [E] sont contradictoires et en toutes hypothèses non probantes,

- déclarer que M. [C] [E] ne démontre par la défectuosité du produit fusées rocket fabriqué et commercialisé par la Société Pyragric Industrie.

- déclarer que M. [C] [E] ne démontre pas avoir respecté les consignes d'utilisation et de sécurité figurant en caractère très apparents sur l'emballage du produit fusées rocket,

- déclarer que M. [C] [E] ne démontre en conséquence pas le lien de causalité entre le dommage allégués la prétendue défectuosité du produit fusées rocket,

En conséquence,

- débouter M. [C] [E] et la CPAM de Gironde de toutes les demandes formulées consécutivement à l'accident du 15 août 2014 dont il a été victime au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux.

- les condamner au remboursement des sommes payées au titre de l'exécution provisoire.

3/ A titre encore plus subsidiaire

- réformer le jugement sur le quantum des sommes allouées en réparation des préjudices consécutifs à l'accident du 15 août 2014.

Statuant de nouveau

- ramener les indemnités à de plus justes proportions.

- fixer notamment l'indemnité due au titre de l'incidence professionnel à une somme qui ne saurait être supérieure à 20 000 €.

- condamner M. [C] [E] et la CPAM de Gironde à la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner les mêmes au paiement des entiers dépens distraits au profit de Maître Hugues de Lacoste Lareymondie, Avocat au Barreau de Bordeaux sur son affirmation de droit.

M. [C] [E], dans ses dernières conclusions déposées le 14 février 2022, demande à la cour de :

- recevoir M. [C] [E], en ses écritures, le disant bien fondé.

A titre principal : confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- déclaré recevable les demandes de M. [E]

- déclaré la SAS Pyragric Industrie seule responsable du préjudice de M. [E] consécutif à l'accident du 15 août 2014 dont il a été victime au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux

A titre subsidiaire :

- déclarer recevable les demandes de M. [E],

- déclarer la SAS Pyragric Industrie seule responsable du préjudice de M. [E] consécutif à l'accident du 15 août 2014 dont il a été victime au titre de la responsabilité du fait des choses,

A titre infiniment subsidiaire :

- déclarer recevable les demandes de M. [E],

- déclarer la SAS Pyragric Industrie seule responsable du préjudice de M. [E] consécutif à l'accident du 15 août 2014 dont il a été victime au titre de la responsabilité contractuelle,

A titre encore plus infiniment subsidiaire :

- déclarer recevable les demandes de M. [E],

- déclarer la SAS Pyragric Industrie seule responsable du préjudice de M. [E] consécutif à l'accident du 15 août 2014 dont il a été victime au titre de la responsabilité quasi délictuelle,

En tout état de cause :

Confirmer le jugement en ce qu'il a évalué les postes de préjudice comme il suit :

o Déficit fonctionnel temporaire : 4 955 euros

o Souffrances endurées : 20 000 euros

o Préjudice esthétique temporaire : 2 000 euros

o Déficit fonctionnel permanent : 87 640 euros

o Préjudice esthétique permanent : 2 000 euros

Infirmer le jugement en ce qu'il a évalué l'incidence professionnelle à 80 000 euros,

Statuant à nouveau :

- évaluer l'incidence professionnelle à 90 000 euros,

- débouter la SAS Pyragric Industrie de l'ensemble de ses demandes,

- juger que les sommes allouées porteront intérêts à taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- condamner la SAS Pyragric Industrie à verser à M. [E] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- condamner la SAS Pyragric Industrie aux entiers dépens de la procédure dont distraction au profit de Maître Dominique Laplagne, Avocat à la Cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La CPAM de la Gironde, dans ses dernières conclusions déposées le 26 avril 2022, demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en ses écritures, demandes, fins et prétentions ;

En conséquence :

Confirmer le jugement rendu le 8 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne l'indemnité forfaitaire de gestion ;

Infirmer le jugement uniquement en ce qu'il a condamné la SAS Pyragric Industrie à payer à la CPAM de la Gironde la somme de 1.091 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et, statuant à nouveau, condamner la SAS Pyragric Industrie à payer à la CPAM de la Gironde la somme de 1.114 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion;

- condamner la SAS Pyragric Industrie à payer à la CPAM de la Gironde la somme de 1.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel,

- débouter toute partie de toute demande formulée à l'encontre de la CPAM de la Gironde.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 19 mars 2024.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 5 mars 2024.

Motivation

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la responsabilité de la société Pyragric :

Le jugement entrepris n'est pas contesté en ce qu'il s'est placé d'office sur le terrain de la responsabilité des produits défectueux pour trancher le présent litige mais la société Pyragric Industrie dont la responsabilité a été retenue en qualité de producteur/importateur du produit conteste le jugement en ce qu'il a déclaré l'action de M. [E] sur ce fondement recevable comme n'étant pas prescrite et ensuite en ce qu'il a retenu comme établi le défaut du produit en lien de causalité avec le dommage pour la condamner à indemnisation du préjudice corporel de M. [E].

- sur la recevabilité de l'action de M. [E] et du recours de la CPAM:

Selon l'article 1245-16 du code civil l'action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

La société Pyragric Industrie reproche au premier juge d'avoir retenu comme point de départ de la prescription la date de consolidation du dommage, ce en quoi l'action n'était pas prescrite, alors qu'il est patent que M. [E] avait connaissance du dommage, à savoir une lésion cornéenne nasale à type de brûlure, du défaut du produit, à savoir selon M. [E] une mise à feu déficiente et de l'identité du producteur, au plus tard au 31 octobre 2014, date de sa plainte pénale au cours de laquelle il a pu apporter tous ces éléments.

Cependant, les premiers juges ont par des motifs pertinents que la cour fait siens, justement retenu que les dispositions de l'article 1245-16 du code civil, devaient en matière de préjudice corporel s'apprécier en regard des dispositions de l'article 2226 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, selon lequel, l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé, en sorte que le point de départ de la prescription de l'action de M. [E] engagée contre le producteur d'un produit défectueux en indemnisation de son préjudice corporel est constitué par la consolidation de ses blessures.

Le jugement qui a dit les actions indemnitaires de M. [E] et, par voie de conséquence le recours de la CPAM, recevables comme n'étant pas prescrits est en conséquence confirmé.

- sur le bien fondé de l'action :

Il n'est pas contesté que selon l'article 1386-1 du code civil applicable à la date de l'événement, devenu 1245 du code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime, ni que la société Pyragric étant importateur en France depuis 2011 du produit en litige, les fusées d'artifice Rocket Selectio, est assimilé au producteur par les dispositions de l'article 1245-5 du code civil, de sorte que du fait de son identification en qualité de producteur elle concentre en cette qualité toutes les actions entreprises sur le fondement de l'article 1245 et suivants du code civil, excluant l'engagement de la responsabilité du vendeur.

A l'appui de sa demande de réformation du jugement déféré, la société Pyragric conteste essentiellement que la défectuosité du produit soit établie en dehors de toute étude technique, sur la seule base de témoignages imprécis, parfois contradictoires entre eux, n'ayant aucune valeur probante et ne permettant pas d'exclure une erreur de manipulation du produit, alors qu'il appartient à la victime de rapporter la preuve de la défectuosité du produit ainsi que du dommage et du lien causalité entre le dommage et le défaut de la chose, laquelle défectuosité ne serait pas établie au regard des différents scenari demeurant possibles, le tribunal s'étant finalement contenté de tirer de la seule survenue du dommage, l'existence d'un défaut du produit.

Il est en effet constant que pour engager la responsabilité du producteur du fait des produits defectueux, la victime doit tout d'abord établir le défaut du produit.

Il sera observé, ce qui n'est pas démenti par les hypothèses avancées par la société Pyragric, que seuls deux cas de figure sont envisagés par elle à l'origine du dommage de M. [E], à savoir, ou une défectuosité intrinsèque du produit, ou une erreur de manipulation lors de l'allumage de la fusée. Ainsi en effet, la société Pyragric développe plusieurs erreurs de manipulation lors de l'allumage susceptibles d'être à l'origine de l'incident.

La société Pyragric invoque ainsi comme hypothèses susceptibles de provoquer une explosion de la fusée dans son support sans que la fusée soit propulsée (ses conclusions page 25), une fusée trop enfoncée dans son bloc de lancement ou une absence d'utilisation du tube de lancement, ou de provoquer une propulsion immédiate de la fusée sans que l'utilisateur ait eu le temps de reculer, une mêche allumée à son extrémité opposée réduisant à zéro le temps de la mèche verte ou encore de provoquer une explosion directe de la fumée, un allumage directement sur le corps de la fusée avec insistance.

Ces hypothèses plausibles d'incidents d'allumage consécutifs à une erreur de manipulation apparaissent finalement assez nombreuses et l'on s'étonne ainsi que la société Pyragric ou le vendeur aient déclaré et tiré argument d'une absence de toute difficulté signalée sur ce produit depuis sa mise sur le marché pour conclure à une nécessaire erreur de manipulation. En effet, l'absence de tout incident, apparaît au contraire un argument en faveur d'une défectuosité du produit, tant une possibilité d'erreur de manipulation apparaît finalement assez fréquente au regard des différents scenari envisagés par l'appelante.

Par ailleurs et surtout, le tribunal n'a pas évincé de la seule survenue du dommage la défectuosité du produit mais bien de l'analyse des différentes attestations qui lui ont permis d'exclure toute erreur de manipulation, alors même qu'il a été observé que la société Pyragric n'envisage elle même que deux possibilités entre erreur de manipulation et défectuosité du produit, même si elle exclut la seconde.

La société Pyragric reproche également au tribunal de n'avoir assis sa décision que sur ces attestations émanant d'un cercle d'amis mais il ne saurait être interdit à la victime qui doit démontrer la défectuosité du produit, d'essayer de démontrer qu'elle n'a pas commis d'erreur de manipulation en s'appuyant pour cela sur des attestations d'amis, ce qui ne rend pas leurs attestations irrecevables à titre individuel, obligeant la cour à les analyser.

Il résulte ainsi de manière certaine des différentes attestations produites que M. [E] a procédé à l'allumage de trois fusées et que l'incident ne s'est produit que lors de l'allumage de la troisième fusée, aucune difficulté n'étant signalée à l'allumage des deux premières. Il peut en être évincé que M. [E] connaissait les gestes à accomplir qu'il a ensuite résumés lors de son audition à l'occasion de son dépôt de plainte du 31 octobre 2014, à savoir, planter le lanceur au sol, introduire la fusée, allumer la mèche, indiquant ensuite que dès qu'il l'a allumée, la troisième fusée a explosé aussitôt.

Il importe peu que cette déposition ne soit intervenue que deux mois et demi après les faits, alors que le processus d'allumage est somme toute assez simple. Le fait que sa deuxième attestation, intervenue le 15 décembre 2014, soit plus détaillée dans les circonstances de l'accident et notamment le positionnement de chacun, quand bien même M. [E] n'a pas pu être précis sur les quatre personnes qui se trouvaient directement autour de lui, ce qui atteste au contraire la sincérité de son récit, ne constitue pas une contradiction avec ce qui a été déclaré dans le cadre de son dépôt de plainte antérieur.

Il résulte surtout de l'attestation de M. [B] [M] du 7 juillet 2015 (pièce n°2 de M. [E]) que 'M. [E] a planté le lanceur dans le sol, a sorti les fusées les unes après les autres et les a placées dans le lanceur les unes après les autres. C'est à la troisième fusée que celle ci a explosé dans le lanceur à l'allumage. Je certifie qu'aucune mauvaise manipulation n'a été effectuée et que le périmètre de sécurité a bien été respecté...'.

Ce témoignage d'une personne présente sur les lieux est en faveur d'une absence d'erreur de manipulation de la part de M. [E], dont le témoin qui se trouvait à proximité de M. [E] a pu donner une description précise, sans pouvoir l'écarter au seul motif qu'il date de plus d'un an et demi après l'accident, alors que l'accident a constitué un événement de nature à marquer le témoin.

Cette attestation est au contraire en faveur de la proximité de M. [M] de l'action et de l'importance de son témoignage, ce qui contrairement à ce que soutient la société Pyragric n'est pas contredit par la deuxième attestation faite par M. [M] le 12 janvier 2015 (pièce n° 5 de M. [E]) selon laquelle, bien que succincte, le témoin mentionne se rappeler 'être spectateur et avoir vu les deux premières fusées partir et exploser en l'air normalement et avoir vu la troisième exploser directement', l'emploi du terme 'spectateur' n'excluant pas en effet que le témoin se soit trouvé à proximité même de M. [E] au moment des faits, comme résultant de son attestation antérieure, corroborée sur ce point par la déclaration de M. [E].

Quant au déroulement de l'allumage des fusées, l'attestation de M. [M] est confirmée par celle du témoin M. [T] [P] (pièce n° 3 de M. [E]) selon lequel ' il a lui même ([E]) planté le lanceur dans le sol (ce qui n'exclut pas que M. [M] l'ait sorti du paquet), a sorti les fusées les unes après les autres de leur emballage. Les deux premières sont parties normalement et la troisième a explosé dans le lanceur (au sol). Je constate (me trouvant à côté de la victime au moment des faits) qu'aucune mauvaise manipulation n'a été effectuée [..]'.

Dès lors, le fait que M. [E] ait lui même indiqué dans sa seconde attestation du 15 décembre 2014 (pièce n° 10 de M. [E]) 'Mon ami [B] [M] m'a sorti le lanceur du paquet que j'ai planté dans le sol (lanceur rouge) puis m'a tendu les fusées une par une au fur et à mesure ...' alors qu'il est à tout le moins constant que M. [M] avait sorti le lanceur du paquet et le lui avait tendu, ainsi que ce témoin l'avait indiqué et qu'il a utilisé les fusées les unes après les autres, apparaît un point de contradiction mineure, ne portant pas directement sur l'allumage des fusées en lui même et n'invalidant pas l'absence de toute erreur de manipulation imputable à M. [E] lors de l'allumage des fusées, attestée par deux témoins.

Au vu de ces éléments, le tribunal est approuvé d'avoir retenu que l'explosion de la fusée qui s'est produite dans le lanceur sans que celle ci ait été propulsée, ainsi qu'il est établi par les différents témoignages, résulte d'une défectuosité du produit, étant observé que les autres témoignages, même émanant de témoins dont il n'est pas établi qu'ils aient été à proximité directe de la zone d'allumage de la fusée, ne comportent aucune allégation contredisant les attestations concordantes de M. [M] et de M. [P] qui se trouvaient à proximité directe avec la zone d'allumage, également concordantes avec les déclarations de M. [E].

Enfin, la société Pyragric Industrie soutient qu'il ne résulte d'aucune des attestations que les consignes de sécurité auraient été respectées et notamment :

- incliner le tube de lancement dans la direction opposée aux spectateurs, insérer la baguette dans le tube de lancement puis retirer le couvre mèche orange,

- en se tenant de côté, allumer la mêche à son extrémité et s'éloigner immédiatement de 8 mètres,

- ne pas tirer à proximité des bâtiments, d'arbres ou similaires.

Cependant ces dispositions sont des consignes de sécurité que l'on peut qualifier de secondaires aux précautions d'allumage n'ayant pas vocation, même respectées, à éviter les accidents relatifs aux erreurs d'allumage mais à garantir la sécurité du public en cas d'incident (inclinaison du tube dans la direction opposée des spectateurs, ne pas tirer à proximité des arbres ou bâtiments...) et de l'utilisateur (placement de côté, allumage de la mèche et s'éloigner de huit mètres), de sorte que quand bien même ces précautions n'auraient pas été respectées, ce qui n'est pas établi, elles ne peuvent être la cause de l'explosion de la fusée dans le lanceur dès l'allumage de la mèche.

C'est dès lors à bon droit que, toute erreur de manipulation lors de l'allumage de la fusée ayant été exclue, le tribunal a retenu que l'accident était le fait d'une défectuosité du produit.

Il n'est pas contestable que M. [E] a été blessé à l'oeil gauche, dans la suite de cette explosion imputable à la défectuosité du produit.

Par ailleurs, quand bien même il n'est pas attesté qu'il s'est placé de côté par rapport à la fusée, les deux autres recommandations de sécurité ne visant que la protection des spectateurs ou des éléments à proximité, les attestations convergent cependant pour témoigner que la fusée a explosé dans le lanceur sans avoir été propulsée et sans laisser le temps à M. [E] de s'éloigner provoquant ainsi la blessure à l'oeil gauche de M. [E], de sorte que le lien de causalité entre la défectuosité du produit et le dommage est suffisamment établi.

Le jugement qui a retenu la seule responsabilité de la société Pyragric du fait des produits défectueux est en conséquence confirmé.

Sur la réparation du préjudice corporel de M. [E] :

A titre plus subsidiaire, la société Pyragric demande à la cour de ramener à de plus justes proportions les indemnités allouées à M. [E] et plus précisément l'incidence professionnelle à la somme de 20 000 euros.

M. [E] demande quant à lui par voie d'appel incident de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a statué sur l'incidence professionnelle en lui allouant de ce chef une juste somme de 90 000 euros.

Il sera observé qu'à l'appui de sa demande de réformation de la décision entreprise en ce qu'elle a statué sur l'indemnisation du préjudice corporel et notamment sur l'indemnisation de l'incidence professionnelle, la société Pyragric se contente de juger les sommes allouées trop élevées au regard de la jurisprudence habituelle et de solliciter que l'incidence professionnelle soit fixée à la somme de 20 000 euros et tous autres chefs d'indemnisation ramenés à de plus justes proportions.

Or, ajoutant au jugement entrepris que M. [E] né le [Date naissance 3] 1986 était au jour de l'accident le 14 août 2014, âgé 27 ans et au jour de la consolidation de ses blessures le 9 février 2016, âgé de 29 ans, qu'il a subi une perte d'acuité visuelle de l'oeil gauche (1/20) chiffrée en terme de DFP à 25 % ainsi qu'une perte de champ visuel avec atteinte de la vision binoculaire chiffrée à 10% /2, pour un DFP subsistant après consolidation de 28%, iI apparait qu'au titre de l'indemnisation des préjudices extra-patrimoniaux soit :

- s'agissant du DFT, le tribunal, en retenant sur la base de deux périodes de 12 jours d'incapacité à 100% correspondant aux hospitalisations et de 532 jours à 35 %, sur une base de 25 euros par jour et en allouant à M. [E] une indemnité de 4 955 euros, a fait une juste évaluation de ce préjudice.

- s'agissant des souffrances endurées, le tribunal, en retenant sur la base de la cotation expertale à 4/7, tenant compte de la violence du traumatisme initial et de ses conséquences en termes de soins mais également des douleurs tant physiques que morales et en allouant à M. [E] une indemnité de 20 000 euros a fait une juste évaluation de ce préjudice.

-s'agissant du préjudice esthétique temporaire, le tribunal, en retenant sur la base de la cotation expertale à 2,5/7, tenant compte de la nécessité du port d'une coque masquante sur l'oeil gauche et de trois interventions sur l'oeil gauche, et en allouant à M. [E] une indemnité de 2 000 euros a fait une juste évaluation de ce préjudice.

- s'agissant du DFP à 28%, le tribunal, en retenant l'ensemble des éléments de préjudice ressortant de l'atteinte aux fonctions physiologiques subsistant depuis la consolidation, et notamment l'atteinte aux capacités physiques et la réduction définitive du potentiel physique, l'ensemble des phénomènes douloureux et des répercussions psychologiques normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite, ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours, a justement indemnisé ce préjudice au regard de l'âge de la victime, à hauteur de 87 640 euros sur la base d'un point d'incapacité de 3 130 euros.

- s'agissant du préjudice esthétique permanent, le tribunal, en retenant sur la base de la cotation expertale à 1,5/7 en raison de l'aspect séquellaire du globe occulaire et de la pupille déformée en semi mydriase, gênant le regard des autres, a fait une juste évaluation de ce préjudice en allouant à M. [E] une indemnité de 2 000 euros.

S'agissant de l'incidence professionnelle, la société Pyragric Industrie demande de la réduire à la plus juste somme de 20 000 euros, tandis que M. [E] estime que l'indemnité allouée est insuffisante.

M. [E] conclut en effet à la réformation du jugement en ce qu'il a sous évalué la gêne importante qu'il subit lors des travaux de précision et notamment de soudure estimant que la somme de 90 000 euros indemniserait mieux l'incidence de la perte d'un oeil sur l'exercice d'un emploi au regard de la jurisprudence de plusieurs cours d'appel.

Cependant, l'indemnisation ainsi accordée par le tribunal tient précisément et expressément compte, au delà du taux de DFP et de l'âge de M. [E], de l'incidence de la perte de son oeil gauche sur les travaux de précision dans le cadre de son emploi de plombier et notamment lors de l'exécution de travaux de précision, comme la soudure, le tribunal ayant ainsi relevé la pénibilité et fatigabilité accrue dans le cadre de sa profession mais également de la dévalorisation qu'elle implique sur le marché du travail et l'indemnité allouée qui tient compte de tous les aspects de l'incidence professionnelle de son état séquellaire constitue une juste et effective indemnisation du préjudice de M. [E].

Dès lors, le jugement qui a fixé l'indemnisation de l'incidence professionnelle pour M. [E] à la somme de 80 000 euros et en conséquence le montant de son préjudice total à la somme de 207 491,91 euros et, après imputation de la créance non contestée de l'organisme social de 10 896,91 euros, la somme due à M. [E] à 196.595 euros, au paiement de laquelle la société Pyragric Industrie a été condamnée, est confirmé.

Si le jugement est également confirmé en ce qu'il a statué sur les demandes de la CPAM de la Gironde, il sera toutefois réformé en ce qu'il lui a alloué au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion une somme de 1 091 euros, celle ci étant fixée conformément aux dispositions des articles 9 et 10 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 modifiée, à la somme de 1 114 euros, dès lors que cette somme qui constitue le montant maximal accordé se trouve être inférieur au tiers des sommes accordées auquel l'organisme social peut prétendre au titre de ses frais de gestion.

Le jugement sera en conséquence réformé de ce seul chef.

Pour le surplus, la société Pyragric ne soumet à la cour aucun moyen de réformation notamment s'agissant des dispositions du jugement entrepris qui a statué

sur les intérêts attachés aux sommes dues, l'application des dispositions de l'article 1343-2, les dépens et frais irrépétibles de première instance, ce en quoi le jugement est également confirmé.

Succombant en son recours, la société Pyragric Industrie en supportera les dépens et sera équitablement condamnée à payer à M. [E] une somme de 5000 euros et à la CPAM de la Gironde une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a statué sur l'indemnité forfaitaire de gestion due à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Gironde.

Statuant à nouveau du chef réformé et y ajoutant :

Condamne la société Pyragric Industrie à verser à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Gironde une somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Condamne la société Pyragric Industrie à verser à M. [C] [E] une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Pyragric Industrie à verser à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Gironde une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Pyragric Industrie aux dépens du présent recours, avec distraction au profit de maître Dominique Laplagne, Avocat.